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Croissance vs Emploi : les élites marocaines au cœur d’une énigme économique

Le Maroc est un pays dynamique, son économie est diversifiée, son système politique présente une certaine stabilité dans une région en proie à des crises à répétition. Ce pays a fait montre d’une résilience étonnante face aux chocs exogènes. La gestion remarquée de la pandémie de covid et la bonne prise en main du séisme survenu dans les environs de Marrakech sont les exemples les plus éclatants.

 

Pays dynamique

Sa diplomatie n’est pas en reste. La question du Sahara occidental, « la mère des batailles », continue à engranger des succès. Le ralliement d’un certain nombre de pays qui comptent dans l’échiquier politique international à la position marocaine en est la preuve. L’organisation de la prochaine Coupe d’Afrique des Nations en 2025, comme en 2030, celle de la Coupe du monde de football, avec l’Espagne et le Portugal, constituent à n’en pas douter des victoires à mettre au profit de ce dynamisme. Sans oublier la prouesse de l’équipe nationale marocaine à la faveur de la dernière Coupe du monde de football organisée au Qatar.

La diversification de l’économie est un puissant facteur de résilience face aux crises à répétition. L’agriculture se modernise, l’industrie s’affirme avec un secteur automobile dont l’intégration locale dépasse les 60 %, et l’aéronautique prend son envol avec un taux d’intégration de près de 40 %. Le tourisme, moteur essentiel de la croissance, attire un flot continu de visiteurs malgré les secousses mondiales. Les atouts du pays, entre patrimoine culturel riche, paysages diversifiés du désert à la montagne, des plages aux plateaux, et une infrastructure de pointe (ports, aéroport, train à grande vitesse, autoroutes), demeurent indéniables.

Par ailleurs, le pays s’est toujours distingué par une ouverture très prononcée de son économie, particulièrement vers les pays occidentaux, comme en témoignent les nombreux accords d’association signés avec certains pays (Union européenne, États-Unis etc.). Les relations avec la France sont fortes et diversifiées. Le Maroc est le premier partenaire commercial de la France en Afrique, et le second dans la région MENA (Afrique du Nord et Moyen-Orient). 

Depuis peu, cette ouverture s’est poursuivie vers d’autres contrées, surtout africaines. Les investissements marocains dans certains de ces pays (Sénégal, Côte d’Ivoire par exemple) connaissent une évolution ascendante. Pour accompagner ces orientations, les banques marocaines n’ont pas hésité à s’installer dans ces pays, et la compagnie aérienne marocaine (Royal Air Maroc) a tissé un réseau solide, connectant Casablanca, la capitale économique du royaume, à plusieurs villes africaines.  

Les investissements directs étrangers connaissent certes un fléchissement ces dernières années, mais la dynamique d’ensemble demeure, somme toute, positive. Il est à signaler que la France reste l’un des principaux investisseurs étrangers (premier en termes de stock) au royaume du Maroc, dans l’industrie (avec la réussite éclatante du projet structurant de Renault), mais aussi dans l’immobilier, les services et le commerce. 

L’inflation a battu des records en 2022 comme dans la plupart des pays, suite au conflit russo-ukrainien, mais elle a commencé à se stabiliser en 2023. Le déficit budgétaire diminue d’année en année et commence à se consolider (4 % prévu en 2024), et ce malgré les différents chocs internes (sécheresse à répétition, séisme) et externes (covid, guerre). La dette publique demeure soutenable (70 % du PIB), avec une maturité confortable (six ans en moyenne). La diaspora marocaine continue de déverser un flux ininterrompu d’argent pour aider sa famille et participer au développement du pays. Les remises de fonds ont dépassé dix milliards de dollars en 2023, ce qui constitue un record ! La croissance se situe dans la tranche supérieure des pays MENA (pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord), même si le pays ne converge pas vers son sentier de croissance potentielle déterminé par la croissance de la population et celle de la productivité du travail.

 

Un trou dans la raquette

Tout baigne alors. Hé bien non ! Il y a un trou dans la raquette. La croissance marocaine ne crée pas assez d’emplois et même, fait étonnant, elle en détruit !

Malgré tous les atouts précédemment cités, le volume de l’emploi a baissé de 297 000 postes entre le troisième trimestre de 2022 et le troisième trimestre de 2023. Ces données sont aussi inquiétantes qu’inédites. Les conséquences sont immédiates sur le taux de chômage qui demeure préoccupant et le taux d’activité dramatiquement faible. Si le taux de chômage officiel est de 13,5 %, celui des jeunes (15 à 24 ans) enregistre un taux record de 38,2 %, et les diplômés de presque 20 %. Cela signifie que le Maroc ne parvient pas à intégrer sa jeunesse dans le marché du travail malgré une main-d’œuvre riche, entravant ainsi la croissance.

Le Maroc, ayant déjà achevé sa transition démographique, s’apprête à affronter les défis du vieillissement de sa population. L’allongement de l’espérance de vie et la diminution de la fécondité mettent en péril son système de retraite par répartition. Des problèmes de riches dans un pays pauvre. Par ailleurs, les chiffres du chômage contredisent la théorie économique selon laquelle le capital humain protège contre le chômage. Au Maroc, être diplômé accroît la probabilité de chômage, risquant d’encourager le décrochage scolaire, surtout chez les familles défavorisées.

Les inégalités liées au genre aggravent la situation. Celles-ci se reflètent dans les écarts dans le volume de travail annuel et les rémunérations. Une proportion significative de femmes est souvent moins en emploi ou à temps partiel, accentuant ainsi l’inégalité salariale. Cette dernière découle de la distribution inégale des professions entre les sexes, où les emplois féminins diffèrent généralement de ceux occupés par les hommes, tant au niveau des secteurs d’activité que des échelons de rémunération. Cette situation n’est évidemment pas l’apanage exclusif du Maroc.

Si l’on s’en tient au taux de chômage, il avoisine les 20 % pour les femmes contre 13,5 % au niveau national. De plus, le taux d’activité féminine est parmi les plus bas au monde (18,4 % contre 68,7 % pour les hommes), en dépit des preuves empiriques soulignant la productivité accrue des femmes. Quand ces dernières gèrent le foyer, les résultats, en termes de scolarité des enfants ou de la gestion des deniers du ménage, sont largement supérieurs à ceux obtenus par les hommes. De même, les entreprises gérées par les femmes s’en sortent mieux que celles gérées par les hommes. 

Avec une croissance de 3 % en 2023, l’économie marocaine détruit près de 300 000 emplois. Alors qu’auparavant, 1 % de croissance générait 50 000 emplois, aujourd’hui, 1 % de croissance en détruit 100 000. Dès lors, ne faut-il pas se concentrer sur la création d’emplois au lieu de se focaliser sur ce mantra de la croissance économique ? 

 

Mauvaise allocation des ressources 

La création de richesse nécessite capital et travail. Le Maroc possède une main-d’œuvre jeune, bien formée, et pour ne rien gâcher, bon marché. Avec un taux d’investissement impressionnant, l’un des plus élevés au monde (34 %), les ingrédients de la croissance sont a priori réunis. Seulement, on oublie le troisième élément qui a son importance, à savoir la façon de les combiner, une alchimie délicate de valorisation et d’ajustement des facteurs de production. C’est là où le bât blesse. 

D’abord, bien qu’élevé, le taux d’investissement ne reflète pas pleinement l’effort du pays à transformer l’épargne en investissement productif, dépendant de la qualité de cet investissement.

Ensuite, les investisseurs privés ne prenant pas de risque, l’essentiel de l’investissement national est du ressort de l’État, créant ainsi une disjonction entre investissement public et privé. Enfin, quand les investissements directs étrangers augmentent, les investissements privés les suivent (par la création de joint-ventures par exemple). Ces derniers font supporter le risque aux investisseurs étrangers. Une complémentarité s’installe dès lors entre investissement étranger et investissement marocain.

La stratégie marocaine mise sur l’attraction des investissements directs étrangers, en créant un écosystème industriel concentré sur un nombre restreint d’entreprises, négligeant ainsi les PME-PMI, représentant pourtant 90 % des entreprises et la majorité des emplois. Malgré les incitations gouvernementales, telles que des baisses d’impôts sur les sociétés et sur les dividendes, les résultats escomptés tardent à se manifester, créant un paradoxe au cœur de cette stratégie pro-business.

En outre, l’omniprésence et l’omnipotence du secteur informel, absorbant 60 % des emplois, maintiennent les jeunes, en particulier ceux de 18 à 25 ans, issus de zones rurales ou de quartiers défavorisés des grandes villes, dans une fragilité grandissante et une précarité sans nom. Cette mauvaise allocation des ressources n’est en aucun cas le fruit du hasard, loin s’en faut. 

 

Les racines du mal

Ce constat révèle le manque de confiance d’un acteur clé dans le processus de croissance, à savoir le secteur privé. Connaissant les rouages de la création de richesse, il opte pour des investissements dans des niches peu risquées et peu propices à la création d’emplois, reproduisant ainsi le comportement d’une économie rentière.

Attaquer les racines du mal implique de lever les multiples contraintes qui entravent le secteur privé, tel que préconisé par les instances internationales. Ces obstacles comprennent les barrières à l’entrée, les difficultés d’accès aux terrains industriels, les lourdeurs bureaucratiques, un système judiciaire trop complexe, des procédures de marchés publics trop lentes, et un capital social limité. Derrière cette terminologie, se cache le cœur même de toute forme de croissance, la substantifique moelle de tout processus de développement : le système de la prise de décision.

Pour réussir à croître de manière significative et à créer des emplois durables, il est essentiel d’avoir des institutions inclusives, partageant équitablement les opportunités entre les citoyens. Le pouvoir de décision ne devrait pas être l’apanage d’une élite politico-économique cherchant à améliorer son propre bien-être, mais plutôt partagé par le plus grand nombre. Cette distribution équilibrée du pouvoir facilite l’accès à une éducation de qualité pour tous, tout en réduisant les tensions au sein de la société.

L’histoire démontre que les groupes d’intérêt s’opposent généralement à un tel partage. La tâche de construire des institutions inclusives revient aux citoyens eux-mêmes. Un défi colossal, mais un programme nécessaire pour une véritable révolution économique.

Le vote de confiance : clé de voûte d’un système démocratique efficace et apaisé

Le fait pour un gouvernement de solliciter et d’obtenir la confiance de l’Assemblée contribue à la prévisibilité, la stabilité et la sincérité de l’action publique, et cela devrait être reconnu comme indispensable.

Le 30 janvier dernier, Gabriel Attal a prononcé son discours de politique générale, sans solliciter la confiance de l’Assemblée, avant qu’une motion de censure soit soumise, puis rejetée le 5 février. Le gouvernement Attal, comme le gouvernement Borne avant lui, a donc le droit d’exister, mais sans soutien de la chambre.

Pour beaucoup, c’est un non-sujet. Car le gouvernement, dit-on, tire surtout sa légitimité du président qui le nomme et « gouverne tant qu’il n’est pas renversé », comme le déclarait Pompidou en 1966, en inaugurant en tant que Premier ministre ce premier refus de se soumettre au vote de confiance de l’Assemblée, pourtant assez clairement prévu à l’article 49.1 de la Constitution (Le Premier ministre, après délibération du conseil des ministres, engage devant l’Assemblée nationale la responsabilité du Gouvernement sur son programme).

L’absence de soutien affirmé de l’Assemblée, suivie de l’échec de la censure ne sont cependant pas sans conséquences. Cela place ce gouvernement dans une inconfortable zone grise, quelque part entre une confiance inatteignable et une défiance improbable, ni complètement apte ni totalement inapte à appliquer sa politique, et jouissant d’une légitimité démocratique à la fois avérée et sujette à débat. Ce gouvernement d’entre-deux a tout de même un signe distinctif : il s’articule très mal avec l’Assemblée et mérite à ce titre le qualificatif d’incongruent.

Depuis 18 mois, l’exécutif s’emploie à masquer ou dédramatiser cette situation d’incongruence, par ses actions comme dans sa rhétorique. Les gouvernements n’ont jamais été aussi minoritaires (une quarantaine de sièges manque pour atteindre la majorité absolue, contre 14 sous Rocard) mais on n’a jamais autant parlé de majorité, tantôt présidentielle, tantôt relative.

« Les majorités texte par texte, ça marche » renchérit souvent Yaël Braun-Pivet lors de ses interviews, pour signifier que la procédure législative reste efficace, ce qui est indéniable. Et puis, comme chacun le sait maintenant, la Cinquième République dote l’exécutif d’un véritable arsenal (le 49.3 entre autres) pour légiférer contre ou sans le Parlement. Et si la loi est trop incertaine, qu’à cela ne tienne, on peut faire sans.

« On passe trop par la loi dans notre République » assénait Emmanuel Macron le 22 mars 2023. Le gouvernement conserve en effet la plénitude du pouvoir réglementaire, et a donc toute sa capacité d’administration de l’État.

 

Mais alors pourquoi est-il si important qu’un gouvernement se dote de la confiance de l’Assemblée ?

Parce qu’un État ne doit pas simplement être administré, mais également gouverné, et que la confiance de l’Assemblée apporte la garantie que le gouvernement a les moyens de sa politique.

Si la très grande majorité des Constitutions de nos voisins en Europe (y compris la Russie) obligent les nouveaux gouvernements à disposer de la confiance explicite de la chambre, c’est simplement pour que le peuple soit dirigé avec la stabilité, l’efficacité et la prévisibilité qu’il est légitimement en droit d’attendre. Il s’agit de s’assurer que les pouvoirs exécutif et législatif sont suffisamment bien articulés pour offrir un cap fiable et raisonnablement performatif aux citoyens, aux administrations, aux entreprises, à nos partenaires commerciaux, à l’Europe, ou même aux agences de notation. Un vote de confiance réussi vient légèrement atténuer le fort degré d’incertitude dans lequel tous les pays sont naturellement plongés.

En revanche, l’absence de confiance alourdit cette incertitude, elle limite la capacité de l’exécutif à tenir un cap clair et durable, et rend la politique du pays imprévisible et vulnérable aux caprices de quelques demi-opposants (on pense notamment aux députés LR).

La Loi immigration offre un exemple frappant : personne ne pouvait prévoir l’orientation finale du texte jusqu’au jour de son adoption. Depuis 2022, la production législative est si aléatoire que même le rôle des ministres a été progressivement modifié : on leur demande de cautionner collectivement des projets de lois dont les contours évoluent de manière inattendue au fil de la discussion parlementaire, exigeant d’eux une grande plasticité d’esprit…

Autoriser un gouvernement à se maintenir sans soutien majoritaire de l’Assemblée comporte un autre inconvénient, peut-être encore plus préoccupant : le débat parlementaire se transforme en marchandage (on pense par exemple à cette mystérieuse promesse d’Elisabeth Borne de réformer l’AME en échange du soutien de LR sur la Loi immigration) et tous les stratagèmes et outils du parlementarisme rationalisé sont utilisés à plein pour faire adopter le programme et les budgets.

Le cynisme devient l’unique méthode d’un exécutif acculé, qui en est réduit à outrepasser tout ce qui peut l’être, se jouer de la Constitution, contourner ou ignorer les corps intermédiaires, voire se montrer insincère, pourvu que les titubations parlementaires emmènent le pays dans la direction qu’il souhaite. Cette posture exalte ses soutiens autant qu’elle indigne ses opposants, et ainsi aggrave la défiance envers les institutions et les élus tout en attisant la polarisation de la société.

En demandant au Premier ministre de présenter une feuille de route gouvernementale tout en assumant d’être minoritaire, le président de la République préfère la discorde à l’apaisement, et la pureté de son projet à sa réalisation concrète, ce qui est typique des idéalistes radicaux, et non des pragmatiques.

Aucune coalition (vraiment) majoritaire, aucun changement de calendrier électoral, aucun rééquilibrage institutionnel n’étant prévus, cette nouvelle forme de régime est bien partie pour durer. Les prochains présidents élus en 2027 ou 2032 sont donc probablement condamnés d’avance à promettre l’hégémonie habituelle lors de la campagne, puis à gouverner immédiatement en situation d’incongruence, avec peut-être un soutien parlementaire encore bien moindre qu’aujourd’hui. La partition politique et la polarisation territoriale morcellent en effet cruellement l’Assemblée et semblent interdire tout fait majoritaire à moyen terme.

Nos constituants ont fabriqué un système qui démontre chaque jour depuis 2022 son insuffisance en l’absence d’une dynamique majoritaire, et l’ont combiné à un mode de scrutin qui perd sa capacité à produire cette dynamique. La tentation, irrésistible et assez naturelle, est de contrebalancer l’instabilité parlementaire en renforçant encore davantage le pouvoir exécutif. Il devient donc urgent de réagir et de repenser nos équilibres institutionnels et nos modes de scrutin pour que la France retrouve une action publique efficace, pacifiée, et place un point d’arrêt sur la pente autocratique. La clarification de l’article 49.1 de la Constitution, en vue de rendre la confiance explicitement obligatoire, devrait être au cœur d’une prochaine révision constitutionnelle.

Souveraineté énergétique française : autopsie d’un suicide

Entre désamour de son parc nucléaire, illusions renouvelables, pressions allemandes et injonctions de l’Europe, la France, dont le puissant parc de production d’électricité était décarboné avant l’heure, a lentement sapé la pérennité du principal atout qu’il représentait. Après des fermetures inconsidérées de moyens pilotables, l’apparition du phénomène de corrosion sous contrainte qui a affecté les réacteurs d’EDF dès 2021 a cruellement révélé l’absence de renouvellement du parc depuis que l’ASN en avait exprimé la nécessité, en 2007. En entraînant une flambée inédite du marché du MWh, une dépendance historique des importations, la détresse des ménages et le marasme de l’industrie, l’année 2022 a imposé un électrochoc.

Un retour en arrière est nécessaire pour appréhender les tenants et les aboutissants du projet de loi sur la souveraineté énergétique présenté à la presse le 8 janvier 2024.

 

Souveraineté énergétique et contraintes européennes

La souveraineté d’un État dépend intimement de son accès à l’énergie. À ce titre, les traités de fonctionnement de l’Union européenne garantissent « le droit d’un État membre de déterminer les conditions d’exploitation de ses ressources énergétiques, son choix entre différentes sources d’énergie et la structure générale de son approvisionnement énergétique », ainsi que le rappelle l’article 194 du traité de Lisbonne.

Pour autant, le Parlement européen et le Conseil ont introduit dans son article 192 des « mesures affectant sensiblement le choix d’un État membre entre différentes sources d’énergie et la structure générale de son approvisionnement énergétique », en vue de réaliser les objectifs environnementaux énoncés dans l’article 191, qui visent à protéger la santé des personnes et améliorer la qualité de l’environnement.

C’est dans ce cadre que la politique de l’Union dans le domaine de l’énergie vise, dans ce même article 194, « à promouvoir l’efficacité énergétique et les économies d’énergie ainsi que le développement des énergies nouvelles et renouvelables »

 

Le principe de subsidiarité

Le principe de subsidiarité consiste à réserver à l’échelon supérieur – en l’occurrence, l’Union européenne – ce que l’échelon inférieur – les États membres de l’Union – ne pourrait effectuer que de manière moins efficace. C’est au nom de ce principe que l’Union européenne a fixé aux États membres des objectifs contraignants de parts d’énergies renouvelables dans leur consommation, c’est-à-dire des objectifs en termes de moyens, supposés permettre collectivement aux États membres une plus grande efficacité dans la décarbonation de l’économie européenne et la réduction de ses émissions de polluants.

L’exemple allemand montre les difficultés et les limites de ce principe, appliqué aux émissions de CO2, surtout lorsqu’il concerne la France dont l’électricité est déjà largement décarbonée depuis un quart de siècle.

 

2012-2022 : autopsie d’un suicide

La France est historiquement le plus gros exportateur d’électricité. Depuis 1990 elle a été numéro 1 MONDIAL chaque année jusqu’en 2008, et reste parmi les trois premiers depuis. Le confort de cette situation, renforcé par des aspirations d’économie d’énergie et d’efficacité énergétique, a nourri des velléités visant à remplacer des moyens pilotables par les énergies intermittentes que sont l’éolien et le solaire, contrairement à la prudence élémentaire de notre voisin allemand.

Les chiffres de puissance installée diffèrent, selon les sources, en fonction des critères retenus. Parfois même selon la même source en fonction des années, notamment RTE qui agrège différemment les unités de production supérieures à 1MW avant et après 2018 sur son site.

C’est pourquoi la rigueur exige de retenir la même source pour comparer l’évolution des capacités installées en France et en Allemagne selon les mêmes critères, en l’occurrence ceux de l’Entsoe, chargé de gérer le réseau européen. Ces chiffres Entsoe 2012 font état de 128680 MW installés en France (Net generating capacity as of 31 december 2012) dont 7449 MW éoliens et 3515 MW solaires et 145 019 MW installés en Allemagne, dont 28 254 MW éoliens et 22 306 MW solaires. Les chiffres du même Entsoe pour 2022 mentionnent 141 029 MW installés en France, dont 19 535 MW éoliens et 13 153 MW solaires, ainsi que  223 118 MW installés en Allemagne dont 63 076 MW éoliens et  57 744 MW solaires.

C’est ainsi qu’entre 2012 et 2022, l’Allemagne augmentait de 7839 MW son parc pilotable, parallèlement à une augmentation de 70 260MW d’énergies intermittentes, quand la France se permettait de supprimer 9376 MW pilotables parallèlement à une augmentation de 21 725 MW d’intermittence, tout en échafaudant officiellement des scénarios « 100 % renouvelables » qui réclamaient une accélération de l’éolien et du photovoltaïque pour faire miroiter une sortie du nucléaire.

 

La prudence allemande

Dans leur rapport de 2020 sur la période 2018-2022, les quatre gestionnaires de réseaux allemands constatent en effet que 1 % du temps, l’éolien ne produit que 1 % de sa puissance installée et constatent l’éventualité d’« une indisponibilité de 99 % pour la réinjection de l’éolien », en considérant diverses études qui montrent que l’apparition d’une période froide et sans vent (Dunkelflaute) n’est pas improbable et doit être prise en compte.

C’est notamment la raison pour laquelle l’agence des réseaux allemands (Bundesnetzagentur) vient d’interdire en décembre dernier toute fermeture de centrale à charbon jusqu’à avril 2031.

Il serait trompeur d’occulter la présence de ces centrales, comme le font certains bilans, au prétexte qu’elles ne vendraient pas sur le marché alors qu’elles sont rémunérées pour rester en réserve du réseau, prêtes à produire à la moindre sollicitation.

 

L’optimisme français

Malgré ce contexte, la loi du 17 aout 2015 avait prévu « De réduire la part du nucléaire dans la production d’électricité à 50 % à l’horizon 2025 », et interdisait, par l’article L315-5-5 du Code de l’énergie, « toute autorisation ayant pour effet de porter la capacité totale autorisée de production d’électricité d’origine nucléaire au-delà de 63,2 gigawatts », soit sa puissance de l’époque.

La date ubuesque de 2025 avait été repoussée à 2035 dans la PPE de 2018, qui actait néanmoins la fermeture de six réacteurs, dont ceux de Fessenheim, d’ici 2028, et 14 réacteurs d’ici 2035.

 

Les illusions perdues

L’année 2022 a précipité la crise, inéluctablement en germe dans ces lois, en raison du phénomène de « corrosion sous contrainte », découvert en août 2021, qui a affecté le parc nucléaire. Ce phénomène est rare dans le circuit primaire, et ne peut se détecter qu’une fois les fissures apparues. Ce qui a demandé de nombreuses découpes de tronçons de tuyauteries pour réaliser des examens destructifs, entraînant l’indisponibilité d’un grand nombre de réacteurs, tandis que d’autres étaient déjà arrêtés pour une longue période de « grand carénage » destinée à en prolonger l’exploitation au delà de 40 ans.

On ne peut mieux illustrer l’avertissement de l’ASN qui écrivait en 2007 :

« Il importe donc que le renouvellement des moyens de production électrique, quel que soit le mode de production, soit convenablement préparé afin d’éviter l’apparition d’une situation où les impératifs de sûreté nucléaire et d’approvisionnement énergétique seraient en concurrence. »

En effet, TOUS les moyens de production font l’objet de maintenances programmées, même en plein hiver ainsi que d’incidents fortuits.

RTE en tient la comptabilité et mentionne notamment 58 indisponibilités planifiées dans la seule production hydraulique au fil de l’eau et éclusée affectant le mois de janvier 2024. L’éolien en mer n’est pas épargné, avec une indisponibilité planifiée de 228 MW du parc de Guérande entre le 21 décembre 2023 et le 13 janvier 2024.

Mais la France aura préféré réduire la puissance de son parc pilotable sans qu’aucun nouveau réacteur n’ait été mis en service depuis l’avertissement de 2007. Ceux de Fessenheim ayant même été fermés alors que leurs performances en matière de sûreté nucléaire « se distinguaient de manière favorable par rapport à la moyenne du parc » selon les termes de l’ASN.

 

2022 : l’électrochoc

Pour la première fois, en 2022, la France aura dépendu de ses voisins pour se fournir en électricité, comptabilisant son premier solde importateur net sur l’année et entraînant de fait la défiance des marchés européens sur ses capacités de production, exposant particulièrement le pays à la flambée des cours.

La Commission de régulation de l’énergie (CRE) en confirme les termes :

« Bien que les incertitudes aient été généralisées en Europe, le prix français a réagi plus fortement que ses voisins européens, du fait des indisponibilités affectant le parc nucléaire. […] Le marché pourrait ainsi avoir anticipé des prix extrêmement élevés sur certaines heures, supérieurs au coût marginal de la dernière unité appelée (fixation du prix par les effacements explicites ou l’élasticité de la demande, voire atteinte du plafond à 3000 euros/MWh sur l’enchère journalière). Ce record de 3000 euros/MWh aura effectivement été atteint en France le 4 avril 2022, relevant automatiquement le plafond à 4000 euros/MWh pour l’ensemble des pays européens. »

 

Quand la pénurie d’électricité se répercute sur l’activité économique

La puissance historique du parc électrique français, sa structure nucléaire et hydraulique et le recours à la possible flexibilité de nombreux usages, tels que le chauffage des logements et de l’eau sanitaire, prédisposaient le pays à surmonter, mieux que tout autre, la crise du gaz liée à l’invasion de l’Ukraine. Au lieu de quoi, la pénurie d’électricité et l’envolée de son cours ont frappé de plein fouet les ménages et, plus encore, l’activité économique, ainsi que l’expose RTE dans le bilan 2022.

« La baisse de consommation a d’abord été observée dans l’industrie, plus exposée aux variations des prix en l’absence de protection tarifaire. Les secteurs industriels les plus intensifs en énergie, tels que la chimie, la métallurgie et la sidérurgie, ont été les plus touchés (respectivement -12 %, -10 % et -8 % sur l’année et -19 %, -20 % et -20 % entre septembre et décembre ».

 

Le discours de Belfort : une prise de conscience ?

Le discours de Belfort du 10 février 2022 a marqué la prise de conscience de la nécessité de pouvoir piloter la production d’électricité sans dépendre des caprices de la météo et du bon vouloir des pays voisins.

Ce revirement officiel s’est rapidement traduit par loi LOI n° 2023-491 du 22 juin 2023 relative à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires.

Celle-ci abroge l’article L. 311-5-5 du Code de l’énergie qui interdisait le dépassement du plafond de 63,2 GW, et impose, dans son article 1er, une révision, dans un délai d’un an, de la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) adoptée par le décret n° 2020-456 du 21 avril 2020, afin de prendre en compte la réorientation de la politique énergétique de la présente loi. Notamment pour y retirer la trajectoire de fermeture des 14 réacteurs existants.

 

Vers un retour de la souveraineté énergétique ?

Ce n’est que dans ce contexte qu’on peut appréhender la logique du projet de loi relatif à la souveraineté énergétique dévoilé ce 8 janvier.

Concernant les émissions de CO2, son article 1 remplace prudemment trois occurrences du mot réduire dans les objectifs de l’article 100-4 du Code de l’énergie par « tendre vers une réduction de ». Si l’ambition des objectifs à atteindre est renforcée, pour respecter les nouveaux textes européens, et notamment le « paquet législatif fit for 55 »,  cette précaution sémantique tend à protéger l’exécutif de la jurisprudence climatique ouverte en 2012 par la fondation Urgenda. En effet, selon un rapport de l’ONU de janvier 2021, pas moins de 1550 recours de ce type ont été déposés dans le monde en 2020. Et l’État français avait lui-même été condamné à compenser les 62 millions de tonnes « d’équivalent dioxyde de carbone » (Mt CO2eq) excédant le plafond d’émissions de gaz à effet de serre fixé par son premier budget carbone pour la période 2015-2018.

Notons que le 30 novembre 2023, l’Allemagne a été condamnée par la Cour administrative de Berlin-Brandebourg pour n’avoir pas respecté ses propres objectifs climatiques… après que, le 29 avril 2021, la Cour constitutionnelle fédérale a retoqué ses précédents objectifs en raison de leurs exigences insuffisantes.

Sans mettre l’État français à l’abri du juge administratif, les précautions du projet de loi semblent tenir compte de ces dux expériences.

Ce même article 1 stipule :

Les 4e à 11e du I et le I bis (de l’article 100-4 du Code de l’énergie) sont supprimés. C’est-à-dire les objectifs chiffrés de part d’énergies renouvelables, notamment 33 % de la consommation à horizon 2030, dont 40 % de celle d’électricité (4e) l’encouragement de l’éolien en mer (4e ter) de la production d’électricité issue d’installations agrivoltaïques (4e quater) et l’objectif de parvenir à 100 % d’énergies renouvelables dans les collectivités régies par l’article 73 de la Constitution.

Ces suppressions ne sont remplacées par aucun objectif chiffré en termes d’énergies renouvelables pour la production d’électricité.

 

La France et les directives de l’UE

Les États membres sont tenus de transcrire en droit national les Directives européennes.

Pour autant, le plan d’accélération des énergies renouvelables, voté par le Parlement européen, en septembre 2023, portant à 42,5 % l’objectif européen en 2030, tout comme le précédent cadre d’action en matière de climat et d’énergie à horizon 2030, qui se contentait de 27 % ne présentaient de caractère contraignant qu’au niveau européen et non pour chaque État, contrairement aux objectifs pour 2020 pour lesquels un contentieux subsiste, pour n’avoir atteint que 19,1 % de part renouvelable de la consommation au lieu des 23 % prévus dans la DIRECTIVE 2009/28/CE. C’est-à-dire globalement la même part que l’Allemagne (19,3 %), qui, elle, ne s’était engagée qu’à une part de 18 %.

En 2021, la part française était d’ailleurs plus importante en France (19,3 %) qu’en Allemagne (19,2%).

Mais, selon Le Monde, la France refuserait d’acheter les garanties d’origine (ou MWh statistiques) permettant d’atteindre les 23 % qui étaient fixés pour 2020.

Tous les électrons étant mélangés sur le réseau, ces garanties d’origine (GO), gérées par EEX peuvent être délivrées pour chaque MWh renouvelable produit, et sont valables une année. Elles se négocient indépendamment des MWh qu’elles représentent, y compris à l’international, et attestent de la quantité d’EnR consommée.

En 2e, le projet de loi fixe clairement le cap :

« En matière d’électricité, la programmation énergétique conforte le choix durable du recours à l’énergie nucléaire en tant que scénario d’approvisionnement compétitif et décarboné. »

 

Le fonctionnement du parc nucléaire historique

Les revenus du parc nucléaire historique sont régulés dans le chapitre VI « Contribution des exploitants nucléaires à la stabilité des prix » qui comprend la production du futur EPR de Flamanville, en tant qu’installation dont l’autorisation initiale a « été délivrée au plus tard le 31 décembre 2025 ». L’exploitant se voyant confier la mission de réduction et stabilisation des prix de l’électricité par le reversement d’une quote-part de ses revenus annuels calculée sur deux taux lorsque leur revente dépasse deux seuils :

  1. Un seuil S0, qui correspond à l’addition du coût comptable et des coûts encourus pour la réalisation des installations.
  2. Un seuil S1 qui ne peut être inférieur à 110 euros/MWh.

 

Le taux appliqué au delà du premier est de 50 %, et le taux additionnel au-delà du second est de 40 %.

Un dispositif de « minoration universelle », limité dans le temps d’au plus une année, est prévu dans la sous-section 1 pour toute fourniture d’électricité, afin de préserver la compétitivité du parc français.

Une volonté de surveillance des marchés se traduit notamment dans l’article 7 qui prévoit « Pour l’exercice de ses missions, le ministre chargé de l’énergie ou son représentant a accès aux informations couvertes par le secret professionnel détenues par la Commission de régulation de l’énergie sur les personnes soumises à son contrôle ».

 

Épilogue

À peine mis en consultation, cet avant projet viendrait, selon différentes sources, d’être vidé de tout objectif chiffré, tant en termes climatiques que de choix des énergies par une « saisine rectificative au projet de loi », provenant du ministère de l’Économie, désormais chargé de l’énergie depuis le remaniement ministériel du 11 janvier. Répondant au tollé provoqué au sein des associations environnementales par ce retrait, Bruno Le Maire aurait déclaré qu’il en assumait la décision, au nom du temps nécessaire à l’élaboration d’une loi de cette importance.

Selon le ministère de la Transition écologique, la loi de 2019 avait créé l’obligation de publier, avant le 1er juillet 2023, une mise à jour des objectifs en matière d’énergie, par une loi de programmation sur l’énergie et le climat (LPEC). Il apparaissait déjà que ce délai ne serait pas tenu.

Le projet de loi sur la fin de vie brisera-t-il le tabou de l’euthanasie ?

Le projet de loi sur le modèle français de la fin de vie devrait être présenté au Parlement courant février 2024, peu après l’annonce d’un plan décennal sur les soins palliatifs. Prédire quel sera l’influence du récent changement de titulaires au ministère de la Santé relève de la boule de cristal. Le texte sera en effet porté par un tandem composé de Catherine Vautrin, ministre de plein exercice, notoirement opposée à l’euthanasie et Agnès Pannier-Runacher, non moins notoirement connue pour y être favorable.

On sait que le projet de loi n’est pas encore finalisé dans les détails mais les fuites sur son contenu et les événements qui l’ont préparés, comme la Convention citoyenne sur la fin de vie, et le Comité consultatif national d’éthique, ne laissent guère de doute sur son contenu.

En effet, pour la première fois en France, ce projet de loi devrait rendre possible « l’aide active à mourir », c’est-à-dire d’une part, le « suicide assisté », situation dans laquelle le médecin fournit les substances létales à une personne qui se les administre elle-même, et d’autre part « l’euthanasie », consistant en l’administration par un médecin de médicaments ou de substances à une personne en fin de vie, à la demande de celle-ci, dans le but de soulager ses souffrances en entraînant son décès.

Bien sûr, le texte encadrera cette aide à mourir de multiples garde-fous et mettra en avant le développement des soins palliatifs « pour toutes et tous et partout ». Mais le fait est là, c’est bien un tabou majeur qui serait brisé, puisqu’il deviendrait dorénavant possible de favoriser le suicide de personnes désireuses de mourir mais aussi, dans certains cas, de leur donner la mort dans le cadre des soins.

 

Consensus et prudence

Ce projet de loi, engagement de la campagne présidentielle d’Emmanuel Macron en 2022, aurait dû être déposé à l’été 2023, mais il a été repoussé à plusieurs reprises. La ministre a déjà prévenu qu’il faudrait probablement 18 mois de débats au Parlement avec des allers-retours entre l’Assemblée nationale et le Sénat, ce qui repoussera l’application pratique de cette loi au mieux pour la seconde partie de 2025.

Ces délais, vécus comme des tergiversations insupportables par les militants du droit à l’euthanasie, montrent, s’il en était besoin, la complexité de toute prise de décision politique sur ce sujet particulièrement clivant, qui se compare aux grandes lois de société comme la loi sur l’interruption volontaire de grossesse (1974), ou celle autorisant le mariage pour tous (2013).

En apparence pourtant, ce sujet fait consensus, puisque toutes les enquêtes montrent qu’une très grande majorité des Français – entre 70 % et 93 % suivant la façon dont est posée la question – est favorable à une aide médicalisée à mourir.

La prudence du gouvernement s’explique par la crainte d’une opposition résolue à cette loi de deux secteurs de l’opinion qu’il ne peut s’aliéner : les catholiques d’une part, pour des raisons politiques, et les professionnels de santé d’autre part, dont l’adhésion est indispensable à la réussite de cette mutation éthique majeure.

 

Le Pape, combien de divisions ?

« Le pape, combien de divisions ? » se moquait Staline, mais c’est bien un pape qui, 45 ans après, a été l’acteur principal de la chute du pouvoir qu’il avait mis en place, le communisme soviétique.

Aucun dirigeant politique d’un pays de tradition catholique ne peut négliger l’influence de la religion majoritaire sur les sujets dits de société qu’elle considère comme son pré carré, comme l’avait appris à ses dépens François Mitterrand, obligé de retirer sa loi de nationalisation de l’école privée en 1984, avec démission à suivre du Premier ministre et du ministre de l’Éducation nationale.

Bien sûr, le monde catholique n’est pas monolithique, et sa majorité non pratiquante s’aligne à peu près sur la majorité de la population française dans son souhait d’une possibilité légale d’aide active à mourir.

Mais plus on a affaire à des convaincus, à des pratiquants, et plus les opinions s’inversent, et plus les opposants farouches à l’euthanasie sont nombreux et déterminés, à l’image des militants de la Manif pour tous, rebaptisée Syndicat de la famille.

Sous des dehors de modération, le clergé français est vent debout contre l’idée même d’euthanasie, vécue comme une énième transgression faustienne après la contraception, l’interruption volontaire de grossesse, le clonage, le mariage des personnes de même sexe, ou encore la procréation médicalement assistée. Cette opposition radicale est d’ailleurs partagée par les deux autres grandes religions abrahamiques influentes dans notre pays, le judaïsme et l’islam.

Un tel sujet est donc potentiellement explosif, et le camp du président de la République ne peut se permettre une rupture avec un électorat catholique qui a massivement quitté la droite classique pour le parti présidentiel, et est tenté par les sirènes de l’extrême droite.

 

Le Styx, Charon et son obole

L’autre secteur de l’opinion qu’une telle loi peut venir bousculer est celui des professionnels de santé, déjà éprouvés par la pandémie de Covid-19, les conséquences de la désertification médicale, et la crise de l’hôpital public qui n’en finissent pas de payer l’archaïsme d’une gestion publique à bout de souffle.

Là aussi les apparences sont rassurantes, et la majorité des professionnels de santé est plutôt favorable à l’évolution de la loi dans ce domaine. Mais, à y regarder de plus près, on observe plusieurs sujets d’inquiétude pour les législateurs.

D’abord, même si une majorité de médecins est favorable, nous l’avons dit, au principe de la loi, seule une minorité se dit prête à pousser elle-même la seringue de produits létaux en cas de permission d’une euthanasie active. Toutes les législations déjà existantes dans d’autres pays permettent d’ailleurs une objection de conscience pour les professionnels de santé, et la France ne devrait pas déroger à cette règle. Combien de médecins accepteront concrètement de mettre en œuvre cette nouvelle dimension de l’accompagnement de la fin de vie ?

La question se pose d’autant plus que les professionnels des soins palliatifs, qui sont les meilleurs connaisseurs de ces sujets, sont très opposés à une telle évolution.

La loi actuelle dite Claeys Léonetti (2016) leur paraît en effet suffisante, puisqu’elle permet à chaque malade d’exprimer à l’avance des directives sur sa fin de vie, et autorise une sédation profonde et continue jusqu’au décès, quand celui-ci est jugé proche.

Ils soulignent aussi que les majorités favorables à l’euthanasie sont faites de personnes saines qui fantasment leur fin de vie, et que celles en situation sont en réalité très peu nombreuses à demander la mort, entre 0,7 et 3 % suivant les études.

Plutôt qu’une fuite en avant vers l’aide active à mourir, ils réclament donc des moyens pour appliquer la loi actuelle, en soulignant, par exemple, que 21 départements ne possèdent à ce jour aucune équipe de soins palliatifs.

Enfin, les organismes professionnels chargés par la loi d’actualiser et de faire respecter l’éthique, comme le Conseil de l’ordre des médecins, sont eux aussi, très opposés au franchissement de ce qu’ils considèrent comme un véritable Styx éthique dont il refusent de devenir les Charon en blouse blanche, attendant leur obole sur le bord de la rive.

Ces oppositions expliquent la grande prudence des gouvernants et leurs tentatives de déminage vers ces secteurs de l’opinion. Elles ne devraient toutefois pas remettre en cause le vote d’une loi plébiscitée à l’avance par une majorité de Français, et déjà présente dans plusieurs pays proches (Belgique, Pays-Bas, Suisse, Espagne, Luxembourg…).

 

La liberté et la mort

Qu’ont à apporter les libéraux dans ce débat qui va probablement s’amplifier dans les prochains mois ?

« Dans tous les cas, l’aide active à mourir répondra à la volonté libre et éclairée d’une personne atteinte d’une maladie grave et incurable, face à des souffrances inapaisables » écrivent des professionnels de santé favorables à l’évolution de la loi.

En adhérant massivement à l’idée de l’aide active à mourir, les citoyens revendiquent l’exercice de leur liberté personnelle au moment de leur mort, comme ils la revendiquent pour toutes les décisions concernant leur vie. Tout en demandant l’aide des experts, en l’occurrence les professionnels de santé, ils refusent l’idée que ceux-ci puissent prendre à leur place une décision dont ils seront seuls, avec leurs proches, à assumer les conséquences.

Nous sommes là au cœur même de la doctrine libérale, et on ne voit pas bien comment un libéral pourrait refuser cette liberté ultime à un de ses semblables.

Cela dit, la question qui subsiste, et qui n’est pas moins libérale, concerne les conditions d’exercice de cette liberté à ce moment crucial de l’existence, et particulièrement l’évaluation du discernement de la personne en demande de sa propre fin.

Comment juger du caractère éclairé de la demande d’un mineur, d’une personne démente ? Un suicidaire n’est-il pas toujours un dépressif, comme le pensent de nombreux psychiatres ? Doit-on accepter la première demande d’aide à mourir d’un patient quand on sait que 40 % des personnes en situation palliative ne réitèrent pas leur demande après une prise en charge complète de leurs symptômes ? Qui doit évaluer, instruire et décider : un médecin, plusieurs médecins, un juge ?

On le voit, la revendication de la liberté individuelle n’épuise pas le sujet, et il y a place pour un vrai débat, non seulement éthique, mais aussi technique, médical, juridique, politique sur cette question. Espérons qu’il pourra avoir lieu dans de bonnes conditions.

 

Une pédagogie de l’euthanasie ?

Dans son article « Une pédagogie de la guérison est-elle possible », Georges Canguilhem, philosophe et médecin du XXe siècle expliquait que la guérison restait, en dernière instance, une décision du patient lui-même, malgré tout l’arsenal objectif de la médecine scientifique pour la décréter.

Le citoyen du XXIe siècle, né de la libre décision de parents disposant de la contraception et l’IVG, n’acceptera sans doute pas, à tort ou à raison, de se voir confisquer ce qu’il considère comme l’avatar ultime de sa liberté individuelle : le droit de décider sa mort.

Les professionnels de santé, et d’abord les médecins, n’auront d’autre choix que de l’accompagner sur ce chemin : une pédagogie de l’euthanasie est souhaitable, voire souhaitée, mais est-elle possible ?

Gabriel Attal pourra-t-il vraiment gouverner ?

Invité sur TF1 pour sa première grande interview, le nouveau Premier ministre Gabriel Attal a promis « de l’action, de l’action, de l’action et des résultats ». À la tête d’un gouvernement « resserré » (14 ministres) qui comporte deux super ministères (le portefeuille de Bruno Le Maire intègre désormais l’énergie, Amélie Oudéa-Castéra a hérité de l’Éducation nationale et de la Jeunesse en plus des Sports et de l’organisation des Jeux Olympiques, Catherine Vautrin est à la fois ministre du Travail et de la Santé) le nouveau chef du gouvernement est attendu sur tous les fronts : simplification du droit du travail, rétablissement de l’ordre, rééquilibrage des comptes publics, organisation des Jeux Olympiques, baisse des impôts pour les classes moyennes… Un sujet semble être passé par la trappe du remaniement : celui du logement. Alors que la France traverse la plus grande crise immobilière de son histoire récente, ce portefeuille a été abandonné.

Ni la popularité médiatique du nouveau Premier ministre ni le vacarme qui a accompagné la nomination surprise de Rachida Dati au ministère de la Culture n’ont pu dissimuler les premiers couacs du gouvernement Attal. Au 20 heures de TF1, Gabriel Attal s’est en effet engagé à réaliser la promesse du président Macron de baisser les impôts de deux milliards d’euros pour les classes moyennes. Il lui faudra l’imposer au locataire de Bercy, qui avait annoncé préparer cet allégement fiscal au plus tôt « dès le budget 2025 ». Une deuxième dissonance est à prévoir au sujet du projet de loi sur la fin de vie, qui devait être proposé au Parlement au printemps. La nouvelle ministre de la Santé (qui est aussi ministre du Travail) avait en effet déclaré en 2004 que l’euthanasie active « relevait de démarches inacceptables », lorsqu’elle était secrétaire d’État aux personnes âgées. Rappelons que la Convention citoyenne sur la fin de vie s’était prononcée en faveur du suicide assisté en avril dernier.

Sans majorité au Parlement, le volontarisme affiché par le nouveau Premier ministre a deux issues : jouer à gouverner en maquillant une absence de marge de manœuvres par des coups de communication, ou gouverner par ordonnances et par un usage excessif du 49.3, au risque d’accroître les tensions sociales et de creuser la polarisation de l’échiquier politique.

Au mois de mars, la première ébauche de l’Acte II des réformes du travail sera discutée au Parlement. En 2016, la loi Travail avait réuni un million de manifestants à Paris. En 2018, la taxe carbone a donné naissance aux Gilets jaunes. La Primature de Gabriel Attal débute dans un contexte où les factures d’électricité pèsent encore lourdement sur les revenus des ménages et des entreprises. Comment réagirons les Français au durcissement des règles d’allocation des indemnités chômage et aux contreparties exigées aux bénéficiaires du RSA ?

Les consommateurs victimes des lois censées les protéger

Un article de Philbert Carbon.

La Fondation Valéry Giscard d’Estaing – dont le « but est de faire connaître la période de l’histoire politique, économique et sociale de la France et de l’Europe durant laquelle Valéry Giscard d’Estaing a joué un rôle déterminant et plus particulièrement la période de son septennat » – a organisé le 6 décembre 2023 un colloque intitulé : « 45 ans après les lois Scrivener, quelle protection du consommateur à l’heure des plateformes et de la data ? ».

 

Protection ou infantilisation du consommateur ?

Christiane Scrivener, secrétaire d’État à la Consommation de janvier 1976 à mars 1978, fut à l’origine des deux lois qui portent son nom.

La loi du 10 janvier 1978 relative à l’information et à la protection des consommateurs dans le domaine de certaines opérations de crédit, dite loi Scrivener I, impose aux établissements de crédit d’apporter un minimum d’information et de protection à l’emprunteur.

Parmi les dispositions de la loi figuraient :

  • l’obligation de formaliser l’offre de crédit par un contrat ;
  • la liste des mentions obligatoires des offres (montant du crédit, TAEG, durée, montant à rembourser, montant des frais, etc.) ;
  • la remise d’un échéancier prévisionnel reprenant la part d’assurance, de capital remboursé et de capital restant dû chaque mois ;
  • un délai de rétractation de 7 jours ouvrés après la signature.

 

La loi Scrivener II du 13 juillet 1979 relative à l’information et à la protection des emprunteurs dans le domaine immobilier, avait comme objectif principal de lutter contre le surendettement. Elle venait compléter la loi Scrivener I dans le domaine des prêts immobiliers, imposant, notamment :

  • l’édition d’un tableau d’amortissement détaillé ;
  • l’indication du montant des frais de dossier ;
  • un délai de réflexion de 30 jours francs avec un délai minimum de 10 jours à compter de la réception de l’offre.

 

D’autres lois viendront par la suite compléter ce dispositif légal. Le site de l’Institut national de la consommation (INC) recense pas moins de 75 lois intéressant le consommateur entre 1982 et 2020, comme les lois Quillot (1982), Neiertz (1982), SRU (2000), Chatel (2005 et 2008), Lagarde (2010) ou bien Hamon (2014).

La dernière en date étant celle du 9 juin 2023 visant à encadrer l’influence commerciale, et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux.

Nous pouvons comprendre que la loi érige quelques règles de bonne conduite entre les entreprises et leurs clients, et donne un cadre aussi bien aux unes qu’aux autres. Mais vouloir entrer dans les moindres détails et multiplier les textes réglementaires revient à considérer le consommateur – à l’instar du salarié – comme un individu faible et irresponsable qui a besoin d’être protégé de lui-même.

Reprenons l’exemple de la loi Scrivener II qui introduit un délai de réflexion de 30 jours francs lorsque l’on contracte un prêt immobilier. Elle fixe aussi un délai minimum de 10 jours dont personne ne peut s’affranchir. C’est-à-dire que l’emprunteur peut signifier à sa banque qu’il accepte le prêt à compter du onzième jour de la réception de l’offre de crédit (et donc ne pas attendre les 30 jours), mais il ne peut le faire dès le deuxième jour. N’est-ce pas le considérer comme un enfant mineur qui ne sait pas ce qu’il fait ?

De même, alors que la loi Scrivener I prévoyait un délai de rétractation de 7 jours après la signature d’un crédit à la consommation, la loi Lagarde de 2010 l’a porté à 14 jours. Le délai de rétraction est aussi de 14 jours en cas de vente à distance (internet, téléphone, voie postale ou fax), par exemple. N’est-ce pas prendre le consommateur pour quelqu’un qui ne réfléchit pas suffisamment avant de prendre une décision ?

 

Des protections qui se retournent contre le consommateur

Dans le domaine du logement, l’IREF a démontré à maintes reprises comment les dispositions censées protéger les locataires se retournaient contre eux.

Ainsi les lois prises entre 1914 et 1923 aboutirent-elles à bloquer les loyers et à décourager la construction de logements. La fameuse loi de 1948 statufia le parc locatif, les locataires ne bougeant plus de chez eux afin de conserver leur loyer bloqué. Les récentes lois figeant ou encadrant les loyers ont pour conséquence de réduire le nombre de bailleurs qui préfèrent se tourner vers la location de courte durée de type Airbnb. L’interdiction des expulsions locatives entre le 1er novembre et le 31 mars a aussi pour résultat de décourager les propriétaires de louer leurs biens.

Autre exemple avec la loi Lemoine de février 2022 « pour un accès plus juste, plus simple et plus transparent au marché de l’assurance emprunteur » qui a, notamment, supprimé le questionnaire médical pour une large partie des emprunteurs, en l’occurrence ceux dont le prêt assuré est inférieur ou égal à 200 000 euros et qui le remboursent avant l’âge de 60 ans. L’objectif de cette mesure était d’éliminer les discriminations dont étaient victimes, au moment de souscrire une assurance-emprunteur, les personnes présentant des risques de santé. Ces « discriminations » consistaient à appliquer des surprimes ou des exclusions de garanties. Depuis le 1er juin 2022 (entrée en vigueur de la loi), les assureurs ne peuvent donc plus interroger leurs clients qui répondent aux deux critères mentionnés plus haut. Cela concerne plus de 50 % des emprunteurs.

Les effets pervers de cette loi sont évidents et se sont déjà fait sentir, nul besoin d’attendre le rapport que le Comité consultatif du secteur financier (CCSF) doit produire au plus tard d’ici février 2024.

En effet, faute de pouvoir évaluer correctement le risque, certains assureurs préfèrent ne pas traiter avec les personnes couvertes par la loi Lemoine et, par conséquent, ne produisent même pas de devis. D’autres ont choisi d’augmenter leurs tarifs – de 15 % à 30 % – pour tout le monde. Enfin, une dernière catégorie a changé les conditions générales des contrats qui comportent désormais des exclusions « tendant à amoindrir ou annuler la prise en charge des pathologies antérieures à l’adhésion quand les personnes ne répondent pas à un questionnaire médical ».

En résumé, l’emprunteur – qui n’a pas vraiment lu des conditions générales car il se sait bien protégé par la loi Lemoine – se croit couvert pour certains risques alors qu’il ne l’est pas.

 

La protection par la concurrence

Finalement, la loi Lemoine aboutit à restreindre le choix des consommateurs (ils ont moins d’offres), à augmenter le coût des assurances et à réduire la protection des clients.

En réalité, nombre de lois de protection des consommateurs reviennent à ériger des barrières à l’entrée du marché, c’est-à-dire à empêcher l’arrivée de nouveaux acteurs. Au contraire, quand la concurrence fonctionne à plein, les entreprises recherchent les meilleurs moyens de servir les clients. Offrir plus de choix aux consommateurs est une bonne manière de les protéger.

Qui est le mieux protégé aujourd’hui ? Le voyageur français du XXe siècle qui pour se déplacer n’avait le choix, en simplifiant, qu’entre les monopoles d’Air France, de la SNCF et des taxis ? Ou celui du XXIe siècle qui peut se tourner vers les compagnies aériennes low cost comme Ryanair ou easyJet, la compagnie ferroviaire italienne Trenitalia, les VTC, les cars Macron ou le covoiturage ? La libéralisation du marché du transport – qui est loin d’être terminée – a mieux servi les consommateurs que la plupart des lois prétendument protectrices.

Renforcer la concurrence devrait être le cheval de bataille de tous ceux qui prétendent vouloir protéger les clients, au premier rang desquels les associations de consommateurs. Au lieu de cela, elles réclament toujours plus de contraintes pour les entreprises, pénalisant ceux qu’elles sont censées défendre.

Sur le web.

Loi immigration – un texte détricoté au pied du sapin

« Depuis des semaines, la loi immigration a été tricotée, détricotée et à l’arrivée, tout le monde la trouve moche. Finalement, cette loi, c’est un peu un pull de Noël. »

Ce bon mot de l’humoriste Philippe Caverivière sur France 2 samedi soir résume parfaitement le sac de nœuds – ou de laine – qu’est devenu ce qui devait être un des piliers du second quinquennat Macron.

Lors de mon dernier billet sur le sujet il y a maintenant plus d’un mois, nous nous étions quittés sur le texte voté par la majorité Les Républicains au Sénat, chambre représentant les territoires souvent les plus durement touchés par la problématique.

L’immigration touche des sujets aussi vastes et différents que le social, l’économie, la culture, la sécurité et le climat, la question de l’impact des catastrophes météorologiques innervant l’histoire de l’immigration depuis le jour où les Hommes ont appris à se mouvoir sur de longues distances.

L’étendue des sujets touchés par la thématique n’a d’égale que l’impossibilité d’y apporter des solutions simplistes comme on peut les lire ici et là, à grands coups de positions « ultra simples » ou de remèdes prétendument réalistes.

Le texte voté au Sénat n’y fait pas exception, et a provoqué plusieurs rebondissements.

 

La gauche vent debout

Nous nous étions quittés après le vote par les sénateurs d’un texte renforcé supprimant l’AME, instaurant des quotas économiques et abrogeant la mesure phare du projet de loi : l’obtention automatique de titre de séjour pour les travailleurs exerçant des métiers en tension.

Ce texte a instantanément entraîné une levée de boucliers d’associations et d’organismes vivant grassement d’argent public.

La directrice générale de France Terre d’Asile (50 millions d’euros de dotations annuelles, ce qui en fait l’association la plus subventionnée du pays), dont la présidente est l’ancienne ministre socialiste Najat Vallaud-Belkacem, a dénoncé un « catalogue des horreurs ».

Depuis début décembre, ce sont une quarantaine d’associations qui manifestent leur mécontentement devant le texte adopté au Sénat.

Du côté du Défenseur des droits, énième autorité administrative indépendante destinée à masquer les lacunes de notre système judiciaire, l’actuelle titulaire du poste, Claire Hédon, a dénoncé une « surenchère démagogique ».

À ces réactions se sont ajoutées celles de la Macronie. Dès le lendemain du vote, cette dernière a immédiatement appelé à un « rééquilibrage », pour reprendre les propos de la ministre déléguée à la lutte contre les discriminations Bérangère Couillard soutenue par le président de la commission des lois Sacha Houlié, déterminé à rétablir le texte initialement porté par le gouvernement.

Les députés de la majorité sont alors sommés par plusieurs soutiens du président de la République, Daniel Cohn-Bendit en tête, de mettre fin à ce qui est vu comme une « dérive dangereuse ».

 

Darmanin défait par LR

Ces réactions n’ont pas empêché les débats de continuer. Après avoir été présenté en commission des lois, le texte est débattu dans l’Hémicycle.

Un texte ainsi revu et dénoncé par LR comme un texte « au rabais ». De ce fait, les députés de droite ont voté le 11 décembre la motion de rejet déposée par les écologistes. Cette motion est destinée à rejeter avant tout débat un texte qui serait susceptible d’enfreindre manifestement une disposition constitutionnelle, ou de décider qu’il n’y a pas lieu de délibérer.

Cette motion est votée, essentiellement du fait de l’absence de neuf députés de la majorité, dont l’un a subi les affres de la SNCF, l’amenant à avoir 1 heure 30 de retard. Aussi ironique qu’exquis.

Suite à ce camouflet, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a présenté sa démission au président de la République, qui l’a refusée. Certaines mauvaises langues estiment alors que s’il l’avait présenté à Elisabeth Borne, celle-ci l’aurait vraisemblablement acceptée. La vraie raison est institutionnelle, le pouvoir de nomination et de révocation des ministres relevant de l’Élysée avec contreseing du Premier ministre.

Le vote de cette motion est une nouvelle victoire pour Les Républicains après le vote sénatorial. Une victoire d’autant plus forte qu’elle a mis en déroute un de ses parjurés les plus médiatiques. Depuis le début des discussions, le parti gaulliste s’est positionné en point d’équilibre entre le gouvernement et le Rassemblement national, tout en faisant du sujet migratoire un cheval de bataille, un mois et demi après le lancement d’une pétition qui a pour l’instant recueilli plus de 24 300 signatures au moment où ces lignes sont écrites.

 

Le retour de l’hyperprésidentialisme

Dans une France qui n’a plus l’habitude de la vitalité de la démocratie parlementaire, cette séquence est considérée par certains journalistes et élus comme une « crise politique », terme utilisé pour désigner tout événement qui dévierait de la volonté du Prince.

Conformément à la pratique hyperprésidentialiste à laquelle notre république nous a tristement habitués, ce même Prince, clé de voûte des institutions qui dévie aujourd’hui largement de son centre de gravité, n’a pas hésité à s’immiscer dans les travaux parlementaires en rejetant l’usage de l’article 49.3, sur lequel les Sages n’ont pas apporté de réponse claire, tout en appelant les députés à voter le texte avant Noël, quelques jours avant la réunion de la commission mixte paritaire.

 

Un espoir nommé commission mixte paritaire

Cette dernière s’est réunie ce lundi 18 décembre pour un vote en milieu de semaine.

La commission mixte paritaire réunit sept députés et sept sénateurs nommés par les présidents des chambres en respectant scrupuleusement les équilibres politiques. Cet équilibre peut se résumer ainsi : la Macronie dispose de trois parlementaires sur 10, comme LR aidé par sa majorité au Sénat, tandis que la NUPES compte pour un quart des parlementaires et le Rassemblement national, 10 % avec 88 députés et 4 sénateurs sur un total de 925 parlementaires.

De ce fait, la commission mixte paritaire sera composée comme suit : 5 macronistes, 5 LR, 3 NUPES et 1 Rassemblement national.

De cette commission, dont nous n’avons pas le résultat au moment où nous écrivons ces lignes, ne peut émerger que trois réponses :

  1. Soit les parlementaires se mettent d’accord, et le texte est voté en séance
  2. Soit les parlementaires se mettent d’accord, mais le texte est rejeté en séance
  3. Soit les parlementaires ne se mettent pas d’accord

 

Cette dernière option arrivant une fois sur trois, l’avenir du texte est plus que jamais incertain.

 

La solution référendaire

Pourtant, le pays pourrait sortir de cette incertitude d’un outil qui n’a pas été utilisé depuis plus de 18 ans : le référendum, porté depuis longtemps par la droite. Un temps étudié par l’Élysée fin octobre pour obtenir les voix LR, la perspective de sortir du débat par la consultation des Français n’a pas été retenue faute de consensus politique, et par crainte d’une réponse nécessairement « populiste » à la manière de l’ancien ministre et défenseur des droits Jacques Toubon.

Pourtant, ce référendum permettrait de proposer un grand débat afin de libérer la parole et de sortir d’une chape de plomb démocratique sur un sujet, à tort, tabou dans le débat public français, et qui ne fait que nourrir les préjugés et les relents complotistes en remettant au cœur du débat la question du consentement qu’une certaine gauche adore arborer, à raison, dans certains domaines, mais qu’elle refuse lorsqu’il s’agit de demander aux individus qui ils souhaitent accueillir chez eux et de quelle manière.

L’attractivité économique du pays est aussi une question de fiscalité

L’auteur : Éric Pichet est professeur et directeur du Mastère Spécialisé Patrimoine et Immobilier, Kedge Business School.

 

La dernière étude du cabinet de conseil EY sur l’attractivité des pays européens confirme la primauté de la France pour la quatrième année consécutive. En 2022, le pays comptait plus de 1250 projets d’investissements industriels ou technologiques annoncés, soit plus que le Royaume-Uni (900) et l’Allemagne (800), destinations longtemps privilégiées. Le journal Der Spiegel va même jusqu’à titrer en Une, dans un étonnant renversement : « La France aujourd’hui : une meilleure Allemagne ».Illustrant le retour en grâce du pays, quelques exemples d’investissements massifs ont frappé les esprits : celui du Danois Novo Nordisk à Chartres pour plus de 2 milliards ; les gigantesques usines de super batteries dans les Hauts-de-France, à hauteur de 5,2 milliards euros d’ici 2030 du Taïwanais Prologium ; ou encore la start-up italienne Newcleo, créée en 2021, qui a prévu d’investir 3 milliards d’ici 2030 dans les réacteurs nucléaires de faible et moyenne capacité.

Tout aussi significatif de l’attractivité retrouvée de l’Hexagone, Paris distance désormais largement ses rivales (Francfort, Luxembourg, Dublin et Amsterdam) dans la féroce compétition pour devenir la grande place financière européenne. Aux atouts traditionnels liés au prestige de la Ville-Lumière et à un vaste marché d’emplois qualifiés s’est ajouté un rocambolesque coup de pouce du destin qui a transféré l’Autorité bancaire européenne de Londres à La Défense (au détriment de Dublin), lors d’un vote des 27 États restants de l’Union européenne post-Brexit qui s’est achevé par… un tirage au sort le 20 novembre 2017.

Liberté et stabilité

Si l’attractivité d’un pays se définit comme sa capacité à attirer les facteurs mobiles de production (capital et travail), la France répondait déjà, avant l’arrivée d’Emmanuel Macron à L’Élysée en 2017, à nombre des critères de la compétitivité internationale.

L’économie était déjà diversifiée et robuste, la liberté d’entreprendre garantie par un régime politique stable depuis 1958 et les cadres d’entreprise formés par des écoles de management très bien classées dans le prestigieux classement du Financial Times. En outre, grâce à son modèle social très redistributeur, le pays était l’un des plus égalitaires au sein de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

 

Président VRP

Lors de sa prise de fonction, le président de la République a mis sur pied un gouvernement ouvertement probusiness focalisé sur la réindustrialisation. Cette politique a même connu une accélération spectaculaire juste après le covid, et les pénuries de médicaments fabriqués en Asie, l’exécutif cherchant à renforcer notre base industrielle au-delà des domaines d’excellence traditionnels comme l’aéronautique, le luxe ou l’agroalimentaire.

Le plan France 2030 lancé en octobre 2021 vise ainsi à faire émerger les champions de demain dans une poignée de secteurs clés liés à la qualité de vie : la transition environnementale, l’énergie, les transports, l’alimentation ou encore la santé. Le montant total de l’enveloppe s’élève à 54 milliards, dont la moitié versée fin 2023.

L’acteur clé est ici Bpifrance, banque publique des entrepreneurs créée à parité en 2012 par l’État et la Caisse des dépôts et consignations. Initialement destinée à soutenir l’économie française en prenant des participations dans des entreprises stratégiques pour le développement local, l’institution a élargi son périmètre d’intervention en gérant les prêts garantis par l’État aux entreprises pendant les confinements, et surtout en finançant l’innovation notamment au travers du label « French Tech ».

En parallèle, Emmanuel Macron s’est présenté dès 2018 en « super VRP » de la nation en lançant le sommet annuel « Choose France », destiné à présenter aux grandes multinationales les réformes menées pour stimuler l’activité économique : un raout annuel très médiatique dans le cadre royal du château de Versailles.

Le premier sommet a permis de récolter quelque 3,5 milliards en investissement en 2018, et la dernière édition, en mai 2023, a battu les records avec la promesse de 13 milliards d’euros d’investissement et de 8000 créations d’emplois annoncés auprès de 200 multinationales.

Cette bonne performance s’explique également par la loi de finances pour 2018, qui a significativement amélioré la compétitivité fiscale du pays. L’introduction d’une « flat tax » à 30 % sur tous les revenus du patrimoine des particuliers (intérêts, dividendes et plus-values des particuliers) a réduit et simplifié la fiscalité du capital, tout comme le remplacement de l’impôt de solidarité sur la fortune en un impôt sur la fortune limité aux seuls biens immobiliers.

Six ans après ces mesures, le rapport final du Comité d’évaluation des réformes de la fiscalité du capital de France Stratégie constate des effets positifs, comme nous l’avions anticipé, même si l’ensemble des prélèvements sur les ménages et les entreprises au titre d’une détention, d’un revenu ou d’une transmission de patrimoine demeure toujours l’un des plus élevés dans le monde.

 

L’emploi résiste au ralentissement

La fiscalité des entreprises a également été réduite et stabilisée : l’impôt sur les sociétés est tombé de 34,4 % en 2018 à 25 % en 2023. La baisse a surtout concerné à partir de 2021 les impôts de production, qui pénalisent l’investissement, même s’ils restent encore bien au-dessus de la moyenne européenne. Enfin, la niche du crédit d’impôt recherche (CIR), la plus coûteuse et sans doute la plus controversée des dépenses fiscales (alors qu’elle confère un avantage compétitif majeur au pays) a été sanctuarisée en 2017.

Les investisseurs étrangers sont également sensibles aux nombreuses réformes du marché du travail qui ont renforcé la politique de l’offre amorcée en 2013 par le prédécesseur d’Emmanuel Macron à l’Élysée, François Hollande. Les ordonnances du 22 septembre 2017 ont plafonné les indemnités licenciement. La loi du 5 septembre 2018 a supprimé les cotisations salariales du régime d’assurance-chômage en y substituant un financement via la contribution sociale généralisée à l’assiette plus large. Enfin, la réforme de l’apprentissage avec la création du compte personnel de formation, et surtout le transfert du pouvoir sur l’utilisation des fonds des régions aux employeurs directement concernés a spectaculairement augmenté le nombre d’apprentis de 300 000 en 2017 à plus 800 000 en 2022.

Toutes ces mesures ont eu un effet sur l’emploi puisque, malgré le ralentissement de la croissance de 0,5 % au second trimestre 2023, les créations nettes ont progressé pour le dixième trimestre consécutif. Encore un indicateur de dynamisme attractif aux yeux des investisseurs étrangers.

Cet article est à retrouver sur le site The Conversation

La crise de la fonction publique française : à qui la faute ?

Dans un rapport publié en novembre, la Cour des comptes dresse un bilan préoccupant de l’état de la fonction publique française.

Trois ans après la promulgation de la loi du 6 août 2019 sur la transformation de la fonction publique (LTFP), l’État peine à attirer, à recruter et à fidéliser les agents publics. La Cour note que « le nombre de fonctionnaires a diminué de 53 300 dans l’ensemble de la fonction publique, soit une baisse de 1,4 % par rapport à 2016. » La proportion d’agents contractuels dans les trois fonctions publiques est passée de 14 % en 2005 à 24 % en 2020. La fonction publique hospitalière représente, à elle seule, 49 % de la baisse de fonctionnaires entre 2016 et 2020 (- 26 200 agents, soit une baisse de 3,1 %).

La Cour relève en effet un suivi partiel et défaillant de la LTFP.

En principe, cette loi était censée améliorer significativement l’attractivité de la fonction publique :

  • davantage de mobilité chez les fonctionnaires via des changements de poste,
  • introduction d’une rupture conventionnelle pour simplifier les départs volontaires,
  • plus grand recours aux contractuels pour plus de flexibilité dans le recrutement,
  • promotion de la formation continue,
  • valorisation des compétences.

 

Malgré les dispositions facilitant le recrutement contractuel, peu de CDI en primo-recrutement ont été conclus, et seulement 1900 contrats de projet en CDD ont été signés dans la fonction publique d’État.

Un aspect fondamental de cette réforme est resté en suspens : le respect de la durée légale du travail des agents. Des dérogations au droit commun maintiennent des régimes favorables aux fonctionnaires, compromettant l’efficacité du contrôle de légalité exercé par les préfectures. Certaines administrations et collectivités locales ont établi des régimes dérogatoires leur permettant de travailler moins de 1607 heures par an. Malgré les dispositions de la LTFP visant à les supprimer, certains secteurs ou entités ont conservé ces pratiques.

Des collectivités locales ont pu maintenir des cycles de travail inférieurs à la durée légale, arguant de sujétions particulières, comme la commune de Champs-sur-Marne (agents des routes, agents en charge de l’entretien ménager, agents des collèges, etc.) ou la commune d’Oissel qui a « supprimé des jours de congés, mais en a institué d’autres dans le cadre de la mise en place de nouveaux cycles de travail. » D’autres n’ont aucun scrupule à adopter des dispositifs illégaux, comme la commune de Méricourt, qui refuse de mettre en œuvre la délibération du conseil municipal et continue d’appliquer un régime antérieur. En 2022, c’est la mairie de Paris qui se voyait contrainte d’appliquer les 35 heures à ses agents : le tribunal administratif avait annulé les trois jours de RTT supplémentaires qu’elle leur donnait au nom d’une pénibilité spécifique liée au fait de travailler dans la capitale.

Une fois de plus, la fonction publique française fait office d’exception culturelle : le nombre moyen d’heures de travail des fonctionnaires des administrations centrales s’élève à 1620 par an en France selon l’OCDE, contre 1814 en Allemagne, 1739 en Suède ou 1685 au Royaume-Uni. Cela n’empêche toutefois pas une certaine gauche de penser que le statut de la fonction publique serait menacé par « des années de néo-libéralisme et d’austérité », et non par une gestion archaïque qui dilapide les comptes publics. 

Le septennat : les 150 ans d’une loi provisoire

Aujourd’hui 20 novembre, le septennat fête ses 150 ans. Bien qu’il ait été remplacé depuis plus de vingt ans par le quinquennat, il suscite toujours des nostalgies. Or, l’idée singulière de confier le pouvoir à quelqu’un pendant sept ans, ce qui est long dans une démocratie, est le résultat d’une loi conçue comme provisoire. Un provisoire qui devait durer 127 ans !

L’adoption du quinquennat en 2000 a pourtant laissé des inconsolables du septennat si on en juge par des propositions récurrentes de le rétablir sous la forme d’un mandat présidentiel unique. Mais d’où sortait donc ce septennat ?

En 1873, la présidence était en France une institution mal établie et peu identifiée avec la république. La Première République n’avait connu aucun président mais, sur son déclin, le consulat décennal avec la Constitution de l’an VIII. La Seconde République avait établi une présidence à l’américaine et un mandat de quatre ans non renouvelable. Un certain Louis-Napoléon ne pouvant s’en contenter fit le coup d’État que l’on sait. Cela ne contribua pas à donner beaucoup de confiance dans cette magistrature suprême. Adolphe Thiers réussit à relever la présidence pour son compte personnel en 1871.

Voilà pour le contexte. Voyons le texte.

 

Un septennat personnalisé

Cette loi, très brève, ne compte que deux articles dont seul le premier nous importe ici :

« Le pouvoir exécutif est confié pour sept ans au maréchal de Mac-Mahon, duc de Magenta, à partir de la promulgation de la présente loi ; ce pouvoir continuera à être exercé avec le titre de président de la République et dans les conditions actuelles jusqu’aux modifications qui pourraient y être apportées par les lois constitutionnelles. »

Comme on le comprend à la lecture de cet article très surprenant, il s’agit d’un texte de circonstance et d’une loi provisoire. On n’instaure pas une présidence de la République de sept ans, mais on confie à Mac Mahon le pouvoir exécutif pour sept ans avec le titre de président de la République. Croyant établir une régence sous une apparence républicaine et préparer une restauration, la majorité monarchiste fondait sans le savoir la République par le septennat.

 

Organiser la présidence pour la rendre puissante et durable

Depuis le Manifeste du comte de Chambord affirmant son attachement au drapeau blanc, les monarchistes, majoritaires à l’Assemblée nationale, se trouvent dans l’impasse.

Ils ne sont donc pas pressés de sortir du provisoire dans lequel vit la France depuis 1871 et souhaitent ainsi maintenir le statu quo le plus longtemps possible dans l’espoir d’une mort prochaine de l’encombrant dernier Bourbon de France.

L’Assemblée avait contraint Adolphe Thiers à la démission, le 24 mai 1873. Se posait la question non pas de sa succession, le maréchal de Mac Mahon prenant la relève, mais de la fonction présidentielle. Thiers tenait son pouvoir de l’Assemblée, cumulant les fonctions de chef d’État et du gouvernement, et il en allait de même du maréchal. Il devenait nécessaire d’organiser cette magistrature pour la rendre puissante et durable.

 

La réconciliation des Bourbons et des Orléans

Mais il convient de revenir sur cette période qui va de l’été à l’automne 1873 pour mieux comprendre les enjeux du septennat.

Début août, le comte de Paris s’était rendu à Frohsdorf et avait fait acte d’allégeance au comte de Chambord. La réconciliation des Bourbons et des Orléans n’ouvrait-elle pas la voie de la restauration ? C’était, une fois de plus, une chimère. « Henri V » fidèle à lui-même, se trouvait en complet décalage avec son temps et le pays sur lequel il songeait vaguement à régner.

Partout dans les campagnes, républicains et bonapartistes battaient le tambour du retour de l’Ancien Régime honni. Ils agitaient le spectre des dîmes, du droit de cuissage et la remise en question des biens communaux. Tout cela était absurde mais diantrement efficace.

 

L’insondable bêtise du comte de Chambord

Comme l’écrit caustique Daniel Halévy :

« les peuples acceptent assez bien d’être conduits, mais c’est à condition qu’on les conduise quelque part. »1

Or les monarchistes naviguaient à l’aveuglette, vivant dans le déni de l’impossibilité de leurs espérances. La majorité dont disposait le duc de Broglie n’était guère solide et dépendait de la bonne volonté d’un « centre gauche » indécis et d’une poignée de bonapartistes à l’appui douteux.

Mi-octobre, l’ultime tentative de Chesnelong, envoyé par le duc de Broglie auprès du comte de Chambord fut aussi vaine que les précédentes. « Jamais je ne renoncerais au drapeau blanc » répéta le prince. Comme les monarchistes faisaient toujours mine de n’avoir pas compris, et laissaient entendre qu’il accepterait le drapeau tricolore malgré tout, « Henri V » fit publier dans L’Union du 30 octobre un démenti des plus formel : « Je ne puis consentir à inaugurer un règne réparateur et fort par un acte de faiblesse ».

Les légitimistes furent partagés entre l’accablement et la révolte devant l’insondable bêtise de leur chef.

 

Coupons la poire en deux et faisons le septennat

Le duc de Broglie comprit qu’il ne restait plus qu’une chose à faire : mettre l’État sous la garde durable du Maréchal.

Le 5 novembre, il lut à l’Assemblée un message présidentiel. Jugeant insuffisante la définition de ses pouvoirs, le maréchal réclamait leur prolongation pour dix ans. Aussitôt, une commission se constitua, présidée par une figure du centre gauche, Édouard de Laboulaye. Ce dernier proposa un mandat de cinq ans. Broglie rétorqua en coupant la poire en deux, sept ans à mi-chemin du décennat et du quinquennat. Laboulaye voulait bien, mais à condition que soient votées des lois constitutionnelles pour sortir du provisoire.

Broglie reparut à la tribune avec un second message du maréchal. Le septennat « serait plus en rapport avec les forces que je puis consacrer encore au pays » déclarait-il. Mais il exigeait un vote rapide, menaçant de démissionner. Jules Grévy monta à la tribune pour dénoncer le septennat contraire à toutes les traditions du pays. Cela ne devait pas l’empêcher d’être le premier président à terminer un septennat quelques années plus tard.

Le duc de Broglie finit par rallier sa majorité :

« Défenseurs de l’ordre social, défenseurs de l’ordre moral, n’abandonnez pas votre chef ; ne diminuez pas ses forces quand vous accroissez son fardeau ; ne détruisez pas son ouvrage avant de l’avoir commencé… »

 

Le septennat satisfait tout le monde

Le septennat fut voté avec une majorité de 70 voix. Les monarchistes y voyaient l’avenir préservé. Pour les bonapartistes, c’était un instrument utile pour un retour à l’Empire. Le centre gauche estimait que la République serait garantie pendant sept ans dans les mains d’un soldat légaliste. La gauche était partagée. Les uns criaient tout haut à la dictature, les autres tout bas se consolaient. La république n’entrait-elle pas par cette petite porte ?

Cette loi de circonstance deviendra définitive et coulée dans le bronze par la loi constitutionnelle du 25 février 1875. Ce septennat, surgi de nulle part, s’imposera comme la norme républicaine en France sous trois républiques avant que l’on ne revienne au décennat consulaire, déguisé sous la forme du quinquennat renouvelable.

Mais c’est une autre histoire…

  1. La république des ducs, Pluriel 1995, p. 36

Loi immigration : quelle position réaliste pour un libéral ?

Trentième texte sur le sujet depuis 40 ans, le projet de loi immigration actuellement en discussion au Parlement s’inscrit dans une législation de plus en plus restrictive qui n’est pourtant pas parvenue à dépassionner la question dans le débat public.

Durcit le 14 novembre par le Sénat, le texte interroge sur la position libérale et les enjeux multiples que l’immigration frappe de plein fouet, contribuant à en faire un sujet clivant par excellence, alors même que la question de l’immigration climatique pointe le bout de son nez.

 

Un durcissement progressif

Depuis 30 ans, la législation sur l’immigration n’a pas été épargnée par l’habituelle inflation législative française. Celle-ci s’est durcie par à-coups.

L’obtention de la nationalité par les mineurs nés en France de parents étrangers, imposant une manifestation de l’intéressé en 1993, est devenue automatique sous Jospin, avant d’être subordonnée à un critère d’intégration en 2003.

À partir de 2007, le concept d’immigration choisie chère au président de la République de l’époque a amené à trouver un compromis entre intégration et besoins économiques. Un compromis qui semble rester d’actualité.

 

Équilibre et restrictions

Pour mémoire, le texte initialement présenté par l’exécutif couvre l’ensemble des domaines que la problématique migratoire : travail, intégration, éloignement, asile, contentieux des étrangers.

Renforçant les exigences en matière de connaissance de la langue française pour l’obtention de certaines cartes de séjour, et imposant des engagements envers les principes républicains, le texte vise également à doter les autorités de moyens supplémentaires afin d’éloigner les étrangers constituant une menace grave pour l’ordre public, y compris les résidents de longue date condamnés pour des crimes graves.

Le texte simplifie également le contentieux des étrangers et prévoit la création des « espaces France Asile » pour centraliser les démarches des demandeurs d’asile.

 

La fin de l’AME

Ce mardi 14 novembre, le Sénat a considérablement durci le texte en introduisant la suppression de l’aide médicale d’État (AME) et des quotas d’immigration économiques. Le Sénat a également souhaité conditionner le droit du sol, aujourd’hui automatique. Les sénateurs souhaitent introduire une fenêtre de demande entre 16 et 18 ans permettant aux enfants nés en France de parents étrangers de demander la nationalité française.

Mais la grande nouveauté du texte votée par la chambre haute est sans doute la fin du fameux article 3, mesure phare du texte introduisant un titre de séjour automatique pour les travailleurs sans-papiers exerçant des métiers en tension, que le Sénat a purement et simplement remplacé par des régularisations exceptionnelles sous conditions.

 

Les libéraux divisés

La question migratoire est sans doute une des plus controversées dans le débat français, au point que les formations de droite appellent aujourd’hui à un référendum sur la question, à la manière de la grande pétition nationale lancée par Les Républicains fin octobre.

Cette controverse n’échappe pas non plus aux défenseurs de la liberté. Le débat est essentiellement porté par les partisans de l’abolition pure et simple des frontières internationales et les libéraux conservateurs. Les premiers estiment qu’il ne saurait y avoir de restrictions à la libre circulation des individus, considérées comme du protectionnisme humain.

Ils s’opposent aux libéraux conservateurs, pour qui la libre circulation est bornée par l’intérêt national, qu’il soit économique ou sécuritaire, lié à la main-d’œuvre ou à l’insécurité.

Entre ces deux visions, les libertariens ont trouvé une position intermédiaire. Elle se fonde sur la propriété privée, estimant que seules les frontières privées devraient être restreintes au bon vouloir des propriétaires.

 

Le compromis réaliste

Une autre position intermédiaire se trouve dans celle promue par l’essayiste Ferghane Azihari.

Partisan de la thèse propriétariste évoquée plus haut, Azihari attaque depuis longtemps la charité mal placée des États occidentaux, estimant que l’immigration souffre du paternalisme des ex-empires coloniaux.

Dans le cadre du débat actuel, l’analyste en politiques publiques appelle à une approche plus sélective fondée sur l’adhésion aux valeurs occidentales et la revendication dans la supériorité de la civilisation d’adoption, tout en critiquant les régimes autoritaires contraignant leurs ressortissants à l’exil.

 

L’impact varié de l’immigration

L’immigration touche par exemple le nombre de demandeurs d’emploi ou les capitaux envoyés par des immigrés dans leur pays d’origine.

Sur le plan social, elle touche la demande d’aides, de prise en charge santé et de logements.

Sur le plan sécuritaire, l’immigration pose la question du trafic d’êtres humains et du taux de délinquance.

Enfin, sur le plan culturel, elle interroge la capacité d’assimilation des sociétés humaines et occidentales en particulier. Cette question est particulièrement présente en France, ancienne puissance coloniale et nation composite fondée sur le consentement, et non sur une ethnie.

Dans cette recherche d’équilibre culturel, Ferghane Azihari estime que la peur de l’immigration révèle un manque de confiance des nations occidentales dans leur modèle. Il appelle ainsi à reprendre en main la défense du modèle français dans l’accueil des migrants.

 

Un marqueur du clivage

La question migratoire reste aujourd’hui un marqueur du clivage gauche-droite. La gauche l’envisage comme la conséquence d’une oppression des populations immigrées, et souhaite ratifier la présence des immigrés par la régularisation. De son côté, la droite l’envisage comme une menace pour l’équilibre social et culturel de la société française, et souhaite la restreindre.

Cette dichotomie se retrouve dans la position des différentes formations politiques sur le projet de loi qui nous intéresse ici.

L’agonisante NUPES considère ainsi le texte comme un acharnement envers les migrants avec l’approbation de la droite et de l’extrême droite, et appelle à garantir le droit d’asile des lanceurs d’alerte.

Au centre, sans surprise, on refuse de toucher au texte de l’exécutif tout en ne fermant par la porte aux propositions de la droite, et en particulier le contrôle à 360 degrés des demandes de titres de séjour et l’ouverture des prestations sociales à partir de cinq ans de résidence sur le territoire.

La droite, justement, ne l’entend pas de cette oreille. Bien avant le durcissement sénatorial, LR a proposé un contre-projet introduisant des demandes d’asile dans les ambassades et consulats français dans les pays d’origine et l’accélération des procédures d’instruction administrative.

Ce contre-projet se veut être un compromis entre les positions du gouvernement et celles du RN, qui demande une remise à plat des règles du droit d’asile depuis l’attaque d’Annecy le 8 juin dernier.

 

Un avenir incertain

Dans ce contexte, l’avenir de la législation française reste incertain. La mouture votée par le Sénat et qui sera discutée à l’Assemblée nationale depuis décembre devrait entraîner le rejet des propositions les plus dures introduites mardi par les sénateurs LR.

L’immigration est un sujet dont la complexité tranche avec les positions simplistes qu’on entend généralement. Cette complexité devrait se renforcer avec l’émergence d’une immigration climatique dans les prochaines décennies. Une nouvelle preuve qu’on ne luttera pas contre l’immigration par une simple affaire de frontières.

Connaissez vous Jean-Baptiste Say, ce géant de l’économie ?

Par Damien Theillier
Un article de l’Institut Coppet

J-B Say, domaine public.
J-B Say, domaine public.

Jean-Baptiste Say est né à Lyon en 1767. Il est issu d’une vieille famille protestante du sud de la France, qui s’est installée à Genève puis à Paris. À l’âge de quinze ans, au plus fort de la Révolution française, il est fortement influencé par l’autobiographie de Benjamin Franklin, ses principes d’économie, d’éducation et de vie morale. Il passe également deux ans à Londres, où il apprend l’anglais et lit La Richesse des nations d’Adam Smith.

Comme rédacteur en chef de la revue des IdéologuesLa Décade philosophique, littéraire et politique, il écrit des articles sur la philosophie sociale, puis l’économie politique de 1794 à 1799. En 1799 il est nommé au Tribunat, où il siège au Comité des finances. Cependant Napoléon, souhaitant mener une politique protectionniste axée sur la guerre, l’évince du Tribunat en 1806, après la publication du Traité d’économie politique qui critique sa politique. Say va saisir cette opportunité pour se lancer dans les affaires. Il monte une entreprise de filature et se retrouve bientôt à la tête de 400 salariés.

Malgré l’interdiction de Napoléon, le Traité va connaître quatre éditions du vivant de Say. Thomas Jefferson le lit dans une traduction en anglais en 1821. Il écrit alors que le livre de Say est « plus court, plus clair et plus sain » que La Richesse des nations. Jefferson propose même à Say de venir enseigner à l’Université de Virginie, mais celui-ci refuse, préférant vivre à Paris. L’édition anglaise du Traité restera le manuel d’économie le plus populaire aux États-Unis, jusqu’à ce qu’il soit remplacé par celui de John Stuart Mill suite à la Guerre de Sécession.

En 1819, cherchant à diffuser sa pensée, Say inaugure le premier enseignement d’économie politique en France au Conservatoire des arts et métiers où il est nommé professeur. Il participe la même année à la fondation de l’École spéciale de commerce et d’industrie, aujourd’hui l’ESCP-Europe. Il est nommé en 1830, professeur d’Économie politique au Collège de France, chaire qui est créée pour lui.

Il correspond régulièrement avec Thomas Malthus et David Ricardo, qu’il considère comme des amis proches, mais reste en désaccord avec eux sur des questions fondamentales. Il meurt à Paris le 14 novembre 1832 à l’âge de soixante-cinq ans et est enterré au Père Lachaise. Son petit-fils Léon Say, auteur du Nouveau dictionnaire d’économie politique, sera élu à l’Académie des sciences morales et politiques et mènera une carrière politique comme ministre des finances de la Troisième République (voir Paul-Jacques Lehmann, Léon Say ou le libéralisme assumé, Les Belles Lettres, 2010).

Say était un grand partisan du système économique de la concurrence, de la liberté naturelle et du gouvernement limité d’Adam Smith. Mais il est surtout redevable à des auteurs proches des physiocrates comme Gournay, Turgot. En outre, il fréquente assidument le cercle des Idéologues, et lit l’abbé de Condillac, qu’il qualifie lui-même d’« ingénieux ». La valeur-utilité, la productivité de l’industrie et du commerce, la distinction de l’entrepreneur et du capitaliste, du profit et de l’intérêt, tout cela se trouvait déjà chez Condillac dans Le commerce et le gouvernement considérés relativement l’un à l’autre (1776). Toutefois, le génie de Say, appuyé sur son expérience concrète des affaires, est d’avoir appliqué ces notions à la compréhension des crises.

 

La loi de Say et les crises économiques

La fameuse loi de Say ou « loi des débouchés », énoncée dans le Traité d’économie politique, est parfois exprimée à tort par la formule : « l’offre crée sa propre demande ».

En fait, c’est John Maynard Keynes qui a énoncé cette formule dans sa Théorie Générale.

Aujourd’hui, la plupart des économistes conviennent que Keynes a gravement déformé la véritable signification et les implications profondes de la loi de Say.

En effet Say ne dit jamais qu’il suffit de produire pour créer la demande :

« L’homme, dont l’industrie s’applique à donner de la valeur aux choses en leur créant un usage quelconque, ne peut espérer que cette valeur sera appréciée et payée, que là où d’autres hommes auront les moyens d’en faire l’acquisition. Ces moyens, en quoi consistent-ils ? En d’autres valeurs, d’autres produits, fruits de leur industrie, de leurs capitaux, de leurs terres : d’où il résulte, quoiqu’au premier aperçu cela semble un paradoxe, que c’est la production qui ouvre des débouchés aux produits. »

Son idée, c’est donc que les nations et les personnes profitent mutuellement de la hausse du niveau de production car elle offre des possibilités accrues de commerce mutuellement bénéfique. L’obstacle à la richesse, selon l’auteur du Traité, n’est pas la sous-consommation ou le manque de demande mais un déficit de production.

Comme le souligne Ludwig von Mises, la loi de Say est venue mettre fin au XIXe siècle aux idées fausses en économie.

La première idée fausse, c’est que l’échange serait un jeu à somme nulle, et que les uns ne pourraient s’enrichir qu’au détriment des autres. Cette idée est très présente dans la littérature et la philosophie classique, de Montaigne à Voltaire, en passant par La Fontaine. Say montre au contraire que chacun a intérêt à ce que les autres soient prospères (et cela vaut aussi à l’échelle des nations).

La deuxième, l’idée qu’il y aurait des crises de surproduction globale est également fausse. La loi de Say, nous dit Mises, a permis de distinguer les économistes des charlatans. La croyance de l’époque était que les périodes récurrentes de crises étaient dues à une pénurie de monnaie et à une surproduction générale. Mises écrit : « Adam Smith, dans un passage célèbre de La Richesse des nations avait démoli le premier de ces mythes. Say s’était surtout consacré à une réfutation du second. » (In Lord Keynes and Law’s Say, The Freeman, 1950).

En effet, selon Say, une crise de surproduction globale est impossible, car si une branche de l’industrie produit plus qu’elle ne l’aurait dû, cela profitera au reste de l’économie. Sans doute des crises sectorielles sont possibles. Mais pour prévenir et pour réduire de tels déséquilibres il faut intensifier et diversifier au maximum la production au lieu de la diminuer.

Quelles leçons peut-on en tirer pour aujourd’hui ?

D’abord qu’il faut s’abstenir de toute intervention politique. Pour Jean-Baptiste Say :

« L’équilibre ne cesserait d’exister si les moyens de production étaient toujours laissés à leur entière liberté. »

La réduction des impôts et des réglementations est donc la seule politique économique favorable à la croissance. Ensuite, il faut laisser aux entrepreneurs le fait de rétablir la situation en changeant leur production pour l’adapter au marché. Cela signifie que l’innovation est une des lois fondamentales de l’économie.

 

Le voile de la monnaie

Selon notre auteur, le pouvoir d’achat est la rémunération de la fabrication d’un produit : les salaires des ouvriers et des employés, les rémunérations des cadres et des dirigeants, les profits du capitaliste…

C’est avec ce pouvoir d’achat que l’on peut acheter d’autres produits. Au fond, le boulanger n’achète pas sa viande avec de l’argent, mais avec du pain.

Ainsi, écrit Say :

« Dans les lieux qui produisent beaucoup, se crée la substance avec laquelle seule on achète : je veux dire la valeur. L’argent ne remplit qu’un office passager dans ce double échange ; et, les échanges terminés, il se trouve toujours qu’on a payé des produits avec des produits. Il est bon de remarquer qu’un produit terminé offre, dès cet instant, un débouché à d’autres produits pour tout le montant de sa valeur. »

Mises explique :

« Ce n’est pas contre de la monnaie mais en fin de compte contre d’autres biens que s’échangent les biens, nous fait savoir Jean-Baptiste Say : la monnaie n’est que le moyen d’échange communément utilisé, elle ne joue qu’un rôle d’intermédiaire ; ce que le vendeur veut finalement obtenir en échange de biens vendus, ce sont d’autres biens ; tout bien produit est donc en lui-même un prix, pour ainsi dire, en terme des autres biens produits. C’est pourquoi la situation du producteur d’un bien quelconque se trouve effectivement améliorée par tout accroissement de la production des autres biens. Ce qui porte tort aux intérêts du producteur d’un article déterminé, c’est de ne pas avoir correctement prévu la situation à venir du marché. »

Dès lors, les auteurs et politiciens keynésiens qui accusent de tous les maux la prétendue pénurie de monnaie, et proposent l’inflation (au sens de l’augmentation de la masse monétaire) comme panacée, n’ont pas compris la leçon de Say. En réalité, ni la consommation (la dépense monétaire), ni la politique monétaire (l’inflation) ne constituent un moteur pour la croissance.

Say se range clairement du côté d’Adam Smith sur ce point, le moteur de la croissance, c’est la division du travail, la production et l’épargne.

 

L’analyse libérale de la lutte des classes

D’après Say, les différentes tâches réalisées par l’entrepreneur industriel ne permettent plus de le considérer comme un parasite. Au contraire l’entrepreneur est aussi un producteur.

En effet, pour Say, les services fournis sur le marché sont des « biens immatériels » productifs, c’est-à-dire utiles. On ne produit jamais que de l’utilité, et donc tous les produits sont immatériels en tant que produits. Say a souligné le rôle essentiel joué par l’entrepreneur dans l’activité économique et la création de biens « immatériels », tels que les services, le capital humain et les institutions, nécessaires à la création de la richesse. C’est pourquoi le profit perçu par l’entrepreneur rémunère ce dernier pour les tâches ainsi accomplies et les risques encourus. Selon ce point de vue, il y a de nombreux contributeurs à l’industrie : les propriétaires d’usines, les entrepreneurs, les ingénieurs et les techniciens, mais aussi les enseignants, les scientifiques et les intellectuels.

Mais les germes d’une théorie libérale des classes se trouvent dans la deuxième édition du Traité d’Économie Politique (publié d’abord en 1803).

L’auteur écrit :

« Les énormes récompenses et les avantages qui sont généralement liés à l’emploi public avivent grandement l’ambition et la cupidité. Ils créent une lutte violente entre ceux qui possèdent des postes et ceux qui en souhaitent. »

Et il écrit encore :

« Entre les mains d’un gouvernement, une grosse somme fait naître de fâcheuses tentations. Le public profite rarement, je n’ose pas dire jamais, d’un trésor dont il a fait les frais : car toute valeur, et par conséquent toute richesse vient originairement de lui. »

La doctrine de Jean-Baptiste Say a directement inspiré le mouvement dit des industrialistes.

Charles Comte (gendre de Say), Charles Dunoyer et Augustin Thierry, vont développer une analyse de type historique et sociale : entre ceux qui entreprennent, quel que soit le secteur d’activité auquel ils appartiennent, et de l’autre, ceux qui détiennent le pouvoir et les privilèges – c’est-à-dire l’État et les classes privilégiées qui lui sont liées, il existe une opposition irréductible. Ils posent l’existence d’un collectif élargi « d’industriels » (au sens de Say) qui luttent face à ceux qui veulent faire obstacle à leur activité ou qui en vivent de façon improductive par des rentes.

Un autre disciple de Jean-Baptiste Say, Adolphe Blanqui, qui lui succéda à la chaire d’économie politique au Conservatoire des arts et métiers, écrit dans ce qui est probablement la première histoire de la pensée économique publiée en 1837 :

« Dans toutes les révolutions, il n’y a jamais eu que deux partis en présence : celui des gens qui veulent vivre de leur travail et celui des gens qui veulent vivre du travail d’autrui… Patriciens et plébéiens, esclaves et affranchis, guelfes et gibelins, roses rouges et roses blanches, cavaliers et têtes rondes, libéraux et serviles, ne sont que des variétés de la même espèce. » (Adolphe Blanqui, Histoire de l’Économie politique en Europe depuis les anciens jusqu’à nos jours, 1837, vol. 1, p. x.).

En bref, l’histoire de toutes les civilisations est celle du combat entre ceux qui produisent les richesses et ceux qui les spolient, et non entre les riches et les pauvres, comme le pensera Marx un peu plus tard. Dans l’histoire, ceux qui consomment les richesses produites par les autres sont les véritables prédateurs de l’ordre social : ils forment des entraves à l’industrie, dévaluent la monnaie et confisquent ainsi l’épargne des citoyens. Puis, pour augmenter ses effectifs et donc ses revenus, la classe politique et bureaucratique étend ses activités tous azimuts : au nom du bien commun, elle commence à s’occuper de l’éducation, de la santé, puis de la vie intellectuelle et des mœurs.

En conclusion, Jean-Baptiste Say apparaît comme un précurseur sur de nombreux points.

Il a été l’un des premiers à mettre l’accent sur l’action humaine comme clé de la science économique, anticipant ainsi les travaux de l’école autrichienne. Face aux crises, c’est la créativité, c’est-à-dire la capacité des entrepreneurs à ré-allouer les ressources vers des secteurs plus porteurs qui permet d’envisager une sortie. Et s’il fallait retenir une ultime leçon de l’œuvre du génial français, c’est aussi celle-ci : l’entrepreneur est le meilleur ami du pauvre.

À lire :

  • Jean-Baptiste Say, Traité d’économie politique (1803)
  • G.Minart, Jean-Baptiste Say, Maître et pédagogue de l’École française d’économie politique libérale, 2005, Éditions Charles Coquelin

Sur le web

Islam et immigration : un reniement libéral ?

Pour lire un point de vue différent sur la question, lire l’article d’Yves Montenay : Islam et République : une cohabitation impossible ?

Les libéraux défendent la liberté, et ne devraient donc pas vouloir limiter l’immigration. Or, ce n’est pas ce qu’on observe dans la presse ou au Parlement : la crainte des conflits communautaires et du terrorisme passe avant ce principe fondateur.

La question est plus que jamais d’actualité, d’une part à l’occasion de l’examen du projet de loi sur l’immigration, d’autre part du fait de conflits communautaires, le plus récent et le plus aigu étant celui de Gaza.

Pourquoi cette contradiction ?

 

Le cas des musulmans

Je serai direct : une des contradictions entre les principes et l’attitude de nombreux libéraux en pratique est la crainte d’une forte immigration musulmane, surtout si elle est arabe ou subsaharienne, immigration qui pourrait implanter en France des valeurs non libérales, notamment en arguant que « les lois de Dieu sont supérieures aux lois françaises ».

Or, contrairement à une idée répandue aussi bien chez les musulmans que les non musulmans, il est du devoir de tout musulman de respecter les lois locales. Mahomet, qui, dans la version officielle de l’islam, était un chef de guerre et un chef d’État n’aurait pas plaisanté avec ça.

Cette obligation de respecter les lois locales est régulièrement rappelée par les lettrés, notamment à l’occasion de la consultation demandée par Nicolas Sarkozy à un dirigeant de l’université El Azhar du Caire : un musulman mécontent des lois locales doit les respecter ou émigrer vers un pays lui convenant mieux. Ce n’est bien sûr pas ce qui est prêché dans certaines mosquées, et on voit là un premier problème de notre fonctionnement démocratique…

J’en profite pour rappeler que les musulmans sont plutôt économiquement libéraux, Mahomet ayant également été un commerçant.

Cette attitude des croyants ne doit pas être confondue avec celle des autocrates qui les dirigent souvent, et qui ont tendance à abuser de leur pouvoir pour régir l’économie, avec souvent un vague marxisme comme caution intellectuelle.

C’est d’une part l’air du temps et résulte d’autre part de l’influence de pays alliés, ou de ceux où leurs dirigeants ont fait leurs études, c’est-à-dire souvent l’URSS pour les générations précédentes, la Chine prenant aujourd’hui le relais.

Ajoutons qu’une partie des universités occidentales diffuse les mêmes erreurs.

 

Le rejet de l’immigration par tous, libéraux compris

Le primat de la liberté individuelle devrait mener les libéraux, et notamment le parti Les Républicains supposé incarner les idées libérales, à une grande ouverture à l’immigration.

Or ce n’est pas le cas. En particulier Les Républicains rejette l’article 3 du projet de loi sur l’immigration en débat au Parlement, qui pourrait permettre la régularisation automatique des parsonnes sans-papiers ayant un travail régulier depuis plusieurs années dans les métiers en tension (les modalités ne sont pas encore fixées).

Dans tous les pays, je constate aujourd’hui que l’opinion publique est majoritairement hostile à l’immigration, même pour ceux dont c’est la tradition ancienne, comme les États-Unis ou l’Australie. Dans les démocraties, le souci électoral mène donc les partis politiques à s’opposer à l’immigration… sauf ceux qui, comme La France Insoumise, estiment y trouver un réservoir de voix.

Les politiques favorables à l’immigration sont venues plutôt de gouvernants, et non des peuples, ayant eu à « remplir un pays vide » comme les États-Unis, le Canada, l’Australie… ou pour résoudre une question précise : le roi de Prusse attirant les Huguenots français expulsés par Louis XIV pour développer Berlin, les Tsars peuplant les campagnes russes de la Volga par des colons allemands, le recrutement d’artilleurs souvent français par l’Empire Ottoman…

En France, les gouvernants, conscients de la faiblesse de la fécondité française, ont encouragé plusieurs vagues d’immigration depuis plus d’un siècle.

Ces vagues ont suscité alors de violentes oppositions populaires, qu’on ne comprend plus aujourd’hui : comment avons-nous pu avoir des réactions si hostiles face à l’immigration italienne, espagnole, polonaise, juive, roumaine… dont les descendants sont aujourd’hui bien assimilés, alors qu’on se lamente de l’immigration musulmane ou subsaharienne ?

Il suffit de se rapporter à la presse de l’époque pour voir que ces immigrants étaient jugés inassimilables pour toutes sortes de « raisons évidentes », notamment leur forte foi religieuse jugée archaïque, brutale, et contraire à la laïcité. Bref, les arguments qui sont repris aujourd’hui à l’encontre des musulmans.

Cela illustre mon propos sur la confusion entre assimilation et intégration : aucun migrant ne s’assimile, même le plus francophone des Vietnamiens catholiques : ce sont les enfants ou petits-enfants qui sont assimilés.

Par contre, l’intégration, c’est-à-dire la participation au fonctionnement de la société, est souvent plus rapide, même si on reste psychologiquement étranger. La confusion entre ces deux notions complique énormément toute discussion sur l’immigration.

Une véritable vague de panique se répand dans les milieux libéraux, engendrant des articles anxiogènes, ce qui me paraît être un cercle vicieux dramatique. Pour ne pas me disputer avec des amis, je ne vais pas citer ce qui me paraît être des dérapages contre-productifs, car poussant aux conflits qu’ils proclament vouloir éviter.

Il y a bien sûr deux raisons à cette panique : les communautarisations réciproques et le terrorisme. Ce sont des problèmes extrêmement importants, mais qui ne doivent pas être analysés au détriment des fondements du libéralisme.

Commençons par l’un de ces fondements : la priorité de l’individu sur le groupe.

 

Identité nationale, communautarisme et démagogie

La notion de communautarisme est ressentie négativement par les libéraux puisqu’elle traite un individu non pas en tant que tel, mais en tant que membre d’une communauté. Par contre, l’identité nationale ressentie individuellement est considérée du domaine de la liberté des idées.

On peut élargir cette notion d’identité à la religion, dans un contexte de tolérance bien sûr : l’identité religieuse a longtemps été profonde chez les chrétiens, et l’est encore pour une partie d’entre eux, notamment en Afrique ou chez les orthodoxes. Elle reste encore très profonde aujourd’hui pour une partie des juifs et des musulmans.

On voit que la contradiction n’est pas loin : une identité nationale ou religieuse commune a souvent le communautarisme comme conséquence. En pratique, et surtout chez les démagogues, pour avoir les voix des uns, il faut stigmatiser le communautarisme chez les autres… tout en le flattant chez les électeurs que l’on recherche.

Évidemment, les autres ne sont pas les mêmes d’un parti politique à l’autre. Pour certains, ces autres sont par exemple les musulmans ou les Noirs, pour d’autres ce seront les anciens colonialistes, les racistes, voire, chez certains wokes, les Blancs en général.

Beaucoup de libéraux n’échappent pas à certaines de ces contradictions, Et j’entends des convaincus évoquer « des terroristes déguisés en réfugiés », ou « des envahisseurs » pour l’arrivée à Lampedusa de rescapés du passage de la mer Méditerranée.

On est loin des considérations individuelles qui devraient être celles des libéraux : par exemple, tel passager repêché est, non pas un Noir ou un musulman, mais un individu.

C’est par exemple une Sénégalaise soufie, d’un niveau scolaire moyen, fuyant une société patriarcale. Elle a risqué sa vie après avoir en général subi plusieurs viols, parce qu’elle n’entrait pas dans une des cases administratives fixées par la loi française (être étudiant, rejoindre une famille, exercer un emploi d’au moins 2400 euros par mois) ou parce qu’elle était excédée des lenteurs, voire des brimades des employés des consulats.

C’est bien sûr un tort de ne pas suivre la voie légale, mais ça n’en fait pas pour autant une terroriste ou un envahisseur.

En tant que libéral, je pense que l’idéal serait un traitement individuel et non administratif, par exemple par un employeur potentiel.

Au passage, attention à la caricature « des immigrés bac – 5 » qui ne correspond pas en pratique au migrant-type. Les arrivants sont soit de formation supérieure, et arrivent par les voies légales, soit issus de la classe moyenne suffisamment riche pour payer des passeurs, et ayant donc en général un niveau scolaire convenable.

Et l’immigration illégale n’est probablement  « que » de dizaines de milliers de personnes par an, à comparer à une immigration légale de 200 à 300 000 personnes.

Cela par ailleurs relativise la notion de remplacement. Même en tenant compte d’une émigration de souche importante, mais non chiffrable, nous sommes plutôt dans le domaine d’un remplacement très progressif, de plus d’un siècle sur la base des tendances actuelles.

Et remplacement par qui ? Non pas par un bloc hostile, mais par des individus extrêmement variés, et très désunis même, s’agissant de la partie musulmane de l’immigration. D’autant que l’on qualifie de musulmans les originaires de pays où cette religion est officielle, alors que seule une partie l’est vraiment, et une partie de leurs descendants encore moins.

Nous sommes loin des articles alarmistes qui se multiplient.

 

La sécurité individuelle et nationale

Les libéraux, comme la majorité de la population, sont évidemment très sensibles à la sécurité individuelle et nationale, surtout lorsque des attentats ont lieu en France, ou lorsqu’ils sont particulièrement cruels, comme en Israël le 7 octobre dernier (il ne s’agit pas ici de discuter du conflit actuel, mais de rappeler un fait brut).

Et le pouvoir craint évidemment une radicalisation en faveur de chaque camp et la méfiance, voire les violences, qui pourraient s’ensuivre, alors que les juifs de France ne sont pas plus responsables des actes du gouvernement d’extrême droite israélien que les musulmans de France ne le sont des actes du Hamas.

Mais la question ici est le lien avec l’immigration. Certes la plupart (mais pas tous) des terroristes sont de la « première » ou de la « deuxième » génération». Mais faut-il « tuer tous les rouquins, parce que l’un d’entre eux a commis un attentat ? ».

La sécurité individuelle et nationale est une mission de l’État, même pour la majorité des libéraux.

Plutôt que de l’immigration, nous sommes victimes de notre tolérance démocratique dont certaines modalités sont peut-être à revoir, et de la pression anti-police d’une partie très minoritaire, mais médiatiquement puissante de la population.

Rappelons que la plupart des États, musulmans compris, sont vigoureusement anti islamistes. La répression de ces derniers est tellement forte que certains demandent même le statut de réfugiés en France : nos lois démocratiques postulent effectivement qu’est réfugié toute personne dont la vie est menacée dans son pays, ce qui est leur cas !

Il y a probablement là aussi quelque chose à revoir…

Bref ce problème fondamental de sécurité n’est pas lié à l’immigration, mais à l’islamisme.

Je sais que je vais à l’inverse du ressenti général qui confond les deux, et je note sur des réseaux sociaux ce qui me paraît être des énormités en la matière.

Il faut revenir au fondement du libéralisme, considérer l’individu et non une catégorie ethnique ou religieuse.

 

L’analyse économique… et morale

Comme tout bon libéral, je pense que la morale et l’économie sont liées. Je suis bien conscient que cette idée est minoritaire en France. Le démontrer n’est pas l’objet de cet article, et je me borne à renvoyer à une comparaison avec les autres régimes.

Cela me semble particulièrement vrai pour le fameux article 3 du projet de loi sur l’immigration dont l’objet est de régulariser les personnes sans-papiers travaillant dans des métiers en tension.

L’objectif économique est évident, mais l’objectif moral aussi : qui travaille, par exemple, depuis plus de cinq ans dans une entreprise à la satisfaction de l’employeur n’est a priori pas un voyou.

Les Républicains, parti en principe libéral, craint « un appel d’air » si cet article est adopté. Mais quel appel d’air ? Si cela attire des gens qui pensent travailler à la satisfaction générale pendant cinq ans, c’est plutôt un appel d’air positif.

De toute façon, cette nécessité est tellement évidente que si, pour des raisons électoralistes, cet article est retiré de la loi, il sera remplacé par d’autres textes, ou des instructions aux préfets.

Je remarque d’ailleurs l’hypocrisie de certains gouvernements de l’Europe du Sud, notamment l’Italie, qui se font élire sur la base d’un rejet de l’immigration, mais qui l’autorisent au coup par coup à la demande des entreprises pour ne pas couler l’économie nationale.

Autre constatation économique souvent ignorée : les immigrés soi-disant chômeurs travaillent en général. Ils sont d’ailleurs venus pour ça, ayant des dettes à rembourser ou une famille à soutenir au pays.

Qu’on me permette ce témoignage : habitant près de la gare de Lyon, donc dans un quartier riche en entreprises d’intérim, j’en remarque une qui est occupée par des Subsahariens. Constatant que cette occupation dure, je m’adresse au chef du groupe qui arbore un brassard CGT : « Quel est le problème avec cette agence ? » Réponse : « Elle refuse de nous inscrire avec les papiers des copains, contrairement à ce que font les autres ».

La question ici n’est pas la légalité de la chose, mais la constatation que les soi-disant oisifs travaillent en réalité, et sont demandés par des employeurs. De même pour de nombreux employés de maison ou nounous, indispensables aux mères de famille diplômées faisant tourner l’économie.

Tout cela n’est certes pas légal, mais ce sont souvent les lois, plus que les hommes, qui sont imparfaites.

Plus généralement, on oublie que la grande majorité des actifs immigrés ou issus de l’immigration sont au travail, éventuellement au noir, ou sous une fausse identité.

Or, tenir compte de la valeur de la production de ces actifs renverserait complètement les études sur le coût de l’immigration, qu’elles soient fantaisistes comme la plupart du temps, ou plus précisément chiffrées comme celle de Jean-Paul Gourevitch (Le coût annuel de l’immigration 2022).

 

En conclusion

Rappelons qu’il ne s’agit pas ici de débattre de ce qui est bon ou mauvais en matière d’immigration, mais de voir comment cette question s’articule avec le libéralisme, et pourquoi tant de libéraux sont effrayés par leurs propres principes.

En effet, le libéralisme est pour la liberté de circulation et d’établissement, mais les libéraux ne l’appliquent pas à l’immigration :

  • d’une part du fait d’une méconnaissance de l’activité économique des migrants
  • d’autre part du fait d’une représentation de l’islam comme un bloc hostile, alors qu’on regroupe sous ce nom un éventail d’individus allant des fanatiques aux athées, et profondément divisés en nationalités, ethnies et variantes socio-religieuses
  • enfin parce qu’ils craignent que les différences culturelles ne se reproduisent au fil des générations, alors que l’histoire nous montre que ce n’est pas le cas. Les gangs des immigrations successives n’ont pas empêché les Américains de former une grande nation.

 

Ces raisons expliquent la confusion entre la question de l’immigration et celle de la sécurité personnelle et nationale. La première est complexe, la seconde fondamentale et très simple.

Mais nous y sommes mal préparés par l’inadaptation de nos procédures démocratiques, compliquées par des oppositions idéologiques internes. On peut par exemple penser aux associations qui ont retardé ou fait annuler des décisions d’expulsion d’activistes, dont certains terroristes.

Autrement dit, le vrai problème est celui de l’ordre public. Un problème fondamental certes, mais ce n’est pas celui de l’immigration.

Les convictions personnelles en la matière sont toutes respectables. Mais elles ne sont libérales que si elles donnent primauté à l’individu, et non à sa religion ou à toute définition communautariste.

Quand l’État est facteur d’incertitude

En théorie, selon notre modèle mental dominant, l’État est l’acteur qui fixe le cadre. Il est un facteur de stabilité, un réducteur d’incertitude dans un monde incertain. Pour reprendre une fameuse expression, il est le « maître des horloges ». Il est celui qui agit pour le long terme, alors que les acteurs privés, et le marché au premier chef, sont fixés sur le court terme.

Mais ça, c’est la théorie. En pratique, il en va tout autrement. Aujourd’hui, l’État est devenu un facteur d’incertitude à part entière. Et c’est un véritable problème.

 

L’inconséquence des décisions étatiques

La lecture de Dans la machine de l’État est édifiante. Son auteur, Emmanuel Constantin, ancien conseiller au ministère du Logement, évoque les conditions dans lesquelles la Loi Climat et résilience de 2021 a été préparée et votée, et notamment l’interdiction à la location les logements de classe énergétique E à partir de 2034 (les fameuses passoires thermiques).

Il écrit :

« Le choix de l’échéance de 2034 n’a néanmoins pas fait l’objet d’un seul débat ou d’une seule question, ni même d’une seule étude d’impact. Pire, seulement fondée sur les calculs de coin de table du cabinet, la décision des ministres sur ce point n’a pas occupé plus de dix minutes de conversation. Ces échéances impliquent pourtant la rénovation de plus de deux millions de logements supplémentaires d’ici à dix ans, et embarquent des pans entiers du logement social ou des copropriétés des centres-villes anciens. »

La vie de millions de Français et le fonctionnement de toute une industrie sont bouleversés par un choix fait sans aucune concertation, aucune étude d’impact, et au final aucune vraie raison.

Pourquoi 2034 ? Pourquoi pas 2038 ou 2031 ? Nul ne le sait. Sur un coin de table !

Mais ce n’est pas ce mode décision totalement aberrant qui est le problème le plus grave. Le plus grave, c’est que lorsqu’une décision est prise ainsi, avec des conséquences dont beaucoup sont totalement imprévisibles, il est extrêmement probable qu’il faudra revenir en arrière, modifier la loi, probablement en catastrophe, ce qui est la pire des choses.

D’acteur de long terme, l’État se retrouve, par l’inanité de son processus de décision, à multiplier les changements de cap, un coup en arrière, un coup en avant, devenant totalement illisible pour les acteurs concernés. Qui peut planifier quoi que ce soit dans ces conditions ? Que ce soit un ménage souhaitant acheter un appartement ou en mettre un en location, ou un promoteur devant décider une mise en chantier, ou une commune devant organiser son urbanisme, plus personne ne peut sereinement agir. Car le vilain petit secret du logement est que le gouvernement sait pertinemment qu’il faudra revenir en arrière. Et tout le monde sait qu’il le sait. Donc nous avons un jeu de poker menteur où on attend les premières catastrophes pour réagir. État stratège ? Et si c’était plutôt État pompier pyromane ?

On pourrait ainsi multiplier les exemples.

La sortie du nucléaire décidée pour de simples calculs électoraux sans aucune étude d’impact, la centrale nucléaire de Fessenheim fermée sur un coup de tête après une rénovation extrêmement coûteuse. La Cour des comptes observait d’ailleurs que cette fermeture avait été caractérisée par un processus de décision chaotique. Chaotique en effet.

Puis en 2022, virage à 180° et le nucléaire est relancé, et c’est tout une filière, lentement détruite pendant vingt ans, qui doit soudainement se reconstruire.

 

État stratège ?… Soyons sérieux

Et la liste peut continuer :

  • le projet de facture électronique qui mobilise les acteurs de l’économie depuis des mois subitement reporté ;
  • les collectivités territoriales soumises à des changements brusques des règles de financement par l’État, et qui ne peuvent plus faire de véritable budget sans avoir à tout refaire en catastrophe ;
  • la notice thermique des écoles qui comporte 1800 pages ;
  • le nombre de pages du Code du travail qui a doublé (ou triplé selon les critères de comptage) en 25 ans.

 

Or ce que nous a appris la sociologie, c’est que plus il y a de règles, plus elles se contredisent, donc moins elles sont applicables, et donc plus l’acteur soumis à ces règles est dans l’incertitude de la réaction de celui qui est en charge de les faire respecter, c’est-à-dire l’État, qui lui-même ne sait plus ce qu’il veut. Bien fol qui s’y fie.

 

Pourquoi l’État est-il devenu facteur d’incertitude ?

Cela tient beaucoup à la façon dont il fonctionne.

Contrairement à ce que l’on croit, et au modèle mental prévalent selon lequel l’État est un acteur de long terme, la réalité de son fonctionnement est tout autre. Comme me le rappelait récemment un haut fonctionnaire, la durée de vie d’un ministre est de deux ans environ : six mois au minimum pour prendre en main son ministère, et parfois beaucoup plus pour un néophyte, et déjà la perspective de s’en aller ou de prendre un autre ministère au gré des remaniements. Bruno Le Maire, ministre des Finances depuis 2017 fait figure d’exception rarissime dans le paysage français.

Mais plus généralement, c’est dû à la dissipation des idéologies : les gouvernements n’ont plus de boussole théorique ou philosophique ; ils évoluent au gré du temps, réagissant aux à-coups de l’opinion publique, l’œil rivé sur les sondages. Au lieu de fixer le cadre, l’État se mêle de régler directement les problèmes, dans une dérive du micro-management qui ne fait que refléter la vacuité de son management général. État stratège ? Soyons sérieux. La moindre boulangerie de province est plus stratège que cela.

Il ne s’agit pas de souhaiter que l’État supprime l’incertitude du monde.

À part quelques utopistes, nous savons bien que l’incertitude est irréductible, et personne ne souhaite vraiment essayer de construire un monde dans lequel l’État assurerait une stabilité totale. Mais précisément, dans un monde aussi incertain, l’État a un rôle important à jouer de stabilité. Il est important qu’il revienne à son rôle de fixateur du cadre, et que ce cadre soit stable. Qu’il y ait des changements, parce que le monde change de façon imprévisible, c’est dans l’ordre des choses. Mais la remise à plat de ses processus de décision s’impose avec urgence. Il n’est pas normal que des décisions ayant autant d’impact sur la vie des citoyens soient prises de façon aussi légère et que l’inconséquence règne à ce point.

Quelle est la probabilité qu’une telle remise à plat se fasse ? Sans doute très faible tant remettre en cause l’État est tabou en France, même si on souhaite en améliorer le fonctionnement. Sans doute faudra-t-il attendre une crise majeure. L’horizon extrêmement sombre sur de nombreux plans rend celle-ci de plus en plus probable. Attachez vos ceintures.

Sur le web.

Valérie Louwagie (LR) : « Nous proposons de réduire les impôts de 10,8 milliards d’euros »

Véronique Louwagie est députée Les Républicains de la deuxième circonscription de l’Orne, Vice-présidente de la Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, et responsable des questions budgétaires dans le « shadow cabinet » de LR. 

Les Républicains a publié le mardi 17 octobre 2023 un contre-budget afin « de présenter une vision alternative de ce que devraient être les orientations budgétaires de notre pays ». Véronique Louwagie, qui a participé son élaboration, a accepté de répondre aux questions de Contrepoints.

 

Contrepoints : Bonjour Véronique Louwagie, votre parti Les Républicains vient de publier un contre-budget. Pouvez-vous éclairer nos lecteurs sur l’esprit général ainsi que les grands axes de ce contre-budget ?

Véronique Louwagie : Un budget, ce n’est pas seulement un exercice comptable. C’est la traduction de politiques publiques. Nous avons voulu présenter une vision alternative de ce que devraient être les orientations budgétaires de notre pays. Ce contre-budget présente un certain nombre de priorités macro-économiques de la France pour assurer la prospérité de tous, participer à une bonne gestion et à une maitrise des finances publiques qui sont des impératifs d’ordre économique et social.

 

Contrepoints : Le gouvernement a promis de réduire le déficit public. Pensez-vous qu’il sera capable de tenir cette promesse ?

Véronique Louwagie : Écoutez, selon nous, le gouvernement ne s’attaque pas sérieusement au défi de la maitrise de nos dépenses publiques, car nous sommes sur le podium en termes de prélèvements obligatoires, juste derrière le Danemark, et en matière de dépenses publiques c’est la même chose. Quant au niveau du déficit public, nous serons parmi les derniers pays à revenir en dessous de la barre des 3 % de déficit en 2027, alors que d’autres y parviennent déjà.

C’est la raison de notre contre-budget. Nous proposons de réduire le fardeau fiscal, donc de réduire les impôts, les prélèvements, les cotisations qui sont à la charge des ménages et des entreprises. Nous proposons également de réduire les dépenses publiques, et donc le déficit. Et c’est vrai, qu’aujourd’hui, au niveau du gouvernement, il n’y a aucun début de commencement de rigueur budgétaire. Ce qui est inquiétant, c’est cette incapacité chronique du gouvernement à fixer des priorités claires en matière d’économie pour les finances publiques. Pourquoi ? Parce qu’il est vrai que diminuer les dépenses publiques, c’est compliqué ! Preuve en est, en juin dernier, la Première ministre a adressé des lettres de cadrage à l’ensemble des ministres en demandant une réduction des crédits budgétaires hors masse salariales de 5 % pour préparer le PLF 2024, et tout ça a explosé en vol, car à l’arrivée il n’y a rien de tout cela.

Également, le ministre de l’Économie Bruno Le Maire avait engagé le 5 janvier 2023 une revue des dépenses publiques pour s’attaquer au problème de leur efficacité, et finalement, tout cela tarde à devenir une réalité… Donc, oui, nous avons des doutes sur la capacité du gouvernement à tenir ses promesses !

Mais, à ce stade, je mets en garde le gouvernement, et je l’ai refait, d’ailleurs, hier après-midi en séance : si il ne s’attaque pas à cette question de la diminution des dépenses publiques, il ne pourra pas échapper à une augmentation des impôts, qui va encore pénaliser les Français. Donc, il est grand temps qu’il s’attaque à cette question de la dépense publique.

 

Contrepoints : Votre contre-budget propose donc une baisse de 11 milliards d’euros en 2024, soit 1% de baisse par rapport au montant de 2022. Si cette baisse est louable, n’est-ce pas une goutte d’eau dans un océan d’imposition ? Ne faudrait-il pas être plus ambitieux et proposer un changement total de paradigme pour sortir de l’État providence ?

Véronique Louwagie : Vous avez raison. Il y a une limite dans l’exercice d’un contre-budget. Outre l’exercice comptable, un budget traduit le résultat de politiques publiques avec des effets à court, moyen et long terme. Nous, nous ne sommes pas aux manettes, donc nous ne faisons qu’une photographie partielle de ce qui pourrait être.

Nous proposons de réduire les impôts de 10,8 milliards d’euros, de redistribuer 2,4 milliards d’euros, et pour cela, comme nous voulons réduire le déficit, nous envisageons une réduction des dépenses publiques de 25 milliards d’euros. Cette réduction est, vous le voyez, bien au-delà de la réduction des prélèvements obligatoires et participe ainsi à diminuer le déficit public.

Ce que nous voulons en priorité, je le redis, c’est diminuer les prélèvements obligatoires pour alléger les ménages et les entreprises, redistribuer pour que les familles et les classes moyennes en profitent, et enfin diminuer les dépenses publiques pour mieux travailler sur leur efficacité, le tout participant à diminuer le déficit.

Sur les montants, 10,8 milliards d’euros c’est déjà beaucoup ! Je rappelle qu’il y a quelques mois le gouvernement a évoqué la possibilité de diminuer les impôts de deux milliards, quand Gabriel Attal était ministre chargé des Comptes publics, et que depuis le gouvernement recule… 10,8 milliards, c’est quand même autre chose.

 

Contrepoints : Vous proposez de réduire les prélèvements obligatoires pour « redonner de l’oxygène aux Français et augmenter leur pouvoir d’achat » en ramenant progressivement « le taux de prélèvements obligatoires vers la moyenne de la zone euro ». Où vont se concentrer ces baisses d’impôts ?

Véronique Louwagie : Nous avons 17 mesures d’économies, qui sont assez différentes les unes des autres. La plus importante fait 6 milliards d’euros, et la plus petite en valeur pèse 200 millions d’euros.

La plus conséquente porte sur une réforme structurelle de l’indemnisation du chômage. Il faut rappeler que les dépenses sociales représentent quasiment la moitié de nos dépenses publiques. En matière d’indemnisation du chômage, nous pensons qu’il faut aller plus loin pour se rapprocher de ce qui se fait dans les pays autour de nous. En laissant au paritarisme sa prérogative de discussion, en agissant sur la réduction de la durée maximale d’indemnisation ou l’augmentation de la durée minimale d’emploi pour avoir le droit au chômage, ce sont effectivement des économies qui pourraient aller jusqu’à 6 milliards d’euros.

Nous souhaitons également nous attaquer à certaines niches fiscales comme le crédit d’impôt recherche, qui était de 800 millions il y a une dizaine d’années, et a atteint aujourd’hui plus de 7 milliards d’euros avec une efficacité pointée du doigt par un certain nombre de rapports, comme celui de la Cour des comptes.

Nous avons aussi la volonté de faire des économies en agissant sur la politique migratoire, avec une baisse de l’Aide Médicale d’État pour 700 millions d’euros, baisser le coût des soins aux personnes qui en situation irrégulière, ou celles qui ont le statut de droit d’asile ou bénéficiant d’un titre de séjour pour 150 millions d’euros. Une réduction de l’aide au développement pour les États non coopératifs, c’est un sujet qui est évidemment au cœur de l’actualité avec les évènements au Moyen-Orient, qui permettrait d’économiser 2,5 milliards d’euros.

Enfin, nous voulons « simplifier plus, dépenser moins », mieux rationaliser l’administration, notamment en baissant le coût des opérateurs de l’État pour 2,5 milliards d’euros. Le coût de ces opérateurs a évolué de 50 milliards d’euros en 2019 à 76 milliards d’euros en 2023. 26 milliards d’euros de plus en 4 ans avec 8000 agents de plus.

 

Contrepoints : Dans le passé, votre parti s’est souvent prononcé sur la baisse du nombre de fonctionnaires, qui est, on le sait, pléthorique en France (presque 20 % des emplois). Cette question n’apparaît quasiment pas dans votre contre-budget, pourquoi ?

Véronique Louwagie : Dans le contre-budget, nous avons une mesure simple qui est de stabiliser le nombre d’emplois de l’État. Dans le projet de loi de finances pour 2024 du gouvernement, il est prévu une augmentation des effectifs de 8273 agents, laquelle hausse s’ajoute à celle de l’année passée qui était de près de 11 000 agents.

Donc dans l’immédiat, notre mesure serait une stabilisation qui économiserait 500 millions d’euros  chaque année.

 

Contrepoints : Dans le même esprit, comment Les Républicains se positionne-t-il par rapport à la retraite par capitalisation ? Le système de retraite par répartition, qui engendre de grandes inégalités générationnelles, ne devrait-il pas être remis en cause ? Ne pensez-vous pas que ce serait un moyen à la fois juste et efficace de réduire les dépenses publiques et le déficit public ?

Véronique Louwagie : Vous avez raison, c’est un sujet qui a été abordé au moment de la réforme des retraites, même si le gouvernement n’a pas adopté ce prisme. J’ai moi-même cosigné, à l’époque, une proposition de loi de mon collègue Philippe Juvin en juin 2023 qui allait dans ce sens.

Effectivement, notre système de répartition et de solidarité entre les générations, qui a été bâti après-guerre, est basé sur un équilibre démographique. Or, les derniers chiffres de natalité publiés par l’INSEE il y a quelques jours montrent à nouveau que la situation n’est plus la même qu’à l’époque. Quand en 1960 il y avait 4 actifs pour un retraité, en 2022 c’est 1,4 cotisant pour un retraité dans le privé, et 0,9 cotisant pour un retraité dans le public. Cette situation nous mène inévitablement dans une impasse.

La réforme retenue par le gouvernement, et qui a été adoptée sans être votée, a pris comme seul vecteur l’allongement de la durée de vie. Or, nous sommes quelques-uns à penser au sein des Républicains qu’il faudrait faire compléter les retraites au niveau des cotisants par des mécanismes d’épargne. Une fois que l’on a dit ça, il y a deux dispositifs : soit nous allons vers des dispositifs individuels, soit nous allons vers des dispositifs collectifs.

La proposition de Philippe Juvin allait dans le sens d’une capitalisation collective, à laquelle j’étais tout à fait favorable.

 

Contrepoints : Enfin, au-delà de la question comptable, ne pensez-vous pas que la France pèche avant tout par sa mauvaise utilisation de l’argent public ? Un moyen de réduire les dépenses publiques ne serait-il pas de travailler à améliorer l’efficacité de l’action de l’État ? Cela pourrait passer, par exemple, par une véritable décentralisation responsabilisant les différents acteurs en charge de l’action publique ?

Véronique Louwagie : Il y a deux objectifs : mieux servir nos citoyens et avoir une utilisation optimale de l’argent public.

D’abord, aucune nouvelle dépense ne devrait pouvoir être engagée sans aborder la question de son financement. Quand j’entends le président de la République faire un certain nombre d’annonces ces derniers mois sur la revalorisation des enseignants, le lycée professionnel, le plan vélo etc. sans jamais poser la question du financement, je trouve cela relativement inquiétant.

Ensuite, il faut à chaque fois mesurer l’efficacité des dépenses publiques. Je regrette que le gouvernement ne se soit pas engagé dans cette revue intégrale, méthodique et précise de l’efficacité des dépenses publiques. À budget comparable, voire parfois même supérieur, la France est un mauvais élève. On fait moins bien à l’école, à l’hôpital…

Enfin, il faut engager une réforme de l’État avec une vraie décentralisation, et un grand plan de sobriété administrative, c’est indispensable ! Les données 2021 de l’OCDE indique que la France a un coût de production des services publics de 27,9 % du PIB, quand la moyenne des pays européens est à 25 %. Or, cet écart de 2,8 points, ce sont 70 milliards d’euros, soit la moitié de notre déficit !

Donc vous avez raison, il faut engager à la fois un grand plan de sobriété administrative, et également une vraie décentralisation pour simplifier.

Un entretien mené par Baptiste Gauthey, rédacteur en chef de Contrepoints.

Loi sur les frais de port des livres : la réglementation jusqu’à l’absurde

Lorsqu’il s’agit de légiférer sur Internet, on ne peut pas dire que le législateur soit à court d’idées…

Il ne se passe pas une semaine – je caricature à peine – sans qu’une loi nationale ou européenne viennent « contraindre » tel ou tel secteur, quand ce ne sont pas les usagers qui sont ciblés, voire les deux. Si nul n’est censé ignorer les lois, il devient de plus en plus complexe pour les acteurs concernés d’être certains de pouvoir les respecter à la lettre tant leur multiplication est incessante, et ce d’autant plus que ces lois sont souvent à géométrie variable selon la taille des structures, alors que celles-ci ne disposent pas toutes d’une armada d’avocats pour être certains de rester dans les clous.

L’interventionnisme de l’État est en tous les cas permanent.

 

L’étrange et controversée loi Darcos

Voilà donc une énième réglementation qui concerne les livres neufs, et plus particulièrement leurs frais de livraison.

Pour ceux qui auraient la mémoire courte, lors de la crise liée au covid, ils ont été considérés par ces mêmes « sauveurs » du secteur comme des « produits non essentiels ».

Ainsi, par on ne sait quel miracle, les livres sont redevenus essentiels.

À partir du 7 octobre prochain, la proposition de loi de Laure Darcos, et promulguée avec un large consensus parlementaire le 30 décembre 2021 « verra l’une de ses principales mesures entrer en vigueur » : toute commande de livres inférieure à 35 euros donnera lieu à la facturation des frais de port, à un tarif minimal de 3 euros. Passé 35 euros, l’expédition à un centime popularisée par Amazon pourra être appliquée.

 

L’enfer est toujours pavé de bonnes intentions, il n’en demeure pas moins l’enfer !

L’objectif principal et affiché de cette loi – selon le législateur – serait de « rétablir une plus juste concurrence entre les différents vendeurs de livres ».

Bref, de cibler les plateformes…

Si l’intention est louable (comme toujours), le législateur semble avoir oublié que les libraires indépendants seront impactés comme tous les autres libraires qui, eux aussi, vendent en ligne… Il est difficile de comprendre que le législateur n’ait pas intégré qu’il n’existe pas que des personnes vivant dans les centres-villes… et sans librairie de proximité…

Il est dès lors difficile de comprendre la logique, si ce n’est une fois de plus une loi pour rien, et contre-intuitive !

Loin de leur venir en appui, cette loi va potentiellement nuire aux librairies. De nombreuses voix se sont élevées alors pour tenter d’expliquer les effets contre-intuitifs.

Ainsi, dans un avis circonstancié – avec les conséquences que cela impliquait – en février 2023 la Commission européenne avait estimé – entre autres – le tarif minimal pour les frais de port comme « une restriction de la libre circulation des services », ajoutant que :

« La mise en place de frais minimaux de livraison de 3 euros, à ajouter au prix moyen des livres vendus en France, devrait entraîner une augmentation significative du prix final que les détaillants, y compris ceux qui constituent des prestataires de services de la société de l’information, seront en mesure d’offrir aux consommateurs potentiels ».

Elle explicite, avec force arguments, en quoi cette loi serait préjudiciable aux libraires. En juin 2023, c’était au tour d’Amazon de déposer plainte pour excès de pouvoir devant le Conseil d’État « afin de contester la mesure relative aux frais d’envoi des livres achetés en ligne. »

Outre la Commission européenne, outre Amazon, Géraldine Bannier (MoDem), la rapporteure de la loi, elle-même en pointait tous les écueils :

  • « Il est […] possible que cette mesure conduise à des ventes moindres ou à des reports vers d’autres marchés : peu probable sans doute vers le livre numérique, mais plus probable vers le livre d’occasion ou d’autres biens culturels, d’autres loisirs, qui ne financeront pas, hélas, les auteurs ni les éditeurs à un niveau équivalent »
  • Les habitants des territoires ruraux pourraient par ailleurs voir leur accès aux livres rendu plus complexe, et plus coûteux, tout comme les jeunes et les étudiants. Pour éviter un impact trop délétère, Géraldine Bannier propose « la mise en place d’un dépôt gratuit de livres dans une maison France Service, par exemple », afin de réduire les coûts d’expédition.

 

Enfin, la rapporteure reconnaît que la « disposition sera probablement contournée d’une manière ou d’une autre » par les gros opérateurs, notamment par le recours au « panier mixte ». En effet, ces derniers pourront contourner la loi en proposant des frais de port gratuits à tout acheteur d’un autre produit en complément du ou des livres, et ce, dans une autre catégorie.  Nous le verrons, elle ne croyait pas si bien dire !

Qu’à cela ne tienne, sans la moindre étude d’impact – ce qui aurait dû être un préambule – malgré l’évidence, ou du moins un doute plus que raisonnable sur l’efficacité de cette loi, après avoir été promulguée à une large majorité…. elle est entrée en vigueur.

S’il est une « consolation », cette dernière devrait être revisitée tous les deux ans en fonction des résultats… Pour autant, il se pourrait qu’elle ne reste pas en vigueur bien longtemps : la Commission européenne demeure dubitative et attend naturellement le verdict du Conseil d’État. Ce dernier – sauf erreur ou omission de ma part – n’a pas tranché.

Dans le même temps, la Commission évalue l’arrêté du 4 avril 2023 du ministère de la Culture relatif au montant minimal de tarification du service de livraison du livre :

« Nous ne pouvons pas préjuger des conclusions de cette évaluation. La Commission est habilitée à engager des procédures d’infraction contre les États membres en cas de violation du droit communautaire ».

 

Les contournements de la loi ont déjà commencé

Devant le fait accompli, des enseignes comme la FNAC ont déjà réagi pour éviter à leurs clients de payer les frais de port. L’enseigne suit à la lettre le mode de contournement évoqué par la rapporteure de la loi, à savoir la mise en place du « panier mixte ». Nul doute que les autres grosses plateformes vont suivre la tendance.

Pour conclure, si même la rapporteure ne croit pas en la loi qu’elle porte, si même le législateur n’admet pas l’évidence des points d’achoppements, si même un avis circonstancié de la Commission européenne n’a pas fait reculer le législateur français, alors que penser ?

« La bêtise insiste toujours » aurait dit Albert Camus. Sans aller jusqu’à l’injure qui n’est en rien un argument, je dirais plutôt que l’absurde tend à devenir la norme, que cela laisse pour le moins perplexe, et ce d’autant plus dans une période d’inflation préoccupante.

« Toute loi, dès lors qu’elle est contournable par les puissants, ne peut protéger les « faibles » qu’elle est censée protéger, par contre, elle servira juste un peu plus les puissants, et il en est souvent ainsi. » Tonvoisin.

Loi de programmation militaire : chronique d’une étrange défaite

Par Romain Delisle
Un article de l’IREF

En 1934, le général de Gaulle, alors simple colonel, avait publié un livre visionnaire, intitulé Vers l’armée de métier, sur l’état de l’armée française, et sur la nécessité de constituer une force blindée autonome pour percer les lignes ennemies.

À l’époque, la hiérarchie militaire et les gouvernements successifs avaient préféré parier sur la ligne Maginot pour défendre la frontière nord-est, route de toutes les invasions. Le maréchal Pétain notamment, avait écrit une préface au livre du général Chauvineau[1] pour appuyer l’option défensive de ce qui sera plus tard appelé la « maginotisation » de la France.

Cet exemple est assez révélateur de l’ambiance éthérée et confiante dans une paix perpétuelle, dont l’armée a été la victime, qui a sévi dans notre pays au moins jusqu’aux attentats de 2015, date à laquelle les coupes budgétaires sur la défense ont commencé à être freinées.

En avril 2023, deux mois après son annonce, le projet de loi de programmation militaire a été inscrit à l’ordre du jour du Conseil des ministres, puis voté sans trop d’encombres à la fin de la session parlementaire.

Dans le contexte de tensions internationales consécutives à l’invasion de l’Ukraine, il était très attendu et devait permettre la modernisation de notre outil de défense pour faire face aux fameux « conflits de haute intensité ».

 

Jusqu’en 2015, la Grande Muette a été la variable d’ajustement budgétaire de l’État

En mars 2023, les sénateurs Joël Guerriau et Marie-Arlette Carlotti avaient rendu un rapport pointant du doigt la baisse des effectifs et des équipements depuis la suspension du service militaire.

Depuis 2002, c’est-à-dire au moment où les effets de sa professionnalisation se sont dissipés, l’armée a perdu plus de 70 000 équivalents temps plein, l’effectif global n’étant plus que de 270 000 personnels civils et militaires. Aucun autre ministère n’a été capable de réduire ainsi ses effectifs, les autres administrations publiques embauchant même plus de 700 000 agents durant la même période.

À titre d’exemple, sous le mandat de Nicolas Sarkozy, entre 2009 et 2012, le nombre de postes a diminué de 7,1 %, contre 5,4 % pour le reste de la fonction publique d’État. En fait, l’armée a été sacrifiée parce qu’elle n’est jamais source de troubles sociaux ou de grèves en tous genres qui émaillent l’actualité hexagonale de manière récurrente.

Cette déflation d’effectifs pose de nombreux problèmes de cohérence et engendre un déficit de compétences dans certains domaines comme le déminage d’un champ de bataille, la protection des bases aériennes, ou la mécanique aéronautique.

En vingt ans, les équipements ont également fondu.

L’armée de terre a perdu près de 400 chars de combat (654 contre environ 220 aujourd’hui) et plus de trois quarts de ses canons (231 contre 58 canons CAESAR actuellement) ; la marine est passée de 87 navires à 79, l’armée de l’Air a également perdu près de 200 avions de chasse (387 contre 195), la moitié étant encore constituée de Mirages 2000 en voie d’obsolescence.

Comme nous l’avons déjà souligné, cette situation délétère a été la cause d’impréparation et de ratés dans de nombreux domaines, comme celui des drones ou des stocks de munitions.

 

Les trous capacitaires de l’armée française ne devraient pas être résorbés en 2030

Partant de ce constat, un arbitrage politique devait être effectué pour moderniser les forces armées tout en augmentant un minimum sa masse.

Or, selon un autre rapport du Sénat, il se susurre dans les travées du pouvoir que « le retour d’expérience de la guerre en Ukraine n’est qu’un élément de réflexion parmi d’autres »…

La Loi de programmation se contente donc de pallier les manques observés depuis 20 ans, sans véritable augmentation de la force de frappe de nos armées, et ce malgré 268 milliards d’euros consacrés aux équipements, contre 172 pendant la période de la précédente loi.

Un chiffre visiblement insuffisant eu égard à la baisse programmée du nombre de Rafales de l’armée de l’Air à 135, contre 185 actuellement, ou encore de celui des A 400 M (35 contre 50) et chars Leclerc (200 à 160). Le nombre de véhicules initialement prévus par le programme SCORPION (synergie du contact renforcée par la polyvalence et l’infovalorisation) baisse également de 21 % pour le Griffon et le Jaguar, et de 30 % pour le Serval (véhicules blindés de transports de troupes, de reconnaissance et d’appui feu).

Autre exemple : la Marine nationale ne dispose que de 6 bâtiments de lutte anti-mines, soit autant que la Belgique ou les Pays-Bas, alors que notre pays possède la deuxième ZEE (zone économique exclusive) mondiale…

Il est patent que le gouvernement a centré ses choix sur le renseignement (+60 % de budget, soit 5,4 milliards), la cyberdéfense et la dissuasion nucléaire (dont le budget annuel passe de 5,6 à 7 milliards), et ce au détriment du combat direct.

Notons toutefois que, indépendamment des arbitrages financiers opérés ces dernières années, l’armée française a su conserver la majeure partie de ses compétences, dans un format extrêmement réduit mais permettant, le cas échéant, de les recouvrer à moyen terme. L’interopérabilité des armes et des munitions utilisés au sein des pays membres de l’OTAN facilite également la mise sur pied d’une coalition dans des délais relativement brefs, leur supériorité sur le champ de bataille ayant pu être observé lors de la guerre en Ukraine.

En somme, la Loi de programmation militaire adoptée permettra de panser partiellement les plaies de l’armée mais pas d’assurer son développement, la France continuant à faire reposer sa sécurité majoritairement sur sa dissuasion nucléaire, nouvelle ligne Maginot du XXIe siècle.

Dans le cadre d’une potentielle coalition militaire, le risque est de la voir perdre de son influence du fait de la faible ampleur de ses moyens conventionnels, en particulier si nos ennemis n’avaient pas la gentillesse d’attendre la fin de l’exécution de la prochaine Loi de programmation militaire en 2030. Dans un contexte de hausse effrénée de la dépense publique, il est difficile de comprendre que la sécurité des Français n’ait pas été une priorité pour les gouvernants successifs, justifiant la phrase prémonitoire du maréchal de Saxe : « Nous autres, militaires, nous sommes comme des manteaux dont on ne se souvient que quand vient la pluie ».

[1] Dont le titre était : Une invasion est-elle encore possible ?

Sur le web

La participation obligatoire des salariés aux résultats de l’entreprise appauvrit les actionnaires

Par Philbert Carbon.
Un article de l’IREF

 

Idée gaulliste s’il en est, la participation des salariés aux résultats de l’entreprise, instaurée en 1959, avait pour ambition initiale de rapprocher patrons et salariés en leur donnant des intérêts communs. Une récente étude du Centre d’analyse économique tend à montrer que cette participation se fait au détriment des actionnaires. Ainsi, elle contribuerait plutôt à les opposer.

En 1959, en lançant la participation des salariés aux résultats de l’entreprise, le général de Gaulle avait l’ambition de « trouver pour les entreprises un système qui associe les travailleurs comme la Cinquième République associe désormais les citoyens ».

D’abord facultative, la participation deviendra obligatoire pour les entreprises de 100 salariés ou plus en 1967, puis à partir de 50 salariés en 1990.

 

La participation est un coût pour l’entreprise

Le Conseil d’analyse économique (CAE), placé auprès du Premier ministre, dont la mission est « d’éclairer, par la confrontation des points de vue et des analyses, les choix du gouvernement en matière économique », a publié, cet été, une note pour tirer des enseignements de la réforme de 1990 (extension de la participation obligatoire dès 50 salariés).

La note révèle d’abord que la participation a un coût pour les entreprises. Puisqu’il est impossible de compenser cette nouvelle dépense, obligatoire, en ajustant par exemple les salaires à la baisse, certaines cherchent à y échapper en décidant de rester sous le seuil des 50 salariés, malgré le manque à gagner induit par ce sous-emploi.

Celles qui décident tout de même de franchir le seuil n’ont pas d’autre solution, les profits ayant baissé au contraire des salaires, que de diminuer les dividendes versés aux actionnaires. La note du CAE montre clairement « un décrochage marqué des profits des entreprises » concernées.

Dans cette opération, les salariés sont donc bel et bien gagnants au détriment des actionnaires, c’est-à-dire le plus souvent, s’agissant de PME, des dirigeants et de leur famille. Cela entraîne, par ailleurs, une petite baisse des recettes fiscales pour l’État (moindre rendement des impôts sur les sociétés et sur les dividendes). Dans le long terme cependant, il n’est pas certain que les salariés en tirent un si grand avantage : la baisse des profits peut conduire à une baisse des investissements et donc à une plus faible productivité, voire à un décrochage par rapport à la concurrence.

 

Les salariés ne sont pas plus impliqués

Cette obligation pour les entreprises permet-elle, pour reprendre les mots de l’ancien ministre Jacques Godfrain, de « donner à l’homme au travail sa responsabilité et aux tâches accomplies tout leur sens » ?

Il est permis d’en douter à la lecture de la note du CAE qui observe « que la participation obligatoire n’affecte pas significativement la productivité des entreprises ». Pour le dire autrement, les salariés, pourtant mieux rémunérés, ne s’impliquent pas davantage dans leur travail.

Nous espérons que le gouvernement, à qui la note est d’abord destinée, en tirera les bonnes conclusions, lui qui envisage d’étendre la participation aux entreprises de plus de 10 salariés à partir de 2025 (avec la loi portant transposition de l’accord national interprofessionnel relatif au partage de la valeur au sein de l’entreprise).

Une vraie réforme serait de supprimer la participation obligatoire, tout comme l’intéressement, autre dispositif gaulliste, pour laisser aux actionnaires l’entière liberté de distribuer, ou non, une part des bénéfices qui leur reviennent par définition.

 

La participation… si je veux

Étonnamment, c’est aussi ce que proposait un rapport de la Fondation Charles de Gaulle en 2021, intitulé « Un enjeu actuel pour la France : la participation ».

Les auteurs suggéraient « de supprimer une large partie des textes, en particulier ceux imposant des obligations qui ne sont plus dans l’esprit d’une responsabilité partagée entre l’entreprise et son personnel. Ainsi, la participation ne serait plus obligatoire ».

Selon eux, en effet, si la participation permet de meilleures performances dans l’entreprise, elle sera forcément adoptée.

Si l’État, continuaient les rapporteurs, « n’a comme préoccupation que le pouvoir d’achat, il doit aider les entreprises, par un environnement propice, à augmenter leur productivité, base de l’augmentation des salaires ». Et pour augmenter la productivité des entreprises, ajoutons-nous à l’IREF, il convient de baisser les prélèvements et réduire les réglementations.

Alors oui, libérons les entrepreneurs de la participation et de l’intéressement obligatoires (entre autres). Laissons-les imaginer eux-mêmes les mécanismes permettant de faire bénéficier les salariés des fruits de la croissance, si tel est leur souhait.

Les dirigeants de La Redoute, par exemple, ont choisi en 2014 d’associer les salariés au capital. Ceux qui ont alors investi 100 euros et retroussé leurs manches pour sauver l’entreprise, ont touché 80 000 euros en 2022, au moment de son rachat par les Galeries Lafayette.

Sur le web

Loi de finances 2024 : toujours plus de dépenses et toujours moins de richesses

Bercy nous inonde de chiffres généreux, mais à chaque nouvelle promesse nous vient une question : comment la financer ? La réponse est simple : par la dette. C’est-à-dire avec l’argent des prochaines générations.

Il serait fastidieux d’entrer dans le détail de tous les montants avancés, mais certains sautent aux yeux.

 

L’urgence budgétaire plutôt que climatique

Ainsi, Bruno Le Maire annonce fièrement que la dette n’augmentera pas et que notre déficit public passera sous la barre des 5 % du PIB en 2024.

En réalité, puisque l’État continue d’emprunter, cette dette continue de croître et reste au niveau intenable de 109,7 % du PIB (que le ministre annonce ingénument vouloir ramener à… 108,1 % d’ici 2027). Quant à notre déficit, il est l’un des plus élevés d’Europe, et en 2026, la France restera le seul pays avec la Bulgarie, l’Estonie et la Slovaquie à dépasser la barre des 3 % du PIB pour le déficit. Pendant ce temps, des pays comme la Grèce, Chypre, le Portugal ou l’Irlande reviennent progressivement à l’équilibre. Les grands déficits ne sont pas le syndrome des grands pays puisque même l’Allemagne est attendue sous la barre des 1 % du PIB.

Le gouvernement prévoit une augmentation des recettes fiscales de 17,3 milliards d’euros. On pourrait se dire qu’il est normal que les recettes fiscales augmentent avec la croissance. En réalité, il faut surtout comparer les recettes attendues en 2024 avec les dépenses envisagées la même année : 372 milliards d’euros (dont 350 milliards d’euros d’impôt) d’un côté, et 512 milliards d’euros de l’autre. Soit 140 milliards d’euros de dépenses en plus que de recettes. Quel ménage ou quelle entreprise survivrait à un tel écart ?

Certes, un État n’est pas un foyer ou une entreprise (quoique : ne parle-t-on pas de « Maison France » ? Les bons principes de gestion sont universels !) mais c’est tout de même de l’argent qu’il faudra bien rembourser un jour, et l’argument selon lequel « c’est moins pire qu’avant » (160 milliards d’euros de solde négatif en 2023) semble dérisoire lorsque l’on sait que ce nouveau déficit s’ajoute à une dette globale qui dépasse déjà les 3000 milliards d’euros.

Au lieu de ressasser jusqu’à plus soif la pseudo urgence climatique, il serait temps que le gouvernement proclame enfin une urgence budgétaire. Signe de la déroute à venir, il annonce qu’il empruntera l’an prochain plus de 270 milliards d’euros sur les marchés, montant jamais atteint.

Alors que les taux d’intérêt augmentent, ce sera autant de dépenses en plus à assumer. Le projet avoue d’ailleurs que la charge de la dette passera de 52 milliards d’euros en 2024 à 61 milliards d’euros en 2026. En clair : un sixième des impôts servira à payer les intérêts de la dette. Au lieu de financer les missions de l’État, d’aider au pouvoir d’achat ou de redresser notre pays, il partira en fumée. Il est vrai qu’il faudra aussi financer les 8000 postes supplémentaires de fonctionnaires prévus par le gouvernement, et dont la création semble tout de même en contradiction avec l’ambition affichée de rigueur budgétaire.

 

Pauvreté et incohérence des propositions de redressement

Le vocabulaire même employé par Bercy dénote à ce sujet un certain désarroi, voire un peu d’incohérence.

Ainsi, quand il est question de « mener des réformes structurelles » pour diminuer les dépenses de l’État, Bercy annonce mener à bien cet objectif grâce aux 22 milliards d’euros économisés avec la sortie progressive des boucliers énergie, la fin des aides exceptionnelles aux entreprises et la sortie du plan de relance. Autrement dit, le gouvernement compte sur la fin de mesures conjoncturelles pour accomplir des réformes structurelles… À côté de cela, le projet parle « d’aléas qui demeurent élevés », mais qui sont « plus équilibrés ». Il est déjà difficile de concevoir un aléa équilibré, mais si en plus il est élevé…

Au demeurant, la Cour des comptes elle-même, en la personne de son président Pierre Moscovici, déplore des hypothèses de croissance qui semblent parfois bien optimistes ou alors fragiles, comme si elle voulait mettre en garde le gouvernement contre le déni de réalités.

Au-delà des chiffres, que penser des annonces contenues dans le projet ?

À vrai dire, une pauvreté fiscale habituelle, des incantations à n’en plus finir, et l’amoncellement classique de mesures gadgets. Avec, dans l’ensemble, des dépenses qui semblent vouloir profiter à tout le monde (il est intéressant de noter qu’aucune classe sociale ou presque n’est oubliée), à l’aide d’un saupoudrage de mesures dont on peut douter de l’efficacité, mais dont on peut être certain qu’elles coûteront cher, sans que l’on sache vraiment comment elles seront financées, si ce n’est par la dette, c’est-à-dire par le contribuable de demain.

Sur le plan fiscal, on ne peut que constater l’habituel manque d’audace.

La CVAE, qui plombe notre tissu économique, diminuera bien, mais sa suppression pourtant promise est une fois de plus retardée.

Il est annoncé un cadeau fiscal de 6 milliards d’euros pour les ménages avec la hausse du barème de l’impôt sur le revenu, alors qu’il ne s’agit ni plus ni moins que d’un ajustement de ce barème sur l’inflation.

Pour le reste, c’est le néant absolu, en tout cas du point de vue imaginatif. Le gouvernement en est encore simplement à vouloir taxer lorsqu’il aperçoit un bout de profit, surtout lorsque s’y ajoute un argument moral.

Ainsi, est-il prévu une taxe sur les infrastructures autoroutières et aéroportuaires censée rapporter 600 millions d’euros par an. Les motifs de cette taxe ne brillent pas par leur hauteur d’esprit. Il semblerait que la taxe se justifie avant tout parce qu’il est moralement condamnable de gagner de l’argent en faisant rouler les voitures ou voler les avions.

Les entreprises payent déjà sur leurs profits 25 % d’impôt sur les sociétés et ensuite leurs actionnaires 30 % de PFU sur les dividendes. N’est-ce pas suffisant ? Surtout que même si le ministre affirme que c’est lui qui fixe les tarifs des péages, on peut craindre que cette taxe ne conduise un jour ou l’autre à se retrouver dans le prix du péage ou du billet d’avion, et donc payée par le citoyen, comme a déjà prévenu le président de Vinci.

En matière d’incantations, on nous annonce 40 milliards d’euros de dépenses écologiques avec « + 10 milliards d’euros pour la planification écologique ».

Mais ce souci, certes honorable, est-il réellement le souci premier du citoyen qui cherche avant tout à boucler ses fins de mois, payer les études de ses enfants ou tout simplement acquitter son loyer ?

Pendant ce temps-là, le budget de la Justice augmentera de 500 millions d’euros, de même que celui de la Sécurité. Quant à la Défense, son enveloppe se verra créditée de 3,3 milliards d’euros supplémentaires. Est-ce vraiment suffisant pour redonner son lustre d’antan aux missions régaliennes de l’État ?

 

Des friandises pour certains

Et comme de coutume, l’arrosoir aux subsides ouvrira toujours plus ses vannes pour calmer les mécontentements : sans même parler des subventions aux jeux Olympiques et de la « billetterie populaire » des 400 000 places offertes – qui rappelle étrangement la politique du pain et des jeux des empereurs romains pour faire taire la plèbe menaçante.

Citons à l’emporte-pièce :

  • le 1 euro du repas étudiant au CROUS,
  • le pass « ouverture colo » (sic) de 200 à 350 euros,
  • les 50 à 100 euros de « gratification » hebdomadaire pour les stagiaires assidus en filière professionnelle,
  • les 100 euros mensuels de la voiture électrique en leasing,
  • l’indemnité « carburant travailleur » de 100 euros par véhicule.

 

Bref, une nouvelle panoplie de petites friandises qui soulageront peut-être ponctuellement, mais qui s’inscriront surtout comme dettes supplémentaires dans la durée comme si, privé d’énergie créatrice pour véritablement remettre le pays sur les rails du travail, de l’effort et donc de la richesse, le gouvernement s’en remettait toujours à ses dispositifs précaires, alors même que c’est précisément à la précarité grandissante qu’il oublie de s’attaquer.

Ce que le libéralisme n’est pas

Qu’est-ce que le libéralisme ? Voilà une question qui peut paraître simple, mais au sujet de laquelle le moins qu’on puisse dire est qu’il existe beaucoup d’idées préconçues. Pour ne pas dire totalement fausses.

Il n’y a sans doute pas plus haï ou diabolisé que ce vocable de « libéral », quotidiennement mué en « ultra-libéral » ou « néo-libéral » pour les besoins de la cause.

Vous affubler de ce qualificatif suffit généralement à vous discréditer et à vous rendre inaudible par avance. Pourtant, le libéralisme n’est pas ce que l’on veut bien faire croire en cherchant constamment à le caricaturer grossièrement.

Ni ce que beaucoup de gens finissent par croire, en raison des fausses idées qui ont été depuis si longtemps répandues à son sujet ou qui continuent à circuler allègrement pour en faire un ennemi suprême.

 

Qu’est ce que le libéralisme ?

Il existe de nombreuses sources sur le sujet. Ouvrages, articles, vidéos, conférences, etc. (et même BD). Dont certaines que nous avons eu l’occasion de présenter sur ce site. Pour autant, pas facile de s’y retrouver, car parmi ces sources, beaucoup sont l’œuvre d’adversaires du libéralisme, qui en donnent une présentation souvent biaisée, pleine d’a priori, sans que leurs auteurs soient pour autant systématiquement mal intentionnés (ce qui existe, naturellement, aussi), mais parfois victimes d’une certaine ignorance ambiante sur le sujet.

Il existe des ouvrages de référence, comme le Libéralisme de Pascal  Salin, par exemple, Les penseurs libéraux d’Alain Laurent, le Dictionnaire du libéralisme de Mathieu Laine, une Logique du libéralisme de Jacques de Guénin, pour ne citer que quelques exemples parmi tant d’autres d’ouvrages écrits par de véritables connaisseurs du sujet (dont certains que j’ai eu l’occasion de vous présenter).

Mais aussi des textes parfois plus simples et abordables, à l’instar de Le libéralisme raconté, pour que nos enfants vivent libres de Jean-Marc Paturle ou Faut-il avoir peur de la liberté ? Le libéralisme en 21 questions de Thierry Falissard.

On trouve également des articles de référence, immédiatement consultables, comme « Qu’est-ce que le libéralisme ? » de Gérard Dréan ou d’autres encore sous le même titre. Certains s’évertuent à montrer de manière simple et très concrète ce que libéral veut dire, comme le propose Nathalie MP ou nous interrogent de la manière suivante : Savez-vous vraiment ce qu’est le libéralisme ?

Mais ils sont trop nombreux pour tous les citer. La fréquentation de ce site, entre autres, doit permettre de vous documenter abondamment sur le sujet.

 

L’obsession antilibérale

Mais, comme je le relevais plus haut, quels que soient les efforts pour tenter d’apporter une présentation la plus juste possible de ce qu’est véritablement le libéralisme, difficile de se faire entendre face à L’obsession antilibérale française, pour reprendre le titre de l’ouvrage de Nicolas Lecaussin sur le sujet.

L’illibéralisme est tellement puissant que l’on en vient à se demander avec Raymond Boudon, et sachant le rôle que jouent les intellectuels en la matière, Pourquoi les intellectuels n’aiment pas le libéralisme ?

Quant à la démocratie, ses rapports complexes avec la liberté n’en font pas un garant de la sauvegarde de celle-ci. C’est ce que montrait Fareed Zakaria dans son remarquable L’avenir de la liberté : la démocratie illibérale aux États-Unis et dans le monde, en 2003.

Les causes en tiennent certainement en grande partie à ce qu’Olivier Babeau nomme, dans un ouvrage récent, L’horreur politique. Là où la plupart des individus n’aspirent qu’à une chose : vivre Libres !!

 

Ce que le libéralisme n’est pas

Pour autant, il n’est pas inutile, bien au contraire il est même probablement essentiel, de tenter de combattre les idées reçues en essayant de Rétablir la vérité sur le libéralisme.

Entreprise loin d’être évidente, et je mesure, au fur et à mesure des quelques références que je viens de citer, l’ampleur de la tâche qui m’attend.

C’est pourquoi, aussi, je prendrai mon temps et ne construirai cette série que très lentement, petit à petit, en fonction du temps que je parviendrai à trouver, et de manière très modeste, sans prétendre parvenir à un résultat convaincant.

Mais, par vos commentaires et réactions, vous allez m’y aider, n’est-ce pas ? (que vous soyez un défenseur des idées libérales ou un détracteur de celles-ci). J’espère un débat riche, constructif, vif même peut-être ; mais qui puisse contribuer utilement à dissiper quelques malentendus.

 

La loi de la jungle ?

Tour à tour présenté comme « sauvage », assimilé à la « loi de la jungle » ou à une sorte de pensée extrémiste qui aboutirait à ce que « les riches soient toujours plus riches et les pauvres toujours plus pauvres », ou que sais-je encore, le libéralisme est loin de toutes ces caricatures ignobles ou de la défense sans fard d’un égoïsme au sens le moins noble qu’on entend lui prêter de manière facile et absurde.

Il n’est pas non plus une idéologie au service des entreprises du CAC 40 et du « Grand Capital », ni un principe élitiste, comme on peut le laisser suggérer ici ou là. J’en oublie sans doute mais, là encore, à la lecture de vos réactions (ou à la simple écoute des propos des politiques en campagne, par exemple), je devrais sans peine trouver matière à construire cette série.

Je le ferai toutefois non seulement en prenant mon temps, mais toujours de manière simple, à travers des articles probablement courts, les discussions que j’espère enclencher devant certainement faire le reste…

 

À lire : articles de la série « Ce que le libéralisme n’est pas » :

 

Article initialement publié le 4 avril 2017.

Quand les politiques veulent décider de l’heure de début du film du soir

« En 12 ans, l’heure de début du film du soir a été repoussée de 29 minutes, de 20 h 38 à 21 h 09. »

C’est inadmissible. Enfin, pour le député du Loiret Thomas Ménagé, c’est inadmissible. Tellement inadmissible qu’il a décidé de proposer une loi pour y mettre fin.

https://twitter.com/Thomas_Mng/status/1696175047696691557

 

Enfin, non, pas une loi : une « proposition de résolution, visant à enrayer la tardivité de la diffusion des programmes audiovisuels de première partie de soirée. »

La tardivité, ça claque, ça fait savant. Sauf que, dans le dictionnaire, la tardivité, c’est la qualité d’un végétal tardif, sa capacité à s’épanouir quand on le plante en fin de saison. Mais passons sur cette bizarritude, tardivité, ça sonne mieux que : règlement, formulaire, déclaration, verbalisation, amende, menotte, prison.

Un problème : une loi. Une loi : des fonctionnaires pour la mettre en application. Des fonctionnaires : des procédures absconses et le chausse-pied qui va avec pour y faire entrer les Français.

 

Le rôle de la politique

Passons rapidement sur le fait que pratiquement plus aucun film n’est diffusé en soirée, et que les séries et divertissements raflent largement l’audience : sur la semaine du 28 août au 3 septembre 2023, les cinq principales chaînes ont diffusé cinq films, dont deux le dimanche soir…

Passons également sur le fait que l’on compte plus d’abonnements internet que de foyers, que 65 % des Français sont abonnés à au moins une plateforme de streaming, et donc qu’une large majorité de la population a donc accès à la vidéo à la demande, soit sous forme de location, d’achat, d’abonnement ou de replay, ce qui lui permet de fixer l’heure de visionnage du film…

Passons enfin sur le fait qu’on est loin du temps où les sirènes des usines annonçaient l’embauche à 6 heures du matin et la cloche de l’école sonnait à 7 heures et demie : même en dehors du clair décalage des horaires de travail, les Français ne travaillent pas tous de 9 heures à 17 heures

Passons sur ces évidences qui indiquent qu’en réalité, seule une minuscule minorité est réellement gênée par l’heure de diffusion tardive des rares films diffusés à la télévision, pour nous poser finalement cette question : est-ce effectivement le rôle de la politique de s’occuper de la vie privée des gens ?

 

Hiérarchisation des problèmes

N’y a-t-il pas d’autres problèmes, plus importants, plus impactants, plus graves ?

Ceci dit, il vaut peut-être mieux que les députés passent leur temps à s’occuper des horaires de télévision, plutôt que de problèmes plus importants, compte tenu des résultats qu’ils peuvent parfois obtenir (ou ne pas obtenir) lorsqu’ils se piquent d’en trouver et de les régler.

À quand une proposition de résolution visant à fixer l’heure du petit-déjeuner et le nombre de tartines pendant qu’on y est ? On a déjà eu droit à l’organisation du plan de table à Noël !

C’est vrai quoi : c’est inadmissible cette mode anglo-saxonne de manger des céréales le matin et de risquer ainsi de voir disparaître à terme la bonne baguette française ! Sauf que c’est sans doute plus le prix actuel de la baguette (et le prix de l’électricité pour la cuire) qui risquent de la faire disparaître, mais passons, encore une fois…

 

Hiérarchisation des solutions

Ou restons sur le sujet, justement ! Voilà sans doute un exemple qui illustre parfaitement comment les pires maux découlent des meilleures intentions.

Le prix de la baguette, voilà un sujet qui intéressait les Français et qui inquiétait le gouvernement. Vous vous souvenez ? Il y a à peu près un an ? Nous allions tous mourir de faim, et de froid le matin : la hausse du prix du blé et la dépendance au gaz russe allaient mettre sur la paille des milliers de boulangers et faire disparaître la fameuse baguette qui venait juste d’entrer au patrimoine mondial de l’UNESCO.

Les politiques ont donc décidé quasi unanimement qu’il fallait donner un coup de main aux boulangers en péril. Résultat un an plus tard : les rares artisans boulangers survivants sont loin d’être sortis du pétrin, et en dehors des chaînes et de la grande distribution, la baguette est presque devenue un signe extérieur de richesse.

Personne n’avait prévu qu’obliger de renégocier les contrats en y ajoutant une clause de continuité de service allait déboucher sur une augmentation des prix…

 

Économie administrée 

Idem pour les produits de grande consommation et la mise en place d’un mécanisme de régulation des prix (les lois ÉGAlim 1, ÉGAlim 2, ÉGAlim 3, etc.) censé pallier les errances du marché…

Comparaison n’est pas raison, et simultanéité n’est pas causalité, mais depuis le 1er novembre 2018 et la mise en place de ce mécanisme censé « équilibrer les relations commerciales dans le secteur agricole et produire une alimentation saine et durable » on constate la typique courbe en U des prix alimentaires que l’on constate à chaque tentative d’administration économique : baisse des prix dans un premier temps, puis envolée subite.

Mais ce n’est pas grave me direz-vous : à chaque problème une solution.

On connaît la solution politique : quand ça marche : taxez ; quand ça commence à tousser : régulez ; quand c’est dans la panade : subventionnez ; on pourrait ajouter, quand il n’y a plus rien à faire : cherchez un coupable pour embrouiller les explications.

La prochaine fois que vous verrez le prix de votre caddie s’afficher, ouvrez grand vos poumons pour sentir la bonne odeur de l’économie régulée !

 

Le rôle de la politique (2)

Ne l’oublions jamais, le rôle, la fonction, la charge de l’État est de combattre la violence dans la société. Il dispose pour cela d’un monopole légal afin de répondre aux violences faites aux citoyens et ainsi garantir les droits de l’Homme : la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression. Tout cela est explicité en termes très simples dans la Constitution, plus précisément dans les articles 2 et 12 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen.

Il n’est prévu nulle part d’utiliser la violence légale pour autre chose.

Déjà que ces principes sont d’immenses concessions faites à ce qui est admissible d’un point de vue moral ! Admettre l’existence d’un maître qui disposerait de la coercition et de la violence selon son bon vouloir, même si ce dernier est soumis à des processus de limitation et de vérification, même si le but de l’usage de cette violence est précisément d’empêcher la violence… tout cela est vraiment discutable.

Mais dans le cas présent, pourquoi une loi ? Pourquoi faire une loi, et donc mettre en œuvre tout l’arsenal répressif et juridique qui l’accompagne, afin de régler l’horaire de diffusion des films à la télévision ? Quelle menace fait peser sur la société, sur la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression, le décalage de 29 minutes du film du soir ?

 

Droits et devoirs

L’État possède des droits que les individus n’ont pas.

Il a le droit de les priver de leur liberté, de confisquer une partie de leur propriété, de les faire taire, de les contraindre à certaines tâches, de les faire travailler sans rémunération… L’État a le droit d’utiliser ces contraintes parce que son recours à la violence est codifié et régulé par la règle de la loi qui fait que toutes ses actions doivent se placer dans le cadre légal, et uniquement dans ce cadre.

Cette légalité est faite pour limiter les débordements, pour éviter que l’État ne dérive et ne devienne arbitraire, pas pour écorner petit à petit cette condition, et lui donner des mandats étendant chaque jour un peu plus son action.

L’usage de la violence est toujours discutable, même quand il est légal, même quand il est justifié, même quand il est contrôlé, même quand il semble objectivement indispensable.

Les droits consentis à l’État appellent à des devoirs. Et le premier d’entre eux est d’utiliser avec retenue, parcimonie et modération cette violence légale : d’éviter de s’en servir pour tout et n’importe quoi, au gré des campagnes électorales ou des réactions à l’actualité.

La première des qualités que l’on demande à ceux qui sont appelés à des postes de pouvoir, c’est de mesurer l’ampleur de la responsabilité qui leur est dévolue.

 

Populisme et démagogie

Il n’est nullement question de faire un procès en démagogie ou en populisme.

Tous les partis, tous les politiciens veulent prouver l’utilité de leur action. On mesure bien le procès en impuissance qui frappe l’État et la classe politique, chaque jour depuis des années.

Mais si l’État est si vivement critiqué pour son impuissance, si les politiciens sont aussi avides de prouver leur utilité, c’est peut-être tout simplement parce qu’il a pris au fil du temps d’immense liberté avec sa mission initiale, et que dès qu’il sort du périmètre de la régulation de la violence, il entre directement en concurrence, voire en conflit avec les individus.

Est-ce vraiment raisonnable de mobiliser la force publique, de faire appel à tous les moyens de contraintes dont l’État dispose au moindre problème qui surgit, à la moindre revendication, à la moindre lubie, à la moindre indignation ?

Non, la force publique doit impérativement rester dans le domaine qui lui a été dévolu et les représentants élus devraient être les premiers à veiller à ce que l’État ne déborde pas du cadre qui lui a été fixé.

Il faut remettre l’État à sa place.

Et sa place n’est clairement pas d’utiliser la violence légale pour contraindre les acteurs économiques à respecter les lubies des uns et des autres, de permettre à certains nostalgiques d’obliger la population à se coucher avec les poules, comme au bon vieux temps des soirées aux chandelles au coin du feu dans la chaumière perdue au milieu des champs.

Tout le monde a le droit d’être nostalgique. Mais il y a des séries télévisées dans des manoirs anglais et des parcs d’attraction en Vendée pour revivre ça.

David Ricardo : qu’en reste-t-il deux siècles plus tard ?

David Ricardo est mort le 11 septembre 1823, il y a deux siècles exactement. Jean-Baptiste Say en personne lui consacra alors un article nécrologique :

« Cet homme éclairé, cet excellent citoyen, est mort dans la force de l’âge, au bout de cinq jours de maladie, à la suite d’une tumeur dans l’oreille. » 1

Moins connu qu’Adam Smith, Ricardo reste associé à la fameuse histoire du vin portugais échangé contre du drap anglais démontrant les vertus du libre-échange. Mais le choix même de cet exemple arbitraire, ne correspondant à aucune réalité, illustre la méthode paradoxale d’un économiste dont les apports restent très discutés, voire très discutables aux yeux de certains.

On a pu parler de « mythe ricardien ».

De Quincey voyait en lui l’apôtre de la vérité. John Stuart Mill exaltait ses « lumières supérieures » à celles d’Adam Smith. Luigi Cossa le considérait, pas moins, comme « le plus grand économiste de ce siècle » (entendons le XIXe siècle). Mais d’autres se montraient plus critiques. Pour Joseph Rambaud, et ce n’était pas un compliment, Ricardo a été  « le métaphysicien de l’économie politique ».

En effet, le marxisme s’est emparé de certaines propositions de Ricardo, notamment la valeur travail, « pour les travestir et pour asseoir sur elles les plus dangereux et les plus subtils sophismes. »2.

Et d’une certaine façon, l’économie telle qu’elle est présentée en France (et dans les documentaires d’Arte) ressemble beaucoup à du ricardisme pour les mal-comprenants.

 

Financier audacieux, écrivain timide

Ricardo tenait son patronyme peu britannique d’un négociant juif d’origine hollandaise « qui le destina, dès l’adolescence aux affaires, mais qui l’abandonna bientôt parce qu’il désapprouva sa conversion au christianisme. »3

Ce fils de financier qui fit fortune en bourse et mourut millionnaire, « passa de la spéculation lucrative à la spéculation désintéressée ». La lecture d’Adam Smith, faite un peu par hasard, décida de sa vocation. La crise des finances publiques en Angleterre lui donna l’occasion d’écrire une brochure en 1809 sur Le haut prix des lingots, preuve de la dépréciation des billets de banque qui établit sa réputation.

Son œuvre maîtresse, Des Principes de l’économie politique et de l’impôt est publiée en 1817 un peu malgré lui. Ricardo « circonspect et timide », « qui n’a pas reçu l’éducation d’un homme de lettres, se défie de son aptitude à exprimer clairement ses pensées, écrit péniblement, et hésite à publier » 4

C’est James Mill, le père de John Stuart Mill, qui le pousse à écrire, tout comme à entrer au Parlement en 1819.

 

Ricardo parlementaire écouté

Selon Jean-Baptiste Say, Ricardo devait être « dans le Parlement, un homme indépendant de tous les partis. Il ne savait pas ce que c’était que d’avoir une opinion de position ; c’est-à-dire de voter pour ce que l’on sait injuste, et de repousser ce que le bien du pays veut qu’on adopte, simplement en raison de la situation où l’on se trouve.[…] Ricardo n’était pas ce qu’on appelle un orateur ; mais comme il ne parlait que sur ce qu’il savait bien et ne voulait que ce qui était juste, il était toujours écouté. »

Dunbar a noté ce curieux paradoxe5 :

« Quand il parlait devant une assemblée, Ricardo puisait largement dans sa vaste et profonde connaissance des faits de la vie, les utilisant pour illustrer, confirmer son argumentation ; mais dans ses Principes de l’Économie politique, les mêmes questions sont traitées avec une singulière exclusion de tout rapport avec le monde actuel qui l’enveloppe. »

 

Ricardo et la distribution des richesses

Les Français font à Ricardo les mêmes reproches qu’à Adam Smith concernant la forme.

« La rédaction de son livre est médiocre ; le plan est informe » mais aucun ouvrage n’a eu « sur les lecteurs de langue anglaise principalement, une influence aussi profonde et aussi durable. »6

L’auteur a clairement défini l’objectif de son livre dans une lettre à Malthus du 10 octobre 18207 : « la recherche des lois qui déterminent le partage du produit entre les classes qui concourent à sa formation ».

Ricardo divise la population en trois classes : les propriétaires du sol qui bénéficient de la rente, les capitalistes qui récupèrent les profits, et enfin les travailleurs qui reçoivent des salaires.

 

L’économie politique devient théorique

Avec Ricardo, à la différence de Smith, l’économie politique devient une théorie détachée de la pratique, qui a pour objet des lois sur la distribution naturelle des richesses. En cela, il se rapproche des économistes français du XVIIIe siècle, des physiocrates, comme de Turgot.

Condorcet avait exprimé, avec sa clarté habituelle, cette volonté d’une science des lois héritée des Lumières8 :

« Quelles sont les lois suivant lesquelles ces richesses se forment ou se partagent, se conservent ou se consomment, s’accroissent ou se dissipent ? […] Comment dans ce chaos apparent, voit-on néanmoins, par une loi générale du monde moral, les efforts de chacun pour lui-même servir au bien-être de tous, et, malgré le choc extérieur des intérêts opposés, l’intérêt commun exiger que chacun sache entendre le sien propre et puisse y obéir sans obstacle ? »

Jean-Baptiste Say s’efforce de réaliser ce programme dans son Traité d’Économie politique (1803).

Au fatras confus de Smith, plein de digressions et de contradictions, se substitue un arrangement logique des matières, comme le reconnaît Ricardo. Il y voit ce qu’il y cherche : « une exposition de faits généraux, constamment les mêmes dans des circonstances semblables ».

 

Ricardo, théoricien déductif

Lors des longues promenades qu’il aimait à faire avec Ricardo, James Mill va lui donner des leçons de méthode et le goût de l’abstraction. C’est par sa médiation que l’économiste découvre les idées de Jean-Baptiste Say, notamment sa loi des débouchés. Cette influence de Mill sera aussi décisive que funeste aux yeux de certains. La métaphore euclidienne fait, par là, son entrée dans le langage de l’économie politique.

Le succès Des Principes de l’économie politique et de l’impôt tient au fait que Ricardo est un théoricien déductif. Il part des principes pour en tirer un ensemble de déductions logiques débouchant sur une théorie générale de la répartition.

La valeur repose ainsi pour Ricardo sur le seul travail :

« Nous avons regardé le travail comme le fondement de la valeur des choses, et la quantité de travail nécessaire à leur production comme la règle qui détermine les quantités respectives des marchandises qu’on doit donner en échange pour d’autres » même s’il doit reconnaître qu’il puisse y avoir « dans le prix courant des marchandises quelque déviation accidentelle et passagère de ce prix primitif et naturel. »

 

Une théorie de la valeur rigide

Cette théorie de la valeur, très rigide, néglige, par exemple, le rôle joué par l’utilité dans la demande. Jean-Baptiste Say fait remarquer9 :

« Quand M. Ricardo dit qu’un produit vaut toujours ce que valent ses frais de production, il dit vrai, mais que valent ses frais de production ? Quel prix met-on aux services capables de produire un produit appelé une livre de café ? Je réponds qu’on y met d’autant plus de prix… que les services propres à produire du café sont plus rares et plus demandés. »

Pour Ricardo, le prix du travail, c’est-à-dire le salaire, repose sur le coût des subsistances : « c’est celui qui fournit aux ouvriers, en général, les moyens de substituer et de perpétuer leur espèce, sans accroissement ni diminution. » Ainsi donc une « hausse du prix de ces objets fera hausser le prix naturel du travail, lequel baissera par suite de la baisse des prix. »

Il n’y a rien là de très nouveau que l’on ne trouve déjà chez Turgot ou Adam Smith, et qui sera repris par Marx. Certes, David Ricardo, optimiste par inadvertance, affirme que le prix naturel du travail peut tendre à la hausse « parce qu’une des principales denrées qui règlent ce prix naturel tend à renchérir, en raison de la plus grande difficulté de l’acquérir », à savoir le blé en raison de la mise en culture de terres de moins en moins fertiles.

 

Ricardo pessimiste

Le prix courant du travail dépend de l’offre et de la demande, et peut ainsi se maintenir plus haut que le prix naturel, mais « dans la marche naturelle des sociétés, les salaires tendront à baisser […] car le nombre des ouvriers continuera à s’accroître dans une proportion un peu plus rapide que la demande. » De plus, la hausse des salaires en argent peut en réalité masquer une diminution du salaire réel si elle n’est pas proportionnelle à celle du prix des marchandises.

Pour Ricardo, l’entrepreneur (ou plutôt le capitaliste) réalise un gain qu’il partage uniquement avec ses ouvriers : si les salaires s’élèvent, les profits diminuent, et réciproquement. Mais là aussi, le pessimisme est de rigueur. « Les profits tendent naturellement à baisser, parce que, dans le progrès de la société et de la richesse, le surcroît de subsistances exige un travail toujours croissant. »

David Ricardo n’envisage nullement qu’une augmentation du revenu de l’entreprise puisse permettre à l’entrepreneur d’avoir un profit accru tout en payant des salaires plus élevés. Le monde ricardien est un monde malthusien soumis à la double malédiction de la loi de la population, et de la loi de la rente foncière.

 

De Ricardo à Marx

La loi des rendements décroissants, comme le note H. Denis, mène à la lutte des classes10 :

« La dynamique abstraite de Ricardo marquera en traits de plus en plus durs l’opposition des intérêts, l’insolidarité grandissante des classes ; elle creusera, si j’ose dire, de plus en plus profondément, l’abime de l’inégalité et aboutira, sans ses conclusions logiques ultérieures, à un déchirement, à un contraste absolu, où la classe des propriétaires dont la rente aura atteint la limite extrême en résorbant tout le produit net, se trouvera en présence de celles des travailleurs dont le salaire sera désormais enchaîné à un minimum inflexible. »

C’était ouvrir un boulevard à toutes les théories socialistes.

C’est bien le reproche que lui faisait Frédéric Bastiat qui rejetait ce « pessimisme, à la fois géométrique et glacial ». Dans cette approche ricardienne, l’accroissement de la population amène inéluctablement « opulence progressive des hommes de loisir, misère progressive des hommes de travail. »

Refusant le travail comme mesure de la valeur, Bastiat devait tâcher de lui substituer une autre définition, le prix du service rendu. Ainsi, les richesses ne s’échangent plus entre elles, seuls les services sont l’objet de l’échange et ont une valeur.

 

Loi de la rente foncière et théorie des prix

David Ricardo a beaucoup contribué à la théorie du prix en démontrant que le prix unique qui se forme sur un marché repose sur le coût le plus élevé de la marchandise nécessaire à l’approvisionnement de ce marché.

Say avait ainsi résumé cette loi de la rente foncière dans la nécrologie de 1823 :

« Le profit que fait un propriétaire foncier sur sa terre, c’est-à-dire ce que lui paie son fermier, ne représente jamais que l’excédent du produit de sa terre sur le produit des plus mauvaises terres cultivées dans le même pays. »

Ainsi, la rente des terres les plus favorisées est d’autant plus élevée que l’excédent de travail appliqué aux terres les moins favorisées est plus considérable.

Ricardo invente ainsi paradoxalement le raisonnement à la marge dont les marginalistes, partisans d’une théorie subjective de la valeur, feront leur miel plus tard !

 

Avec Ricardo, l’économie tourne le dos à l’observation

Pour John Kells Ingram11, l’influence de Ricardo a perverti la méthode économique :

« La science fit fausse route et tourna le dos à l’observation : elle chercha à renverser les lois des phénomènes ; à les tirer, par un jeu de logique, d’un petit nombre de généralisations hâtives. »

Ricardo, étudiant la valeur, néglige ainsi l’importance de la demande et exagère celle de l’offre. Étudiant la rente agricole, il se préoccupe plus de la fertilité des sols que de la distance au marché, il ne songe pas assez à l’influence du progrès susceptible de neutraliser la hausse progressive des denrées agricoles, etc.

Aussi pour Leroy-Beaulieu, « les disciples aveugles de Ricardo ne voulant voir en action dans le monde que la loi découverte par leur maître, sont arrivés à des observations et à des prévisions que tous les faits contemporains ont déjoués. »12

 

Un chef-d’œuvre de théorie déductive

Pour un de ses zélateurs13, « tout en n’ignorant pas que l’utilité est le fondement, mais non la mesure de la valeur, il formula la théorie classique du coût de production et celle du coût comparatif dans les échanges internationaux ».

Malheureusement, « s’étant servi du concept, mal déterminé, de la quantité de travail, qui s’identifiait pour lui avec les dépenses de production (y compris l’influence du capital), on en a tiré la théorie socialiste pseudo-ricardienne du travail cause unique de la valeur ».

En somme, même les admirateurs de David Ricardo conviennent que, dans son œuvre, trop de choses restent incomplètes et « mal formulées ». Les socialistes ont ainsi tiré de la notion de salaire naturel, la loi d’airain du salaire réductible au minimum des subsistances pour faire vivre les ouvriers et leurs familles.

« Au total, la théorie de la Répartition de Ricardo, est un chef-d’œuvre de théorie déductive mais qui, comme toutes les théories déductives, repose sur des propositions insuffisamment démontrées, et, en fin de compte, inexactes. »14

  1. Les Tablettes universelles, 27 septembre 1823, p. 23-26
  2. Rambaud, Histoire des doctrines économiques, 3e édition, Paris 1909, p. 327
  3. Luigi Cossa, Histoire des doctrines économiques, Paris 1899, p. 320
  4. Élie Halévy, La Révolution et la doctrine de l’utilité (1789-1815), Paris 1900, p. 223
  5. Cité dans Revue d’économie politique, 1902, p. 287
  6. Bertrand Nogaro, Le développement de la pensée économique, Paris 1944, p. 77
  7. Revue d’économie politique, 1902, p. 283
  8. Condorcet, Progrès de l’esprit humain, 9e époque
  9. Ricardo, Oeuvres complètes, éd. Guillaumin, 1882, ch XXX, p. 361
  10. Revue d’économie politique, p. 290
  11. John Kells Ingram, « Esquisse d’une histoire de l’économie politique, » Revue positiviste internationale, Paris 1907, p. 156
  12. Leroy-Beaulieu, Traité théorique et pratique d’économie politique, p. 732
  13. Luigi Cossa, op. cit., p. 324-325
  14. Bertrand Nogaro, op. cit., p. 132

En France, une situation économique inquiétante ?

Au vu de taux d’intérêts élevés, de l’inflation et des revenus réels en baisse, un tel cocktail devrait affoler les marchés financiers français et inquiéter les consommateurs selon une simple logique économique.

Pour illustration, l’Allemagne entre en récession et la Chine en déflation. Contre toute attente, le cours des actions est à la hausse, les bénéfices de la plupart des entreprises sont florissants. Excepté pour les Français qui sont exclus à cause de l’affaiblissement de leur pouvoir d’achat, les dépenses se dirigent vers les vacances, les divertissements et les sorties.

Ces tendances sont hors schéma connu d’un cycle économique avec reprise, prospérité, emballement et affaiblissement.

 

La France est-elle en pleine prospérité ou déjà en plein affaiblissement ?

L’indicateur de la faiblesse de la demande de biens et la forte consommation de services nous apportent une réponse.

Certains secteurs de l’économie se dirigent définitivement vers un ralentissement.

Les indicateurs de l’industrie sont en forte baisse, surtout en Europe, y compris en France. La production et les carnets de commandes atteignent des niveaux qui ne s’affichent qu’en cas de récession. Les mesures prises au cours de la crise sanitaire ont permis une augmentation significative de la demande de biens. À l’heure actuelle, la demande régresse.

Parallèlement, la forte hausse des taux d’intérêts affecte les marchés immobiliers. Mais en même temps, le marché de l’emploi est en plein essor et l’envie de consommer ne semble pas être freinée. C’est ce qui rend la situation macroéconomique actuelle à la fois unique et énigmatiquement inquiétante.

 

Les perspectives moroses vont-elles conduire les entreprises à ralentir leur activité et supprimer des emplois ?

Jusqu’à quand les consommateurs vont-ils continuer à consommer, pour ensuite réduire leurs dépenses car le pouvoir d’achat diminue, les économies également, en raison de l’inflation et de l’augmentation des taux d’intérêts ?

On peut expliquer la robustesse du marché du travail et la stabilité de la consommation par les aides versées par l’État dans une période où la consommation avait été limitée.

Les dispositifs mis en place avaient pour objectif d’éviter un effondrement du tissu économique du pays et un chômage de masse. En outre, ceux qui ont bénéficié d’augmentations de salaire et qui n’ont pas à craindre pour leur emploi alimentent par leur dépense le secteur des voyages, des événements culturels. Les chiffres américains sur les dettes des cartes de crédit montrent que ces dépenses se font aussi à crédit.

Cette tendance est corrélée à la situation du marché du travail qui propose beaucoup de postes vacants.

 

Plein emploi selon les chiffres

Pourtant, personne ne répond aux offres d’emplois.

On va trouver une explication dans les conséquences de la crise sanitaire.

Nombreux sont ceux qui ont pris une retraite anticipée ou qui ont réduit leur temps de travail. Également, l’observation de l’évolution démographique montre que les baby boomers partent à la retraite, laissant un vide sur le marché du travail.

On assiste à un phénomène appelé par les économistes la rétention de main-d’œuvre, c’est-à-dire sa thésaurisation. Malgré une conjoncture qui s’essouffle, les entreprises hésitent à licencier du personnel car s’il y a reprise, trouver les personnes compétentes peut se révéler difficile.

Dans un premier temps, le chômage reste bas, et la consommation stable. Cette attitude ne peut être pérenne dans le sens que, s’il y a rétention de main-d’œuvre, les entreprises emploient davantage de personnel que ce qui est économiquement raisonnable. Une solution serait de renoncer aux augmentations de salaire. La baisse des salaires ne serait pas envisageable, car elle impacterait la productivité liée au moral des employés.

 

Les bénéfices et les marges compressées

Les coûts salariaux trop élevés pèsent aussi et surtout sur la rentabilité.

Cela signifie que les marges bénéficiaires des entreprises seront désormais sous pression, après qu’elles auront pu les élargir parfois massivement pendant la reprise.

Même les analystes américains, qui sont souvent un peu trop optimistes, s’attendent en moyenne à une baisse des bénéfices de 9 % par rapport à l’année passée.

C’est une mauvaise nouvelle pour les bourses. Mais pas seulement. Ce sont les consommateurs et l’économie dans son ensemble qui seront impactés par une réduction des investissements faute de bénéfices. Les licenciements seront inévitables afin de réaliser des économies. De plus, l’effet de l’explosion des taux d’intérêt se fera pleinement sentir.

 

Les taux d’intérêts augmentent en France

En France, le schéma est le même, même si les chiffres sont un peu moins importants et que le niveau moyen des taux d’intérêts fixes sur cinq ans n’a augmenté « que » de 1 à 4 %. 

Mais si les États-Unis entraient en récession, la France en ressentirait les effets principalement par le biais du commerce extérieur. L’avenir dira si notre consommation intérieure restera suffisamment forte ou stable pour préserver l’ensemble de l’économie française d’une récession.

Et, honnêtement, nous savons bien que non…

Comment l’IA redéfinit le monde du travail

L’intelligence artificielle (IA) fait incontestablement partie intégrante de notre quotidien moderne.  Que ce soit lorsque vous consultez vos réseaux sociaux, utilisez des applications de navigation comme Waze, ou effectuez une recherche sur Google, l’IA est déjà omniprésente. Il existe cependant une perception négative générale : la peur que l’IA nous remplace dans notre vie professionnelle. Serons-nous tous un jour remplacé par l’intelligence artificielle ? Nos métiers sont-ils en danger ?

Il est logique de se poser ces questions. Mais il est tout aussi important de nuancer l’idée que l’IA entraînera automatiquement la destruction massive d’emplois et de reconnaitre que l’IA en crée également. Accenture a estimé que les entreprises investissant dans l’IA pourraient augmenter leur chiffre d’affaires de 38 % et leurs effectifs de 10 % d’ici 2022 grâce à la productivité accrue. Cependant, la pénurie de compétences en IA reste un obstacle à surmonter.

 

La création de l’emploi par l’IA

Une étude récente de l’Organisation internationale du travail (OIT) des Nations Unies suggère que l’IA a le potentiel de créer davantage d’emplois qu’elle n’en détruit, ouvrant ainsi de nouvelles opportunités passionnantes sur le marché de l’emploi. L’IA « permettra d’accompagner plutôt que de remplacer certaines activités », estime l’OIT. Au lieu de détruire des emplois, l’IA pourrait entraîner des changements dans la qualité des emplois, tels que l’intensité du travail et l’autonomie.

L’étude de l’OIT souligne que l’IA pourrait ouvrir de nouvelles perspectives professionnelles. Voici quelques métiers émergents parmi d’autres qui illustrent comment l’IA peut être une source d’opportunités plutôt que de menaces pour le marché de l’emploi :

Chief data officer, responsable de la gestion et de l’utilisation efficace des données au sein d’une entreprise ; cogniticien, qui améliore l’interaction entre l’homme et la machine, en explorant les comportements humains, les raisonnements et les modes de pensée pour améliorer l’interaction entre l’homme et la machine ; responsable de l’éthique IA : comme les systèmes d’IA soulèvent des questions d’éthique, il veillerait à ce que les algorithmes soient développés et utilisés de manière responsable et non discriminatoire ; analyste financier spécialisé dans l’IA,  qui améliore la prise de décision en matière d’investissement en utilisant l’IA pour identifier et analyser des tendances financières ; et bien d’autres possibilités encore.

 

Au delà de la création de l’emploi, la transformation des emplois actuels

Dans un monde en constante évolution où l’intelligence artificielle prend de plus en plus de place, les métiers ne restent pas immuables. Une étude menée par l’entreprise OpenAI met en lumière la réalité de la transformation des emplois à l’ère de l’IA. Contrairement à une idée reçue, plus de 80 % des professions verront au moins 10 % de leurs tâches modifiées par l’intégration croissante de l’IA dans leurs activités. Cette transformation va au-delà de la création pure d’emplois en remodelant des rôles existants. Des mathématiciens aux écrivains, en passant par les concepteurs d’interfaces web, de nombreux métiers verront leurs tâches optimisées et réinventées grâce à l’IA, exigeant des professionnels une adaptation continue pour prospérer dans ce nouveau paysage en constante évolution.

 

De nouvelles compétences à acquérir pour saisir ces nouvelles opportunités

En réalité, l’IA n’est pas simplement un outil de destruction d’emplois, mais un moteur de création d’opportunités professionnelles. De nouveaux métiers à forte valeur ajoutée nécessitent des compétences techniques et analytiques avancées, ainsi que des compétences humaines, telles que l’éthique et la communication. Alors que l’IA évolue, de plus en plus d’emplois émergeront dans des secteurs tels que la santé, l’éducation et les sciences, nécessitant une main-d’œuvre qualifiée et diversifiée.

Plutôt que de craindre l’IA, il est important de reconnaître qu’elle crée de nouvelles opportunités professionnelles. Les entreprises et les individus doivent investir dans l’acquisition de compétences en IA pour tirer parti de ces nouveaux métiers à forte valeur ajoutée. En développant des compétences techniques et humaines, les travailleurs peuvent se positionner pour réussir dans le paysage professionnel en évolution de l’ère de l’IA.

Sécheresse : quand la bureaucratie nous assoiffe

Chaque année en France, avec les sécheresses estivales, des restrictions d’eau sont imposées : arrosage interdits, piscines prohibées, cultures en friches…

Elles sont nombreuses, parfois symboliques, et font de nombreux mécontents. Ces pénuries sont avant tout le symptôme de la gestion publique de l’eau qui répond à des impératifs politiques et bureaucratiques plutôt qu’au besoin des consommateurs.

 

Pourquoi le marché est la réponse

Alors que le changement climatique risque d’accentuer les problèmes existants, l’État est incapable de penser hors de la sainte trinité de l’action publique : taxations, interdictions et subventions.

La solution existe pourtant : comme le rappelle la directive européenne cadre sur l’eau, elle est un bien marchand différent des autres, mais un bien marchand quand même. Il convient donc de laisser au marché le soin d’allouer l’eau à ses utilisateurs, plutôt que laisser les pouvoirs publics organiser ce qu’ils contribuent à accentuer.

Actuellement, la gestion de l’eau est le fait d’un micmac de bureaucrates et d’élus : préfet coordinateur de bassin, préfet de région, préfet de département, commission locale de l’eau, agence de l’eau, région, département, syndicats mixtes intercommunaux…

Ces acteurs sont en charge de planifier la gestion de l’eau à l’échelle de leur territoire. Ils mettent en place un Schéma directeur de gestion des eaux pour une durée de six ans, et ainsi que des Schémas d’aménagement et de gestion des eaux dont la plupart ont demandé neuf années avant d’être adoptés. La Cour des comptes nous apprend qu’ils « ne sont pas toujours actualisés » et « n’ont souvent pas d’objectifs mesurables ».

Il semblerait donc que ces documents n’ont pas d’autres buts que d’occuper ceux qui les rédigent.

Pire encore, malgré la quantité considérable de moyens publics destinés à la gestion de l’eau, la Cour des comptes nous apprend que l’État ignore le montant des prélèvements effectués chaque année, et ce malgré les 4309 stations dont il dispose à cet effet, en plus des observations faites par l’Observatoire national des étiages (un autre participant du micmac).

L’ensemble des données recueillies par les divers moyens, y compris les déclarations des usagers, présenteraient de nombreuses incohérences. Or, sans connaître les prélèvements, impossible de piloter la ressource.

 

Réveiller le marché pour sauver la ressource

Face à l’incurie des pouvoirs publics, il convient de désengager l’État et les collectivités locales de la gestion de l’eau pour permettre au marché de jouer son rôle de mécanisme d’allocation des ressources dans l’espace et dans le temps.

L’État doit limiter son rôle à la définition et au respect des droits de propriété.

Dans le cas de l’eau, cela revient à déterminer qui a le droit de prélever, combien, où et quand. Ces droits de propriété doivent être assortis d’une séniorité, c’est-à-dire définir qui a la priorité pour prélever quand la ressource est insuffisante. Les méthodes utilisées pour déterminer ces droits sont en général une combinaison de l’ancienneté de l’usage et de la proximité avec la ressource.

D’après la Cour :

« Environ 32 milliards de m3 d’eau sont prélevés annuellement pour satisfaire les différents usages. La moitié de ces prélèvements, soit 16 milliards de m3, servent au refroidissement des réacteurs nucléaires. Viennent ensuite presque à égalité les prélèvements au profit de l’eau potable (5,3 millards m3) et de l’alimentation des canaux (5,4 milliards m3), puis des usages agricoles (3 milliards m3), et enfin des usages industriels (2,5 milliards m3). »

Définir ces droits est un processus qui sera long et originellement conflictuel. Une fois les règles établies, l’État doit mettre en place un mécanisme efficace de résolution des conflits, comme des Cours de l’Eau dont le financement pourrait reposer sur une redevance sur les droits ainsi créés. Pour faciliter ce fonctionnement, l’État pourrait accélérer la détermination de la ressource disponible, en surface et sous terre, et le cycle qu’elle emprunte, financé là encore par une telle redevance. Celle-ci viendrait remplacer celle existante qui coûte 380 millions d’euros aux particuliers.

Ces droits doivent ensuite pouvoir être vendus ou loués afin de permettre au prix de la ressource d’émerger.

Plusieurs prix verront le jour dans différents bassins reflétant l’abondance relative de la ressource et la difficulté de la transporter de façon économique entre les différents bassins.

Les acteurs économiques pourront ainsi adapter leurs comportements à la ressource disponible.

Par exemple, les agriculteurs payant le vrai prix de l’eau, devront, soit évoluer vers une culture moins gourmande en eau, soit la réduire. En sécurisant suffisamment de droits seniors, ils s’assurent aussi de ne pas subir des restrictions d’eau une fois qu’ils ont planté.

Les compagnies des eaux dans les zones sujettes à sècheresses devront trouver un moyen de restreindre la consommation de leurs clients. Cela peut se faire via des prix plus élevés toute l’année, les profits plus élevés l’hiver permettant de financer l’achat de droits l’été, des tarifs variables ou un système de quota avec un quota de base ayant un prix plus faible que le quota de surplus. Les industriels subiront les mêmes incitations que l’agriculteur, et notamment une pression à relocaliser leur production dans les régions plus riches en eau. Enfin, EDF disposera de toutes les informations nécessaires au pilotage et à la manière de produire son électricité.

S’il est bien mis en place, ce système crée aussi les incitations à augmenter la ressource.

Ceux qui, par les mesures de conservation qu’ils mettent en place, notamment une bonne gestion des sols, doivent pouvoir en récolter les fruits en récupérant les droits sur l’eau ainsi rendus disponibles. En faisant payer le vrai prix pour l’eau, ce système encourage à réduire les gaspillages, que ce soit les fuites (les plus évidentes) ou les usages peu valorisés de l’eau. Il permet aussi d’évaluer la pertinence d’un projet d’usine de dessalement.

Enfin, en ayant un prix différent en fonction des saisons (plus faible en hiver et plus élevé en été) et des lieux, il incite à transférer l’eau à travers le temps et l’espace, lorsque c’est économiquement viable.

Alors que les scientifiques alertent sur les risques accrus de sécheresses à cause de changements dans les modèles de précipitations et l’augmentation des températures estivales, il est urgent pour la France de revoir la façon dont sa ressource en eau est gérée.

Au contraire de la Cour des comptes qui recommande une gestion accrue des pouvoirs publics alors qu’elle en liste les échecs, la France doit s’inspirer de ce qui se fait notamment en Australie, ou les expérimentations qui ont rencontré du succès dans les zones arides des USA, et mettre le marché au cœur du processus.

Loi industrie verte : quintessence macronienne

L’industrie a le vent en poupe en Occident, et depuis Trump, les États-Unis ne cessent de vouloir retrouver une souveraineté industrielle.

En dégainant un plan de 370 milliards de dollars sur dix ans composé de subventions et de crédits d’impôts pour toute entreprise désireuse de produire sur le sol américain, l’administration Biden a voulu taper fort pour séduire les investisseurs étrangers.

Inquiet face aux risques de délocalisations massives, le gouvernement d’Elisabeth Borne a donc fait voter ce 22 juillet 2023, en première lecture devant l’Assemblée nationale, la première partie de son projet de Loi industrie verte. Présentée comme une « nouvelle étape de réindustrialisation du pays », ce texte doit permettre « de faire de la France la championne de l’industrie verte en Europe ».

Si la démarche est louable, force est de constater que l’ambition gouvernementale a pour l’instant accouché d’un texte sans souffle, ni réellement industriel, ni réellement écologique, et surtout incapable de lutter avec son concurrent américain : l’Inflation Reduction Act (IRA).

 

Un texte sans vision claire

Malgré une stratégie axée sur quatre priorités : « Faciliter, financer, favoriser et former », le texte peine à définir une politique industrielle claire et innovante pour la France.

Nulle part dans cette loi, le gouvernement n’aura réussi à définir clairement ce qu’est une industrie verte et quelles sont les conditions nécessaires pour la faire advenir. L’essentiel du texte est ainsi réduit à libérer du foncier pour un usage industriel par la réhabilitation des friches, à quelques allégements de procédures administratives, à l’introduction d’éléments environnementaux dans la commande publique, ou encore à une timide mobilisation de l’épargne privée pour financer l’industrie.

Tout n’est assurément pas à jeter.

Quelques mesures sont même les bienvenues, comme la réduction du délai d’implantation industrielle de 17 à 9 mois, ou l’extension du bénéfice de la procédure de déclaration de projet aux implantations d’industries vertes afin de rapidement mettre en compatibilité les documents de planification territoriale ou d’urbanisme avec ces projets.

Mais on ne pourra que regretter que le gouvernement n’ait pas eu les idées plus claires pour proposer une véritable stratégie industrielle autour d’axes simples tels que : comment garantir une énergie propre et bon marché aux industries ? Comment favoriser le financement de l’innovation industrielle et les industries innovantes ? Comment décarboner les industries polluantes déjà présentes ? Ou encore, comment favoriser la relocalisation d’industries parties dans des pays comme la Chine afin qu’elles produisent en France tout en étant à la fois compétitives et respectueuses de normes environnementales strictes ?

 

Un projet de loi victime d’une politique contradictoire

Pire encore, le gouvernement se restreint volontairement dans les propres axes qu’il a défini en étant prisonnier de ses propres contradictions.

En effet, si les mesures facilitant la réhabilitation des friches pour les projets industriels ou la densification des zones d’activités existantes ne sont pas dénuées d’intérêts, il n’en reste pas moins qu’elles sont d’abord la conséquence d’un objectif délirant de zéro artificialisation nette (ZAN) des sols fixé par la loi Climat et Résilience de 2021.

Le Sénat a bien tenté de contourner cette contradiction en excluant l’artificialisation liée aux implantations industrielles du décompte ZAN, mais cette proposition n’a pas emporté l’adhésion du gouvernement et de sa majorité de députés.

Il y a donc fort à parier que la législation ZAN va, comme le fait remarquer très justement le rapport de la commission spéciale de l’Assemblée nationale, « indéniablement accentuer la contrainte financière et la concurrence entre les usages dépendants du foncier », rendant ainsi la France moins compétitive et moins attractive aux projets industriels, dès lors que le foncier y sera plus rare et surtout plus cher.

 

Une approche étatiste toujours trop présente

En proposant enfin de créer une « procédure exceptionnelle simplifiée pour les projets d’intérêt national majeur », le gouvernement nous rappelle à tous que le mythe de l’État stratège a encore de beaux jours devant lui. La version initiale du texte instaurait effectivement une procédure ad hoc de mise en compatibilité par l’État des documents de planification et d’urbanisme pour certains projets industriels de très grande ampleur reconnus d’intérêt national majeur, le tout sans le consentement des élus locaux.

Mesure jugée « inacceptable » par l’Association des Maires de France (AMF) au nom du principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales, les députés se sont finalement résolus à adopter la position des sénateurs en permettant aux élus locaux de s’opposer, dès le début, à ces projets industriels. Si cette victoire sénatoriale est à saluer, il est quand même regrettable que la démocratie locale ne tienne que par la vigilance du Sénat, et non par le souci d’un exécutif de respecter la libre administration des communes.

En définitive, ce projet de Loi industrie verte est avant tout un condensé des reproches régulièrement faits au pouvoir en place : absence de vision politique claire, contradiction dans les solutions proposées et étatisme centralisateur.

Il est donc peu probable que ce texte permette à la France de résister à l’Inflation Reduction Act.

Loi Sapin 2 : c’est maintenant qu’il faut vous inquiéter pour votre assurance-vie (et vos SCPI)

Cela fait maintenant sept années que vous entendez parler de la loi Sapin 2, et de ses impacts sur votre assurance-vie.

Contrepoints avertissait ainsi dès le vote de la loi en 2016, sous la plume de l’économiste Jean-Pierre Chevalier et bien d’autres auteurs. Après plusieurs années de menace théorique, celle-ci devient maintenant une menace réelle, possiblement à court terme.

 

La loi Sapin 2

Mais déjà que dit cette loi Sapin 2 ?

L’avocat Gildas Robert le résume ainsi :

« Si le Haut Conseil pour la stabilité financière considère que l’on est dans une situation exceptionnelle, qu’il faut protéger l’économie et le bilan des assureurs, il peut activer un mécanisme de blocage des retraits de 3 à 6 mois. Cela empêcherait tout le monde de récupérer son argent tout de suite. »

La loi Sapin 2 permet donc de vous empêcher d’avoir accès à votre argent pendant une période de plusieurs mois. Rien de positif pour un épargnant, surtout dans ces moments de crise où elle peut être appliquée, où on ne veut qu’une chose, récupérer son argent au plus vite.

Comme l’essentiel des lois (soyons optimistes), elle part d’une bonne intention, pour gérer un risque réel, celui du bank run. Ou plus exactement ici, de l’insurance run : en cas de perturbation sur les marchés financiers, les retraits massifs par les épargnants des fonds qu’ils ont déposé dans des banques ou chez des assureurs peuvent créer un effet auto-réalisateur dévastateur pour les banques et les assureurs. C’est, dans l’essence, ce qui a accéléré la faillite de Silicon Valley Bank en mars 2023.

Appliqué à l’assurance-vie, des retraits trop rapides pourraient obliger à vendre en catastrophe des actifs, en les bradant. Empêcher temporairement les épargnants de reprendre leur argent, c’est un moyen d’offrir aux banques et assurances le temps nécessaire pour stabiliser les choses, vendre les actifs, etc.

Pourquoi serait-on contre des mesures qui permettent alors de sécuriser tout le monde et de lutter contre cette supposée défaillance du marché ? On vous l’explique à la fin, mais attention, le danger du blocage lui est pour tout de suite.

 

2023 ou 2024, années de l’activation de Sapin 2 ?

Depuis maintenant un an exactement, la BCE a commencé à remonter significativement ses taux d’intérêt, et elle les a remonté sept fois depuis lors !

C’est inédit. Pourquoi ?

Pour lutter contre l’inflation qu’elle a causée par des années de taux bas, voire négatifs, et que l’activité économique et la guerre en Ukraine ont renforcé. Les détenteurs de livret A ont apprécié la hausse du rendement, mais la hausse très forte et très rapide met aussi à mal de larges pans de la finance, dont les obligations, première composante de vos fonds euro. Alors que le livret A rapporte 3 % ou que des obligations peuvent aller jusqu’à plus de 6 % de rendement, plus personne ne veut de ces vieilles obligations d’Etat détenues par les assureurs, qui rapportent parfois des taux négatifs ! Leur valeur sur les marchés s’est donc effondrée, et les assureurs sont dans une course contre la montre pour aller chercher de nouveaux fonds, leur permettant d’acheter de nouvelles obligations, plus rentables.

Pour ne rien arranger, les assureurs avaient tenté de se protéger en remplaçant une partie de leurs obligations par des fonds immobiliers. Mal leur en a pris, car avec la hausse des taux, la valeur de beaucoup de ces fonds (SCPI) s’effondre, parfois plus que les obligations. Au point que la très sérieuse AMF a officiellement averti sur les dangers graves menaçant le secteur. Amundi, le leader du marché a baissé la semaine dernière de jusqu’à 17 % la valeur de ses parts, BNP a fait de même un peu plus tard, et d’autres baisses sont attendues. La très sérieuse Agefi parle carrément de « fin du déni » sur l’effondrement, dont on aurait du se douter, de la valeur de ces SCPI.

Alors quand sortiront les taux des fonds euro 2023 (début 2024), on risque bien de voir qui est nu parmi les assureurs… Et de voir s’amplifier la fuite des épargnants des fonds euro vers d’autres placements, même sécurisés, qui rapportent davantage en ce moment.

En 2022, ce sont plus de 20 milliards qui sont sortis des fonds euro, en net.

Collecte de l'assurance-vie en France (2011 - 2022). Crédits : cleerly.com

Et la tendance ne semble pas s’inverser en 2023.

Et si ça continue encore ?

Le scénario catastrophe, que les assureurs veulent absolument éviter, c’est de se retrouver forcés à vendre sur le marché leurs obligations ou leurs supports immobiliers et à réaliser leurs pertes, qui sont uniquement latentes à ce stade. Ce scénario catastrophe n’est rien d’autre que ce qui est arrivé à Silicon Valley Bank, avec les impacts que l’on connait : impossibilité de rembourser tout le monde, et faillite. La décote de ces obligations se compte parfois en dizaine de pourcents, imaginez l’impact s’il fallait les vendre, avec effet boule de neige et panique des épargnants…

Pour tenter de pallier ce risque, réel, les assureurs font leur possible pour attirer les versement sur leur fonds euro. Mais après des années à pousser à la migration vers les unités de compte, le discours est devenu inaudible pour les épargnants. Les courtiers sont donc contraints de proposer toujours plus de primes, très intéressantes : les promesses d’augmentations d’un point du taux du fonds euro pour tout nouveau versement sont devenus la norme. Certaines banques privées offrent carrément un bonus de deux points de rendement (et parfois plus) pour tout versement de plus de 500 000 euros sur les fonds euro de la banque, si vous avez ces sommes-là !

Mais tout le monde ne pourra pas se refiler le mistigri, et certains risquent d’être collés avec leurs vieilles obligations qui ne rapportent rien, ou leurs SCPI décotées.

Et ce jour là, il ne faudra pas avoir le mauvais fonds euro quand on est épargnant, car cela pourra coûter cher d’être le dernier…

Une activation de la loi Sapin 2 à cette occasion serait possible, permettant peut-être de limiter un peu la casse, mais surtout en vous empêchant d’accéder à votre argent, avec tout le stress afférent ! À vous de voir si vous êtes joueurs, ou au contraire voulez sécuriser sur d’autres placements (par exemple sur des comptes à terme, qui peuvent rapporter plus de 3,5 %). Le pire n’est pas acquis, mais le moment de vérité est très proche.

 

Sapin 2, une mesure inéquitable, et inutile

Sapin 2 risque donc de vous priver de votre épargne, à court terme. Mais pourquoi celle loi est-elle inutile voire mauvaise ?

Là encore, comme dirait Frédéric Bastiat, il y a « ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas ». Cette restriction énorme au droit qu’à chacun de disposer de son argent ne manque pas d’effets pervers. En se substituant ainsi aux épargnants pour faire des choix éclairés, l’État crée déjà un dangereux aléa moral, et encourage inutilement la prise de risque au niveau des assureurs. Alors qu’ils savent qu’ils ont des chances élevées d’être protégés, ils sont incités à prendre davantage de risque, et à mal gérer votre argent.

Une incitation hautement toxique, déresponsabilisante, alors qu’une approche saine serait de laisser les assureurs développer des poches bloquées, non liquides et plus rentables. Les SCPI par exemple gèrent cela en encadrant la liquidité de manière contractuelle, et libre aux épargnants qui peuvent se permettre cette contrainte du blocage d’investir dans le produit.

Enfin, ces mesures ne sont que des pis-aller, qui ne peuvent pas protéger longtemps les mauvais acteurs de la faillite. Pour en revenir au même exemple, Sapin 2 n’aurait pas pu empêcher la faillite d’un Silicon Valley Bank, qui avait de toute manière trop d’argent bloqué dans des actifs qui avaient perdu une large part de leur valeur. Sapin 2 n’aurait permis que de renvoyer le problème à trois mois plus tard. Il en est de même pour ces obligations : si la perte de confiance est telle que les assureurs doivent vendre leurs actifs, il est déjà trop tard, Sapin 2 ou pas.

Au final, si l’on résume,  l’État a créé un problème d’inflation en baissant artificiellement des taux, puis tente de réagir en les remontant massivement. Ce faisant, il cause des problèmes aux assureurs qu’il met sérieusement en danger, et tente de corriger enfin tout cela par une loi Sapin 2 mal fichue de plus. Vous avez dit pompier pyromane ? Il est temps de libérer l’économie et de revenir à un schéma sain, avec moins d’intervention étatique…

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Le prix du lait : mythes et réalités d’un défi économique (2)

Première partie de cette série ici.

 

Quel devrait être le prix d’une bouteille de lait dans les grandes surfaces ?

Dans la première partie, nous avons vu que cette question est mal posée : la répartition de la part des différents acteurs dans le prix final du lait ne laisse presque aucune marge nette à aucun d’entre eux.

À part l’État lui-même – qui extrait visiblement plus de la moitié du prix du lait à son propre profit – la comptabilité des agriculteurs, des entreprises agro-alimentaires et des grandes surfaces sont, soit dans le rouge, soit à peine à l’équilibre.

Dans ce contexte, les syndicats de producteurs de lait proposent pourtant deux solutions qui consistent respectivement

  • soit à fixer les prix en grande surface,
  • soit à rémunérer les facteurs de production à leur coût.

 

Solution à la française

Dans un système d’économie centralisée où les prix sont décidés par un bureaucrate, il est d’usage de déclarer que le prix à la consommation est le coût total de production – y compris les intermédiaires – auquel s’ajouterait une marge « juste ».

Comme la France est pétrie de marxisme, la question est donc ainsi abordée. TF1 envoie un reporteur qui pose la question : « Lait : quel est le juste prix ? »

On apprend alors que le juste prix est de un euro le litre.

C’est une excellente nouvelle pour tous ceux qui n’ont pas passé une partie de leur vie à apprendre puis à enseigner la micro-économie : ça ne servait à rien. Pour régler un problème sociétal sérieux, né d’une gestion publique calamiteuse, il suffit d’aller faire un peu de journalisme et de se trouver un job de stagiaire à TF1…

Il « suffirait » donc que le gouvernement décrète des prix planchers de 550 euros les 1000 litres à la production, et de 1000 euros à la consommation, et tout le monde serait content.

Tout le monde ? Non, évidemment le consommateur verrait le prix du lait augmenter au supermarché du coin de sa rue.

Certains agriculteurs pensent sérieusement que si les grandes surfaces avaient interdiction de vendre le lait à moins de un euro le litre, la situation s’améliorerait.

 

Élasticité-prix

C’est faire l’impasse complète sur la notion d’élasticité-prix : lorsqu’un prix augmente, les consommateurs achètent moins d’un produit.

En supposant que l’élasticité-prix avoisinerait la valeur de -1,00, une hausse de 20 % du prix du lait en grande surface conduirait à une baisse équivalente de la consommation. Les producteurs ne verraient pas la forte hausse des prix qu’ils espèrent. En fait, ils se retrouveraient au contraire avec des milliers de litres sur les bras.

On dit généralement que les produits de première nécessité sont inélastiques par rapport aux produits de luxe. En particulier, le lait liquide a longtemps été considéré comme l’une des matières premières les plus inélastiques par rapport aux prix.

Dans les années 1990, j’enseignais que la plupart des estimations économétriques de l’élasticité-prix de la demande de produits de première nécessité étaient nettement inférieures à l’unité ; comme l’avaient, par exemple, montré le professeur Brian Gould et alii dans « The Demand for Fluid Milk Products in the U.S. » dans le Western Journal of Agricultural Economics (15(1): 1-12) en 1990.

Dans une compilation de 160 études américaines antérieures à 2010, la professeur Tatiana Andreïeva et alii avaient d’ailleurs dérivé la valeur absolue de la moyenne l’élasticité-prix des catégories aliments et boissons. La valeur de la catégorie lait était de -0,59, ce qui est relativement inélastique, selon leurs recherches publiées dans l’American Journal of Public Health (100(2): 216–222) en 2010.

Mais, même à ce faible niveau, il n’y a aucune chance que l’imposition d’un prix du lait à un euro dans les grandes surfaces n’aboutisse pas à une catastrophe pour les producteurs au lieu d’être la mesure miracle.

À ce niveau d’élasticité de la demande, la hausse du prix du lait de près de 20 % résulterait en une baisse de la consommation d’environ 12 %. Peut-être que de rares exploitants bénéficieraient de quelques euros en plus mais, globalement, de nombreuses fermes disparaîtraient.

Cependant, au sein du groupe de produits essentiels à la vie, il est difficile de différencier les produits laitiers à l’aide de facteurs autres que le prix et de nombreux détaillants alimentaires affirment que la demande de lait liquide est beaucoup plus sensible aux prix qu’auparavant.

Je n’ai aucune idée de quelle pourrait être l’élasticité-prix du lait en France, car ce n’est pas le genre de questions pratiques sur lesquelles se jettent les experts de l’INSEE, bien trop occupés avec les grands équilibres macro-économiques keynésiens. En ce moment, ils sont sûrement accaparés par le chiffrage de la micro-baisse d’impôts annoncée le 15 mai (et dont nous sommes toujours, hélas, sans aucune nouvelle malgré les recherches des secours, qui craignent le pire.)

L’absence d’études françaises sérieuses est déplorable. À quoi paie-t-on les fonctionnaires de l’INSEE et des universités ? Les seules études en langue française sont soit canadiennes (ici) soit franchement anciennes ().

À défaut, nous pouvons nous référer aux études américaines du Département de l’agriculture qui donne des élasticités comprises entre -1,26 et -1,65 pour les différents types de lait, selon le bulletin 1928 de l’Economic Research Service de décembre 2010.

Ces chiffres sont comparables à ceux trouvés par Natsuki Sano et alii dans leur article « Evaluation of Price Elasticity and Brand Loyalty in Milk Products » sur les élasticités-prix des produits laitiers au Japon dans Procedia Computer Science (35: 1482-1487) de 2014.

En Slovaquie, la demande de lait entier serait très élastique (-1,42) et celle de lait écrémé serait plus inélastique (-0,53) selon les professeurs Lucia Vargová et Martin Jamrich, dans les comptes rendus d’une conférence ITEMA de 2018.

À de tels niveaux, les espoirs des syndicalistes de l’agriculture seraient parfaitement vains… Ils ne sauveront pas les exploitations agricoles en difficulté avec une imposition des prix au niveau des grandes surfaces.

 

Une loi pour le lait ?

Mais qu’à cela ne tienne, dans la république du président le plus crasse en économie depuis, disons, messieurs Chirac, Hollande et Sarkozy, pour compenser les effets d’un prix minimum en grande surface, un énarque serait en charge d’inventer un « chèque lait » de 23,17 euros par an, obtenu sous condition de ressources (évidemment), qui « aiderait » les « familles les plus démunies » au nom de la « fraternité » et de la « solidarité » (bien sûr).

La « loi lait » contiendrait un volet sur la « concurrence » et « fixerait des règles du jeu équitables », c’est-à-dire contraindrait de façon absolument ridicule les marges des différents acteurs.

N’oublions pas l’inévitable subvention « bio » pour une filière qui aura tellement de producteurs qu’il sera bientôt impossible de trouver des débouchés.

Je plaisante, mais c’est exactement l’esprit de la stupide loi Egalim dont on se demande comment il est possible de trouver une majorité pour adopter une telle ineptie.

Comme le claironne Philippe Clément, président de la Fédération départementale des syndicats d’exploitation agricoles des Vosges : « il y a un contexte législatif aujourd’hui qui s’appelle la loi Egalim. Cette loi doit permettre la rémunération des productions agricoles à partir de leurs coûts de production » (nos italiques).

À aucun moment cet individu ne songe que tous ses problèmes proviennent précisément de l’idée absurde de rémunérer la production à partir d’un coût de production. C’est absolument benêt !

Dans une économie libre, les entrepreneurs découvrent qu’il existe une opportunité de profit pur car les coûts sont plus bas que les prix de vente : ils se lancent alors dans l’activité en question.

La théorie de l’entrepreneur d’Israel Kirzner s’articule autour de la notion essentielle selon laquelle les entrepreneurs jouent un rôle crucial sur le marché en découvrant et en exploitant ces opportunités de profit.

Selon le professeur Kirzner, les entrepreneurs ne sont pas seulement des preneurs de risques, mais plutôt des individus alertes et vigilants, qui possèdent une capacité unique à identifier les lacunes du marché où des bénéfices peuvent être réalisés parce que la structure des prix est telle qu’il existe un écart entre la somme des coûts et les prix de vente d’un produit donné.

Les entrepreneurs sont ceux qui mobilisent des ressources pour saisir ces opportunités de « profit pur », qui fait référence aux revenus supplémentaires que les entrepreneurs peuvent capter en exploitant avec succès les opportunités du marché.

Contrairement au profit normal, qui rémunère les entrepreneurs pour leur temps et leur capital investis, le profit pur représente les rendements excédentaires qui découlent de la découverte et de l’exploitation entrepreneuriales d’opportunités jusque-là passées inaperçues : dans un tel contexte, les coûts de production ne jouent absolument aucun rôle sur la fixation des prix de vente.

Si un agriculteur découvrait une façon de produire le lait à 250 euros les mille litres, il n’y aurait aucune raison qu’il le vende à 255 euros si Lactalis l’achète à 483 euros en février 2023.

Le professeur Kirzner soutient que ces bénéfices résultent de la capacité de l’entrepreneur à identifier et à agir sur des informations que d’autres ont négligées, éliminant ainsi le potentiel d’arbitrage sur le marché. En identifiant les ressources sous-évaluées ou les demandes non satisfaites des consommateurs, les entrepreneurs peuvent créer de la valeur et réaliser des bénéfices purs en alignant les ressources de manière plus productive et efficace, bénéficiant ainsi à la société dans son ensemble.

Ces opportunités de profits purs potentiels créent une incitation permanente à la découverte de nouvelles techniques de production qui en retour augmentent la productivité et diminuent les coûts.

C’est à travers l’augmentation subséquente de la production, et donc de l’offre, que les prix baissent, et non par la baisse des coûts, qui, encore une fois, n’ont aucun rôle économique dans la fixation des prix sur les marchés libres, contrairement à ce que pense le ponctionnaire lambda de la DGCCRF.

Il est bien évident que c’est le type d’économie dans laquelle nous voulons vivre, plutôt que dans celle où les prix suivent un script écrit par un petit personnage gris, insipide et rigide du Directorat des Produits Laitiers du Commissariat Général des Plans Quinquennaux.

Si l’entrepreunariat consistait à démarrer une activité puis à demander à l’État d’imposer un prix supérieur au marché au motif que les coûts sont trop hauts, tous les secteurs de l’économie seraient en déficit.

Non seulement ces déficits s’accumuleraient un peu partout dans l’économie mais, rapidement, les coûts augmenteraient car il n’y aurait aucune incitation kirznérienne à trouver un moyen de mieux faire usage des ressources rares.

C’est exactement comme ceci que l’URSS essayait de fonctionner jusqu’à son effondrement, dont nous payons collectivement les pots cassés, aujourd’hui, en Ukraine, trente ans plus tard…

 

Conclusion

Les syndicats d’exploitants agricoles proposent donc de fausses solutions.

L’idée de fixer les prix en grande surface serait absolument catastrophique si les élasticités-prix en France étaient similaires à ce qu’elles sont partout ailleurs : les agriculteurs se retrouveraient avec des milliers de litres invendus du fait de la baisse de la consommation.

L’idée de rémunérer les facteurs de production à leur coût est anti-économique : elle empêcherait toute amélioration des techniques de production. À une époque où les fermes sont un lieu d’innovation technologique majeure, l’idée est simplement le meilleur moyen de se retrouver à la traîne face au reste de la zone économique européenne à brève échéance.

Dans la première partie, nous avons vu que la répartition du prix final d’un litre de lait n’est pas inique.

Dans cette partie, nous venons de voir que les deux principales propositions du monde syndical agricole sont le meilleur moyen pour les agriculteurs de se suicider économiquement.

Mais que faire alors ?

Avant de nous poser cette question, nous devrons prendre le temps de trouver pourquoi la situation a autant dégénéré au cours des 7 ou 8 dernières années. Après tout, pourquoi les prix du lait, qui étaient objectivement plus bas il y a dix ans, ne suffisent-ils plus à seulement couvrir les coûts des exploitations ?

Loi de programmation militaire : « habemus legem »

Lors d’une commission mixte paritaire (CMP), lundi 10 juillet, députés et sénateurs ont trouvé un compromis sur une version harmonisée du projet de loi de programmation militaire (LPM) pour les années 2024 à 2030.

Un accord a été trouvé sur le rythme de la progression des dépenses, qui sera plus fort les premières années. Le compromis prévoit aussi la création d’une commission parlementaire sur l’évaluation des exportations d’armes. L’argent du livret A pourra financer les PME de la défense. Le texte, qui prévoit 413 milliards d’euros pour les armées sur l’ensemble de la période, sera définitivement adopté par le Parlement après validation de l’accord par l’Assemblée nationale mercredi 12 et par le Sénat jeudi 13 juillet.

« Habemus legem » et ce n’était pas gagné ! Quand on sait que la CMP, initialement prévue jeudi dernier, a été reportée au dernier moment par le gouvernement faute d’un accord avec les sénateurs. Un compromis a finalement été trouvé sur le budget des armées. Pour y parvenir, chacun y a donc mis du sien : Christian Cambon bien sûr, mais aussi le président du Sénat, Gérard Larcher, la Première ministre Élisabeth Borne, le sénateur socialiste, Rachid Temal, et le ministre des Armées, Sébastien Lecornu.

 

Compromis sur les « marches » budgétaires

Le rythme de progression annuel des dépenses militaires (que les sénateurs voulaient accélérer) – qui doivent passer de 47 milliards d’euros en 2024 à 68 milliards d’euros en 2030 – était l’enjeu essentiel de la CMP.

Le texte du gouvernement prévoyait une hausse de +3 milliards d’euros les premières années, avant une plus forte hausse après la présidentielle de 2027 (+4,3 milliards par an à partir de 2028), quand les sénateurs voulaient +3,6 milliards dès le début. L’accord s’est finalement dessiné au dernier moment, avec des discussions dimanche et jusque tard dans la soirée, en coupant la poire en deux : +3,3 milliards en 2024 et 2025, puis +3,2 milliards en 2026 et 2027, avant d’atteindre +3,5 milliards en 2028, 2029 et 2030. Soit, quand on cumule, +2,3 milliards d’euros supplémentaires jusqu’en 2027 pour les armées. La trajectoire adoptée par la CMP reflète un « lissage » de l’effort budgétaire et un compromis entre le gouvernement et la droite sénatoriale.

« C’est un beau succès pour le Sénat, puisqu’on a atteint notre objectif qui était d’accroître les marches de progression des dépenses militaire jusqu’en 2027. C’est 2,3 milliards de plus que ce que le gouvernement avait prévu sur 2024-2027. Le gouvernement a fait le geste que nous attentions », salue Christian Cambon, président LR de la commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat, et rapporteur du texte à la Haute assemblée.

Le rapporteur du projet de loi Jean-Michel Jacques (Renaissance) s’est réjoui qu’un « point de convergence » ait été trouvé sur le sujet. Une satisfaction également exprimée par Jean-Louis Thériot (Les Républicains), tandis que Bastien Lachaud (La France insoumise) a continué à déplorer une « absence de moyens réellement supplémentaires » pour les armées françaises.

 

Précisions sur une partie des ressources extra-budgétaires

Des précisions insuffisantes concernant les 13 milliards de ressources extra-budgétaires sur lesquelles compte le gouvernement pour atteindre l’enveloppe globale de 413 milliards sur l’ensemble de la période avaient été critiquées par les oppositions.

La CMP, poursuivant les efforts du Sénat, a notamment précisé le montant de cessions immobilières (5,9 milliards) attendu par le ministère des Armées.

 

Création d’une commission parlementaire sur l’évaluation des exportations d’armes

Le texte de la CMP prévoit également un premier pas vers un contrôle parlementaire des ventes d’armes à l’étranger.

« Nous avons obtenu la création d’une commission parlementaire sur l’évaluation des ventes d’armes. C’est une avancée historique », se réjouit le sénateur PS du Val-d’Oise, Rachid Temal, dont le groupe avait défendu une mesure similaire.

Elle sera composée de trois députés et trois sénateurs, dont les présidents des commissions des affaires étrangères et de la défense côté Sénat, et celui de la défense côté Assemblée. Ils seront habilités secret-défense.

« C’est une belle avancée sur le contrôle parlementaire, un pas tout à fait notable », salue de son côté Christian Cambon, qui précise qu’il s’agira d’« évaluer et non pas de contrôler ».

Dans le texte issu du Sénat, c’est la délégation parlementaire au renseignement qui était dotée de cette prérogative de contrôle. Le ministre s’y était opposé.

 

Le livret A pourra financer l’industrie de défense

Le livret souveraineté voulu par le Sénat n’a pas été retenu.

La CMP prévoit à la place une idée issue de l’Assemblée, qui « vise à faire en sorte qu’une partie du livret A puisse aller au financement de l’industrie » de défense, dont les sous-traitants et petites entreprises ont du mal à obtenir des prêts auprès des banques.

 

Un contrôle parlementaire renforcé

Les sénateurs ont par ailleurs obtenu gain de cause sur un contrôle parlementaire renforcé de la LPM, qui sera notamment évaluée lors d’un premier bilan en 2027.

Les sénateurs socialistes ont obtenu par ailleurs « un livre blanc » pour la prochaine LPM, souligne Rachid Temal, pour faire le point en « profondeur », ce qui n’a pas été le cas cette fois-ci.

 

La loi promulguée le 14 juillet…

Les conclusions de la CMP sont à l’ordre du jour de l’Assemblée mercredi 12 et à l’ordre du jour du Sénat jeudi 13.

Une fois l’accord approuvé, le texte sera définitivement adopté.

Un calendrier permettant une promulgation de la loi par le chef de l’État, Emmanuel Macron, le jour de la Fête nationale, juste avant le traditionnel défilé militaire des forces armées sur les Champs-Elysées – une « dimension symbolique importante », selon le président de la commission de la défense et des forces armées Thomas Gassilloud.

La loi de programmation militaire pourrait-elle ne pas être votée ?

La commission mixte paritaire (CMP) sur la loi de programmation militaire (LPM) qui devait permettre de trouver un accord entre l’Assemblée et le Sénat, a été reportée… à lundi prochain. À défaut d’un accord entre les deux assemblées, l’échec sur ce sujet à quelques jours du 14 juillet, date butoir des Cent-Jours, pourrait bien ressembler à un Waterloo présidentiel.

Les observateurs ont bien compris que les armées françaises ne sont pas prêtes pour essuyer les combats qui se déroulent en Ukraine. Elles devront peut-être y être confrontées un jour, c’est pourquoi elles ambitionnent de se rééquiper et de se moderniser avec la nouvelle loi de programmation militaire. Mais des divergences entre le ministre des Armées et le Sénat (dont la moitié de ses membres sera renouvelée en septembre prochain) retardent le vote de cette Loi-cadre sur un sujet urgent !

 

Un vœu présidentiel

Le 13 juillet dernier, à l’Hôtel de Brienne, Emmanuel Macron avait dit aux militaires :

« Tout confirme notre analyse stratégique de la menace […]. La défense est la première raison d’être de l’État, s’il faut aller plus loin, nous le ferons. »

Le chef des armées avait alors mis six mois pour dévoiler, le vendredi 20 janvier 2023, les grandes orientations de la future Loi de programmation militaire (LPM) 2024-2030, augmentant les budgets d’un tiers. Nous avions – dans un article publié la semaine suivante dans les colonnes de Contrepoints et du blog Méchant Réac ! © – approuvé l’augmentation des budgets militaires, mais émis des doutes sur l’efficacité de la dépense publique.

Encore six mois se sont écoulés entre la présentation des grandes orientations de la future LPM et son adoption par le Parlement. Un an après le constat fait par le chef de l’État devant les armées ! Un an de tergiversations intellectuelles, d’hésitations, de « j’y vais et en même temps j’y vais pas », pour une décision finale sur un sujet reconnu comme prioritaire par Emmanuel Macron, qui ne portera ses fruits pas avant une décennie et qui repose sur un double pari !

 

Des arbitrages difficiles

Le 4 avril 2023, après les arbitrages classiques entre Matignon et Bercy, le ministre des Armées a présenté, en Conseil des ministres, le projet de la LPM.

De 32 milliards d’euros en 2017, le budget des armées devrait atteindre 69 milliards d’euros en 2030. Sur toute la période, la LPM mobilisera 413 milliards d’euros, contre 295 milliards d’euros pour la précédente loi 2019-2025. Si la trajectoire de la nouvelle loi de programmation 2024-2030 est bien respectée, car les budgets doivent être votés chaque année.

Le 7 juin, le projet de LPM a été adopté en première lecture à l’Assemblée nationale à une large majorité avec 408 voix pour et 87 contre. Jusqu’à cette date, le locataire de l’Hôtel de Brienne avait remporté l’essentiel des arbitrages face à la Première ministre (se payant même le luxe de mettre Bruno Le Maire de son côté) et obtenu des députés que son texte ne soit modifié qu’à la marge.

Si le texte de l’Assemblée nationale a été adopté dans un état quasi-conforme aux vœux de l’exécutif, le gouvernement a eu maille à partir avec la majorité LR au Sénat. Le président de la Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées Christian Cambon, fin connaisseur du sujet et dont le mandat s’achève en septembre, a engagé toutes ses forces dans la lutte.

 

Une accélération du cadencement des dépenses les premières années

Les sénateurs ont voté un certain nombre d’amendements inacceptables par l’exécutif, notamment celui portant sur le cadencement des dépenses.

Les députés avaient simplement regretté que le texte présenté par l’exécutif ne reporte son effort financier qu’après 2027 : ces « marches » d’évolution budgétaire très progressives, repoussant la plus forte hausse des dépenses après l’élection présidentielle de 2027 en engageant 47 milliards d’euros pour 2024, 56 milliards en 2027, avant d’atteindre 69 milliards en 2030.

Ces « marches » qui seraient le résultat de savants arbitrages, notamment entre le poids de la dette et le rythme de montée en puissance des industriels de la défense, n’ont pas convaincu les sénateurs. Il faut avouer qu’un tel débat avait déjà eu lieu, lors de la précédente LPM 2019-2025, où l’essentiel de l’effort budgétaire intervenait après l’échéance de l’élection présidentielle de 2022. Les sénateurs ont donc prévu une augmentation de 3,5 milliards d’euros dès la première année d’exécution de la loi, en 2024 (contre 3,1 milliards de prévus), puis de 3,6 milliards tous les ans (au lieu de 3 milliards jusqu’en 2027 et 4,3 milliards à partir de 2028).

 

Une enveloppe budgétaire gonflée

Un autre bras de fer devait s’engager entre Sébastien Lecornu et les sénateurs.

Inquiets de ne voir que 5,9 milliards des 13 milliards de ressources exceptionnelles réellement garanties par l’exécutif, les sénateurs ont transformé les 7 milliards manquants en crédits budgétaires classiques, faisant passer l’enveloppe budgétaire de 400 à 407 milliards. Le ministre accusait alors le Sénat de dépasser l’enveloppe prévue, interprétation contestée par la commission de la haute assemblée.

Le groupe à l’Assemblée nationale, dirigé par Olivier Marleix, avait obtenu la sécurisation des 13 milliards d’euros de ressources extrabudgétaires d’ici à 2030. Dans la version initiale du projet du gouvernement, cette enveloppe incertaine dépendait de futures cessions immobilières ou d’éventuels transferts provenant d’autres ministères.

Un autre amendement devait créer la polémique entre le gouvernement et le Sénat. L’Armée de terre avait eu gain de cause sur une partie de son nombre de blindés au palais Bourbon. Le rythme de renouvellement de ces équipements vieillissants avait été ralenti dans le texte initial, suscitant l’émoi dans un certain nombre de cercles militaires, mais un amendement déposé par le gouvernement et adopté promettait une centaine de véhicules supplémentaires d’ici à 2030 – 92 Griffon (des véhicules blindés multi-rôles) et 38 Jaguarengins blindés de reconnaissance et de combat. Ces blindés de nouvelle génération seront financés en dehors des 413 milliards de la LPM.

Face aux doutes stratégiques des armées, les sénateurs ont augmenté le nombre de blindés de type Griffon (+ 153 unités), de Jaguar (+ 17) et de Serval (+ 325), ou encore rehaussé le nombre de patrouilleurs hauturiers (+ 10) ou encore d’avions de transport A400M (+ 2). Le ministre annonce une facture portée à « au moins 416,2 milliards, si ce n’est 420 milliards » du fait de ces modifications.

 

Des pouvoirs de contrôle renforcés

Divers amendements sénatoriaux adoptés ont enfin visé à renforcer la transparence de la LPM, notamment à travers des rapports d’étape, ou à contraindre le gouvernement dans l’exécution de sa programmation.

Une LPM n’est en effet pas contraignante en soi : chaque année, les dépenses anticipées doivent être votées par le Parlement dans le cadre des projets de loi de finances. Le Sénat a ainsi rétabli l’objectif de porter la part du budget des armées à 2 % du PIB dès 2025 – une norme OTAN – alors que l’exécutif aurait préféré de la souplesse jusqu’en 2027.

Un autre amendement instituant une commission de vérification des exportations d’armement, qui serait intégrée au sein de la délégation parlementaire au renseignement (DPR) creuse le fossé avec l’exécutif. Ce dernier ne tolère aucune remise en question de ses prérogatives sur un sujet qu’il considère de son seul ressort. Le parlement doit se contenter simplement d’un rapport d’informations.

 

La Commission Mixte Paritaire reportée à lundi

Les positions du Sénat et du ministre étaient encore trop éloignées mercredi matin, pour que la CMP prévue le lendemain puisse se tenir. La consultation de l’agenda sénatorial fixe au lundi matin la première réunion de celle-ci.

La commission mixte paritaire, composée de 7 députés et de 7 sénateurs s’annonce quand même à haut risque. Sa composition doit représenter les tendances politiques de chaque assemblée. La majorité présidentielle dispose d’une majorité au sein des sept représentants de l’Assemblée nationale (quatre Renaissance ; un LFI ; un LR ; un RN). Elle est en revanche minoritaire au sein des représentants du Sénat (trois LR ; deux socialistes ; un centriste ; un Renaissance). Dans un savant exercice d’équilibriste, la majorité présidentielle devra s’appliquer à convaincre le représentant LR de l’Assemblée, et les représentants socialiste et centriste du Sénat.

Le scénario de l’échec de la CMP, qui contraindrait le gouvernement à relancer le processus législatif de zéro à la rentrée, dans le contexte de la guerre en Ukraine, ne peut plus être exclu aujourd’hui. Seul un accord en CMP qui satisfait le gouvernement permettrait de soumettre le texte, dans la foulée, au vote solennel des deux assemblées, et pourrait être adopté rapidement.

 

Un texte de compromis sur un pari risqué

Si ce budget des armées représente une hausse historique des crédits (+ 40 % par rapport à la précédente LPM, 2019-2025) sur fond de guerre en Ukraine, il a obligé à des choix capacitaires drastiques et reste marqué par l’inflation des prix de l’énergie et des matériaux qui représente 30 milliards d’euros sur les 413 milliards annoncés.

Le projet de LPM adopté par la Commission paritaire demeurera un texte de compromis, dans un contexte budgétaire contraint. Il permettra d’optimiser les capacités militaires, de poursuivre la modernisation des armées, de dynamiser certains domaines (renseignement, cyber), mais il ne fera que boucher les trous de segments comme les drones, l’artillerie et les ressources humaines.

Bref l’exécutif, suivi par une large majorité des députés et sénateurs, fait un double pari : d’une part, qu’un nouveau scénario de guerre à l’ukrainienne n’est pas pour l’horizon 2030 ; d’autre part que les finances publiques soient maîtrisées. Un double pari risqué…

Une étude accuse la réglementation de causer la baisse de l’innovation

Par : Reason

Par William Rampe.

Les économistes établissent depuis longtemps un lien entre des niveaux élevés de réglementation et une diminution de l’innovation. Une étude sur les entreprises françaises, qui sera bientôt publiée, apporte des preuves supplémentaires à l’appui de ce qui est aujourd’hui une sagesse conventionnelle.

L’étude, un document de travail datant de 2021 qui sera bientôt publié dans l’American Economic Review, a été réalisée par les économistes Philippe Aghion et John Van Reenen de la London School of Economics et Antonin Bergeaud d’HEC Paris. Ils ont utilisé les données de l’administration fiscale française de 1994 à 2007 pour déterminer si la réglementation affecte « le rythme et la nature de l’innovation » dans les entreprises « et si oui, dans quelle mesure ».

 

Les auteurs constatent que « la fraction des entreprises innovantes chute fortement juste à gauche du seuil réglementaire », qu’ils qualifient de « vallée de l’innovation », car les conséquences réglementaires de l’augmentation du nombre d’employés signifient que les entreprises choisissent de ne pas innover. Il en va de même pour les réponses des entreprises aux chocs de la demande, car les entreprises « dont la taille se situe juste en dessous du seuil réglementaire » choisissent de ne pas augmenter leur production pour répondre à cette demande en raison des implications réglementaires.

Au total, les auteurs concluent que la réglementation du travail équivaut à une taxe de 2,5 % sur les bénéfices, qui réduit l’innovation d’environ 5,4 % et « réduit le bien-être d’au moins 2,2 % en termes d’équivalent consommation ». Cet impôt sur les bénéfices continue d’affecter les entreprises situées à droite du seuil, ce qui se traduit par « un aplatissement plus important de la relation positive entre l’innovation et la taille de l’entreprise ».

Les auteurs examinent les effets de la réglementation du travail sur les entreprises comptant entre 10 et 100 employés, en notant que « de nombreuses réglementations du travail s’appliquent aux entreprises de 50 employés ou plus », et mesurent la capacité d’innovation des entreprises par le nombre de brevets.

Ces réglementations obligent les entreprises à consacrer des ressources à d’autres activités que la production, notamment à consacrer des revenus à la formation des travailleurs, à offrir une représentation syndicale, à créer des régimes de participation aux bénéfices et à mettre en place un comité d’entreprise avec une représentation des travailleurs.

« Nous ne disons pas que toutes les réglementations sont mauvaises, mais plutôt qu’il est important d’aller au-delà de l’approche habituelle de la réflexion sur les coûts et les bénéfices, qui est à court terme et ignore généralement l’innovation à long terme », explique M. Van Reenen à Reason.

Les contrôles mis en œuvre pour soutenir les travailleurs peuvent s’inscrire dans une perspective sympathique. Pourtant, leurs effets de distorsion finissent par nuire à l’économie dans son ensemble en décourageant la production et en diminuant la création de nouveaux produits.

« Les entreprises réagissent aux incitations et aux désincitations et nous constatons que même lorsque les entreprises connaissent des évolutions positives, telles qu’une augmentation de la demande, elles peuvent encore hésiter à investir dans la recherche et le développement et à poursuivre l’innovation si elles sont proches de ce seuil de taille », explique M. Bergeaud à Reason. « En effet, une innovation réussie implique une croissance, ce qui, dans ce cas, signifierait franchir le seuil des 50 employés et encourir des coûts supplémentaires. »

Un autre résultat intéressant de l’étude est que les entreprises qui innovent dans le cadre d’une réglementation substantielle ont tendance à « prendre le taureau par les cornes » car « la réglementation décourage la R&D incrémentale » et les entreprises veulent « éviter d’être seulement légèrement à droite du seuil ». Si les innovations importantes font l’objet d’une couverture médiatique et ont un impact considérable sur le bien-être des consommateurs, les innovations mineures présentent également des avantages, car elles permettent aux entreprises de répondre à des préoccupations immédiates moyennant des investissements moindres.

 

Même si la législation du travail française est plus stricte que celle des États-Unis, les conclusions de l’étude constituent un avertissement pour les décideurs politiques américains qui cherchent à renforcer la protection des travailleurs en donnant aux syndicats un rôle plus important dans l’économie et en augmentant le salaire minimum. Comme le soulignent les auteurs, les améliorations à court terme des conditions de travail résultant de ces politiques auront des effets néfastes à long terme sur l’innovation et le bien-être des consommateurs.

L’intervention de l’État faussant les incitations, elle aboutira inévitablement à des résultats indésirables, que ce soit à court ou à long terme.

Comme le souligne l’économiste Thomas Sowell dans son livre A Conflict of Visions, « il n’y a pas de solutions, il n’y a que des compromis ».

Sur le web

La prostitution devrait être un métier comme les autres !

Il y a un an, la Belgique est devenue le premier pays européen à reconnaître la prostitution comme une activité professionnelle méritant les mêmes droits et obligations que tout autre travail indépendant. Aussi, les parties tierces ne sont plus sanctionnées (un loueur, une banque qui fait un prêt, quelqu’un qui fournit un véhicule…) puisque la loi énonce que « tous les tiers qui soutiennent leur activité ne peuvent plus être poursuivis, sauf en cas de profit anormal ».

Ce choix de la Belgique va à l’opposé de celui de la France qui demeure un pays abolitionniste.

En effet, la loi du 13 avril 2016 visant à « renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées » fait de tous les clients des délinquants, et de l’ensemble des prostitués des victimes.

 

Le bilan de la situation française est plus que décevant

En décembre 2019, après une évaluation approfondie de l’application de la loi, un rapport officiel a mis en lumière à la fois une aggravation de la précarité des personnes qui se prostituent dans la rue, et un transfert du sexe tarifé vers le Web.

Aussi, Médecins du Monde a pu constater que « la santé des travailleuses du sexe s’est détériorée non seulement parce qu’elles sont moins en mesure d’imposer le port du préservatif, parce que l’accès à la prévention et aux outils de réduction des risques est rendu plus compliqué par l’isolement, mais également parce qu’elles travaillent plus et plus longtemps pour gagner moins, ce qui les place dans une grande précarité économique et fragilité ».

L’étude effectuée par les sociologues N. Gaudy et H. Le Bail (CNRS-Sciences Po Paris) arrive aux mêmes conclusions.

Face à un tel constat d’échec, le moment est arrivé de problématiser la prostitution autrement.

Il importe de prendre au sérieux la revendication des associations des travailleurs et travailleuses du sexe selon lesquelles l’échange d’argent pour des services sexuels constitue un travail. Désormais, la prostitution devrait être considérée comme un métier dont la pratique résulte d’un choix et d’une quête d’autonomie et de contrôle sur son propre corps. De surcroît, la reconnaissance légale du service sexuel permet de mieux combattre la prostitution forcée et surtout celle des mineurs, d’éliminer les situations d’abus et d’assurer des conditions dignes de travail en matière de sécurité et de santé. Comme tout travail, la prostitution peut être libre ou subie, le seul moyen efficace de mettre fin à l’exploitation est de rendre les prostitués, hommes et femmes, libres de leur force de travail, soumettant ainsi cette activité aux mêmes règles de droit auxquelles est assujetti tout acteur économique.

C’est exactement ce qui vient de proposer le rapport de Génération Libre que j’ai cosigné avec Cybèle Lespérance et Édouard Hesse.

Après l’analyse comparative de différents pays, le document rappelle la distinction fondamentale entre exploitation sexuelle et travail du sexe. D’aucune façon l’exploitation issue du commerce sexuel ne saurait être compatible avec une logique libérale, fondée sur le primat du consentement individuel.

Faire entrer le travail sexuel dans le droit commun implique comme préalable de regarder la liberté sexuelle à la fois comme expression de la libre disposition de soi et du respect à la vie privée. Disposer de sa propre personne implique de disposer également de ses attributs parmi lesquels se trouve la sexualité. Dans une société démocratique, la liberté sexuelle consiste en la capacité de l’individu à agir érotiquement sans contraintes. L’autonomie de la volonté et le consentement constituent les piliers de cette liberté.

 

L’absence de statut professionnel dans le milieu de la prostitution

Dès lors qu’on écoute les travailleuses et travailleurs du sexe, on s’aperçoit que la plupart des problèmes qu’ils rencontrent sont étroitement liés à l’absence de statut professionnel.

Paradoxalement, bien que le travail sexuel ne soit pas reconnu comme un travail en France, l’administration fiscale exige le paiement d’impôts. En contrepartie, les travailleuses et travailleurs du sexe ne bénéficient que très partiellement des droits liés à l’emploi.

C’est pourquoi le rapport propose de faire entrer la prostitution dans le droit commun, plus précisément dans le droit civil des contrats, le droit des sociétés, et enfin le droit du travail.

Le contrat de prestation de service sexuel pourrait ainsi être défini comme la convention par laquelle une personne (le professionnel du sexe) s’oblige à une prestation sexuelle avec une autre personne (le client) moyennant une rémunération (le prix). Outre le contrat individuel (droit civil), le travailleur du sexe pourrait choisir l’exercice en groupe de professionnels réunis dans une entreprise commune qui conviennent par un contrat (la société de services sexuels) d’affecter des biens (un appartement ou un hôtel, par exemple) et des compétences particulières (les prestations sexuelles) en vue de partager les bénéfices qui peuvent en résulter (droit commercial). Enfin, les travailleurs et travailleuses du sexe peuvent également opter pour le statut de salariat. Un tel dispositif implique la remise en question de la notion de proxénétisme (sans contrainte ni abus). Le « proxénète » devient ainsi un entrepreneur.

Selon le rapport de Génération Libre, le contrat de travail sexuel pourrait prendre plusieurs formes : le CDI, le CDD ou celle, par exemple, du « chèque emploi-service sexuel » permettant à un particulier employeur de déclarer simplement la rémunération des salariés pour des activités de services à la personne rendus au domicile du particulier, au domicile du travailleur du sexe ou hors du domicile.

Le rapport finit en soulignant :

« Bien que régulé par le droit commun, la spécificité du service sexuel devra être prise en compte en incluant dans le contrat certaines clauses (rétractation, non-discrimination, interdiction d’exonération rémunérative, nullité des clauses abusives du droit du travail…) permettant de garantir l’intégrité physique et économique des travailleurs et travailleuses du sexe : limitation d’heures, contrepartie financière à verser après la rupture du contrat de travail, formations payées par l’employeur, mobilité géographique, interdiction des clauses d’exclusivité ou de non-concurrence, etc.

 

Conclusion

Le seul moyen de mettre fin à l’exploitation et aux discriminations liées à la prostitution, c’est de la considérer comme un métier.

Sa régulation permettra également de changer l’image stigmatisante à laquelle renvoie encore cette activité. Dans une approche pragmatique, libérée de tout a priori idéologique, l’appréhension du phénomène prostitutionnel par l’État appelle une régulation, et non une pénalisation au nom d’une victimisation supposée des travailleurs et travailleuses du sexe.

L’inflation normative en France : un fléau croissant sous la présidence de Macron

Inventer de nouvelles normes est un sport national. Selon les chiffres gouvernementaux qui viennent d’être publiés, 93 899 articles législatifs et 253 118 articles réglementaires étaient en vigueur au 1er janvier 2023, en hausse presque chaque année depuis 20 ans.

Au total, cela représente respectivement 14,1 millions et 31,1 millions de mots, soit 45,2 millions ! Si quelqu’un avait pour job de les compter manuellement, au rythme d’environ 1000 mots par heure, soit 35 000 mots par semaine de 35 heures, soit environ 1 645 000 mots par an, il mettrait 27 ans pour arriver au bout ; sauf qu’entretemps, des millions de nouveaux mots auraient probablement surgi…

À cela, il faudrait ajouter le poids des actes administratifs (circulaires et directives, en légère baisse ces derniers temps), des ordonnances (en hausse, 200 000 mots nouveaux en 2022), des principes généraux du droit (résiduel), du bloc de conventionnalité (pour le droit de l’UE voir-ci-dessous, pour les traités, ils sont en hausse mais leur poids reste modéré, étant en général déjà appliqués via la loi au moment de leur ratification) et enfin du bloc constitutionnel (résiduel mais ô combien important).

En tête des usines à gaz normatives, on trouve le Code du travail qui a fêté en 2022 son millionième mot, le Code de l’environnement (1,1 million) et le champion, le Code de la santé publique : 1,77 million de mots, 9 fois le nombre de mots du Code civil qui fait lui-même (jurisprudence comprise) déjà plus de 3000 pages.

 

Emmanuel Macron un auteur très publié… au Journal officiel

Une analyse de cette inflation normative à mi-mandat de son premier quinquennat montre que cette inflation normative n’est pas imputable à l’Europe.

En outre, les chiffres de 2019 suivaient la même tendance que nous retrouvons dans les chiffres d’aujourd’hui : les textes réglementaires et législatifs, codifiés ou non, gonflent presque tous les ans et sont en grande partie responsables de l’inflation normative française.

Voici deux graphiques du site du gouvernement (lien plus haut) :

Voici le tableau par quinquennat réalisé à partir de ces données :

Quinquennat Nombre net de nouveaux mots dans le droit législatif en vigueur (arrondi) Nombre net de nouveaux mots dans le droit réglementaire en vigueur (arrondi)
Chirac 2 (2002-2007) 1 800 000 2 900 000
Sarkozy 1 500 000 4 000 000
Hollande 2 400 000 3 000 000
Macron 1 (2017-2022) 2 300 000 3 300 000

Preuve, s’il en fallait encore, que tous les présidents récents ont mené des politiques alourdissant fortement la bureaucratie normative. On constate que Macron ne fait pas exception à la règle : plusieurs millions de mots supplémentaires sont apparus durant son premier quinquennat. D’ailleurs, ce ne sont pas moins de 83 000 pages qui ont été publiées au Journal officiel en 2021, un record absolu.

Plus précisément, sur la législation codifiée, voici le tableau de l’évolution nette du nombre de mots (arrondi) dans certains codes et par quinquennat :

Quinquennat Code civil Code de la construction et de l’habitation Code de l’urbanisme Code du travail Code général des impôts Code de la santé publique Code de l’environnement
Chirac 2 (2002-2007)  14 000    111 000     28 000   66 000  199 000 505000 203000
Sarkozy  11 000      80 000       8000  -23 000  108 000 218000 404000
Hollande    8000    112 000     19 000  153 000   60 000 164000 165000
Macron 1 (2017-2022)  11 000    101 000     35 000  100 000   43 000 245000 177000

On remarque qu’Emmanuel Macron a poursuivi l’inflation normative de ses prédécesseurs dans tous ces codes, avec quelques mentions spéciales : le Code de la construction et de l’habitation, alors que la crise du logement neuf atteint son paroxysme ; les Codes de l’urbanisme et de l’environnement dont l’inflation actuelle est essentiellement liée à l’obsession du réchauffement climatique, alors même que la France n’est responsable que pour une très faible part des émissions de GES dans le monde.

« Nous vivons un nouveau paradoxe : alors que la crise [du logement neuf] s’installe durablement, nous assistons parallèlement à un empilement de contraintes administratives et à une surenchère normative, alors même que nos logements neufs sont déjà les plus performants d’Europe » explique le patron de la Fédération des promoteurs immobiliers, Pascal Boulanger, pour BFM.

 

En Allemagne, il existe un organisme chargé de la simplification normative !

Cette inflation est à comparer à ce qui se passe dans d’autres pays.

En Allemagne, par exemple, il existe un organisme spécialement chargé de la simplification au niveau fédéral : le Normenkontrollrat, avec pour résultat une baisse de 25 % du nombre de normes pour les entreprises.

Aux Pays-Bas, une politique de simplification a été menée à partir de 2010. Pareil en Suède depuis 2011.

Avec les mêmes effets à chaque fois : diminution des coûts et de la pression normative pour les entreprises, diminution annuelle des coûts administratifs, amélioration de la lisibilité des textes en vigueur…

En France, des alertes sonnent régulièrement : rapports du Sénat, de la Cour des comptes, articles dans les médias, mais elles ne suscitent guère de réactions. Les Français élisent toujours et encore des bureaucrates dont l’appétit pour les normes semble sans limites.

Le haut fonctionnaire Christophe Eoche-Duval écrit dans Le Monde :

« Plutôt que de perpétuer l’inflation normative, la France gagnerait à mieux appliquer les textes existants. »

Pour inverser la tendance, on pourrait également s’inspirer de l’analyse récente de Dorothée Belle et d’Audrey Frut Gautier qui proposent des pistes de simplifications pour en finir avec cet excès de normes.

Mettre fin à cette inflation normative est un projet qui mérite mieux que des déclarations d’intention. Cette lutte est essentielle pour retrouver notre liberté, notre dignité mais aussi notre efficacité, car dans leur immense majorité, ces normes sont contre-productives.

Ainsi que le note Nicolas Lecaussin :

« Le poids de l’État et des administrations est devenu insoutenable et il serait bon de suivre ces exemples en réduisant drastiquement toutes les réglementations qui pèsent sur les entreprises. Leur donner de l’air ce n’est pas seulement baisser les impôts et les charges, mais aussi supprimer des milliers de réglementations. »

Sur le web

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