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À Davos, Javier Milei a défendu « La supériorité écrasante du capitalisme »

Mercredi 17 janvier dernier, le président argentin Javier Milei a prononcé un discours enflammé et disruptif au Forum économique mondial de Davos. Son éloge de la croissance et des entrepreneurs, tout comme sa mise en garde contre les dangers du socialisme ont déjà fait couler beaucoup d’encre. En réalité, l’économiste n’a fait que reprendre, à quelques expressions près, le contenu d’une conférence TED donnée en 2019 à San Nicolás, au cours de laquelle il expliquait comment, tout au long de l’histoire, le capitalisme s’était avéré supérieur aux autres systèmes.

Les thèses mises en avant à Davos s’inscrivent dans le corpus classique de la défense des libertés économiques. Qu’elles soient mises en avant, de manière décomplexée, par un chef d’État est, en revanche, beaucoup plus inhabituel.

Dans cet article, l’essayiste Rainer Zitelmann revient sur les principales thèses économiques défendues par Javier Milei, tant comme économiste que comme chef d’État.

 

Thèse 1 : le capitalisme est la seule recette contre la pauvreté

Le discours de Milei commence par un examen historique, précisant que la révolution industrielle a donné à une grande partie de la population mondiale la possibilité d’échapper à la pauvreté.

« … Lorsque vous regardez le PIB par habitant depuis l’an 1800 et jusqu’à aujourd’hui, vous verrez qu’après la révolution industrielle, le PIB mondial par habitant a été multiplié par plus de 15. Ce qui s’est traduit par un boom de la croissance qui a permis à 90 % de la population mondiale de sortir de la pauvreté. N’oublions pas qu’en 1800, environ 95 % de la population mondiale vivait dans l’extrême pauvreté et que ce chiffre est tombé à 5 % en 2020, avant la pandémie. La conclusion s’impose. Loin d’être la cause de nos problèmes, le capitalisme libre-échangiste en tant que système économique est le seul instrument dont nous disposons pour mettre fin à la faim, à la pauvreté et à l’extrême pauvreté sur notre planète.

Avant les commencements de la révolution industrielle, il y a environ deux siècles, 90 % de la population mondiale était effectivement embourbée dans l’extrême pauvreté. Aujourd’hui, selon les chiffres de la Banque mondiale, cette proportion n’est plus que de 8,5 %.

 

Thèse 2 :  la « justice sociale » est injuste

Le président-économiste soutient que la redistribution n’est pas le moyen de résoudre les inégalités sociales et qu’elle ne fait en réalité que les accroître. Les anticapitalistes pensent que l’économie est un jeu à somme nulle – ils croient qu’un gâteau économique prédéfini doit être distribué, alors qu’en fait, le but est d’augmenter la taille du gâteau.

Milei : « Le problème, c’est que la justice sociale n’est pas juste – et qu’elle ne contribue pas non plus – au bien-être général… Ceux qui font la promotion de la justice sociale, les défenseurs, partent de l’idée que l’ensemble de l’économie est un gâteau qui peut être partagé différemment, mais que ce gâteau n’est pas acquis. C’est la richesse qui est générée dans ce qu’Israël Kirzner, par exemple, appelle un processus de découverte du marché. Si les biens ou services offerts par une entreprise ne sont pas désirés, l’entreprise échouera, à moins qu’elle ne s’adapte à ce que le marché exige. Si elle fabrique un produit de bonne qualité à un prix attractif, elle s’en sortira bien et produiront davantage. Le marché est donc un processus de découverte dans lequel les capitalistes trouveront le bon chemin au fur et à mesure qu’ils avanceront. »

 

Thèse 3 : l’Occident est menacé par le socialisme moderne

La thèse la plus importante est celle-ci : l’Occident est menacé par le socialisme.

Milei répond à l’objection selon laquelle, aujourd’hui, comme pour le socialisme classique, la question n’est pas la nationalisation des moyens de production. Selon lui, le marché libre est de plus en plus étouffé par l’intervention gouvernementale, la réglementation excessive, la fiscalité et les politiques des banques centrales.

Les moyens de production ou les biens immobiliers relèvent théoriquement de la propriété privée, mais dans le réalité les propriétaires perdent de plus en plus le contrôle de leurs biens au profit de l’État.

Milei : « L’Occident a malheureusement déjà commencé à s’engager dans cette voie. Je sais que pour beaucoup, il peut sembler ridicule de suggérer que l’Occident s’est tourné vers le socialisme, mais ce n’est ridicule que si vous vous limitez à la définition économique traditionnelle du socialisme, qui dit qu’il s’agit d’un système économique où l’État possède les moyens de production. À mon avis, cette définition devrait être mise à jour à la lumière des circonstances actuelles. Aujourd’hui, les États n’ont pas besoin de contrôler directement les moyens de production pour contrôler tous les aspects de la vie des individus. Avec des outils tels que la planche à billets, la dette, les subventions, le contrôle des taux d’intérêt, le contrôle des prix et la réglementation pour corriger les soi-disant défaillances du marché, ils peuvent contrôler la vie et le destin de millions d’individus.

 

Thèse 4 : les entrepreneurs doivent commencer à se défendre

Le discours de Milei ne se borne pas à constater, il appelle aussi à l’engagement. Il cible en particulier les entrepreneurs, qui « se plient trop souvent à l’air du temps et aux puissants politiques », les enjoignant à ne plus se laisser intimider par les politiciens, à être « fiers » et à commencer « à se battre ».

« C’est pourquoi, en terminant, j’aimerais laisser un message à tous les hommes d’affaires ici présents et à ceux qui ne sont pas ici en personne, mais qui nous suivent du monde entier. Ne vous laissez intimider ni par la caste politique ni par les parasites qui vivent aux crochets de l’État. Ne capitulez pas devant une classe politique qui ne veut que rester au pouvoir et conserver ses privilèges. Vous êtes des bienfaiteurs sociaux, vous êtes des héros, vous êtes les créateurs de la période de prospérité la plus extraordinaire que nous ayons jamais connue. Que personne ne vous dise que votre ambition est immorale. Si vous gagnez de l’argent, c’est parce que vous offrez un meilleur produit à un meilleur prix, contribuant ainsi au bien-être général. »

Comment ce discours se traduira-t-il dans la réalité ? Milei réussira-t-il à mettre en œuvre la supériorité écrasante du capitalisme en Argentine ? Réponse dans les semaines et les mois qui viennent.

France Inter : radiographie d’un média d’État

 

 

Le 12 décembre dernier s’est tenue une nouvelle édition de l’Assemblée des Idées, un cycle de débats bimestriel organisé à la Galerie des Fêtes de l’Hôtel de Lassay, résidence officielle de la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, qui préside également cette série de colloques.

Après le logement, le rôle de la France à l’international, l’intelligence artificielle ou encore la morale, la chambre basse a accueilli plusieurs dirigeants de médias pour débattre du pluralisme et de l’indépendance de ceux-ci.

Animé par le journaliste de TF1 Paul Larrouturou, le débat a réuni Isabelle Roberts, présidente des Jours, pure player lancé en 2016, le président du directoire du groupe M6 Nicolas de Tavernos, le président du groupe Les Échos-Le Parisien Pierre Louette, et la directrice de France Inter Adèle Van Reeth.

Répondant à une question sur l’orientation à gauche de la station dont elle est directrice depuis septembre 2022, Adèle Van Reeth a été courtoisement mais fermement recadrée par ses contradicteurs issus du privé.

 

L’art de la langue de bois

En cause : l’exercice de langue de bois qu’a été la réponse de la dirigeante publique. Une séquence reprise dans la foulée sur X (ex-Twitter) où Adèle Van Reeth explique qu’à ses yeux, France Inter n’est pas une radio de gauche, mais que son histoire, ses auditeurs et certaines émissions ont cette tendance. De plus, France Inter ne serait pas une radio de gauche car elle ne serait pas une radio d’opinion mais une radio publique qui appartiendrait, non à l’État comme dans un régime autoritaire, mais aux citoyens.

https://twitter.com/DocuVerite/status/1737502165256589606

Face à ce cafouillage manifeste, d’autres intervenants ont tenu à apporter des clarifications.

Nicolas de Tavernost a ainsi rappelé que la principale concentration de médias était celle du service public. Son propos a été appuyé par Pierre Louette qui a rappelé que cette concentration n’a jamais été aussi faible qu’à une époque où créer un média n’a jamais été aussi aisé.

 

Radio France est une radio d’État

Cet échange pose notamment la question de la nature du paysage radiophonique public.

En effet, Adèle Van Reeth distingue très nettement les chaînes appartenant aux citoyens de celles appartenant à l’État. Cette distinction est évidement factice, car les citoyens évoqués sont avant tout des contribuables, et donc des financeurs de l’État.

On ne peut réellement saisir l’erreur, sans doute volontaire, qu’est cette distinction sans comprendre la nature même de France Inter, station de radio propriété de Radio France.

Radio France est, elle, une société anonyme à capitaux publics héritière de l’ORTF dont 100 % des actions sont détenues par l’État français.

Sa fiche sur le site de l’Annuaire des Entreprises, disponible publiquement comme celle de toute entreprise française, détaille ses dirigeants et bénéficiaires effectifs, personnes physiques possédant plus de 25 % du capital ou des droits de vote, ou exerçant un contrôle sur les organes de direction ou de gestion.

Parmi les 15 dirigeants recensés, on retrouve cinq administrateurs, deux commissaires aux comptes et huit administrateurs. L’éclectisme y est roi, puisque les profils vont du député au directeur général d’entreprise publique, en passant par l’ingénieur et la dirigeante associative.

S’agissant de l’unique bénéficiaire effective, nous retrouvons Sybile Veil. L’épouse d’un des petit-fils de Simone Veil et maître des requêtes au Conseil d’État est elle-même énarque, conseillère d’État et surtout PDG de Radio France depuis le 16 avril 2018, après avoir été nommée par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) qui n’était pas encore devenu l’Arcom par sa fusion avec Hadopi au 1er janvier 2022.

Rappelons que le CSA comme Hadopi, et aujourd’hui l’Arcom, sont des autorités administratives indépendantes (AAI) agissant au nom de l’État. Comme le constatait un rapport sénatorial paru en 2017, les AAI n’ont généralement pas de personnalité morale propre distincte de l’État, et leurs membres sont désignés soit par le président de la République, les présidents des assemblées ou des ministres, soit par de hautes autorités juridictionnelles. Entendez par là, par exemple, le vice-président du Conseil d’État ou le premier président de la Cour de cassation, postes nommés directement par le président de la République.

 

Naïveté et manipulation

En d’autres termes, ce qui distingue chaînes publiques et chaînes d’État est le caractère prétendument démocratique des États des premiers.

Cette nuance est encore plus complexe lorsqu’on analyse le niveau de démocratie des institutions françaises, plus proches des démocratures d’Europe de l’Est que des démocraties parlementaires avoisinantes.

Distinguer arbitrairement et par pur soutien à un narratif social-démocrate médias d’États et médias publics relève donc au mieux d’une naïveté coupable à ce niveau de responsabilité, et au pire d’une manière de prendre ses auditeurs pour des imbéciles.

 

Un auditorat de gauche

Adèle Van Reeth a toutefois reconnu dans sa réponse que l’auditorat de France Inter était de gauche. Cet état de fait est corroboré par une étude conjointe entre le journal Marianne et l’Ifop, révélant en 2012 que l’auditorat de France Inter votait à 72 % à gauche, dont la ligne relève de la gauche caviar lorsqu’elle est pas tout simplement assimilable « à un tract de la CGT  » pour reprendre les mots de l’ancienne directrice de la station Laurence Bloch après avoir décidé de supprimer l’émission « Comme un bruit qui court », critiquée pour son militantisme y compris par Les Inrocks, eux-mêmes sur la ligne de la gauche bobo.

 

Un financement politique contestable

En réalité, Adèle Van Reeth a été gênée par la question posée, car elle sait que son intervention relève d’une question autrement plus fondamentale, dans une société se voulant démocratique, qu’est le consentement à l’impôt.

Admettre que France Inter est de gauche, c’est admettre que l’argent des contribuables sert à financer une information orientée politiquement, alors même que cette orientation n’est pas celle des contribuables en question.

Pour rappel, en 2022, seuls deux Français sur dix se positionnait à gauche ou à l’extrême gauche, contre le double à droite ou à l’extrême droite.

Reconnaître que France Inter est de gauche contribuerait à confirmer une réalité qui saute aux yeux de quiconque s’intéresse un minimum à ces sujets : il existe un décalage entre ce que souhaitent les contribuables et ce qui leur est proposé, décalage qui n’existerait pas sur un marché libre où le payeur d’impôt serait un consommateur à satisfaire comme un autre et non une poche dans laquelle se servir au nom d’une solidarité fantasmée.

 

Concentration et conspirationnisme

Cette intervention pose également la question de la concentration des médias.

Sur le sujet, le ministère de la Culture lui-même donne raison à Nicolas de Tavernost et Pierre Louette, puisqu’un rapport paru en juillet 2022 estime que France Télévisions est le premier acteur du marché.

Cette position, justifiée aussi bien en termes d’audience que de chiffre d’affaires, montre une tendance nette depuis 20 ans : la part de chiffre d’affaires de France Télévisions a explosé, alors même que son audience s’est effondrée.

Cependant, et comme le notait justement Pierre Louette, créer un média n’a jamais été aussi simple qu’aujourd’hui. Une liberté salutaire mais qui pose aussi la question de la qualité de cette information et de la montée des discours conspirationnistes que seuls la transparence publique et le respect du consentement démocratique permettront de combattre.

La culture en péril (16) – Philippe Nemo, « Crise de la culture ? »

La question devient de plus en plus fondamentale, face aux assauts de violence vécus ces derniers mois, ces dernières années, dans notre pays et ailleurs. Des conflits géopolitiques aux émeutes des banlieues, les incompréhensions semblent aller croissant. Le sentiment domine que tous ne parlons plus le même langage, ne partageons plus les mêmes valeurs, n’avons plus les mêmes aptitudes au dialogue. Constat d’autant plus inquiétant que, comme le remarque Philippe Nemo, de plus en plus de pays non-occidentaux (Russie, Chine, Turquie, parmi d’autres) considèrent notre civilisation comme décadente, rêvant ainsi de nous supplanter.

Si les valeurs humanistes ne sont plus même partagées, comment concevoir encore ce dialogue ? Si la philosophie des droits de l’Homme qui avait prévalu lors de la création de l’ONU est désormais vécue comme un repoussoir pour ces pays, alors comment envisager l’avenir du monde ? Et si la culture est vraiment en crise, interroge le philosophe, l’Occident pourra-t-il survivre ?

 

Des maux inquiétants

Face à toutes ces questions, Philippe Nemo – qui a traduit et préfacé récemment un ouvrage majeur d’Enzo Di Nuoscio abordant directement la question – nous fait partager ses premières réflexions.

Il commence par s’interroger sur ce que l’on appelle la culture. Et pour cela, il prend appui sur les émeutes de juin 2023 en France, qui ont véritablement stupéfié une grande partie des Français. Par leur nature avant tout, dans la mesure où elles se sont attaquées à tous les symboles de l’État et de notre civilisation, jusque des écoles, des bibliothèques, ou des médiathèques. Clairement, ces émeutiers ne se représentaient pas le monde comme nous, et se sont comportés en « ennemis ». Ces émeutes furent un symptôme révélateur de ce que la culture – conçue comme « une réalité consubstantielle à la société » – n’est plus partagée par tous les résidents de ce pays, remettant en cause la viabilité d’une vie sociale commune.

Autrement dit, la culture démocratique et libérale, qui était le ciment de notre société depuis au moins deux siècles, et résultante de tous les mouvements de migration précédents au cours de l’histoire, s’est étiolée dangereusement, l’idée de société multiculturelle étant antinomique, « une contradiction dans les termes ». En ce sens qu’il ne s’agit plus de pluralisme, mais d’un refus de s’intégrer – lié à la fois au flux incontrôlé d’arrivées massives et à un manque de convictions quant à notre propre culture.

 

Une crise profonde ?

L’Occident a, certes, déjà connu des crises de valeurs, qui ont débouché sur des évolutions majeures, fruits de son histoire. S’appuyant à chaque fois sur une « résilience » de la culture, nous relate Philippe Nemo. Mais que penser de celle-ci ?

 

… il se produit ces années-ci un grand nombre de changements objectifs qui touchent aux structures mêmes de nos sociétés et dont personne ne peut discerner précisément où ils nous mènent. Ce sont la mondialisation, les mouvements migratoires d’une ampleur inédite, les problèmes d’environnement et de climat, les changements drastiques affectant cette structure sociale de base qu’est la famille, les métamorphoses apportées par l’informatique qui redistribue les compétences et modifie notre rapport à l’espace et aux frontières. Ces évolutions font que certaines mœurs et coutumes traditionnelles deviennent obsolètes, que d’autres apparaissent, mais sans se dessiner encore clairement, ce qui suscite un sentiment de flou.

 

Mai 68, ajoute-t-il, pourrait avoir joué un rôle pervers majeur « en répandant largement les thèses des philosophes « déconstructeurs » et en fragilisant donc, chez nombre d’intellectuels français (et américains à leur suite), les fondements philosophiques mêmes d’une société humaniste de liberté et de droit ».

Néanmoins, Philippe Nemo se veut optimiste et dit avoir le sentiment que cette crise sera surmontée, comme les autres auparavant.

 

De réelles sources d’espoir

C’est en observateur attentif et avisé qu’il dresse le constat que nos idéaux demeurent pour l’essentiel intacts, partagés par la majeure partie de la population.

 

Si on lit les essais philosophiques et la littérature qui paraissent, si l’on regarde films et séries, si l’on prend en compte le fonctionnement des institutions politiques, sociales et économiques de base, il apparaît que les idéaux qui gouvernent la pensée profonde et les comportements de la majeure partie de la population des pays occidentaux restent ceux de l’humanisme, du progrès scientifique et technique, de la démocratie politique, de l’État de droit, de la volonté de promouvoir prospérité économique et justice sociale […]

Les populations occidentales continuent à trouver indispensable que les gouvernements respectent la personne humaine individuelle, la liberté d’opinion et d’expression, et même la propriété privée et les contrats. Il est vrai qu’on ne vante pas trop ces valeurs économiques sur l’espace public politique et médiatique, mais on s’y conforme encore grosso modo en pratique, et les tribunaux les font respecter dans l’ensemble.

 

Rien n’est donc perdu. Et nous aurions tort de baisser les bras en nous avouant vaincus. Bien au contraire, à l’instar de beaucoup, Philippe Nemo est convaincu que les extrémismes et les assauts de la cancel culture notamment, qui relève selon lui davantage d’un effet de mode que d’une révolution qui vaincra, ne parviendront pas à déstabiliser notre société et notre civilisation. Car c’est justement la force d’une société libre que de faire preuve d’esprit critique et de savoir corriger ses propres erreurs. Nous avons surmonté d’autres formes d’utopies, et nous saurons de nouveau faire face à celle que tentent de développer ces déconstructeurs. D’autant mieux qu’aucun contre-modèle autre que minoritaire ne parvient à se distinguer aujourd’hui comme avait pu le faire le marxisme auparavant.

En conclusion, il n’y a pas de crise véritablement profonde au point de mettre en péril l’avenir de notre civilisation. Simplement une crise de transmission, indéniable, sur laquelle Philippe Nemo pose un diagnostic clair (recul du christianisme, déstructuration de la famille, quasi-ruine de l’école) et face à laquelle il convient impérativement de réagir. En mobilisant les hommes de culture et en particulier l’école. Car c’est par la transmission que nos valeurs perdureront. Tous les outils sont en place pour cela (patrimoine littéraire et scientifique, auteurs érudits, politiques culturelles publiques et privées, édition de livres, Internet). Une culture millénaire de disparaît pas en si peu de temps, nous rassure-t-il.

 

… je reviens néanmoins à mon intuition, qui tient aux capacités de critique et de renouvellement que procurent incontestablement nos institutions libérales. Je crois que nos sociétés sont et resteront longtemps capables de corriger leurs erreurs, de rebondir, et même de faire surgir, le moment venu, des formules sociales résolvant nombre de problèmes qui nous paraissent aujourd’hui insurmontables.

 

Philippe Némo, Crise de la culture ?, Journal des libertés, automne 2023, 14 pages.

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À lire aussi :

Les consommateurs victimes des lois censées les protéger

Un article de Philbert Carbon.

La Fondation Valéry Giscard d’Estaing – dont le « but est de faire connaître la période de l’histoire politique, économique et sociale de la France et de l’Europe durant laquelle Valéry Giscard d’Estaing a joué un rôle déterminant et plus particulièrement la période de son septennat » – a organisé le 6 décembre 2023 un colloque intitulé : « 45 ans après les lois Scrivener, quelle protection du consommateur à l’heure des plateformes et de la data ? ».

 

Protection ou infantilisation du consommateur ?

Christiane Scrivener, secrétaire d’État à la Consommation de janvier 1976 à mars 1978, fut à l’origine des deux lois qui portent son nom.

La loi du 10 janvier 1978 relative à l’information et à la protection des consommateurs dans le domaine de certaines opérations de crédit, dite loi Scrivener I, impose aux établissements de crédit d’apporter un minimum d’information et de protection à l’emprunteur.

Parmi les dispositions de la loi figuraient :

  • l’obligation de formaliser l’offre de crédit par un contrat ;
  • la liste des mentions obligatoires des offres (montant du crédit, TAEG, durée, montant à rembourser, montant des frais, etc.) ;
  • la remise d’un échéancier prévisionnel reprenant la part d’assurance, de capital remboursé et de capital restant dû chaque mois ;
  • un délai de rétractation de 7 jours ouvrés après la signature.

 

La loi Scrivener II du 13 juillet 1979 relative à l’information et à la protection des emprunteurs dans le domaine immobilier, avait comme objectif principal de lutter contre le surendettement. Elle venait compléter la loi Scrivener I dans le domaine des prêts immobiliers, imposant, notamment :

  • l’édition d’un tableau d’amortissement détaillé ;
  • l’indication du montant des frais de dossier ;
  • un délai de réflexion de 30 jours francs avec un délai minimum de 10 jours à compter de la réception de l’offre.

 

D’autres lois viendront par la suite compléter ce dispositif légal. Le site de l’Institut national de la consommation (INC) recense pas moins de 75 lois intéressant le consommateur entre 1982 et 2020, comme les lois Quillot (1982), Neiertz (1982), SRU (2000), Chatel (2005 et 2008), Lagarde (2010) ou bien Hamon (2014).

La dernière en date étant celle du 9 juin 2023 visant à encadrer l’influence commerciale, et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux.

Nous pouvons comprendre que la loi érige quelques règles de bonne conduite entre les entreprises et leurs clients, et donne un cadre aussi bien aux unes qu’aux autres. Mais vouloir entrer dans les moindres détails et multiplier les textes réglementaires revient à considérer le consommateur – à l’instar du salarié – comme un individu faible et irresponsable qui a besoin d’être protégé de lui-même.

Reprenons l’exemple de la loi Scrivener II qui introduit un délai de réflexion de 30 jours francs lorsque l’on contracte un prêt immobilier. Elle fixe aussi un délai minimum de 10 jours dont personne ne peut s’affranchir. C’est-à-dire que l’emprunteur peut signifier à sa banque qu’il accepte le prêt à compter du onzième jour de la réception de l’offre de crédit (et donc ne pas attendre les 30 jours), mais il ne peut le faire dès le deuxième jour. N’est-ce pas le considérer comme un enfant mineur qui ne sait pas ce qu’il fait ?

De même, alors que la loi Scrivener I prévoyait un délai de rétractation de 7 jours après la signature d’un crédit à la consommation, la loi Lagarde de 2010 l’a porté à 14 jours. Le délai de rétraction est aussi de 14 jours en cas de vente à distance (internet, téléphone, voie postale ou fax), par exemple. N’est-ce pas prendre le consommateur pour quelqu’un qui ne réfléchit pas suffisamment avant de prendre une décision ?

 

Des protections qui se retournent contre le consommateur

Dans le domaine du logement, l’IREF a démontré à maintes reprises comment les dispositions censées protéger les locataires se retournaient contre eux.

Ainsi les lois prises entre 1914 et 1923 aboutirent-elles à bloquer les loyers et à décourager la construction de logements. La fameuse loi de 1948 statufia le parc locatif, les locataires ne bougeant plus de chez eux afin de conserver leur loyer bloqué. Les récentes lois figeant ou encadrant les loyers ont pour conséquence de réduire le nombre de bailleurs qui préfèrent se tourner vers la location de courte durée de type Airbnb. L’interdiction des expulsions locatives entre le 1er novembre et le 31 mars a aussi pour résultat de décourager les propriétaires de louer leurs biens.

Autre exemple avec la loi Lemoine de février 2022 « pour un accès plus juste, plus simple et plus transparent au marché de l’assurance emprunteur » qui a, notamment, supprimé le questionnaire médical pour une large partie des emprunteurs, en l’occurrence ceux dont le prêt assuré est inférieur ou égal à 200 000 euros et qui le remboursent avant l’âge de 60 ans. L’objectif de cette mesure était d’éliminer les discriminations dont étaient victimes, au moment de souscrire une assurance-emprunteur, les personnes présentant des risques de santé. Ces « discriminations » consistaient à appliquer des surprimes ou des exclusions de garanties. Depuis le 1er juin 2022 (entrée en vigueur de la loi), les assureurs ne peuvent donc plus interroger leurs clients qui répondent aux deux critères mentionnés plus haut. Cela concerne plus de 50 % des emprunteurs.

Les effets pervers de cette loi sont évidents et se sont déjà fait sentir, nul besoin d’attendre le rapport que le Comité consultatif du secteur financier (CCSF) doit produire au plus tard d’ici février 2024.

En effet, faute de pouvoir évaluer correctement le risque, certains assureurs préfèrent ne pas traiter avec les personnes couvertes par la loi Lemoine et, par conséquent, ne produisent même pas de devis. D’autres ont choisi d’augmenter leurs tarifs – de 15 % à 30 % – pour tout le monde. Enfin, une dernière catégorie a changé les conditions générales des contrats qui comportent désormais des exclusions « tendant à amoindrir ou annuler la prise en charge des pathologies antérieures à l’adhésion quand les personnes ne répondent pas à un questionnaire médical ».

En résumé, l’emprunteur – qui n’a pas vraiment lu des conditions générales car il se sait bien protégé par la loi Lemoine – se croit couvert pour certains risques alors qu’il ne l’est pas.

 

La protection par la concurrence

Finalement, la loi Lemoine aboutit à restreindre le choix des consommateurs (ils ont moins d’offres), à augmenter le coût des assurances et à réduire la protection des clients.

En réalité, nombre de lois de protection des consommateurs reviennent à ériger des barrières à l’entrée du marché, c’est-à-dire à empêcher l’arrivée de nouveaux acteurs. Au contraire, quand la concurrence fonctionne à plein, les entreprises recherchent les meilleurs moyens de servir les clients. Offrir plus de choix aux consommateurs est une bonne manière de les protéger.

Qui est le mieux protégé aujourd’hui ? Le voyageur français du XXe siècle qui pour se déplacer n’avait le choix, en simplifiant, qu’entre les monopoles d’Air France, de la SNCF et des taxis ? Ou celui du XXIe siècle qui peut se tourner vers les compagnies aériennes low cost comme Ryanair ou easyJet, la compagnie ferroviaire italienne Trenitalia, les VTC, les cars Macron ou le covoiturage ? La libéralisation du marché du transport – qui est loin d’être terminée – a mieux servi les consommateurs que la plupart des lois prétendument protectrices.

Renforcer la concurrence devrait être le cheval de bataille de tous ceux qui prétendent vouloir protéger les clients, au premier rang desquels les associations de consommateurs. Au lieu de cela, elles réclament toujours plus de contraintes pour les entreprises, pénalisant ceux qu’elles sont censées défendre.

Sur le web.

La loi immigration : une réponse à la stagnation économique ?

L’immigration génère des titres dans l’actualité en raison du passage d’une loi sur le sujet. Après débats, les deux tiers du Parlement ont voté pour la loi sur l’immigration… des mesures visant à resserrer les conditions d’entrée dans le pays.

L’arrivée de migrants occupe les gouvernements et les médias.

Geert Wilders, qui promet le blocage de l’immigration, prend le pouvoir aux Pays-Bas. Au Royaume-Uni, le Premier ministre, Rishi Sunak, a promis une campagne pour réduire le nombre d’immigrants de 300 000 par an. Et en Italie, lors de la campagne l’année dernière avant son élection, Mme Meloni a promis un blocus naval contre l’immigration en provenance d’Afrique du Nord.

Certains veulent davantage de sévérité vis-à-vis de l’entrée d’étrangers, d’autres veulent plus de programmes pour l’hébergement et la distribution d’allocations.

Personne ne défend la liberté de la circulation des biens et personnes. D’un côté, certains veulent des redistributions au prétexte de la solidarité. « Nous allons épargner au pays deux semaines de discours xénophobes et racistes », disent-ils, au sujet du vote de départ ; de l’autre, certains veulent le filtrage des arrivées, selon des quotas des dirigeants. Selon eux, le rejet de la loi, avant un passage après le durcissements des règles, « protège les Français d’un appel d’air migratoire ».

Même les défenseurs de la liberté d’échange – comme la Fondation iFRAP par exemple –  souhaitent davantage de contrôle sur l’arrivée de personnes. Dans une tribune pour le journal Le Figaro, Agnès Verdier-Molinié appelle à une préférence pour les travailleurs, par rapport aux autres types d’immigrants :

« Conditionner les arrivées à un emploi stable, c’est garantir, à la fois, une meilleure intégration et de meilleurs revenus aux immigrants tout en leur évitant de dépendre du système de protection sociale. »

En France et à l’international, la préoccupation pour l’immigration relève sans doute d’un sentiment de stagnation chez les particuliers. En effet, les lois sur l’immigration apparaissent souvent avec des crises, des licenciements et des pertes de revenus.

Les gens voient alors dans l’arrivée d’étrangers une des causes du déclin.

 

Signal de difficultés

La presse évoque de nouveau la menace de la concurrence des Chinois dans l’industrie.

Dans Les Échos un article affirme :

«… les prix baissent, ce qui fait l’affaire des consommateurs européens. Mais il n’est pas certain que les producteurs, eux, soient ravis de cette arrivée de biens chinois sur le Vieux Continent. En effet, la concurrence des produits chinois risque d’accélérer à terme la désindustrialisation. »

L’immigration, comme les biens d’importation, sont une forme de concurrence faite aux citoyens d’un pays.

Sur la première moitié du XXe siècle aux États-Unis, la loi la plus importante pour réduire l’immigration remonte à 1924. En effet, la même année, une contraction économique entraîne des faillites. La Réserve fédérale achète même des obligations sur le marché, pour la première fois depuis la création du groupe. Ensuite, au cours de la Dépression des années 1930, le gouvernement américain pousse les étrangers à repartir. Selon les estimations, entre 300 000 et deux millions de Mexicains quittent le pays au cours de la décennie. La récession de l’économie provoque un retournement contre les immigrés, et aussi contre le commerce avec l’étranger. En réaction au Krach de 1929, les États-Unis votent une série de tarifs sur l’importation de biens. Henry Ford, le créateur de la marque de voitures, qualifie la loi de stupidité économique.

Au début des années 1930, les pays européens, dont la France et l’Angleterre, mettent en place des tarifs douaniers. Les échanges internationaux chutent à grande vitesse. De 1929 à 1932, le commerce mondial chute de 60 %.

En France aussi, le gouvernement crée pour la première fois des restrictions à l’immigration au cours de la crise des années 1930. En 1931, le Parti socialiste propose de limiter l’accès à l’emploi des étrangers :

« Nul ne pourra embaucher de travailleurs étrangers si la proportion de travailleurs étrangers employés dans son entreprise excède 10 %. »

En 1938, le gouvernement crée une branche pour la régulation de l’immigration.

Les restrictions de l’accès des étrangers à des emplois des années 1930 sont toujours en place aujourd’hui.

Le Monde Diplomatique explique :

« Au total, selon l’Observatoire des inégalités, plus de cinq millions d’emplois demeurent inaccessibles aux étrangers non européens, soit plus d’un emploi sur cinq, y compris dans le secteur privé, où perdurent une cinquantaine de restrictions, en particulier pour les professions libérales, cadenassées depuis les années 1930. »

En réponse à une hausse du chômage, un retournement de l’opinion à l’égard de l’immigration a aussi lieu dans les années 1970… Le mouvement pour la préférence nationale conduit à l’interdiction de l’arrivée d’immigrants pour le travail.

Le même genre d’inquiétude pour les revenus et les niveaux de vie entre à présent en jeu.

 

Réponse à la stagnation

Les revenus n’augmentent pas, selon l’Observatoire des inégalités. Un article de La Nouvelle République cite le groupe :

« [Depuis 20 ans] les salaires des classes populaires n’augmentent pas. C’est le cas aussi depuis une quinzaine d’années pour les classes moyennes. À la rigueur, quand les plus riches s’enrichissaient, dans les années 1980 et 1990, cela causait moins de tensions car les salaires progressaient, les parents voyaient leurs enfants s’en sortir mieux qu’eux. »

Depuis les confinements, les gens travaillent davantage d’heures, peut-être en rattrapage de la perte de temps, ou les problèmes liés au télétravail… Ainsi, la productivité du travail reste en baisse par rapport à la normale.

Les patrons de PME donnent des signes de détresse. Selon Les Échos :

« Pour près de la moitié des dirigeants de PME et TPE, l’évolution de l’activité est devenue la préoccupation principale loin devant « l’inflation » et « la hausse des salaires », selon la dernière enquête de la CPME, que dévoile Les Échos. 42 % des interrogés indiquent aussi que leur situation de trésorerie se tend. »

Le gouvernement aussi manque d’argent.

L’hebdomadaire Marianne rapporte :

« La France exigera à Bruxelles que soit introduite « une flexibilité » dans le rythme de réduction des déficits publics excessifs pour les pays membres de l’Union européenne, a annoncé le ministre de l’Économie et des Finances lors d’un point presse ce 7 décembre. »

Dans les périodes de difficultés, les gens veulent en général des contrôles de frontières et des blocages sur l’arrivée de personnes. Ils souhaitent davantage de protections de la part des dirigeants, contre la concurrence des entreprises, ou l’arrivée de main-d’œuvre. Le gouvernement annonce alors des mesures bloquant les arrivées d’immigrants.

Les restrictions sur les capacités de déplacement – dont les entrées d’étrangers dans le pays – nuisent à la formation de capitaux. Par contre, la plupart des gens ne voient pas d’effets au quotidien. Comme d’autres interventions, les effets ont lieu à la marge – et à l’abri de la plupart des observateurs.

(Vous pouvez me suivre pour mes écrits réguliers sur la Bourse et l’économie, en cliquant ici.)

Pourquoi la gauche caviar universitaire américiane tolère les appels au génocide d’Israël

Par P.-E. Ford

Jusqu’à présent, la cancel culture au pouvoir à Harvard, Stanford, Yale et consoeurs, ne suscitait guère d’émotion dans les rangs du Parti démocrate, ni dans la presse qui lui est si dévouée. Tout a changé le 5 décembre, grâce aux auditions publiques de la Commission sur l’éducation et la population active de la Chambre des représentants, présidée par la républicaine Virginia Foxx, de Caroline du nord. Ce jour là, la présidente de Harvard, Claudine Gay, son homologue de University of Pennsylvania, Liz Magill, ainsi que la présidente du Massachusetts Institute of Technology (MIT), Pamela Nadell, ont chacune honteusement soutenu que « manifester sur le campus pour exiger le génocide des juifs » n’était pas en soi une forme de harcèlement inacceptable et passible de sanctions. « Tout dépend du contexte et du passage à l’acte, ou non, des auteurs de ces mots » ont précisé ces fières et éminentes incarnations de l’idéologie woke.

 

Sur les campus américains, la peur et l’humiliation subie par des milliers d’étudiants juifs ne pèsent pas lourd

Dans ces nobles institutions, si l’on qualifie quelqu’un de « gros » même dans un contexte affectueux,  on se fait rapidement sanctionner pour harcèlement et stigmatisation odieuse. Si l’on appelle « monsieur » une jeune personne qui était de sexe masculin mais qui est en train d’achever sa transition vers le genre féminin, on est également passible de sérieuses réprimandes. Pour ne pas marginaliser ou offenser les transgenres et les non-genrés, les toilettes pour hommes et les toilettes pour femmes ont été abolies dans plus de 420 universités américaines. Elles sont remplacées par des lieux dits « de genre inclusif ». En revanche il est acceptable, tant que l’on ne tue personne, de manifester pour éliminer tous les juifs d’Israël et faire disparaître leur État.

La priorité de l’enseignement porte sur le combat de la colonisation, crime dont Israël est déclaré coupable aujourd’hui. Pour la gauche woke qui détient le pouvoir dans les universités, c’est ce même crime qui a été commis par les Européens lorsqu’ils ont débarqué en Amérique. Et le crime colonial continue, puisque des Blancs dominent toujours économiquement les États-Unis, par le racisme et la violence policière.

Parce qu’ils sont « progressistes », de gauche, drapés dans des drapeaux palestiniens, les étudiants fanatisés ont le droit d’arracher les affiches des otages juifs du Hamas, de nier la torture infligée par ces terroristes, notamment à des enfants et des vieillards. Leurs manifestations fleuves accusent aussi Israël d’être responsable des massacres du 7 octobre, car c’est « l’oppression par les Juifs qui pousse les Palestiniens à des actes légitimes de résistance ».  Tout cela sous le regard tolérant de l’extrême gauche caviar qui gère ces institutions selon une échelle de valeurs prétendument « inclusive ».

Encore plus ahurissant, les trois présidentes se sont vu offrir par la représentante républicaine de New York, diplômée de Harvard, Elise Stefanik, en direct et à plusieurs reprises, la possibilité de dire « non, ces appels au génocide ne sont pas – par définition –  acceptables ». Et à chaque fois, elles ont refusé de le faire. Ce n’est que le lendemain, constatant le tollé suscité par leurs scandaleuses affirmations, qu’elles ont cherché à corriger le tir. Il aura fallu que la Maison-Blanche, le gouverneur de la Pennsylvanie et de riches donateurs privés à ces universités, notamment des banquiers et investisseurs de Wall Street, s’alarment, pour qu’elles fassent leur mea culpa.

On sent bien hélas que leur revirement est davantage lié à leur effort désespéré pour ne pas être démises de leurs fonctions par le conseil d’administration, qu’à leur découverte soudaine de la monstruosité de leurs affirmations. Claudine Gay, avec la froideur et l’arrogance tranquille qu’on lui connaît, s’était déjà illustrée au lendemain du 7 octobre, en laissant un vaste mouvement pro-Hamas submerger le campus de Harvard. « Le silence de la direction de Harvard, jusqu’à présent, associé au communiqué largement publié de groupes d’étudiants accusant Israël d’être l’unique responsable, a permis à Harvard de paraître, au mieux, neutre face aux actes de terreur contre l’État juif d’Israël »  déplorait ainsi Larry Summers, lui-même ancien président de l’université et ancien conseiller de Barack Obama.

 

Ce terrorisme intellectuel est encouragé par les professeurs et par la direction de ces universités, au nom du « progressisme »

Rien de tout cela ne peut être compris si l’on ne replace pas les événements dans le contexte de domination de l’extrême gauche caviar qui affecte les universités américaines. Voilà des années que les penseurs, auteurs, éditorialistes libéraux, conservateurs, républicains, pro-capitalistes, adversaires du wokisme, y sont de fait interdits d’expression.

Des comités progressistes d’étudiants leur bloquent les portes des salles de conférence, hurlent des slogans pour noyer leurs propos et perturbent systématiquement leurs interventions. Ce terrorisme intellectuel est encouragé par les professeurs et par la direction de ces universités, au nom du « progressisme ». L’inclusion censée y être pratiquée ne s’applique en fait qu’à la gauche. Et de préférence à la gauche de la gauche. La censure effective de toute opinion en opposition à la pensée unique écolo-progresso-transgenre et prétendument antiraciste, est devenue la norme. Seuls quelques obscurs réactionnaires, comme les élus républicains (pas tous trumpistes) et le Wall Street Journal, dénoncent la situation depuis des années. Leurs cris d’alarme ne sont cependant pas relayés par les journalistes de la presse dite mainstream, pour la plupart idéologiquement formés – et formatés – dans ces universités. Assis sur des dizaines de milliards de dollars de dotations privées, confortés dans leurs certitudes par la facilité avec laquelle ils obtiennent, de parents bien intentionnés, en moyenne 80 000 dollars par an de droits de scolarité, les mandarins de l’Ivy League se sont crus intouchables.

Depuis le 5 décembre, tout change. Les masques tombent. Les langues se libèrent. Bill Ackman, Ross Stevens, Marc Rowan, Jon Huntsman Jr. et d’autres financiers de premier plan, anciens élèves de ces fleurons universitaires, exigent la démission des trois présidentes qui se sont ridiculisées au Congrès par leur fanatisme anticolonial, sous couvert de « préserver la libre expression sur notre campus ». Leurs donations, et celles de tant d’autres anciens diplômés écœurés, sont désormais suspendues, voire retirées. « La profonde faillite morale », des présidentes de Harvard, MIT et U. Penn, comme le résume Bill Ackman, est enfin dénoncée.

Sur le web.

La France face à la menace terroriste : vers un État policier ?

Par : h16

Les autorités redoutent un attentat d’ici la fin de l’année. Elles l’ont d’ailleurs très médiatiquement fait savoir, tant du côté européen que du côté français, afin que toute la population soit correctement saisie d’inquiétude et de méfiance pour la période des fêtes.

Et donc, que ce soit le résultat d’une action préparée de longue date restée discrète voire secrète au point d’échapper aux renseignements policiers, ou qu’il s’agisse d’un événement quasiment improvisé, selon toute vraisemblance, les prochaines semaines ou, plus probablement, les prochains mois verront un nouvel événement terroriste en France.

Notons que tout aura été fait pour, et qu’on pourra raisonnablement écarter tout hasard dans la préparation des consciences, tant est difficile à cacher la volonté pour une bonne partie des politiciens d’importer avec gourmandise le conflit israélo-palestinien en France. Ici, on comprend bien évidemment la mécanique politique à l’œuvre : toute nouvelle tension, toute nouvelle bouffée d’horreur en France servira essentiellement à augmenter les prérogatives de l’État, et de ceux qui le gouvernent, et tout événement violent sera prétexte à accroître les possibilités offertes à ces derniers de pressurer la population, la museler et la contraindre dans le sens qui leur plaira.

Il n’y a guère besoin d’extrapoler. Même quelque chose de relativement bénin (voire festif selon certains) comme les Jeux Olympiques d’été permet d’illustrer le point : ces célébrations dispendieuses, largement coupées des préoccupations directes de l’écrasante majorité de la population, servent déjà à passer nombre de lois et de décrets afin de transformer la capitale en véritable enfer carcéral pour ses habitants, et à mettre en place des mesures (notamment numériques) dont on sait qu’elles perdureront bien au-delà de leur raison initiale.

Dans ce contexte, il est facile de comprendre que n’importe quel attentat un peu plus large qu’un simple échange de coups de couteaux (qui ne ferait qu’attiser ce que la classe jacassante appelle maintenant hypocritement l’ultradroite) pourra servir d’une part à terroriser la population (ou tout faire dans ce but) ; et d’autre part à renforcer le contrôle policier… sur ceux qui pourraient trouver la situation un peu saumâtre et vouloir se défendre (encore l’ultradroite, comme par hasard).

Il semble donc évident qu’un événement majeur, avec à la clé plusieurs (dizaines de ?) morts aura lieu dans les prochains mois, disons pour donner une idée, d’ici Noël 2024. Quelque chose comme ce qui s’est passé en Israël où des villages entiers furent attaqués par de petites troupes de terroristes.

Cela n’a absolument rien de farfelu puisque l’ébauche a déjà germé dans les cerveaux manifestement sous-dimensionnés de quelques individus qui ont, fort heureusement, réussi à se faire gauler : « On passe à quatre ou cinq, armés, tu tues tout le village en une seule nuit, c’est facile, je te dis que tu peux faire ça, c’est facile ! »…

On devra se demander pourquoi les autorités ont jugé bon de faire connaître médiatiquement ces projets d’attentats de ces soi-disant « réfugiés », mais il est clair que ce faisant, outre disséminer encore un peu plus l’idée, cela permet d’établir un précédent, à toutes fins utiles. Dès lors, on peut imaginer que d’autres, un peu plus finauds que ces pieds nickelés du djihadisme, s’organisent déjà avec une meilleure discrétion. Peut-être ceux-là acquièrent-ils lentement des armes personnelles, chacun dans son coin, la filière ukrainienne servant sans nul doute à les fournir et, un petit matin, ou un soir, ils choisiront de passer à l’action de manière individuelle selon un plan préparé à l’avance, et discuté hors des réseaux numériques les plus écoutés.

On imagine sans mal qu’ils débouleront dans l’un de ces villages tranquilles où la gendarmerie est sous-équipée et en sous-effectif chronique d’autant plus que la commune, sans barres HLM, sans racailles et sans gentils clandestins, est très calme et ne nécessite donc que peu de services de proximité que l’État n’a de toute façon aucune volonté de maintenir localement. Les dégâts (en nombre de morts, en blessés) y seront logiquement élevés.

Ce n’est qu’un scénario possible, mais compte tenu du nombre de candidats potentiels à ce genre d’actions, de l’état général des services de renseignements en France, de la compétence moyenne de nos autorités, avouons que ce n’est pas le scénario le plus fou fou non plus.

On peut aussi garantir que l’action des forces de l’ordre sera spectaculairement foireuse pendant un bon moment avant de pouvoir les stopper. Peut-être même une partie des perpétrateurs pourra – comme par hasard – s’enfuir dans la nature.

Pour donner un ordre d’idée, une poignée d’attaquants, cinq ou six (soit seulement trois de plus qu’au Bataclan) peut faire des dizaines de morts et de blessés dans une poignée de villages. À quelques dizaines, le massacre serait rapidement monstrueux face à des populations qui ont été volontairement et largement habituées à dépendre totalement de l’État pour leur sécurité, et dont les dents et les griffes ont été patiemment limées ; de lois scélérates, en (dé)moraline en baril distribuée chaque soir sur les ondes, et prunages vexatoires pour la moindre hausse de sourcil un peu trop rapide, ces populations ont abandonné toute envie de combattre, et leur capacité d’auto-défense

Ici, parier sur l’incompétence totale des autorités françaises à réagir rapidement et efficacement dans ce genre de terrible contexte n’est même pas un pari osé, c’est malheureusement le moins risqué. Du reste, les attentats du 13 novembre 2015 ont amplement démontré la désorganisation des forces d’intervention et des autorités. Qui imagine que l’équipe actuelle serait soudainement plus affûtée que celle d’alors ?

En revanche, on peut garantir la bonne compétence de la même brochette pour la récupération d’un tel événement, afin de poser les derniers jalons, les plus sévères, les plus lourds et les plus définitifs d’un véritable État policier, c’est-à-dire une dictature parfaitement étanche. Cela ne fait aucun doute.

En réalité, c’est précisément pour cela que la menace d’attentats a été clairement annoncée urbi & orbi par nos autorités, l’apeurement des populations étant un des effets directs recherchés. C’est pratique, une population apeurée : bien préparée à une horreur quasiment vendue comme inévitable, elle sera à point lorsque l’horreur surviendra.

Quelques centaines de morts d’un côté, un pouvoir quasi-illimité de l’autre : pour des élites parasitaires et parfaitement dénuées de tout scrupule, le calcul est vite fait et la question de la marche à suivre, « elle est vite répondue » pour des dirigeants qui sentent leur fin inéluctable sans la mise en place d’une poigne de fer contre le peuple.

En fait, il n’y a guère lieu d’épiloguer. Gérard Collomb, dans un rare moment de lucidité que permet l’abandon de la politique, expliquait au sujet de certaines populations que nous vivions actuellement côte à côte, et risquions vite « de se retrouver face à face ».

Nous y sommes.

Sur le web.

Une contre-révolution sous nos yeux ? Ce que révèlent les affaires Depardieu et Cesari

Deux événements se sont produits simultanément le 7 décembre 2023.

Le premier concerne la bronca qui a gagné un collège des Yvelines à la suite de la présentation en cours de français d’un tableau de Giuseppe Cesari datant du XVIIe siècle, Diane et Actéon. Parce que ce tableau représente des femmes dénudées, des élèves musulmans de 6e ont exprimé leur réprobation. Des tensions et des menaces ont suivi, ce qui a conduit les enseignants à faire valoir leur droit de retrait, avant que le ministre Gabriel Attal ne se rende sur place.

Le second événement concerne l’acteur Gérard Depardieu. Dans un documentaire, le magazine « Complément d’enquête » a diffusé des extraits d’une vidéo tournée en 2018 dans laquelle le comédien tient des propos particulièrement crus et vulgaires sur les femmes, y compris sur une très jeune fille d’une dizaine d’années.

Si ces deux événements méritent d’être rapprochés, malgré leurs différences, c’est parce que, chacun à leur manière, ils nous parlent des transformations actuelles de la société française.

 

Cachez cette nudité

Commençons par l’affaire du tableau de Cesari. On peut légitimement discuter pour savoir s’il était judicieux de montrer un tel tableau à des élèves de 6e. Mais l’essentiel n’est pas là.

Il fut un temps pas si lointain où, face à des images à caractère sexuel, entraperçues par exemple dans un film ou un documentaire, les collégiens avaient tendance à manifester, non pas leur dégoût mais bien un enthousiasme typiquement juvénile, où se mêlaient gloussements émerveillés et clameurs grivoises.

Que des élèves de 6e adoptent aujourd’hui une attitude exactement inverse, surtout à un âge aussi précoce, en dit long sur le type d’éducation qu’ils reçoivent et sur les valeurs qu’ils entendent affirmer. Visiblement, cette affaire confirme l’existence d’un clivage profond qui place l’école en porte-à-faux vis-à-vis d’une partie de la population, comme l’avaient déjà révélé les incidents lors de l’hommage à Samuel Paty et à Dominique Bernard, ou les nombreux conflits sur les signes religieux et les atteintes à la laïcité.

 

Cachez cette sexualité

Concernant Gérard Depardieu, le problème se présente différemment. Il est évidemment légitime d’être choqué par les propos de l’acteur, lesquels dépassent très largement ce que la décence commune peut tolérer.

On évitera cependant d’être hypocrite. Lorsqu’ils sont entre eux, il arrive aux hommes de parler crûment des femmes et de la sexualité car rares sont ceux qui échappent totalement aux pulsions de leur cerveau reptilien. Cela vaut sans doute aussi dans l’autre sens. On peut en effet remarquer que l’un des clips actuellement les plus populaires est une chanson de rap interprétée par deux femmes qui s’intitule WAP, ce qui signifie Wet Ass Pussy. Or, les paroles n’ont rien à envier à la trivialité de Depardieu : « Il y a des salopes dans cette maison / Amène un seau et une serpillière pour cette chatte bien mouillée / Mets cette chatte sur ton visage, glisse ton nez comme une carte de crédit / Crache dans ma bouche / Dans la chaîne alimentaire, je suis celle qui t’avale / Je veux que tu touches ce petit trucmuche qui pendouille au fond de ma gorge. » Ce clip a été encensé encore récemment sur le site Slate.fr.

Il ne s’agit pas de dire que tout est permis. La vie civilisée consiste justement à s’abstenir de toute vulgarité dans la vie publique : la sexualité est une affaire privée. Mais rien ne dit que les propos de Depardieu étaient destinés à être diffusés. On aimerait d’ailleurs savoir pourquoi la chaîne publique s’est autorisée à diffuser ces images, violant sans scrupules le droit à la vie privée de l’acteur.

 

Cachez ce monstre

Le problème concerne cependant moins Depardieu lui-même que l’évolution de son statut dans la société. Car Depardieu n’a pas toujours été ce personnage exécré qu’il est devenu. Historiquement, il a au contraire incarné l’audace modernisatrice, la provocation progressiste, la critique iconoclaste.

Le film qui l’a propulsé vers la gloire, en l’occurrence Les Valseuses de Bertrand Blier (1975), dont le titre était déjà tout un programme, devait son succès à ses dialogues crus et à ses scènes de sexe délibérément destinées à choquer le bourgeois. Les radios publiques lui rendent encore hommage, que ce soit France Interou plus récemment France Culture.

C’est donc en grande partie pour son côté iconoclaste que Depardieu a été encensé. Même les institutions de la République y sont allées de leur reconnaissance, d’abord en le faisant chevalier de l’ordre national du Mérite de la part de François Mitterrand en 1988 (précisons toutefois qu’il avait appelé à voter pour le candidat socialiste), puis en lui attribuant la Légion d’honneur (Jacques Chirac en 1996).

Cette consécration artistique et politique a forcément eu des effets sur ses manières d’être et de s’exprimer. Tout au long de sa vie, Depardieu a probablement été adulé par son entourage pour son côté libéré et provocateur. Personne ne se fait tout seul, et Depardieu n’échappe pas à cette règle : à sa façon, il est le fruit de cette France d’après 1968 qui ambitionnait de bouleverser la morale traditionnelle au profit de la liberté amoureuse et sexuelle.

Le retournement est aujourd’hui total. Depardieu est maintenant présenté comme un « ogre » ou un « monstre ». La ministre de la Culture n’hésite pas à dire qu’il fait « honte à la France », et parle de lui retirer la Légion d’honneur. Elle n’a pas appelé à brûler ses films, mais ce n’est peut-être qu’une question de temps.

On pense à la célèbre formule de l’Évêque de Reims lors de la conversion de Clovis au christianisme :

« Adore ce que tu as brûlé, brûle ce que tu as adoré ».

C’est probablement à cela qu’on reconnaît un changement d’époque : c’est lorsqu’une société aspire à se débarrasser de ses idoles d’hier, à briser ses anciennes icônes devenues insupportables, que l’on comprend qu’une nouvelle religion émerge, même si on ne sait pas très bien quelles personnalités vont incarner la nouvelle vertu.

 

La contre-révolution est en marche

Les affaires Cesari et Depardieu pourraient rester dans le registre du fait divers si elles ne venaient pas à la suite de nombreuses polémiques du même type. On pense par exemple au baiser de Blanche-Neige, dont nous avons essayé d’esquisser une analyse.

Une contre-révolution morale est manifestement en marche. Serge Gainsbourg, un autre provocateur du même acabit, en a fait les frais dernièrement. Autrefois, les jeunes traitaient leurs aînés de « vieux cons » et dénonçaient leurs opinions réactionnaires ; désormais, ils reprochent aux générations précédentes d’avoir été progressistes.

Si cette dynamique contre-révolutionnaire s’annonce profonde et durable, c’est parce qu’elle est portée par un agrégat de groupes différents soutenus par une démographie et des mutations sociologiques favorables, dont le point commun est de promouvoir un agenda néo-puritain. La polémique sur le tableau de Guiseppe Cesari est ici très significative : elle a été lancée par des familles musulmanes, mais elle aurait très bien pu être initiée par des néo-féministes. L’islam rigoriste se retrouve sur la même ligne qu’une partie du féminisme moralisateur, tandis que la gauche, loin de se détourner de ces deux causes, aspire à les englober dans un salmigondis idéologique aussi indigeste que fragile.

Il faut donc s’attendre à ce que les polémiques de ce type se multiplient. On doit se préparer à aller de surprise en surprise, car les nouvelles sensibilités sont toujours pleines de ressources et de créativité lorsqu’il s’agit de désigner des icônes à abattre. C’est ce qui en fait tout l’intérêt, un peu comme pour une bonne série télé : on a hâte de découvrir la prochaine saison.

La surveillance devient le prix à payer pour vivre en France

Article disponible en podcast ici.

Jadis, seuls les criminels se retrouvaient sur écoute. La traque du citoyen par les bureaucrates était une exception. Les surveillances de masse étaient réservées aux régimes totalitaires, impensables dans nos démocraties.

Or depuis le 11 septembre, nos gouvernements nous considèrent tous comme des potentiels criminels qu’il faut espionner constamment. Et toute comparaison aux régimes totalitaires fera glousser nos fonctionnaires devant une telle allusion.

J’ai déjà longuement commenté cette dérive à travers les dernières actualités comme la volonté d’interdire les VPN, de mettre un mouchard dans nos navigateurs, d’interdire le chiffrement, de l’égaliser la reconnaissance faciale, d’interdire les cryptomonnaies.

Tous ces abandons de nos droits ont été faits en 2023, vous pouvez constater l’imagination sans limites de nos bureaucrates dans nos privations de liberté.

 

Une nouvelle dérive de surveillance à la française

Aujourd’hui j’aimerais porter l’attention sur une nouvelle dérive de surveillance à la française. L’État français profite de nos nombreux impôts, taxes, redevances, cotisations, charges pour justifier une surveillance afin d’éviter les fraudes.

D’un côté, on va créer un impôt inquisiteur, pour de l’autre mettre en place une surveillance pour cet impôt. Double punition pour le citoyen.

L’impôt sur le revenu permet de légitimer une surveillance de notre train de vie sur les réseaux sociaux par le fisc.

La taxe sur les piscines permet de légitimer une surveillance par satellite des maisons françaises par le fisc.

L’URSAFF peut demander vos conversations de votre téléphone professionnel, si elle juge son usage trop personnel, votre téléphone devient un avantage en nature dissimulé, et vous êtes bon pour un redressement.

L’impôt sur la fortune permet à l’État de connaître tous nos comptes bancaires y compris à l’étranger, ainsi que tous nos biens immobiliers et mobiliers.

Vous devez maintenant déclarer les occupants de vos logements, directement aux impôts, pour vérifier l’impôt sur le revenu de l’immobilier.

Et si par miracle, toute cette surveillance ne suffit pas, je rappelle que le fisc analyse toute transaction supérieure à 1000 euros à travers tracfin, sachant que l’État a par ailleurs rendu illégale toute transaction en espèces supérieure à 1000 euros. L’État interdit donc toute transaction non traçable par lui au-dessus de cette somme.

 

Deux poids, deux mesures

Fort heureusement, il existe encore des moyens d’éviter la surveillance.

Si vous continuez de louer une HLM alors que vous ne remplissez plus les critères, vous pouvez dormir tranquille. L’État ne semble pas inquiet, d’ailleurs il souhaite 25 % de HLM partout, plutôt que de réguler l’existant.

Si vous réclamez votre chômage depuis vos vacances à l’étranger, là aussi, soyez rassuré, il ne se passera rien.

L’État est capable de repérer les piscines par intelligence artificielle depuis l’espace, mais ne parvient pas à bloquer le site pôle-emploi aux adresses IP en dehors de France.

Si vous fraudez la sécurité sociale, ne vous troublez pas. Aux dernières nouvelles, il y a 2,6 millions de cartes vitales actives de plus qu’il y a d’inscrits à la sécurité sociale.

Le mieux est encore d’être dans l’État. Mon patrimoine intrigue le fisc, mais après avoir été banquier d’affaires durant quatre années, le maigrichon patrimoine de Macron n’a déclenché aucune investigation.

Savoir quel locataire habite chez moi semble hautement important. Mais Cahuzac, qui proposait ses services de consultant à BigPharma à travers son EURL Cahuzac Conseil, tout en travaillant au ministère de la Santé, ne semble pas choquer. Cette double activité, en plein conflit d’intérêts, ne lui a pas été reprochée, seul un compte en banque suisse alimenté par ses « missions » auprès de BigPharma lui a valu condamnation. Il n’a passé qu’un an en prison, il est à l’heure actuelle médecin en Corse.

En résumé, être innocent ou coupable ne dépend plus de vos agissements. Vous serez constamment innocent si vous participez au pillage de l’État.

Mais si vous vous tenez à l’écart de l’État, alors vous voilà un citoyen présumé coupable à perpétuité. Afin de vous disculper du terroriste, pédophile, trafiquant, fraudeur qui sommeille en vous, une surveillance de tous vos faits et gestes devient nécessaire.

Déclaration de biens immobiliers et embrouilles fiscales : amateurisme ou filouterie ?

Année après année, mesure après mesure, étape par étape, technologie après technologie, le fisc augmente son pouvoir, sa surface de jeu, et son « efficacité » de collecte pour l’État, toujours en manque d’argent.

 

Le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu

Souvenons-nous du prélèvement automatique des impôts sur le revenu, une mission dont l’ambitieux Gérald Darmannin s’est brillamment acquitté, confortant ainsi l’État dans son assurance d’être payé, dans le coût de sa collecte (maintenant déléguée aux employeurs qu’il ne rémunère pas pour cela), dans la gestion de son cash-flow (maintenant plus rapide de plusieurs mois par rapport à avant). Qui plus est, il a eu le mérite, pour les tenants du pouvoir, de faire passer cela pour un bénéfice pour le contribuable : c’est un souci de moins. Enfin, pour les prêteurs à l’État, qui lui font notamment confiance grâce à la capacité supposée de ponctionner l’argent du peuple, par un coup de force si besoin le jour venu (attention, assurance vie sans doute dans le viseur), il a magistralement montré qu’en effet, l’État savait plumer un peu plus l’oie contribuable sans qu’elle crie.

Et pourtant, malgré l’argument selon lequel cela se fait déjà ailleurs, on peut avoir une opinion radicalement différente de celle des pouvoirs en place et de ceux qui lui prêtent de l’argent à gaspiller ; on peut voir dans cette affaire une privation supplémentaire de liberté, et une mise en danger du citoyen, contraire à l’esprit de la démocratie (le gouvernement du Peuple, par le Peuple, pour le Peuple).

En effet, avec un prélèvement automatique, on enlève au citoyen l’occasion de calculer avec attention ce qu’il doit, on dote le pouvoir d’un accès permanent et incontrôlable au cash flow individuel (ouvrant ainsi une brèche universelle, une pompe permanente et continue d’accès aux salaires, pour y prélever une somme arbitraire par loi ou décret si besoin un jour), on anesthésie le citoyen dans son énergie de vigilance et contestation.

Par expérience des pratiques de facturation et prélèvement des diverses administrations, je suis plutôt de l’avis des méfiants. Vous verrez plus en détail pourquoi dans ma dernière mésaventure.

 

Un espion dans mon jardin

Autre exemple de prouesse du fisc : l’emploi de l’intelligence artificielle pour trouver des biens à taxer qui lui auraient échappé.

Un cas a fait couler pas mal d’encre ces derniers mois : la détection de piscines par traitement d’images, à partir des photos satellite. Une piscine de plus de 10 m2 est en effet taxable, au titre de la taxe foncière (celle qui subsiste et explose). Et le montant de la taxe se calcule comme la valeur nominale (250 euros/m2 en 2023), multipliée par la surface, multipliée par un taux communal – 4 % en moyenne entre 1 % et 5 %), et un taux départemental -1,5 % en moyenne (quand la soupe est bonne, tout le monde y vient ; la région devrait sans doute suivre un jour – il n’y a pas de raison). Soit, pour 20 m2, 275 euros par an.

Or, avec le traitement par intelligence artificielle, les services fiscaux reportaient mi 2022 la détection de 20 000 piscines non déclarées dans neuf départements, pour un montant de plus de 10 millions d’euros de taxes, et annonçaient que le dispositif allait être généralisé.

Il l’a été en effet, avec des effets retard remarqués pour la Corse et l’Outre-mer, territoires dont on a pu se demander s’ils bénéficiaient d’une faveur pour une raison inavouable, ou juste, comme l’a prétendu le gouvernement, d’un délai à obtenir les photos nécessaires… Par contre, pas un mot sur les éventuels constats de piscines déclarées dans le passé et ayant disparu, converties par leurs propriétaires à d’autres usages. Un phénomène rare peut-être, mais pas inexistant, puisque je connais un citoyen qui a couvert en dur sa piscine pour en faire une terrasse. Il n’a jamais été informé par le fisc qu’il ne devait plus rien, et qu’il serait même remboursé pour les années passées (trois ans rétroactifs, me semble-t-il).

Le fisc aurait-il cette vertu spontanée, ou attendrait-il que le contribuable s’en aperçoive enfin de lui-même ? Quand on est ministre des Finances ou dirigeant des services fiscaux, la réponse à cette question révèle une considération particulière du rapport entre le pouvoir et le peuple, et de qui doit être au service honnête de l’autre. On attend de savoir, peut-être un jour.

En attendant, un incident récent laisse à soupçonner que peut-être, hélas…

 

La chasse aux biens immobiliers

Tous les contribuables ont en effet vu récemment que leur patrimoine immobilier faisait soudain l’objet d’une attention redoublée et très détaillée.

À l’origine de ce nouveau coup de zoom, sans doute le désarroi d’un État affolé par la montée du coût de la dette et son incapacité à maîtriser les vraies dépenses (pas cellles, ironiquement classées ainsi par les calculateurs de Bercy, des remises d’impôts/ niches fiscales, mais les vrais coûts des actions des gouvernants, toutes ces politiques jamais ou mal évaluées, où se sont engouffrés des milliards sans résultat) et l’effet de l’intenable promesse démagogique d’Emmanuel Macron de la suppression de la taxe d’habitation, promesse dont l’effet boomerang continue d’engendrer des pompages dérivatifs dans d’autres poches du budget, des usines à gaz de calculs compensatoires, et une explosion de la taxe foncière, dernière ressource autonome significative des communes.

De fait, comme pour les piscines, un des premiers usages de ce recensement de la population immobilière est la chasse aux biens qui pourraient « bénéficier » d’une taxe d’habitation perdue lors de la prise de pouvoir par En Marche.

Et, à ce titre, un citoyen que je connais a eu la surprise de recevoir cette année, pour la première fois depuis des années, un avis de taxe d’habitation de près de 1000 euros pour un bâtiment situé à la même adresse que sa résidence principale, une ancienne maison de gardien reconvertie en gîte rural, pour lequel il est loueur professionnel, et paye à ce titre des impôts sur les sociétés comme la CFE (Cotisation Foncière des Entreprises). Or :

  • On ne saurait être à la fois imposé comme une entreprise (CFE) et comme un particulier (taxe d’habitation) pour le même bien.
  • Le fisc est toujours le premier bénéficiaire de toutes les avancées techniques possibles pour améliorer le service public. En particulier, il paraît certain que toutes ses bases de données sont connectées entre elles, et qu’un bien donné avec une adresse connue doit pouvoir sans problème être détecté comme déjà soumis à la CFE.

 

Aussi cette taxe d’habitation d’un bien, connu comme soumis à la CFE, pose clairement question.

Ce citoyen taxé, plus éveillé et moins docile sans doute que beaucoup d’entre nous, a soulevé la question auprès des services fiscaux qui ont reconnu une erreur, et l’ont invité à faire une demande d’annulation. On se demande bien comment, avec tous les moyens dont il dispose, le fisc a pu commettre cette erreur. Oubli involontaire de contrôle dans les bases de données disponibles (une erreur de débutant en science des données) ou oubli volontaire/conscient pour aller à la pêche ?

 

Les erreurs des citoyens/entrepreneurs dans leurs déclarations au fisc, URSSAF ou autres sont en général surtaxées de 10 %, sauf (depuis peu) en cas d’erreur de bonne foi (dont l’appréciation revient au collecteur).

Alors on pourrait aussi attendre que l’agent du fisc qui reconnaît l’erreur fasse lui-même les démarches de demande d’annulation/rectification, et que le fisc soit pénalisé d’une amende de 10 % du montant demandé, sauf si le citoyen considère qu’il s’agit d’une erreur de bonne foi (ce qui en l’occurrence paraît soit incertain, soit inacceptable compte tenu des accès aux données dont le fisc dispose).

 

Alors, nos services fiscaux, amateurs ou filous ? Monsieur le ministre, exprimez-vous et convainquez-nous. En attendant, citoyens, contribuables, à vous de juger.

Les écoles privées ont sauvé l’enseignement en Suède

Un article de l’IREF.

Dès la fin des années 1980, une première série de réformes a été opérée en Suède par le gouvernement social-démocrate, transférant aux municipalités la responsabilité des écoles et leur laissant une grande liberté pour l’affectation et l’utilisation des ressources en fonction du contexte et des besoins locaux. Puis au cours des années 1990, le gouvernement conservateur-libéral a voulu donner aux parents la liberté de choisir l’école de leurs enfants et favoriser la concurrence entre les établissements pour notamment améliorer la qualité de l’enseignement public.

Ainsi, en 1992, il a institué le chèque éducation alloué aux familles pour qu’elles le remettent à l’école, privée ou publique, de leur choix tout en interdisant que ces écoles leur prélèvent des frais de scolarité. Les écoles privées, qui recevaient initialement 85 % de la dotation par élève du public, reçoivent depuis une décision des sociaux-démocrates en 1994 la même dotation que celle des écoles publiques. Parallèlement, des règles libérales ont permis qu’au cours des années 2000 de nombreux établissements privés soient ouverts.

Figure 1. Proportion d’élèves dans les établissements privés (« libres ») dans l’enseignement obligatoire et l’enseignement secondaire supérieur en Suède et à Stockholm, 1999-2017 (en %)

Source : Statistics Sweden

Toute personne physique ou morale peut créer une école sous réserve de remplir les conditions requises par l’inspection scolaire suédoise et d’être agréée par l’Agence nationale de l’éducation. Les premières écoles libres, les friskolor, ont été ouvertes localement par des associations, des parents ou des enseignants. Puis des entreprises ont investi de plus en plus dans ce secteur de l’éducation. En 2017, 68 % des établissements privés d’enseignement obligatoire et 86 % des établissements secondaires supérieurs privés étaient gérés par des sociétés à responsabilité limitée (Alexiadou et al., 2019).

Face à l’ampleur de ce développement a été mis en place un contrôle accru de la performance et de la qualité par l’État. Aujourd’hui, environ 16 % des élèves en primaire et collège et 30 % de ceux du lycée fréquentent des écoles privées alors qu’il n’y en avait que 1% il y a trente ans.

 

La dégradation du système éducatif

La gauche européenne, qui ne comprend pas comment un pays social-démocrate a pu favoriser ainsi les écoles privées, dénonce la qualité de ces écoles libres et affirme que les mauvais résultats PISA des années 2010 sont dus à la privatisation. En réalité c’est l’inverse.

Aux scores PISA, la Suède avait des résultats honorables en 2000 : de 516 (10e au classement général) en compréhension de l’écrit, 510 (16e) en mathématiques et 512 (11e) en sciences.

Ces scores se sont dégradés en 2012 : 483 (37e) en compréhension de l’écrit, 478 (38e) en mathématiques et 485 (38e) en sciences.

Mais ils se sont relevés en 2018 : 506 (11e) en compréhension de l’écrit, 502 (18e) en mathématiques et 499 (20e) en sciences.

Au score Pisa 2022, les résultats sont en baisse à respectivement 482, 487 et 494, comme ceux de presque tous les pays du monde, mais la Suède est 19e, quatre places devant la France

La baisse de qualité de son système éducatif est due principalement à l’immigration massive que la Suède a accueillie sans compter, notamment depuis la fin du siècle dernier. Le nombre d’immigrés non occidentaux en Suède était d’environ 1 % de la population dans les années 1970 et de plus de 10 % en 2015, voire 15 % en incluant les demandeurs d’asile.

Selon l’OCDE, « en 2014-2015, la Suède a vu le plus grand flux de demandeurs d’asile par habitant jamais enregistré dans un pays de l’OCDE ».

Corrélativement, le nombre d’immigrés sans emploi y était extrêmement important. En 2015, 82,9 % des natifs et 59,6 % des personnes nées à l’étranger, dans la tranche d’âge 20/64 ans, avaient un emploi rémunéré. Ce taux n’était que de 53,6 % chez les immigrés extra-européens.

 

Les vertus de la concurrence

Il est reproché aux entreprises qui gèrent des écoles privées de faire du profit avec l’argent public qui leur est remis par les familles. Mais si elles font du profit, c’est parce qu’elles réussissent à attirer des élèves qui ont le choix d’aller dans des écoles publiques. Si elles y parviennent, c’est parce qu’elles sont meilleures, et si elles font du profit, c’est parce qu’elles sont mieux gérées. La concurrence joue en effet un rôle efficace pour améliorer les résultats. Certes, les écoles publiques communales sont obligées d’accepter des élèves moins bons, notamment les nombreux immigrés ayant afflué en Suède ces dernières années, mais n’est-ce pas aux pouvoirs publics qui ont favorisé cette immigration massive d’en supporter les conséquences ?

Des écoles privées font faillite ou sont obligées de fermer parce qu’elles ne respectent pas leurs obligations. Au demeurant, les écoles privées sanctionnées ne sont pas si nombreuses. Selon Le Monde, l’Inspection scolaire en aurait fermé 25 au cours des cinq dernières années. Un chiffre modeste au regard du nombre d’écoles. En France aussi, nombre d’écoles publiques mériteraient d’être fermées, mais la carte scolaire oblige les élèves à les fréquenter, et l’argent public couvre leurs dépenses quoi qu’il en coûte. C’est précisément la vertu d’un système privé de contraindre les écoles inaptes à fermer.

Pour remédier à l’effondrement de son système scolaire, pourquoi la France n’engagerait-elle pas une vraie privatisation de ses écoles, avec allocation de bons scolaires ?

L’ancien maire conservateur d’Upplands Väsby, Oskar Weimar, cité par M le magazine du Monde, observe :

« Le principe d’une école uniforme ne fonctionne pas. Les enfants ne se ressemblent pas, ils apprennent différemment. Nous avons besoin de diversité et de permettre aux élèves et à leurs parents de choisir l’école qui leur convient le mieux et d’éliminer celles qui ne leur plaisent pas. »

Sur le web.

La tolérance au service de la liberté d’expression

Les libéraux s’accordent généralement sur la nécessité d’un minimum de restrictions à la liberté d’expression, pour condamner en particulier l’injure, la diffamation, la menace, etc. Mais en pratique, les défis sont immenses.

 

L’inviolabilité de la conscience

Il y a un quiproquo, un tour de passe-passe continuel chez les partisans de la législation contre la liberté d’expression : est-ce l’expression de la pensée, ou la pensée elle-même, qu’ils veulent atteindre ? Car la liberté de penser est directement fondée sur la nature humaine. La conscience est inviolable : ce que je pense n’est connu que de moi seul, et les hérétiques qu’on persécute conservent jusqu’au fond des geôles ou sur les bûchers le pouvoir de croire ce qu’on leur interdit de croire.

Ma conscience m’appartient : c’est le fondement de la propriété de soi, et de la propriété tout court. Je suis maître de mes réflexions, de mes résolutions, je peux adopter un plan de conduite, le suivre, l’abandonner. On peut atteindre l’expression, car c’est une matérialisation de la pensée, mais la pensée humaine est inviolable, insaisissable. On ne peut lui imposer un joug, du moins dans l’état des connaissances et des outils dont l’humanité dispose aujourd’hui.

 

Des abus hors d’atteinte ?

L’injure est vraisemblablement un abus fait de la liberté d’expression. Mais la combattre par les forces de la police et du droit est plus qu’intimidant.

Combien de publications faites chaque jour sur X-Twitter contiennent-elles des insultes ? Faudra-t-il les instruire, les punir toutes ? De plus, l’insulte n’est pas aussi aisée à déterminer qu’on peut se l’imaginer. Une femme qui a eu plusieurs amants, et qui enfin s’est mariée, peut-elle être légitimement appelée du nom d’une profession dite infamante ? Un homme qui s’est déjà livré ne serait-ce qu’une fois à des pratiques homosexuelles peut-il demander justice de celui qui l’appelle en argot ce qu’il est ? Faudra-t-il définir les obscénités ? Les historiens Rigord et Guillaume Le Breton se font les échos d’une condamnation à l’amende, pour certains, et à être noyé pour d’autres, à l’encontre de ceux qui prononçaient les mots ventrebleu, têtebleu, corbleu, sangbleu ; mais l’ordonnance date de 1181, sous Philippe Auguste : est-ce sous de telles lois, héritées de tels temps, que nous voulons vivre ?

C’est un affront pénible que d’entendre ou de lire quelqu’un nier des crimes contre l’humanité. Mais d’abord, personne ne peut être légitimement obligé de déclarer positivement qu’un fait qu’il n’a pas observé, dont il n’a pas été le témoin visuel, s’est passé. Les historiens sont-ils toujours fiables ? La destruction de tout un groupe humain peut avoir des causes lointaines inattendues, qu’on suppute, qu’on conjecture. Il y a des hommes au monde qui se suicident, qui organisent ou fabriquent de toutes pièces un faux attentat qui les emporte prétendument dans la tombe : pourquoi un groupe humain n’aurait jamais un comportement aussi bizarre ? L’esprit de secte, le délire, la vocation de sacrifice, ne pourraient-ils pas au besoin l’expliquer ? Et alors, c’est une question de vraisemblance, de vérité historique, et le débat doit être libre.

D’ailleurs, on empêcherait difficilement un peuple de nier un génocide qui se rapporte à lui-même, ou à ses ancêtres. La trace macabre qu’a laissée le passage des Anglo-Américains sur le Nouveau Monde, des Britanniques en Afrique du Sud, en Australie ou en Nouvelle-Zélande, ou encore des Français en Algérie, est niée par ceux qu’elle met mal à l’aise, ou qui n’ont pas le courage d’étudier les faits. Faudra-t-il organiser l’exposition de leur repentance ?

Faire l’apologie de crimes, défendre des criminels, est assez audacieux, quand les lois passent pour justes, et la justice pour impartiale. Mais les libéraux ont de tout temps fait l’apologie du contrebandier, et ils ne s’en excusent pas ; Voltaire a défendu Jean Callas, reconnu coupable. Qui poussera l’opinion à corriger les injustices, qui redressera les lois mauvaises, si l’on ne peut absoudre les coupables de faux crimes, et s’il faut baisser les yeux devant une injustice criminelle qui nous émeut ?

L’appel à la violence est lui-même curieusement compris et appliqué. Quand un chef d’État prononce un discours haineux et pour faire passer ses paroles en actes envoie des armées châtier un peuple ennemi, il y a appel à la violence, et plus encore ; mais il n’est pas inquiété. Les bombes atomiques lancées contre le Japon en 1945 ont eu, dans la presse et ailleurs, leurs apologistes, et ils ont vécu tranquilles.

Tous ces abus, que la morale privée réprouve, sont difficilement atteignables par les lois. Ils le sont plus difficilement encore, lorsque c’est un humoriste qui s’en rend l’organe. Car la plaisanterie est une circonstance qui annule presque entièrement la violence des idées : elle leur donne un caractère ridicule, grotesque, par un contexte qui doit rechercher l’effet plutôt que la profondeur. On est fou, et pas sage, de mettre en application les injonctions d’un humoriste de profession, qui les prononce dans le cadre de son travail, et de se prévaloir ensuite de sa responsabilité première.

 

Les mots blessent-ils ?

La blessure que font les mots à ceux qui les entendent ou les lisent, doit-elle être la mesure de leur criminalisation ?

C’est ce qu’on ne croit pas d’habitude. Lorsqu’à une femme que j’ai aimée, et que j’ai entretenue dans une forme de fascination de moi, je dis que je ne l’aime plus, je fais une blessure que le temps seul, peut-être, réparera ; je ne suis pas inquiété. Si elle se venge par la violence, elle paie seule le prix de son forfait. De même, l’hérétique, le renégat, blesse les yeux et les oreilles du croyant ; l’inculte et l’imbécile font outrage à l’homme de science ; mais aucun d’eux n’est fondé en droit à entamer un procès.

 

Que la tolérance doit être sans cesse plus grande dans les lois

À mesure qu’il devient plus civilisé, un peuple doit pouvoir se passer de plus en plus de l’État : c’est une règle générale.

Il y a un double mouvement dans l’histoire : d’abord, l’État s’accroît et protège un nombre de plus en plus complet de personnes. Les femmes, les enfants, les esclaves, les serfs, qu’on laissait à l’arbitraire de leurs soi-disant propriétaires, sont compris dans les protections de l’État de droit. Des crimes qu’on laissait impunis sont poursuivis, et leurs coupables châtiés. Mais aussi, plus tard, l’État doit se restreindre à ne protéger que la liberté et les propriétés légitimes. L’initiative privée ayant acquis plus de force, l’État peut reculer et abandonner des missions qu’il s’était arrogées.

Les peuples de l’Antiquité, du Moyen Âge, peuvent avoir encore besoin de direction, y compris dans l’expression de leur pensée. Mais un peuple sage et poli, bien éduqué, pratique la tolérance et n’a presque pas besoin de lois.

Ce phénomène aujourd’hui est ralenti, rendu inopérant, par diverses causes. Sous la coupe d’un monopole public débilisant, l’éducation française de la jeunesse régresse. Au surplus, l’immigration introduit des populations dont la culture n’est pas imprégnée de tolérance, et qu’il faut éclairer : c’est une tâche de plus.

Sans doute, les lois ne doivent pas désarmer, et certaines limitations se comprennent. Mais aussi ce n’est pas sur ce terrain qu’il faut placer le plus nos espérances ; mais dans la politesse, la bienveillance, l’humanisme, qui s’accroîtra en France aussi, si nous y consacrons toutes nos forces.

Ne sacrifions pas l’Occident pour combattre l’islamisme : réponse à Marion Maréchal

Samedi soir, un terroriste islamiste a semé la mort au pied de la Tour Eiffel. Armand Rajabpour-Miyandoab avait déjà été condamné en 2018 pour association de malfaiteurs terroristes, condamnation qui lui a valu d’être fiché S.

Ce n’est pas le premier terroriste à être passé à l’acte en France alors qu’il était déjà suivi pour ses accointances avec l’islamisme et l’entreprise terroriste. Cette répétition doit évidemment nous interroger sur l’efficacité de notre système de surveillance des individus dangereux, et en particulier des islamistes. S’engouffrant dans la brèche, Marion Maréchal a appelé dans les colonnes du journal Le Figaro à ce que tous les islamistes fichés S soient arrêtés et incarcérés immédiatement. 

 

On ne peut défendre l’Occident en détruisant son génie

S’il est vrai que la grande majorité des terroristes étaient fichés S, tous les fichés S ne sont pas des terroristes.

Marion Maréchal le sait, et ce n’est pas une erreur de logique qu’elle commet. Mais elle propose ni plus ni moins d’abandonner le droit à la sûreté, c’est-à-dire la protection contre les arrestations arbitraires, consacrée aux articles 2 et 7 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen, inspiré de l’Habeas Corpus anglais qui fut la première pierre de la tradition juridique libérale qui caractérise l’Occident. Cette pensée juridique originale née en Occident a illuminé le monde et continue de rayonner auprès de tous les peuples opprimés, y compris par l’islamisme. 

Nous ne défendrons pas l’Occident contre ses ennemis en détruisant son génie. Abandonner la démocratie libérale qu’abhorrent les islamistes et autres illibéraux à la culture viriliste et adulescente qui voient la culture humaniste, non comme une sagesse mais une faiblesse, c’est leur donner la victoire.

En ne protégeant que les clochers, Reconquête! s’enferme dans une vision folklorique de la civilisation occidentale. À l’inverse, dans son chemin vers la « dédiabolisation », le Rassemblement national semble avoir intégré à son discours la défense des minorités sexuelles et des femmes comme partie intégrante de la tradition occidentale. On ne peut d’ailleurs que déplorer que la gauche abandonne de plus en plus cette défense inconditionnelle du droit à la différence à l’extrême droite, comme elle a abandonné l’hymne et le drapeau, cédant devant la culture intolérante ce qu’elle voit comme les nouveaux damnés de la Terre. 

Par ailleurs, nous ne rappellerons jamais assez que toutes les lois d’exception ont fini par être détournées de leur objectif initial.

 

Les risques de dérives d’une telle mesure

Combien de fois les lois antiterroristes ont-elles été instrumentalisées pour intimider des individus qui n’avaient rien en commun avec le terrorisme islamisme, comme les militants de la ZAD de Notre-Dame des-Landes ? Réprimer les manifestations ? Peut-être devrait-on rappeler à Marion Maréchal que parmi les manifestants de l’ultra-droite descendus dans les rues pour protester contre la mort du jeune Thomas à Crépol, on comptait probablement des fichés S ? Combien de sympathisants de Reconquête! pourraient être inquiétés à la veille d’une élection au simple motif qu’ils ont pu approcher de près ou de loin une idéologie radicale ?

Rappelons que le simple fait de côtoyer sans le savoir un fiché S peut faire de vous un fiché S. Dès lors, la mécanique d’enfermement généralisé pourrait très facilement s’emballer, ou être instrumentalisée par le politique qui n’aurait alors plus aucune limite dans son pouvoir. Consentir à l’arbitraire, même dans l’objectif noble de lutter contre le terrorisme, est la voie la plus sûre vers la tyrannie.

Ce serait d’autant plus une trahison envers notre civilisation que ce serait une solution simpliste adoptée au détriment d’une autre facette du génie occidental : sa capacité de séduction.

 

La plus belle arme de l’Occident : sa capacité de séduction

Notre démocratie libérale, longtemps considérée comme un horizon indépassable de la modernité, ne séduit plus. Non seulement l’Occident n’est plus le phare du monde, mais il est remis en cause en son sein, que ce soit par les descendants d’immigrés qui adoptent l’islamisme que leurs parents ont fui, ou les tenants d’un Occident fantasmé qui voient dans Poutine le « salut de la blanchitude ».

Notre démocratie libérale, qui permet à chaque individu de s’émanciper et de se déterminer, peine à produire une métaphysique commune qui soit accessible au plus grand nombre, qui se tourne alors vers les prêts-à-penser que constituent les idéologies radicales, que ce soit au sein de l’islam politique, de l’extrême droite ou de l’extrême gauche.

Pour se défendre, la démocratie libérale doit se réarmer intellectuellement. Le refus de la radicalité et du populisme, s’il n’est pas justifié pour soi, ne sera jamais à même de peser face aux idées faciles. Mais elle doit aussi être cohérente et défendre cet idéal occidental à chaque fois qu’il est attaqué, comme en Ukraine, et non pas comme en Arménie qui, malgré quelques prises de paroles sentencieuses, a été abandonnée au profit de nos intérêts gaziers.

Enfin, il faut rappeler que si la première mission de l’État doit être d’assurer la sécurité des citoyens et qu’il est indispensable que nous perfectionnions sans cesse notre appareil sécuritaire, seul un régime tyrannique pourrait approcher le risque zéro. Personne ne doute que la Corée du Nord connaît un taux d’homicides (non gouvernementaux) plus faible que le nôtre. En définitive, nous devons assumer que dans une société libre, le risque zéro n’existe pas, et que nous aurions bien davantage à perdre en sacrifiant notre État de droit.

La culture en péril (15) – Mario Vargas Llosa, « Éloge de la lecture et de la fiction »

Mario Vargas Llosa, dont nous avions récemment présenté l’un des derniers ouvrages, et qui a fait régulièrement l’objet de nombreuses chroniques sur Contrepoints depuis quelques années, est aussi le prix Nobel de littérature de 2010.

Les éditions Gallimard ont édité la conférence qu’il a donnée à cette occasion, véritable éloge de la lecture et de tout ce qu’elle recèle à la fois comme trésors, comme potentiel de résistance au conformisme et comme moyen de défendre les libertés.

 

« Ce qui m’est arrivé de plus important dans la vie »

C’est ce que le célèbre écrivain péruvien écrit au sujet de la lecture, dont il dit qu’elle a enrichi son existence, expliquant à la fois ce qu’elle lui a apporté et ce que les grands auteurs lui ont appris.

 

… si, pour que la littérature fleurisse dans une société, il avait fallu d’abord accéder à la haute culture, à la liberté, à la prospérité et la justice, elle n’aurait jamais existé. Au contraire, grâce à la littérature, aux consciences qu’elle a formées, aux désirs et élans qu’elle a inspirés, au désenchantement de la réalité au retour d’une belle histoire, la civilisation est maintenant moins cruelle que lorsque les conteurs ont entrepris d’humaniser la vie avec leurs fables. Nous serions pires que ce que nous sommes sans les bons livres que nous avons lus ; nous serions plus conformistes, moins inquiets, moins insoumis, et l’esprit critique, moteur du progrès n’existerait même pas.

 

Un rempart contre les tyrannies

Mario Vargas Llosa montre comment la littérature a pour vertu de rendre les individus plus difficiles à manipuler, comment elle unifie, au-delà des différences de langues, de cultures et de croyances, comment elle établit véritablement des ponts entre des personnes différentes.

Références littéraires à l’appui, il illustre la manière dont la lecture a la capacité de nous plonger dans des univers qui viennent égayer nos vies, les enrichir, nous procurer tout une palette d’émotions et de ressentis très variés qui agrémentent notre richesse intérieure et accroissent nos facultés, venant « éclipser les frontières érigées entre hommes et femmes par l’ignorance, les idéologies, les religions, les langues et la stupidité ».

 

Sans les fictions nous serions moins conscients de l’importance de la liberté qui rend vivable la vie, et de l’enfer qu’elle devient quand cette liberté est foulée aux pieds par un tyran, une idéologie ou une religion. Que ceux qui doutent de la littérature, qui nous plonge dans le rêve de la beauté et du bonheur, nous alerte, de surcroît, contre toute forme d’oppression, se demandent pourquoi tous les régimes soucieux de contrôler la conduite des citoyens depuis le berceau jusqu’au tombeau, la redoutent au point d’établir des systèmes de censure pour la réprimer et surveillent avec tant de suspicion les écrivains indépendants.

 

Nous vivons de nouveau une époque de violence, de peurs, de fanatismes, de terrorisme, de barbaries qui tentent d’imposer leurs vérités. La défense de la démocratie libérale, insisite-t-il à l’instar d’Enzo Di Nuozcio, passe par les humanités, par notre capacité à ne pas nous laisser intimider et céder aux peurs. Car « malgré toutes ses insuffisances, elle signifie encore le pluralisme politique, la coexistence, la tolérance, les droits de l’homme, le respect de la critique, la légalité, les élections libres, l’alternance au pouvoir, tout ce qui nous a tirés de la vie sauvage et nous a rapprochés – sans que nous n’arrivions jamais à l’atteindre – de la vie belle et parfaite simulée par la littérature, celle que nous ne pouvons mériter qu’en l’inventant, en l’écrivant et en la lisant. En affrontant les fanatiques assassins, nous défendons notre droit à rêver et à faire de nos rêves la réalité ».

 

Un mode d’émancipation

Très intéressante est également l’évocation de son itinéraire personnel, lorsque Mario Vargas Llosa rappelle qu’il a lui-même été marxiste au cours de sa jeunesse et cru en la capacité du socialisme à remédier aux injustices sociales. Comme beaucoup, il en est revenu, et ce sont notamment les événements historiques, les témoignages de dissidents, mais aussi les écrits de grands penseurs comme Raymond Aron, Jean-François Revel, Isaiah Berlin ou Karl Popper, qui lui ont permis de devenir lentement et progressivement le libéral qu’il est devenu.

C’est fort de toute cette richesse qu’il s’est battu avec conviction, sa vie durant, contre toutes les dictatures, les tyrannies, les totalitarismes. Jusque dans son propre pays, dont il évoque au passage magnifiquement les spécificités et l’amour qu’il lui porte, l’assimilant « en petit format au monde entier », de par la richesse de ses apports historiques multiples, de toutes provenances.

Et quand des moments difficiles ont émaillé sa vie, il existait toujours cette source de vie et d’inspiration ultime, fondatrice, structurante. Cette passion « remettant toujours en question la médiocre réalité », gage de paix et d’éternité, capable de « rendre possible l’impossible » :

 

Mon salut fut de lire, lire de bons livres, me réfugier dans ces mondes où vivre était exaltant, intense, une aventure après l’autre, où je pouvais me sentir libre et être à nouveau heureux. Et d’écrire, en cachette, comme quelqu’un qui se livre à un vice inavouable, à une passion interdite. La littérature cessa d’être un jeu, pour devenir une façon de résister à l’adversité, de protester, de me révolter, d’échapper à l’intolérable : ma raison de vivre.

 

Mario Vargas Llosa, Eloge de la lecture et de la fiction, Gallimard, octobre 2011, 56 pages.

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À lire aussi :

Ne laissons pas Sylvie Brunel devenir la prochaine victime de la cancel culture des collapsologues français

#climat #agriculture Suite (et fin ?). Par « appréhension », la géographe Sylvie Brunel interviendra finalement en visio ce vendredi soir à @ChemilleenAnjou https://t.co/cAnvmG6NiI via @courrierouest

— Yves Boiteau (@YvesBoiteau1) November 24, 2023

Bien plus qu’un faits divers : la grande géographe Sylvie Brunel est en voie de cancellisation

Une lectrice de mon blog m’a mis sur la piste d’un – appelons-le ainsi pour le moment – fait divers. Mme Sylvie Brunel devait animer le vendredi 24 novembre 2023 une conférence-débat à Chemillé-en-Anjou (Maine-et-Loire) à l’invitation de la municipalité. Selon le site de la commune :

 

« Face aux nombreux défis qui se dressent devant nous dans notre monde contemporain : climat, énergie, migrations, eau, vivre ensemble, la commune de Chemillé-en-Anjou souhaite alimenter nos réflexions collectives. Elle organise pour cela une conférence-débat animée par Sylvie Brunel, géographe. Vous êtes tous invités à participer à cette soirée.

[…]

Convaincue que :

  • ces enjeux mondiaux sont l’affaire de tous, touchés que nous sommes dans notre quotidien,
  • c’est la mobilisation de tous qui permettra de construire des solutions à toutes les échelles,
  • le préalable à l’action est une bonne compréhension de la situation, des enjeux, des points de vue chacun,

la commune de Chemillé-en-Anjou vous invite à participer à une conférence débat organisée… »

 

Sylvie Brunel : la nouvelle cible des collapsologues et des décroissantistes

Mme Sylvie Brunel est une des grandes voix françaises de l’humanisme. Ancienne présidente de l’association Action contre la Faim, elle est une spécialiste de l’Afrique et des questions de développement et de famine. Elle est aussi une des (hélas rares) avocates de l’agriculture qui nous nourrit.

Son discours, solidement étayé, est aux antipodes de ceux qui ont pignon sur rue, des collapsologues, prêcheurs d’apocalypse et autres missionnaires de la décroissance, bref des défaitistes et capitulards face aux défis qui doivent être relevés.

Cela tombe bien pour cette faune et leurs adeptes : Mme Sylvie Brunel a aussi contribué à des écrits et tenu des propos qui ont été taxés de climatoscepticisme (qu’elle réfute aujourd’hui). Le très neutre et objectif (ironie) Wikipedia relève ainsi, par exemple :

« À plusieurs reprises, elle est contredite par des climatologues pour des positions jugées climatosceptiques. »

Et :

« En juin 2022, lors de la canicule qui frappe la France, Sylvie Brunel déclare que ces températures excessives, « c’est quand même le quotidien quand vous vivez à Dakar« . Ces propos sont qualifiés de climatosceptiques par plusieurs spécialistes dont Magali Reghezza, géographe spécialisée dans la vulnérabilité sociale aux changements environnementaux, qui contestent la légitimité scientifique de Sylvie Brunel. »

C’est aussi un horrible blasphème que d’écrire dans Le Monde, en 2019, que « Le changement climatique n’est pas forcément une mauvaise nouvelle » – dans un article bien plus subtil que ce que le titreur en a retenu – en faisant référence à notre histoire du climat, et des disettes et famines. C’est ici, incidemment, une occasion d’honorer la mémoire d’Emmanuel Le Roy Ladurie. Notons que madame Brunel est revenue sur cette tribune de 2019, expliquant qu’elle ne la signerait plus aujourd’hui.

 

Retour sur la tentative d’annulation de la conférence de Sylvie Brunel par un collectif 

Et donc une pétition a circulé pour s’opposer à la venue de Mme Sylvie Brunel, à l’initiative de Raphael Traineau, conseiller municipal de Chemillé-en-Anjou.

« Il est inconcevable de laisser une tribune à une telle personne qui utilise sa notoriété médiatique pour diffuser de fausses informations auprès de personnes non initiées aux sujets scientifiques, y compris des citoyens et élus de bonne foi. De plus, cette conférence doit se tenir sans contradicteur, ce qui, dans ces conditions, va à l’encontre de toute démarche d’information sérieuse. 

Hé bien voilà ! La liberté d’expression à la mode activiste de l’écologisme politique…

La presse rapporte que parmi les initiateurs figurent des élus locaux. Nous avons aussi trouvé sur X (anciennement Twitter) deux incitations à signer la pétition, dont une d’un directeur de recherche du CNRS et élu municipal EELV d’Angers. La liberté d’expression, les principes fondamentaux de notre démocratie, vous dis-je…

Ah oui, sans contradicteurs selon la pétition ?

Citons-la à nouveau : 

« Dans ces conditions, nous demandons à la mairie de Chemillé-en-Anjou d’annuler la conférence de Sylvie Brunel. Dans le cas où elle serait maintenue, nous n’y assisterons pas afin de ne pas apporter de crédit à cette entreprise climatosceptique. »

Ce qui a été organisé était pourtant une… « conférence-débat » ! On pourra entendre la réaction du maire de Chemillé-sur-Anjou ici sur YouTube, à partir de la minute 28.

Mme Sylvie Brunel avait aussi expliqué :

« Ma conférence porte sur les risques qui nous menacent et les réponses qu’il faut leur apporter, en mobilisant tous les acteurs et à toutes les échelles. Cette conférence ne remettra absolument pas en question les périls climatiques. »

Il faut croire qu’il n’y a pas eu qu’une pétition. Par « appréhension », Mme Sylvie Brunel a décidé d’intervenir en visio… Mais à l’heure où nous écrivons, nous ne savons pas si la conférence-débat a eu lieu.

#climat #agriculture A @ChemilleenAnjou en #MaineetLoire, une pétition s’est élevée contre la venue ce vendredi pour une conférence-débat de la géographe Sylvie Brunel, jugée « climatosceptique ». Ses initiateurs s’expliquent… 1/2⤵ https://t.co/LqfJzXd7OG via @courrierouest

— Yves Boiteau (@YvesBoiteau1) November 23, 2023


Que faut-il comprendre par « appréhension » ? Ouest-France n’en a pas dit plus. Ce n’était certainement pas l’appréhension de devoir affronter une horde de contradicteurs…

 

Ne laissons pas le dernier mot aux décroissantistes et aux terroristes intellectuels

On peut fort bien comprendre que, tout compte fait, cet événement n’est pas un simple fait divers, mais une atteinte grave aux fondamentaux de notre démocratie. Ou d’un avant-goût des chasses aux mal-pensants qui se produiront si, d’aventure, un groupe transpartisan de députés (hors RN et LR) parvenait à produire et faire passer une proposition de loi sur « la responsabilité des médias dans le traitement des enjeux environnementaux et de durabilité ».

Comment réconcilier les irréconciliables ?

Un récent article sur l’islam m’a valu quelques critiques, et cette question ironique, si j’avais d’autres articles aussi curieux à proposer. Hélas oui, la mine n’en est pas épuisée.

Un jour les Israéliens seront à nouveau en paix avec leurs voisins palestiniens. Ils auront, on l’espère, exercé dans les bornes les plus strictes leur droit à la légitime défense, et employé avec mesure le dangereux appareil de la guerre. Mais la paix est un idéal négatif, qui n’évoque qu’un monde sans violence. Ne peut-on pas au surplus se respecter, s’entendre, se réconcilier ?

La géographie et l’histoire se mêlent pour dresser devant nous des situations difficiles. Lorsque les républicains chinois sont chassés du pouvoir, ils se réfugient sur une petite île à 160 kilomètres des côtes qu’ils doivent quitter, et ils y fondent un gouvernement de sécession. L’île de la Grande-Bretagne est séparée d’à peine 20 kilomètres des côtes d’Irlande, de sorte que par temps clair on en aperçoit les falaises. Français et Allemands ne sont séparés que par un fleuve de 200 mètres de largeur, bien faible rempart contre les velléités d’une armée. Il y a par le monde beaucoup de ces siamois politiques, qui sont forcés de vivre une cohabitation que souvent ils ne désirent pas.

Sur un même territoire (les États-Unis), les descendants de colons européens ont dû aussi apprendre à vivre au milieu des descendants d’esclaves qu’ils avaient transportés, opprimés puis émancipés, de même qu’avec les indigènes dont ils avaient accaparé les terres.

Solutionner les haines nationales, raciales, religieuses, peut se faire en s’appuyant sur le témoignage de l’histoire. Plusieurs auteurs de la tradition libérale française ont œuvré, en leur temps, à la réconciliation entre catholiques irlandais et anglicans, entre Noirs et Blancs aux États-Unis, notamment, et peuvent nous fournir des idées.

 

Les différents moyens de réconciliation

À les en croire, la première condition à obtenir est la suppression des barrières légales qui empêchent les peuples de s’unir d’eux-mêmes.

En Irlande, il fut un temps interdit à tout Anglais d’adopter le costume et jusqu’à la moustache irlandaise, de même que d’épouser une Irlandaise catholique. Un catholique ne pouvait occuper un emploi public, ni acquérir une propriété. Des barrières douanières s’assuraient que l’industrie textile irlandaise ne prospérait pas (Gustave de Beaumont, De l’Irlande, 1863, t. I, p. 43, 99, 111.). Il fallait donc, en priorité, obtenir l’abolition de ces lois.

La pratique stricte de la justice est, elle, essentiellement pacificatrice.

Aux États-Unis, écrit Charles Comte, ce n’est pas l’oubli de l’histoire, l’abolition des couleurs et des races, qu’il faut ambitionner, mais l’installation d’une justice impartiale et de l’égalité réelle devant la loi.

« Il faut faire, autant que cela se peut, que tous les hommes jouissent d’une protection égale ; il faut que les mêmes qualités ou les mêmes services obtiennent les mêmes récompenses, et que les mêmes vices ou les mêmes crimes soient suivis de peines semblables. » (Traité de législation, 1827, t. IV, p. 496).

L’orgueil de race, cependant, est lent à mourir. Pour le vaincre, il n’est peut-être guère d’autre recours que la liberté des mariages.

À son retour d’Amérique, Gustave de Beaumont soutient que « les mariages communs sont à coup sûr le meilleur, sinon l’unique moyen de fusion entre la race blanche et la race noire » (Marie ou de l’esclavage aux États-Unis, 1835, t. II, p. 317). Mais il faut pour cela vaincre à la fois l’opinion, qui réprouve ces unions, et la loi, qui parfois les interdit ou les déclare nulles.

La mobilisation de l’opinion publique contre les haines nationales, raciales, religieuses, est fortement appuyée par Frédéric Bastiat dans sa défense de la liberté des échanges. Ce sont pour lui des sentiments « pervers » et « absurdes », qu’il est plus encore utile d’éradiquer que le protectionnisme lui-même (Œuvres complètes, t. VI, p. 382 ; t. I, p. 167). Les deux maux se tiennent cependant : le libre-échange est pacificateur et unificateur de son essence, car il fait de l’étranger un ami (Idem, t. II, p. 271).

 

Ne pas céder au découragement

Les haines nationales, religieuses, raciales, paraissent toujours insurmontables aux générations qui les constatent et les combattent. Mais aussi elles meurent, ou faiblissent. L’Anglais et l’Irlandais ne forment pas une union fraternelle, mais le temps n’est plus où le premier enfermait des prisonniers dans des cavernes et y mettait le feu pour les enfumer, où l’autre exprimait sa vengeance en organisant le rapt et le viol des femmes ou des filles des propriétaires anglais qu’il voulait punir. De même la cohabitation des Noirs et des Blancs aux États-Unis a progressé.

Le libéralisme est porteur d’un idéal dont l’application est difficile, les victoires lentes et jamais acquises. Ce n’est pas un motif pour se décourager, mais pour œuvrer à un progrès qu’à peine peut-être nous entreverrons. La liberté, disait Édouard Laboulaye, est une œuvre qui ressemble à ces cathédrales qu’élevait le Moyen Âge : ceux qui les commençaient n’ignoraient pas qu’ils n’en verraient pas la fin. Ou, pour reprendre une autre image, empruntée à Edmond About, nous faisons la cuisine de l’avenir. Nous vidons les poulets et nous tournons la broche, pour que nos arrière-neveux n’aient plus qu’à se mettre à table et à dîner en joie.

À ce titre, combattre les haines nationales, raciales et religieuses, et accompagner les réconciliations, est une œuvre de la plus grande utilité.

L’enfer est pavé de bonnes intentions (21) – L’antiracisme

En ces temps particulièrement agités, qui ne s’associerait pas volontiers à la lutte contre l’antiracisme ? Certains êtres primaires sans doute hélas, car il est de fait que des actes et des paroles racistes ont lieu depuis toujours et tendent à se développer ces dernières années et ces dernières semaines, notamment avec la montée des tensions communautaires ou internationales. Mais faut-il pour autant, comme le suggèrent certains, en venir à contrôler une liberté d’expression, déjà mal en point ?

 

Quand on cherche à éliminer l’adversaire…

L’assaut vient, cette fois, du sénateur communiste Ian Brossat. Probablement désireux de faire parler de lui et de justifier ses mandats, rien de tel que de défendre en apparence une idée chère au plus grand nombre : agir contre le racisme et l’antisémitisme. Idée d’autant mieux venue que c’est dans l’air du temps après la grande marche contre l’antisémitisme du week-end dernier qui a réuni des milliers de personnes et nombre de personnalités de tous bords politiques… ou presque. Mais surtout, il s’agit là – il faut bien se le dire – d’un moyen bien commode de caricaturer un adversaire et de réclamer sa tête.

Car en effet, si l’on se réfère à cette courte séquence diffusée sur le réseau X, le sénateur ne se cache pas dans sa volonté d’apparenter Éric Zemmour – et nul autre – à la haine, au racisme et à l’antisémitisme. Nous avions la personnification de La Mort, nous avons maintenant celle de La Haine et du Racisme.

 

Une ficelle un peu grosse

La ficelle est un peu grosse (et je ne suis pas là pour défendre particulièrement Éric Zemmour). D’autant plus grosse que, comme le relèvent aussitôt les commentateurs de ce message, il y a beaucoup à dire de ceux qui prétendent afficher ainsi leur vertu. Mais personne n’est complètement dupe.

A-t-on oublié, demande l’un (affiche historique à l’appui), que le parti auquel adhère notre sénateur vertueux a un passé pas toujours très glorieux en matière d’antisémistisme ? Ou qu’il a été responsable, selon certaines estimations de chercheurs, de rien moins que 100 millions de morts, interroge un autre ? Et quid de l’antisémitisme de Karl Marx, inspirateur du même communisme ?

Bien sûr, nous ne sommes pas là pour dresser une liste exhaustive de toutes les réactions à ce message (et nous aurions pu en citer beaucoup de tout à fait légitimes). Mais quand même… Qu’un représentant d’un parti qui est très loin d’avoir toujours été clair sur ces questions mette en avant sa vertu et son exemplarité pour s’attaquer ainsi à une cible exclusive et à travers elle s’attaquer surtout à la liberté d’expression, pose problème.

 

Une liberté d’expression à géométrie variable

C’est d’autant plus navrant que l’on sait tous que les représentants de la justice en France, surtout lorsqu’ils militent auprès d’un syndicat réputé très engagé, n’apparaissent pas toujours comme tout à fait neutres dans leurs décisions. On sait aussi que les accusations de racisme, d’antisémitisme, ou même d’autres propos ou actes odieux, vont parfois bon train, dans la mesure où elles permettent de mettre facilement en difficulté un adversaire et de l’éliminer au moins temporairement ou le décrédibiliser plus durablement.

Donc où commencent et où s’arrêtent la liberté d’expression, la chasse à la parole équivoque ou qui pourra être interprétée de telle ou telle manière, suspectée de telle ou telle arrière-pensée, pourchassée devant les médias puis le cas échéant devant la justice ?

La question vaut la peine d’être posée, car au-delà des apparences se cache trop souvent de la mauvaise foi, de mauvaises intentions, des arrière-pensées politiques. Il est certainement plus sage de s’en tenir aux textes existants et de les appliquer : les actes et propos racistes ou antisémites sont susceptibles d’être jugés et condamnés, très bien. N’y mêlons pas de prétendues bonnes intentions destinées à semer la zizanie dans la prise de parole, notamment politique, et aboutir en pratique à des campagnes de chasse aux sorcières peu glorieuses et souvent très violentes.

Surtout quand on se trouve sur un terrain fragile et miné, où règnent clairement une certaine dose de mauvaise foi, d’aveuglement, de naïveté, voire de mensonges. Quand il ne s’agit tout simplement pas… de peur.

 

Postures et impostures

Une fois encore, nous sommes là dans les habituelles postures politiques. Défendre la vertu, mais détourner le regard en cherchant à pointer du doigt l’arbre qui cacherait la forêt…

N’est-ce pas au sein de cette gauche présumée si vertueuse depuis au moins Robespierre, et adepte des révolutions, que l’on pratique le mieux la privation de la liberté de parole ?

Au lieu de prendre le risque de créer des tensions supplémentaires en brandissant sans arrêt l’arme du racisme et de l’antisémitisme, dont tant de mouvements ou associations aux intentions équivoques nous ont habitués, nous pourrions par exemple de nouveau conseiller une lecture plus saine et faisant bien davantage appel à la Raison : « Faut-il tolérer l’intolérance ? », sous la direction de Nicolas Jutzet. Voilà qui vaudra bien mieux que de simples raccourcis aux intentions à peine voilées.

 

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La culture en péril (14) – Milan Kundera, « Un Occident kidnappé »

Trop longtemps le drame de l’Europe centrale a été celui de petites nations mal assurées de leur existence historique et politique. Tandis que, après 1945, l’Occident ne la voyait plus que comme une partie de l’Union soviétique.

C’est dans ce contexte que le grand écrivain Milan Kundera, pourtant connu pour sa relative discrétion, a tenu un illustre discours au congrès des écrivains tchécoslovaques en 1967 à la veille du Printemps de Prague, puis écrit un plaidoyer dans la revue Le Débat en 1983, qui a fait parler de lui et sonné l’éveil de beaucoup de consciences. Ce sont ces deux textes qui sont repris dans ce petit volume paru chez Gallimard.

Au moment où la nation ukrainienne s’inscrit en résistance contre l’invasion russe en cette terrible année 2022, il n’est pas inintéressant de revenir sur ces textes, qui montrent l’importance de la résistance par les idées et la culture, ciment qui marque l’identité d’un peuple et son désir de résister coûte que coûte à ceux qui voudraient faire disparaître cette identité et les libertés qui l’accompagnent.

 

L’importance de la littérature dans l’identité culturelle pour Milan Kundera

Des romans de Kundera, que j’avais à peu près tous lus avec passion vers l’âge de 20 ans, il ne me reste malheureusement pas grand souvenir. J’espère les redécouvrir un jour, même si le temps me manque perpétuellement. En attendant, il m’a paru intéressant de prendre connaissance de ce recueil, particulièrement bienvenu dans le contexte actuel.

Le premier texte qui le compose est le discours de 1967 au congrès des écrivains tchécoslovaques.

Il y évoque la non-évidence de l’existence de la nation tchèque, qui est l’un de ses attributs majeurs. Malgré une résurrection de la langue tchèque, alors presque oubliée, grâce à une poignée d’écrivains au début du XIXe siècle, la question du rattachement à une plus grande nation, l’Allemagne, s’est posée. Mais d’autres grands écrivains ont permis par la suite de consolider cette culture, puis de la renforcer et la faire grandir. Jusqu’à ce que l’Occupation durant la Seconde Guerre mondiale, puis le stalinisme, brisent le fragile édifice.

Il n’a tenu une nouvelle fois qu’à une nouvelle poignée d’écrivains et cinéastes de renouer avec cette identité tchèque. Et c’est ce qui constitue le centre de l’intervention de Kundera à travers son discours ce jour-là : préserver l’identité nationale par la culture, la création, les échanges culturels internationaux.

Il est crucial que toute la société tchèque prenne pleinement conscience du rôle essentiel qu’occupent sa culture et sa littérature […] L’Antiquité gréco-romaine et la chrétienté, ces deux sources fondamentales de l’esprit européen, qui provoquent la tension de ses propres expansions, ont presque disparu de la conscience d’un jeune intellectuel tchèque ; il s’agit là d’une perte irremplaçable. Or, il existe une solide continuité dans la pensée européenne qui a survécu à toutes les révolutions de l’esprit, pensée ayant bâti son vocabulaire, sa terminologie, ses allégories, ses mythes ainsi que ses causes à défendre sans la maîtrise desquels les intellectuels européens ne peuvent pas s’entendre entre eux.

Il s’érige en outre contre l’esprit de vandalisme qui caractérise ceux qui entendent censurer ou interdire des œuvres qui leur paraissent inconvenantes.

Toute répression d’une opinion, y compris la répression brutale d’opinions fausses, va au fond contre la vérité, cette vérité qu’on ne trouve qu’en confrontant des opinions libres et égales. Toute interférence dans les libertés de pensée et d’expression – quelles que soient la méthode et l’appellation de cette censure – est au XXe siècle un scandale, ainsi qu’un lourd fardeau pour notre littérature en pleine effervescence. Une chose est incontestable : si aujourd’hui nos arts prospèrent, c’est grâce aux avancées de la liberté de l’esprit. Le sort de la littérature tchèque dépend à présent étroitement de l’étendue de cette liberté.

Il ajoute alors que, bien que cela paraisse paradoxal, l’amère expérience du stalinisme s’est révélée être un atout. Car, bien souvent, les tourments se transforment en richesse créatrice. Et c’est ce qui s’est passé, y compris à travers son œuvre à laquelle je faisais référence plus haut dans mon expérience personnelle. Une douloureuse expérience qui s’est transformée en « un affranchissement libérateur des vieilles frontières », qui a apporté du sens et de la maturité à la culture tchèque. Une chance dont il convient d’être conscient, en appelle-t-il à ses confrères, si l’on ne veut pas la laisser passer et la gâcher. Car il en va de la survie de ce peuple.

 

Un Occident kidnappé ou la tragédie de l’Europe centrale

Le second texte est paru en 1983 dans la revue Le Débat.

Traduit dans plusieurs langues, il a connu un certain retentissement à l’époque. Milan Kundera y évoque les soulèvements pour la liberté de Budapest et de Varsovie en 1956, puis de Prague et de nouveau Varsovie en 1968. Qui, dans la logique de son discours de 1967, inscrit la force de l’identité culturelle comme marqueur essentiel de la révolte des peuples.

« L’identité d’un peuple ou d’une civilisation se reflète et se résume dans l’ensemble des créations spirituelles qu’on appelle d’habitude « culture ». Si cette identité est mortellement menacée, la vie culturelle s’intensifie, s’exacerbe, et la culture devient la valeur vivante autour de laquelle tout le peuple se regroupe. C’est pourquoi, dans toutes les révoltes centre-européennes, la mémoire culturelle ainsi que la création contemporaine ont joué un rôle aussi grand et aussi décisif que nulle part et jamais dans aucune révolte populaire européenne.

Des écrivains, regroupés dans un cercle qui portait le nom du poète romantique Petöfi, déclenchèrent en Hongrie une grande réflexion critique et préparèrent ainsi l’explosion de 1956. Ce sont le théâtre, le film, la littérature, la philosophie qui travaillèrent pendant des années à l’émancipation libertaire du Printemps de Prague. Ce fut l’interdiction d’un spectacle de Mickiewicz, le plus grand poète romantique polonais, qui déclencha la fameuse révolte des étudiants polonais en 1968. Ce mariage heureux de la culture et de la vie, de la création et du peuple marqua les révoltes centre-européennes d’une inimitable beauté, dont nous, qui les avons vécues, resterons envoûtés à jamais. »

En réponse aux réactions des intellectuels français ou allemands, plutôt sceptiques ou suspicieux à l’époque, Kundera fait remarquer ceci :

C’est bizarre, mais pour certains la culture et le peuple sont deux notions incompatibles. L’idée de culture se confond à leurs yeux avec l’image d’une élite des privilégiés. C’est pourquoi ils ont accueilli le mouvement de Solidarité avec beaucoup plus de sympathie que les révoltes précédentes. Or, quoi qu’on en dise, le mouvement de Solidarité ne se distingue pas dans son essence de ces dernières, il n’est que leur apogée : l’Union la plus parfaite (la plus parfaitement organisée) du peuple et de la tradition culturelle persécutée, négligée ou brimée, du pays.

S’inscrivant toujours dans une perspective historique, Kundera analyse ensuite les effets de la russification et de l’asservissement à la Russie pendant deux siècles sur des peuples comme la Pologne, et qui ont créé du ressentiment.

Les ambitions impériales de la Russie représentaient alors un danger pour les peuples d’Europe centrale, contre lesquels l’Empire Habsbourg fut en quelque sorte un rempart.

Pendant longtemps, écrit-il, les nations d’Europe centrale rêvaient d’une alliance à l’Ouest-Européenne, faite du respect des diversités. À rebours du rêve russe d’uniformité.

En effet, rien ne pouvait être plus étranger à l’Europe centrale et à sa passion de diversité que la Russie, uniforme, uniformisante, centralisatrice, qui transformait avec une détermination redoutable toutes les nations de son empire (Ukrainiens, Biélorusses, Arméniens, Lettons, Lituaniens, etc.) en un seul peuple russe (ou, comme on préfère dire aujourd’hui, à l’époque de la mystification généralisée du vocabulaire, en un seul peuple soviétique).

Sans renier l’existence d’une identité culturelle commune, à travers en particulier les grands écrivains et les opéras russes, contrecarrés cependant par les « vieilles obsessions antioccidentales de la Russie », ranimées par le communisme.

Je veux souligner encore une fois ceci : c’est à la frontière orientale de l’Occident que, mieux qu’ailleurs, on perçoit la Russie comme un anti-Occident ; elle apparaît non seulement comme une des puissances européennes parmi d’autres, mais comme une civilisation particulière, comme une autre civilisation.

Dans cet écrit de 1983, Milan Kundera interroge surtout les causes de la tragédie qui a conduit Polonais, Tchèques, ou encore Hongrois, à disparaître de « la carte de l’Occident ».

C’est avant tout leur histoire mouvementée qui est au centre de cet état de fait.

Coincées d’un côté par les Allemands, de l’autre par les Russes, ces nations à tradition d’État moins forte que les grands peuples européens, ont eu du mal à assurer leur survie et celle de leur langue. L’échec de l’Empire autrichien fut, en définitive, aussi le leur, dont profitèrent Hitler, puis Staline. Mais c’est aussi, écrit Kundera, les lieux communs autour de la soi-disant « âme slave » qui a nui à ces nations et servi les intérêts russes. Des nations caractérisées, non pas par des frontières politiques, en raison des multiples invasions, conquêtes ou occupations, mais par des frontières imaginaires, issues de « grandes situations communes », et toujours changeantes « à l’intérieur desquelles subsistent la même mémoire, la même expérience, la même communauté de tradition ». Et pour lesquelles, ajoute-t-il, le génie juif a constitué en outre le véritable ciment intellectuel, par son caractère profondément cosmopolite et intégrateur, mais aussi en raison de son destin particulier à travers l’histoire, parfaitement symbolique de cette existence en permanence sujette à caution.

« L’Europe centrale en tant que foyer de petites nations a sa propre vision du monde, Vision basée sur la méfiance profonde à l’égard de l’Histoire. L’Histoire, cette déesse de Hegel et de Marx, cette incarnation de la Raison qui nous juge et qui nous arbitre, c’est l’Histoire des vainqueurs. Or, les peuples centre-européens ne sont pas vainqueurs. Ils sont inséparables de l’Histoire européenne, ils ne pourraient exister sans elle, mais ils ne représentent que l’envers de cette Histoire, ses victimes et ses outsiders. C’est dans cette expérience historique désenchantée qu’est la source de l’originalité de leur culture, de leur sagesse, de leur « esprit de non-sérieux » qui se moque de la grandeur et de la gloire.

[…]

Voilà pourquoi dans cette région de petites nations « qui n’ont pas encore péri », la vulnérabilité de l’Europe, de toute l’Europe, fut visible plus clairement et plus tôt qu’ailleurs. En effet, dans notre monde moderne, où le pouvoir a tendance à se concentrer de plus en plus entre les mains de quelques grands, toutes les nations européennes risquent de devenir bientôt petites nations et subir leur sort. »

La disparition du foyer culturel centre-européen, qui est passée inaperçue aux yeux de l’Europe – sujet essentiel au centre de la préoccupation de Kundera dans cet article – aurait donc pour origine le fait que l’Europe ne ressent plus son identité comme une unité culturelle. De même qu’auparavant la religion avait cessé d’être ce ciment commun.

Mais pour laisser place à quelle forme d’unité, s’interroge le grand écrivain tchèque ?

Quel est le domaine où se réaliseront des valeurs suprêmes susceptibles d’unir l’Europe ? Les exploits techniques ? Le marché ? Les médias ? (le grand poète sera-t-il remplacé par le grand journaliste ?) Ou bien la politique ? Mais laquelle ? Celle de droite ou celle de gauche ? Existe-t-il encore, au-dessus de ce manichéisme aussi bête qu’insurmontable, un idéal commun perceptible ? Est-ce le principe de la tolérance, le respect de la croyance et de la pensée d’autrui ? Mais cette tolérance, si elle ne protège plus aucune création riche et aucune pensée forte, ne devient-elle pas vide et inutile ?

Ou bien peut-on comprendre la démission de la culture comme une sorte de délivrance, à laquelle il faut s’abandonner dans l’euphorie ? Ou bien le Deus absconditus reviendra-t-il pour occuper la place libérée et pour se rendre visible ? Je ne sais pas, je n’en sais rien. Je crois seulement savoir que la culture a cédé sa place.

Milan Kundera, Un Occident kidnappé ou la tragédie de l’Europe centrale, Gallimard, novembre 2021, 80 pages.

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À lire aussi :

[Enquête II/II] Les victimes de Wagner au Mali souhaitent le retour de Barkhane

Cet article constitue la seconde partie de mon enquête sur le double ethnocide des Touareg et des Peuls au Mali, dont le premier volet a été publié le 20 novembre. Pour mieux comprendre l’effondrement sécuritaire et humanitaire que traversent les populations peules et touarègues du nord du Mali, j’ai interrogé les victimes de Wagner sur l’évolution de leurs conditions d’existence depuis le départ des Français.

Depuis deux ans, le régime putschiste installé à Bamako ne cesse d’accuser la France, tantôt de « néocolonialisme », tantôt d’« abandon », mettant en avant le slogan de la « souveraineté retrouvée du Mali ». Dans les faits, la junte de Bamako a transféré son autorité aux mains du groupe paramilitaire russe Wagner, et s’aligne publiquement sur les positions du Kremlin.

Au nord du Mali, les témoins Peuls et Touareg ont constaté une « amplification de l’insécurité » depuis le départ de Barkhane. Tous, à leur manière, m’ont confirmé que « les jihadistes ont repris du terrain » et que leurs attaques se sont « multipliées ». D’autre part, ils ont fait la connaissance des « monstres » de Wagner.

 

Les Forces Armées du Mali (FAMa) sous commandement russe ?

Sur le terrain en tout cas c’est limpide. Les témoins des crimes de Wagner ont pu observer à de nombreuses reprises la subordination des soldats maliens aux paramilitaires russes. Si les forces armées maliennes participent aux crimes de guerre des Wagner, il semble que les soldats maliens soient aussi victimes d’exactions de la part des paramilitaires russes.

Lorsque j’ai demandé aux victimes de Wagner de se souvenir comment ces derniers se comportaient avec les FAMa au moment des massacres et des pillages, j’ai entendu des réponses plus ou moins détaillées mais qui allaient toutes dans le même sens que celle donnée par ce berger peul : « les FAMa sont aux ordres des Wagner ».

Certains témoins ont décelé de la « frustration » parmi les militaires maliens tenus à l’écart lors des réunions de commandement ou forcés à obéir sous peine d’être torturés ou exécutés. Le 9 octobre 2023, à Anéfis, plusieurs civils ont vu 6 soldats maliens se faire égorger ou fusiller par des éléments de Wagner à la suite d’un désaccord sur le partage des biens pillés et sur le sort à réserver aux populations locales.

Le régime de Bamako n’a pas retrouvé sa souveraineté en rompant ses accords de coopération militaire avec la France. Il l’a transférée à une milice paramilitaire qui dirige, dans les faits, son armée régulière.

 

« Ne comparez pas Barkhane et Wagner. Ils sont comme l’eau et le lait » 

Les témoins Peuls et Touareg avec lesquels j’ai pu échanger ont vécu à proximité de bases militaires françaises qui ont été investies par le groupe Wagner et les Forces Armées Maliennes (les FAMa) à la fin de l’opération Barkhane. Ils décrivent l’arrivée de Wagner comme un changement de monde. Le professionnalisme de l’armée française a cédé la place à la barbarie des paramilitaires russes :

« La force Barkhane était respectueuse des gens, ils sont bien éduqués, polis. Barkhane aidait les gens. Wagner n’est comparable qu’avec l’armée malienne ou les terroristes. C’est des gens sans foi ni loi. »

« Barkhane ne s’attaque pas aux civils sans armes. Wagner attaque les civils et les animaux. Barkhane respect les droits de l’homme contrairement à Wagner à qui le gouvernement du Mali a donné carte blanche pour exterminer les touaregs et les arabes. »

« Wagner tue à sang froid, alors que barkhane au pire ils arrête et emmène les gens dans leur hélicoptère »

« Wagner et barkhane c’est ni le même comportement ni le même mode opératoire ni la même mission. Barkhane cherchais des terroristes. Tout ceux qui ont des liens avec les terroristes peuvent être arrêtés avec l’espoir de si aucune preuve irréfutable n’as été trouvé ils serrons remis en liberté mais Wagner c’est tout as fait le contraire. Tout ceux qu’elle croise en brousse sont des terroristes ou des rebelles qu’il faut abattre à tout prix. Tels sont les ordres qui leurs ont été donné par les militaires aux pouvoirs. »

« Barkhane donnait des médicaments et finançait des projets. Mais par contre Wagner brûlent, volent et torturent. »

 

Une armée régulière respectueuse des droits de l’Homme : avant son départ, l’armée française avait bâti des liens de confiance avec les populations locales

Au nord du Mali, le démantèlement de Barkhane a entraîné une hausse du chômage et de l’insécurité. Ceux qui ont côtoyé les soldats français témoignent de rapports respectueux et d’actions de solidarité qui contrastent considérablement avec les exécutions, les arrestations arbitraires et les pillages menés par le groupe Wagner :

« Barkhane respectait le DIH [Droit International Humanitaire] en t’arrêtant ils cherchaient d’abord les pièces d’identification, ils passaient tes doigts dans leurs machines ce qui permettait de t’identifier facilement, dès que cela est fait il te posait des questions de routines sur ton voyage, ta personne rien de compliqué. Mais c’est carrément tout le contraire avec Wagner qui est au service du gouvernement, il est en quelques sortes la Main de Guerre de ce gouvernement de Transition qui tue avec lâcheté les paisibles citoyens pour qui leurs seules crimes est l’appartenance au nord du Mali »

« Barkhane chez nous dans région Menaka et contribuait à la stabilite sociale. Elle faisait des patrouilles hors la ville et la ville était bien sécurisée. Ils organisaient des tournois entre eux et les quartiers et les quartiers entre eux même. Au faite l’idée de les chassés était une décision irréfléchie ils ont laissé un grand vide sur tout les plans »

« Les forces barkhane étaient présentes et avaient quelque interactions avec les populations en intervenant dans plusieurs domaine dont le principal était la sécurité mais aussi en faisant des programmes d’aide sociale. »

« Barkhane était dans notre zone. J’étais dans la zone de Bir Khan de 2014 à 2019, et je n’ai vu aucun mal de Barkhane envers les habitants. Au contraire, j’y vois un soulagement et une sécurité pour la zone. Par exemple, il a sécurisé la voie publique, et je ne l’ai jamais vu arrêter un innocent. Je les ai également vus effectuer des patrouilles d’infanterie à Birr presque la nuit. Il était 3 heures du matin, mais aucun d’eux ne m’a parlé. »

« Chez nous a douentza, barkhane finançait les projets, ils sont humains »

« Les forces barkhane nous soutenait, ils nous apportait les nourritures et médicaments »

 

La grande majorité des victimes de Wagner interrogées souhaitent le redéploiement de Barkhane au Mali

Les réponses des victimes de Wagner tranchent singulièrement avec la propagande anti-française de la Russie, et avec les mots durs de la junte bamakoise sur la coopération militaire entretenue ces dix dernières années avec la France.

À la question fermée « êtes-vous favorable à une intervention de l’armée française et des armées européennes pour neutraliser Wagner » je n’ai pas reçu une réponse négative. La grande majorité des témoins que j’ai interrogés m’ont répondu « oui » (« oui, que Dieu fasse », « Oui et dans le plus vite », « Oui, oui, oui, oui, oui », « oui, à 1000 % et je les soutiendrai de toutes mes forces », « totalement, oui »…) sans distinction d’ethnie ni de classe sociale. Qu’ils soient Peuls ou Touaregs, notables en exil, chômeurs, bergers, mères au foyer, les victimes de Wagner et de la junte bamakoise sont favorables au redéploiement de la mission anti-terroriste de Barkhane et ont vécu son retrait comme une « erreur » et un « abandon ». Sur l’ensemble des témoins que j’ai consultés sur cette question, je n’ai pas entendu une réponse négative. Un jeune commerçant et une mère au foyer Touareg ont apporté des nuances à l’élan d’enthousiasme que ma question suscitait chez leurs coreligionnaires. Le premier m’a confié douter que la France n’intervienne. Selon lui « Le problème est que Wagner représente la Russie et aucun pays du monde n’osera s’attaquer au Wagner car s’attaquer au Wagner c’est s’attaquer à la Russie « . La seconde m’a confié qu’elle était plus favorable à une solution diplomatique qu’à la « voie des armes et de la force ».

Il ne s’agit bien sûr que d’un symbole, leurs témoignages (rapportés, qui plus est) ne pouvant servir de mandat. Cependant leurs réponses permettent de nuancer la propagande anti-française déployée par les juntes sahéliennes, par les médias africains anciennement financés par la galaxie Prigogine et par les discours de Moscou présentant la France comme une puissance coloniale en Afrique.

Depuis 2016, la Russie a réinvesti le continent africain en se présentant comme une alternative à l’« impérialisme français » en Centrafrique, au Mali, au Burkina Faso… En instaurant un régime de terreur au nord du Mali, les paramilitaires de Wagner ont contribué à faire renaître un sentiment pro-français. La présence militaire française au Sahel n’a pas été sans bavures, mais contrairement à Wagner, les soldats français respectaient, soutenaient et protégeaient les populations locales. Et elles s’en souviennent.

Les libertariens et la guerre

Un article de Llewellyn H. Rockwell Jr.

Aujourd’hui, les guerres font rage en Ukraine et au Moyen-Orient. Quelle attitude les libertariens devraient-ils adopter face à ces guerres ? Est-il conforme aux principes libertariens de soutenir le camp qui, selon vous, a les meilleurs arguments ? Pouvez-vous inciter ce camp à tout mettre en œuvre pour remporter la victoire ?

Murray Rothbard, le plus grand de tous les théoriciens libertariens, ne le pensait pas. Et cela est vrai, même si vous avez correctement évalué le conflit. Regardons ce qu’il dit dans son grand livre L’Éthique de la Liberté.

 

La notion de guerre juste entre individus

Comme on pouvait s’y attendre, Murray Rothbard ne commence pas son analyse en prenant comme point de départ les conflits entre États. Il se demande ce que pourraient faire les individus impliqués dans un conflit dans une société anarcho-capitaliste.

Voici ce qu’il dit :

 

« Avant d’envisager les actions interétatiques, revenons un instant au pur monde apatride libertarien où les individus et les agences de protection privées qu’ils recrutent limitent strictement leur recours à la violence à la défense des personnes et des biens contre la violence. Supposons que, dans ce monde, Jones découvre que lui ou ses biens sont agressés par Smith. Il est légitime, comme nous l’avons vu, que Jones repousse cette invasion par le recours à la violence défensive. Mais nous devons maintenant nous demander : Jones a-t-il le droit de commettre des violences agressives contre des tiers innocents au cours de sa légitime défense contre Smith ? De toute évidence, la réponse doit être Non. Car la règle interdisant la violence contre les personnes ou les biens d’hommes innocents est absolue ; elle est valable quels que soient les motifs subjectifs de l’agression. Il est mal et criminel de violer la propriété ou la personne d’autrui, même si l’on est un Robin des Bois, ou s’il meurt de faim, ou se défend contre l’attaque d’un tiers. Nous pouvons comprendre et sympathiser avec les motivations de bon nombre de ces cas et situations extrêmes. Nous (ou plutôt la victime ou ses héritiers) pouvons ultérieurement atténuer la culpabilité si le criminel est jugé pour être puni, mais nous ne pouvons pas échapper au jugement selon lequel cette agression reste un acte criminel et que la victime a parfaitement le droit de commettre. repousser, par la violence s’il le faut. En bref, A agresse B parce que C menace ou agresse A. Nous pouvons comprendre la culpabilité « supérieure » de C dans toute cette procédure, mais nous qualifions toujours cette agression de A d’acte criminel que B a parfaitement le droit de repousser. par la violence.

 

Pour être plus concret, si Jones découvre que sa propriété est volée par Smith, Jones a le droit de le repousser et d’essayer de l’attraper, mais Jones n’a pas le droit de le repousser en bombardant un bâtiment et en assassinant des innocents, ou de l’attraper en tirant des mitrailleuses sur une foule innocente. S’il fait cela, il est autant (sinon plus) un agresseur criminel que Smith. Les mêmes critères s’appliquent si Smith et Jones ont chacun des hommes à leurs côtés, c’est-à-dire si une « guerre » éclate entre Smith et ses acolytes et Jones et ses gardes du corps.

Si Smith et un groupe de sbires attaquent Jones, et que Jones et ses gardes du corps poursuivent le gang Smith jusqu’à leur repaire, nous pourrons encourager Jones dans son effort ; et nous, ainsi que d’autres membres de la société intéressés à repousser l’agression, pouvons contribuer financièrement ou personnellement à la cause de Jones.

Mais Jones et ses hommes n’ont pas le droit, pas plus que Smith, d’agresser qui que ce soit au cours de leur « guerre juste » : voler la propriété d’autrui afin de financer leur poursuite, enrôler d’autres dans leur groupe en utilisant de violence, ou de tuer d’autres personnes au cours de leur lutte pour capturer les forces Smith.

Si Jones et ses hommes commettent l’une de ces choses, ils deviennent des criminels au même titre que Smith, et eux aussi sont soumis aux sanctions imposées contre la criminalité. En fait, si le crime de Smith était un vol, et Jones devrait recourir à la conscription pour l’attraper, ou devrait tuer des innocents dans sa poursuite, alors Jones devient plus un criminel que Smith, car des crimes contre autrui tels que l’esclavage et le meurtre sont sûrement bien pires que le vol.

Supposons que Jones, au cours de sa « juste guerre » contre les ravages de Smith, tue des innocents ; et supposons qu’il déclame, pour défendre ce meurtre, qu’il agissait simplement selon le slogan : « donnez-moi la liberté ou donnez-moi la mort ». L’absurdité de cette « défense » devrait être évidente d’emblée, car la question n’est pas de savoir si Jones était prêt à risquer la mort personnellement dans sa lutte défensive contre Smith ; la question est de savoir s’il était prêt à tuer d’autres innocents pour poursuivre son objectif légitime. Car Jones agissait en réalité selon le slogan totalement indéfendable : « Donnez-moi la liberté ou donnez-leur la mort » – un cri de guerre sûrement bien moins noble.

 

Sur la guerre nucléaire

Murray Rothbard soutient ensuite que, parce qu’on ne peut jamais nuire à des innocents, la guerre nucléaire est toujours une mauvaise chose, car il n’existe aucun moyen de limiter les dégâts causés par ces armes à des cibles légitimes.

Il expose ce point sans équivoque :

 

« On a souvent soutenu, et en particulier par les conservateurs, que le développement des horribles armes modernes de meurtre de masse (armes nucléaires, roquettes, guerre bactériologique, etc.) n’est qu’une différence de degré plutôt que de nature par rapport aux armes plus simples d’un époque antérieure. Bien sûr, une réponse à cette question est que lorsque le degré est le nombre de vies humaines, la différence est très grande. Mais une réponse particulièrement libertarienne est que si l’arc et les flèches, et même le fusil, peuvent être localisés, si on le veut, contre de véritables criminels, les armes nucléaires modernes ne le peuvent pas. Voici une différence de nature cruciale. Bien sûr, l’arc et les flèches pourraient être utilisés à des fins agressives, mais ils pourraient également être utilisés uniquement contre les agresseurs. Les armes nucléaires, même les bombes aériennes « classiques », ne peuvent pas l’être. Ces armes sont ipso facto des moteurs de destruction massive aveugle. (la seule exception serait le cas extrêmement rare où une masse de personnes, toutes criminelles, habitaient une vaste zone géographique.) Nous devons donc conclure que l’utilisation d’armes nucléaires ou similaires, ou la menace de celle-ci, constitue un crime contre l’humanité pour laquelle il ne peut y avoir aucune justification. C’est pourquoi le vieux cliché selon lequel ce ne sont pas les armes mais la volonté de les utiliser qui est important pour juger des questions de guerre et de paix n’est plus utilisé. Car c’est précisément la caractéristique des armes modernes qu’elles ne peuvent pas être utilisées de manière sélective, ni de manière libertarienne. Leur existence même doit donc être condamnée, et le désarmement nucléaire devient un bien à poursuivre en soi. En effet, parmi tous les aspects de la liberté, ce désarmement devient le bien politique le plus élevé que l’on puisse poursuivre dans le monde moderne. Car tout comme le meurtre est un crime plus odieux contre un autre homme que le vol, le meurtre de masse – en fait le meurtre si répandu qu’il menace la civilisation humaine et la survie humaine elle-même – est le pire crime qu’un homme puisse commettre. Et ce crime n’est désormais que trop possible. Ou bien les libertariens vont-ils s’indigner à juste titre du contrôle des prix ou de l’impôt sur le revenu, tout en haussant les épaules, voire en défendant positivement le crime ultime de meurtre de masse ?

Vous pouvez retrouver cet article en anglais sur le site de Mises Institut

Adoption de la vidéosurveillance algorithmique : un danger sur les libertés

Le 23 mars 2023, l’Assemblée nationale approuvait l’article 7 du projet de loi olympique, qui se fixait entre autres buts d’analyser les images captées par des caméras ou des drones, pour détecter automatiquement les faits et gestes potentiellement à risques.

Pour être plus précis, l’article adopté prévoyait « l’utilisation, à titre expérimental, de caméras dont les images seront analysées en temps réel par l’IA. Ces caméras pourront détecter, en direct, des événements prédéterminés susceptibles de présenter ou de révéler des actes de violence, des vols, mais aussi de surveiller des comportements susceptibles d’être qualifiés de terroristes. »

Un article extrêmement controversé.

 

De la vidéosurveillance algorithmique

Il existe de nombreuses solutions technologiques permettant d’analyser et d’exploiter les données vidéo pour des applications de sécurité, de surveillance et d’optimisation opérationnelle. La vidéosurveillance algorithmique (VSA) est ainsi conçue pour extraire des informations significatives à partir de grandes quantités de données vidéo.

Ces solutions offrent des fonctionnalités telles que : la recherche vidéo avancée, la détection d’événements, l’analyse des comportements, et d’autres outils permettant aux utilisateurs de tirer des insights exploitables à partir de leurs systèmes de vidéosurveillance…

Comme l’indique sur son site la Société BriefCam, évoquant l’une de ses solutions VSA :

« Vidéo synopsis » : « La fusion unique des solutions VIDEO SYNOPSIS® et Deep Learning permet un examen et une recherche rapides des vidéos, la reconnaissance des visages, l’alerte en temps réel et des aperçus vidéo quantitatifs. »

Dans le cadre des JO 2024, de nombreux groupes étaient alors dans l’attente de la promulgation de cette loi pour se positionner, des groupes connus comme Thales et Idemia, et d’autres moins connus, comme XXII, Neuroo, Datakalab, Two-I ou Evitech. Il ne faut pas oublier que dans la fuite en avant du capitalisme de la surveillance (de masse), outre la sécurité promise de façon récurrente, pour ne pas dire fantasmée, des lobbys font pression et il y a des enjeux financiers. En 2022 « l’État projetait ainsi d’investir près de 50 millions d’euros pour les caméras de vidéoprotection, ce qui correspond à 15 000 nouvelles caméras ». En mai 2023, l’appel d’offres était lancé  par le ministère de l’Intérieur.

 

La VSA, une technologie très controversée et des lois expérimentales ?

L’usage de la Vidéo Surveillance Algorithmique censée détecter automatiquement, via une intelligence artificielle, un comportement « dangereux ou suspect », a suscité la réaction de nombreux défenseurs des libertés publiques et d’experts en tout genre. Les arguments sont multiples :

  • La VSA n’est pas infaillible et peut commettre des erreurs liées à des biais algorithmiques.
  • Les agences gouvernementales qui déploient des systèmes de VSA peuvent tout à fait ne pas divulguer pleinement la manière dont les technologies sont utilisées.
  • Aux problèmes du manque de transparence (qu’est-ce qu’un comportement suspect ?), viennent s’ajouter des « difficultés » liées à la vie privée, la discrimination, la surveillance de masse et à d’autres implications éthiques…
  • Par-delà le cadre officiel supposé cadrer son usage (cf. La publication fin août 2023 au Journal officiel du décret fixant les conditions de mise en œuvre) cette expérimentation sera possible jusqu’en 2025.

 

La vidéosurveillance change de nature, franchit un nouveau cap attentatoire aux libertés publiques. Elle nie une fois de plus toutes les études démontrant qu’elle est une sécurité fantasmée qui a été vendue aux citoyens. Il ne faut pas perdre de vue que le capitalisme de la surveillance est avant tout un véritable business fondé sur la peur.

Combien de fois faudra-t-il répéter (réécrire) que c’est un misérable leurre ?

Même une étude commanditée par la gendarmerie nationale conclut « à un apport très marginal de la vidéosurveillance dans la résolution des enquêtes judiciaires, mais aussi dans la dissuasion ».

De telles études ne sont pas médiatisées : « There’s no business like fear business ».

Et c’est ainsi qu’une surveillance de masse de plus en plus inacceptable poursuit sereinement son chemin… offrant aux pouvoirs s’autoproclamant démocratiques des outils terrifiants s’ils sont un jour dévoyés.

Pour autant, le mercredi 12 avril 2023, le Sénat adoptait définitivement la « LOI n° 2023-380 du 19 mai 2023 relative aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 et portant diverses diverses autres dispositions » !

Et le 24 mai 2023, par-delà les alertes de nombreux acteurs, comme la Quadrature du Net, et la saisie du Conseil constitutionnel par plus d’une soixantaine de députés, la vidéosurveillance intelligente aux JO était déclarée conforme à la Constitution. Cette validation figure désormais dans l’article 10 de la Loi relative aux jeux olympiques et paralympiques de 2024, autorisant à titre expérimental l’utilisation de la vidéosurveillance intelligente, notamment au moyen de drones. (cf. LOI n° 2023-380 du 19 mai 2023 relative aux jeux olympiques et paralympiques de 2024 et portant diverses autres dispositions)… : Chapitre III … (Articles 9 à 19) NDLA.

L’histoire de cette loi et de cet article très polémique n’est peut-être pas encore finie… En effet cette décision pourrait ne pas être en conformité avec le futur « Artificial Intelligence Act », en cours de discussion au Parlement européen.

 

Déploiement de systèmes de reconnaissance faciale depuis 2015 ? Vers un scandale d’État ?

La Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) a annoncé le 15 novembre 2023 engager « une procédure de contrôle vis-à-vis du ministère de l’Intérieur suite à la publication d’une enquête journalistique informant d’une possible utilisation par la police nationale d’un logiciel de vidéosurveillance édité par Briefcam et de fonctionnalités de ses solutions strictement interdites sur le territoire français : la reconnaissance faciale ».

Le 20 novembre 2023, réagissant à la publication d’informations du site d’investigation Disclose qui  affirme s’être appuyée sur des documents internes de la police, a révélé – sans conditionnel – l’usage par ces derniers d’un système de vidéosurveillance dit « intelligent » répondant au nom de « vidéo synopsis » depuis… 2015.

Du côté de la place Beauvau, s’il n’y a pas eu de démenti formel, quelques jours plus tard, pour donner suite aux révélations de Disclose, le 20 novembre 2023 le ministre de l’Intérieur déclarait sur France 5 avoir lancé une enquête administrative. Ce dernier a par ailleurs déclaré à Ouest-France « qu’un rapport avait été réclamé aux directeurs de l’administration pour qu’on lui confirme l’absence de reconnaissance faciale couplée à la vidéoprotection.

Notons que si Gérald Darmanin a toujours prôné l’usage de systèmes VSA comme outil de surveillance… il a toujours affirmé être opposé à la reconnaissance faciale !

Il avait ainsi déclaré en 2022 devant le Sénat :

« Je ne suis pas pour la reconnaissance faciale, un outil qui relève d’un choix de société et qui comporte une part de risque » et d’ajouter : « car je crois que nous n’avons pas les moyens de garantir que cet outil ne sera pas utilisé contre les citoyens sous un autre régime ».

Après avoir voulu intégrer la VSA dans la loi Sécurité Globale, puis dans la LOPMI, sans y parvenir, les JO 2024 ont été un nouveau prétexte… Et le pouvoir en place est arrivé à ses fins. Sans revenir sur les éléments que j’ai pu évoquer, sur l’efficacité discutable d’une surveillance de masse qui ne cesse de s’accroître en changeant de nature avec l’arrivée du VSA, et qui, pour reprendre les propos du ministre, comprend également une part de risque pour les citoyens, il ne faudrait pas oublier que :

« La VSA et la reconnaissance faciale reposent sur les mêmes algorithmes d’analyse d’images et de surveillance biométrique. La seule différence est que la première isole et reconnaît des corps, des mouvements ou des objets, lorsque la seconde détecte un visage ».

Quant à la part de risque qu’évoque le ministre, si l’affaire soulevée par Disclose est avérée, usage de fonctionnalité prohibée par des serviteurs de l’État dont les valeurs sont de « faire preuve de loyauté envers les institutions républicaines et être garant de l’ordre et de la paix publics »… ?

 

Et si c’était vrai…

La situation du ministre de l’Intérieur est dans cette affaire pour le moins extrêmement délicate.

En tant que « premier flic de France » comme il aime à se définir, en reprenant – pour l’anecdote – Clemenceau – le Premier ministre de l’Intérieur à s’être qualifié ainsi – il serait pour le moins dérangeant, pour ne pas dire grave, que les affirmations de Disclose soient confirmées, et que ces faits se soient déroulés dans son dos. Cela acterait un dysfonctionnement majeur et inacceptable place Beauveau, puisque ne garantissant plus un fonctionnement démocratique dont il est le garant. Ce scénario serait grave, et il serait encore plus terrible que l’enquête démontre que le ministre, contrairement à ses allégations, en ait été informé.

À ce jour une enquête administrative, lancée par ce dernier est en cours.

Pour rappel, ce type d’enquête « vise à établir la matérialité de faits et de circonstances des signalements reçus et ainsi dresser un rapport d’enquête restituant les éléments matériels collectés auprès de l’ensemble des protagonistes. Sur la base de ces éléments, la collectivité décide des suites à donner au signalement ».

Dans le même temps, le groupe LFI a indiqué le 21 novembre être en train de saisir la justice au titre de l’article 40 du Code de procédure pénale et a réclamé une commission d’enquête parlementaire sur le « scandale de la reconnaissance faciale » ! Enfin, La CNIL, autorité indépendante gardienne de la vie privée des Français, a annoncé le 22 novembre le lancement d’une procédure de contrôle visant le ministère de l’Intérieur.

Au milieu de cette effervescence et de cet émoi légitime, que cela soit le ministère de l’intérieur, une partie de l’opposition, la CNIL… chacun est dans son rôle !

La sagesse est donc de patienter. Toutefois, il me semble que la seule porte de sortie du ministère dans la tourmente soit que les faits reportés soient faux ou au moins pire, extrêmement marginaux. Il serait fâcheux pour notre démocratie et pour reprendre les propos du ministre que « cet outil (sa fonctionnalité de reconnaissance faciale) ait été utilisé contre les citoyens ».

Ce serait encore plus dramatique si la reconnaissance faciale avait été utilisée en connaissance et avec l’aval des plus hautes instances. Alors se poserait une effroyable question – pour reprendre à nouveau les propos du ministre de l’Intérieur –  « aurions-nous changé de régime ? ».

Guillaume Meurice convoqué par la police : et la liberté d’expression dans tout ça ?

La société française est malade. Elle souffre d’un mal insidieux dont les symptômes se laissent à peine voir. Ils sont pourtant bien-là et ces derniers jours, deux « polémiques » s’en sont fait l’écho.

C’est Guillaume Meurice, d’abord, convoqué par la police pour « provocation à la haine » après une blague de mauvais goût dans lequel l’humoriste avait comparé, au micro de France Inter, Benyamin Nétanyahou (Premier ministre israélien) à un « nazi sans prépuce ». C’est ensuite le rappeur Freeze Corleone, qui a vu son concert annulé par la préfecture de police, au prétexte que ses références antisémites et complotistes feraient planer des risques « sérieux » de trouble à l’ordre public.

Cette judiciarisation à outrance de la vie sociale, culturelle et politique témoigne d’une France fracturée et pétrifiée par une sensibilité maladive. Certes, les idées ici incriminées sont absolument condamnables. Mais cette condamnation doit se faire dans l’arène du débat d’idée plutôt que dans un tribunal.

Cette paralysie du débat démocratique devrait alerter infiniment plus qu’une blague de mauvais goût. Avons-nous atteint un tel niveau de fragilité ? Sommes-nous à ce point incapables d’accepter la contradiction, de supporter l’expression d’une idée que l’on juge en tout point détestable, voire choquante ? Il n’y a plus vil poison, pour une démocratie, que l’idée fallacieuse selon laquelle les mots pourraient heurter, et que de la parole à l’acte, il n’y aurait qu’un pas.

C’est justement en déplaçant la violence dans le monde des idées et de la parole que les institutions démocratiques sont parvenues à pacifier nos sociétés ! Croire une seule seconde qu’interdire l’expression d’idées bêtes, haineuses ou dangereuses, suffira à les faire disparaître est d’une naïveté confondante. De plus, ces institutions démocratiques ont besoin d’un socle sans lequel elles ne peuvent se maintenir : un corps social imprégné d’un esprit démocratique et libéral, acceptant que la diversité et la différence impliquent l’acceptation de l’expression d’idées choquantes et/ou stupides.

Que l’on puisse être convoqué par la police pour une blague de mauvais goût serait ironique, si ce n’était pas le symbole d’une crise profonde de la liberté en France. Du professeur qui s’auto-censure au citoyen juif qui cache sa kippa, en passant par l’humoriste ayant besoin de consulter un avocat avant de faire une blague, ce sont autant de phénomènes qui renseignent du niveau d’intolérance qui règne dans notre pays. L’ultra susceptibilité mène inévitablement à la limitation de la liberté d’expression.

Du reste, faut-il rappeler, encore et toujours, que la liberté d’expression ne s’arrête pas à la simple sauvegarde de sa propre liberté ? Se battre pour la liberté d’expression, c’est avant tout se battre pour la liberté de ses adversaires politiques, et ainsi défendre leur droit de dire des choses qui nous déplaisent et nous choquent.

C’est parce que je déteste les idées de Guillaume Meurice et de Freeze Corleone que je veux qu’ils puissent les exprimer sans être inquiétés, que ce soit par la main du pouvoir politique ou, plus insidieusement, par la pression sociale. Parce que les libertés sont solidaires les unes des autres, leur liberté est la seule véritable garantie de ma liberté.

Laissons-les s’exprimer, nous aurons tout le loisir de les réfuter.

[Compte rendu] Le 12e week-end de la Liberté (2/3)

Après une si riche première demi-journée, le public, particulièrement nombreux, était plus désireux que jamais d’approfondir les débats sur « Liberté économique, liberté politique », thème du congrès.

Il me revenait d’ouvrir cette matinée d’un jour, spécial entre tous, puisqu’il concentre à lui seul les folies des hommes de l’État qui s’arrogent le droit de réquisitionner nos enfants pour les faire massacrer dans des guerres inutiles, hic et nunc, fruits de la folie de trois empereurs et d’un républicain inutilement agressif. Comme il y a une dimension particulière de la justice, les trois empires y périrent, laissant la place libre pour le triomphe du diable constructiviste (car il s’agit du même) : le communisme et le national-socialisme !

Il me revenait sous le titre « Le libéralisme : pourquoi tant de haine ? » de résumer mon ouvrage de mars 2023 Le libéralisme : autopsie d’une incompréhension.

Outre l’inélégance de parler de soi, Sylvain Trifillio en a fait une recension disponible sur Contrepoints. On se contentera d’indiquer que le Tome 2, déjà écrit de cette trilogie paraîtra en mars 2024 sous le titre Le libéralisme : Prélude et fragments d’une reconsidération. Le dernier volume, également déjà terminé, sera publié en mars 2025 sous le titre Le libéralisme : matériaux pour une reconstruction. Cette trilogie sera forte alors de 7 à 800 pages. Elle sera suivie en mars 2026 de l’ouvrage Daniel et Michel Villey ou l’honneur de l’université.

 

La liberté politique parmi tant de définitions de liberté

Finn Andreen clôturait la matinée dans une conférence aussi riche en références qu’élégante en sa présentation. Le titre en était : « La liberté politique parmi tant de définitions de liberté ».

Suédois de naissance, c’est dans une langue d’une grande pureté et finesse que ce libertarien revendiqué, et tout en nuances, s’est exprimé. La présentation qui suit se veut fidèle, mais inévitablement elle appauvrit la richesse exubérante et foisonnante qui nous a fait passer avec virtuosité d’un auteur l’autre, d’un courant l’autre, d’un concept l’autre.

 

« La question de la liberté est fondamentale en philosophie politique. Il est même possible de dire que c’est le concept de liberté qui définit la philosophie politique. Pourtant, un examen de ce concept montre qu’il n’a pas été clairement défini. Le professeur de droit Bruno Leoni écrivit que « au cours des siècles, de nombreuses définitions de la liberté ont été données, dont certaines pourraient être considérées comme incompatibles avec d’autres ».

Bien sûr, cette diversité de définition reflète la nature plurielle de la condition humaine.

Cependant, cela signifie également que des échanges intelligibles et constructifs en politique ne peuvent difficilement avoir lieu que s’il y a un accord sur la définition de la liberté. Cela équivaut à faire une restriction de cette définition afin de dissiper la confusion sémantique qui l’entoure.

À son tour, cela implique que de nombreuses définitions du mot liberté devraient être écartées. En revoyant les définitions les plus célèbres de liberté, comme celle de Locke, Rousseau, Hegel, Mill, Bastiat, Hayek et Rothbard, il est notable que certaines de ces définitions sont peu précises, ou inadaptées a la question politique.

Ensuite, la définition de la liberté peut progressivement être restreinte afin d’aboutir à une définition qui soit logiquement valable d’un point de vue politique.

Ce processus consiste d’abord à considérer la liberté au niveau individuel, et pas au niveau collectif, car l’individu est la plus petite unité de conscience, et une approche collective ne peut donc être universelle. Ensuite, il faut considérer la liberté « négative » plutôt que la liberté « positive » d’avoir la possibilité d’agir ; cela est plutôt l’« opportunité » individuelle, avec son élément subjectif, personnel.

En effet, la liberté politique devrait être définie, par conséquent, comme l’absence de coercitions externes, et pas une absence de coercitions internes. Ces dernières relèvent davantage du domaine de la psychologie que de la science politique. Enfin, parmi les coercitions externes possibles, deux d’entre elles sont naturelles, à savoir les contraintes « sociales » et « physiques » sur l’individu, tandis que les coercitions « politiques » peuvent être qualifiées d’artificielles. Un individu en société est toujours contraint par des facteurs physiques et sociaux. Il n’y a, en effet, peu d’intérêt pour les concepts politiques qui, par définition, sont toujours réalisés dans la société, ni d’ailleurs pour ceux qui ne peuvent jamais y être réalisés.

Cette restriction de la définition de liberté conduit donc à la conclusion que la liberté politique devrait être définie dans la tradition libertarienne, c’est-à-dire comme l’absence de coercition de l’État. Une réduction de liberté, dans cette définition, équivaut donc à une augmentation de la coercition de l’État, et vice versa. »

 

La liberté économique, condition de la liberté éducative

L’après-midi s’ouvrait sur l’attendue conférence de Lisa Kamen-Hirsig : « La liberté économique, condition de la liberté éducative ».

En un ouvrage La grande garderie (2023, Albin Michel), la professeure des Écoles est devenue un phénomène médiatique, de RTL à Europe 1, du journal Le Point au journal Le Figaro, de Marianne à CNews, de Contrepoints à Atlantico, et jusqu’à BFM.

Très bon baromètre pour elle : sous le titre qui se veut fielleux , « Institutrice en réaction », Le Monde a bien humé le danger. La force du propos de l’auteur, c’est une connaissance parfaite des faits, accordée avec une perception aiguë des enjeux, adossée à un bon sens à ébranler même un pédagogue soixante-huitard prétentieux et boursouflé, le tout exprimé dans un style simple, précis, efficace et « les mots pour le dire arrivent aisément ».

Synthétisons son propos.

 

« Que font alors ces 12 millions d’élèves qui fréquentent une école qui n’instruit plus, comment occuper leur temps de classe ? On peut dire, sans exagérer, qu’ils sont les cobayes d’une entreprise de rééducation nationale : « pour une école de l’engagement », « fabriquer des citoyens », « éduquer aux valeurs de la République ». Voilà ce que les programmes proposent aujourd’hui. On précipite tous les petits Français dès l’âge de trois ans dans une vaste garderie dont l’objectif n’est pas de les instruire mais de les rendre conformes à des valeurs qu’elle estime nécessaires à la vie en société : écologie, féminisme, antiracisme, égalitarisme, éducation sexuelle…

La détresse des élèves y est palpable : harcelés, harceleurs, phobiques, décrocheurs sont légion.

Il faut sauver nos enfants. Ils appellent à l’aide. Notre école a pourtant longtemps délivré une instruction de qualité et permis à de nombreux Français modestes de sortir de leur condition. Alors comment « ramener la coupe à la maison » pour prendre une métaphore footballistique ? Comment redonner du souffle au système ? Les propositions politiques sur ce sujet sont généralement très jacobines : une école encore plus centralisée, repeinte en école de la Troisième République. Quelle étrange idée de répondre à l’échec d’un système par le renforcement de ce système. Il faut au contraire ouvrir l’école à la concurrence et faire sauter ce monopole légal ainsi que ses corollaires : carte scolaire, statut de fonctionnaire des professeurs et formation des enseignants par l’État.

Dans un récent sondage de l’IFOP, 56 % des Français se déclarent pour la suppression pure et simple de la carte scolaire et pour la prise en charge par l’État des écoles privées. En d’autres mots, ils souhaitent que l’argent public, leur argent, suive les choix privés, leurs choix. Tiens tiens… Défiscalisation des écoles libres, chèque scolarité, écoles à chartes, retour à un régime de déclaration de l’instruction en famille, relèvement de l’âge de scolarité obligatoire, mise en place d’une réelle subsidiarité comme en Estonie ou en Finlande où les chefs d’établissement sont libres de leurs recrutements et de leurs choix budgétaires…

On le voit : les solutions sont nombreuses et peuvent être expérimentées à des échelles restreintes pour prouver leur efficacité et ajuster les modalités de leur mise en œuvre : une commune ou encore un type de public.

Les handicapés par exemple, ne croient plus au dogme de l’école inclusive et sont nombreux à regretter de ne pouvoir intégrer des établissements spécialisés pour des raisons financières.

La création d’un chèque scolarité correspondant au coût moyen d’un élève dans le public leur permettrait ce choix. Qui peut dire qu’il ne sera jamais confronté à l’inadaptation de son enfant à l’école unique de la République ? Quoi qu’il en soit, on ne peut s’attendre à ce que l’État renonce à ses pouvoirs. La solution viendra d’en bas. Il faut tout faire pour favoriser les initiatives privées, dans le respect de l’ordre public bien sûr, pour que nos enfants puissent bénéficier des résultats d’une saine concurrence entre établissements dont les résultats seront publics et transparents. Les élèves ne doivent pas être au service de l’État, mais bien l’État au service des élèves. »

 

Les entreprises privées portent et incarnent des visions du monde concurrentes

Olivier Méresse lui succédait. Il connaît admirablement l’univers de l’entreprise, et a succédé avec succès, beau challenge, à Jacques Garello pour animer « Le Libre Journal des Économistes » sur Radio-Courtoisie.

Sa conférence était tout simplement passionnante, riche, foisonnante, alternant avec bonheur réflexions théoriques illustrées d’exemples convaincants.

Son intervention avait pour thème : « Les entreprises privées portent et incarnent des visions du monde concurrentes ».

 

« Les firmes les plus connues – souvent les plus innovantes – existent à travers des approches conceptuelles particulières, des « visions du monde », qu’elles proposent à leurs clientèles dans l’espoir d’en rencontrer l’adhésion.

Ces visions du monde coexistent, comme on peut le voir avec les firmes Nintendo, Sony et Microsoft, concurrentes sur le marché des consoles de jeux, et pourtant fidèles à leurs passés respectifs de fabricant de jouets, de concepteur d’électroménager brun et d’informaticien. Certaines visions l’emportent parfois sur d’autres : IBM et son informatique centralisatrice pour spécialistes a, par exemple, cédé le pas aux micro-ordinateurs ouverts et grand public d’Apple.

La confrontation de ces approches conceptuelles est toujours fertile : elle façonne notre présent et façonnera notre avenir de manière bien plus appréciable que ne le font ou le feront nos dirigeants politiques.

Nous assistons malheureusement à un appauvrissement de ces approches conceptuelles, car toutes les entreprises sacrifient désormais aux mêmes dieux : sauver le climat et favoriser les minorités dites opprimées. C’est à qui fera le plus étalage de ses vertus. Nouvelles visions du monde faisant de nous des machines à vivre confraternelles consommant une nourriture zéro carbone dans des logements à isolation thermique bien normée, desservis par des mobilités douces… « Faire le bien » (comme « faire de l’argent ») exige d’abord de se rendre utile, et les entreprises n’ont pas attendu le XXIe siècle pour ça.

Quant à la pollution, elle est généralement la conséquence d’un mépris des droits de propriété légitimes.

La législation française en matière de RSE (Responsabilité Sociale des Entreprises) est très contraignante. Bientôt, la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) des commissaires européens obligera cinq fois plus de nos entreprises à surveiller plus de 500 indicateurs de consommation, de gouvernance, d’égalité femmes-hommes, etc. Les entreprises de taille intermédiaire ou les entreprises familiales qui pèsent localement (Auchan, Hermès, Michelin, etc.), naturellement plus méfiantes à l’endroit du pouvoir central, pourraient faire entendre une voix différente, mais elles sont peu nombreuses chez nous, l’État français leur ayant toujours préféré les très grandes entreprises bénéficiaires de contrats publics et de législations sur mesure. »

 

L’entreprise française souffre d’un manque de liberté

Claude Goudron lui succédait. L’homme a de la faconde à revendre. Chef d’entreprise jusqu’à sa retraite, il témoigne avec fougue de sa vie avec les administrations. Ah si Alfred Jarry (le père Ubu) avait connu l’URSSAF… Auteur très prolifique, ses conclusions s’articulent sur trois constats.

 

« Relations avec l’administration : elles sont trop souvent conflictuelles et celle-ci est généralement suspicieuse, ne nous fait jamais confiance et demande justification sur justification, même pour des situations banales. Contrairement à ce qu’a affirmé notre président, l’Urssaf n’est pas mon amie et je le prouve avec mon dernier livre Mon ennemie l’Urssaf, on se situe entre Kafka et Ubu !

Dans la « privation » de liberté on peut également mettre celle de disposer d’un environnement fiscal qui soit compatible avec une concurrence loyale entre pays de l’UE. Malheureusement, il y a un tel écart avec nos « compétiteurs » en ce qui concerne les charges sociales qui, à l’extrême pour un salaire de cadre de 8000 euros, sont trois fois supérieures à celles payées en Allemagne.

Il y a également une taxation supérieure estimée à 150 milliards de plus pour nos entreprises par rapport à leur équivalent allemand et, pour les seuls impôts dits de production, François Ecalle, dans sa dernière note du 8 novembre 2023, nous apprend qu’ils atteignent 4,7 % du PIB dans notre pays contre seulement 1 % pour l’Allemagne !

Viennent également s’ajouter le fait que nos lois, et notre moindre goût pour le travail, ont pour résultat qu’un Français, dans toute sa carrière, travaille 30 % de moins que son collègue allemand (accès à un emploi plus tardif, temps de travail annuel, congés, départ en retraite mais également RTT, arrêts maladies, grèves, etc.).

Ajoutez à cette situation le fait que notre productivité a baissé de 5 % depuis le covid, nous avons vu notre industrie s’écrouler et passée de 23 % du PIB il y a une vingtaine d’années à moins de 10 % à ce jour.

En conclusion, aucune réindustrialisation de notre pays ne sera possible sans une baisse drastique et immédiate des contraintes financières imposées à nos entreprises mais également accompagnée d’une moindre implication administrative qui a créé 400 000 normes et décrets, quand notre voisin s’est limité à 80 000. »

 

Le message de Frédéric Bastiat

Avant le dîner débat animé par Kevin Brookes sur le thème : « Pourquoi nous avons besoin de liberté économique », le professeur Jacques Garello, référence de nombre des présents, a tenu à rappeler, le talent oratoire intact au fil des décennies, les quatre significations réelles, et extraordinairement actuelles, du message de Frédéric Bastiat.

 

« Il n’a aucun esprit partisan : il n’est ni de droite ni de gauche, député il vote tantôt d’un côté tantôt de l’autre, ce qui importe c’est le choix entre libéralisme et socialisme (il dit « économie et socialisme » car économie signifie pour lui libéralisme).

Il est mondialiste, il est ouvert aux idées et aux institutions du monde entier, il a des liens étroits avec les Anglais, il lit The Globe, il se rend souvent à Londres, il fonde l’association pour le libre-échange avec les Anglais.

Il est concret, il applique les principes de la liberté aux problèmes d’actualité, chaque semaine, chaque jour il donne l’éclairage libéral sur ce qui se passe dans le monde économique, politique, culturel.

Il donne au libéralisme sa dimension la plus profonde, son libéralisme est anthropologique : la liberté est dans la nature de l’être humain, elle est nécessairement associée à la propriété et à la dignité personnelles. Ce que j’appelle le « carré de Bastiat » c’est liberté, responsabilité, propriété, dignité. Les quatre sont indissociables. La liberté n’est pas un objectif, c’est un chemin. C’est ce qui fait le trait d’union avec ce que nous appelons parfois « l’Occident », ou encore mieux « la civilisation ».

 

Pourquoi nous avons besoin de liberté économique

Kevin Brookes clôturait la journée, n’ayant aucune peine, alors que l’heure était fort avancée et que les travaux duraient depuis plus de dix heures, à tenir le public littéralement en haleine tant dans la forme que le fond.

On ne peut rendre compte en un court propos de la richesse de plusieurs dizaines de planches passionnantes. Docteur en Science politique, auteur d’une thèse remarquée, publiée en 2021, chez un prestigieux éditeur anglais, Kevin Brookes est réellement l’un des grands espoirs, parmi les jeunes, de la galaxie libérale. Son propos était si riche qu’il faut encourager à le lire dans les actes à venir.

Nous nous contenterons infra d’une courte synthèse.

 

« La liberté économique est, au mieux vilipendée et caricaturée, au pire ignorée, l’économique étant jugé accessoire à côté des enjeux culturels qui dominent l’actualité.

Elle est pourtant essentielle. Elle peut se définir comme la capacité pour les individus d’échanger volontairement avec d’autres personnes sans que leur activité soit contrainte par un individu ou une organisation extérieure. Sa condition institutionnelle de réalisation est l’économie de marché garantie par un État qui fait respecter le droit de propriété. Elle est relativement faible en France (47e rang mondial selon le Fraser Institute), notamment dans deux dimensions : la taille de l’État (dépenses publiques, fiscalité, etc.) et la réglementation. Elle n’est pas prête de s’améliorer, étant donnée la farandole de plans que propose le gouvernement actuel – pas loin d’une quinzaine depuis le début du quinquennat.

Pourtant, la liberté économique mérite d’être défendue pour deux raisons complémentaires.

La première est qu’elle est la condition de la préservation de l’autonomie des individus, c’est-à-dire leur capacité à mener leur vie comme ils l’entendent. Chaque intervention de l’État dans l’économie aboutit à une restriction de leur liberté de choix dans plusieurs domaines de leur vie quotidienne : occupation professionnelle, usage de leur temps, consommation, etc. Par exemple, une subvention publique conduit à privilégier un secteur d’activité au détriment d’un autre sans que les préférences des consommateurs ne soient respectées. Une taxe spécifique sur un produit contribue à dérégler le système de prix. C’est-à-dire la boussole qui reflète les besoins des consommateurs confrontés aux ressources disponibles.

La liberté économique est aussi une condition de la liberté politique, c’est-à-dire la capacité à exprimer librement ses opinions et désigner des représentants. Cette intuition de Friedrich Hayek et Milton Friedman a été testée de manière convaincante par des recherches qui ont établi une corrélation forte entre les deux. Dans une économie de libre marché chacun est indépendant financièrement du pouvoir politique et de ses prébendes et peut lever des fonds pour financer un journal ou une organisation défendant son opinion. Ce n’est pas le cas dans un régime socialiste.

La deuxième raison pour laquelle la liberté économique mérite d’être défendue est simple : elle maximise la prospérité économique et le bien-être. C’est ce que montrent les travaux d’histoire économique. L’institution du droit de propriété a été cruciale pour générer le « grand enrichissement » de l’Occident. Ce sont les pays qui ont choisi des institutions inclusives (basées sur l’État de droit, la division des pouvoirs et la propriété privée) qui sont les plus prospères.

Les conséquences sont multiples et consultables par tous sur le site « Our World In Data ». Les pays les plus libres sur le plan économique sont les plus riches, ceux où le bien-être est le plus important, les plus vertueux sur le plan environnemental, et ceux où les opportunités des femmes sont les plus importantes. »

Qu’est-ce qu’une Constitution libérale ?

La France se prépare à modifier sa Constitution, afin d’y inscrire que « la loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté de la femme, qui lui est garantie, d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse ».

Sans doute devons-nous savoir ce que nous faisons, nous qui avons conçu assez de Constitutions au cours de notre histoire pour en fournir au monde entier. Et pourtant, il semblerait bien que nous errions.

Ce n’est pas tant la question de l’avortement qui est en jeu : c’est l’idée même de Constitution, qui paraît singulièrement mal comprise et détournée de son but.

En son temps, Frédéric Bastiat s’était attaqué, dans l’un de ses plus fameux pamphlet, à « la loi pervertie… la loi non seulement détournée de son but, mais appliquée à poursuivre un but directement contraire » (La Loi, 1850, p. 3). Peut-être aujourd’hui faudrait-il écrire contre « la loi des lois pervertie… la loi des lois non seulement détournée de son but, mais appliquée à poursuivre un but directement contraire ».

Et l’indignation devrait être au centuple. Mais certainement en devrions-nous être peu surpris.

Car en France, nous avons toujours eu une conception très antilibérale de la loi. Le plus fidèle disciple de Bastiat disait en son temps que c’est parce que nous héritons des Romains, qui en tant que propriétaires d’esclaves, ne pouvaient à la fois reconnaître la liberté, et la violer, comme ils le faisaient (Œuvres d’Ernest Martineau, t. II, p. 61).

Voyez par exemple la propriété.

Le Code civil énonce :

« La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements ».

C’est-à-dire que la propriété n’existe pas ; c’est une concession, et par conséquent une fiction : l’État la restreint à sa guise, non seulement par des lois, mais par de simples règlements (Idem, t. I, p. 53 ; t. II, p. 365).

Il en va de même de nos grands principes constitutionnels.

« Tout citoyen peut parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ».

La Constitution américaine parle un tout autre langage : « Le Congrès ne fera aucune loi… qui restreigne la liberté de la parole ou de la presse ». Ce qui se révèle dans cette différence est une conception toute différente du rôle même d’une Constitution.

 

Une Constitution sert à restreindre le pouvoir de l’État

Si nous revenons aux auteurs, nous comprenons qu’une constitution est un acte politique essentiellement libéral.

Ce n’est pas pour célébrer les vertus d’un État divin qu’on la compose et qu’on l’enregistre, mais tout au contraire par défiance, et pour protéger les droits individuels (Œuvres complètes de Benjamin Constant, t. I, p. 502). Par conséquent, son langage et sa teneur doivent se ressentir de ce but : il faut y inscrire nettement les bornes du pouvoir, ses vraies attributions, et les droits politiques et individuels qu’on reconnaît et garantit ; mais il ne faut pas y ajouter des dispositions de détail, qui sortent de ce cadre (Idem, t. XIII, p. 514).

Ce fut la grande (et contribution de Benjamin Constant, comparé à la pensée libérale du XVIIIe siècle, que de reconnaître la nécessité des limites constitutionnelles. Les penseurs qui l’avaient précédé, physiocrates en tête, avaient été trop souvent complaisants pour le pouvoir, et avec la grande force qui s’agitait pour faire le mal, ils songeaient à se servir pour le bien. Une grande partie de son œuvre, et sans doute la meilleure, a servi pour guider ses contemporains sur d’autres voies.

 

Les bornes du pouvoir et la sphère de l’individu

Au XVIIIe siècle, les libéraux français étaient pour la plupart opposés au développement de ce qu’on appellerait la démocratie, c’est-à-dire à la participation politique du peuple.

Établi sur un tout autre théâtre, Benjamin Constant n’eut pas de mal à reconnaître que :

« La direction des affaires de tous appartient à tous ».

Mais c’était pour ajouter :

« Ce qui n’intéresse qu’une fraction doit être décidé par cette fraction. Ce qui n’a de rapport qu’avec l’individu, ne doit être soumis qu’à l’individu. On ne saurait trop répéter que la volonté générale n’est pas plus respectable que la volonté particulière lorsqu’elle sort de sa sphère. » (O. C., t. IV, p. 643)

C’était indiqué assez clairement, non seulement l’utilité de la décentralisation, mais des limites constitutionnelles. Car si le pouvoir n’a pas d’autorité, pas de légitimité pour se mêler de certaines affaires — la religion, l’éducation, l’industrie, par exemple — cela signifie que des actes qu’il accomplirait dans ce but, ne seraient pas légaux. « Il y a des actes que rien ne peut revêtir du caractère de loi », écrivait Constant (Idem, t. XV, p. 379). Et là est la fonction essentielle des Constitutions.

 

Ce qu’il faut encore, outre une Constitution libérale

Sans doute, les déclarations de droits sont de peu de valeur si le pouvoir n’est pas attaché à leur respect, et le peuple prêt à tenir le pouvoir comptable de ses engagements.

« Que les ministres cherchent à nous faire illusion pour leur propre compte, c’est leur métier, disait Constant. Le nôtre est de nous tenir sur nos gardes. » (O. C., t. XIII, p. 227)

Au-delà des limites constitutionnelles, il faut donc la surveillance publique, l’énergie d’une presse libre, et l’opinion entièrement acquise à la bonté des libertés individuelles. Autrement dit, il y aurait pour les libéraux un deuxième travail à accomplir quotidiennement, le premier fût-il achevé. Allons, courage !

La mort de l’internet ouvert : comment l’IA redéfinit notre monde numérique

L’Internet est mort, tout du moins est-il en voie de disparition, pour le meilleur et pour le pire.

Il est établi que des États ont opté pour le Splinternet. Ils ont en effet décidé de formater des intranets nationaux qui « n’altèrent » pas la saine pensée de leurs compatriotes, à l’instar de l’Iran, de la Russie, de la Chine… Si vous ne concevez pas la chose, imaginez dès lors – pour les utilisateurs de ces pays – un Internet partitionné comme le serait un disque dur ; un « Internet » entre les mains de dirigeants qui donnent accès aux ressources qu’ils considèrent comme acceptables.

Il va de soi que, fût-ce dans ces pays, des solutions existent pour contourner les interdictions, à l’instar des VPN qui, pour faire très simple, confèrent à votre ordinateur une autre géolocalisation que celle qui vous est attribuée par votre pays d’appartenance, mais elles sont bien évidemment proscrites. Notons que dans certains pays, cette interdiction ne concerne pas certains profils. En Chine par exemple, « le gouvernement a décrit de manière explicite quels profils sont autorisés à utiliser ce genre de service et dans quel but. »

 

Mort ou seulement mort-vivant ?

L’Internet originel tel qu’il a été pensé n’est plus !

Pour autant, il semblerait (et j’utilise à escient le conditionnel) encore temps pour les usagers en ayant la possibilité de réagir de façon massive pour – s’ils le souhaitent – arrêter de se faire tracer et redevenir les maîtres de leur Internet « accessible », non pas un Internet paupérisé et façonné par leurs requêtes.

Je parle ici naturellement d’avoir à nouveau un accès libre, total, et sans la moindre « coercition » de la partie émergée d’Internet et de sa partie immergée, le Darknet*. L’accès à cet Internet demeure sur le papier possible. Pour ce faire, l’utilisation de VPN, l’utilisation de navigateur anonymisant comme TOR, sont des solutions pour surfer sans être tracé et assailli de publicités et de recommandations… Anonyme pour autant ? Rien n’est moins sûr, c’est un a priori. C’est vrai d’une certaine façon, oui, nous pouvons recouvrer la liberté de surfer sur Internet sans être exposé à des contenus systématiquement conformes à nos attentes. Mais c’est devenu une liberté qui a un prix, nous y reviendrons.

 

L’Internet originel n’est plus, mais à qui la faute ?

L’Internet tel qu’il a été pensé n’est plus !

La vaste porte-fenêtre originelle ouverte sur le monde s’est, au fil du temps, progressivement étiolée puis refermée, jusqu’à devenir pour les plus chanceux un œil de bœuf. Je ne parle pas naturellement des usagers dont l’Internet s’est presque transformé, comme j’ai pu l’évoquer, en un intranet, ou, tout du moins un ersatz d’Internet, cf. le Splinternet.

Au demeurant, si j’affirme que l’Internet originel n’est plus, c’est qu’il s’est progressivement effacé, puis a disparu au profit d’un InternetIA de plus en plus sophistiqué, qui participe au Splinternet à sa façon et de manière plus insidieuse. Dès qu’un usager commence des requêtes sur un moteur, l’utilisation de l’IA sous couvert d’améliorer l’expérience client – ce qui est un fait mercantile – n’a eu de cesse de l’enfermer dans son monde plutôt que de lui permettre de… s’ouvrir sur le monde !

Mais à qui en incombe véritablement la responsabilité ? Il est certes des acteurs qui sont plus responsables que les autres : les États, les marchands ; mais nous autres usagers ne sommes pas non plus innocents, petit à petit à grand renfort d’algorithmes de « client side scanning », etc. nous sommes passés de l’Internet à « l’InternetIA » !

 

Qu’est-ce que l’InternetIA ?

L’internetIA tel que je le conçois est un Internet étriqué, un Internet rabougri, mais conforme aux attentes de chacun, un Internet nous enfermant, si nous n’y prenons garde, dans nos convictions, nos croyances… L’InternetIA, c’est une personnalisation de l’expérience jusqu’à l’outrance.

Sont concernés : les moteurs de recherche traditionnels, les sites web, les applications et les plateformes en ligne qui utilisent des algorithmes pour personnaliser l’expérience utilisateur. Ces algorithmes peuvent être basés sur vos préférences, vos habitudes de navigation, vos historiques d’achat et d’autres données. L’IA aide à analyser ces données en temps réel et à recommander le contenu qui vous conviendra, qu’il soit informationnel ou marchand.

 

Échapper au traçage, possible, oui, mais…

Dès qu’un utilisateur ouvre un moteur de recherche, il sera, de façon de plus en plus affinée en fonction de ses recherches, confronté à des publicités ciblées, des recommandations de contenu, des optimisations de recherches (vous n’êtes pas sans savoir que les moteurs de recherche utilisent des algorithmes d’IA pour comprendre l’intention de recherche des utilisateurs et leur fournir des résultats de recherche plus pertinents et précis), de l’assistance virtuelle (les assistants virtuels basés sur l’IA, tels que Siri, Alexa et Google Assistant, personnaliseront leurs réponses et leurs recommandations en fonction des habitudes et des préférences de l’utilisateur).

Mais aussi du Machine Learning et Apprentissage Automatique permettant aux systèmes en ligne d’apprendre des comportements passés des utilisateurs, et de s’ajuster en conséquence pour fournir une expérience davantage personnalisée. Tout ça ? Oui et naturellement, je ne suis pas exhaustif, alors naturellement tous les prestataires vous diront que c’est avec l’acceptation de l’usager. Toutefois, cette acceptation n’est, d’une part, pas toujours transparente par-delà les lois ; d’autre part, pour avoir accès à tous les services des prestataires, les usagers en mesurent-ils les conséquences ?

Je ne le pense pas.

 

Le pire est déjà là, et depuis « longtemps »…. Refuser d’être tracé… c’est être suspect

Si l’on s’en réfère à l’expérience qu’a mené la sociologue Janet Vertesi, professeur de sociologie à l’université de Princeton, aux États-Unis en 2014, ne pas être tracé à un prix : celui de la suspicion.

Cette sociologue, enceinte, a en effet voulu échapper au traçage de ses données afin de ne pas être exposée au matraquage publicitaire. Elle a donc mené une sorte de double vie, n’achetant rien qui puisse l’identifier sur les sites s’y prêtant, allant jusqu’à supprimer des messages et bannir de ses contacts un proche qui la félicitait… Nous sommes alors en 2014, mais déjà, c’est une attitude étrange qui n’a pas échappé à l’IA… « Comptant acheter une poussette à 500 dollars en cartes-cadeaux, elles-mêmes achetées sur Amazon, la sociologue a vu la transaction refusée par le site Rite Aid, tenu de signaler les transactions excessives aux autorités », peut-on lire dans un article du journal Le Point. La future maman s’est retrouvée sous surveillance policière !

Aussi, en lisant cet article, faites comme bon vous semble. Sachez que dans ce monde de l’enfermement, si vous refusez d’être tracé, vous serez « possiblement » considéré comme suspect. L’internet est de fait non seulement mort, mais depuis longtemps bien enterré.

« Un homme pur doit être libre et suspect. » Jean Cocteau

*Le darknet est une partie émergée qui n’intègre pas le Darknet. Pour rappel, malgré son nom et l’image qu’en donnent régulièrement les médias, le darknet n’a originellement pas été pensé pour la délinquance, mais bien au contraire pour ceux ayant la nécessité – pour des raisons essentiellement politique –  d’avoir recours à tous les outils et services traditionnels du net (création de site, messagerie etc ) en étant parfaitement anonymes.

« Les Soviétiques voulaient décapiter l’État lituanien » : conversation avec l’ambassadeur de Lituanie en France

Un article de Guillaume Gau, auteur du blog Chroniques occidentales et partenaire de Contrepoints.

Avec 65 000 km2 (deux fois la superficie de la Belgique) et 2,8 millions d’habitants, la Lituanie est à la fois le plus grand, le plus peuplé et le plus méridional des trois États baltes. Sa capitale est Vilnius et le pays partage des frontières avec la Lettonie au nord, la Biélorussie à l’est, la Pologne au sud et la Russie (enclave de Kaliningrad) à l’ouest. La population est majoritairement catholique, et les deux plus importantes communautés étrangères sont les Ukrainiens et les Biélorusses. L’économie du pays est tournée vers l’innovation : une des entreprises lituaniennes les plus connues est Vinted, l’application de revente de vêtements de seconde main qui compte 23 millions d’utilisateurs en France.

Le nom du pays apparaît pour la première fois en 1009. Le Grand-duché de Lituanie prend son essor à partir du XIIIe siècle. Il atteindra son apogée au XVe siècle où il fut l’État le plus grand d’Europe, s’étendant de la mer Baltique à la mer Noire : son territoire englobait la Lituanie actuelle et une grande partie de la Biélorussie, de l’Ukraine et de la Pologne.

Cet élément a son importance, nous y reviendrons.

Le pays a une tradition d’ouverture : au XIVe siècle, le grand-duc de Lituanie invite les artisans et commerçants d’Europe à s’installer à Vilnius et offre protection aux Juifs. La communauté juive lituanienne représentera 10 % de la population du pays et comptera parmi ses membres le célèbre peintre Marc Chagall et le philosophe Emmanuel Levinas. Au XVIe siècle, la Lituanie s’unit à la Pologne pour former la République des Deux Nations. À la fin du XVIIIe siècle, l’Empire russe annexe la Lituanie. Mise à part une période d’indépendance durant l’entre-deux-guerres, le pays ne retrouvera sa souveraineté qu’à la chute de l’URSS en 1990.

La Lituanie est membre de l’Union européenne depuis 2004, et l’euro est sa monnaie depuis 2015.

 

Ce qui distingue la Lituanie, c’est son volontarisme dans la défense des valeurs occidentales

Par exemple, le pays balte n’hésite pas à froisser la Chine en autorisant Taïwan à ouvrir un bureau de représentation à Vilnius en 2021.

Et malgré le boycott économique chinois, la Lituanie ne compte pas revenir sur sa décision. La Lituanie est également le deuxième pays au monde (derrière la riche Norvège) qui soutient le plus l’Ukraine proportionnellement à son PIB.

En complément, je vous recommande ce récent épisode de l’émission « Le Dessous des cartes » sur Arte : Pays Baltes, aux portes de la guerre.

Vue sur Vilnius, la capitale lituanienne

Guillaume Gau : Malgré sa taille modeste, la Lituanie est très active diplomatiquement et n’hésite pas à affronter des grandes autocraties. Y a-t-il des explications historiques à cet état d’esprit ?

Nerijus Aleksiejunas : Tout d’abord la Lituanie a une longue tradition étatique et diplomatique. Au XVe siècle, le Grand-duché de Lituanie était le plus grand État d’Europe : sa superficie représentait le double de la France actuelle. Nous avons un peu gardé cette mentalité de grand pays.

L’histoire récente explique aussi cette attitude. La fin de la Seconde Guerre mondiale n’a pas vraiment été synonyme de paix pour les Lituaniens : de 1940 à 1990, nous avons subi cinq décennies d’occupation soviétique. Jusqu’à la fin des années 1950, des résistants lituaniens luttaient contre l’envahisseur russe : on les appelaient les Frères de la forêt. Ils étaient traqués par le KGB et se réfugiaient dans les denses forêts baltes. Ce n’est qu’en 1990 que nous avons retrouvé notre indépendance. Nous savons que la liberté et la démocratie ne vont pas de soi : il faut se battre pour les préserver.

La Voie Balte : le 23 août 1989, deux millions d’Estoniens, de Lettons et de Lituaniens forment une chaîne humaine reliant les trois capitales des pays baltes pour demander leur indépendance de l’URSS (© Kusurija).

G.G : Vous êtes né en 1978, durant la période d’occupation soviétique. Concrètement, qu’est-ce que cela veut dire de grandir dans un pays sous une dictature communiste ?

N.A. : Ma famille a été meurtrie par l’oppression soviétique. À partir de 1940, les Soviétiques ont déporté des milliers de Lituaniens au goulag en Sibérie. Mon grand-père faisait partie de ceux-là : il n’est jamais revenu. Il a été déporté deux mois avant la naissance de son fils : mon père n’a jamais connu son père. Mon grand-père fut déporté car il était fonctionnaire : les Soviétiques voulaient décapiter l’État lituanien.

En plus de la répression politique, les Soviétiques essayaient d’effacer l’identité lituanienne en réécrivant l’histoire (le Grand-duché de Lituanie disparaissait de nos cours) et en faisant tout pour éradiquer le christianisme. Par exemple, Noël était un jour comme un autre, il n’était pas férié. Afficher sa pratique religieuse pouvait vous attirer des ennuis, il fallait être très discret. Mais notre histoire est ancienne et nos racines profondes : cinquante ans d’occupation soviétique n’ont pas suffi pour supprimer notre identité.

Au quotidien, c’était pénurie et corruption généralisée. Par exemple, nous avions droit à 1 kg de bananes par an et par personne. Je me souviens faire la queue durant des heures avec ma mère pour récupérer les précieuses bananes. Sous couvert d’idéologie égalitariste, les injustices étaient flagrantes : l’élite soviétique bénéficiait de privilèges et connaître quelqu’un de haut placé donnait des passe-droits.

« Notre histoire est ancienne et nos racines profondes : 50 ans d’occupation soviétique n’ont pas suffi pour supprimer notre identité ». Nerijus Aleksiejunas

Cette remarque de l’ambassadeur m’a fait penser à cette citation d’Alexandre Soljenitsyne, dissident soviétique et auteur de L’Archipel du goulag : « Afin de détruire un peuple, il faut d’abord détruire ses racines ».

 

G.G. : Vous êtes en poste depuis quatre ans en France, quel regard portez-vous sur notre pays ?

N.A. : J’aime la diversité géographique de votre pays. Mer, montagne, campagne : vous avez tout. J’aime aussi les différences entre vos régions. Et contrairement au cliché, je trouve que le pays n’est pas si centralisé que ça : vos métropoles régionales sont très dynamiques. Je me déplace beaucoup dans le pays, et je trouve que les Français sont très accueillants. Les Lituaniens apprécient aussi la culture et l’art de vivre français. Certains de vos grands auteurs ont un lien avec la Lituanie, comme Romain Gary qui est né à Vilnius.

Côté économie, vous avez un écosystème technologique très dynamique. Notre pays est aussi très tourné vers l’innovation et la France représente un marché important pour les start-up lituaniennes telles Vinted ou NordVPN. Enfin, la relation franco-lituanienne se porte bien. La Lituanie vient par exemple d’acheter 18 canons Caesar français pour renforcer son armée de Terre.

Ambassade de Lituanie à Paris © Ludo Segers

G.G. : Pourquoi la Lituanie soutient-elle si fortement l’Ukraine ?

N.A. : Il faut arrêter Poutine, sinon il continuera d’avancer. Il faut lui montrer qu’on ne cédera pas. Pour les Lituaniens, aider l’Ukraine c’est défendre l’Europe, la liberté et la démocratie. D’ailleurs, ce soutien ne vient pas que du gouvernement : c’est toute la société lituanienne qui se mobilise pour accueillir des familles ukrainiennes réfugiées ou envoyer des médicaments. Par exemple, une cagnotte citoyenne vient de récolter 14 millions d’euros pour acheter des radars militaires pour l’Ukraine.

Historiquement, nous avons également une relation très forte avec nos frères ukrainiens. Nos deux peuples sont très liés : l’Ukraine représentait une partie importante du territoire du Grand duché de Lituanie et les échanges culturels et économiques entre nos deux pays sont très forts depuis des siècles.

Vilnius (photo de © Krivinisn)

G.G : Pour finir, auriez-vous un livre lituanien à nous conseiller ?

N.A. : Je vous recommande la lecture de L’Impératrice de Pierre de Kristina Sabaliauskaite. L’écrivaine lituanienne raconte la vie de Marta Helena Skowronska, une lituanienne devenue Catherine 1re de Russie à la mort en 1725 de son mari le tsar Pierre le Grand (celui qui a fondé Saint-Petersbourg). C’est un roman historique qui permet de mieux connaître les différences entre l’Occident et le monde russe. Il y a aussi Haïkus de Sibérie, une BD de Jurga Vilé et Lina Itagaki sur la déportation des Lituaniens dans les goulags soviétiques. Cet ouvrage m’a touché car il parle du sort qu’a connu mon grand-père.

J’en profite également pour vous signaler que 2024 sera l’année de la Lituanie en France : des centaines d’évènements seront organisés à travers le pays pour faire découvrir notre culture et notre histoire aux Français.

 

G.G. : Merci pour cet entretien Monsieur l’ambassadeur !

N.A. : Ce fut un plaisir. Venez visiter notre pays, nous savons recevoir !

[Compte rendu] Le 12e week-end de la Liberté (1/3)

Les êtres humains sont ainsi faits qu’ils ont besoin dans leurs liturgies de tous ordres de certaines séquences qui se répètent comme des phares auxquels se rattacher, se retrouver et se reconnaître.

Le Week-End de La Liberté organisé par le cercle Frédéric Bastiat des Landes marque traditionnellement la rentrée des libéraux, de tous les libéraux, des vrais libéraux.

Le décor : un hôtel de Saint-Paul-lès-Dax, et nos travaux dans la salle Poseidon. Impossible de craindre les tempêtes accompagnées du dieu de la mer, et pour traverser les océans de La Liberté, voilà un guide sûr. D’autant plus que Poséidon était accompagné de deux de ses adjoints parmi les plus talentueux. L’organisation a été millimétrée. Il ne manquait pas un bouton de guêtre. Si la ligne Maginot eût été conçue par le docteur Patrick de Casanove, président du Cercle Bastiat, je doute que Guderian eût la partie si facile.

Et puis avec un barreur tel le professeur Jacques Garello, la navigation à travers des interventions très diverses autour du thème Liberté Politique-Liberté économique était assurée d’aller loin et profond. Sa fidélité à la boussole libérale nous valut de sa part quelques interventions viriles. Mais nous connaissons l’homme. Il tangente les 90 ans. L’esprit est toujours aussi vif et clair, son savoir immense. L’eau tiède n’est pas son affaire. La liturgie avons-nous dit. Au mois de juillet se clôture l’année intellectuelle à l’université d’été à Aix. À l’automne, c’est la rentrée avec le Cercle Bastiat.

Parmi les organisateurs, le gardien des traditions, l’ALEPS, nos deux bréviaires quotidiens : d’une part Contrepoints de nos historiques amis de libéraux.org désormais « coaché » par Baptiste Gauthey, et d’autre part l’IREF qui a pris une place cruciale dans les médias autour de maître Delsol et Nicolas Lecaussin ; et puis le plus discret, mais pas le moins utile, l’Institut Coppet, c’est-à-dire Damien Theillier qu’on ne présente plus, et Benoît Malbranque qui fait vraiment œuvre pieuse et unique comme archéologue des auteurs libéraux français.

Que de richesses par lui découvertes sous la poussière, ici avant même Say et Bastiat, là autour du Journal des Économistes. Tout est numérisé. C’est la plus grande bibliothèque libérale numérisée que l’on puisse imaginer. Procédons par ordre.

Une publication des actes du colloque étant prévue, nous nous contenterons de faire une présentation la plus fidèle des propos tenus. Ainsi, par exemple, dans la première présentation, il y avait plusieurs dizaines de slides éclairants dont il est impossible de se faire l’écho. La publication complètera tout cela.

 

Pourquoi la fausse monnaie des banques centrales nous rend esclaves

La première conférence avait pour thème : Pourquoi la fausse monnaie des banques centrales nous rend esclaves. L’orateur était Damien Theillier. Philosophe chevronné, ami d’une grande urbanité, esprit, tant agile que profond, toujours en découverte, peut-être le plus fin connaisseur de Bastiat.

Voici la synthèse de son propos.

« Comprendre la monnaie est essentiel pour comprendre les crises économiques. Aujourd’hui, les banques centrales impriment de la monnaie et facilitent le crédit pour financer les dépenses des États-providence. Quels sont les coûts cachés de cette politique ? Et comment s’en protéger ?

Dans un échange de lettres avec Proudhon, Bastiat avait mis en garde contre l’expansion du crédit à coup d’argent gratuit :

« L’extrême facilité de se procurer du papier-monnaie serait un puissant encouragement au jeu, aux entreprises folles, aux spéculations téméraires, aux dépenses immorales ou inconsidérées. C’est une chose grave que de placer tous les hommes en situation de se dire : Tentons la fortune avec le bien d’autrui ; si je réussis, tant mieux pour moi ; si j’échoue, tant pis pour les autres ». (Frédéric Bastiat – Gratuité du crédit).

La création monétaire était déjà présente dans la pensée de Bastiat. Pour celui-ci, il ne peut y avoir plus de création monétaire que de développement d’activités permettant de recevoir du numéraire.

Dans un dialogue fictif intitulé « Maudit argent », il écrit :

« Pour qu’il y ait accroissement général d’écus dans un pays, il faut, ou que ce pays ait des mines, ou que son commerce se fasse de telle façon qu’il donne des choses utiles pour recevoir du numéraire. »

C’est pourquoi créer trop de monnaie ne peut que conduire à l’inflation : « s’il en augmente la masse, il la dépréciera » (Idem).

La véritable richesse, selon Bastiat, c’est d’abord l’ensemble des choses utiles que nous produisons par le travail pour la satisfaction de nos besoins, et c’est ensuite l’échange libre et volontaire. La monnaie n’est donc qu’un moyen d’échange communément utilisé, elle ne joue qu’un rôle d’intermédiaire. Dès lors, ni la consommation (la dépense monétaire), ni la politique monétaire (l’inflation) ne constituent un moteur pour la croissance. Comment retrouver une monnaie saine, une monnaie solide, qui ne soit pas manipulée ni dépréciée par l’endettement illimité des États et la planche à billets ? »

Damien Theillier a également évoqué avec talent la controverse autour de l’étalon-or.

 

Monnaie saine et Production d’Énergie

Lui succédait une conférence au titre apparemment déroutant : Monnaie saine et Production d’Énergie.

L’orateur est, malgré lui, en raison de sa pudeur et réserve, une sorte de légende. Liberté Chérie c’était lui, les manifestations contre les grèves, c’était lui. Dans la communauté Bitcoin le monde entier le connaît, et pour beaucoup d’Américains le libertarien français c’est lui. Lui c’est Vincent Ginnochio, un ingénieur Telecom brillant et un ami incomparable. Quand sera écrite l’histoire du libéralisme français aux XXe et XXIe siècles, Vincent Ginocchio aura légitimement un chapitre entier.

Là encore, vous découvrirez des planches qui parsemaient ce passionnant propos.

« Bitcoin est depuis bientôt 15 ans la plus populaire des cryptomonnaies. Ce système de paiement décentralisé en argent liquide électronique continue de tenir sa promesse de résistance à la censure, notamment grâce à sa capacité à s’adapter aux attaques qu’il subit.

Quoi que vous en pensiez, il serait dommage de se priver d’un tel outil pour faire sécession de manière non violente afin de reconquérir au moins partiellement l’usage de votre liberté économique. Chacun est libre d’en proposer des évolutions ou bien de lancer un projet concurrent, comme cela a déjà été fait à de multiples reprises, sans succès apparent pour l’instant.

L’une des caractéristiques essentielles du réseau est la méthode utilisée pour inscrire de manière infalsifiable dans un registre distribué sur l’ensemble des nœuds qui le constituent toutes les transactions soumises par les utilisateurs : les acteurs qui réalisent cette opération appelés mineurs par analogie avec le processus d’extraction de l’or physique, sont en compétition permanente pour résoudre une énigme mathématique nécessitant un travail qui implique une consommation d’énergie, afin de rendre impraticable toute tentative de fraude.

Les mineurs sont rémunérés de moins en moins par la création organique de nouveaux bitcoins – la masse monétaire étant finie – et de plus en plus par les frais de transaction que paient les utilisateurs. Pour survivre, chaque mineur est condamné à rester le plus compétitif possible en recherchant l’électricité la moins chère, qui est celle dont personne d’autre ne veut. Cela correspond souvent à négocier un prix bas avec un fournisseur établi disposant de surcapacités – qui accroît ainsi la rentabilité de son installation – mais aussi parfois à exploiter des sources d’énergie disponibles qui n’auraient pas pu être rentables autrement.

Nous sommes donc peut-être en train d’assister aux prémices de la fusion des activités de minage de bitcoin et de production d’électricité. »

 

Libre Arbitre et Bien Commun

Les esprits aiguisés par les deux premières conférences, c’était au tour de maître Jean-Philippe Delsol d’intervenir sur la thématique du Libre Arbitre et du Bien Commun.

Un mot sur l’intervenant qu’on ne présente pas aux lecteurs de Contrepoints. Il nous apparaît que les préoccupations de Jean-Philippe Delsol sont incontestablement de plus en plus doctrinales, mais jamais au détriment des choses contingentes. Il y a certes une hiérarchie des importances dans les questions. Il nous apparaît que le « nouveau » Delsol est toujours meilleur que le précédent. Voici un résumé de son intervention.

« Autour du Ve siècle avant J.-C. advient le momentum du libre arbitre. Le monde méditerranéen découvre la liberté. Rome édicte les lois des douze tables (aux alentours de 450 avant J.-C.) qui reconnaissent des droits aux individus. La fille d’Œdipe, Antigone se lève, chez Sophocle (495/406), contre le destin pour enterrer son frère Polynice.

La pensée grecque fait émerger le libre arbitre. « L’homme est principe de ses actions » observe Aristote.

Enfin, autour de cette période s’écrit la Bible. Le judaïsme pense l’homme comme être libre avant que le christianisme fasse du libre arbitre une pierre angulaire de son édifice. Dès la Genèse, Dieu laisse l’homme libre de manger le fruit de l’Arbre de la connaissance, mais, lui dit-il, « le jour où tu en mangeras, tu mourras » (Genèse, 2,15-17).

Ainsi émerge l’Occident en refusant le destin qui régnait jusque-là. La nouveauté est de considérer que le libre arbitre est une qualité naturelle à l’homme, il ne s’agit plus d’une divine liberté conventionnelle octroyée par la cité ou par l’empereur, mais d’une liberté propre à l’homme, reçue à son commencement. Il est la capacité intérieure de l’homme à se déterminer, examiner, retenir une option quand il pourrait en choisir une autre et finalement agir. Il n’est pas la liberté, il en est le prélude, la condition. Il est l’acteur de la volonté tandis que la liberté constitue ce que son environnement physique, juridique… permet à l’expression de la volonté. Savoir si le libre arbitre existe est la question première, car si la réponse est négative, toute liberté est vaine, elle n’autoriserait alors de faire que ce à quoi nous serions déjà voués.

Pour prétendre à la liberté, il faut que l’homme ait son libre arbitre. S’il ne l’a pas, il est inutile que l’homme revendique des libertés qu’il ne pourrait pas exercer puisque sa route serait déjà tracée et ne lui appartiendrait pas.

Cette prise de conscience du libre arbitre accompagne la reconnaissance de la personne dans sa singularité et dans l’exercice de sa responsabilité. Bien que son acceptation ait encore fait l’objet d’immenses et cruels débats jusqu’à ce jour, cette liberté naturelle a constitué la matrice de la civilisation occidentale, et lui a permis de connaître un développement intellectuel, économique, social et moral unique que les peuples enchaînés à leur destin n’ont pas pu connaître ; de l’Islam, dans lequel la volonté de l’homme appartient à Dieu, à l’Asie qui ne s’en préoccupe pas.

La prise en compte, progressive et parfois difficile, du libre arbitre a permis de concevoir la liberté comme un tout, là ou d’autres ont accepté une certaine liberté économique, mais pas de liberté sociale, intellectuelle ou spirituelle.

Et c’est l’unité et l’étendue de son concept de liberté, et de responsabilité corrélative, qui a permis à l’Occident de grandir plus vite que les autres. Il se pourrait qu’il perde son avantage s’il l’oublie et notamment s’il méconnaît que la liberté doit fondamentalement demeurée ordonnée au bien ainsi que n’ont cessé de nous le rappeler les théologiens bien sûr, mais peut-être plus encore les philosophes d’Aristote à Kant ou William James. »

 

Découper la liberté, c’est la perdre

Il appartenait à Stéphane Geyres, ingénieur, créateur du Institut Mises France après bien d’autres initiatives, d’animer le dîner-débat prolongeant les nourritures terrestres par les nourritures intellectuelles qui provoquèrent des débats courtois, mais virils.

C’est que Stéphane ne cache pas son drapeau libertarien. Passe encore qu’il admire Rothbard, mais traduire Hans-Hermann Hoppe… Nous ne sommes pas d’accord sur tout, ni toujours d’accord, mais lire pour préfacer son dernier ouvrage Liberté Manifeste (Éditions John Galt, 2023), a été un réel plaisir enrichissant. Le thème proposé à l’intervenant était : Découper la liberté, c’est la perdre.

Voici la substance de ses propos.

« La question qui m’était posée par les organisateurs était : « La liberté économique est-elle une condition indispensable à la liberté politique ? »

En effet, dans une société libérale classique, la Liberté est assurée par les fonctions régaliennes, police, justice, défense. Sur cette base de droit ainsi assuré, les relations pacifiques entre personnes peuvent s’ancrer, s’envisager, dont les relations contractuelles. De plus, le célèbre diagramme de Nolan, celui en forme de losange, porte d’un côté un axe de Liberté économique, de l’autre un axe de Liberté individuelle, ensemble convergeant vers la pleine Liberté en son sommet.

Ma thèse consiste à montrer qu’en réalité, ces deux axes sont intimement entrelacés, imbriqués, au point d’en être indissociables, et de confirmer ainsi que ce n’est point l’État qui serait un préalable à la Liberté économique, et encore moins à la Liberté tout court.

Mon point de départ consiste au rappel de la définition de la Liberté, selon Murray Rothbard et les libertariens en général : La Liberté, c’est le droit de faire ce qu’on désire de sa propriété privée.

La propriété marque ainsi mon espace de Liberté, de libre action. Il semble bien que le droit s’y manifeste encore comme préalable au faire.

Pourtant, si la propriété en est la borne à un instant, comme je peux échanger – vendre, acheter, négocier – ma propriété, alors l’économique fait à tout moment évoluer mon espace de droit, donc ma Liberté. Voilà le droit fait par l’économique.

Mais cela va plus loin. Car le besoin de droit vient de la pénurie, la rareté des choses en ce monde. Au Jardin d’Eden, pas besoin de propriété puisque tout le monde peut avoir ce qu’il désire. Or, dans notre monde, il y a besoin d’arbitrer entre les candidats légitimes à la possession de chaque chose : voilà le droit qui advient, de nouveau issu de la motivation économique. Bien sûr, je n’oublie pas l’apport des libertariens à la pensée libérale, cette prise de conscience que nos chères – très chères – fonctions régaliennes, qui donnent substance au droit, peuvent et surtout devraient uniquement résulter de l’offre commerciale d’entreprises privées en libre concurrence, offrant qui des services d’arbitrage, qui des polices d’assurance.

Ici, le droit prend littéralement vie par le marché : voilà la Liberté par le Marché. La Liberté est donc certes le droit de faire, mais il s’agit d’entreprendre pour lui donner vie, pour leur donner vie. La Liberté économique est à la fois le moyen et le produit de la Liberté individuelle.

Alors, puisqu’il est clair que découper arbitrairement la Liberté en deux, c’est la perdre de vue, c’est en perdre le sens et l’essence, à quoi bon poursuivre la promotion d’une Liberté bancale, d’une Liberté parfois régalienne, parfois économique, quand il serait bien plus juste de simplement parler de la Liberté pleine et entière ? »

 

Rendez-vous était pris pour le lendemain matin après une première demi-journée particulièrement dense et réellement passionnante.

[Enquête] Ethnocide des Touareg et des Peuls en cours au Mali : les victimes de Wagner témoignent

Le Mali du colonel Assimi Goïta est devenu une colonie de Moscou. Depuis bientôt deux ans, le groupe Wagner, bras armé de l’impérialisme russe en Afrique, y sème la terreur et ne cesse de monter en puissance. Ses actions destructrices ont des conséquences désastreuses pour la stabilité des pays du golfe de Guinée, du Maghreb et du sud de l’Europe.

Cet article représente le premier volet d’une enquête au long cours destinée à être publiée en 2024 sous une forme beaucoup plus exhaustive. L’actualité récente de la prise de Kidal par les terroristes de Wagner le 14 novembre dernier m’a conduit à bouleverser mon calendrier pour sensibiliser le grand public au sujet d’un double ethnocide qui a lieu en ce moment même au sud des frontières européennes, dans le grand voisinage de l’Europe.

 

Pourquoi enquêter sur les victimes de Wagner au Mali

Depuis le retrait de la force Barkhane, le régime putschiste installé à Bamako s’appuie sur le groupe paramilitaire russe Wagner pour se maintenir au pouvoir et régler des comptes historiques avec deux groupes ethniques : les Peuls et les Touareg.

Moura, Hombori, Logui, Tachilit, Ber, Ersane, Kidal, Tonka… ces noms de lieux sont devenus synonymes de carnages pour des milliers de civils issus de ces deux ethnies. Tout se passe exactement comme si le régime d’Assimi Goïta avait planifié et mis en œuvre le massacre systématique de tout individu targui et peul. Hommes, femmes et enfants sont ciblés sans distinction, pourvu qu’ils soient des Touaregs ou des Peuls.

Ces six derniers mois, j’ai pris contact avec des centaines de victimes de Wagner pour recueillir leurs témoignages. Ces témoins sont majoritairement des hommes originaires de Tessalit, Tombouctou, Gossi, Gao, Kidal et Ménaka, communes du nord du Mali qui étaient sécurisées par l’armée française jusqu’en 2021/2022. La plupart d’entre eux ont fui leurs villes et leurs villages pour se réfugier dans des pays limitrophes en Afrique de l’Ouest (Mauritanie, Niger), en Afrique du Nord (Tunisie, Algérie) et même en Europe du Sud (France). Ceux qui sont restés vivent dans l’épouvante au quotidien. Tous sont polytraumatisés. Leurs récits nous renseignent sur les méthodes sanguinaires de l’impérialisme russe en Afrique. Les citations rapportées sont directes, il n’y a aucune reformulation. J’ai aussi laissé les fautes d’orthographes, lorsqu’elles proviennent de témoignages écrits. Les prises de parole que j’ai retranscrites ou restituées ici émanent toutes d’individus qui ont pris des risques en dialoguant avec moi et en acceptant que leurs récits soient publiés. Il ne s’agit que d’une petite partie des témoignages que j’ai recueillis. Je n’ai volontairement donné aucune indication précise sur les identités et les lieux de vie des témoins, pour ne pas les exposer ni exposer leurs familles à des représailles certaines.

 

Exécutions sommaires, tortures, pillages, viols : récits des premiers actes commis par les Wagner à leur arrivée dans des communes peuplées de Peuls ou de Touareg

Les Wagner dominent par la terreur. Les témoignages de leurs arrivées dans une commune Peule ou Targui comportent de nombreuses récurrences sur leurs modes opératoires. De nuit ou de jour, ils commencent par épouvanter la population locale en tuant des innocents sous couvert de lutte contre le terrorisme. Ensuite, ils détruisent les ressources locales et procèdent à des pillages et à des viols :

« Le jour de leur arrivée ils ont commencé par exécuté 9 personnes dont 3 vieux et 2 enfants. Les autres jours ils entrent dans les maisons pillent les commerces , chaque [jour] ils abattent parmi nos animaux pour leur cuisine. »

« Ils sont venus avec les militaires maliens. Sans chercher à comprendre, ils ont tués des innocents. Ça a été tellement rapide ! Les hommes ont été envoyés loin du village, ensuite les femmes ont été choisies comme des mangues au marché, uniquement pour nous violer. J’ai été violée par 5 hommes pendant 2 h de temps . Mon époux était parmi les personnes tuées. »

« Ils sont venus chez nous après une attaque contre l’armée malienne. Suite aux interrogations, ils ont amenés 14 personnes, des peuls, Touaregs et arabes et jusqu’à présent personne d’entre eux n’est jamais revenu. Bientôt un an Sans aucune nouvelle d’eux. Ils ont des familles, des épouses et des enfants. C’est vraiment déplorable. »

« Ils sont rentrés dans mon village pendant le jour du foire hebdomadaire avec des hélicoptères et chasseurs de DJENNÉ sur les motos , ils ont cernés le village, commencé a tiré sur tout le monde au marché. Ceux qui ont fuit pour se réfugier dans la brousse ont croisés les chasseurs et Wagner et militaires, ils ont été tués immédiatement. Ceux qui se sont réfugiés au village ont été capturés vivants, brûlés vivants sans motif. Chez nous, l’état avait abandonné le lieu pendant 9 ans , tout le monde était sous Influences des djihadistes. Au lieu de nous protéger, ils ont tués des gens comme des animaux. Après avoir tués les gens, ils ont tout pillé et abandonnés les corps dans la brousse et dans les rues. C’était désastreux ! Ceux [Ce] qu’ils disent à la télé n’est que la moitié du nombre de personnes tuées. »

« Quand les wagner sont tombés dans une embuscade sur la route principale de niono , après qu’il y’a eu des morts parmi eux , un convoi s’est dirigé à Ségou pour amener les blessés à l’hôpital et dépose les cadavres a la morgue et le second convoi s’est dirigé dans notre village. Ils ont fait une descende musclée chez un marabout peul qui enseigne les élèves coraniques, après avoir rentré , ils n’ont parler à personne. Ils ont fait le tour de la maison , fouiller les chambres et finit par enlevé 4 élèves coraniques ,tous des peuls , j’ai grandi avec eux au village. Deux ont été amenés à Ségou jamais retourner, et les corps sans vies de deux autres abonnés à la sortie de la ville. C’était la PANIQUE au village. »

« Lorsqu’ils sont venus chez nous , ils disaient que notre communauté informait les djihadistes mais c’était faux. Tous les jeunes et vieux ont été ramenés a 3 km de la ville , pour poser des questions que nous n’avons pas eu de réponse . Ils demandaient pourquoi nous informait les djihadistes ? Nous avons répandu que nous ne connaissons pas de djihadistes. Ils ont tiré avec une arme sur les pieds de 3 personnes dont un a succombé après quelques jours, un à perdus son pied et le troisième n’est toujours pas guéri. Ils m’ont frappé avec un bâton, j’ai des cicatrices sur ma tête actuellement. Après leurs auditions, ils n’ont pas laissé un seul animal, ils ont tous pris ».

« Mon ami tamachec à été tué chez lui et sa femme à été violée par les hommes de Wagner. Il n’a rien fait, son seul tord est d’être né avec la peau blanche. Ils l’ont soupçonné d’être en contact avec les djihadistes. C’était faux. »

« Après avoir été attaqués par les djihadistes qui a causés des pertes de vies dans leur rang , ils sont venus pour se venger des peuls sans motif . Brûlés nos champs, nos maisons et emportés nos animaux. »

« Wagner est arrivé dans mon village, ils cherchaient quelqu’un qui avait été indiqué mais absent depuis 6mois. Après avoir finit de questionnés les Villageois, ils voulaient amenés les femmes dans une maison et les violés. Quand nous nous sommes opposés, ils ont abandonnés l’idée en s’attaquant aux jeunes pourqu’ils disent s’ils ont vues l’intéressés. Moi étant le fils du chef de village, ils m’ont amené en brousse, me torturé et me laisser pour mort et continue leur route. Trois jours plutard, nous avions appris qu’ils arrivent, nous avons fuit en laissant tout derrière nous. Ils sont rentrés au village avec les militaires maliens et brûlés le village. »

« Lorsqu’ils sont venus chez nous, ils nous ont d’abord demander de nous écarté des animaux. c’etait en brousse ! Lorsqu’ils ont commencés à poser des questions, l’un d’entre nous par peur à voulut s’enfuir, et sans hésiter, ils l’ont tirer à bout portant au dos. Il est mort sur place. Ensuite ils ont demandé à mon frère aîné Mohamed  [le prénom a été changé] de se déshabiller, lui voulait savoir pourquoi, ils ont mis une balle en tête. Je tremblait jusqu’à ce que j’ai pissé sur moi. Ils ont embarqué tous les animaux, et me mettre une balle au pied droit. Comme ce n’était pas loin de la ville, je me suis débrouillé Pour rentré en ville, mais j’avais perdu tellement de sang que je me suis évanoui et me réveiller à l’hôpital. Nos parents ont enterrés les corps. »

« Ma Femme à fait une fausse couche et elle a perdue notre bébé de 4 mois. Plusieurs personnes ont été blessés parce qu’elles voulaient au moins récupéré leurs bien dans les maisons qui étaient entrain d’être brûlés par les Wagner »

 

Vivre sous le joug de Wagner : « la peur est devenue notre quotidien »

Avant l’arrivée de Wagner, les témoins que j’ai interrogés avaient une profession ou étudiaient. Ils étaient bergers, commerçants, comptables, réparateurs de motos, vendeurs en boutique, transporteurs, gardiens, étudiants. Aujourd’hui ils ont perdu leurs emplois et leurs ressources. Les étudiants ne vont plus à l’université. Leurs familles sont détruites : ils ont vu des proches se faire assassiner, violer, torturer. Certains éduquent les « bébés Wagner », ces enfants qui sont nés après les viols.

Voici comment ils décrivent leur quotidien :

« Je n’ai plus de vie, je n’arrive pas à faire enlever les mauvais souvenirs en tête. J’ai vu mes parents et amis brûlés vivants par les hommes blancs, militaires maliens et chasseur. »

« Toujours dans la peur de se faire massacrer. Les Wagner tuent des gens partout où ils passent. »

« Les mercenaires ont changé notre train de vie, Tu ne peux plus penser à voyager à l’intérieur de la Région sans que tu ne crains pour ta vie, ils sont devenu les cauchemar des populations depuis leurs arrivés à Ber dans la région de tombouctou »

« Ma vi cest la dépression, des sentiments de nostalgie, la souffrance psychique »

« L’élément majeur c’est l’asile de tous mon village en Mauritanie. »

« Nous avons souffert de l’expulsion de nos familles vers des camps de réfugiés par peur de l’oppression financière et de l’oppression de Wagner. Nous avons perdu nos emplois, nos villes et nos vies auxquelles nous étions habitués, tout comme nos enfants ont perdu leur éducation. »

« A cause de wagner, notre communauté à été obligée de fuir. Nous sommes victimes de racisme sans nom par ce que nous sommes des Touaregs»

« L’image de la Scène est toujours devant mes yeux. Mon meilleur ami et collaborateur à été tué et sa femme violée. C’est terrible ! »

« Nous n’avons plus de travail, animaux et maisons à cause de Wagner. Ils ont bafoués notre dignité en Violant nos sœurs et épouses sous nos yeux »

« Ils m’ont pris des amis et à cause d’eux les peuls de notre village qui ont cohabiter avec nous pendant plusieurs générations ont fuit. Ce n’était pas des djihadistes. »

« Ils nous ont tout pris. Celui qui brûle ton village t’a humilié et détruit ta vie. »

« Ils m’ont rendus rancunier et fou»

« Wagner à détruit notre avenir. Jamais nous ne pardonnons »

 

Les victimes de Wagner accusent la Russie et la junte de Bamako

J’ai demandé à tous les témoins que j’ai consultés si pour eux, la Russie était responsable des actions de Wagner. Bien que les sociétés militaires privées soient interdites en Russie, le groupe Wagner a bien été créé pour servir les intérêts de Moscou de façon officieuse. Cette ambiguïté n’existe plus depuis que le président Poutine a signé un décret contraignant les groupes paramilitaires à jurer « fidélité » et « loyauté » à l’État russe, deux jours après la mort du chef du groupe Wagner Evgueni Prigojine. Il restait à savoir si elle subsistait sur le terrain. Elle n’existe pas. Les victimes de Wagner accusent la Russie et la junte de Bamako d’être responsables de la terreur qu’elles endurent. Certains témoins ont été informés du rattachement officiel du groupe Wagner à l’État russe publicisé en août 2023. D’autres n’ont tout simplement jamais fait la différence entre les deux :

« La Russie est le premier responsable mais surtout le gouvernement malien. »

« Oui le premier responsable c’est la Russie qui veut transférer sa guerre géopolitique contre l’Occident sur notre territoire, une guerre qui ne nous profite en aucun cas. Le kremlin influence beaucoup sur la gestion du pouvoir au mali »

« Bien sûr récemment avec l’actuel réorganisation de l’organisation après la mort de Prigojine. »

« malheureusement, Wagner est la main de la Russie en Afrique et en est responsable. »

« La politique étrangère de Moscou est lamentable et par ailleurs la Russie y sera toujours pour quelques choses »

« Oui parce que ce sont des russes »

 

« Pas d’avenir autre que la mort » : quel futur pour les Peuls et les Touareg au Mali ?

Pas une victime de Wagner ne pense que justice lui sera rendue. Les témoins ne font état d’aucun espoir et n’envisagent aucune issue à la situation actuelle, si ce n’est l’exil (lorsque c’est possible) :

« L’avenir est vraiment ambigu, très effrayant et sombre. Nous ne pouvons rien attendre de l’horreur de ce que nous voyons et de ce que nous voyons d’injustice et de tyrannie et du silence du monde sur ce qui se passe. »

« Un avenir incertain et plein d’embûches avec la volonté de la junte à faire la guerre utiliser ses drones contre le Peuple Touaregs et peulhs »

« Aujourd’hui l’avenir pour nous est incertain, il est presque sans issue. Je n’ai pas de travail. »

« Nous avons besoin d’assistance sur le plan sécuritaire car le Mali le Niger et le Burkina ce sont donner la main pour tuer tout ceux qui ne sont pas avec eux au sahel »

« L’avenir est incertain, nos maisons sont brûlés et nous n’avons plus de boeuf. »

« Je ne crois plus à l’avenir. J’ai besoin que mes enfants étudient et avoir une vie meilleure »

La culture en péril (13) – Joseph Roth, « L’autodafé de l’esprit »

Joseph Roth est un écrivain et journaliste austro-hongrois du début du XXe siècle. Témoin de la Première Guerre mondiale, puis de la montée du nazisme, il assiste à la destruction des livres, dont les siens, à l’arrivée des nazis au pouvoir en 1933. Il s’exile alors à Paris, où il meurt prématurément six ans plus tard à 44 ans, malade, alcoolique et sans argent.

Dans ce très court fascicule qui est la reproduction de l’un de ses articles, il se penche sur le péril représenté par les autodafés, une forme extrême de censure qui préfigure des destructions plus vastes et des massacres d’individus.

 

L’origine de « L’autodafé de l’esprit »

Le contexte de cet écrit est présenté à la fin du recueil. Son origine se situe à la suite immédiate de l’autodafé géant du 10 mai 1933 sur la place de l’Opéra de Berlin, réalisé avec l’appui des Sections d’Assaut, sous l’impulsion du ministre de la Propagande et de l’Instruction publique Joseph Goebbels. Vingt mille livres d’écrivains juifs furent brûlés, tandis que la même chose se produisait simultanément dans vingt autres villes allemandes, suivie par d’autres encore le 21 juin.

Depuis son exil parisien, Joseph Roth réagit aussitôt, se lançant sous pseudonyme dans la contre-propagande, en écrivant ce texte en français, afin d’éviter la censure et les menaces sur son intégrité. Il entend défendre la culture allemande mais aussi européenne contre cette purge.

Mais il n’avait pas attendu ce jour pour mettre en garde, dès les années 1920, contre un monde en train de disparaître. Notamment à partir de 1925, où il devient envoyé spécial du journal libéral Frankfurter Zeitung.

 

La destruction de l’esprit

L’écrivain évoque dès le début de son écrit la « capitulation honteuse » dont a fait preuve l’Europe spirituelle de l’époque, « par faiblesse, par paresse, par indifférence, par inconscience… ». Car « peu d’observateurs dans le monde semblent [alors] se rendre compte de ce que signifient l’auto-da-fé des livres, l’expulsion des juifs et toutes les autres tentatives forcenées du Troisième Reich pour détruire l’esprit ». Toujours cet aveuglement et cette peur qui gouverne tout, à différentes époques.

Joseph Roth analyse – en prenant le recul du passé – comment on sentait poindre depuis longtemps déjà, sous le Reich prussien de Bismarck, ce sentiment moral d’exil des écrivains allemands (tout au moins de ceux qui demeuraient « libres et indépendants ») face à la prédominance de l’autorité physique, matérialiste et militaire sur la vie spirituelle.

Qui préfigurait, par son hostilité à l’esprit, à l’humanisme et aux religions juives et chrétiennes, ce qui allait advenir aux livres. Il s’en prend ainsi à ceux qu’il nomme les « Juifs de l’Empereur Guillaume », qui se sont selon lui fourvoyés en se soumettant à Bismarck plutôt que de s’allier « au véritable esprit allemand ». Allant jusqu’à dominer depuis 1900 la vie artistique de l’Allemagne.

 

Le simple commencement de la destruction

Au moment où Joseph Roth écrit, l’Europe n’est pas encore à feu et à sang. Pourtant, par son évocation de l’antisémitisme et de tous ceux – pas seulement juifs – qui représentent l’esprit européen, la littérature allemande et le fleuron du monde intellectuel de l’époque, il montre que c’est non seulement la civilisation européenne qui court vers la destruction avec l’arrivée d’Hitler au pouvoir, mais au-delà ce sont le droit, la justice, puis l’Europe entière qui menacent d’être ravagés par la barbarie, puis la destruction totale. Jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien du monde d’hier. Il ne se trompait pas… Même s’il n’a pas vu se produire ce qu’il avait prophétisé.

Cet écrit est, en définitive, la mémoire d’une époque révolue, de ce que des écrivains et intellectuels – en particulier juifs allemands – ont apporté à la culture, à la civilisation, à l’esprit européen le plus évolué, avant que l’Europe et le monde ne soient mis à feu et à sang. En remontant aux autodafés, il montre comment la destruction de la culture, bastion de la civilisation, est toujours le point de départ de l’offensive destructrice contre celle-ci, remplacée par les pires totalitarismes.

La culture qui – à l’instar de ce que montrera Milan Kundera plus tard dans un autre contexte – peut aussi constituer un îlot de résistance salvateur

 

Joseph Roth, L’autodafé de l’esprit, Editions Allia, mai 2019, 48 pages.

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Directeur de publication de Contrepoints

Arnaud Le Vaillant 2023

 

 

Entre collectivisme et individualisme : un nouveau regard sur l’immigration

Une question ardue qui agace les consciences politiques à travers le monde est celle de l’immigration. Il faudra bien lui trouver une solution. Ou alors s’accommoder de celle qui sera imposée, car avec les dérèglements du climat, les différences de développement et de taux de natalité entre pays, les mouvements transfrontaliers de populations vont s’amplifier.

Il n’y a que deux façons de poser le problème.

La façon collectiviste ignore les individus. Le collectivisme postule une entité au-dessus des êtres humains, érigée en valeur suprême. Selon les lieux et les époques, cette entité s’appelle vraie religion, souverain, nation, peuple, révolution, et maintenant son nom usuel est civilisation, mais la relation avec les êtres humains est toujours la même. En cas de conflit, l’entité prévaut. Pour le collectivisme, c’est son essence, l’organisation de la société se définit en termes kantiens de fin et de moyens. La fin, c’est la défense de la société, du collectif, de l’entité qui devient une idole. Les êtres humains sont le moyen de cette défense, les êtres humains sont des instruments. Ils n’ont de liberté que lorsque celle-ci ne rencontre pas les intérêts de l’entité supérieure.

L’individualisme, au fondement de la pensée libérale, renverse la proposition. Chaque personne humaine est une fin en soi. Elle ne peut cependant s’épanouir qu’au sein d’une société où elle trouve, d’une part, une culture, une langue, une science, une compréhension du monde ; et d’autre part, le commerce, la possibilité de se procurer une multitude d’objets que nul ne saurait produire isolément. La société est donc le moyen, l’instrument, que chaque être humain utilise pour s’accomplir.

 

L’immigration influe sur la société d’accueil. Oui, et alors ?

Les deux approches, totalement incompatibles, sont illustrées par les articles de Claude Sicard et d’Yves Montenay dans un numéro récent de Contrepoints.

L’article de M. Sicard, « Islam et République : une cohabitation impossible ? », bien documenté sur la naissance de l’islamisme, du salafisme, du frérisme, et sur le danger de ces mouvances pour l’Occident, conclut avec ce funeste auspice : « C’est ainsi que meurent les civilisations. »

Sans doute. Et alors ? Tout ce qui est vivant, par définition, change et finit par mourir. L’Occident d’aujourd’hui n’est pas celui de la féodalité, de l’Ancien Régime, de la bourgeoisie triomphante et de la Belle Époque. Paul Valéry le rappelait après la boucherie des tranchées, dans un article mémorable de 1919, La crise de l’esprit : « Nous autres civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles. » Valéry était pessimiste. Un siècle plus tard, notre civilisation est toujours là – mais inévitablement changée. Les apports extérieurs, les avancées technologiques, le renouvellement des générations sont transformateurs.

Peu de gens, et très peu de jeunes, souhaitent geler l’Histoire à son point actuel. Ils ne renoncent pas au progrès. Ils accueillent l’imprévu. Ils ne refusent pas un monde qui sera demain différent de ce que M. Sicard – et moi – préférons. Mais par quelle autorité nous opposerions-nous au désir des gens de changer leur vie ? En Occident comme ailleurs. Pacifiquement. Car tout religieux n’est pas fanatique, tout étranger n’est pas criminel.

Refuser, même limiter, l’immigration au nom de la civilisation, ou pour sauver la culture française, ou toute entité postulée supérieure aux individus, en s’opposant à leur souhait, c’est du collectivisme. Pur et simple. C’est donc une position foncièrement illibérale.

Dès qu’on accepte le sacrifice d’êtres humains à une idée, on se prive de toute réponse cohérente à ceux qui veulent les sacrifier à une autre idée. On est réduit aux affirmations stériles : « Ta culture ne vaut pas la mienne », « Mon Dieu est supérieur au tien » …

La question n’est pas d’interdire l’immigration, ni même de la limiter. Elle est de préciser la relation entre les personnes qui quittent un pays et celles qui les accueillent dans un autre pays. L’immigré est-il attendu ? Son arrivée est-elle souhaitée ?

 

Une immigration choisie – mais c’est nous qui choisissons

Je suis pour une « immigration choisie ». Mais en bon libéral, je maintiens que ce n’est pas à l’État de choisir (comme si – selon la formule usuelle – l’État savait mieux que les habitants eux-mêmes ce qui est bon pour eux). C’est à des hommes et des femmes, par-dessus les frontières, de s’entendre pour établir entre eux une relation pacifique, fructueuse et épanouissante.

Sur ce point précis, je suis en désaccord avec la conclusion de l’autre article paru le même jour que celui de M. Sicard, la contribution au débat d’Yves Montenay, « Islam et immigration, un reniement libéral ». Pour M. Montenay, chacun devrait pouvoir se déplacer où bon lui semble, ici ou à l’étranger, sans condition. Mais ce n’est pas ainsi, en temps de paix, que les gens bougent. Au sein de mon pays, je ne quitte pas chez moi sans avoir un point de chute, sans l’assurance de ne pas passer mes nuits dehors. Là où je vais, quelqu’un m’attend, un ami, un employeur, ou encore une chambre réservée que j’ai les moyens de payer. Pourquoi admettrait-on d’étrangers ce que nous ne permettons pas à nous-mêmes ? Nationaux ou étrangers, les gens sont bienvenus seulement là où ils sont attendus.

Je parlerai ici des Français, mais la proposition vaut pour chaque population d’accueil. Il appartient aux êtres humains, individuellement, de décider qui va vivre avec eux dans leur famille, qui va travailler avec eux dans l’entreprise qu’ils possèdent, qui va séjourner dans leur hôtel, leur gîte ou leur camping, que ce soit d’autres Français ou des étrangers.

N’est-il pas humiliant de devoir quémander un visa auprès d’un obscur gratte-papier au fond d’un consulat pour que vienne chez moi mon petit ami du Brésil, ma maîtresse de Thaïlande, un comptable indien ou un cuisinier chinois (pour abuser de ces méchants clichés) ? N’est-ce pas un outrageant abus d’autorité que les plus simples relations humaines d’amour, d’amitié et de coopération soient soumises à une autorisation administrative ?

Et pourquoi ? Pour satisfaire aux idoles de la nation, de la civilisation, de la culture, de la pureté du peuple de France ? Plus localement, en quoi mes voisins auraient-ils à élever une quelconque objection au séjour d’étrangers chez moi ? Et si je peux faire venir qui je veux chez moi, pourquoi n’enverrai-je pas cent billets d’avion à cent travailleurs étrangers pour qu’ils viennent cultiver mes champs ou faire tourner mon atelier, dans le respect du Code du travail ? Quel libéral pourrait-il logiquement s’y opposer ?

 

Le marché, pas les trafics

Ainsi, plutôt que récupérer sur nos plages des miraculés qui ont échappé au naufrage et à la rapacité des passeurs, ne devrait-on pas encourager l’ouverture dans les pays d’émigration d’agences de recrutement, mandatées par des entreprises et des particuliers pour trouver la main-d’œuvre qui leur manque, et manquera toujours plus aux vieillissants pays riches.

Le jour de leur arrivée, ces immigrés souhaités ont un emploi, et le conjoint aussi, un logement, une place à l’école pour les enfants, tous les papiers en règle. Ils ne sont à la charge de personne. On se fiche de savoir s’ils sont « réfugiés économiques » ou « réfugiés politiques » (la plupart de ces derniers mentent pour obtenir ce statut, puisqu’on leur refusera l’autre). Seul importe que ces personnes arrivent dans le pays parce qu’elles y sont attendues et qu’elles ont quelque chose à y faire.

Le Royaume-Uni, où j’habite, applique la politique d’immigration la plus sotte. Le pays ne délivre de permis de travail qu’aux étrangers qui justifieront d’un salaire de 34 600 livres, soit près du double du salaire minimum. Ce haut niveau relatif exclut l’emploi d’immigrés dans les travaux agricoles, l’hôtellerie, la restauration, le gardiennage, et tant d’autres de ces métiers essentiels, depuis la voirie jusqu’à l’entretien. Une entreprise pourra donc faire venir de l’étranger une chimiste ou une informaticienne grassement payée, mais devra laisser partir des Britanniques tout aussi qualifiées, parce que les soins du ménage et des enfants reposent encore sur elles, et elles ne peuvent se faire aider par une employée de maison ou une nounou.

On n’ouvre pas les bras seulement à ceux qu’on aime et à ceux qui travaillent. La guerre et la misère forcent des populations entières à chercher ailleurs les conditions de leur survie. Dans les pays riches, une fonction dévolue aux associations caritatives, aux Églises, aux communautés déjà installées devrait être d’offrir l’asile, grâce aux dons recueillis, à ces malheureux.

 

On croit aux bienfaits de la liberté, ou on n’y croit pas

Le libéralisme est un acte de foi. Il est providentiel. Tous les penseurs libéraux font la même analyse. Une société d’êtres humains libres change, elle évolue, non selon un plan établi, mais parce que chacun menant sa propre vie amène ce changement. Il n’est ni planifié, ni anticipé — « the product of human action, not of human design » , répétait Friedrich Hayek, citant Adam Ferguson. « En ne cherchant que son intérêt personnel, écrivait encore Adam Smith, décrivant le mécanisme de la main invisible, [l’être human] travaille souvent d’une manière plus efficace pour l’intérêt de la société, que s’il avait réellement pour but d’y travailler ».

Ce lâcher-prise paraît effrayant, mais la volonté de contrôle est stérilisante. Laissés libres, les individus vaquent à leurs occupations, ils font ce qu’ils ont à faire, ils mêlent des étrangers à leur vie et à leur travail, et ils changent la société et sa culture. Ce n’était pas leur intention. Personne ne sait ce qu’apportera cet exercice de leur liberté. Mais on connaît le mal immédiat et durable que causent les politiques qui entravent cette liberté.

France Inter : Guillaume Meurice en voie de « dieudonnisation » ?

L’humour, comme le sport, a toujours été politique. La preuve en est avec la dernière polémique en date provoquée par la saillie du chroniqueur de France Inter Guillaume Meurice la semaine dernière.

Dans un contexte de résurgence du confit israélo-palestinien dans le débat public et des actes antisémites depuis l’attaque du Hamas il y a un mois, et qui constitue l’acte le plus meurtrier à l’égard de la communauté juive depuis 80 ans, ce qui était censé être un « bon mot » fait particulièrement tache au sein d’une rédaction déjà habituée à sanctionner ses humoristes lorsque ceux-ci dépassent la ligne jaune.

Reprenons : dans une chronique à visée humoristique évoquant les possibles déguisements pour Halloween, l’humoriste bourguignon a proposé un accoutrement à l’effigie du Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou : « Vous voyez qui c’est ? C’est une sorte de nazi mais sans prépuce ».

Une phrase qui a rapidement fait réagir au point d’entraîner des menaces de mort imposant de fermer les prochaines émissions au public. Des réactions souvent disproportionnées, et qui posent plusieurs questions, allant du traitement médiatique à la liberté d’expression, en passant par la responsabilité des humoristes.

 

Une provocation nauséabonde ?

La première question qui se pose : ce qui est censé être une blague est celle de son potentiel caractère antisémite.

En faisant un peu d’analyse, on comprend assez vite que la phrase en cause est un mélange de satire et de provocation propre à la tradition du bouffon : d’une part, Guillaume Meurice veut se moquer de Benyamin Netanyahou, un dirigeant politique et donc un puissant, d’autre part, il utilise la caricature afin de lui donner un aspect choquant. Or, rien n’est plus choquant pour nous, Français, que le nazisme. Mais peut-on aller plus loin que la comparaison d’un quidam avec les heures sombres, la comparaison d’un dirigeant de confession juive avec l’idéologie qui a le plus meurtri les siens ?

Outre cette comparaison entre le plus grand des bourreaux et le peuple qu’il a tenté de génocider, la référence à la circoncision vise également, de manière assez claire, à se moquer de la tradition juive.

Si cette référence marque clairement une volonté d’attaquer la tradition hébraïque, la phrase correspond au rôle du bouffon, saltimbanque qui avait le droit de se moquer du monarque. Meurice n’attaque pas « les » Juifs, mais le dirigeant d’un pays dont la vocation est de les accueillir.

En clair : cette blague, aussi pétrie de mauvais goût qu’elle soit, n’est pas antisémite et n’attaque pas les Juifs, ni même la religion juive.

 

Une nazification dénoncée

Pourtant, les tomates n’ont pas tardé à fuser. Tomates virtuelles, à l’heure des réseaux sociaux, mais tomates qui tachent. L’avocat Gilles-William Goldnadel et le député LR Meyer Habib y sont allés de leur réaction, plus ou moins caricaturale, souvent pour expier la dissymétrie qui existe dans la victimisation dont la gauche s’est faite le porte-étendard. Il en est de même pour l’essayiste Caroline Fourest, elle aussi au cœur d’une saisine de l’Arcom (ex-CSA) pour avoir refusé de comparer le meurtre volontaire d’enfants israéliens par le Hamas et les victimes civiles collatérales faites par l’armée israélienne.

Outre l’antisémitisme dénoncé dans cette boutade, la plupart des réactions négatives s’accordent sur la condamnation de la nazification du peuple des Juifs induite ici.

La réaction la moins caricaturale et sans doute la plus censée fut sans doute celle de la rabbine Delphine Horvilleur sur X (ex-Twitter), et ce non sans répondre à la provocation par l’humour :

Prépuce ou pas : Moi je serais plutot en faveur de circoncire le temps d’antenne de Guillaume Meurice. (Et le mandat de Netanyahou aussi, mais c’est une autre histoire). Ah si seulement les juifs contrôlaient les médias !…🤢😤😩 #nazifierlesjuifsunenouvellemode https://t.co/9SME46Xess

— Delphine Horvilleur (@rabbidelphineH) October 30, 2023

 

Une rédaction divisée

Face à cette levée de boucliers, la rédaction de France Inter s’est retrouvée dans la tourmente.

Tel est le cas en particulier de Charline Vanhoenacker, dont Gilles-William Goldnadel a rappelé qu’elle avait dessiné une moustache hitlérienne sur une affiche d’Éric Zemmour. L’animatrice avait dû s’en expliquer ensuite auprès de la patronne de Radio France Sibyle Veil.

Suite à la sortie de son collègue, la présentatrice du service public a été contrainte de prendre la parole, évoquant, sans surprise, « une satire », « une caricature », dont l’interprétation antisémite serait « une dangereuse instrumentalisation », fruit de l’extrême droite.

Toujours dans la tourmente plusieurs jours après le début de la polémique, Charline Vanhoenacker a noté une « prise de risque » en constatant toutefois une « tension mal jaugée ».

Or, si on suit Le Figaro du 2 novembre dernier, la rédaction de France Inter est moins soudée sur le sujet que ce que l’image d’Épinal laisse penser.

« Nous refusons d’être entraînés dans sa chute », estime un salarié cité par le quotidien. De son côté, la directrice de la station parle d’une « outrance ».

Un autre soutien est intéressant à noter : l’ex-auteur des Guignols de l’Info Bruno Gaccio a apporté son soutien au chroniqueur. Il y a 20 ans, ce même Bruno Gaccio avait déjà soutenu un autre humoriste dont la première polémique ressemble trait pour trait à celle qui nous occupe ici.

 

Une affaire Dieudonné-bis ?

Nous sommes un soir d’automne sur une chaîne du service public. Alors que le conflit israélo-palestinien est revenu sur le devant la scène, un humoriste marqué à gauche lance un sketch comparant la politique israélienne à celle suivie par les nazis. Les invités et l’animateur de l’émission sont hilares.

Cette scène n’est toutefois pas la blague de Guillaume Meurice, mais celle qui lança l’affaire Dieudonné il y a presque 20 ans jour pour jour, le 1er décembre 2003 sur le plateau de l’émission « On ne peut pas plaire à tout le monde », animée par Marc-Olivier Fogiel.

Dieudonné terminant son sketch par un « Isra-Heil » en pleine seconde intifada avant de faire un salut nazi n’est pas sans revenir en mémoire lorsqu’on pense à la nazification d’Israël opérée 20 ans plus tard par Guillaume Meurice.

 

Responsabilité et service public

Le parallèle s’arrêtera là, Dieudonné ayant eu bien avant cette blague un passif antisémite marqué, bien que passé inaperçu à l’époque.

Que la blague de Guillaume Meurice soit antisémite ou non, la polémique qu’elle a provoquée n’est pas près de se terminer. La gêne de la rédaction n’en est que la plus criante démonstration.

Or, si le bouffon est depuis toujours frappé d’immunité, la question de sa responsabilité se posera de plus en plus à mesure que le service public s’arrogera un magistère intellectuel sur l’humour acceptable, y compris en dérapant comme ce fut le cas ici.

C’est l’occasion de nous souvenir d’un principe simple : il ne saurait y avoir de réelle liberté d’expression dans le cadre d’un service public financé par tous, et donc ne pouvant froisser personne.

Lutte contre l’antisémitisme : la liberté de manifester ne peut devenir une injonction à manifester

Qui a dit quoi ? Quand ? Comment ? Qui ne va pas à telle manifestation est automatiquement pro-Hamas. Qui ne poste pas ceci ou cela devient suspect d’affinité avec ce qu’il ne dénonce pas. Tel est le climat actuel sur les réseaux sociaux, dans la presse ou sur des plateaux de télévision. Un climat de suspicion s’installe qu’il faut impérativement dénoncer et combattre avant qu’il ne prenne durablement ses quartiers.

 

La lutte contre l’antisémitisme ne peut devenir une injonction, ou pire, une sommation. Dans une démocratie libérale, le fait d’aller manifester peut être encouragé, non requis, et ne peut passer par l’intimidation. Qu’une frange de l’espace politique fasse des choix douteux et contestables ne peut donner lieu à une mise à la question de l’ensemble du corps politique : que pense-t-il en temps et en heure ? De ceci, de cela, et du reste ? On ne peut criminaliser le non-dit ; le silence ne peut devenir suspect. Si dire son indignation importe, la chasse aux déclarations publiques, aux condamnations ou aux validations, ne peut se généraliser sous peine d’empoisonner durablement le débat public, déjà féroce et houleux. Le genre épidictique (l’éloge ou le blâme) pratiqué sur le mode du contrôle social peut virer au cauchemar s’il devient une pratique coercitive sur le mode du « vous louez ou blâmez convenablement ».

Il faut rester ferme sur les principes libéraux : liberté d’expression, pluralité des opinions, liberté de manifester.

Aucune des trois n’est clairement remise en cause, mais chacune est ces jours-ci entachée de suspicion : vous vous exprimez — que dites-vous ? ; vos opinions sont-elles décentes ? ; vous allez manifester — à côté de qui ? dites-vous bien ceci et cela en même temps ?

Ce faisceau de questions plus ou moins tacites, et de plus en plus ouvertement posées traduisent un climat de censure dont on ne peut accepter qu’il devienne l’étalon de l’échange interpersonnel. La liberté d’expression implique le désaccord, chercher qui a des opinions licites ou suspectes n’est que l’autre nom de l’Inquisition. Chercher la faille, le propos incomplet, la citation imprécise et l’on a tous les ingrédients d’une néo-police de la pensée qui contrevient en tout à l’esprit d’une démocratie saine et vivante.

Il faut tenir bon et rester fermement arrimés aux principes énoncés par Benjamin Constant dans plusieurs de ses textes. C’est une exigence intellectuelle et morale qui est seule garante que les libertés publiques sont respectées et mieux encore, que chacun puisse en jouir, sans crainte d’être « verbalisé ». La surveillance généralisée au nom de combats légitimes (lutte contre l’antisémitisme, importance de nommer les choses et les faits avec justesse) est néanmoins une pente dangereuse dont on ne saurait revenir indemne : son coût est l’auto-censure, la crainte de s’exprimer, « et c’est une patrie bientôt perdue qu’une patrie sauvée ainsi chaque jour[1] », pour citer celui qui défendit si farouchement la liberté, toutes les libertés.

Prenons garde que la défense de justes causes ne se transforme en un enfer à ciel ouvert. On ne défend pas des principes avec des méthodes qui leur sont opposées. C’est le fondement de l’État de droit qui garantie les libertés et qui ne peut déboucher sur la création d’une police citoyenne visant à les défendre. La contradiction est manifeste et elle doit être énoncée comme telle. La course à la vertu, c’est le contraire de la vertu ; la chasse aux opinions délictueuses, c’est l’assurance d’une course contre la montre perdue d’avance.

Rappelons, d’une part, avec Constant qu’« il dépend de chacun de nous d’attenter à la liberté individuelle. Ce n’est point un privilège particulier aux ministres[2] » ; d’autre part, que « la puissance légitime du ministre lui facilite les moyens de commettre des actes illégitimes ; mais cet emploi de sa puissance n’est qu’un délit de plus[3]. ».

Autrement dit, chacun a son rôle à jouer dans la qualité des interactions publiques. La parole d’un ministre, pour grave qu’elle soit à son niveau de responsabilité, n’exonère pas les citoyens lambda de leur responsabilité propre : le terrorisme intellectuel n’a pas d’écurie particulière. Il peut être l’apanage des partis, comme des individus ou de médias peu scrupuleux.

C’est à la fin le même poison qui est distillé : celui de la coercition, de l’intimidation, du zèle mis à dénoncer un tel ou une telle sur la base de déclarations partielles, incomplètes ou qu’on juge insuffisante pour qu’il/elle soit tenu pour un « bon Français » ou un « bon citoyen ».

L’expression d’opinions « mauvaises » est une soupape pour la démocratie : leur tenir tête et les contredire, les défaire, est une chose ; vouloir les museler et les interdire en est une autre. L’une est saine, démocratiquement, la seconde profondément malsaine. On peut combattre une chaîne de télévision, un parti, un hebdomadaire, sans vouloir les interdire. Cette chaîne, ce parti, ce journal exige des contrepoints et que d’autres voix soient entendues : c’est donc aux médias de faire en sorte que la pluralité des points de vue soit assurée, et que la « modération » soit tout autant audible que les diatribes les plus notoires.

Rappelons-nous enfin avec Constant :

« L’intolérance civile est aussi dangereuse, plus absurde et surtout plus injuste que l’intolérance religieuse. Elle est aussi dangereuse, puisqu’elle a les mêmes résultats sous un autre prétexte ; elle est plus absurde, puisqu’elle n’est pas motivée sur la conviction ; elle est plus injuste, puisque le mal qu’elle cause n’est pas pour elle un devoir, mais un calcul.[4] »

Ce calcul, c’est celui de vouloir avoir Raison contre tous, de dire ce qui est bien ou mal, de prétendre détenir la vérité en décrétant quelles opinions sont valables ou non. Qu’on ne vive pas dans un État totalitaire est toujours l’affaire de tous.

[1] De l’Usurpation, « Chap XVI de l’effet des mesures illégales et despotiques, dans les gouvernements réguliers eux-mêmes », éd. Pléiade, p.1053.

[2] Principes de politique, « De la responsabilité des ministres », p.1127.

[3] Ibid.

[4]  Principes de politique, p.1182

Le portefeuille d’identité numérique arrive, et avec lui, la prison européenne à ciel ouvert

Par : h16

Ah… l’Union européenne… C’est une chose subtile qui a bien du mal à gérer des afflux d’immigrants clandestins mais qui prétend, sans sourciller, règlementer les boîtes de camembert et qui, pour faire bonne mesure, entend construire la prochaine prison numérique à ciel ouvert sur tout le territoire européen.

Une prison numérique à ciel ouvert ? Diable, n’est-ce pas un peu exagéré ?

Il suffit en réalité de constater le niveau de frétillance élevé du commissaire Breton pour comprendre que non : ce dernier a tout récemment annoncé, un sourire extatique vissé aux lèvres, que le Parlement et le Conseil européens étaient parvenus à un accord sur l’identité numérique européenne, la fameuse #eID. Avec elle, bientôt, toute personne vivant dans l’Union européenne disposera bientôt d’un portefeuille numérique.

La joie de ceux qui nous dirigent doit toujours alerter, et lorsqu’elle concerne des factotums non élus, elle doit même déclencher une saine répulsion.

Bien sûr, si l’on s’en tient aux petits textes acidulés de présentation du projet par les institutions européennes, tout est pour le mieux : la mise en place de ce portefeuille numérique ouvre les portes à de grandes et belles réalisations, facilitant la vie de tous dans des dizaines d’aspects différents. Exactement comme le pass vaccinal qui devait grandement faciliter la vie de ceux qui s’étaient fait injecter un produit mystère, ce nouveau wallet autorisera son porteur à réaliser tout une série d’opérations qui, sans lui, seraient un peu plus compliquées ou bureaucratiques.

Ah oui, vraiment, ce « portefeuille numérique », ça va être commode, et ce sera davantage sécurisé. Que c’est pratique !

Mais voilà : comme une lecture attentive des textes de loi le laisse comprendre, ce « portefeuille numérique » contiendra effectivement TOUT ce que le gouvernement veut savoir sur vous, vos informations personnelles, vos données biométriques et médicales et, bien sûr, l’intégralité de votre patrimoine financier sous forme d’euros numériques, c’est-à-dire cette monnaie numérique de Banque centrale (CBDC) dont les gouvernants veulent qu’elle remplace complètement l’argent liquide à moyen terme.

Or, ceci donnera aux administrations, et surtout à ceux qui les dirigent, élus ou non, le pouvoir énorme de suivre vos moindres faits et gestes, de savoir exactement ce que vous faites avec l’argent qu’ils vous autoriseront (ou non) à avoir, voire flécher vos dépenses (ceci, vous y avez doit, cela, non), jusqu’à l’interdiction pure et simple dans les cas les plus graves (qui ne manqueront pas, c’est garanti sur facture).

Avec ce wallet, chaque gouvernement européen sera en mesure d’espionner à la fois ses propres citoyens et les résidents de l’Union européenne sur leur sol en leur fournissant même les moyens techniques d’intercepter le trafic web crypté (oui, oui, il y a bien des dispositions en ce sens). Ceci ne signifie rien de moins que la fin de notre vie privée, et, en pratique, le début d’une prison à ciel ouvert pour les Européens.

En effet, il ne faut pas être trop malin ni particulièrement doué pour comprendre les dérives possibles de ce genre de procédés.

Après tout, un autre pays a devancé les frétillantes idées européennes, c’est la Chine : par l’utilisation quasi-universelle de différents procédés – à commencer par l’application WeChat – la dictature communiste a très concrètement mis en place un contrôle social numérique, complet et efficace pour garantir la bonne soumission du peuple aux desiderata des dirigeants.

Pour une Union européenne qui, ces dernières années, a donné tous les signes de virage vers l’autocratie collectiviste (le passage pandémique ayant largement accéléré ses velléités), la mise en place de ce « portefeuille numérique » est l’étape indispensable pour aboutir exactement au même résultat que la Chine communiste.

Dans un premier temps, il s’agira de récompenser le bon citoyen, bien conforme voire conformiste, en lui donnant accès à des procédures facilitées, à des aides ou des bonus alléchants. Petit à petit, les citoyens réfractaires ou simplement largués par les technologies afférentes se retrouveront dans la zone grise des demi-mesures, des arrangements bureaucratiques en attendant qu’ils s’adaptent ou qu’ils périssent.

Enfin, l’étape ultime sera atteinte lorsqu’à la place de bonus, ce seront des sanctions et des punitions qui apparaîtront lorsqu’on refusera d’utiliser les passerelles technologiques alors officiellement imposées partout, et pour tous.

Présentées comme commodes et permettant de vous protéger (c’est important, la sécurité, voyez m’ame Michu), ces technologies seront largement incitées, puis rapidement imposées, et enfin sanctionnées en cas de non-utilisation ou de contournement.

Bien sûr, quelques citoyens, des experts en sécurité informatique et même des parlementaires européens, conscients de l’énorme piège qui se met en place, ont déjà tenté d’alerter l’opinion publique. Les médias de grand chemin, fidèles à leur habitude d’aplatissement supersonique, de veulerie survitaminée et d’inutilité en or massif, se sont empressés de ne pas en parler, ou ont essentiellement classé les dérives potentielles dans la catégorie des théories du complot, même elles ont pourtant été observées avec le pass vaccinal…

À en juger par les mines un peu trop réjouies des dirigeants européens à l’annonce d’un prochain vote favorable du Parlement européen, on comprend que les loups se pourlèchent déjà les babines du dîner de moutons qu’ils vont s’enfiler dans les prochaines années.

Cependant, pour les ovins, l’affaire est certes mal enquillée, mais il n’est pas encore trop tard pour bien faire comprendre son désaccord.

On pourra ainsi contacter son député européen (en retrouvant son e-mail ici) pour lui expliquer que ce genre d’abominations liberticides lui fera perdre son siège. Cela peut être étendu aux représentants locaux au niveau national. Après tout, ça changera les députés, les maires ou les sénateurs des demandes incessantes pour des subventions, des places en crèche ou des logements sociaux…

L’expérience du pass vaccinal, tant national qu’européen, fut douloureuse et doit servir : quoi qu’il arrive, ne vous conformez pas. N’utilisez pas ce passeport numérique, véritable usine de pavés pour l’enfer à l’échelle continentale. Arrêtez le conformisme, ne suivez pas le troupeau car sa funeste destination ne fait plus aucun doute.

Pour ceux qui le peuvent, contournez-en l’usage : prétendez n’avoir aucun smartphone, refusez d’utiliser internet pour vos interactions avec les administrations, et à plus forte raison les entreprises privées (quitte à boycotter celles qui s’afficheront un peu trop volontaires dans le déploiement et l’usage de cette future prison numérique).

De la même façon, rabattez-vous dès que possible sur l’argent liquide pour retarder l’avènement du système d’argent numérique et, si vous le pouvez, familiarisez-vous avec les cryptomonnaies et leur usage. Des collectifs existent pour vous y aider, contactez-les, entraînez-vous.

L’identité numérique européenne arrive, et le pire n’est pas à craindre : il est certain. Préparez-vous en conséquence.

Sur le web.

La culture en péril (12) – Redécouvrir la lecture à l’ère du numérique

Michel Desmurget est l’auteur notamment de La Fabrique du crétin digital, ouvrage sorti en 2019. Docteur en neurosciences et directeur de recherche à l’Inserm, il s’appuie sur ses travaux, ainsi que sur de très nombreuses études approfondies qui ont été menées à travers le monde, pour mesurer l’impact de la lecture sur l’intelligence dès le plus jeune âge, et d’autres qualités humaines essentielles qu’elle permet de développer.

Le constat est sans appel : le poids écrasant du digital, dans ce qu’il a de moins reluisant, au détriment du plaisir de la lecture, qui tend beaucoup à disparaître, a des conséquences multiples sur nos enfants, et au-delà, sur l’ensemble des générations actuelles, en particulier les plus jeunes.

 

Ce qu’apporte la lecture

C’est un thème qui nous est cher et que nous avons eu l’occasion d’aborder à de nombreuses reprises, et pas seulement à travers cette série. La lecture apporte de multiples bénéfices, parfois majeurs (je pense en particulier à cette qualité fondamentale dont on parle beaucoup depuis quelques temps, mais qui est pour moi un sujet de préoccupation crucial depuis longtemps : l’empathie). Or, nous dit Michel Desmurget, le milieu familial – plus encore que l’école – joue un rôle essentiel dans la transmission du goût de la lecture plaisir (car c’est bien d’elle qu’il s’agit avant tout) chez l’enfant, et dont l’enjeu est très loin d’être négligeable.

 

Des centaines d’études montrent le bénéfice massif de cette pratique sur le langage, la culture générale, la créativité, l’attention, les capacités de rédaction, les facultés d’expression orale, la compréhension d’autrui et de soi-même, ou encore l’empathie, avec, in fine, un impact considérable sur la réussite scolaire et professionnelle. Aucun autre loisir n’offre un éventail de bienfaits aussi large. À travers la lecture, l’enfant nourrit les trois piliers fondamentaux de son humanité : aptitudes intellectuelles, compétences émotionnelles et habiletés sociales. La lecture est tout bonnement irremplaçable.

 

D’humanité il est en effet bien question. Car en ces temps particulièrement agités, où la violence aveugle règne parfois, il me semble que cette empathie sur laquelle j’insiste est le maillon altéré qui mène aux défaillances humaines et aux sauvageries que nous ne constatons que trop souvent. Qui rejoint cette ignorance qui semblait à juste titre préoccuper un certain Dominique Bernard qui en a été la victime indirecte. Sujet qui me préoccupe également depuis longtemps et que l’on aurait en effet tort de sous-estimer. Qui rejoint en ce sens cette autre préoccupation aux conséquences non moins négligeables et préoccupantes qu’est la bêtise, un sujet d’étude là encore primordial, et hélas presque inépuisable.

 

Un bien sombre constat

La première partie de l’ouvrage s’appuie sur de nombreuses études approfondies, dont l’auteur dresse un panorama assez détaillé, illustrant l’impact particulièrement préoccupant du recul de la lecture sur les performances scolaires.

Il montre que les mécanismes d’imprégnation liés aux habitudes familiales de lecture partagée, devant laisser place ensuite à une autonomie croissante, ont un impact majeur sur la maîtrise du langage et de l’orthographe, ainsi que sur la compréhension de l’écrit. Ce qui exerce en prime un effet primordial sur les performances scolaires, et donc sur la détermination du devenir de la plupart des individus.

De nombreuses statistiques émaillent l’ensemble, montrant notamment la prépondérance du recours aux écrans digitaux, omniprésents dans notre quotidien et nos vies. Rejoignant au passage un autre constat voisin établi par Olivier Babeau – d’ailleurs cité par l’auteur – au sujet de la tyrannie du divertissement. Or, remarque Michel Desmurget, il est à déplorer que ce soit parmi les étudiants d’aujourd’hui qui lisent très peu que l’on va recruter les professeurs de demain, censés donner le goût de la lecture à leurs élèves. Une sorte de cercle vicieux qui a, hélas, déjà commencé

 

Cela fait maintenant presque 15 ans que les systèmes éducatifs occidentaux ont vécu leur moment Spoutnik. Depuis, rien n’a changé. Entre déni et opérations de communication, l’action politique a ici expiré avant même d’être née. Les performances de nos gamins sont alarmantes, mais rien ne bouge. À défaut de veiller sur la construction de leur intelligence, on leur offre, pour maintenir l’illusion, des diplômes dépréciés. Pire, on cristallise le désastre dans une sorte de nasse inéluctable qui voit tout une génération de lecteurs défaillants devenir enseignants.

 

Parmi les statistiques les plus alarmantes, on trouve un chapitre assez complet relatif aux performances de plus en plus inquiétantes en matière de lecture et de compréhension simple d’un texte, tant en France qu’à l’étranger, notamment aux États-Unis. Situation préoccupante dont seuls semblent véritablement émerger la Chine et d’autres pays asiatiques (en particulier Singapour), très conscients quant à eux de la priorité à accorder à l’éducation, qui est à la base de tout. Et dont les défaillances, dont nous nous en tenons chez nous depuis trop longtemps au constat, nous mènent droit au désastre. Tandis que les pays asiatiques en question privilégient justement la lecture, l’exigence, la rigueur et l’autodiscipline, n’hésitant pas à l’inverse à restreindre l’usage des écrans numériques, à l’instar de ce que font d’ailleurs, nous le savons, les grands génies de cette industrie.

Ce n’est pas tout. Non seulement nos décideurs tardent à agir, mais à l’inverse de ce qu’il conviendrait d’entreprendre, nous nous sommes dirigés depuis de nombreuses années – sous l’effet d’une sorte de pessimisme ambiant – dans le sens de la simplification des programmes et des manuels scolaires, tout comme du langage et de l’expression. Michel Desmurget nous remémore au passage quelques exemples de livres pour la jeunesse (et pas uniquement) non seulement présentés dans des versions abrégées (qui se substituent parfois complètement à l’originale), mais – pire encore – parfois en partie réécrits, le passé simple étant par exemple remplacé par le présent de l’indicatif, les phrases raccourcies (quelquefois substantiellement), la richesse lexicale nettement amoindrie. Il remarque qu’il en va d’ailleurs de plus en plus de même dans les paroles des chansons ou dans les discours politiques, signe d’un appauvrissement généralisé du langage, avec toutes les conséquences que cela induit. Notamment, à l’issue de ce processus, en termes de compréhension « basique » des choses. Voilà où nous mènent, considère l’auteur, « les chantres de l’égalitarisme doctrinaire ».

 

La maîtrise de la lecture, une simple question de pratique

La deuxième partie du livre s’intéresse en particulier aux aspects physiologiques liés au fonctionnement du cerveau.

De fait, quoi qu’on veuille, des milliers d’heures d’instruction et de pratique sont nécessaires pour savoir vraiment lire (et comprendre), de sorte que cela devienne simple et quasi-naturel, selon les spécialistes. Autrement dit, l’apprentissage à l’école ne saurait suffire. C’est la lecture régulière, chez soi, qui permet de développer véritablement ses capacités, au premier rang desquelles la compréhension de ce qu’on lit, n’en déplaise là encore à ceux qui voudraient révolutionner la langue et l’orthographe dans l’espoir un peu vain de lutter contre les inégalités. Une lecture attentive de cette partie du livre leur serait utile, tant elle est susceptible de leur démontrer en quoi leur militantisme est irréaliste et inopérant, pour ne pas dire totalement contre-productif.

Au-delà de sa complexité, la langue française est bien faite, mieux que l’on peut éventuellement le penser spontanément. Les multiples exemples présentés par l’auteur mettent par exemple parfaitement en évidence le rôle joué par des lettres ou accents pouvant paraître inutiles à première vue (même si l’on pourra toujours évidemment sans doute trouver des exceptions), facilitant grandement, en définitive, la compréhension. Même si cela ne se fait en effet pas sans effort et sans une pratique régulière de la lecture. À l’instar de ce qui s’applique tout autant aux domaines du sport ou de la musique (enlèverait-on une corde au violon pour en simplifier la maîtrise, interroge l’auteur ?). Rien de « réactionnaire » dans ces observations, insiste-t-il, tout juste des éléments purement factuels et établis par la science.

Savoir lire ne se limite en revanche aucunement au simple déchiffrage. Or, il apparaît (et tout professeur peut le constater en pratique auprès de ses classes) qu’il y a souvent difficulté à comprendre qu’on ne comprend pas. Là encore, Michel Desmurget nous en donne des exemples très concrets. Le manque de repères, de lectures, de culture, ne permettent pas de comprendre bien des choses, même simples. Les malentendus sont fréquents en la matière.

À tout ceci vient se greffer l’illusion que le large accès à la connaissance via les moteurs de recherche permettrait de remplacer la connaissance. Il s’agit bien d’un leurre, que le docteur en neurosciences parvient à nous démontrer facilement à l’aide là encore de quelques exemples très parlants. Sans oublier la crédulité qui l’accompagne, et que seule une pratique régulière de la lecture et les mécanismes intellectuels qu’elle met en jeu permettent de débusquer. Il faut lire l’ouvrage pour s’en convaincre, ces quelques lignes ne pouvant entrer dans le détail de l’explication et des exemples illustratifs qui la nourrissent.

 

Un phénomène cumulatif

L’apprentissage est en effet un phénomène cumulatif, reposant sur une série de socles. Autrement dit, une série de repères issus de l’expérience de la lecture, et sans lesquels on ne parviendra pas à déchiffrer un problème nouveau.

C’est ce que Michel Desmurget montre dans la troisième partie du livre, en valorisant notamment le rôle de la lecture partagée. Tout en insistant bien sur le fait que cet apprentissage, puis cette pratique au quotidien de la lecture, ne valent que si elle se conçoit de manière ludique, comme un bon moment d’échange et de complicité, une forme de loisir en famille. Plus l’enfant éprouvera de plaisir, plus il progressera.

L’essentiel se trouve dans une phrase du professeur de psychologie Andrew Biemiller :

« On ne peut apprendre des mots qu’on ne rencontre pas ».

D’où l’importance capitale de parler beaucoup à ses enfants dès le plus jeune âge. Ce qui participe grandement à la construction de son cerveau, et donc de ses facultés. Ce que ne permettent pas de remplacer les écrans. D’autant plus que le moment-phare où la plasticité du cerveau est optimale est l’âge de 18-24 mois. C’est là que la variété des conversations intra-familiales va jouer le plus grand rôle. Sachant que les stimulations reçues la première année sont d’ores et déjà cruciales pour le déploiement des capacités langagières, même si le bébé ne parle pas encore.

La lecture partagée va alors jouer un grand rôle dans la richesse du vocabulaire, la qualité de l’attention, et les aptitudes socio-émotionnelles. Mais aussi sur la capacité à respecter les règles sociales communes, la politesse, le contrôle de l’impulsivité, l’apaisement et l’harmonie familiale. Sans oublier cette qualité fondamentale qu’est l’empathie.

C’est pourquoi, montre Michel Desmurget, l’école ne pourra pas grand-chose face au décalage considérable et qui va ne faire que s’accroître entre enfants venant de milieux où ils ont été stimulés et les autres. Le nombre de mots de vocabulaire acquis par les uns et les autres varie déjà du simple au double au moment de l’entrée à l’école à 3 ans. Et ne va faire que s’amplifier (« Le gouffre de 4200 mots qui, à 9 ans, sépare les enfants les plus favorisés de leurs homologues les moins privilégiés représente douze ans d’enseignement intensif »).

D’autant plus que « plus on sait, plus on apprend » (y compris en faisant appel à des analogies). Le système éducatif français n’est d’ailleurs pas, rappelle l’auteur, celui qui est connu pour contrebalancer le mieux les inégalités sociales, malgré toutes les prétentions de ceux qui entendent y contribuer via les orientations qu’ils promeuvent.

 

Un monde sans livres

C’est le titre de la quatrième partie, dans laquelle Michel Desmurget commence par consacrer tout un chapitre à ce que l’humanité doit aux livres, permettant de bien réaliser à quel point leurs apports ont été et continuent d’être majeurs, avant de montrer le potentiel unique du livre. C’est bien justement en raison de ce potentiel qu’ont lieu les autodafés. Provoquer l’amnésie historique et l’appauvrissement du langage, afin de mieux contrôler les individus et les sociétés est l’un des moyens courants utilisés par les régimes totalitaires, qui cherchent à rendre le peuple plus malléable, par le recours à des mots, des concepts et des raisonnements simples.

La cinquième et dernière partie, enfin, revient en détail sur les multiples bénéfices de la lecture en ce qui concerne la construction de la pensée, la maîtrise du langage et les aspects fondamentaux de notre fonctionnement socio-émotionnel. L’auteur montre, entre autres, que les adeptes de la réécriture des livres et de l’expiation sans limites de tout ce qui est susceptible de froisser les uns ou les autres est non seulement une absurdité qui risque d’aboutir à brûler une grande partie des livres, mais il s’agit en outre de quelque chose de contre-productif, dans la mesure où c’est à travers tous les ouvrages, y compris ceux qui peuvent déranger, que l’enfant peut fourbir les armes qui lui permettront plus tard d’identifier et affronter l’odieux.

Une étude menée auprès d’une large population d’étudiants a d’ailleurs montré, ajoute-t-il, « que la lecture d’un plus grand nombre d’ouvrages de fiction était associée à une diminution des stéréotypes de genre et à une représentation plus égalitaire des rôles sexués ». En convergence avec une autre recherche relative aux attitudes discriminatoires envers les minorités. Car ce sont bien les valeurs de tolérance, écrit-il, qui se développent, ainsi que l’ont montré de nombreux auteurs, par la diversité des contrastes et des écrits.

Deux méta-analyses ont aussi montré, sur la période 1980-2010, une nette augmentation du narcissisme et de l’auto-suffisance des populations étudiantes, accompagnée d’un déclin conjoint de l’empathie. Même si le recul de la lecture n’est pas seul en cause dans ces évolutions.

Donc, rien de plus utile, pour contrecarrer toutes ces tendances que d’encourager la lecture dès le plus jeune âge comme mode émancipateur et formateur, à même d’aider les individus à se construire et nous aider à vivre dans une société davantage propice à l’harmonie et aux libertés. Les parents ont ici un rôle accompagnateur à jouer. Un jeu qui en vaut la chandelle quand on connaît les bénéfices incomparables que l’on retire de la lecture plaisir à raison d’une toute petite demi-heure par jour simplement ! À comparer au nombre d’heures journalier consacré à leur concurrent directement responsable du très vif recul de la lecture : les écrans récréatifs…

 

Michel Desmurget, Faites-les lire ! Pour en finir avec le crétin digital, Seuil, septembre 2023, 416 pages.

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À lire aussi :

Les libéraux, le libéralisme et l’islam

Parmi ceux qui, en France, condamnent l’islam et les musulmans, il y a les croyants et les non-croyants.

Or les croyants, d’abord, doivent se souvenir que la religion a besoin de concurrence. À peine la démonstration a-t-elle besoin d’être faite.

Dès 1684, Basnage de Beauval explique que quand une religion n’a point de concurrents à craindre, elle s’affaiblit, se corrompt.

En Angleterre, Voltaire fait cette remarque que la concurrence des religions y est extrêmement favorable à la liberté :

« S’il n’y avait en Angleterre qu’une religion, dit-il, le despotisme serait à craindre ; s’il y en avait deux, elles se couperaient la gorge ; mais il y en a trente, et elles vivent en paix et heureuses ». (Lettres sur les Anglais, 1734, 6e lettre.)

Alexis de Tocqueville consigne presque exactement les mêmes mots dans ses Carnets américains. (Œuvres complètes, t. V, vol. I, p. 70)

Enfin, dans ses Principes de politique de 1806, Benjamin Constant a un chapitre pour prouver les avantages de la concurrence des religions, en particulier sur la pureté de la morale. (Œuvres complètes, t. V, p. 278)

Ceux qui ne croient pas n’ont pas seulement, comme les autres, à dompter et à vaincre les fanatiques, qui menacent de brûler les hérétiques. Ils doivent encore éclairer les superstitieux. C’est que pour eux toute religion pose problème, étant fondée sur le principe d’autorité.

Les commandements de la Bible sont tyranniques au premier degré.

« Suivez mes lois, gardez mes commandements, mettez-les en pratique », c’est ce que le Lévitique donne à lire.

En bon français, cela signifie : que ces commandements vous paraissent bons ou mauvais, utiles ou futiles, vous les respecterez, car j’en suis l’auteur, moi, votre maître. Car le vrai vocabulaire des religions est celui des régimes d’esclavage, de servage, ou du moins de tutelle. Chez les libéraux français, on a pu débattre pour savoir si le catholicisme était compatible avec la liberté. Tocqueville la croyait surtout compatible avec un régime monarchique (Lettre à Ernest de Chabrol, 26 octobre 1831 ; Œuvres complètes, t. XVII, vol. I) ; elle aussi serait donc anti-républicaine ?

On dira que l’islam est une religion moyenâgeuse. C’est une façon de parler : car ce sont les Arabes qui, au Moyen Âge, nous ont révélé le monde gréco-latin. Mais peut-être l’islam serait-il incompatible avec le progrès, la civilisation ?

Tocqueville, qui a séjourné en Algérie, qui a lu le Coran crayon en main, ne le croyait pas :

« La propriété individuelle, l’industrie, l’habitation sédentaire n’ont rien de contraire à la religion de Mahomet […] L’islamisme n’est pas absolument impénétrable à la lumière ; il a souvent admis dans son sein certaines sciences ou certains arts. » (Œuvres complètes, t. III, vol. I, p. 325)

On dira que les musulmans sont dangereux. C’est un propos malséant, pour nous qui ne devons voir que les individus.

Au surplus, Benjamin Constant (qui a passé 30 ans à étudier les religions) enseigne que « l’autorité ne doit jamais proscrire une religion, même quand elle la croit dangereuse. Qu’elle punisse les actions coupables qu’une religion fait commettre, non comme actions religieuses, mais comme actions coupables : elle parviendra facilement à les réprimer. Si elle les attaquait comme religieuses, elle en ferait un devoir, et si elle voulait remonter jusqu’à l’opinion qui en est la source, elle s’engagerait dans un labyrinthe de vexations et d’iniquités, qui n’aurait plus de terme. » (Œuvres complètes, t. IX, p. 832)

C’est l’idée que défendait déjà Turgot un demi-siècle plus tôt, au milieu des grandes controverses religieuses du temps :

« Une religion qui aurait établi un grand nombre de dogmes faux et contraires aux principes de l’autorité politique, écrivait-il, et qui en même temps se serait fermé la voie pour revenir de ses erreurs qu’elle aurait consacrées, ou qu’elle se serait incorporées, ne serait pas faite pour être la religion publique d’un État : elle n’aurait droit qu’à la tolérance. » (Œuvres de Turgot et documents le concernant, t. I, p. 347)

Mais l’islam est éminemment politique, et les musulmans, sans doute, veulent remplacer nos lois par les leurs.

D’abord, aucune religion ne s’est jamais accommodée des lois qu’elle trouvait établies.

Dieu dit à Moïse :

« Vous n’agirez ni selon les coutumes du pays d’Égypte où vous avez demeuré, ni selon les mœurs du pays de Chanaan dans lequel je vous ferai entrer. Vous ne suivrez ni leurs lois ni leurs règles. » (Lévitique, XVIII, 3)

Naturellement, il ne faut pas le permettre. En son temps, rappelle Édouard Laboulaye, l’Église catholique, « qui était la religion, a voulu être la science, elle est arrivée un jour à être le gouvernement ; on s’est aperçu enfin qu’elle voulait tout envahir. On a secoué le joug, et elle est rentrée dans le temple. » (Histoire politique des États-Unis, 1867, t. III, p. 432)

Pour dompter et vaincre les fanatiques, qui portent atteinte aux personnes ou aux propriétés, il faut la rigueur des lois. Pour éclairer les superstitieux, il faut autre chose : des lumières, du temps et de la bienveillance. C’est-à-dire qu’il faut de la liberté : car d’un côté un « État gendarme » vaut mieux qu’un État qui se mêle de tout et ne remplit pas ses missions ; de l’autre, la diffusion des idées ne peut se faire qu’en milieu libre.

La liberté de circulation des personnes, la tolérance religieuse, sont des principes majeurs du libéralisme. L’immigration a ses inconvénients, si elle a ses avantages. Mais renier nos principes et nos valeurs historiques ne peut se faire qu’au prix d’un affaiblissement.

Le soutien de façade des Russes à la guerre en Ukraine

Un article de Vera Grantseva,

« Les Russes veulent-ils la guerre ? » Depuis le 24 février 2022, le monde entier se pose souvent cette question, tentant de comprendre – au vu de sondages effectués dans un contexte de contrôle et de suspicion qui rend très complexe l’analyse de leurs résultats – si la société russe soutient réellement Vladimir Poutine dans son invasion de l’Ukraine.

Vera Grantseva, politologue russe installée en France depuis 2021, a donné ce titre, emprunté à un célèbre poème d’Evguéni Evtouchenko, à l’ouvrage qu’elle vient de publier aux Éditions du Cerf. Il peut sembler, à première vue, que, aujourd’hui, les Russes n’ont rien contre la guerre qui ravage l’Ukraine. Pourtant, l’analyse fine que propose Vera Grantseva, sur la base de l’examen de nombreuses enquêtes quantitatives et qualitatives et de divers autres éléments (émigration, résistance passive, repli sur des communautés Internet sécurisées) remet en cause cette idée reçue. Nous vous proposons ici un extrait du chapitre « Un soutien de façade au conflit ».

 

Il est important de comprendre combien l’attitude de la société vis-à-vis des opérations militaires en Ukraine a changé tout au long de la première année du conflit. Au cours de la période allant de mars 2022 à février 2023, plusieurs phases correspondant aux chocs externes et aux problèmes internes accumulés peuvent être identifiées.

On en retiendra quatre :

  1. Le choc, du 24 février 2022 à fin mars 2022
  2. La polarisation, d’avril à septembre 2022
  3. La mobilisation, de septembre à novembre 2022
  4. La normalisation, de décembre 2022 à l’été 2023

 

Le choc

Commençons par le choc qu’a constitué, pour l’ensemble des Russes, la déclaration de guerre du 24 février 2022. La plupart des gens ne pouvaient pas croire que Vladimir Poutine, malgré la montée des tensions au cours des mois précédents, oserait envoyer des troupes dans un pays voisin. Dans les premiers jours, beaucoup ont refusé de croire à la réalité des combats, que des chars avaient traversé la frontière et attaquaient des villes et des villages en Ukraine, qu’il s’agissait d’une véritable guerre. D’ailleurs, Poutine a présenté tout ce qui se passait comme une « opération militaire spéciale », qui devrait être achevée à la vitesse de l’éclair et presque sans effusion de sang. C’est le discours qu’ont tenu les médias russes, dont la plupart sont contrôlés par le gouvernement, sur la base de rapports militaires.

Le choc initial a paralysé la plupart des Russes, mais il a aussi incité certains à s’exprimer ouvertement. Ce sont ces personnes qui ont commencé à descendre dans les rues des grandes villes pour exprimer leur désaccord. Certes, ils étaient une minorité, quelques milliers seulement. Mais compte tenu de la répression à laquelle ils s’exposaient, leur démarche prend une importance tout autre. Ces quelques milliers de citoyens qui se sont rassemblés les premiers jours ont montré que malgré tous les efforts des autorités et de la propagande, il y avait dans le pays des gens capables, non seulement de critiquer les autorités, mais d’aller jusqu’à risquer leur vie pour le dire lorsque le pouvoir franchit une ligne rouge.

La polarisation

Assez rapidement, le choc a laissé place à une polarisation renforcée. Fin mars, la législation criminalisant l’opposition à la guerre sous toutes ses formes était venue à bout des voix discordantes dans l’espace public. Les dissidents se sont montrés plus prudents, et les discussions politiques se sont déplacées dans les cuisines, comme c’était le cas à l’époque soviétique. Il est rapidement devenu clair que toute position médiane, que toute nuance, que tout compromis était intenable s’agissant d’un sujet comme la guerre en Ukraine.

Nombreuses furent les familles à se déchirer, la fracture générationnelle entre les jeunes et leurs parents ou leurs grands-parents étant la situation la plus fréquente. Pour les uns, la Russie commettait un crime de guerre, pour les autres, la SVO [sigle russe signifiant « Opération militaire russe »] était la condition de son salut. L’option consistant à quitter le pays s’invitant parfois dans les conversations. Une étude de Chronicles a montré que 26 % des personnes interrogées ont cessé de communiquer avec des amis proches et des parents pour des raisons telles que des opinions divergentes sur la politique et la guerre, et la perte de contact avec ceux qui ont quitté le pays ou sont partis pour le front.

Dès lors, deux ordres de réalité se faisaient face, recoupant eux-mêmes un accès différencié à l’information. De nombreux partisans de la guerre ont sciemment choisi des sources d’information unilatérales, principalement gouvernementales, qui leur ont montré une image éloignée de la réalité, mais leur permettaient de maintenir leur propre confort psychologique. Il leur était relativement facile de rester patriotes, de ne pas critiquer les autorités et de ne pas résister à la guerre : après tout, dans leur monde, il n’y avait pas de bombardements de zones résidentielles, il n’y avait pas de tortures ou de violences perpétrées sur les habitants des territoires occupés, aucune ville ni aucun village n’a été rasé et, après tout, aucun crime de guerre n’a été découvert à Bucha et Irpin après le retrait de l’armée russe des faubourgs de Kiev : « Nos soldats n’ont pas pu faire cela, cela ne peut pas être vrai. » Cette barrière psychologique n’a pas été imposée à ces gens ; il faut reconnaître la part du choix personnel leur permettant de vivre comme avant sans avoir à se confronter à la réalité des combats.

À l’inverse, une partie de la population a refusé de fermer les yeux et de se renseigner sur les horreurs du conflit. Ces personnes se trouvent le plus souvent isolées.

[…]

À l’été 2022, l’intensité de la polarisation dans la société russe a commencé à diminuer : l’enthousiasme des partisans du conflit s’estompait tandis que la non – résistance de la majorité de la population se faisait plus pessimiste. Les premiers ont été déçus que la Russie ne remporte pas une victoire rapide sur une nation dont ils niaient la capacité à résister et jusqu’à l’existence même. Quant aux autres, la perspective d’une paix retrouvée et avec elle du retour à la vie normale semble de plus en plus lointaine. De plus, les conséquences économiques de l’aventure militaire se font sentir : l’inflation des biens de consommation courante bat tous les records (atteignant 40 à 50 % pour certains produits), la qualité de vie décline rapidement avec le départ des entreprises occidentales du pays.

[…]

La mobilisation

Le 21 septembre, malgré sa promesse de ne pas utiliser de réservistes civils, le président Poutine a décrété la mobilisation partielle, provoquant un séisme dans le pays. À ce moment-là, les Russes ont enfin compris qu’il serait impossible de se soustraire à la guerre, et que tout le monde finirait par y prendre part. C’était le coup d’envoi de la deuxième plus grande vague d’émigration après celle ayant suivi le 24 février 2022. Cette fois, ce sont les jeunes hommes qui sont partis. Beaucoup d’entre eux ont pris une décision à la hâte, ont fait leurs valises et, dès le lendemain, ont gagné la Géorgie, l’Arménie, le Kazakhstan.

La plupart n’avaient pas de plan, pas de scénario préparé, de connexions, de moyens. Cette vague de départs, contrairement à la première, n’a pas touché que la classe moyenne : les représentants des classes les plus pauvres, même des régions reculées, ont également fui la mobilisation forcée. Ainsi, fin septembre, environ 7000 personnes ont quitté la Russie pour la Mongolie, principalement depuis les régions voisines de Bouriatie et Touva.

À ce moment-là, le reste de la population russe a commencé à recevoir massivement des citations à comparaître : des jeunes hommes ont été mobilisés directement dans le métro, à l’entrée du travail, et même surveillés jusqu’à l’entrée des immeubles résidentiels le soir. Beaucoup d’hommes sont passés à la clandestinité : ils ont arrêté d’utiliser les transports en commun, ont déménagé temporairement pour vivre à une autre adresse et n’ont pas répondu aux appels. Fin septembre 2022, le niveau d’anxiété avait presque doublé par rapport à début mars, passant de 43 % à 70 %.

De nombreux experts s’attendaient à ce que la mobilisation marque un tournant en matière de politique intérieure, poussant la société russe à résister activement à la guerre. Il n’en a rien été.

Malgré le choc initial provoqué par le décret de mobilisation, ceux qui ne pouvaient ou ne voulaient pas partir se sont adaptés aux nouvelles réalités, choisissant entre deux stratégies : se cacher ou laisser le hasard agir. Grâce à des lois répressives et à une propagande écrasante, certains Russes, ne ressentant aucun enthousiasme pour la guerre déclenchée par Poutine dans un pays voisin, ont progressivement accepté la mobilisation comme une chose normale. Le gouvernement russe a su jouer sur la peur autant que sur la honte pesant sur celui qui refuse d’être un « défenseur de la patrie » et de se battre « comme nos grands-pères ont combattu » – les parallèles avec la Grande Guerre patriotique de 1941-1945 ont largement été mobilisés. Et nombreux furent les jeunes Russes à se rendre finalement, avec fatalisme, au bureau d’enregistrement et d’enrôlement militaire pour partir au front.

 

La normalisation

En septembre-octobre 2022, tandis que Kiev multipliait les discours triomphalistes, le soutien à la guerre s’est durci sur fond de recul de l’armée russe dans la région de Kherson et d’augmentation du nombre de victimes militaires. À l’origine de ce nouvel état d’esprit ? La peur.

52 % des personnes interrogées à l’automne pensaient que l’Ukraine envahirait la Russie si les troupes du Kremlin se retiraient aux « frontières de février ». Ainsi se révélaient non seulement la peur de la défaite, mais aussi la peur croissante des représailles pour les crimes de guerre commis. De là un double mouvement : d’une part, la diffusion croissante d’une peur réelle que l’armée russe soit défaite, et de l’autre, une acceptation grandissante au sein de la majorité de la population de la nécessité de la mobilisation, perçue comme une « nouvelle normalité » et reconfigurée sous l’angle de la responsabilité civique et de la solidarité sociale. L’anxiété produite par la perspective de l’enrôlement massif des jeunes hommes s’est finalement estompée fin octobre : l’ampleur de la mobilisation s’est avérée moins importante que prévu.

Ainsi, depuis décembre 2022, la société russe est entrée dans une phase de « normalisation » de la guerre ou, comme le suggèrent les chercheurs du projet Chronicles, d’« immersion dans la guerre ». Pour eux, la dimension la plus frappante des changements de l’hiver et du printemps 2023 a été l’adaptation des attentes du public à la réalité d’une guerre longue. En dépit du risque d’être appelé, la plupart des Russes pouvaient continuer à vivre leur vie normalement malgré la mobilisation partielle. Des études sociologiques ont montré que la proportion de Russes anticipant une guerre prolongée est passée de 34 % en mars 2022 à 50 % en février 2023. Les experts de Chronicles décrivent ainsi une société « immergée » dans la guerre, devenue pour beaucoup le cadre d’une nouvelle existence.

L’historien britannique Nicholas Stargardt distingue quatre phases par lesquelles est passée la société allemande pendant la Seconde Guerre mondiale au cours des quatre années de conflit sur le front de l’Est : « Nous avons gagné ; nous allons gagner ! ; nous devons gagner ! ; nous ne pouvons pas perdre. »

On peut supposer qu’à partir du printemps 2023, la société russe a atteint le troisième stade : « Nous devons gagner ! » Entre autres différences significatives, quoiqu’immergée dans la guerre, la population russe n’en présente pas moins un potentiel de démobilisation non négligeable – et nombreux sont ceux qui aspirent à une paix rapide. En dépit des efforts de la propagande, le soutien idéologique à la guerre demeure faible et, pour un soldat, les objectifs fixés peinent à justifier l’idée de sacrifier sa vie.

Sur le web.

Faut-il ou non interdire les manifestations pro-palestiniennes sur le territoire français ?

Avant de développer les principes libéraux, il convient de rappeler la situation française.

Au lendemain des attentats terroristes du Hamas de nombreuses manifestations pro-palestiniennes ont été interdites en France comme dans de nombreux pays européens. D’autres manifestations ont pu avoir lieu dans plusieurs villes de France. Le gouvernement français ne se distingue donc pas fondamentalement des autres pays, même si le ministre de l’Intérieur a, dans un premier temps, clairement dépassé ses prérogatives légales.

Gérald Darmanin souhaitait en effet interdire toutes les manifestations pro-palestiniennes et avait envoyé des instructions en ce sens aux préfets. Sa décision a été retoquée/validée par le Conseil d’État qui recommande des décisions au cas par cas.

Pourquoi à la fois retoquée et validée ?

Parce que, par une contorsion juridique assez impressionnante, le Conseil d’État a débouté l’association Comité Action Palestine de sa demande tout en ré-interprétant le télégramme envoyé aux préfets – qui était totalement illégal – pour lui faire dire ce qu’il ne disait pas, à savoir que cette interdiction était contextuelle et limitée.

En effet, comme le rappelle le cabinet Landot & associés dans le blog juridique du monde public : les principes, en matière de pouvoirs de police restent ceux posés par le commissaire du gouvernement Corneille (sur CE, 10 août 1917, n° 59855) :

La liberté est la règle et la restriction de police l’exception.

Il reste que l’interdiction est pour l’instant majoritaire. Elle est systématique lorsque les organisateurs ont montré des signes de sympathie ou de soutien au Hamas. Elle est accordée au cas par cas lorsque les organisateurs présentent des garanties suffisantes de respect de l’ordre public, sachant que le cortège peut toujours être infiltré par des éléments antisémites ou violents. Une manifestation à valeur de test a d’ailleurs été autorisée à Paris jeudi 2 novembre. Organisée par des élus LFI, des collectifs politiques et syndicaux, la manifestation a réuni 2000 personnes sur la place de République en mode statique. Elle n’a donné lieu à aucun débordement et s’est dispersée dans le calme. 

Alors, faut-il interdire pour limiter les troubles, la casse, et les débordements racistes, qui sont des atteintes à la propriété et à la sûreté chères aux libéraux, ou bien faut-il privilégier la liberté d’expression qui est aussi un grand principe libéral ?

Le paradoxe de la tolérance de Karl Popper, nous donne des éléments de réponse :

« Une tolérance illimitée a pour conséquence fatale la disparition de la tolérance. Si l’on est d’une tolérance absolue, même envers les intolérants, et qu’on ne défende pas la société tolérante contre leurs assauts, les tolérants seront anéantis, et avec eux la tolérance.

Je ne veux pas dire par là qu’il faille toujours empêcher l’expression de théories intolérantes.

Tant qu’il est possible de les contrer par des arguments logiques et de les contenir avec l’aide de l’opinion publique, on aurait tort de les interdire. Mais il faut revendiquer le droit de le faire, même par la force si cela devient nécessaire, car il se peut fort bien que les tenants de ces théories se refusent à toute discussion logique et ne répondent aux arguments que par la violence. Il faudrait alors considérer que, ce faisant, ils se placent hors la loi et que l’incitation à l’intolérance est criminelle au même titre que l’incitation au meurtre, par exemple. »

La recommandation centrale ici, est de laisser s’exprimer les idées intolérantes – c’est l’autorisation qui est prédominante – mais de s’arroger le droit de les interdire, par la force s’il le faut, si la situation le commande. 

On ne peut donc pas en dernier recours laisser des manifestants crier leur haine des Juifs, ce qui est une incitation à la haine raciale et au meurtre, mais on doit le tolérer, en accepter le risque, pour pouvoir y répondre, et pour tenter de contrer par des arguments logiques ces débordements d’intolérance. Car lorsque l’intolérance ne peut pas s‘exprimer on ne peut pas y répondre.

Un cas d’école nous a été donné par l’interdiction des théories révisionnistes sur la Shoah et sur les chambres à gaz.

Par exemple, la thèse de M. Faurisson s’appuie sur des éléments techniques et chimiques pour « prouver » l’impossibilité de l’existence des chambres à gaz. Son argumentation a été littéralement démontée par ses pairs et par de vrais scientifiques. Malheureusement, tant que la thèse est invisible, sa réfutation l’est aussi, ce qui lui confère un statut de vérité cachée auprès d’un certain public.
Il en va de même avec les mensonges et les manipulations du Hamas et de ses sympathisants. Ils doivent pouvoir s’exprimer pour être dénoncés et réfutés, mais dans la limite où ils peuvent être contenus par une opinion publique attachée à la démocratie et à la tolérance.

Une fois n’est pas coutume, la ligne du gouvernement (après retoquage du Conseil d’État) ne paraît pas être très éloignée d’une ligne libérale classique : apprécier au cas par cas les risques de débordements violents, autoriser les manifestations légalistes de soutien au peuple palestinien, sachant très bien qu’il y aura des éléments extrémistes infiltrés, permettre à la société civile de répondre à ces débordements dans la limite où elle peut les absorber.

Bien sûr, on peut discuter du placement du curseur. Faut-il augmenter la proportion de manifestations autorisées ou interdire pour concentrer les forces de police sur la prévention d’attentats islamistes ?

Y a-t-il eu trop d’interdiction durant les trois semaines suivant l’attaque du Hamas ? Il semble en tout cas que ledit curseur se déplace actuellement vers la liberté de manifester. Nous verrons ce qui en ressortira.

« Quand la peur gouverne tout » de Carine Azzopardi

Carine Azzopardi est une journaliste qui a subi la perte de son compagnon et père de ses deux filles lors de la monstrueuse attaque terroriste du Bataclan. Au-delà de cette tragédie personnelle, à travers cet essai, elle entend dénoncer la peur, le manque de courage, mais aussi les dangereuses compromissions, qui amènent une partie des politiques, médias, associations et autres acteurs de la société à se voiler la face ou à céder face aux assauts idéologiques et manipulations allant à l’encontre de la démocratie.

 

Censure et liberté d’expression

La journaliste commence par montrer de quelle manière s’est faite l’apparition du wokisme, d’abord outre-Atlantique, puis ici, et le temps qu’il a fallu pour que l’on mette un mot dessus, que l’on prenne conscience peu à peu de son ampleur et de ses effets. Mais surtout, outre le nombre croissant d’anecdotes révélatrices à son sujet, elle montre qu’il n’a pas fallu longtemps pour que ceux qui emploient le terme ou l’évoquent soient stigmatisés, catégorisés comme réactionnaires, obsessionnels, ennemis des féministes, antiracistes, anticapitalistes, voire – terme devenu très à la mode et très commode pour faire taire un adversaire –« d’extrême droite ».

Non seulement des formes insidieuses de censure règnent de plus en plus sur énormément de sujets, mais des formes de collusion se sont également développées entre wokisme et islamisme. C’est l’objet de l’essai de Carine Azzopardi.

Quand l’antiracisme devient une aubaine, que des concepts inouïs tels que la « blanchité » sont créés – présentant les Blancs comme des oppresseurs, racistes à leur insu, qu’il faudrait rééduquer pour qu’ils s’éveillent (théories actuellement en vogue aux États-Unis) –, et que la victimisation devient un opportunisme, alors le malaise et la division deviennent de réelles menaces pour notre cohésion. Engendrant également la peur et la paralysie de nos décideurs, engoncés dans le déni.

 

Un fort déni de l’islamisme existe chez certaines élites françaises qui préfèrent fermer les yeux face au réel et analyser chaque événement se rapportant à ce phénomène comme étant le fait de populations discriminées, de délinquants, voire de déséquilibrés. Les actes ne sont reliés ni au discours ni à l’idéologie islamiste. Une analyse relativement commune, c’est qu’il s’agit d’un effet de la misère sociale, de « dominés » qui se rebellent face aux « dominants ». Le journaliste Edwy Plenel, fondateur du site Mediapart, analyse par exemple les attentats de janvier 2015 comme étant le fait de monstres que la société française a engendrés.

 

Certains milieux universitaires et une partie de la presse américaine ont même été jusqu’à analyser les attaques du 13 novembre 2015 à Paris comme une simple conséquence de la « suprématie blanche », et l’attaque au Bataclan comme celle du racisme de l’Occident blanc. Preuve que certains mélangent tout, et inversent les causalités. C’est le résultat du processus de déconstruction à l’œuvre, dans le prolongement de la discrimination positive amorcée dès les années 1960. Ce qui est comparable, estime l’auteur, à l’endoctrinement qui régnait en Chine sous Mao.

La « théorie critique de la race » née sur les campus américains et apparue dans les programmes scolaires américains en est le dernier avatar. Les discriminations raciales y sont considérées comme le facteur explicatif des inégalités sociales. Et à ce titre, elles doivent être éradiquées par des formes d’autocritique et de pratiques nouvelles relevant d’un véritable fanatisme. Comme pour la disparition des cours de musique dans certaines écoles, accusées de promouvoir la suprématie blanche.

 

Les collusions entre wokisme et islamisme

Carine Azzopardi analyse ensuite les rapports étroits qu’entretiennent les mouvements woke, décoloniaux, antiracistes (dont on peut largement douter du bienfondé de la dénomination) et progressistes identitaires (encourageant en réalité les communautarismes), avec l’islamisme.

Une sorte de jeu de dupes dans lequel les islamistes ont appris à maîtriser les codes woke, y voyant une opportunité de faire avancer leur cause, sur un temps long (et c’est bien le problème). Avec en particulier à la manœuvre les Frères musulmans, maîtres dans l’art du double discours (« l’un pour les mécréants, l’autre pour les croyants »), très implantés notamment dans les universités de sciences humaines et sociales, où ils manœuvrent à diffuser leur idéologie antidémocratique en utilisant la rhétorique de la discrimination, de l’antiracisme ou de l’intersectionnalité, avec l’appui de tous les traditionnels « idiots utiles » fidèles au rendez-vous. N’hésitant pas à se parer des vertus du progressisme (jusqu’à défendre de manière très opportune, ce qui peut apparaître comme un surprenant paradoxe, les thèses LGBT).

Maîtrisant parfaitement les codes, les outils numériques, les formats vidéo en vogue sur les réseaux sociaux dans nos sociétés, pour marteler insidieusement leurs véritables messages auprès en particulier des plus jeunes, et promouvoir en outre le séparatisme des musulmans sur notre territoire, ils fascinent et exercent une forte attraction sur les mouvements révolutionnaires d’extrême-gauche et partis politiques à l’image du NPA, leur insufflant l’idée d’ennemis communs. Avec la complicité des mouvements décoloniaux. J’étais d’ailleurs stupéfait de lire ceci :

 

Deux jours après la mort de Samuel Paty, une affiche est montrée place de la République par trois personnes, dont Assa Traoré, qui la poste sur les réseaux sociaux. La pancarte mentionne le nom de l’enseignant assassiné sur lequel des gouttelettes rouges ont été éparpillées et l’expression suivante écrite : « Mort en saignant. » Un jeu de mots d’un goût extrêmement douteux, qui entre ces mains pourrait faire penser à un clin d’œil complice. Les mêmes, qui ont des pudeurs de gazelle lorsque des journaux satiriques comme Charlie Hebdo représentent le prophète Mahomet, n’hésiteront pas à brandir cette pancarte lors d’une manifestation en hommage à un professeur décapité deux jours plus tôt, et à le faire savoir.

 

Par ailleurs, la journaliste parle de « chantage à l’islamophobie » au sujet de ce prétexte très pratique et très utilisé qui consiste à dénoncer, censurer, faire taire, stigmatiser des opposants pour mieux faire régner ses intérêts, à travers une stratégie de victimisation bien orchestrée. Elle y consacre un chapitre à part entière, très documenté, avant de revenir aussi sur l’attitude, non seulement du Conseil de l’Europe et de la Commission européenne en faveur du voile, mais également d’Amnesty international, qui a défendu le port du voile intégral en Suisse, le présentant comme un symbole de liberté, tout en reconnaissant son caractère oppressif en Iran.

Des positions pour le moins paradoxales, défendues également par des mouvements néoféministes qui, selon la journaliste, n’ont plus grand-chose à voir avec le féminisme. Entre culpabilisation et relativisme, les intersectionnelles et leurs alliées néoféministes semblent aveugles aux faits lugubres que relate le livre quant au sort quotidien de nombreuses femmes, et aux véritables motivations de leur port du voile parfois dès le plus jeune âge, au nom d’une prétendue tolérance en réalité pleine de condescendance, sous couvert de « diversité » et de « résistance au capitalisme », écrit Carine Azzopardi, qui estime qu’il s’agit d’une diabolisation du corps des femmes en général.

 

La liquidation des Lumières

C’est le titre que l’auteur donne à l’un des chapitres, dans lequel elle montre comment l’adoption de plus en plus répandue du discours intersectionnel et son obsession de la recherche systématique d’inégalités et de discriminations en tous genres a pour effet, en réalité, de jouer contre les valeurs de l’universalisme, d’ailleurs accusé par certains d’être celui des hommes « cis blancs ». Un jeu dangereux auquel se prêtent des professionnels du monde artistique ou universitaire, voire des ministres. Qui aboutit, comme nous le savons, à de multiples censures de pièces de théâtre, conférences, œuvres littéraires ou cinématographiques, à l’initiative de militants antiracistes woke. Et en définitive à une célébration des communautarismes.

 

Or, le « droit la différence » ne s’oppose pas à l’universalisme. C’est jeter le bébé avec l’eau du bain que de le croire, une sorte de caprice d’enfant gâté qui sacrifierait la liberté et l’émancipation au nom du droit des minorités, et de l’appartenance communautaire.

 

… Quand ce ne sont pas les mathématiques elles-mêmes (mais aussi d’autres sciences, y compris la médecine) qui sont remises en cause comme étant développées par les « dominants blancs », selon certains mouvements antiracistes woke là encore !

 

Concrètement, certaines écoles américaines prennent désormais en compte l’origine raciale des élèves, pour ne pas « stigmatiser » des populations « racialisées », qui auraient, par nature, des difficultés avec une matière intrinsèquement blanche, donc raciste. Vous ne rêvez pas. Les premières « classes racisées » ont été mises en place dans la banlieue de Chicago, par exemple, où l’on regroupe les élèves en mathématiques selon la couleur de leur peau.

 

L’idéologie et les croyances en viennent ainsi à remplacer la raison et à dévoyer la science ou l’histoire, mais aussi à œuvrer chaque jour de plus en plus (aux États-Unis pour l’instant) pour purger le langage lui-même. Processus dont on sait où il mène

Le problème, nous dit l’auteur, c’est qu’à vouloir s’attaquer à l’universalisme en tant que soubassement de nos démocraties, c’est à une autre forme d’universalisme que nous laissons place : celui que tentent de promouvoir les islamistes et leur communauté mondiale des croyants. C’est en cela que les armes rhétoriques des antiracistes leur sont particulièrement utiles, s’appuyant sur le droit et les institutions internationales pour mieux s’attaquer insidieusement aux principes démocratiques et imposer peu à peu, de manière très stratégique, l’islam politique.

Pour ne rien arranger – et c’est l’objet d’un autre chapitre également très documenté – Carine Azzopardi montre le vide académique qui existe sur le sujet de l’islamisme. De moins en moins de chercheurs, de plus en plus militants, prennent la place des rares spécialistes qui traitent vraiment du sujet de manière factuelle et réaliste, progressivement isolés ou mis au ban, le langage étant là aussi purgé de tout ce qui fâche. L’ignorance prend ainsi le pas, une fois encore, sur la connaissance, à laquelle est préféré le wokisme, son vocabulaire spécifique et ses concepts foisonnants, la question devenant l’apanage des plus extrêmes.

 

Les dérives des théories du genre

Avec le wokisme, nous assistons au triomphe de la pensée binaire.

Non seulement on peut avoir peur aujourd’hui d’être rapidement traité d’islamophobe, mais on peut tout autant craindre désormais d’être traité de transphobe. Les théories du genre vont de plus en plus loin dans l’offensive, militant pour la « déconstruction », avec la volonté de « s’émanciper du système hétéronormé dominant ».

Une vive opposition existe désormais entre féministes universalistes et différentialistes ou intersectionnelles. Ces dernières assimilent la définition de l’identité sexuelle à un genre comme une norme fasciste. Elles prônent au contraire la « plasticité indéfinie de l’individu » (d’où le sigle LGBTQQIPS2SAA+). Les choses vont très loin en la matière, dans la mesure où utiliser le langage traditionnel à cet égard peut être jugé discriminant et vous valoir des ennuis. Pas tellement encore de ce côté de l’Atlantique, mais avec une vigueur parfois étonnante de l’autre ; avec des visées planétaires.

Là où le bât blesse, c’est que certains tenants de ces théories ont conclu une forme d’alliance rhétorique avec les islamistes, dont les ressorts sont grandement contradictoires avec leurs fondements théoriques respectifs, et résultent d’une grande part d’aveuglement.

Pour finir l’ouvrage, Carin Azzopardi écrit un chapitre dans lequel elle montre comment un antisémitisme décomplexé est réapparu et s’est développé de manière croissante au cours des années 2000, certains allant – même parmi des stars grand public – jusqu’à assimiler Juifs et blanchité et considérer l’Holocauste comme « un crime de Blancs sur des Blancs ». Dans une surenchère haineuse – aux accents clientélistes – de termes révélateurs d’une pensée là aussi très binaire, antimoderniste, voire révisionniste, ou même complotiste, qui ajoute aux confusions, divisions, absence de nuances, clichés, et délires « progressistes » peu à même d’aller dans le sens de l’apaisement, de la coexistence pacifique et de la véritable démocratie, plus que jamais en danger. Là encore accentuée par les dérives préoccupantes… du wokisme.

 

 

À lire aussi :

Journal des libertés : pour un optimisme raisonnable

Chers amis lecteurs, dans ce 22e numéro du Journal des libertés vous trouverez vos rubriques habituelles : L’actualité, Les fondements, les Notes de lecture. Mais vous trouverez également deux nouvelles rubriques : « Université d’été des libéraux » et « Contributions au débat sur le libéralisme ». Petit tour d’horizon.

 

L’actualité

Les élections européennes pointent leur nez, le monde politique s’agite à la recherche d’alliances, de têtes de liste. Mais quid des programmes ? Quelle ligne directrice pour les années à venir ?

Avec son recul de juriste constitutionnaliste, Vincenzo Zeno-Zencovich évalue l’évolution des institutions européennes de ces dernières décennies. Il dénonce les pouvoirs extraordinaires dont la Commission s’est emparée à la faveur d’une interprétation pour le moins contestable des traités. La Cour de justice européenne, elle aussi, se retrouve avec des marges de manœuvre inhabituelles pour une démocratie moderne, d’autant que les institutions supposées exercer un contre-pouvoir – le Conseil, le Parlement – souffrent d’un manque patent de légitimité et de stabilité. Le professeur italien, ne s’arrêtant pas à la critique, indique la direction à prendre si l’on veut sauver quelque chose de ce qui a été et demeure un projet visant à la paix et à la prospérité.

Contrairement à leurs confrères chinois, les dirigeants occidentaux avancent souvent à pas feutrés sur la question de la possible mise en place d’une monnaie numérique de banque centrale, et à terme la disparition du cash. Est-ce une bonne nouvelle pour nos libertés ? Dans un texte satirique et terriblement prophétique publié en 1979, l’économiste suédois aujourd’hui décédé, Ingemar Ståhl, imagine tout ce que le gouvernement pourrait faire s’il pouvait enregistrer toutes nos transactions. Son texte, intitulé ironiquement « Bientôt 1984 ! », est suivi d’une postface rédigée par Lars Jonung qui souligne l’actualité – inquiétante – de cette marche vers une société sans cash.

 

L’Université d’été des libéraux

Avec ce nouveau dossier nous ne nous éloignons guère de l’actualité, puisque cette année le thème de la rencontre estivale des libéraux était la gestion et la prévention des crises, et que nous avons souvent, peut-être à tort, le sentiment de traverser une crise permanente !

Pour ceux qui n’ont pas eu la possibilité d’assister à cet événement, nous publions ici une partie des textes des interventions (la suite au prochain numéro).

Henri Lepage nous introduit dans un monde que nous connaissons souvent fort mal, celui du marché monétaire international où les grands établissements financiers vont chercher les liquidités dont ils ont besoin pour alimenter l’économie. Il nous explique comment fonctionne ce marché de la global money, et met en évidence ses points de fragilité. Il s’interroge sur les conséquences possibles d’une crise qui viendrait à frapper ce marché. Plus généralement, il nous invite à repenser les canons de la politique monétaire et à reconsidérer le rôle des États et des Banques centrales dans ce nouvel environnement.

Yorick de Mombynes quant à lui nous emmène dans l’univers pas trop éloigné de la finance et de la monnaie en nous expliquant le fonctionnement de Bitcoin. Si, à ce jour, nous n’avons pas là une monnaie – ne serait-ce que du fait de la volatilité de sa valeur dont il explique d’ailleurs fort bien la cause –, il est toutefois clair que cette innovation est solide et, selon lui, appelée à un brillant avenir.

Quand on pense crise on pense évidemment aux crises de 2008-2010 et, plus près de nous, à celle liée au covid. Dans ces deux crises les experts se sont retrouvés en première ligne, les politiques n’étant jamais bien loin…

Pour Élisabeth Krecké – qui se penche tout particulièrement sur les crises des finances publiques – s’il n’est pas toujours un chercheur, l’expert est censé être une personne de savoir, mais n’a pas toujours la sagesse de reconnaître les limites de son savoir. Pire, certains organismes d’experts (OCDE, Banque mondiale, FMI…) ont un agenda quasiment politique, ce que dénonce avec vigueur Elisabeth Krecké qui voit à juste titre dans ce mélange opaque d’expertise et de conseil (le is et le ought de David Hume) une posture dangereuse pour la société que les experts sont supposés servir.

Et puis les crises sont souvent prétextes au renforcement des pouvoirs de nos gouvernants.

Jean-Philippe Feldman revient – là encore, avec tout le savoir d’un constitutionnaliste – sur l’état d’urgence sanitaire voté à l’occasion de la pandémie du Covid-19 en mars 2020. Cet été d’urgence s’est traduit par la confiscation de nombreux droits et libertés individuels. Cela d’autant plus qu’aucun contre-pouvoir (ni l’opinion publique nourrie au biberon de l’État providence ni le Parlement, ni même la justice) ne venait s’opposer à ces dérives. S’appuyant sur les travaux de Hayek, Jean-Philippe Feldman formule des propositions claires afin que ces « états d’exception » et les dérives qui les accompagnent ne se transforment pas en « état ordinaire » pour nos démocraties.

Le dernier texte issu des débats de l’été dernier que nous publions ici est celui de Philippe Nemo.

Alors que de nombreuses voix s’élèvent – et pas uniquement celles des BRICS ! – pour dénoncer une crise profonde de la culture en Occident, le philosophe se veut rassurant et délivre un message optimiste : notre culture est plus résiliente que nous le pensons ! Certes, la violence observée lors des émeutes de juin dernier a de quoi déconcerter, certes de nombreuses formes de progressisme disruptif font recette.

Mais la culture n’est pas un « supplément d’âme », c’est quelque chose de profondément ancré dans nos comportements, dans nos valeurs, nos institutions et celles-ci ne semblent pas ébranlées dans leurs grandes lignes. Notre culture a traversé bien des crises au cours des siècles passés, explique-t-il, et elle saura résister, tout en évoluant, aux défis qui se présentent aujourd’hui à elle. Pour peu que nous prenions la peine de la transmettre aux jeunes générations.

 

Contributions au débat sur le libéralisme

La transmission des valeurs qui fondent nos sociétés démocratiques libérales se fait par de nombreux canaux, aux premiers rangs desquels nous trouvons bien sûr la famille, l’école, ou encore, le plus souvent, les convictions religieuses.

Le débat public, le débat intellectuel constituent également des canaux précieux, et c’est d’ailleurs là que nous trouvons la raison d’être de ce Journal.

Pour enrichir ce débat nous avons ouvert ce nouveau dossier qui entend présenter des auteurs contemporains qui se sont intéressés de près au libéralisme et, à des degrés divers, ont nourri notre réflexion.

Nous commençons la série avec un prix Nobel d’économie, Edmund Phelps, et c’est Jean-Philippe Delsol qui nous fait découvrir cet universitaire original qui, bien qu’ayant été un temps proche des théories keynésiennes, n’a eu de cesse plus récemment de montrer le caractère contre-productif des politiques de relance et des subventions. Plus profondément encore, il souligne dans ces derniers ouvrages la nécessité de cultiver un esprit d’entreprise, véritable moteur de la dynamique du progrès économique et social.

Le second auteur dont nous présentons les travaux n’est pas du style à laisser indifférent : il compte de nombreux admirateurs et tout autant sinon plus d’ennemis. Il faut dire, ainsi que nous l’explique Jean-Philippe Feldman, que Hans-Hermann Hoppe ne fait rien pour que la version qu’il propose de l’anarcho-capitalisme attire le consensus, puisqu’il ne cesse d’agrémenter son analyse du fonctionnement de ce système de nombreuses prises de position pour le moins déconcertantes, ne serait-ce que par le mépris des autres qui transparaît à travers elles.

Le libéralisme, qui est à la base un projet politique permettant à des personnes de confessions et d’aspirations diverses de vivre et interagir sur un même territoire dans le respect mutuel (voir les lettres sur la Tolérance de John Locke) devient sous la plume du disciple de Rothbard l’appel à un regroupement de ceux partageant une même confession et une même sensibilité ; et à l’exclusion, cela va sans dire, de tous les autres. On tente de résoudre les difficultés de la Société ouverte en la refermant.

 

Les fondements

Promouvoir nos idées n’est pas toujours chose facile car de nombreux « intellectuels », rarement brillants mais bien médiatisés, ne se privent pas de troubler les pistes et de déformer la pensée libérale (que, par ailleurs ils ne connaissent pas vraiment).

Pour ce faire, rien de tel pour eux que de s’appuyer sur une expression passe-partout : le néolibéralisme. Une technique consiste alors à mettre dans le même panier « néolibéral » des personnages très variés parfois totalement étrangers au libéralisme : des économistes (Friedman, Hayek…) mais aussi des politiques (Thatcher, Pinochet, Trump et, pourquoi pas, Macron).

C’est ainsi que Friedrich Hayek est fréquemment présenté comme l’un des inspirateurs de la dictature Pinochet. Il n’en suffit pas plus pour décourager le citoyen honnête d’aller voir plus loin dans les écrits de ce grand penseur libéral. C’est pourquoi il était important de clarifier une fois pour toutes les rapports entre ces deux hommes, ainsi que l’opinion de Hayek sur les prétendues dictatures libérales. C’est ce qu’a fait François Facchini qui établit clairement que les préférences de l’économiste-philosophe autrichien allaient, sans ambiguïté, possible vers la démocratie constitutionnelle libérale.

Toutes ces rubriques témoignent de notre désir de poursuivre, en innovant, notre « effort de transmission » afin de donner toutes ses chances à l’optimisme raisonnable qui, ainsi que l’explique Philippe Nemo, a encore sa raison d’être. Nos libertés sont trop précieuses – pour chacun de nous individuellement, mais aussi pour vivre ensemble correctement – pour que nous les laissions filer entre nos doigts.

Découvrez le numéro d’automne du Journal des Libertés

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Où en est la lutte de la population iranienne un an après la mort de Mahsa Amini ?

Un article de Firouzeh Nahavandi, Professeure émérite, Université Libre de Bruxelles (ULB).

Le 16 septembre 2022, à Téhéran, Mahsa Jina Amini décède sous les coups de la police des mœurs (gasht-e-ershâd) après avoir été arrêtée pour port incorrect du voile (bad hedjâbi). Elle devient l’étendard d’une vague de protestations inédites en République islamique d’Iran.

Ces protestations évoluent rapidement en un véritable processus révolutionnaire à travers lequel, dans plusieurs villes du pays, des femmes s’opposent au port obligatoire du voile. Elles sont rejointes par une grande partie de la population, y compris de nombreux hommes. Les contestataires se battent pour leurs droits, dénoncent le régime et réclament sa fin.

La réponse des autorités, sanglante et sans états d’âme, ne se fait pas attendre. Depuis, les arrestations, les morts et les assassinats ne se comptent plus : selon différentes sources, on dénombre plus de 500 morts, dont de nombreux mineurs, et plus de 20 000 arrestations, sans compter les disparus, les « suicidés », les exécutions sous d’autres prétextes, les morts non déclarées et les personnes décédées dans les représailles visant les minorités ethniques et religieuses s’étant jointes au mouvement général.

Aujourd’hui, quand le prix Nobel de la paix a été décerné à la militante emprisonnée Nargues Mohammadi pour « sa lutte contre l’oppression des femmes en Iran et son combat pour promouvoir les droits humains et la liberté pour tous », et quand la France célèbre la libération de la chercheuse Fariba Adelkhah après des années d’emprisonnement à Téhéran pour avoir notamment travaillé sur les femmes de ce pays où en sont la lutte des Iraniennes – et des Iraniens – et le mouvement connu sous le nom de son principal slogan « Femme, Vie, Liberté » ?

 

De la révolte des femmes à une lutte multiforme de tous les Iraniens

Les Iraniennes ont été les premières à s’insurger, enlevant leur voile, le brûlant ou se coupant des mèches de cheveux.

Très vite, les militantes prennent conscience que si elles sortent tête nue et contestent, elles peuvent être arrêtées, emprisonnées, torturées, violées et, depuis peu, perdre tous leurs droits, dont ceux de travailler ou de voyager, dans la mesure où leur passeport est confisqué, leur inscription à l’université peut être suspendue ou annulée, et elles risquent de ne plus avoir accès à des services bancaires. Pourtant, rien ne les arrête.

Aujourd’hui, la lutte et la résistance sont celles des Iraniens dans leur ensemble : femmes et hommes de tous bords et de toutes origines. Des femmes voilées participent aux manifestations. Des jeunes hommes portent le voile en signe de soutien et de solidarité avec leurs sœurs. Des grèves sont organisées dans tous les secteurs, en particulier dans l’industrie pétrolière et gazière ou dans la métallurgie. Dans les régions où vivent des minorités ethniques, entre autres celles du Kurdistan et du Baloutchistan, ignorées et abandonnées depuis longtemps par le régime, la colère ne faiblit pas.

Dans ce cadre, les motivations des contestataires ne sont pas identiques : discriminations ethniques et religieuses, situation économique désastreuse, inflation atteignant les 50 %, salaires insuffisants, pénuries de toutes sortes – dont le gaz et le pétrole, dans un pays qui dispose des quatrièmes réserves mondiales de pétrole et des deuxièmes réserves de gaz, un comble… Toutes les catégories sociales se retrouvent dans un même élan contre le régime.

Ils continuent de ridiculiser le régime ! En solidarité avec leurs camarades et en protestation contre le voile obligatoire et le code vestimentaire imposé aux femmes, des étudiants iraniens se rendent à l’université, en portant un voile ! #Iran #MahsaAmini pic.twitter.com/iVnHrqS0JM

— Farid Vahid (@FaridVahiid) March 13, 2023

De la contestation ouverte à la désobéissance civile

Après plus d’un an de luttes, face à la répression et probablement en raison de l’épuisement des participants, les manifestations et la résistance ont pris de nouvelles formes. Les grandes processions, en dehors du Baloutchistan, et à l’exception de sursauts ponctuels partout dans le pays, ont diminué et l’opposition est devenue plus discrète et, surtout, s’est transformée en désobéissance civile.

En ce qui concerne les femmes, le rôle de certaines figures publiques et surtout des réseaux sociaux, qui relaient les événements dans un contexte de répression et de censure, est devenu central.

Des prisonnières libérées refusent de porter le voile à leur libération. C’est le cas, par exemple, de la journaliste Nazila Maroufian ou de l’actrice Taraneh Alidousti.

Des femmes scientifiques s’affirment également, comme Zainab Kazempour qui quitte une conférence en jetant son voile à terre, ce qui lui vaut d’être condamnée à 74 coups de fouet. Des jeunes filles chantent, dansent et se filment, toujours sans voile.

Des actrices prennent la parole sans voile et publient leurs photos sur les réseaux sociaux. Des sportives invitées à des compétitions à l’étranger se passent du hedjâbElnaz Rekabi, championne d’escalade, grimpe lors de la finale des championnats d’Asie sans voile. La championne d’échecs Sara Khademalsharieh apparaît tête nue lors d’un tournoi international. Exilée en Espagne peu après, elle met ses pas dans ceux de Mitra Hejazipour, qui avait quitté le pays en 2019 dans des circonstances similaires et vient d’être sacrée championne de France.

Un an après le début des contestations, un grand nombre de femmes continuent à braver le régime et à transgresser l’interdiction de sortir tête nue. Certaines, par prudence, préfèrent se promener en groupe car les altercations et les maltraitances sont plus compliquées que face à une femme seule.

Les femmes incarcérées multiplient les messages vers l’extérieur. Récemment, Le Monde a publié les textes écrits et transmis clandestinement par des militantes iraniennes des droits humains dont celui de Nargues Mohammadi (prix Nobel de la paix 2023, voir plus bas).

Enfin, des chanteurs populaires relaient le mécontentement général. Mehdi Yarrahi a soutenu sur Instagram le mouvement « Femme, vie, liberté ». Son morceau Soroode Zan (« Hymne de la femme »), était devenu un hymne pour les manifestants, notamment dans les universités, tout comme l’avait été celui de Shervin Hajipour Baraye (« Pour »). Finalement, la chanson Enlève ton foulard de Yarrahi a mené à son arrestation.

 

Une répression multiforme

En parallèle, la répression n’a pas faibli, au contraire. Les tribunaux se sont mis à condamner celles qui transgressent les lois à des peines de type « rééducation morale », à travers des internements psychiatriques, des obligations d’assister à des séances de conseil pour « comportement antisocial » ou des lavages de cadavres à la morgue. Les médias renchérissent en les qualifiant de dépravées sexuelles et de porteuses de « maladies sociales ».

Depuis septembre 2023, la répression s’est dotée d’un nouvel outil juridique : la loi « hedjâb et chasteté », qui assimile le fait de se dévoiler à une menace pour la sécurité nationale. Des sanctions financières pour « promotion de la nudité » ou « moquerie du hedjâb » dans les médias et sur les réseaux sociaux sont prévues, ainsi que des privations importantes de droits, voire des peines d’emprisonnement du quatrième degré, soit entre cinq à dix ans.

Cette loi va plus loin encore en condamnant également, entre autres, à des amendes et à des interdictions de quitter le pays les propriétaires d’entreprises dont les employées ne portent pas de voile. Il va sans dire que les athlètes et les artistes et toutes les autres personnalités publiques sont visées par des interdictions de participer à des activités professionnelles et, souvent, à des amendes voire à des flagellations. Au-delà, les retombées des transgressions touchent toute la société. Ainsi, à Machhad, un grand parc aquatique a été fermé pour avoir laissé entrer des femmes dévoilées.

Dans la répression généralisée, le recours à l’intelligence artificielle est devenu un nouvel instrument aux mains du régime. Des millions de femmes sont ainsi photographiées, puis identifiées, menacées voire arrêtées.

Enfin, les plus jeunes, dans les écoles et les lycées de filles – tous les établissements éducatifs sont non mixtes –, ont été nombreuses à être touchées par des attaques chimiques visant à semer la terreur et, probablement, à les dissuader de rejoindre le mouvement de contestation, même si le régime évoque vaguement « certains individus voulant fermer les écoles de filles ».

 

L’octroi du prix Nobel de la paix à Nargues Mohammadi

Le 15 septembre 2023, vingt ans après Shirin Ebadi, Nargues Mohammadi s’est vu décerner le prix Nobel de la paix pour sa lutte contre l’oppression des femmes – et pas seulement des femmes – en Iran. La lauréate se trouve derrière les barreaux, où elle purge une peine de onze ans de prison. Il y a peu de chances qu’au-delà de la signification symbolique, cette récompense puisse avoir des répercussions sur sa situation, ou sur celle des Iraniennes en général. Téhéran a aussitôt réagi en qualifiant ce choix de « politique et partial » et d’acte interventionniste impliquant certains gouvernements européens. Il en est de même du prix Sakharov accordé le 19 octobre à Mahsa Amini et au mouvement « Femme vie liberté ».

Un an après la révolte des Iraniennes et des Iraniens, aucune amélioration n’est visible. Au contraire, le gouvernement fait fi des critiques internationales et consolide ses liens à l’international, notamment avec la Russie, mais aussi avec l’Arabie saoudite.

Enfin, dernièrement, les massacres perpétrés en Israël par le Hamas et dans la préparation desquels l’Iran est largement soupçonné d’avoir été impliqué, tout comme les bombardements de Gaza qui ont suivi ont fait passer la situation intérieure en Iran, le prix Nobel de la paix et la question des femmes au second plan de l’attention de la communauté internationale.

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Benjamin Constant, penseur de la liberté sous toutes ses formes

Par Damien Theillier.

Benjamin Constant est né en 1767 à Lausanne dans une famille française exilée en Suisse pour échapper à la persécution religieuse. Sa mère meurt à sa naissance. Son père s’occupe de son éducation et l’envoie étudier à Édimbourg où le jeune Benjamin se familiarise avec l’école écossaise de philosophie et d’économie. Ses professeurs sont Adam Smith et Adam Ferguson. Constant étudie la tradition de l’ordre spontané et il lit Godwin, qu’il traduira plus tard en français.

Il écrit :

La France avec l’Angleterre et l’Écosse, a contribué plus que toute autre nation à la théorisation, si ce n’est à la pratique, de la liberté.

À vingt ans, il assiste à la Révolution française. Il fréquente le salon des Idéologues et rencontre Germaine de Staël, fille de Necker le trésorier de Louis XVI, qui deviendra sa muse et sa maîtresse. Il est nommé par Napoléon au Tribunat et joue un rôle politique auprès de lui dans la rédaction d’une constitution républicaine. Mais il devient vite un opposant à Bonaparte, critiquant son militarisme et son despotisme. À cette époque, il rédige son De l’esprit de conquête et d’usurpation, qui démontre que les gouvernements se servent de la guerre comme d’un « moyen d’accroître leur autorité ». Ce livre, paru en 1813, est une source majeure de la pensée industrialiste.

En 1803, il est interdit de séjour en France avec Madame de Staël. C’est l’exil au château de Coppet en Suisse, la demeure de Necker, père de Germaine de Staël. Pendant plusieurs années, il sera le leader du « groupe de Coppet ». Des intellectuels venus de toute l’Europe vont se rencontrer là de façon informelle et étudier la liberté sous toutes ses formes : philosophie, littérature, histoire, économie, religion. Leurs travaux portent sur les problèmes de la création d’un gouvernement constitutionnel limité, sur les questions du libre-échange, de l’impérialisme et du colonialisme français, sur l’histoire de la Révolution française et de Napoléon, sur la liberté d’expression, l’éducation, la culture, la montée du socialisme et de l’État-providence, la philosophie allemande, le Moyen Âge, etc.

En 1814, Constant revient à Paris. À partir de 1816, il siège à la Chambre des Députés  et il devient le chef de file du Parti libéral. Il meurt en 1830 et le marquis de La Fayette, son ami, prononce son éloge funèbre. Sir Isaiah Berlin a appelé Constant « le plus éloquent de tous les défenseurs de la liberté et de la vie privée ».

En 1819, dans son célèbre discours à l’Athénée royal, Benjamin Constant compare la liberté des « modernes » à celle des « anciens ». La liberté, dans nos sociétés modernes, ne peut plus se comprendre à la manière des sociétés de l’Antiquité comme participation directe aux affaires de la cité. Chez les anciens, l’individu est souverain dans les affaires publiques, mais esclave dans tous ses rapports privés. Le sacrifice de la liberté individuelle est compensé par l’usage des droits politiques : droit d’exercer directement plusieurs parties de la souveraineté, de délibérer sur la place publique, de voter les lois, de prononcer les jugements, d’évaluer et de juger les magistrats. C’est une liberté politique.

Benjamin Constant n’a cessé de rappeler qu’une « ère du commerce » avait remplacé « l’ère de la guerre » et que la liberté des modernes, la liberté individuelle, était aux antipodes de la liberté des anciens, la liberté collective. Cette distinction entre la civilisation ancienne et moderne implique deux formes d’organisation distinctes. C’est précisément ce que Rousseau, et les révolutionnaires à sa suite, n’ont pas compris. En voulant réactiver le modèle de la cité antique, ils ont fait basculer la révolution dans la Terreur.

La liberté des anciens, écrit Benjamin Constant, se composait de la participation active et constante au pouvoir collectif. Notre liberté, à nous, doit se composer de la jouissance paisible de l’indépendance privée ; il s’ensuit que nous devons être bien plus attachés que les anciens à notre indépendance individuelle.

La liberté moderne est une liberté individuelle, elle repose sur le droit à la vie privée. C’est le droit de n’être soumis à aucun arbitraire, le droit d’expression, de réunion, de déplacement, de culte et d’industrie. Pas de liberté sans la possibilité de choisir son mode de vie et ses valeurs, donc pas de liberté sans la possibilité de se soustraire à la communauté et par conséquent pas de liberté sans une limitation de l’État pour permettre l’existence de cet espace privé. C’est une liberté civile, qui correspond à ce que les Américains appellent les droits civiques. Le pouvoir politique correspondant à la liberté des modernes est donc un pouvoir limité : « Que l’autorité se borne à être juste, nous nous chargeons de notre bonheur ». Ce n’est pas à l’État de nous dire comment être heureux.

Or, selon Constant, « la confusion de ces deux espèces de libertés a été, parmi nous, durant des époques trop célèbres de notre révolution, la cause de beaucoup de maux ». Jean-Jacques Rousseau, en pensant la liberté uniquement comme participation collective des citoyens à l’action politique, a incité Robespierre à contraindre les citoyens par la terreur. Les errements de la Révolution sont donc le résultat de l’application moderne de principes politiques valables chez les anciens.

Mais il n’est pas question pour autant de sacrifier la liberté politique, la participation au pouvoir. Constant précise que si la liberté moderne diffère de la liberté antique, elle est menacée d’un danger d’une espèce différente. Le danger de la liberté des anciens était l’arbitraire. Le danger de la liberté des modernes serait de renoncer aux garanties politiques de cette liberté par une sorte d’indifférence au bien public. Autrement dit, il appartient aux citoyens d’exercer une surveillance permanente sur leurs représentants.

Dans ses Principes de politique, Benjamin Constant affirme :

La souveraineté du peuple n’est pas illimitée, elle est circonscrite dans les bornes que lui tracent la justice et les droits des individus. La volonté de tout un peuple ne peut rendre juste ce qui est injuste.

C’est une nouvelle critique de Rousseau et du Contrat Social : même une volonté générale est soumise à des limites et elle ne peut changer ce qui relève du droit naturel. Il existe un droit antérieur et supérieur à l’autorité politique : c’est le droit naturel. Ce droit fixe les bornes du pouvoir politique et limite les libertés individuelles.

Dire que tout pouvoir légitime doit être fondé sur la volonté générale ne veut pas dire que tout ce que la volonté générale décide est légitime. Constant se rattache ainsi à la Déclaration des droits de l’homme de 1789, article II, qui stipule que l’État n’est institué que pour conserver les droits naturels. Il y a donc des domaines dans lesquels le pouvoir politique n’a aucune influence : la morale et la religion, mais aussi la science (les mathématiques, l’histoire) qui relève de l’autorité du savoir.

Pour finir, Benjamin Constant ne sépare pas libéralisme politique et libéralisme économique. La liberté est une et le libéralisme est une seule et même doctrine :

J’ai défendu quarante ans le même principe, liberté en tout, en religion, en philosophie, en littérature, en industrie, en politique : et par liberté, j’entends le triomphe de l’individualité, tant sur l’autorité qui voudrait gouverner par le despotisme, que sur les masses qui réclament le droit d’asservir la minorité à la majorité. Le despotisme n’a aucun droit. La majorité a celui de contraindre la minorité à respecter l’ordre : mais tout ce qui ne trouble pas l’ordre, tout ce qui n’est qu’intérieur, comme l’opinion ; tout ce qui, dans la manifestation de l’opinion, ne nuit pas à autrui, soit en provoquant des violences matérielles, soit en s’opposant à une manifestation contraire ; tout ce qui, en fait d’industrie, laisse l’industrie rivale s’exercer librement, est individuel, et ne saurait être légitimement soumis au pouvoir social.

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Publié initialement le 23 octobre 2017.

L’interdiction systématique des manifestations propalestiennes serait une défaite pour la démocratie libérale

Dans ces colonnes, nous avons défendu le principe sécuritaire comme premier garant des libertés fondamentales. Mais dans la lutte menée par la démocratie israélienne contre le Hamas, organisation terroriste, comment défendre les principes libéraux d’expression et de manifestation ?

Jeudi 12 octobre, dans un télégramme adressé à l’ensemble des préfets, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a rappelé l’impératif d’assurer « une protection systématique et visible de l’ensemble des lieux fréquentés par les Français de confession juive » sous la forme de « points fixes au moment du culte s’agissant des synagogues ou en entrée et sortie s’agissant des écoles ».

Le document précise encore :

« Les auteurs étrangers d’éventuelles infractions, doivent systématiquement voir leurs titres de séjour retirés et leur expulsion mise en œuvre sans délai […] les manifestations propalestiniennes, parce qu’elles sont susceptibles de générer des troubles à l’ordre public, doivent être interdites ; l’organisation de ces manifestations interdites doit donner lieu à des interpellations ».

 

Est-il possible d’interdire toutes les manifestations propalestiniennes ?

C’est la question à laquelle a répondu négativement le Conseil d’État, ce mercredi 18 octobre 2023, après avoir été saisi en urgence par le Comité Action Palestine, en réaction à l’interdiction demandée par le ministre de l’Intérieur.

Vincent Brengarth, l’un des avocats du Comité Action Palestine, estime, dans Mediapart, que « toute interdiction générale et de principe est par nature illégale ». Selon lui, la rédaction du télégramme du ministre équivalait à une obligation pour les préfets de s’y conformer. De plus, il dénonce « l’amalgame » que ferait le ministère de l’Intérieur entre la « défense des droits du peuple palestinien » et un soutien au terrorisme.

Par la voix de Pascale Léglise, directrice des libertés publiques et des affaires juridiques, le ministère de l’Intérieur estime au contraire que le télégramme n’avait « aucune valeur normative ».

Par ailleurs,les manifestations propalestiniennes « ne sont pas des manifestations de soutien aux victimes de la situation en Palestine, mais des manifestations de soutien aux actions du Hamas et à la résistance par tous les moyens. Ce ne sont pas des rassemblements pacifiques pour la paix en Israël et en Palestine ».

 

L’état du droit et le principe libéral

L’article 10 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen (DDHC) du 26 août 1789, nous apprend :

« Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi. »

Il s’agit de la liberté d’opinion.

En théorie, la liberté d’opinion n’a pas besoin d’être protégée, car chacun peut penser ce qu’il veut dès lors qu’il n’exprime pas ses pensées.

Dans les faits, l’opinion devient une liberté à condition qu’il soit possible de la faire connaître sans être inquiété :

« La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi » (article 11 de la DDHC).

Aussi, il n’est pas possible de séparer liberté d’opinion et liberté d’expression ; liberté d’expression et liberté de manifestation :

  • De la liberté d’expression découlent celles de la presse, de la communication audiovisuelle et numérique (qui excluent les propos diffamatoires, racistes, incitant à la haine raciale ou au meurtre) ;
  • La liberté de manifestation, définie par le Conseil constitutionnel comme un « droit d’expression collective des idées et des opinions », permet à des personnes soutenant une cause ou une opinion de les exprimer collectivement dans la rue (dans le respect des règles de maintien de l’ordre public).

 

Ainsi, dans les démocraties libérales, le principe en droit est la liberté, l’interdiction devant rester l’exception.

 

Toute restriction des libertés est une victoire du terrorisme islamiste

Ne soyons pas naïfs : les manifestations propalestiniennes débouchent régulièrement sur des actes antisémites. Pourtant, soutenir les Palestiniens est un droit. Ces rassemblements doivent être interdits au cas par cas.

Dans une tribune intelligente, courageuse et excluant toute passion partisane pour Le Figaro, Raphaël Amselem, du Think Tank Génération Libre, appelle à refuser « l’interdiction systématique des manifestations pro-Palestine, quel que soit notre point de vue sur le sujet. »

Nous partageons avec l’auteur le point de vue selon lequel :

« Dans un État libéral, la société civile est créancière à l’égard du pouvoir, elle détient à son encontre de droits opposables dont la liberté de manifestation. On ne saurait donc tolérer les interdictions à l’emporte-pièce, sauf à considérer que le gouvernement peut conditionner la liberté, ce qui revient en réalité à dire qu’il n’existe pas de liberté tout court. »

Restreindre la liberté d’expression et le droit de manifester au niveau national ouvrent la porte à des dérives autoritaires du pouvoir et alimentent le terreau complotiste. Il appartient aux autorités déconcentrées (préfets), au cas par cas, d’interdire telle ou telle manifestation, en fonction du risque local de trouble à l’ordre public !

La force d’une démocratie, c’est la tolérance. C’est une qualité, n’en faisons pas une faiblesse.

Démocraties sous surveillance : quand la liberté cède le pas à la sécurité

Si nous constatons que le régime fédéral de Russie – au regard de sa répression de toute forme d’opposition, de sa surveillance de plus en plus étroite de sa population – est de plus en plus souvent considéré par certains observateurs, comme non plus autoritaire, mais totalitaire –  ces constats devraient faire réfléchir les citoyens des pays aujourd’hui démocratiques qui, certes pas à la même échelle, multiplient les outils de surveillance des citoyens.

Si le pas entre régime autoritaire et totalitaire peut être franchi, celui d’un régime démocratique vers un régime autoritaire est possible : « Il n’y a pas loin du Capitole à la roche Tarpéienne » (arx Tarpeia Capitoli proxima) !

En matière de surveillance accrue d’Internet à des fins louables, comme d’autres observateurs, j’ai pu évoquer les possibles dérives et les inquiétudes soulevées par le récent règlement européen sur les services numériques (DSA), un règlement visant une responsabilisation des plateformes.

Ainsi, le 10 juillet 2023, le commissaire européen Thierry Breton, évoquant la mise en place du DSA et s’appuyant sur les émeutes qui se sont déroulées en France, évoquait de possibles coupures des réseaux sociaux, notamment en cas « d’appel à la révolte », une déclaration qui avait suscité l’émoi d’ONG. Dans une lettre ouverte en date du 26 juillet 2023, 67 d’entre elles avaient demandé au commissaire de publier un démenti.

Ce dernier a alors déclaré :

« Une telle mesure ne pourra, en effet, être décidée qu’après une (très) longue procédure, et seulement en dernier recours, pour les cas les plus extrêmes ».

Je ne sais si l’on peut parler de clarification…

Monsieur Breton a également assuré sur FranceInfo, le 25 août 2023, jour d’entrée en vigueur du Digital Services Act, que ce dernier est « tout sauf le ministère de la censure ».

Je ne sais pas si le propos est bien choisi et très rassurant, tout du moins pour la France, si l’on s’en réfère aux propos tenus par Emmanuel Macron le 18 janvier 2019, devant une assemblée de maires, à Souillac, qui en avait appelé à une « hygiène démocratique du statut de l’information » et souhaitait alors lever l’anonymat – pseudonymat –  sur les réseaux sociaux, allant jusqu’à évoquer la « levée progressive de tout anonymat », évoquant alors un « processus où on sait distinguer le vrai du faux et où on doit savoir d’où les gens parlent et pourquoi ils disent les choses ».

Comme j’avais pu l’évoquer dans un précédent article, une telle approche « ne servirait nullement la démocratie, et se mettrait au mieux au service d’une autocensure infligée ». Par ailleurs, et dans la mesure où l’anonymat sur Internet est un pseudonymat, comme l’avait souligné Rayna Stamboliyska, experte en sécurité des données personnelles et auteure de La face cachée d’Internet, cette volonté de supprimer un anonymat tout à fait relatif interrogeait alors également sur les capacités d’investigations de l’État…

 

Ne faudrait-il pas tirer les leçons de la Russie ?

Notons qu’en 2022, même si le débat est encore vif en Europe pour ce qui est de la reconnaissance faciale, en termes strictement quantitatif, comme le révèle l’étude annuelle comparitech portant sur plus de 150 grandes métropoles, il est notable que dans les aires urbaines de Londres, on dénombre plus de 81 caméras au km2, presque l’équivalent du nombre de caméras (hormis la technologie RF) mises en place à Moscou, au nombre de 85.

Comme Tristan Gaudiaut (Statista) le rapporte :

« Sur le continent, et en 2022, la plupart des grandes métropoles disposent d’une vingtaine de caméras opérationnelle au km2. »

À ce jour, et avant les jeux olympiques, la ville de Paris dénombre 16 caméras de vidéosurveillance traditionnelle au km2.

 

Vidéosurveillance en Europe : toujours plus de la même chose ?

Alors bien sûr, les chiffres européens sont encore éloignés de ces pays (Russie, Chine…) assez peu soucieux des libertés publiques.

Toutefois, l’appétence des État européens est prégnante pour la surveillance d’Internet et de ses usagers, et pour la vidéosurveillance – quand bien même son efficacité en matière de prévention et de dissuasion reste discutée – et son intérêt pour la reconnaissance faciale également.

Cela ne doit-il pas interroger ?

Nice est la ville la plus vidéosurveillée de France, avec 4000 caméras en service, et la reconnaissance faciale a déjà été testée en 2019. Dois-je rappeler que le terrible drame de Nice en 2016 n’a pour autant pas pu être évité ? Dois-je rappeler que cela s’est déroulé dans la ville dont le maire n’avait pas hésité – suite au terrifiant attentat du Bataclan – à déclarer que « la vidéosurveillance aurait permis d’arrêter les frères Kouachi plus vite » ! Que dire face au désastre ?

Sous couvert d’une sécurité accrue des citoyens, nous nous inscrivons dans une dynamique que ne renierait pas l’école de Palo Alto :

« Toujours plus de la même chose qui ne fonctionne pas transforme une difficulté en un problème ».

En effet, quelles que soient les études – dont celle inédite « menée en Isère à la demande du centre de recherche de la gendarmerie nationale qui conclut à un apport très marginal de la vidéosurveillance dans la résolution des enquêtes judiciaires, mais aussi dans la dissuasion », quels que soient les échecs, aussi flagrants que tragiques, force est de constater que les autorités des pays démocratiques persistent à développer leur parc. Par exemple, en France, le Parlement n’a pas approuvé l’usage de la reconnaissance faciale, mais s’oriente plutôt « vers une vidéosurveillance par l’IA », qui n’est pas sans poser de problèmes.

Une chose est vraisemblable cependant, une fois installées – si elles le sont – ces caméras ne seront pas enlevées.

 

Le confort de la meute l’emporte souvent sur la liberté individuelle

L’exemple russe ne devrait-il pas faire réfléchir les Européens que nous sommes, dont la France ?

Si la Russie a basculé (est en train de basculer) de « régime autoritaire » à « totalitaire », si par ses actes externes ou internes le gouvernement russe est pointé du doigt par la communauté internationale et une opinion publique acquise à la cause ukrainienne, ne devrions-nous pas nous interroger – dans ce bouleversement géopolitique mondial – sur le potentiel basculement de régime démocratique en régime autoritaire en Europe, appuyée par un contrôle des citoyens de plus en plus oppressant, fut-il sans efficacité ? Fantasme ? Tant s’en faut !

C’est ce que démontre Alain Chouraqui, président de la Fondation du Camp des Milles et directeur de recherche émérite au CNRS.

Il souligne que le basculement d’une démocratie vers un régime autoritaire est « certes résistible, mais peut se développer en trois étapes, nourries par des extrémismes identitaires, nationalistes, religieux ou ethniques. »

Je vous laisse juge de la seconde étape telle qu’elle est décrite par le chercheur : 

« La première séquence de cette deuxième étape correspond à une perte généralisée des repères, des questions identitaires exacerbées, une forte demande d’autorité, des institutions attaquées et ébranlées, un rejet des élites, des crises mal maîtrisées, des pouvoirs politiques débordés, des désordres et des agressions plus nombreux. Le sociétal déborde le politique dont les outils et les registres d’action habituels sont alors inadaptés. Et l’on s’habitue à la violence. Préférant l’ordre à la liberté, beaucoup sont prêts à suivre une doctrine extrémiste et souvent un chef autoritaire. Le confort de la meute l’emporte souvent sur la liberté individuelle ».

Cela n’invite-t-il pas à réflexion ?

Guerre et barbarie : Si vis pacem para bellum

Un article de l’IREF. 

 

Il existe des bibliothèques entières pour nous éclairer sur cette dramatique interrogation : une guerre peut-elle se dérouler sans quelque crime, sans quelque barbarie ?

À juste titre, des autorités qualifiées de « morales » ont demandé aux Israéliens de ne pas verser dans la barbarie : l’Organisation des Nations unies, le pape François. Porter atteinte à la santé et à la vie de la population civile qui vit dans la bande de Gaza en coupant eau et électricité est en effet contraire à toutes les règles mondialement acceptées, et au principe même du respect des droits de l’Homme.

Il a été fait remarquer, à juste titre aussi, que d’une part les crimes les plus odieux ont été le fait du Hamas, et que d’autre part la Seconde Guerre mondiale s’est terminée avec l’anéantissement de Dresde et les bombes atomiques d’Hiroshima et Nagasaki.

 

On peut trouver une issue au problème en définissant les principes d’une « guerre juste ».

Théologiens, philosophes, historiens, juristes et même économistes ont évoqué tous les critères possibles. Il est habituel de distinguer la guerre d’agression et la guerre de défense : les Israéliens ne peuvent rester sans réaction face à l’invasion du Hamas. Il ne s’agit pas de se venger avec haine, il s’agit de mettre fin à la barbarie. Il est également habituel de dire que si l’on veut garder la paix il faut préparer la guerre, cela ferait même partie du domaine régalien des États. Mais l’État d’Israël lui-même n’a pas rempli correctement sa mission ; peut-être les considérations politiques et économiques de court terme ont-elles occulté ou ralenti la défense nationale.

Je me permets de réduire le débat à un choix simple : se défendre, et pour ce faire dissuader les ennemis potentiels de passer à l’attaque, ou attendre les conflits pour réagir. Ce qui me semble à l’origine de la guerre actuelle c’est le désarmement militaire, mais aussi le désarmement moral qui caractérisent les pays libres depuis maintenant si longtemps, et sans aucun doute depuis le début de ce XXIe siècle.

Le désarmement militaire est d’autant plus incroyable que la course aux armements et l’apparition de nouvelles techniques ont été extrêmement rapides depuis vingt ans. Il faut remonter à la Seconde Guerre mondiale pour observer des changements aussi profonds. Mais la course est ruineuse, et elle entre en conflit avec les autres dépenses publiques que l’État-providence veut assumer, « quoi qu’il en coûte » (il est bien plus cher de lutter contre le réchauffement climatique que contre les barbares français ou étrangers, le budget de l’armée française et de plusieurs autres nations dites libres est ridicule).

 

Quant au désarmement moral, il est total.

Les valeurs de liberté, responsabilité, propriété et dignité ne sont plus enseignées ni pratiquées. Paradoxalement, on accuse le système capitaliste de développer l’individualisme, alors que le marché est la base de la concorde et du service mutuel.

Mais on a éliminé les supports du marché que sont la concurrence et la stabilité monétaire pour pratiquer le protectionnisme et la fausse monnaie.

On devrait aussi penser à la façon dont la jeunesse est éduquée et instruite, et aux chances d’une vie honnête et épanouissante. Le matérialisme a vaincu le spiritualisme. En 1983 Reagan a mis en place une stratégie de dissuasion avec l’Initiative de Défense stratégique (appelée Star Wars par les médias), il a voulu assumer les responsabilités américaines dans la guerre froide contre l’URSS, mais parallèlement les « divisions du pape » jadis ridiculisées par Staline sont venues soulever les Polonais contre l’occupant soviétique. Dès 1981, Jean Paul II prépare la chute du mur de Berlin dix ans plus tard.

Dans la guerre actuelle, nous devons comprendre les leçons de nos erreurs, mais surtout travailler à « tressaillir », à sortir des pièges de l’indifférence, de la résignation, de l’égoïsme et du loisir. Comme les Israéliens, nous devons nous mobiliser, lever l’armée de réserve de la société civile, nous devons sonner le réveil de la liberté.

Voir sur le web.

« Pourquoi les humanités sauveront la démocratie » d’Enzo Di Nuoscio

C’est un thème que nous avons eu l’occasion d’évoquer à de nombreuses reprises à travers de multiples articles (voir liste non exhaustive à la fin de ce texte), qui se trouve traité en tant que tel à travers ce passionnant ouvrage.

Celui des périls qui touchent la démocratie, et plus spécifiquement ici la manière dont celle-ci peut espérer être sauvée : grâce aux humanités et aux sciences sociales.

 

Démocratie et humanités

Dans sa préface, Philippe Nemo – qui est aussi le traducteur en français du dernier ouvrage du professeur de philosophie des sciences italien Enzo Di Nuoscio – commence par préciser le sens donné par l’auteur au mot « démocratie ».

Il faut considérer que l’on parle en l’occurrence d’« un type de société qui ne se caractérise pas seulement par les libres élections, mais, ceci étant condition de cela, par le respect de la personne individuelle, de la liberté de pensée et d’expression, et par l’économie de marché… ».

Une définition compatible avec la « société ouverte » poppérienne et la notion d’État de droit.

L’Europe est sortie du Moyen Âge et entrée dans la modernité grâce à l’humanisme et à la littérature, bien avant la mise au premier plan des sciences. Selon la thèse d’Enzo Di Nuoscio, c’est en préservant la dimension littéraire et humaniste de l’éducation donnée à sa jeunesse et à ses élites que la démocratie subsistera. Car culture littéraire et démocratie sont intimement liées depuis la naissance de cette dernière. Tant et si bien que – ainsi que le remarque Philippe Nemo – les « déconstructeurs » et autres tenants de la cancel culture font peser un risque élevé de désagrégation à nos sociétés démocratiques, sonnant le glas de la liberté et du progrès.

Loin des thèses positivistes, Enzo Di Nuoscio défend l’idée selon laquelle la démocratie a au contraire un lien essentiel avec le singulier, c’est-à-dire – précise Philippe Nemo – « avec ce qu’il y a d’unique et d’original dans chaque personne humaine individuelle comme dans chaque société historique » (ce qui me rappelle de bons mots lus avec délectation sous la plume de Simon Leys).

Et c’est toute l’importance de la culture humaniste que de faire prendre conscience de cette singularité par l’éducation. D’où le rôle primordial que jouent, dans ce contexte, spécialistes de la littérature, philologues, historiens, philosophes, moralistes, spécialistes des beaux-arts, mais aussi sciences politiques, géopolitique, psychologie, sociologie et économie.

 

Capacité critique et principes moraux

Quand l’ignorance prend le pas de manière préoccupante sur la connaissance inutile – pour paraphraser le titre d’un ouvrage de Jean-François Revel – il y a lieu de s’interroger sur l’avenir de nos sociétés.

Jamais nous n’avons disposé d’autant de moyens de nous informer, mais dans le même temps, autonomie de jugement, capacité critique, sens historique, principes moraux, semblent bien hélas de plus en plus faire défaut à nombre de membres de notre société.

Pour aider à lutter contre les croyances infondées, la crédulité, la rumeur et le conformisme, le culte de l’immédiat et de l’émotion, la tyrannie de l’opinion dominante ou au contraire des minorités, les idéologies, voire la bêtise, rien de tel que la transmission de valeurs, le développement de la capacité critique, l’apprentissage du discernement et de l’autonomie de jugement. Toutes choses qui passent notamment par l’éducation, mais aussi par la littérature et les humanités – dont l’étude a été de plus en plus restreinte, à tort, des enseignements. Avec en exergue la substitution de la confrontation des idées à l’affrontement entre les personnes, du dialogue à la force, de la coopération à l’anéantissement physique de l’adversaire.

Sujet ô combien d’importance, à l’heure où les démocraties libérales se trouvent fragilisées !

Autrement dit, il s’agit de protéger les individus eux-mêmes de la manipulation dont ils peuvent être l’objet du fait du développement de la tendance à la passivité, au manque de discernement, aux comportements rapides et instinctifs, aux caractères influençables, face à la poussée de l’information de toutes origines en provenance notamment des nouveaux médias ou formes de communication. Poussée propice au développement des croyances radicales, des idées infondées, des fanatismes et – sans aller jusque-là – des esprits doctrinaires et dogmatiques se basant davantage sur des a priori, des sources erronées, et un langage de plus en plus pauvre, que sur des raisonnements fondés sur la connaissance, la réflexion, et une culture humaniste.

Une manière de nous prémunir contre de graves désillusions, et dans une moindre mesure, d’éviter de sombrer dans cette « postdémocratie » gangrenée par la politique-spectacle et le partage du pouvoir par des élites, n’ayant plus que l’apparence de la véritable démocratie.

 

La contribution des humanités à la capacité de critique et à l’autonomie de jugement

À travers chacun des chapitres du livre, Enzo Di Nuoscio s’attache à mettre en valeur la manière dont chacune des grandes disciplines contribue à défendre les valeurs démocratiques fondamentales.

Tolérance, liberté de conscience, humilité, importance du débat, sont autant d’éléments qui s’opposent à la prétention des dictateurs à détenir la vérité, et à la présomption fatale qui, au détriment des libertés, prétend savoir ce qui doit être, faisant le lit des pires totalitarismes.

De l’étude de la philosophie des Mises, Popper, Hayek, Kelsen, Arendt et tant d’autres, l’auteur sait tirer les enseignements qui nous permettent de prendre conscience de l’importance de la réflexion et des savoirs. La démocratie est gage de pluralisme et de concurrence, qui sont capables de générer plus de connaissance, plus de solutions aux problèmes, et aussi plus de prospérité, que lorsque ces principes sont absents. La discussion critique, les échanges interindividuels, la libre coopération spontanée, sont autant de facteurs favorables aux progrès de la connaissance et à la diffusion des innovations, associés à la liberté d’action et à l’État de droit.

Ordre spontané plutôt que planification. Voilà ce qui est le mieux à même d’améliorer les conditions de vie et de nous écarter de la route de la servitude.

Or, montre Enzo Di Nuoscio, l’étude de la philosophie favorise la pratique de la démocratie, en amenant à se poser des questions, à rechercher la vérité tout en demeurant dans l’incertitude, s’écartant dans son esprit et ses méthodes de ce qui guide les idéologies. Mue par l’éthique, l’échange et la confrontation des idées, au lieu d’être prisonnière des préjugés et des dogmatismes, elle est – pour paraphraser le titre d’un ouvrage de Damien Theillier – un chemin de liberté.

De même, l’étude des lettres forme l’esprit, démontre Enzo Di Nuoscio, rappelant au passage que le miracle culturel de l’Athènes du Ve siècle avant Jésus Christ et de l’avènement de la démocratie s’explique en grande partie par l’invention du marché du livre, favorisant la diffusion rapide de la lecture et de l’écriture, qui ont permis la propagation de nouvelles idées et les progrès intellectuels, mais aussi une meilleure capacité d’exercer un jugement critique, et donc de contrôler le pouvoir, en étant moins à la merci des démagogues.

Ainsi, plus un esprit est formé et informé, entre autres à l’analyse et la critique de textes, moins il est en principe exposé à la tentation de la simplification, à l’idéologie, aux réactions émotionnelles.

 

« Même en démocratie, le pouvoir a une certaine tendance à se dissimuler pour échapper au contrôle, en utilisant les moyens les plus divers (manipuler l’information, faire passer des choix politiques pour des décisions techniques, etc.). Or cette tendance peut également être combattue en renforçant les attitudes philologiques ou littéraires de l’Homo democraticus, en renforçant sa capacité à saisir les significations, à mettre en lumière ce qui est implicite ou caché dans une proposition ou dans une discussion, à surmonter les obstacles à la compréhension de certaines informations, dont il n’est pas rare qu’ils soient mis en place précisément dans le but de rendre certaines décisions moins visibles et donc moins contrôlables. »

 

L’insatisfaction comme état latent de l’homo democraticus

Comme l’analyse l’auteur, « les démocraties vivent dans un état de crise congénital et permanent ».

À force de susciter des attentes et des idéaux difficilement ou seulement partiellement atteignables, voire parfois contradictoires, relevant en partie du mythe, elles donnent lieu à beaucoup de frustration et d’insatisfaction.

La rapidité des transformations et le règne de l’immédiateté, qui s’ajoutent à la complexité croissante des sociétés, rendent ceux qui sont nés avec la démocratie peu en état de mesurer la portée des paradoxes qui menacent la démocratie elle-même. Encore une fois, c’est dans les humanités – et ici en l’occurrence dans la connaissance historique – que nous sommes en mesure de trouver des réponses.

Dévalorisant le passé, et frustré par le présent – qui ressemble souvent à une tyrannie du moment – « l’Homo democraticus devient ainsi une sorte d’Homo currens, en fuite perpétuelle dans le présent, en proie à une continuelle « tyrannie de l’urgence » et, de plus en plus aussi, un Homo querelus – c’est-à-dire plaintif, gémissant, criard – qui critique continuellement le monde dans lequel il vit », plutôt que de savoir apprécier les grandes réalisations de son temps et les améliorations qu’elles ont pu apporter à une vie qu’il ne sait plus apprécier à sa juste mesure.

Au point que beaucoup seraient prêts à troquer la démocratie contre une dictature, ne voyant pas que les maux seraient certainement les mêmes, certains droits et libertés en moins.

C’est là que la connaissance historique intervient et peut en faire prendre conscience, permettant de mieux appréhender le présent, et comprendre en quoi la démocratie est le fruit (non irréversible, ayons-en conscience) d’un processus très lent de maturation, fruit de tout un passé agité loin de la relative quiétude que nous avons la chance de connaître aujourd’hui – pourtant inimaginable il y a encore quelques décennies à peine. Des réalités dont n’ont souvent même pas conscience ceux que Pierre Bentata appelait dans un ouvrage « des jeunes sans histoire ».

Il en va même des sciences sociales, dont la connaissance peut être utile à conjurer le danger constructiviste, dont la tentation est grande face aux insatisfactions, mais dont les projets planificateurs du XXe siècle, réduisant fortement ou supprimant les règles démocratiques, ont eu des effets véritablement ravageurs.

Prétendre changer la société ou changer l’Homme mène où nous savons

Dans ces conditions, la connaissance des effets pervers de toute présomption fatale (Hayek) à remplacer l’ordre spontané par la planification et les bonnes intentions doit permettre d’éviter de sombrer dans les mêmes erreurs ou tragédies.

La société ouverte popperienne est mieux indiquée que toute prétention à faire advenir le paradis sur Terre par l’interventionnisme.

 

« De même que la science renonce à la certitude, de même la démocratie ne vise pas à construire la société parfaite ; de même que la science progresse par la discussion critique précisément parce que aucun scientifique ne possède de vérités définitives, de même la démocratie progresse par le dialogue parce que personne ne possède le plan de la société parfaite ; de même que la science progresse en éliminant les erreurs, sans jamais parvenir à une vérité définitive, de même la démocratie progresse en réduisant les « misères », sans chercher à réaliser d’emblée la société idéale ; et de même enfin que la discussion en science doit respecter les règles de la méthode scientifique, de même le débat public en démocratie doit se développer dans le cadre des règles de l’État de droit. »

 

Autrement dit, le réformisme graduel issu de la discussion critique et du débat public est mieux à même d’identifier les problèmes et de tenter de les résoudre ou apaiser, par l’art du compromis, plutôt que de se fonder sur des idéologies fermées sur elles-mêmes prétendant mettre en œuvre de manière autoritaire une société parfaite.

Face aux crises économiques notamment, la compréhension des mécanismes en jeu grâce aux sciences sociales doit permettre d’éviter de tomber dans les peurs exagérées, l’irrationnalité, les croyances infondées, les réactions émotionnelles, les théories du complot, les excès conduisant à rechercher des boucs émissaires – au premier rang desquels la démocratie.

Ce qui s’est produit, rappelons-nous, au moment de la montée du fascisme et du nazisme (et de l’antisémitisme).

 

Humanités et capacité créative

Se basant sur les enseignements d’Edmund Phelps sur la croissance, mais aussi – entre autres – sur ceux d’Israël Kirzner concernant l’esprit d’entreprise, Enzo Di Nuoscio montre en quoi l’enseignement des humanités est indispensable à l’esprit créatif.

L’esprit critique, la capacité à résoudre des problèmes et par conséquent à entreprendre et innover, ne peuvent provenir de la seule connaissance mathématique ou scientifique. C’est pourquoi il considère que le recul des humanités dans l’enseignement ces dernières années est une erreur majeure.

De la même manière, la compréhension de la science économique et les avancées qu’elle peut connaître ne peut provenir du seul recours à la formalisation et aux mathématiques. Là encore, la disparition de sa dimension de science sociale est donc une erreur. Elle aboutit à produire des techniciens hyperspécialisés mais en manque de repères, et donc parfois relativement ignorants, pour lesquels la formalisation devient une fin en soi, au détriment du sens. Ce qui est susceptible de produire de graves effets pervers lorsqu’ils formulent des propositions de politiques économiques fondées sur des modèles hermétiques dépourvus de toute comparaison avec la réalité, constituée d’une multitude d’actions humaines au caractère souvent subjectif et imprévisible.

C’est pourquoi les conditions de l’esprit scientifique supposent forcément une approche pluridimensionnelle et pluridisciplinaire, que seule une bonne formation en humanités et sciences sociales est à même de permettre. Ce qui est fondamental quand on considère que démocratie et économie de marché sont liées. Mais aussi parce que la résolution des problèmes les plus complexes de la société, par nature multidimensionnels, exigent des collaborations interdisciplinaires et une vision globale de ces problèmes, au-delà des compétences spécialisées.

Ainsi, le morcellement des savoirs, notamment technico-scientifiques, « n’est pas une bonne chose pour la démocratie ». Une société technocratique risque de sombrer dans un certain conformisme et être soumise à des problèmes moraux. C’est pourquoi l’éducation humaniste est un élément unificateur indispensable qui doit permettre d’appréhender un problème mettant en connexion ces différentes formes de connaissance. Puis, ceux qui appliquent ces connaissances, même dans les emplois routiniers – nous dit Enzo Di Nuoscio – doivent être capables de relier leurs actions aux dynamiques sociales, économiques et politiques, mais aussi éthiques. Ce qui aboutira pour eux à une meilleure harmonie avec la société, plutôt que de se sentir contraints d’agir de manière purement mécanique.

 

L’importance de la littérature et de l’art

Le langage occupe une place première dans l’émergence et la formalisation de la pensée.

Comme l’écrit l’auteur :

« Avoir une langue plus pauvre signifie avoir une pensée plus pauvre et donc voir le monde avec des catégories interprétatives plus pauvres. La langue, nous fait remarquer Klaus Kraus, est mère et non fille de la pensée ».

Il s’ensuit un appauvrissement des aptitudes critiques et, par extension, de la démocratie.

Si « la capacité philologique de comprendre le sens des textes ou des discours, d’élaborer un raisonnement, d’argumenter selon leurs propres raisons et de comprendre celle des autres, de posséder une bonne dose de jugement indépendant » et même de maîtriser le vocabulaire, ne sont plus très présents, alors la politique risque de s’assimiler au plébiscite et se réduire au oui ou non, réduisant le peuple au rang de simple troupeau. Faisant le lit des totalitarismes, à l’instar de ce que Big brother entreprend à travers la purge du langage dans le roman 1984 de Georges Orwell.

C’est en ce sens que la littérature, notamment classique, permet non seulement d’enrichir notre vocabulaire, mais aussi notre compréhension du monde, de découvrir la diversité des expériences possibles éloignées de notre vie quotidienne, des ressentis susceptibles de développer notre empathie, et que sans cela nous ignorerions. Une exploration de territoires étrangers et autrement inaccessibles que permet également l’art, opportunité de découverte de la réalité.

En d’autres termes, pour reprendre la formulation d’Enzo Di Nuoscio, « la littérature et l’art nous font sortir du village de notre existence ».

Reprenant les termes d’Umberto Eco, il ajoute à juste titre que « ceux qui ne lisent pas n’auront vécu qu’une seule vie à 70 ans, la leur. Celui qui lit aura vécu cinq mille ans… ».

Et il ajoute que la lecture nous permet de mieux comprendre les autres en nous relativisant nous-mêmes, nous évitant de nous enfermer dans le monde de l’entre-soi. C’est une émancipation à l’égard des préjugés, une aptitude à voir à travers les yeux des autres, à travers une palette très diversifiée de ressentis comme de temporalités, un sens du possible et de la liberté. Elle favorise l’imagination, la catharsis, permet d’envisager le large éventail des possibles et nous invite à explorer la pluralité des visions de l’existence et de l’âme humaine, de manière plus concrète et puissante que ne le permet la philosophie.

En définitive, cette imagination cultivée est ce qui permettra mieux, dans un cadre démocratique, de concevoir les conséquences possibles de propositions politiques qui auront des conséquences bien réelles sur la vie des gens.

Il s’agit donc d’un point essentiel de notre éducation démocratique, mais aussi de la capacité de nos décideurs politiques, chercheurs, scientifiques, entrepreneurs, à faire preuve d’imagination, de responsabilité et de créativité dans leurs orientations, réflexions et propositions. En ce sens, elle est aussi parfois crainte des régimes politiques. Car cet instrument de liberté rend moins manipulable et moins asservi.

Mais ce n’est pas le seul avantage :

« Elle crée « une sorte de fraternité au sein de la diversité humaine et éclipse les frontières érigées par les hommes et les femmes par l’ignorance, les idéologies, les religions, les langues, la sottise » (Mario Vargas Llosa). C’est pourquoi les « sociétés fermées » éliminent la littérature libre et entreprennent de faire coïncider les vérités littéraires de la littérature du régime avec la prétendue vérité historique promue par celui-ci. »

 

La démocratie à l’ère du numérique

L’ère du numérique est aussi celle de la surabondance d’information, mais dans le même temps de l’ignorance relative.

Tout va très vite, et l’information se fait par procuration, en s’en remettant un peu trop rapidement à ce que l’on trouve sur internet, sans pouvoir ou sans prendre la peine la plupart du temps de vérifier la source. Ce qui conduit souvent à la perplexité, voire à la crédulité et au prêt-à-penser. Avec l’illusion de pouvoir se passer de l’avis et des connaissances des scientifiques, savants, spécialistes d’un domaine, pour préférer se fier aux croyances de ses semblables. La dangereuse illusion de l’égalité entre les idées, sous couvert de démocratie et sous prétexte de respecter les opinions de tous. Entre biais de confirmation et tyrannie de la majorité (quand ce n’est pas de minorités ou du politiquement correct), on risque bien alors de dériver vers ce que Tocqueville identifiait comme une forme de despotisme.

La manipulation et les fausses informations peuvent alors l’emporter aisément sur la vérité, s’appuyant en outre sur la force des émotions. D’où l’importance de développer l’esprit critique pour contrer les nombreux dangers qui en découlent. On en revient aux humanités et à l’éducation humaniste, qui doit permettre de favoriser l’autonomie de jugement et initier à la complexité, plutôt que de se laisser happer par son fil d’information personnalisé qui s’autoalimente et vous entraîne inéluctablement vers ce que vous voulez entendre.

« Construire un esprit critique à travers les humanités et les sciences sociales est une bonne assurance contre le risque de réactions irrationnelles, car elles nous éduquent à la complexité du monde. Elles nous aident à savoir vivre avec les fragilités humaines, l’incertitude, les différences, les difficultés, et même avec l’impossibilité de distinguer le bien du mal. Elles nous aident à nous familiariser avec les contradictions qui accompagnent nécessairement nos vies, fortement accentuées dans le monde interconnecté de la société liquide ».

 

 

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La liberté de la presse est en danger en Europe

L’enfer est souvent pavé de bonnes intentions. L’examen par le Parlement européen, dans la quasi-indifférence générale, du « European Media Freedom Act » (acte européen sur la liberté des médias) pensé par la Commission Von der Leyen apparaît comme une énième illustration de ce principe.

De prime abord, les intentions apparaissent fort louables. La révolution numérique ne cesse de bouleverser le secteur des médias, et donne à des problématiques vieilles comme le monde – ingérences des pouvoirs, déstabilisation provenant de puissances étrangères, désinformations et manipulations en tout genre – une nocivité décuplée à l’ère numérique, quand les flux de contenus circulent de manière instantanée à une échelle massive et mondiale. Et nous ne sommes qu’à la préhistoire de l’Intelligence Artificielle qui va apporter tout autant son lot d’exceptionnelles opportunités pour la création de menaces pour notre capacité à distinguer le vrai du faux, le réel du fantasmé, l’information de la manipulation.

Par ailleurs, il apparaît incontestable que le climat ne cesse de se dégrader pour les journalistes, et plus généralement pour ceux qui font de la transmission de l’information leur vocation.

Partout, l’accaparement d’une vaste majorité des revenus publicitaires par quelques plateformes a affaibli le modèle économique des éditeurs et paupérisé tout une profession, pourtant si nécessaire à la démocratie. Pire encore, l’algorithmisation de la distribution des contenus favorise tout ce qui clive, qui clinque et fait cliquer, ce qui constitue une pression de plus pour les contenus de qualité qui doivent se battre pour la visibilité comme pour la rentabilité.

Enfin, plus localement, et principalement en Hongrie et en Pologne, la concentration des médias dans les mains de proches du pouvoir constitue un risque majeur pour le pluralisme des points de vue.

La liberté de la presse demeure ainsi un combat, y compris sur le sol européen.

Pour le mener, encore faut-il bien percevoir les menaces, qui ne sont pas nécessairement celles qui provoquent le plus d’indignation. Or, la principale menace actuelle est celle de l’excès de régulation, qui comme toujours étouffe plus qu’il ne protège. Le Media Freedom Act en est un exemple flagrant.

 

Un Media Freedom Act bien mal nommé

Si ce règlement européen présente quelques mesures positives afin de garantir la sécurité des journalistes, il n’apporte que peu d’améliorations, notamment par rapport au droit français, déjà très en pointe depuis la vieille mais solide Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.

Et ce d’autant plus que la mesure concrète la plus protectrice envers les journalistes, qui prévoyait, dans le projet initial de la Commission, l’interdiction de toute utilisation de logiciel espion à leur encontre et celle de leurs familles, a été remise en cause par les États, et n’est pas encore acquise. Cette mesure a été réintroduite par les parlementaires européens. Les trois institutions européennes que sont la Commission, le Conseil et le Parlement vont désormais statuer en réunion trilogue, dans un sens que l’on peut espérer le plus favorable aux libertés individuelles, à la protection des journalistes et de leurs sources.

En attendant que soit confirmée la seule nouvelle mesure qui constituait une avancée libérale, demeure le reste du texte qui introduit une nouveauté inquiétante pour le liberté de la presse : l’European board for media services, le Conseil européen des services de média.

Ce nouveau super régulateur au niveau européen aura pour but de faire respecter la bonne application des règlements de la Commission concernant les médias et la presse. Vaste programme.

Une autorité administrative supposée indépendante au niveau supranational pourra donc soumettre la presse à la tutelle d’une régulation que son statut et sa capacité à s’autoréguler lui évitaient jusque-là. Il s’agirait d’un recul sans précédent et d’une menace pour tous les éditeurs. En soumettant le directeur de la publication à une autorité administrative, et non pas à un juge statuant sur la responsabilité pénale de celui-ci, la Commission s’attaque involontairement par ricochet à un droit fondamental des citoyens, la liberté d’expression.

Le risque est d’autant plus grand que le règlement tel que présenté par la Commission se veut très pointilleux et normatif.

À titre d’exemples, le MFA décrit ce que devra être, dans chacun des pays membres, la procédure de nomination d’un dirigeant de l’audiovisuel public. Il introduit de nouvelles obligations de transparence, qui, dans certains pays, pourraient paradoxalement fragiliser certaines oppositions au pouvoir en place, en dévoilant le nom de leurs soutiens et mécènes. Il s’immisce dans l’organisation interne de chaque média en énonçant des exigences visant à garantir toute décision éditoriale individuelle des journalistes, créant une inutile tension juridique et humaine entre ceux-ci et leurs éditeurs, qui, au-delà de leur responsabilité pénale, sont les garants de la ligne éditoriale et de la stratégie globale d’un titre de presse.

Nous voyons le monstre de bureaucratie et de contrôle que pourrait devenir cette nouvelle autorité sans une définition beaucoup plus claire et limitée de ses missions, et sans des garde-fous absents à ce stade.

La propension naturelle de toute bureaucratie à créer de nouvelles normes et interdictions pour justifier son existence, conjuguée à certaines postures idéologiques et démagogiques du politique – et pas uniquement dans les démocraties dites illibérales – n’est pas de nature à rassurer.

 

Dicter leur ligne aux médias au nom du Bien ?

Récemment encore, en France, un think tank, l’institut Rousseau composé de hauts fonctionnaires et d’universitaires, personnes a priori peu loufoques, a rédigé pour les députés une proposition de loi clé en main, ayant pour ambition d’imposer aux médias leur ligne éditoriale.

Là encore au nom d’un objectif louable bien qu’il ne soit en rien du ressort du politique – « améliorer le traitement des enjeux écologiques dans les médias » les experts de l’Institut Rousseau suggèrent d’imposer des normes éditoriales, fondées sur des quotas, contrôlées par l’autorité administrative.

Découvrant le concept de choix éditoriaux et l’influence de la presse dans le débat démocratique, l’Institut regrette que les médias traitent davantage de certaines thématiques plutôt que d’autres, « favoris[ant] l’orientation des programmes électoraux et des prises de positions et engagements politiques vers ces enjeux ». Régulons donc tout ça.

L’environnement est un sujet crucial ?

L’Institut propose qu’en période électorale, un minimum de 20 % des contenus des médias soit consacré « aux enjeux du dépassement des limites planétaires et de la raréfaction des ressources », ou tout du moins « à une représentation des communications traitant, de façon directe ou indirecte de ces enjeux. »

Et naturellement, outre le quantitatif, ce traitement devra être aussi qualitatif, c’est à dire conforme à ce qu’il faut penser, à la bonne opinion (par qui définie ?).

La proposition de loi le précise bien :

« Ne pas publier ou diffuser des prises de position qui contredisent, minimisent ou banalisent l’existence des limites planétaires et de la raréfaction des ressources, de leur origine anthropique et du risque avéré que ces crises représentent pour l’habitabilité des écosystèmes. »

À l’autorité administrative, l’ARCOM en l’occurence, de contrôler et sanctionner ces injonctions floues, subjectives, et qui ne devraient rester que du ressort du débat intellectuel et scientifique.

Il s’agirait là d’une volonté d’ingérence autoritaire du politique dans la liberté éditoriale des médias, déclenchant un infernal engrenage. Demain, suivant les mêmes logiques, un exécutif d’extrême droite exigerait peut-être que 40 % du temps d’antenne soit consacré à l’immigration illégale, ou un pouvoir La France Insoumise imposerait 50 % du temps à la défense du Hamas…

Au nom de la juste cause écologique, des gens sérieux et supposés démocrates s’adonnent à une pulsion totalitaire, certes peu surprenante lorsqu’on choisit de placer ses travaux sous le patronage de Jean-Jacques Rousseau, mais tout de même inquiétante.

Il est fort probable qu’une telle proposition inepte n’aboutisse pas, mais les velléités normatives et puritaines, tant des États-nounous que des pouvoirs démagogues, tant des thuriféraires de l’Empire du Bien que des ennemis de la liberté, font que ce type de mesures législatives ou règlementaires n’est plus à exclure en Europe.

Or, nous comprenons bien, à travers cet exemple hypothétique mais concret, l’immense danger du principe-même de la soumission des médias à des autorités administratives, dès lors que celles-ci sont enjointes par la pouvoir politique à contrôler également leurs choix éditoriaux.

 

La presse doit rester une exception

La presse, jusqu’à présent en France, a échappé à ce contrôle administratif grâce à l’excellente loi libérale et protectrice de 1881, qui consacre l’exclusivité du contrôle de la presse par les juridictions et constitue donc une véritable garantie d’indépendance.

Ce que nous pensions acquis est désormais remis en cause par le Media Freedom Act et la création de cette inquiétante autorité de régulation au niveau européen. Les éditeurs français ne s’y sont pas trompés : près de 300 d’entre eux, allant de la presse régionale à la presse spécialisée, s’en sont vivement émus, sans grande écoute.

Ainsi, pour protéger la liberté de la presse, menacée dans certains pays, la Commission européenne a créé un corpus qui pourrait par ses effets pervers l’entraver dans beaucoup d’autres.

Le processus législatif de l’Union européenne est cependant plus complexe et pertinent que ce à quoi ses détracteurs le résument parfois. Le texte de la Commission a déjà été légèrement amélioré par le Parlement, pour ce qui concerne la protection des journalistes et les relations entre éditeurs et plateformes, afin de limiter les censures a priori des premiers par les secondes. Les discussions vont se poursuivre avec le Conseil, c’est-à-dire les gouvernements des pays de l’Union.

Il faut espérer que ces échanges permettront d’obtenir un texte plus équilibré qui évite toute ingérence de la Commission dans les politiques culturelles des États en la matière, et qui, à l’inverse, se concentre sur ce pour quoi l’Union peut faire la force, à savoir notamment les obligations imposées aux toutes-puissantes mais incontournables plateformes. Et que ces débats conduiront également à un règlement qui s’abstienne d’une vision trop stricte et idéologique de la libre concurrence, empêchant tout poids lourd européen du secteur des médias d’émerger au niveau mondial, alors que nous en avons tant besoin pour notre soft power.

Tous ces enjeux seront à surveiller attentivement dans les semaines qui viennent, sous peine de nous retrouver avec une législation dangereuse pour les valeurs de la démocratie libérale.

L’évolution de la presse et du rapport à l’information demeure une question trop fondamentale pour être laissée au seul niveau européen. Les États, chacun avec leurs traditions et défis propres, doivent désormais pleinement s’en saisir.

En France, les états généraux du droit à l’information, qui viennent de débuter, peuvent constituer une formidable occasion en ce sens, à condition de ne pas s’enfermer dans une ornière idéologique ni corporatiste. Le risque n’est pas nul.

Comment lutter contre la pédopornographie sans entrer dans la surveillance généralisée ?

Le client-side scanning (CSS ou analyse côté client en français) est, si l’on s’en réfère à la définition :

« Un terme générique faisant référence aux systèmes qui analysent les données du message (ex. : texte, images, vidéos, tous types de fichiers) afin de rechercher des correspondances ou des similitudes avec une base de données de contenu répréhensible avant l’envoi du message à son destinataire. Par exemple, votre logiciel antivirus peut y avoir recours pour trouver et désactiver des logiciels malveillants avant qu’ils ne nuisent à votre ordinateur. »

L’idée de scanner les fichiers du côté du client pour détecter les menaces existe depuis les débuts de l’informatique. Cela a toujours soulevé des questionnements relatifs à la confidentialité et la fiabilité des communications, et a pris de l’importance avec la popularisation d’Internet et l’augmentation des menaces en ligne.

 

Pédopornographie et client-side scanning « No limit » : un texte européen fait polémique

L’Europe se propose désormais d’aller encore plus loin dans l’usage du client-side scanning, qui, jusqu’ici, se voyait imposer certaines limites.

La technologie se voyait en effet interdite d’être utilisée pour scruter des correspondances privées par des tiers – quels qu’ils soient – fut-ce les prestataires eux-mêmes ! Ces dernières étant, jusqu’à ce jour, protégées de toute intrusion par le chiffrement de bout en bout (End-to-end encryption ou E2EE). Pour « mieux » lutter contre la pédopornographie, c’est ce « rempart » (E2EE) qui est remis en cause par le texte en approche.

Là commence la polémique, et pour cause.

Ce projet de texte dédié à la protection de l’enfance sur internet a été porté par Ylva Johansson qui déclarait en 2021 : « Les défenseurs de la vie privée parlent très fort. Mais il faut aussi que quelqu’un parle pour les enfants. »

Ce texte, qui se donne pour ambition de proposer de nouvelles règles pour protéger les enfants, mettrait à mal les correspondances privées. Il a immédiatement inquiété les géants du secteur concerné… Notons qu’il devrait également inquiéter tous les usagers européens.

De prime abord, l’intention est louable, la cause est juste, pour autant, la fin justifie-t-elle les moyens suggérés ? Rien n’est moins sûr !

 

Vers la fin des correspondances privées ?

En souhaitant s’arroger le droit d’accéder aux communications privées des usagers, en prévoyant d’obliger les grandes plateformes à utiliser le client-side scanning pour scanner l’ensemble des données de ces derniers, c’est une violation inédite de la vie privée qui est en jeu.

Comme le rappellent « les décodeurs » :

« Cela est impossible sans affaiblir le chiffrement de bout en bout, une technologie qui protège les communications privées, empêchant même les plateformes d’y accéder ».

Que dire, dès lors, de cette fausse bonne idée qui pourrait être à la démocratie ce que le Roundup est au chiendent : pas vraiment fertile, et pour le moins dangereuse et périlleuse, si elle n’était pas, de surcroît, contre-intuitive.

À ceci plusieurs raisons.

La première, c’est que cela implique une surveillance de masse de conversations privées…

La seconde, la mise en place de ce scan augmenté pourrait faire exploser le nombre de faux positifs, annihilant l’efficacité attendue d’une telle approche :

  • Par exemple, des enseignants parlant de l’éducation sexuelle des enfants pourraient être suspectés, tout comme des parents envoyant des photos de leurs petits-enfants nus dans une piscine à leurs grands-parents… et la liste de malentendus potentiels est pour le moins longue.
  • À ce jour, les algorithmes de détection peuvent parfois confondre des images innocentes avec des images explicites en raison de similitudes visuelles, ils peuvent se révéler incapables de comprendre le contexte dans lequel une image est partagée.
  • Les organismes de lutte contre la pédopornographie, leurs salariés, leurs bénévoles pourraient eux-mêmes se retrouver « piégés ».
  • Les algorithmes peuvent également mal interpréter un texte associé à une image, entraînant une mauvaise classification du contenu.
  • Des œuvres artistiques ou créatives impliquant des nus peuvent être confondues avec de la pornographie/pédopornographie (rappelez-vous L’Origine du monde).
  • Des personnes opposées à cette législation pourraient exploiter les systèmes de CSS en envoyant délibérément des fichiers modifiés pour déclencher de faux positifs, dans le but de perturber le processus de détection et le rendre totalement inopérant…

 

Autant de situations qui, in fine, noieraient les véritables délinquants dans une masse de faux positifs.

En troisième lieu, le dévoiement de ce client-side scanning pourrait amener des États démocratiques qui dérivent à en faire de tout autres usages, notamment d’un point de vue politique, en ciblant par exemple des personnalités, des opposants, des journalistes, etc.

Au regard de ces quelques remarques, il est appréciable que certains arguments, dont certains, que j’ai, comme d’autres, avancés, aient retenu l’attention de quelques législateurs qui se sont mis à douter de la pertinence du projet de la proposition initiée et portée par Ylva Johansson (cf. Pédopornographie en ligne : bataille d’influence autour d’un texte européen controversé).

Cette dernière déclarait en 2021 :

« Les défenseurs de la vie privée parlent très fort. Mais il faut aussi que quelqu’un parle pour les enfants ».

Ce serait une très belle formule si elle n’était pas naïve.

Les défenseurs de la vie privée n’ont pas besoin d’élever la voix pour parler juste, et expliciter que « parler pour les enfants » ne légitime pas la mise en place de mesures disproportionnées et potentiellement inefficaces.

Ces mesures signeraient l’avènement d’une surveillance de masse inédite des citoyens européens, sans pour autant répondre aux objectifs attendus.

 

Il faut sauver le droit au secret de nos correspondances !

L’intention – bis repetita placent – peut apparaître louable et convaincra une partie de l’opinion publique, qui clame régulièrement « qu’elle n’a strictement rien à cacher » lorsque de nouveaux reculs de nos droits les plus inaliénables sont attaqués.

Mais il faut convaincre ceux qui en doutent encore que ce n’est pas parce que l’on n’a rien à se reprocher que la liberté d’expression et le droit à la vie privée ne doivent pas être protégés !

Alors, il faut l’affirmer, encore et toujours, à ceux qui ne veulent pas entendre : le droit à la vie privée est un droit pilier de notre fonctionnement démocratique, et dans ce droit figure le droit au secret de nos correspondances, il n’est pas négociable !

En matière de technologies, les choses sont souvent plus complexes que ce qui est exposé au grand public, alors il faut alerter, dès lors que l’on dérive au-delà du raisonnable.

Aussi, les législateurs seraient bien avisés de ne pas voter une loi qui présente autant de failles.

 

Pour conclure : ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas

Pour être efficace contre les criminels ciblés, mettre l’ensemble de la population sous surveillance de ses échanges privés est une aberration démocratique et naturellement un véritable danger.

Il serait plus judicieux d’identifier et de faire tomber des réseaux, et non pas quelques individus qui tomberaient – avec ce texte – éventuellement dans les mailles d’un filet hautement improbable !

Lorsque l’Allemagne s’attaque au problème, les résultats sont là : en 2019, elle a fait tomber l’un des plus grands réseaux de pédopornographie au monde, « boystorm », qui comptait plus de 400 000 membres. Je n’ai pas souvenir qu’elle ait eu besoin d’ausculter en permanence les correspondances privées de citoyens européens pour faire tomber ce réseau de dimension internationale.

Le mal se combat parfois par le mal, quitte à ce que les enquêteurs se fassent passer pour des pédophiles pour infiltrer les forums dédiés. C’est ce que fait – entre autres – la centrale chargée des cybercrimes de Rhénanie-du-Nord-Westphalie qui est dotée « d’une brigade spéciale uniquement chargée d’identifier les auteurs d’abus sexuels ».

Alors, chers législateurs, ne serait-il pas de l’ordre de la raison que de recourir aux méthodes efficaces et qui ont fait leurs preuves ? D’envisager un renforcement des moyens humains, le déploiement de brigades dédiées (dans l’idéal interconnectées), à l’instar de ce qu’a fait la Rhénanie-du-Nord-Westphalie ?

Ne serait-il pas dans notre intérêt collectif de laisser des pratiques dignes des gouvernements totalitaires ou autoritaires à ces derniers ?

« Le simplisme est le plus court chemin pour se débarrasser du complexe ! » Tonvoisin’

Et si la France suivait le cas suédois en matière fiscale ?

Par Philbert Carbon.
Un article de l’IREF.

La Suède a longtemps été un modèle pour tous ceux qui se réclamaient de la social-démocratie. Aujourd’hui, elle est presque devenue un repoussoir parce qu’elle serait trop « libérale ». Il est vrai que la Suède a fait de profondes réformes qui ont écorné l’État-providence.

La fiscalité des entreprises et celle du capital y ont été profondément remaniées.

L’IREF a déjà eu l’occasion de montrer combien les réformes conduites en Suède – par exemple celle des retraites – avaient eu des effets bénéfiques sur l’économie. Une de nos études montre très bien que la Suède – et les autres pays nordiques – surclasse la France sur le plan de la liberté économique, de la flexibilité du marché du travail, du développement humain, ou encore du PIB par habitant.

Certes, les impôts en Suède restent élevés. Moins qu’en France cependant. Les recettes fiscales représentent 42,6 % du PIB en Suède, contre 45,15 % en France (chiffres 2021), la moyenne de l’OCDE étant à 34,11 %.

 

Des recettes fiscales en augmentation…

La grande réforme suédoise de 1991 visait à alléger la fiscalité sur les entreprises et sur le capital.

À cette date, le taux d’impôt sur les sociétés était de 60 % (du moins le taux nominal, dans la pratique peu d’entreprises se le voyaient appliquer). Il a été progressivement abaissé jusqu’en 2021 pour atteindre 20,6 %. Il est désormais dans la moyenne de l’Union européenne, deux points en dessous de la moyenne de l’OCDE, et plus de quatre points en dessous du taux français (25 %).

Aujourd’hui, avec un taux moins élevé, la Suède a davantage de recettes fiscales que la France en pourcentage du PIB. En effet, les recettes de l’impôt suédois sur les sociétés représentent 3 % du PIB contre 2,5 % en France. En 1990, avant la réforme, les recettes de l’impôt sur les sociétés équivalaient à 1,5 % du PIB en Suède et à 2,2 % en France. Le royaume scandinave a donc doublé le rendement de son impôt sur les sociétés en 30 ans, en baissant les taux, tandis celui de la France a stagné. Encore une illustration de l’effet Laffer !

Parallèlement, le pays a mis en place une flat tax de 30 % sur les revenus du capital (revenus des valeurs mobilières, dividendes, plus-values et certains revenus fonciers). Des taux inférieurs sont même pratiqués pour les dividendes des sociétés non cotées (25 %) et les revenus fonciers privés (22%).

Ajoutons que la Suède a supprimé l’impôt sur les successions et les donations en 2005, et l’impôt sur la fortune en 2007. Elle aussi fait disparaître la taxe foncière pour les particuliers en 2008 pour la remplacer par une redevance municipale plafonnée à 840 euros par an pour les maisons (ou 0,75 % de la valeur imposable) et à 145 euros pour les appartements (ou 0,3 % de la valeur imposable).

 

… et des investissements en hausse…

Une note publiée en septembre 2023 par la direction générale du Trésor montre que la réforme de 1991 en Suède a eu des effets bénéfiques sur les investissements des entreprises.

Le pays affiche, sur longue durée, « un des taux d’investissements des entreprises les plus élevés de l’Union européenne. En 2021, ce taux était de 17 % du PIB. Seule l’Irlande faisait mieux avec 19 %. La France était à 14 %.

La réforme, combinée à la libéralisation et l’ouverture des industries de réseau, a également permis un boom des investissements directs étrangers (IDE), notamment entre 1998 et 2002, comme on le voit sur le graphique ci-dessous.

Flux nets entrants d’IDE

(en % du PIB)

On remarquera que la courbe de la Suède est beaucoup plus erratique que celle de la France.

Quoi qu’il en soit, entre 1990 et 2022, la moyenne suédoise est de 4,3 % quand la française n’est que de 2 %. En 2022, les IDE (flux nets entrants) représentaient 8,5 % du PIB en Suède contre 3,8 % en France.

 

… mais des impôts sur les personnes encore trop élevés

Aujourd’hui, la fiscalité suédoise repose essentiellement sur les individus (même si l’imposition du capital a été fortement réduite comme nous l’avons dit).

En effet, l’essentiel des recettes des administrations publiques provient de la fiscalité indirecte (notamment de la TVA qui est à 25 %), et de l’impôt sur le revenu des personnes physiques. Si le taux marginal de celui-ci a été baissé – il était de 70 % en 1990, avant la réforme –, il demeure à un niveau élevé puisqu’il dépasse les 55 %. Cependant, l’introduction du crédit d’impôt pour l’emploi en 2007 a permis de faire reculer la pression fiscale pesant sur les personnes, à l’exception de celles qui ont les plus hauts revenus.

Si les cotisations sociales sont modérées, notamment parce que le régime de retraite repose fortement sur la capitalisation, le travail demeure tout de même relativement taxé compte tenu de l’existence d’une taxe généralisée sur les salaires. Créée pour financer le coût de l’adhésion de la Suède à l’Union européenne, cette taxe, qui n’offre aucune contrepartie (pas de prestations), n’a fait qu’augmenter au fil du temps, passant de 1,5 % à l’origine à 11,62 % en 2023 ! Ses recettes sont importantes : 5,2 % du PIB suédois en 2021. Cette forte taxation du travail explique en grande partie la persistance d’un chômage élevé en Suède (7,5 % en 2022).

 

Des leçons pour la France ?

L’exemple suédois devrait inspirer les dirigeants français, ou ceux qui aspirent à l’être.

Nous l’avons vu, la baisse des impôts sur les entreprises et sur le capital a été grandement bénéfique à l’économie suédoise. Il semble donc que la France n’ait pas d’autres choix que de continuer à baisser les impôts de production et les impôts sur le capital (flat tax sur les revenus immobiliers) si elle veut rejoindre le club des pays les plus économiquement performants et attirer les investisseurs.

Rappelons qu’en France la taxation du capital est bien plus élevée que chez nos voisins. Ainsi que le rapporte une note de Fipeco :

« La Commission européenne publie néanmoins une estimation du taux implicite de taxation du capital dans les pays de l’Union en s’appuyant sur la comptabilité nationale. Le taux implicite de taxation du capital est le plus élevé en France en 2020 (60 %), très loin devant ceux de l’Allemagne (31%), de l’Italie (32 %) et de la Belgique (38 %). »

En revanche, la forte taxation du travail est génératrice d’un chômage structurel en Suède.

Par conséquent, pour la dépasser, il faudrait que nous baissions les cotisations sociales et que nous adoptions une flat tax sur les revenus du travail. Le royaume scandinave a bien compris que diminuer les taux d’imposition et élargir l’assiette procuraient davantage de recettes fiscales. Mais il n’a pas voulu appliquer cette règle à l’impôt sur le revenu qui reste fortement progressif. En prenant le contrepied de cette politique, nous pourrions surperformer la Suède.

Voilà un challenge stimulant pour nos politiques ! Encore faut-il qu’ils n’oublient pas l’essentiel : réduire vraiment les dépenses publiques.


Sur le web.

Pour en finir avec la démocratie directe

Il n’y a pas lieu de chercher à substituer à la démocratie représentative une forme de démocratie supposée supérieure que serait la démocratie directe. Il suffit de voir comment votent généralement la Suisse francophone ou la Californie pour comprendre que la démocratie directe en France se traduirait par un recul significatif de la liberté.

En contrepoint de l’article de Jacques Legrand : Français, savez-vous ce que vivre en démocratie directe voudrait dire ?

Régulièrement, aussi bien du côté de l’extrême gauche que de l’extrême droite qui s’imaginent toujours représenter le pays réel, et récemment de manière curieuse chez quelques libéraux, on voit resurgir ce serpent de mer qu’est la demande de l’instauration de la démocratie directe ou semi-directe dans le système politique français. Une manière de Graal électoral qui devrait permettre d’exaucer le vœu de Lincoln d’un gouvernement du peuple par le peuple pour le peuple.

Dans des articles parus dans Contrepoints, Jacques Legrand ainsi que Jacques Garello revenaient sur cette antienne et rompaient donc une lance en faveur de cette option qui rendrait au citoyen son pouvoir de décision et sa souveraineté. L’argumentaire est bien connu. Fondamentalement, il s’agit d’une critique frontale du système représentatif où le peuple délègue sa souveraineté au parlement, au gouvernement et à l’autorité judiciaire.

En décrivant l’expérience historique, nos zélotes montrent que les représentants élus ont tendance à s’émanciper de l’intérêt général pour ne servir que le leur. Une oligarchie détiendrait dès lors l’essentiel du pouvoir, en cheville avec différents groupes d’intérêts et de pression. Le tout au détriment du pouvoir législatif et même du pouvoir judiciaire. Car dans les faits, l’exécutif devient le seul auteur principal des lois et la séparation des pouvoirs n’existe plus guère.

Au final, le citoyen est cantonné au rang de spectateur de la vie politique, confisquée par les partis.

Dans son article, Jacques Legrand, à la suite d’Yvan Blot, d’Étienne Chouard, d’Antoine Chollet, d’Alain Cotta et bien d’autres en France, appelle donc à l’avènement d’une nouvelle société qui passerait par une réforme des institutions fondées sur une subsidiarité ascendante. Une société qui ferait appel à l’engagement des citoyens là où ils peuvent agir, et qui les doterait de droits supplémentaires afin d’augmenter leur participation politique, et de les mettre au même niveau décisionnel que les représentants élus. À l’instar de ce qui existe en Suisse et, dans une moindre mesure, dans les États qui ont introduit dans leur système politique des outils de la démocratie directe (référendum, plébiscite, initiative populaire, pétition, destitution de mandataires, etc.).

En temps de crise, le sujet revient à la mode.

Comme aujourd’hui en France, avec la gestion calamiteuse du gouvernement Hollande, un président « mal élu », choisi par une minorité de la population si l’on tient compte du nombre des abstentions. La question de l’introduction d’une simili initiative populaire est d’ailleurs à l’étude au Parlement.

C’est donc une bonne occasion de tordre le cou une fois pour toutes à cette vraie fausse bonne idée qu’est la démocratie directe. Même si certains libéraux, comme Pierre Chappaz, croient y trouver une voie d’avenir en faisant, par exemple, référence au scrutin du 24 novembre en Suisse.

 

Les failles de la démocratie directe

Commençons donc par l’expérience historique.

Généralement, les thuriféraires de la démocratie directe aiment s’étendre sur les cas qui fonctionnent ou semblent fonctionner relativement bien. Comme la Suisse. Cas emblématique, il est vrai. Ou les New England Town Meetings aux États-Unis, déjà vantés en son temps par Tocqueville. Ou quelques référendums en Italie, etc.

Malheureusement, l’expérience historique de la démocratie directe, c’est surtout l’histoire d’échecs répétés et souvent sanglants. À commencer par la Grèce antique où la démocratie directe, la seule forme démocratique connue alors, se solda plusieurs fois par des guerres sociales dans plusieurs cités. Ce qui donna matière à réflexion aux philosophes d’alors, qui forgèrent à ce propos le concept d’ochlocratie.

Plus près de nous, plusieurs autres expériences de démocratie directe furent tentées : la Commune de Paris en 1871, les soviets russes après la chute du régime tsariste, les conseils ouvriers en Allemagne et en Italie après la Première Guerre mondiale, les communautés anarchistes en Espagne durant la guerre civile, le Chiapas, au Mexique, contrôlé un temps par l’Armée zapatiste de libération nationale.

Certes, des événements extérieurs y mirent fin, mais la manière dont elles s’étaient déroulées laisse peu de place au regret. Et si l’on voulait faire preuve d’un peu de mauvaise foi, on citerait, comme autre exemple peu reluisant de la démocratie directe, la Jamahiriya, cet « État des masses » instauré par Kadhafi en Libye à partir de 1977.

Le second point mis en avant en faveur de la démocratie directe est sa représentativité, qui serait supérieure au système de la démocratie représentative et, partant, plus légitime. Ainsi, par exemple, face à un président comme Hollande choisi par moins de 40 % des électeurs inscrits, par défaut, pour faire sortir son rival politique, on oppose la légitimité du peuple qui voterait directement, donnant en masse son avis sur une question précise.

Sauf que, encore une fois, l’expérience montre que cette supposée représentativité supérieure est loin d’être acquise.

On sait déjà en effet qu’aux États-Unis, les taux de participations aux scrutins sont extrêmement faibles, comparés aux scores européens, là où règne la démocratie représentative. Mais également en Suisse – l’exemple canonique de la démocratie semi-directe – la participation des citoyens aux consultations populaires est des plus réduites : de près de 70 % au début du XXe siècle, elle est tombée à moins de 30 % à la fin du siècle.

Alors qu’est-ce qui serait le plus légitime d’un point de vue démocratique : l’élection d’un représentant avec 40 % des suffrages ou l’adoption d’une initiative populaire par 15 % du corps électoral ?

Autre exemple récent et médiatisé : quelles sont la représentativité et la légitimité démocratique du nouveau projet de constitution islandaise rédigé par 25 citoyens choisis au hasard, en collaboration avec la population via Internet, et approuvé en octobre 2012 par 66 % des suffrages exprimés, mais avec un taux d’abstention supérieur à 50 % et l’opposition de toute une partie du spectre politique ?

Il y a peu, les différentes « assemblées populaires » apparues au sein de mouvements « Occupy » qui ont vu le jour à travers le monde (New York, Madrid, etc.) nous ont également montré que la démocratie directe n’offre absolument aucune garantie de représentativité supérieure par rapport à la classique démocratie représentative et qu’elle est tout autant, sinon plus, sujette à la démagogie, au dérapage populiste et à la tyrannique confiscation du pouvoir par une minorité active et bruyante selon l’effet Olson.

Mais le grand argument avancé par les partisans de la démocratie directe, à tout le moins par ceux qui veulent vendre ce programme aux libéraux, c’est, comme le font Legrand ou Garello, de nous assurer que ce système politique permettrait de limiter la taille de l’État, et de mieux préserver nos droits et libertés. Et dans la foulée, de nous décrire comment la Suisse est le cinquième pays le plus libre économiquement au monde. Et comment, en 1980, le référendum initié par le major Jarvis, la célèbre Proposition 13, limita la croissance des dépenses publiques en Californie et conduisit Reagan à la Maison blanche.

Mais une fois de plus, une étude plus approfondie doit nous faire déchanter.

Alors, s’il est bien vrai que la Proposition 13 permit, très momentanément, de réduire un peu le train de vie de l’État de Californie, il ne faut pas oublier que la plupart du temps la démocratie directe a servi aux États-Unis à alourdir le poids et à renforcer l’interventionnisme de l’État (législation sur le travail dans l’Oregon, le Colorado, l’Arkansas, système public de retraites dans l’Arizona, prohibition de l’alcool dans plusieurs État avant le Volstead Act, instauration de mesures de discriminations positives, protection de l’environnement en Californie, etc.).

Et actuellement, malgré le fait que la Californie soit sans doute l’État américain où est le plus appliqué la démocratie directe, on a pu observer depuis des années un envahissement sans précédent de l’État dans tous les domaines de la vie et une multiplication des atteintes aux libertés individuelles.

Quant à la Suisse, s’il est vrai qu’elle se trouve, en compagnie des États-Unis, dans le top 10 des pays les plus libres économiquement, cela ne doit pas occulter le fait que les huit autres pays premiers du classement ne pratiquent pas ou de manière parfaitement anecdotique la démocratie directe. Le lien de causalité non seulement n’est pas prouvé, mais fortement contredit par la pratique référendaire suisse qui, comme aux États-Unis, a surtout été un facteur d’étatisation et d’interventionnisme plutôt que de protection des droits et libertés.

Ainsi, quand on passe en revue la liste des près de 200 initiatives populaires fédérales qui furent soumises à l’approbation des Suisses depuis 1891, on constate que deux tiers des propositions visaient à augmenter l’intervention de l’État ou à réduire la liberté (« droit au travail », impôt sur la fortune, « mesures contre la spéculation », protection des locataires, temps de travail, lutte contre l’alcoolisme, contre le tabagisme, lutte « contre l’emprise étrangère », expulsion d’étrangers, construction de logements sociaux, système de pension publique, limitation du secret bancaire, politique de transports publics, limitation de la vitesse, diminution du trafic routier, contrôle des prix, santé publique, etc.) Chose qui ne doit pas étonner outre mesure quand on sait que le champion toutes catégories des promoteurs d’initiatives populaires est le Parti socialiste suisse, qui devance de très loin tous les autres partis ou groupes d’intérêt ou ad hoc constitués à cet effet.

Et même si, au final, l’écrasante majorité de ces propositions fut rejetée par la population suisse, il n’en demeure pas moins vrai que sur les 20 initiatives populaires qui furent approuvées, douze se sont bien traduites par un accroissement du poids de l’État, et une diminution des droits et libertés suisses (prohibition de l’absinthe, interdiction des maisons de jeu, contrôle des prix, protection de l’environnement, interdiction des OGM, restriction dans la construction immobilière, limitation des « rémunérations abusives », violations de la liberté de culte et atteintes aux pratiques religieuses inspirées par l’antisémitisme et l’islamophobie, etc.)

Bref, si la Suisse est un pays bien plus libre que la moyenne, c’est plutôt malgré la démocratie directe que grâce à elle. Et l’explication de ce degré de liberté doit être recherché ailleurs, à commencer par son système de strict fédéralisme et de décentralisation extrêmement avancé.

Non, la démocratie directe n’est pas la panacée, même pas une amélioration, juste un dangereux pis-aller.

Non seulement elle n’apporte aucune solution plus satisfaisante que la classique démocratie représentative, mais elle peut se révéler plus redoutable encore.

Car fondée sur le même vice : la règle majoritaire.

Comme prévenait Ludwig von Mises :

« La résurgence moderne de l’idée de collectivisme, cause principale de tous les tourments et désastres de notre temps, a eu un succès si complet qu’elle a relégué dans l’oubli les idées essentielles de la philosophie sociale libérale. Aujourd’hui, même parmi les partisans des institutions démocratiques, nombreux sont ceux qui ignorent ces idées. Les arguments qu’ils invoquent pour justifier la liberté et la démocratie sont teintés d’erreurs collectivistes ; leurs doctrines sont plutôt une distorsion du libéralisme véritable qu’une adhésion. À leurs yeux les majorités ont toujours raison simplement parce qu’elles ont le pouvoir d’écraser toute opposition ; la règle majoritaire est le pouvoir dictatorial du parti le plus nombreux, et la majorité au pouvoir n’est pas tenue de se modérer elle-même dans l’exercice de sa puissance ni dans la conduite des affaires publiques. Dès qu’une faction est parvenue à s’assurer l’appui de la majorité des citoyens et ainsi la disposition de la machine gouvernementale, elle est libre de refuser à la minorité ces mêmes droits démocratiques à l’aide desquels elle-même a précédemment mené sa lutte pour accéder à la suprématie. »

 

La tyrannie de la majorité

Une analyse déjà faite il y a bien longtemps par les Pères Fondateurs américains qui s’opposaient autant à la monarchie qu’à la démocratie directe.

Comme John Adams :

« L’idée que le peuple est le meilleur gardien de sa liberté n’est pas vraie. Il est le pire envisageable, il n’est pas un gardien du tout. »

Ou James Madison :

« Une pure démocratie ne peut céder à aucune revendication de l’opposition. Lorsqu’une orientation ou un intérêt commun est ressenti par la majorité, il n’y a plus qu’à sacrifier la partie la plus faible. De là vient que les démocraties ont toujours été jugées incompatibles avec la sécurité des personnes ou avec le droit de propriété… »

De bien noires prédictions qui se sont révélées globalement exactes au regard de l’expérience historique.

Cependant, même si la démocratie directe n’est pas le remède souhaitable, le diagnostic n’en reste pas moins correct et la maladie, bien réelle : érosion grandissante des libertés, étouffement sous le poids de l’État ventripotent, hommes politiques déconnectés de la population, corruption généralisée du système, désaffection des gens de la chose publique, etc.

Mais si l’on veut résoudre ce problème du point de vue libéral, il faut bien se souvenir de ce qu’est le libéralisme : ce n’est pas un système de production de lois ou de normes de comportement ; non, il vise à la protection des droits naturels des individus. Et, comme Albert Camus, il faut se rappeler que la démocratie libérale, ce n’est pas la loi de la majorité, mais la protection de la minorité. Or, la démocratie directe n’offre aucune garantie à ce sujet.

Quelles solutions, donc ? Pour protéger les droits naturels des individus et pour limiter la taille et l’action de l’État, on peut évoquer rapidement plusieurs pistes, qui demanderaient, bien sûr, de plus longs développements.

Tout d’abord, ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain, et conservons une modalité de la démocratie directe, la négative.

C’est-à-dire non pas celle qui permet aux électeurs de participer à la confection et/ou l’approbation de normes d’application obligatoire à l’ensemble de la population puisque cette voie conduit à plus d’étatisme et moins de liberté, mais celle qui leur permet de rejeter une législation ; historiquement, c’est d’ailleurs la première forme de la démocratie directe suisse, apparue dans le canton de Saint-Gall en 1831, et qui consistait seulement en une possibilité offerte à la population de rejeter une loi votée par le Parlement. On conserverait ainsi de la démocratie directe uniquement le veto de la population et la destitution de mandataires politiques (comme, par exemple, le recall aux États-Unis).

Ensuite, pour protéger plus efficacement les droits de la minorité et limiter l’invasion de l’État, on pourrait concevoir que si une loi, pour être adoptée par le Parlement, pourrait se contenter d’être approuvée par une majorité simple, ou même relative selon les cas, cette même loi pourrait être abrogée si une minorité significative (un tiers, par exemple) des parlementaires ou même de la population la rejetait. De fait, une norme repoussée par une minorité importante de la population ne peut être ni bonne ni légitime.

On pourrait également prendre le problème sous un autre angle, sans rapport aucun avec le vote démocratique.

Ainsi, afin d’éviter les collusions incestueuses des représentants du peuple avec l’État, les lobbys, etc. et pour favoriser leur zèle à contrôler de manière critique le gouvernement, on pourrait supprimer la rémunération publique des mandataires politiques (comme c’était inscrit dans la très libérale constitution belge de 1831).

Sans attache pécuniaire liant les représentants du peuple à l’État, on peut espérer de leur part un travail de contrôle plus rigoureux de l’action gouvernementale et une écoute plus attentive de leurs électeurs à qui ils devront leur salaire (via les cotisations des membres des partis politiques, de syndicats, de dons, etc.). Parallèlement, on peut miser sur une véritable décentralisation avancée et une réelle subsidiarité établie au niveau local le plus bas possible, afin de placer le centre de décision du pouvoir au plus près de la population et de ses préoccupations. Et si l’on opte pour la voie judiciaire, on pourrait instaurer une exception de contrôle de constitutionnalité des lois que pourrait soulever n’importe quel tribunal.

D’autres voies sont certainement possibles qui pourraient être envisagées dès lors qu’elles visent bien à la protection des droits et des libertés des individus et non pas à donner la possibilité à une partie de la population d’imposer ses vues à la minorité.

 

En conclusion

Comme le rappelait Raymond Boudon, il n’y a pas lieu de chercher à substituer à la démocratie représentative une forme de démocratie supposée supérieure que serait la démocratie directe.

Il suffit de voir comment votent généralement la Suisse francophone ou la Californie pour comprendre que la démocratie directe en France se traduirait par un recul significatif de la liberté (un avant-goût :  « 77 % des Français veulent une loi interdisant les retraites chapeau »).

Par contre, il faut bien toujours chercher à améliorer la démocratie représentative et à lutter contre la tyrannie des groupes d’influence et la confiscation du pouvoir. Et ce travail consistera à appliquer de manière rigoureuse les principes fondamentaux du libéralisme politique, à commencer par le principe de la séparation des pouvoirs. Et non pas donner libre cours aux gens pour s’immiscer dans la vie de leurs voisins, même au travers d’un vote démocratique.


Article publié initialement le 2 décembre 2013.

Lire l’article de Hadrien Gournay : La démocratie représentative aujourd’hui

Lire l’article de Jacques Garello : Les bienfaits de la démocratie directe

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