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À partir d’avant-hierContrepoints

École : instruire et éduquer

Définir le contenu des programmes d’enseignement n’est pas simple. Il faut choisir et donc éliminer. Les priorités sont variables selon les milieux sociaux, les croyances idéologiques ou religieuses, les engagements politiques.

Mais le choix fondamental reste toujours le même.

Dans une démocratie, l’école doit-elle instruire ou éduquer ? En réalité, il faut nécessairement répondre : les deux, mon général. Tout est une question de nuances dans ce domaine.

 

Pas d’instruction sans éducation

Que l’on se situe au cours préparatoire ou à l’université, tout contenu d’enseignement comporte un aspect éducatif. Apprendre à lire ou à compter, c’est s’astreindre à des exercices répétitifs. Un enfant libre de ses choix abandonnerait vite. La discipline du groupe classe et la pression institutionnelle du système d’enseignement produisent un effet éducatif. La nécessité unanimement reconnue de savoir lire et compter dans les sociétés du XXIe siècle fait naître une adhésion de l’enfant, qui n’est pas naturelle, mais éducative.

Enseigner la philosophie, c’est davantage éduquer qu’instruire. Mais l’économie, le droit et tutti quanti ne peuvent s’enseigner sans la dimension éducative. Supposons, en droit, un revirement de jurisprudence important. En le commentant, faut-il s’arrêter à l’aspect purement juridique ou envisager également les implications sociales, politiques, philosophiques ? La réponse va de soi : il faut élargir la thématique, car le droit n’est pas une simple technique, mais comporte des choix sous-jacents.

 

Et la liberté éducative ?

La liberté éducative des parents n’est pas totale, puisque la société et sa structure politique, l’État, définissent les programmes d’enseignement. Mais l’extension indéfinie du domaine des programmes officiels et surtout les choix idéologiques qu’ils comportent peuvent aboutir à une élimination de facto de la liberté éducative.

Un seul exemple suffira. Un collectif d’associations a publié récemment en France un livre blanc pour « rendre effective » l’éducation à la sexualité « tout au long de la scolarité ». Des contenus précis sont suggérés : « l’histoire des acquis féministes, les avancées scientifiques révélées par des femmes, la littérature des femmes et personnes LGBTQIA+ ».

Une telle proposition comporte à l’évidence une orientation idéologique concernant le féminisme et le concept de genre. Il est clair qu’il n’appartient pas à l’État de faire des choix sur des sujets aussi controversés que le féminisme radical ou l’influence respective du genre, déterminé sociologiquement, et du sexe, déterminé biologiquement.

On rappellera une évidence souvent oubliée : la détermination génétique du sexe, à laquelle Homo sapiens ne peut échapper. Les mâles possèdent un chromosome sexuel X et un chromosome Y, alors que les femelles possèdent deux chromosomes X. La société peut certes influer sur les comportements masculin et féminin, mais aucun traitement hormonal, aucune opération chirurgicale ne modifiera le génome. Il faut donc apprendre aux enfants que nous sommes soit homme, soit femme.

 

L’éducation idéologique, rêve éternel

L’exemple précédent est intéressant, car il permet de comprendre que l’instruction doit précéder toute réflexion éducative. Il faut d’abord enseigner la réalité biologique et ensuite, mais seulement ensuite, réfléchir au concept sociologique de genre. Négliger la biologie, ou même nier son importance fondamentale revient à idéologiser l’enseignement. L’éducation devient alors ce qu’elle était dans l’URSS d’antan, et ce qu’elle est encore actuellement en Chine, Iran ou Arabie saoudite actuelles.

La frontière entre le patrimoine cognitif que l’humanité se transmet de génération en génération et les divagations idéologiques ou religieuses d’une époque est assez facile à tracer. Pour toute personne ayant conservé la largeur d’esprit nécessaire pour prétendre enseigner, aucune difficulté n’existe dans ce domaine. Mais certains de nos leaders associatifs et certains de nos politiciens se complaisent dans la surenchère idéologique, sans doute pour exister médiatiquement.

Les constructions idéologiques, de Platon à Marx, ont toujours suscité le prosélytisme éducatif. Ne leur accordons que notre sereine indifférence.

 

Loi de programmation militaire : chronique d’une étrange défaite

Par Romain Delisle
Un article de l’IREF

En 1934, le général de Gaulle, alors simple colonel, avait publié un livre visionnaire, intitulé Vers l’armée de métier, sur l’état de l’armée française, et sur la nécessité de constituer une force blindée autonome pour percer les lignes ennemies.

À l’époque, la hiérarchie militaire et les gouvernements successifs avaient préféré parier sur la ligne Maginot pour défendre la frontière nord-est, route de toutes les invasions. Le maréchal Pétain notamment, avait écrit une préface au livre du général Chauvineau[1] pour appuyer l’option défensive de ce qui sera plus tard appelé la « maginotisation » de la France.

Cet exemple est assez révélateur de l’ambiance éthérée et confiante dans une paix perpétuelle, dont l’armée a été la victime, qui a sévi dans notre pays au moins jusqu’aux attentats de 2015, date à laquelle les coupes budgétaires sur la défense ont commencé à être freinées.

En avril 2023, deux mois après son annonce, le projet de loi de programmation militaire a été inscrit à l’ordre du jour du Conseil des ministres, puis voté sans trop d’encombres à la fin de la session parlementaire.

Dans le contexte de tensions internationales consécutives à l’invasion de l’Ukraine, il était très attendu et devait permettre la modernisation de notre outil de défense pour faire face aux fameux « conflits de haute intensité ».

 

Jusqu’en 2015, la Grande Muette a été la variable d’ajustement budgétaire de l’État

En mars 2023, les sénateurs Joël Guerriau et Marie-Arlette Carlotti avaient rendu un rapport pointant du doigt la baisse des effectifs et des équipements depuis la suspension du service militaire.

Depuis 2002, c’est-à-dire au moment où les effets de sa professionnalisation se sont dissipés, l’armée a perdu plus de 70 000 équivalents temps plein, l’effectif global n’étant plus que de 270 000 personnels civils et militaires. Aucun autre ministère n’a été capable de réduire ainsi ses effectifs, les autres administrations publiques embauchant même plus de 700 000 agents durant la même période.

À titre d’exemple, sous le mandat de Nicolas Sarkozy, entre 2009 et 2012, le nombre de postes a diminué de 7,1 %, contre 5,4 % pour le reste de la fonction publique d’État. En fait, l’armée a été sacrifiée parce qu’elle n’est jamais source de troubles sociaux ou de grèves en tous genres qui émaillent l’actualité hexagonale de manière récurrente.

Cette déflation d’effectifs pose de nombreux problèmes de cohérence et engendre un déficit de compétences dans certains domaines comme le déminage d’un champ de bataille, la protection des bases aériennes, ou la mécanique aéronautique.

En vingt ans, les équipements ont également fondu.

L’armée de terre a perdu près de 400 chars de combat (654 contre environ 220 aujourd’hui) et plus de trois quarts de ses canons (231 contre 58 canons CAESAR actuellement) ; la marine est passée de 87 navires à 79, l’armée de l’Air a également perdu près de 200 avions de chasse (387 contre 195), la moitié étant encore constituée de Mirages 2000 en voie d’obsolescence.

Comme nous l’avons déjà souligné, cette situation délétère a été la cause d’impréparation et de ratés dans de nombreux domaines, comme celui des drones ou des stocks de munitions.

 

Les trous capacitaires de l’armée française ne devraient pas être résorbés en 2030

Partant de ce constat, un arbitrage politique devait être effectué pour moderniser les forces armées tout en augmentant un minimum sa masse.

Or, selon un autre rapport du Sénat, il se susurre dans les travées du pouvoir que « le retour d’expérience de la guerre en Ukraine n’est qu’un élément de réflexion parmi d’autres »…

La Loi de programmation se contente donc de pallier les manques observés depuis 20 ans, sans véritable augmentation de la force de frappe de nos armées, et ce malgré 268 milliards d’euros consacrés aux équipements, contre 172 pendant la période de la précédente loi.

Un chiffre visiblement insuffisant eu égard à la baisse programmée du nombre de Rafales de l’armée de l’Air à 135, contre 185 actuellement, ou encore de celui des A 400 M (35 contre 50) et chars Leclerc (200 à 160). Le nombre de véhicules initialement prévus par le programme SCORPION (synergie du contact renforcée par la polyvalence et l’infovalorisation) baisse également de 21 % pour le Griffon et le Jaguar, et de 30 % pour le Serval (véhicules blindés de transports de troupes, de reconnaissance et d’appui feu).

Autre exemple : la Marine nationale ne dispose que de 6 bâtiments de lutte anti-mines, soit autant que la Belgique ou les Pays-Bas, alors que notre pays possède la deuxième ZEE (zone économique exclusive) mondiale…

Il est patent que le gouvernement a centré ses choix sur le renseignement (+60 % de budget, soit 5,4 milliards), la cyberdéfense et la dissuasion nucléaire (dont le budget annuel passe de 5,6 à 7 milliards), et ce au détriment du combat direct.

Notons toutefois que, indépendamment des arbitrages financiers opérés ces dernières années, l’armée française a su conserver la majeure partie de ses compétences, dans un format extrêmement réduit mais permettant, le cas échéant, de les recouvrer à moyen terme. L’interopérabilité des armes et des munitions utilisés au sein des pays membres de l’OTAN facilite également la mise sur pied d’une coalition dans des délais relativement brefs, leur supériorité sur le champ de bataille ayant pu être observé lors de la guerre en Ukraine.

En somme, la Loi de programmation militaire adoptée permettra de panser partiellement les plaies de l’armée mais pas d’assurer son développement, la France continuant à faire reposer sa sécurité majoritairement sur sa dissuasion nucléaire, nouvelle ligne Maginot du XXIe siècle.

Dans le cadre d’une potentielle coalition militaire, le risque est de la voir perdre de son influence du fait de la faible ampleur de ses moyens conventionnels, en particulier si nos ennemis n’avaient pas la gentillesse d’attendre la fin de l’exécution de la prochaine Loi de programmation militaire en 2030. Dans un contexte de hausse effrénée de la dépense publique, il est difficile de comprendre que la sécurité des Français n’ait pas été une priorité pour les gouvernants successifs, justifiant la phrase prémonitoire du maréchal de Saxe : « Nous autres, militaires, nous sommes comme des manteaux dont on ne se souvient que quand vient la pluie ».

[1] Dont le titre était : Une invasion est-elle encore possible ?

Sur le web

Loi de programmation militaire : « habemus legem »

Lors d’une commission mixte paritaire (CMP), lundi 10 juillet, députés et sénateurs ont trouvé un compromis sur une version harmonisée du projet de loi de programmation militaire (LPM) pour les années 2024 à 2030.

Un accord a été trouvé sur le rythme de la progression des dépenses, qui sera plus fort les premières années. Le compromis prévoit aussi la création d’une commission parlementaire sur l’évaluation des exportations d’armes. L’argent du livret A pourra financer les PME de la défense. Le texte, qui prévoit 413 milliards d’euros pour les armées sur l’ensemble de la période, sera définitivement adopté par le Parlement après validation de l’accord par l’Assemblée nationale mercredi 12 et par le Sénat jeudi 13 juillet.

« Habemus legem » et ce n’était pas gagné ! Quand on sait que la CMP, initialement prévue jeudi dernier, a été reportée au dernier moment par le gouvernement faute d’un accord avec les sénateurs. Un compromis a finalement été trouvé sur le budget des armées. Pour y parvenir, chacun y a donc mis du sien : Christian Cambon bien sûr, mais aussi le président du Sénat, Gérard Larcher, la Première ministre Élisabeth Borne, le sénateur socialiste, Rachid Temal, et le ministre des Armées, Sébastien Lecornu.

 

Compromis sur les « marches » budgétaires

Le rythme de progression annuel des dépenses militaires (que les sénateurs voulaient accélérer) – qui doivent passer de 47 milliards d’euros en 2024 à 68 milliards d’euros en 2030 – était l’enjeu essentiel de la CMP.

Le texte du gouvernement prévoyait une hausse de +3 milliards d’euros les premières années, avant une plus forte hausse après la présidentielle de 2027 (+4,3 milliards par an à partir de 2028), quand les sénateurs voulaient +3,6 milliards dès le début. L’accord s’est finalement dessiné au dernier moment, avec des discussions dimanche et jusque tard dans la soirée, en coupant la poire en deux : +3,3 milliards en 2024 et 2025, puis +3,2 milliards en 2026 et 2027, avant d’atteindre +3,5 milliards en 2028, 2029 et 2030. Soit, quand on cumule, +2,3 milliards d’euros supplémentaires jusqu’en 2027 pour les armées. La trajectoire adoptée par la CMP reflète un « lissage » de l’effort budgétaire et un compromis entre le gouvernement et la droite sénatoriale.

« C’est un beau succès pour le Sénat, puisqu’on a atteint notre objectif qui était d’accroître les marches de progression des dépenses militaire jusqu’en 2027. C’est 2,3 milliards de plus que ce que le gouvernement avait prévu sur 2024-2027. Le gouvernement a fait le geste que nous attentions », salue Christian Cambon, président LR de la commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat, et rapporteur du texte à la Haute assemblée.

Le rapporteur du projet de loi Jean-Michel Jacques (Renaissance) s’est réjoui qu’un « point de convergence » ait été trouvé sur le sujet. Une satisfaction également exprimée par Jean-Louis Thériot (Les Républicains), tandis que Bastien Lachaud (La France insoumise) a continué à déplorer une « absence de moyens réellement supplémentaires » pour les armées françaises.

 

Précisions sur une partie des ressources extra-budgétaires

Des précisions insuffisantes concernant les 13 milliards de ressources extra-budgétaires sur lesquelles compte le gouvernement pour atteindre l’enveloppe globale de 413 milliards sur l’ensemble de la période avaient été critiquées par les oppositions.

La CMP, poursuivant les efforts du Sénat, a notamment précisé le montant de cessions immobilières (5,9 milliards) attendu par le ministère des Armées.

 

Création d’une commission parlementaire sur l’évaluation des exportations d’armes

Le texte de la CMP prévoit également un premier pas vers un contrôle parlementaire des ventes d’armes à l’étranger.

« Nous avons obtenu la création d’une commission parlementaire sur l’évaluation des ventes d’armes. C’est une avancée historique », se réjouit le sénateur PS du Val-d’Oise, Rachid Temal, dont le groupe avait défendu une mesure similaire.

Elle sera composée de trois députés et trois sénateurs, dont les présidents des commissions des affaires étrangères et de la défense côté Sénat, et celui de la défense côté Assemblée. Ils seront habilités secret-défense.

« C’est une belle avancée sur le contrôle parlementaire, un pas tout à fait notable », salue de son côté Christian Cambon, qui précise qu’il s’agira d’« évaluer et non pas de contrôler ».

Dans le texte issu du Sénat, c’est la délégation parlementaire au renseignement qui était dotée de cette prérogative de contrôle. Le ministre s’y était opposé.

 

Le livret A pourra financer l’industrie de défense

Le livret souveraineté voulu par le Sénat n’a pas été retenu.

La CMP prévoit à la place une idée issue de l’Assemblée, qui « vise à faire en sorte qu’une partie du livret A puisse aller au financement de l’industrie » de défense, dont les sous-traitants et petites entreprises ont du mal à obtenir des prêts auprès des banques.

 

Un contrôle parlementaire renforcé

Les sénateurs ont par ailleurs obtenu gain de cause sur un contrôle parlementaire renforcé de la LPM, qui sera notamment évaluée lors d’un premier bilan en 2027.

Les sénateurs socialistes ont obtenu par ailleurs « un livre blanc » pour la prochaine LPM, souligne Rachid Temal, pour faire le point en « profondeur », ce qui n’a pas été le cas cette fois-ci.

 

La loi promulguée le 14 juillet…

Les conclusions de la CMP sont à l’ordre du jour de l’Assemblée mercredi 12 et à l’ordre du jour du Sénat jeudi 13.

Une fois l’accord approuvé, le texte sera définitivement adopté.

Un calendrier permettant une promulgation de la loi par le chef de l’État, Emmanuel Macron, le jour de la Fête nationale, juste avant le traditionnel défilé militaire des forces armées sur les Champs-Elysées – une « dimension symbolique importante », selon le président de la commission de la défense et des forces armées Thomas Gassilloud.

La loi de programmation militaire pourrait-elle ne pas être votée ?

La commission mixte paritaire (CMP) sur la loi de programmation militaire (LPM) qui devait permettre de trouver un accord entre l’Assemblée et le Sénat, a été reportée… à lundi prochain. À défaut d’un accord entre les deux assemblées, l’échec sur ce sujet à quelques jours du 14 juillet, date butoir des Cent-Jours, pourrait bien ressembler à un Waterloo présidentiel.

Les observateurs ont bien compris que les armées françaises ne sont pas prêtes pour essuyer les combats qui se déroulent en Ukraine. Elles devront peut-être y être confrontées un jour, c’est pourquoi elles ambitionnent de se rééquiper et de se moderniser avec la nouvelle loi de programmation militaire. Mais des divergences entre le ministre des Armées et le Sénat (dont la moitié de ses membres sera renouvelée en septembre prochain) retardent le vote de cette Loi-cadre sur un sujet urgent !

 

Un vœu présidentiel

Le 13 juillet dernier, à l’Hôtel de Brienne, Emmanuel Macron avait dit aux militaires :

« Tout confirme notre analyse stratégique de la menace […]. La défense est la première raison d’être de l’État, s’il faut aller plus loin, nous le ferons. »

Le chef des armées avait alors mis six mois pour dévoiler, le vendredi 20 janvier 2023, les grandes orientations de la future Loi de programmation militaire (LPM) 2024-2030, augmentant les budgets d’un tiers. Nous avions – dans un article publié la semaine suivante dans les colonnes de Contrepoints et du blog Méchant Réac ! © – approuvé l’augmentation des budgets militaires, mais émis des doutes sur l’efficacité de la dépense publique.

Encore six mois se sont écoulés entre la présentation des grandes orientations de la future LPM et son adoption par le Parlement. Un an après le constat fait par le chef de l’État devant les armées ! Un an de tergiversations intellectuelles, d’hésitations, de « j’y vais et en même temps j’y vais pas », pour une décision finale sur un sujet reconnu comme prioritaire par Emmanuel Macron, qui ne portera ses fruits pas avant une décennie et qui repose sur un double pari !

 

Des arbitrages difficiles

Le 4 avril 2023, après les arbitrages classiques entre Matignon et Bercy, le ministre des Armées a présenté, en Conseil des ministres, le projet de la LPM.

De 32 milliards d’euros en 2017, le budget des armées devrait atteindre 69 milliards d’euros en 2030. Sur toute la période, la LPM mobilisera 413 milliards d’euros, contre 295 milliards d’euros pour la précédente loi 2019-2025. Si la trajectoire de la nouvelle loi de programmation 2024-2030 est bien respectée, car les budgets doivent être votés chaque année.

Le 7 juin, le projet de LPM a été adopté en première lecture à l’Assemblée nationale à une large majorité avec 408 voix pour et 87 contre. Jusqu’à cette date, le locataire de l’Hôtel de Brienne avait remporté l’essentiel des arbitrages face à la Première ministre (se payant même le luxe de mettre Bruno Le Maire de son côté) et obtenu des députés que son texte ne soit modifié qu’à la marge.

Si le texte de l’Assemblée nationale a été adopté dans un état quasi-conforme aux vœux de l’exécutif, le gouvernement a eu maille à partir avec la majorité LR au Sénat. Le président de la Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées Christian Cambon, fin connaisseur du sujet et dont le mandat s’achève en septembre, a engagé toutes ses forces dans la lutte.

 

Une accélération du cadencement des dépenses les premières années

Les sénateurs ont voté un certain nombre d’amendements inacceptables par l’exécutif, notamment celui portant sur le cadencement des dépenses.

Les députés avaient simplement regretté que le texte présenté par l’exécutif ne reporte son effort financier qu’après 2027 : ces « marches » d’évolution budgétaire très progressives, repoussant la plus forte hausse des dépenses après l’élection présidentielle de 2027 en engageant 47 milliards d’euros pour 2024, 56 milliards en 2027, avant d’atteindre 69 milliards en 2030.

Ces « marches » qui seraient le résultat de savants arbitrages, notamment entre le poids de la dette et le rythme de montée en puissance des industriels de la défense, n’ont pas convaincu les sénateurs. Il faut avouer qu’un tel débat avait déjà eu lieu, lors de la précédente LPM 2019-2025, où l’essentiel de l’effort budgétaire intervenait après l’échéance de l’élection présidentielle de 2022. Les sénateurs ont donc prévu une augmentation de 3,5 milliards d’euros dès la première année d’exécution de la loi, en 2024 (contre 3,1 milliards de prévus), puis de 3,6 milliards tous les ans (au lieu de 3 milliards jusqu’en 2027 et 4,3 milliards à partir de 2028).

 

Une enveloppe budgétaire gonflée

Un autre bras de fer devait s’engager entre Sébastien Lecornu et les sénateurs.

Inquiets de ne voir que 5,9 milliards des 13 milliards de ressources exceptionnelles réellement garanties par l’exécutif, les sénateurs ont transformé les 7 milliards manquants en crédits budgétaires classiques, faisant passer l’enveloppe budgétaire de 400 à 407 milliards. Le ministre accusait alors le Sénat de dépasser l’enveloppe prévue, interprétation contestée par la commission de la haute assemblée.

Le groupe à l’Assemblée nationale, dirigé par Olivier Marleix, avait obtenu la sécurisation des 13 milliards d’euros de ressources extrabudgétaires d’ici à 2030. Dans la version initiale du projet du gouvernement, cette enveloppe incertaine dépendait de futures cessions immobilières ou d’éventuels transferts provenant d’autres ministères.

Un autre amendement devait créer la polémique entre le gouvernement et le Sénat. L’Armée de terre avait eu gain de cause sur une partie de son nombre de blindés au palais Bourbon. Le rythme de renouvellement de ces équipements vieillissants avait été ralenti dans le texte initial, suscitant l’émoi dans un certain nombre de cercles militaires, mais un amendement déposé par le gouvernement et adopté promettait une centaine de véhicules supplémentaires d’ici à 2030 – 92 Griffon (des véhicules blindés multi-rôles) et 38 Jaguarengins blindés de reconnaissance et de combat. Ces blindés de nouvelle génération seront financés en dehors des 413 milliards de la LPM.

Face aux doutes stratégiques des armées, les sénateurs ont augmenté le nombre de blindés de type Griffon (+ 153 unités), de Jaguar (+ 17) et de Serval (+ 325), ou encore rehaussé le nombre de patrouilleurs hauturiers (+ 10) ou encore d’avions de transport A400M (+ 2). Le ministre annonce une facture portée à « au moins 416,2 milliards, si ce n’est 420 milliards » du fait de ces modifications.

 

Des pouvoirs de contrôle renforcés

Divers amendements sénatoriaux adoptés ont enfin visé à renforcer la transparence de la LPM, notamment à travers des rapports d’étape, ou à contraindre le gouvernement dans l’exécution de sa programmation.

Une LPM n’est en effet pas contraignante en soi : chaque année, les dépenses anticipées doivent être votées par le Parlement dans le cadre des projets de loi de finances. Le Sénat a ainsi rétabli l’objectif de porter la part du budget des armées à 2 % du PIB dès 2025 – une norme OTAN – alors que l’exécutif aurait préféré de la souplesse jusqu’en 2027.

Un autre amendement instituant une commission de vérification des exportations d’armement, qui serait intégrée au sein de la délégation parlementaire au renseignement (DPR) creuse le fossé avec l’exécutif. Ce dernier ne tolère aucune remise en question de ses prérogatives sur un sujet qu’il considère de son seul ressort. Le parlement doit se contenter simplement d’un rapport d’informations.

 

La Commission Mixte Paritaire reportée à lundi

Les positions du Sénat et du ministre étaient encore trop éloignées mercredi matin, pour que la CMP prévue le lendemain puisse se tenir. La consultation de l’agenda sénatorial fixe au lundi matin la première réunion de celle-ci.

La commission mixte paritaire, composée de 7 députés et de 7 sénateurs s’annonce quand même à haut risque. Sa composition doit représenter les tendances politiques de chaque assemblée. La majorité présidentielle dispose d’une majorité au sein des sept représentants de l’Assemblée nationale (quatre Renaissance ; un LFI ; un LR ; un RN). Elle est en revanche minoritaire au sein des représentants du Sénat (trois LR ; deux socialistes ; un centriste ; un Renaissance). Dans un savant exercice d’équilibriste, la majorité présidentielle devra s’appliquer à convaincre le représentant LR de l’Assemblée, et les représentants socialiste et centriste du Sénat.

Le scénario de l’échec de la CMP, qui contraindrait le gouvernement à relancer le processus législatif de zéro à la rentrée, dans le contexte de la guerre en Ukraine, ne peut plus être exclu aujourd’hui. Seul un accord en CMP qui satisfait le gouvernement permettrait de soumettre le texte, dans la foulée, au vote solennel des deux assemblées, et pourrait être adopté rapidement.

 

Un texte de compromis sur un pari risqué

Si ce budget des armées représente une hausse historique des crédits (+ 40 % par rapport à la précédente LPM, 2019-2025) sur fond de guerre en Ukraine, il a obligé à des choix capacitaires drastiques et reste marqué par l’inflation des prix de l’énergie et des matériaux qui représente 30 milliards d’euros sur les 413 milliards annoncés.

Le projet de LPM adopté par la Commission paritaire demeurera un texte de compromis, dans un contexte budgétaire contraint. Il permettra d’optimiser les capacités militaires, de poursuivre la modernisation des armées, de dynamiser certains domaines (renseignement, cyber), mais il ne fera que boucher les trous de segments comme les drones, l’artillerie et les ressources humaines.

Bref l’exécutif, suivi par une large majorité des députés et sénateurs, fait un double pari : d’une part, qu’un nouveau scénario de guerre à l’ukrainienne n’est pas pour l’horizon 2030 ; d’autre part que les finances publiques soient maîtrisées. Un double pari risqué…

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