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À partir d’avant-hierContrepoints

La loi ne peut régir la nature qu’avec la main tremblante

Un article de l’IREF.

« Dans la sphère économique, a écrit Bastiat en 1850, un acte, une habitude, une institution, une loi n’engendrent pas seulement un effet, mais une série d’effets. De ces effets, le premier seul est immédiat ; il se manifeste simultanément avec sa cause, on le voit. Les autres ne se déroulent que successivement, on ne les voit pas ; heureux si on les prévoit ».

 

Ce qu’on ne prévoit pas 

Pendant son Grand bond en avant, Mao voulut exterminer de Chine les moineaux qui mangeaient les fruits et graines et réduisaient les récoltes. Toute la population fut dévouée à la chasse des moineaux et bientôt l’opération réussit si bien qu’il n’y en eut quasiment plus. Mais l’homme ne prévoit pas tout. Mao avait oublié que les moineaux mangeaient les insectes nuisibles. Ceux-ci proliférèrent, notamment des nuées de criquets migrateurs qui dévastèrent le pays et causèrent une grande famine en Chine de 1958 à 1962, entraînant selon certaines estimations une trentaine de millions de morts.

Depuis le 1er juin 2022 en France, la loi dite Lemoine est entrée en vigueur. Elle interdit aux assureurs d’interroger sur leur état de santé les ménages souscrivant un emprunt de moins de 200 000 euros dont la fin du remboursement intervient avant les 60 ans des emprunteurs. La conséquence ne s’est pas fait attendre. Les prix de ces assurances ont augmenté de 15 à 20 %, voire 30 %, et nombre de ces contrats ont désormais réduit leur champ de couverture, notamment en supprimant les suites et conséquences des pathologies antérieures.

L’égalitarisme à l’école abaisse le niveau de tous les élèves, sauf ceux qui bénéficient d’une solide éducation à la maison, ce qui accentue l’inégalité.

Les écologistes vont tous nous obliger bientôt à avoir des bacs à compost pour y mettre les résidus alimentaires que nous ne pourrons plus vider dans nos poubelles. Mais déjà ces bacs attirent à Paris et ailleurs une foultitude de rats. Faudra-t-il attendre le retour de la peste pour réagir ?

 

L’homme n’est pas omniscient

« Entre un mauvais et un bon économiste, poursuit Bastiat, voici toute la différence : l’un s’en tient à l’effet visible ; l’autre tient compte et de l’effet qu’on voit et de ceux qu’il faut prévoir ».

Trop de gouvernants, élus et technocrates, ne sont sensibles qu’à l’effet visible et immédiat, qui leur permettra une prochaine réélection ou promotion. La démocratie porte en elle ce défaut d’inciter au court terme. Or, ajoute-t-il « il arrive presque toujours que, lorsque la conséquence immédiate est favorable, les conséquences ultérieures sont funestes, et vice versa. — D’où il suit que le mauvais Économiste poursuit un petit bien actuel qui sera suivi d’un grand mal à venir, tandis que le vrai Économiste poursuit un grand bien à venir, au risque d’un petit mal actuel ».

En effet, c’est le rôle des gouvernants et des économistes de prévoir les conséquences de leurs décisions. Et certains économistes sont meilleurs que d’autres, estiment mieux les conséquences des mesures qu’ils proposent. Mais l’homme étant faillible par nature, et n’étant pas omniscient, nul ne saurait tout prévoir.

 

Favoriser l’autopilotage

D’autant que l’être humain a néanmoins une grande qualité qui consiste à savoir s’adapter. Il dispose d’une intelligence et d’une intuition par lesquelles il évalue à tout moment les situations et y réagit. Par sa liberté et sa volonté, il est capable, dans de nombreux cas, d’adopter des décisions ou des comportements inattendus qui vont modifier la chaîne causale de telle ou telle mesure politique ou économique. C’est ce qui rend toute prévision particulièrement difficile et rend nécessaire une souplesse, une liberté d’appréciation et d’adaptation permanentes pour que les systèmes se conforment à tout moment aux actions humaines et se corrigent en fonction des réactions que nous imposent les lois de la nature.

Il faut en quelque sorte un autopilotage, comme ce que Hayek nommait catallaxie pour signifier « l’espèce particulière d’ordre spontané produit par le marché à travers les actes des gens qui se conforment aux règles juridiques concernant la propriété, les dommages et les contrats ». Cet ordre n’est pas immuable et évolue « par l’ajustement mutuel de nombreuses économies individuelles sur un marché ».

Toute planification recèle l’immense risque d’emmener toute une société dans des erreurs monumentales, imprévues et parfois irréversibles. Le communisme en a été le parangon. Ce n’est pas pour autant qu’il ne faut rien prévoir bien sûr. Mais toute loi impérative, surtout quand elle cherche à modifier l’ordre habituel et/ou naturel des choses, ne doit être prise qu’avec la main qui tremble et laisser toujours la liberté d’y remédier.

Sur le web.

(I/VI) – Raymond Aron, un libéral face à la meute

Né en 1905, disparu en 1983, Raymond Aron a méthodiquement analysé les mutations des sociétés modernes en leur consacrant plus de trente livres. Pendant plus de trente ans il est descendu presque quotidiennement dans l’arène pour participer aux grands combats qui dans le bruit et la fureur de l’histoire ont divisé le monde au temps de la guerre froide.

Éditorialiste commentant à chaud l’actualité (au Figaro puis à l’Express) en même temps qu’universitaire, il a toujours veillé à intégrer ses jugements ponctuels dans une vision du monde d’essence profondément libérale. En cela il est résolument à contrecourant d’une époque où selon Sartre le marxisme était pour l’intelligentsia française « l’horizon indépassable de notre temps ». Dans un environnement hostile il a eu le courage de ne céder à aucune mode intellectuelle et le culot d’avoir eu raison avant tous les autres sur la nature du stalinisme comme sur bien d’autres questions.

Près de quarante ans après sa mort, les raisons ne manquent donc pas de se tourner vers cet observateur lucide qui a mis ses capacités de réflexion au service de la vérité, de la liberté et de la lutte contre les systèmes de pensée qui les menacent, c’est-à-dire contre toutes les formes de totalitarisme. En retraçant les grandes étapes de sa vie, on effectuera par la même occasion une plongée riche d’enseignements dans l’histoire de ce siècle tragique que fut le XXe siècle.

Les trois premiers billets de cette courte série leur seront consacrés. Ils seront suivis de trois autres évoquant la richesse de l’héritage qu’il nous a légué pour déchiffrer le présent.

 

Les années de formation

En 1928, il passe l’agrégation de philosophie. La même année, Sartre, son petit camarade de l’école normale supérieure, « éprouve le besoin » de se faire recaler, ce qui est un commentaire typiquement aronien. Mais lui-même est reçu premier. Ce succès ne le comble pas, bien au contraire. Immédiatement après, il traverse une crise intérieure, presque de désespoir. Il est écrasé par la certitude d’avoir perdu des années à n’apprendre, selon ses propres dires, « presque rien ».

Il vit une sorte de révolte contre l’enseignement qu’il a reçu et qui ne l’a pas préparé à comprendre le monde et la réalité sociale. Il se demande sur quoi faire de la philosophie et se répond « sur rien ou bien faire une thèse de plus sur Kant », ce qui ne l’enthousiasme pas du tout. Cela le pousse à effectuer un séjour de trois ans en Allemagne en devenant assistant à l’université de Cologne, puis en occupant un poste à Berlin.

Il y suit l’actualité de toutes les façons possibles, il écoute ce que vitupère Goebbels, il assiste aux discours d’Hitler qui d’emblée lui inspire la peur et l’horreur ; il dit en avoir perçu presque tout de suite le satanisme, ce qui, ajoute-t-il, n’était au début pas évident pour tout le monde. Or face à Hitler, ses maîtres, que ce fussent Alain ou Brunschvicg ne faisaient pas le poids. Alain est un chantre du pacifisme ; Brunschvicg est à la Sorbonne le gardien du temple néo-kantien, une construction intellectuelle bien ordonnée mais sans prise sur la réalité.

En Allemagne, il approfondit sa connaissance de l’œuvre de Marx et plus encore s’immerge dans celle de Max Weber. Chez ce dernier il découvre ce qu’il cherchait, soit un homme qui « avait à la fois l’expérience de l’histoire, la compréhension de la politique, la volonté de la vérité et, en point d’arrivée, la décision et l’action ».

Si ce voyage en Allemagne l’enrichit sur le plan intellectuel, il change aussi sa compréhension de la politique. L’accession au pouvoir d’Hitler, soutenu par les masses, lui fait voir l’irrationalité de la politique et la nécessité pour faire de la politique de jouer des passions irrationnelles des hommes. La penser exige en revanche d’être aussi rationnel que possible.

Dès cette époque il trace l’itinéraire intellectuel qu’il suivra toute sa vie et décide d’être « un spectateur engagé » soucieux d’être aussi objectif que possible tout en défendant un point de vue. Sa thèse a pour sous-titre « Les limites de l’objectivité historique » ; il l’écrit précisément pour montrer à quelles conditions on peut être à la fois un spectateur qui analyse les faits, et un acteur qui prend position.

Dans le combat des démocraties contre le totalitarisme nazi, il se limite toutefois à n’être d’abord qu’un spectateur. L’engagement ne viendra qu’en 1940, après la défaite.

En effet, de retour à Paris en 1933, il ne cherche pas à témoigner politiquement et ne participe que de loin au mouvement antifasciste. En tant que juif, il pense qu’on peut le suspecter de ne pas être objectif. Il considère aussi que les quelques textes qu’il a écrits pendant son séjour en Allemagne sont détestables.

Voici ce qu’il dit à ce sujet :

« Ils sont détestables parce que d’abord je ne savais pas observer la réalité politique ; en plus, je ne savais pas distinguer de manière radicale le souhaitable et le possible. Je n’étais pas capable d’analyser la situation sans laisser paraître mes passions ou mes émotions, et mes émotions étaient partagées entre ma formation, ce que j’appelle « l’idéalisme universitaire », et la prise de conscience de la politique dans sa brutalité impitoyable ».

Si le commentateur à chaud n’est pas encore prêt, il apparaît aussi que l’intellectuel n’a rien produit. La priorité du moment est d’écrire et de publier.

En 1935 parait un livre intitulé La Sociologie allemande contemporaine, rapporté de son séjour en Allemagne. En 1938 il publie son premier grand livre qui a pour titre Introduction à la Philosophie de l’Histoire. Essai sur les limites de l’objectivité historique.

Raymond Aron dit avoir vécu les années 1930 avec le désespoir de la décadence française, le sentiment que la France s’enfonçait dans le néant. À ses yeux, « La France des années Trente, c’était la France décadente par excellence. Au fond elle n’existait plus ; elle n’existait que par ses haines des Français les uns contre les autres ».

Il ne peut répondre à la question de savoir pourquoi les choses sont ainsi, mais il vit intensément cette décadence, avec une tristesse profonde, tout en étant heureux avec sa famille, avec ses amis et dans son travail.

À l’époque, ses amis les plus proches se nomment Éric Weill, Alexandre Koyré, Alexandre Kojève, André Malraux, Jean-Paul Sartre, Robert Marjolin :

« Jamais je n’ai vécu dans un milieu aussi éclatant d’intelligence et aussi chaud d’amitié que dans les années 30 et jamais je n’ai connu le désespoir historique au même degré, car après 1945 la France était transformée. »

Il lit le livre de Boris Souvarine (Staline : Aperçu historique du bolchevisme, 1935) qui déjà dénonce les crimes de Staline, mais il ne met pas Hitler et Staline sur le même plan. Il n’est libéré dans son regard et son jugement sur l’URSS que par la signature du pacte germano-soviétique :

« La vérité c’est qu’il est difficile de penser qu’on a deux menaces sataniques simultanément avec la nécessité d’être allié avec l’une des deux. Ce n’était pas plaisant mais c’était la situation historique ».

Publié initialement le 08 août 2022.

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