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Hier — 19 avril 2024Analyses, perspectives

Canada : les restrictions COVID ont modifié le comportement des oies des neiges

Même si la chasse printanière à l’oie des neiges était autorisée au Québec en 2020, une étude menée par des chercheurs de l’Université Laval a révélé que la baisse de la pression de chasse pendant le printemps 2020 a eu un impact significatif sur les réserves nutritives et les comportements alimentaires de ces oiseaux migrateurs. Les politiques restrictives du Covid-19 ont donc offert une courte pause à ces volatiles sauvages.

La crise du COVID-19 a eu des répercussions inattendues sur divers aspects de la vie, y compris sur la chasse aux oies des neiges. Les chercheurs ont observé que la baisse de la pression de chasse en 2020 a permis aux oies des neiges d’accumuler des réserves nutritives plus rapidement qu’à l’accoutumée avant leur migration vers les aires de reproduction.

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« Comme tous les pouvoirs coloniaux, Israël ne veut pas d'une société éduquée »

Rami Abou Jamous écrit son journal pour Orient XXI. Ce fondateur de GazaPress, un bureau qui fournissait aide et traduction aux journalistes occidentaux, a dû quitter son appartement de la ville de Gaza avec sa femme et son fils Walid, deux ans et demi. Il partage maintenant un appartement de deux chambres avec une autre famille. Il raconte son quotidien et celui des Gazaouis de Rafah, coincés dans cette enclave miséreuse et surpeuplée. Cet espace lui est dédié.

Mercredi 17 avril 2024.

C'est officiel : pour la première fois, il n'y aura pas d'examen du baccalauréat à Gaza cette année, a annoncé le ministère de l'éducation à Ramallah. Il faut savoir que même après la prise du pouvoir par le Hamas dans la bande de Gaza en 2007, les examens sont restés unifiés dans tous les territoires palestiniens, en Cisjordanie et à Gaza. C'est important pour la Palestine et pour les Palestiniens que malgré, la division entre Gaza et la Cisjordanie, et entre le Fatah et le Hamas, nous ayons la même éducation. Mais aujourd'hui, on ne voit pas comment on pourrait tenir des examens dans la bande de Gaza, avec le nord presque entièrement rasé et la moitié des Gazaouis déplacés au sud sous des tentes de fortune.

De toute façon, la plupart des écoles et des universités ont été entièrement ou partiellement détruites. On avait sept universités à Gaza, sans compter les instituts d'enseignement professionnel postbac. L'université de Palestine vient de publier un communiqué interne avertissant les professeurs et les employés qu'elle ne pouvait plus payer leurs salaires, et qu'ils étaient libres de chercher du travail ailleurs. Une façon de déclarer que l'Université est en faillite. Il s'agit d'une université privée, la plus récente de la bande de Gaza. Fondée en 2007, elle accueillait des milliers d'étudiants et proposait de nombreux cursus : ingénierie, architecture, médecine, etc.

Juste des indigènes qu'on nourrit et qu'on fait travailler

Le but de ces destructions sans valeur militaire est clair : les Israéliens veulent tuer toute possibilité d'éducation à Gaza. Comme tous les pouvoirs coloniaux, ils ne veulent pas d'une société éduquée, juste des indigènes qu'on nourrit et qu'on fait travailler. Leur objectif c'est de transformer une société éduquée en société illettrée. Chez nous, l'éducation est une valeur primordiale, et nous sommes une société jeune. Plus de 75 % des jeunes font des études universitaires. Nous sommes la population la plus instruite du Proche-Orient, d'après les statistiques de l'ONU. Même sous le blocus imposé depuis 2007, même dans une prison à ciel ouvert, les parents tentent tous d'assurer un diplôme à leurs enfants, souvent en s'endettant. Les études de médecine qu'on peut suivre à l'université de Palestine, à l'université d'Al-Azhar et à l'université islamique attirent beaucoup de jeunes. Elles sont pourtant très chères, à peu près l'équivalent de 5 000 dollars par semestre.

Finir les sept ans de médecine peut coûter jusqu'à 90 000 dollars tout compris. C'est une somme énorme pour Gaza. Malgré cela, les parents poussent leurs enfants à étudier, et ces derniers sont également très motivés. Nous les Palestiniens, nous savons que la meilleure arme contre l'occupation, c'est l'éducation.

Même dans les prisons israéliennes, des détenus palestiniens ont continué leurs études. Beaucoup d'entre eux ont obtenu un diplôme en prison. Même des condamnés à perpétuité, qui savaient qu'ils n'allaient jamais sortir de prison, ont quand même eu des masters et des doctorats.

« C'est fini pour la vie »

À Gaza, il n'y a qu'une université publique, l'université Al-Aqsa. Les autres sont privées. L'Université islamique est soutenue par le Hamas, et Al-Azhar par le Fatah. Les autres ont été fondées par des groupes de professeurs.

Ces établissements se trouvaient déjà dans une situation difficile avant le 7 octobre. Elles faisaient crédit à de nombreux étudiants incapables de payer leurs frais d'inscription. À un moment, l'Université islamique était au bord de la faillite. Beaucoup d'établissements avaient réduit les salaires de leurs professeurs et employés de 50 voire 70 %, depuis un moment. Aujourd'hui, le système d'éducation est détruit. Des milliers d'étudiants n'ont plus qu'une solution : essayer de continuer leurs études ailleurs. Une façon de vider la bande de Gaza de sa jeunesse et de son avenir.

Je ne sais pas comment ces jeunes vont faire. J'ai reçu des appels téléphoniques d'amis qui veulent savoir si leurs enfants peuvent partir au Caire pour poursuivre leurs cursus. Malheureusement, l'Égypte ne propose pas de carte de séjour pour les étudiants. Pour le moment, seuls ceux qui paient les 5 000 dollars pour sortir d'ici peuvent passer en Égypte. Mais pour s'inscrire dans une université, il y a une procédure très longue qui n'est pas encore au point. On dit que Mohamed Dahlan, l'ancien chef de la Sécurité préventive de Gaza, sous l'administration de l'Autorité palestinienne, et aujourd'hui conseiller des Émirats arabes unis, est en train de négocier avec les Égyptiens pour faire accueillir les étudiants. Mais cela signifierait l'émigration de la jeunesse.

L'information de la fermeture d l'université de Palestine a commencé à circuler. Je viens de recevoir l'appel téléphonique d'un ami médecin, Moumen Shawa. Il a trois enfants qui sont étudiants en médecine. Ils sont à l'université Al-Azhar, mais il a peur qu'elle se déclare également en faillite :

J'ai un enfant qui devait finir sa médecine dentaire dans deux ans, et les deux doivent finir leur médecine générale. J'ai dépensé toutes mes économies pour eux.

Il avait d'abord espéré que la guerre leur ferait seulement perdre un an d'études, mais maintenant il croit que l'enseignement à Gaza, « c'est fini pour la vie ». Il me dit que même s'il arrivait à les faire passer en Égypte, il n'aurait pas les moyens de payer les frais d'inscription pour une école de médecine là-bas, plus les frais de séjour et la location d'un appartement. Il voulait savoir si moi qui ai « des connexions » je peux l'aider à inscrire ses enfants en fac de médecine en France pour l'année prochaine : « J'ai entendu dire que la France donne des bourses. La langue, ce n'est pas un problème, ils peuvent l'apprendre. » Le pauvre, il pose les questions et il donne les réponses, des réponses que moi je n'ai pas. Il veut absolument que ses enfants puissent continuer leurs études ailleurs. C'est le rêve de sa vie de voir ses enfants devenir médecins.

Comme n'importe quelle autre jeunesse dans le reste du monde

C'est un exemple parmi d'autres de gens qui ont tout fait, tout dépensé pour que leurs enfants aient une éducation, qu'ils deviennent médecins ou architectes. La fille d'un autre ami est en deuxième année de médecine à l'université Al-Azhar. Être médecin, c'est son rêve à elle aussi. Son père me dite qu'elle espère reprendre ses études l'année prochaine. Pour le rassurer, je lui réponds qu'une année ce n'est pas trop grave, qu'elle peut continuer à suivre des cours en ligne, et qu'elle pourrait considérer ça comme une année sabbatique… Mais entre nous, il me dit : « Rami, j'ai peur qu'il n'y ait plus d'université, et que le rêve de ma fille va s'évanouisse. »

Les Israéliens veulent nous empêcher d'étudier parce qu'ils veulent faire de nous des ignorants, mais les jeunes palestiniens ont des ambitions. Ils veulent vivre, comme n'importe quelle autre jeunesse dans le reste du monde. Ils rêvent de pouvoir faire des études comme en France, où on n'a pas besoin d'avoir beaucoup d'argent pour s'inscrire à l'université.

Nous ne sommes pas une société ignorante, nous sommes une société qui sait très bien ce qui se passe. Victor Hugo a dit : « Chaque enfant qu'on enseigne, c'est un homme qu'on gagne. » Et nous, nous avons beaucoup d'hommes.

À partir d’avant-hierAnalyses, perspectives

Prix Michel Seurat 2024. Appel à candidatures

Le prix Michel Seurat a été institué par le CNRS en juin 1988 pour honorer la mémoire de ce chercheur, spécialiste du monde arabe, disparu dans des conditions tragiques. Il vise à aider financièrement chaque année une jeune chercheure, ressortissante d'un pays européen ou d'un pays du Proche-Orient ou du Maghreb, contribuant ainsi à promouvoir connaissance réciproque et compréhension entre la société française et le monde arabe.

Depuis 2017, l'organisation du prix a été déléguée au GIS « Moyen-Orient et mondes musulmans », en partenariat avec l'IISMM-EHESS et Orient XXI.

D'un montant de 15 000 euros en 2023, le prix est ouvert aux titulaires d'un master 2 ou d'un diplôme équivalent, âgés de moins de 35 ans révolus et sans condition de nationalité, de toutes disciplines, dont la recherche doctorale en cours porte sur les sociétés contemporaines du monde arabe, domaine envisagé comme ouvert et en interaction avec d'autres contextes et traditions intellectuels. Il a pour vocation d'aider un jeune chercheur ou une jeune chercheuse à multiplier les enquêtes sur le terrain, dans le cadre de la préparation de sa thèse.

Les enquêtes doivent avoir lieu sur le terrain. La maîtrise de la langue arabe est une condition impérative.

Date limite de dépôt des candidatures : mardi 28 avril 2024 (minuit, heure de Paris)

Constitution du dossier

➞ un plan et un projet de recherche détaillés précisant de manière claire les parties réalisées du travail et celles qui restent à faire, notamment les enquêtes qui seront menées sur le terrain (10 pages maximum, exclusivement en français) ;
➞ un curriculum vitae (exclusivement en français) ;
➞ une copie des diplômes obtenus, assortie le cas échéant de leur traduction en français ;
➞ une ou plusieurs attestations ou lettres de soutien émises par des personnalités scientifiques connaissant de près le travail et/ou le parcours du candidat ou de la candidate : attestations récentes et en rapport avec la candidature au Prix Seurat (lettres en français, en anglais ou en arabe).

Les dossiers sont à adresser uniquement par voie électronique, impérativement à l'adresse suivante :
gismomm-iismm.prix@cnrs.fr.

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pdf
Règlement du prix Michel Seurat
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Les guerres menées par les États-Unis depuis 2001 ont tué 4,5 millions de personnes

Dans un rapport dévastateur publié lundi, le Projet sur le coût de la guerre (Cost of War Project) de l’université Brown estime qu’au moins 4,5 millions de personnes sont mortes des suites des guerres lancées par les États-Unis depuis les attentats du 11 septembre 2001.

L’article Les guerres menées par les États-Unis depuis 2001 ont tué 4,5 millions de personnes est apparu en premier sur Strategika.

La gouverneur de Gagaouzie (Moldavie) en visite à Moscou

gagaouzie visite

gagaouzie visiteLa chef de l’autonomie gagaouze de Moldavie, Evghenia Gutsul, est en visite de travail à Moscou, a rapporté le correspondant

L’article La gouverneur de Gagaouzie (Moldavie) en visite à Moscou est apparu en premier sur STRATPOL.

Comment l’IA pourrait aider à détecter le COVID ?

L’utilisation de l’intelligence artificielle dans la médecine ouvre de nouvelles possibilités d’accélération de la mise au point de traitements. Une récente recherche menée par des chercheurs de l’Université Johns Hopkins a abouti au développement d’un outil de détection automatisé utilisant l’IA pour repérer le COVID-19 dans les images échographiques pulmonaires. Cette avancée pourrait révolutionner la manière dont les médecins urgentistes diagnostiquent les patients, en particulier dans des situations d’urgence où le temps est crucial.

Les chercheurs du Whiting School of Engineering de l’Université Johns Hopkins ont lancé une recherche pour développer un outil permettant de détecter rapidement le Covid-19. Les résultats ont été publiés dans Communications Medicine. Ils ont réussi à mettre au point un outil de détection automatique utilisant l’Intelligence artificielle (AI). Il permet de détecter le Covid-19 dans les images échographiques pulmonaires.

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Les biomarqueurs fibrinolytiques permettent d’identifier la gravité du COVID, selon une étude

Pendant la pandémie, les tests conventionnels ne permettaient pas d’évaluer si un patient risque de développer la forme grave du Covid-19. Les facteurs de comorbidité pouvaient entraîner une hospitalisation ou un décès chez un plus grand nombre de personnes reconnues comme vulnérables. Mais une nouvelle étude a révélé que les protéines régulant les niveaux de plasminogène et de plasmine pourraient devenir des indicateurs importants. L’étude menée par l’Université Juntendo au Japon a ouvert de nouvelles perspectives dans la recherche de biomarqueurs pour prédire la gravité du COVID-19.

Si le Covid-19 peut toucher tout le monde, ses formes graves sont plus courantes chez les personnes âgées ou déjà affaiblies par une autre maladie. On entend par comorbidité, la présence de maladies et divers troubles aigus ou chroniques s’additionnant à la maladie initiale (obésité, diabète,hypertension, maladie cardiovasculaire…). Une récente étude menée par l’Université Juntendo au Japon a exploré le potentiel des biomarqueurs fibrinolytiques, en se concentrant sur les protéines régulant les niveaux de plasminogène-plasmine, pour identifier les patients à risque. Une compréhension des réponses immunitaires déclenchées au fur et à mesure de l’évolution de la maladie est donc essentielle pour déterminer quels patients sont les plus à risque de souffrir de graves complications ou de mourir à la suite de celles-ci.

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Journée de mobilisation universitaire européenne pour la Palestine

Stop au génocide. Stop à la colonisation. La Coordination universitaire contre la colonisation en Palestine appelle à une journée de mobilisation universitaire européenne pour la Palestine le 12 mars 2024. Orient XXI publie son appel.

La Coordination universitaire contre la colonisation en Palestine (CUCCP) est un réseau constitué de chercheur.es, enseignant.es chercheur.es, biatss1, docteur.es et doctorant.es, étudiant.es engagées dans l'enseignement supérieur et la recherche pour mettre fin à la guerre génocidaire et à la colonisation en Palestine. La CUCCP s'insère dans un mouvement transnational de chercheur.es contre la guerre en Palestine (SAWP). Son positionnement est défini dans l'Appel du monde académique français pour la Palestine : arrêt immédiat de la guerre génocidaire !2

Depuis le 7 octobre 2023, plus de 30 000 Palestinien.nes ont été tué.es par l'armée israélienne et plus de 80 % de la population de 2,2 millions de Gazaoui.es est assiégée dans 360 km2. L'armée israélienne a tué 94 professeurs d'université, 231 enseignants et plus de 4 300 étudiants et étudiantes, en plus de détruire l'ensemble des universités gazaouies et 346 écoles. La Cour internationale de justice (CIJ) a alerté contre le risque de génocide menaçant le peuple palestinien à Gaza. La Cisjordanie est soumise à un régime de blocage plus intense que jamais. Le silence n'est pas possible et il est inacceptable.

Face à la complicité active du gouvernement français dans cette guerre génocidaire menée par Israël contre le peuple palestinien et la répression de la liberté d'expression autour de la Palestine, la CUCCP invite le monde académique français à rejoindre l'appel européen pour une journée de solidarité universitaire avec le peuple palestinien le 12 mars 2024. Elle exige :

  • Un cessez-le feu immédiat, inconditionnel et permanent,
  • La levée permanente du blocus de Gaza,
  • La défense du droit palestinien à l'éducation.

Pour cela, nous proposons les moyens d'actions suivant :

  • Pousser nos universités à agir activement contre le régime d'apartheid israélien,
  • Établir des liens académiques avec des universités et des universitaires palestiniens,
  • Soutenir et participer au boycott universitaire visant les institutions académiques israéliennes complices de la violation des droits des Palestinien.nes,
  • Défendre la liberté d'expression et la liberté académique autour de la Palestine, ici et hors de France.

Il est possible d'agir quel que soit notre nombre, tant les moyens d'actions sont multiples : rassemblements, occupation de l'espace universitaire par un « die-in »3, projection de films, lecture de poésie palestinienne, port d'un keffieh, lister les universités détruites, les noms des collègues et étudiants tués, parler de la Palestine dans vos cours, etc. Nous comptons sur votre créativité !

Nous vous invitons à donner de la force à notre mobilisation en partageant massivement sur les réseaux sociaux, en taguant (@cuccp sur Instagram, Facebook, Twitter/X) et en utilisant :

#EndIsraelsGenocide #FreePalestine #EndIsraelScholasticide #March12forPalestine #FrenchscholarsforPalestine #EuropeansholarsStandwithPalestine#Scholarsgainstwar

Faites-nous part des actions réalisées en écrivant à palestinecoordination@gmail.com .


1Acronyme pour bibliothécaires, ingénieurs, administratifs, techniciens, personnels sociaux et de santé.

3NDLR. Forme de manifestation dans laquelle les participants simulent la mort.

Un rapport israélien établit que Tsahal serait écrasée militairement par le Hezbollah

Un rapport rédigé par des experts israéliens de la défense et de la lutte contre le terrorisme juge que Tsahal aurait le dessous dans une guerre de haute intensité avec le Hezbollah au Liban. Cela fait deux mois au moins que Tel-Aviv menace de déclencher une guerre de grande envergure contre le Liban pour mettre fin aux attaques régulières du Hezbollah contre la Galilée. En réalité, l’armée israélienne se garde bien de franchir un certain seuil de violence, tant elle craint des représailles terribles pour le pays. Le rapport, commencé avant le 7 octobre 2023, vient d’être achevé alors qu’une guerre de basse intensité a déjà lieu entre Israël et le Hezbollah.

Plus de 100 experts et officiers israéliens ont rédigé un rapport de 130 pages intitulé “La guerre la plus meurtrière de toutes”, qui conclut à l’incapacité des Israéliens à mener une guerre sur plusieurs fronts. Le rapport, réalisé sous la direction du professeur Boaz Ganor, aujourd’hui président de l’université Reichman, a été présenté à de nombreux responsables gouvernementaux et militaires.

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Autopiégés par les deepfakes : où sont les bugs ?

Par Dr Sylvie Blanco, Professor Senior Technology Innovation Management à Grenoble École de Management (GEM) & Dr. Yannick Chatelain Associate Professor IT / DIGITAL à Grenoble École de Management (GEM) & GEMinsights Content Manager.

« C’est magique, mais ça fait un peu peur quand même ! » dit Hélène Michel, professeur à Grenoble École de management, alors qu’elle prépare son cours « Innovation et Entrepreneuriat ».

Et d’ajouter, en riant un peu jaune :

« Regarde, en 20 minutes, j’ai fait le travail que je souhaite demander à mes étudiants en 12 heures. J’ai créé un nouveau service, basé sur des caméras high tech et de l’intelligence artificielle embarquée, pour des activités sportives avec des illustrations de situations concrètes, dans le monde réel, et un logo, comme si c’était vrai ! Je me mettrai au moins 18/20 ».

Cet échange peut paraître parfaitement anodin, mais la possibilité de produire des histoires et des visuels fictifs, perçus comme authentiques – des hypertrucages (deepfakes en anglais) – puis de les diffuser instantanément à l’échelle mondiale, suscitant fascination et désillusion, voire chaos à tous les niveaux de nos sociétés doit questionner. Il y a urgence !

En 2024, quel est leur impact positif et négatif ? Faut-il se prémunir de quelques effets indésirables immédiats et futurs, liés à un déploiement massif de son utilisation et où sont les bugs ?

 

Deepfake : essai de définition et origine

En 2014, le chercheur Ian Goodfellow a inventé le GAN (Generative Adversarial Networks), une technique à l’origine des deepfakes.

Cette technologie utilise deux algorithmes s’entraînant mutuellement : l’un vise à fabriquer des contrefaçons indétectables, l’autre à détecter les faux. Les premiers deepfakes sont apparus en novembre 2017 sur Reddit où un utilisateur anonyme nommé « u/deepfake » a créé le groupe subreddit r/deepfake. Il y partage des vidéos pornographiques avec les visages d’actrices X remplacés par ceux de célébrités hollywoodiennes, manipulations reposant sur le deep learning. Sept ans plus tard, le mot deepfake est comme entré dans le vocabulaire courant. Le flux de communications quotidiennes sur le sujet est incessant, créant un sentiment de fascination en même temps qu’une incapacité à percevoir le vrai du faux, à surmonter la surcharge d’informations de manière réfléchie.

Ce mot deepfake, que l’on se garde bien de traduire pour en préserver l’imaginaire technologique, est particulièrement bien choisi. Il contient en soi, un côté positif et un autre négatif. Le deep, de deep learning, c’est la performance avancée, la qualité quasi authentique de ce qui est produit. Le fake, c’est la partie trucage, la tromperie, la manipulation. Si on revient à la réalité de ce qu’est un deepfake (un trucage profond), c’est une technique de synthèse multimédia (image, son, vidéos, texte), qui permet de réaliser ou de modifier des contenus grâce à l’intelligence artificielle, générant ainsi, par superposition, de nouveaux contenus parfaitement faux et totalement crédibles. Cette technologie est devenue très facilement accessible à tout un chacun via des applications, simples d’utilisations comme Hoodem, DeepFake FaceSwap, qui se multiplient sur le réseau, des solutions pour IOS également comme : deepfaker.app, FaceAppZao, Reface, SpeakPic, DeepFaceLab, Reflect.

 

Des plus et des moins

Les deepfakes peuvent être naturellement utilisés à des fins malveillantes : désinformation, manipulation électorale, diffamation, revenge porn, escroquerie, phishing…

En 2019, la société d’IA Deeptrace avait découvert que 96 % des vidéos deepfakes étaient pornographiques, et que 99 % des visages cartographiés provenaient de visages de célébrités féminines appliqués sur le visage de stars du porno (Cf. Deep Fake Report : the state of deepfakes landscape, threats, and impact, 2019). Ces deepfakes malveillants se sophistiquent et se multiplient de façon exponentielle. Par exemple, vous avez peut-être été confrontés à une vidéo où Barack Obama traite Donald Trump de « connard total », ou bien celle dans laquelle Mark Zuckerberg se vante d’avoir « le contrôle total des données volées de milliards de personnes ». Et bien d’autres deepfakes à des fins bien plus malveillants circulent. Ce phénomène exige que chacun d’entre nous soit vigilant et, a minima, ne contribue pas à leur diffusion en les partageant.

Si l’on s’en tient aux effets médiatiques, interdire les deepfakes pourrait sembler une option.
Il est donc important de comprendre qu’ils ont aussi des objectifs positifs dans de nombreuses applications :

  • dans le divertissement, pour créer des effets spéciaux plus réalistes et immersifs, pour adapter des contenus audiovisuels à différentes langues et cultures
  • dans la préservation du patrimoine culturel, à des fins de restauration et d’animation historiques 
  • dans la recherche médicale pour générer des modèles de patients virtuels basés sur des données réelles, ce qui pourrait être utile dans le développement de traitements 
  • dans la formation et l’éducation, pour simuler des situations réalistes et accroître la partie émotionnelle essentielle à l’ancrage des apprentissages

 

Ainsi, selon une nouvelle étude publiée le 19 avril 2023 par le centre de recherche REVEAL de l’université de Bath :

« Regarder une vidéo de formation présentant une version deepfake de vous-même, par opposition à un clip mettant en vedette quelqu’un d’autre, rend l’apprentissage plus rapide, plus facile et plus amusant ». (Clarke & al., 2023)

Comment en sommes-nous arrivés là ?

Comment avons-nous mis au point et démocratisé des outils technologiques de manière aussi peu appropriée, au sens de E.F. Schumacher (1973) dans son ouvrage Small is Beautiful : A Study of Economics as If People Mattered.

L’idée qu’il défend est celle d’une technologie scientifiquement éprouvée, à la fois adaptable aux besoins spécifiques de groupes d’utilisateurs clairement identifiés, et acceptables par toutes les parties prenantes de cette utilisation, tout au long de son cycle de vie, sans dégrader l’autonomie des communautés impliquées.

Considérons la période covid. Elle a très nettement favorisé une « aliénation des individus et des organisations à la technologie », entraînant des phénomènes de perte de contrôle et de confiance face à des utilisations non appropriées du numérique profitant de la vulnérabilité des citoyens (multiplication des arnaques santé par exemple). Ils se sont trouvés sur-sollicités et noyés sous un déluge de contenus, sans disposer des ressources nécessaires pour y faire face de manière pérenne et sécurisée. Avec l’IA générative et la prolifération des deepfakes, le défi d’échapper à la noyade et d’éviter d’être victime de manipulations devient démesuré !

La mécanique allant de la technologie à la société est (toujours) bien ancrée dans la théorie de Schumpeter datant du début du XXe siècle : les efforts et les investissements dans la technologie génèrent du développement économique par l’innovation et la productivité, qui se traduit ensuite en progrès social, par exemple, par la montée du niveau d’éducation. La question de l’adoption de la technologie par le marché de masse est un élément central de la réussite des acteurs économiques.

Comme le souligne très bien le philosophe Alain Damasio, les citoyens adoptent les solutions numériques (faciles d’utilisation et accessibles) et se réfugient dans un « techno-cocon » pour trois raisons principales :

  1. La paresse (les robots font à leur place)
  2. La peur associée à l’isolement (on a un réseau mondial d’amis)
  3. Les super-pouvoirs (le monde à portée de main avec son smartphone)

 

Cela s’applique parfaitement à l’IA générative : créer des contenus sans effort, presque instantanément, avec un résultat d’expert. Ainsi, dans le fantasme collectif, eu égard à la puissance réelle et exponentielle des outils disponibles, nous voilà bientôt tous écrivains, tous peintres, tous photographes, tous réalisateurs… nous voilà capables de produire en quelques minutes ce qui a priori nous aurait demandé des heures. Et dans le même temps, nous servons à l’amélioration continue des performances de ces technologies, au service de quelques grandes entreprises mondiales.

 

Deepfakes : où est le bug ?

Si le chemin vers la diffusion massive de l’IA générative est clair, éprouvé et explicable, d’où vient la crise actuelle autour des deepfake ? L’analyse des mécanismes de diffusion fait apparaître deux bugs principaux.

Le premier bug

Il s’apparente à ce que Nunes et al. (2014) appelle le phénomène « big bang disruption ».

La vitesse extrêmement rapide à laquelle se déploient massivement certaines applications technologiques ne laisse pas le temps de se prémunir contre ses effets indésirables, ni de se préparer à une bonne appropriation collective. On est continuellement en mode expérimentation, les utilisateurs faisant apparaître des limites et les big techs apportant des solutions à ces problèmes, le plus souvent technologiques. C’est la course à la technologie – en l’occurrence, la course aux solutions de détection des deepfakes, en même temps que l’on tente d’éduquer et de réglementer. Cette situation exige que l’on interroge notre capacité à sortir du système établi, à sortir de l’inertie et de l’inaction – à prendre le risque de faire autrement !

Le second bug

Selon Schumpeter, la diffusion technologique produit le progrès social par l’innovation et l’accroissement de la productivité ; mais cette dynamique ne peut pas durer éternellement ni s’appliquer à toutes technologies ! Si l’on considère par exemple la miniaturisation des produits électroniques, à un certain stade, elle a obligé à changer les équipements permettant de produire les puces électroniques afin qu’ils puissent manipuler des composants extrêmement petits. Peut-on en changer l’équipement qui sert à traiter les contenus générés par l’IA, c’est-à-dire nos cerveaux ? Doivent-ils apprendre à être plus productifs pour absorber les capacités des technologies de l’IA générative ? Il y a là un second bug de rupture cognitive, perceptive et émotionnelle que la société expérimente, emprisonnée dans un monde numérique qui s’est emparée de toutes les facettes de nos vies et de nos villes.

 

Quid de la suite : se discipliner pour se libérer du péril deepfake ?

Les groupes de réflexion produisant des scénarii, générés par l’IA ou par les humains pleuvent – pro-techno d’une part, pro-environnemental ou pro-social d’autre part. Au-delà de ces projections passionnantes, l’impératif est d’agir, de se prémunir contre les effets indésirables, jusqu’à une régression de la pensée comme le suggère E. Morin, tout en profitant des bénéfices liés aux deepfakes.

Face à un phénomène qui s’est immiscé à tous les niveaux de nos systèmes sociaux, les formes de mobilisation doivent être nombreuses, multiformes et partagées. En 2023 par exemple, la Région Auvergne-Rhône-Alpes a mandaté le pôle de compétitivité Minalogic et Grenoble École de management pour proposer des axes d’action face aux dangers des deepfakes. Un groupe d’experts* a proposé quatre axes étayés par des actions intégrant les dimensions réglementaires, éducatives, technologiques et les capacités d’expérimentations rapides – tout en soulignant que le levier central est avant tout humain, une nécessité de responsabilisation de chaque partie prenante.

Il y aurait des choses simples que chacun pourrait décider de mettre en place pour se préserver, voire pour créer un effet boule de neige favorable à amoindrir significativement le pouvoir de malveillance conféré par les deepfakes.

Quelques exemples :

  • prendre le temps de réfléchir sans se laisser embarquer par l’instantanéité associée aux deepfakes 
  • partager ses opinions et ses émotions face aux deepfakes, le plus possible entre personnes physiques 
  • accroître son niveau de vigilance sur la qualité de l’information et de ses sources 
  • équilibrer l’expérience du monde en version numérique et en version physique, au quotidien pour être en mesure de comparer

 

Toutefois, se pose la question du passage à l’action disciplinée à l’échelle mondiale !

Il s’agit d’un changement de culture numérique intrinsèquement long. Or, le temps fait cruellement défaut ! Des échéances majeures comme les JO de Paris ou encore les élections américaines constituent des terrains de jeux fantastiques pour les deepfakes de toutes natures – un chaos informationnel idoine pour immiscer des informations malveillantes qu’aucune plateforme media ne sera en mesure de détecter et de neutraliser de manière fiable et certaine.

La réalité ressemble à un scénario catastrophe : le mur est là, avec ces échanges susceptibles de marquer le monde ; les citoyens tous utilisateurs d’IA générative sont lancés à pleine vitesse droit dans ce mur, inconscients ; les pilotes de la dynamique ne maîtrisent pas leur engin supersonique, malgré des efforts majeurs ! Pris de vitesse, nous voilà mis devant ce terrible paradoxe : « réclamer en tant que citoyens la censure temporelle des hypertrucages pour préserver la liberté de penser et la liberté d’expression ».

Le changement de culture à grande échelle ne peut que venir d’une exigence citoyenne massive. Empêcher quelques bigs techs de continuer à générer et exploiter les vulnérabilités de nos sociétés est plus que légitime. Le faire sans demi-mesure est impératif : interdire des outils numériques tout comme on peut interdire des médicaments, des produits alimentaires ou d’entretien. Il faut redonner du poids aux citoyens dans la diffusion de ces technologies et reprendre ainsi un coup d’avance, pour que la liberté d’expression ne devienne pas responsable de sa propre destruction.

Ce mouvement, le paradoxe du ChatBlanc, pourrait obliger les big techs à (re)prendre le temps d’un développement technologique approprié, avec ses bacs à sable, voire des plateformes dédiées pour les créations avec IA. Les citoyens les plus éclairés pourraient avoir un rôle d’alerte connu, reconnu et effectif pour décrédibiliser ceux qui perdent la maîtrise de leurs outils. Au final, c’est peut-être la sauvegarde d’un Internet libre qui se joue !

Ce paradoxe du ChatBlanc, censurer les outils d’expression pour préserver la liberté d’expression à tout prix trouvera sans aucun doute de très nombreux opposants. L’expérimenter en lançant le mois du ChatBlanc à l’image du dry january permettrait d’appréhender le sujet à un niveau raisonnable tout en accélérant nos apprentissages au service d’une transformation culturelle mondiale.

 

Lucal Bisognin, Sylvie Blanco, Stéphanie Gauttier, Emmanuelle Heidsieck (Grenoble Ecole de Management) ; Kai Wang (Grenoble INP / GIPSALab / UGA), Sophie Guicherd (Guicherd Avocat), David Gal-Régniez, Philippe Wieczorek (Minalogic Auvergne-Rhône-Alpes), Ronan Le Hy (Probayes), Cyril Labbe (Université Grenoble Alpes / LIG), Amaury Habrard (Université Jean Monnet / LabHC), Serge Miguet (Université Lyon 2 / LIRIS) / Iuliia Tkachenko (Université Lyon 2 / LIRIS), Thierry Fournel (Université St Etienne), Eric Jouseau (WISE NRJ).

Universités françaises : la manne des étudiants étrangers (et leur échec scolaire)

L’adoption de la Loi immigration a provoqué un tollé inattendu dans le monde universitaire : démission du ministre de l’Enseignement supérieur (refusée par Matignon et l’Élysée), tribunes de présidents d’écoles et d’universités, interventions médiatiques multiples contre les dispositions de la loi touchant aux étudiants. C’est qu’en effet, pour beaucoup d’écoles supérieures et d’universités, l’étudiant étranger est une manne financière indispensable.

Beaucoup de professeurs se sont émus que des restrictions puissent être imposées aux étudiants étrangers : frais de scolarité plus élevés, caution de retour, suppression des aides au logement, voire sélection à l’entrée. Édouard Philippe avait déjà tenté, sans succès, de faire payer des frais d’inscription plus élevés aux étudiants étrangers, et déjà les universités s’y étaient opposées. Ce qui signifie qu’aujourd’hui c’est le contribuable français qui finance les études des étrangers qui viennent en France.

Pour beaucoup d’universités, et pour de nombreuses formations en licence et en master, la présence des étudiants étrangers est indispensable au maintien de l’existence de ces formations. C’est l’un des nombreux secrets de Polichinelle que la corporation universitaire se garde bien d’éventer : pour bon nombre de formations de piètre niveau, qui n’attirent pas les étudiants français, faire venir des étudiants étrangers permet de les remplir et donc d’assurer la survie des postes et des prébendes. Les taux d’échec de ces étudiants sont au-dessus du taux d’échec des Français (déjà très élevé) ce qui permet de faire coup double : comme ils redoublent plus, ils assurent des inscriptions pour l’année d’après, et comme un grand nombre d’entre eux disparaissent après quelques semaines, tout en restant inscrits, ils ne prennent pas de place dans les salles de cours. En général, ces formations délaissées reçoivent le bas du panier mondial, des étudiants dont le niveau réel n’a pas été vérifié en amont, ce qui ne semble poser aucun problème moral à des universitaires qui pratiquent la bonne conscience et la moraline d’usage.

Plongeons-nous dans les rapports de Campus France pour voir comment cela fonctionne dans les détails. Les chiffres cités dans l’article issu de Campus France sont extraits du rapport « La mobilité étudiante dans le monde. Chiffres clefs », Campus France, juin 2023. Campus France agrège des données collectées auprès d’organismes internationaux, comme Eurostat, l’OCDE ou l’Unesco.

 

La France à la peine dans les classements mondiaux

Les 5 premiers d’accueil de la mobilité étudiante (effectifs en 2020) :

  1. États-Unis : 957 475
  2. Royaume-Uni : 556 877
  3. Australie : 458 279
  4. Allemagne : 368 717
  5. Canada : 323 157

 

 

 

La France se classe à la 6e position avec 252 444 étudiants étrangers, soit 300 000 étudiants de moins que le Royaume-Uni, et 200 000 étudiants de moins que l’Australie. La France fait à peine mieux que les Émirats arabes unis et le Japon. Remarquons d’ores et déjà que les pays qui attirent le plus sont ceux où la sélection est la plus forte : sélection à l’entrée, frais de scolarité élevés (voire très élevés), coût de la vie étudiante, bien souvent caution pour le retour.

Alors même que les universitaires opposés aux dispositions de la loi expliquent que plus on sélectionne plus cela abîme l’attractivité étudiante. C’est tout l’inverse qui est à l’œuvre.

Le rapport note que pour l’année scolaire 2020/2021, le nombre d’étudiants étrangers en France a dépassé la barre des 400 000. Malheureusement, les chiffres pour les autres pays ne sont pas indiqués (contrairement à 2020), ce qui ne permet pas de réaliser des comparaisons.

Et encore ces données n’indiquent-elles que la quantité, mais pas la qualité. Pour cela, nous pouvons nous appuyer sur d’autres données, qui émanent du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche, celles de la réussite en licence et master, par continent.

Il s’agit de la note d’information du SIES « Parcours et réussite des étudiants étrangers en mobilité internationale », juillet 2020.

 

Les étudiants étrangers échouent en masse

Pour l’ensemble des étudiants français et résidents étrangers, le taux d’échec en licence est de 71,6 %.

Cet immense gâchis humain et financier ne semble troubler personne. Plus de 90 % de réussite au bac pour aboutir à plus de 70 % d’échec en licence. Cet échec massif ne devrait-il pas être la première des priorités de l’université ? Et quand on parle d’échec, encore faut-il avoir à l’esprit que beaucoup de passages sont donnés ou bien facilités. Si les notations étaient à la mesure du niveau des copies, le taux d’échec serait beaucoup plus important.

Les taux d’échec varient selon les disciplines : plus important en droit et sciences politiques (71,8 %) qu’en économie (62,6 %) et lettres et sciences humaines (63,2 %). Étant professeur dans cette filière, j’ai de très gros doutes quant au fait que ce soit celle avec le plus faible taux d’échec (même s’il est très important par ailleurs). Compte tenu du niveau de maitrise de l’orthographe et de la syntaxe, c’est le cas typique de filière où les passages sont facilités.

Regardons ce qu’il en est pour les étudiants étrangers.

Taux d’échec en licence :

  • Amérique : 62,5 %
  • Afrique subsaharienne : 72,5 %
  • Maghreb : 75,4 %
  • Asie et Océanie : 61,2 %

 

Les étudiants d’Asie et d’Amérique échouent moins que les Français, ceux d’Afrique échouent davantage. Ce qui se vérifie également dans les masters, où les taux d’échec oscillent entre 60 % et 50 %. Pour le dire autrement, près des deux tiers des étudiants africains qui viennent en France échouent en licence. Certains mettront 4 ans pour obtenir une licence, d’autres finiront par s’évaporer de l’université, mais le visa étudiant leur aura permis de venir légalement en France. Une telle boucherie étudiante ne semble pas, là non plus, émouvoir les universitaires qui y voient au contraire un élément « du rayonnement de la France ».

Ces données sont pourtant terribles : la France accueille moins d’étudiants que les grandes nations, elle sélectionne très peu, et ceux qui viennent sont, pour les deux tiers d’entre eux, d’un niveau faible voire très faible. Cela finit par se savoir, dans les pays émetteurs, que les meilleurs vont aux États-Unis, au Royaume-Uni ou en Allemagne, et que le bas du panier va en France. On peut faire mieux en termes d’attractivité et de rayonnement.

Les taux d’échec en master sont eux aussi colossaux : 62,5 % pour les étudiants d’Afrique subsaharienne, 50 % pour les étudiants asiatiques, 56,5 % pour les étudiants français. Après l’obtention d’une licence, de tels taux d’échec sont anormaux. Ils démontrent que la sélection n’a pas lieu et que beaucoup d’étudiants servent à remplir des formations impasses qui n’attirent pas. Les universitaires seraient beaucoup plus crédibles s’ils dénonçaient ce carnage humain.

Le tri universitaire

Dans son rapport de juin 2023, Campus France constate que les principaux pays d’où sont originaires les étudiants étrangers sont le Maroc, l’Algérie, la Chine, l’Italie, le Sénégal. L’Afrique du Nord Moyen-Orient est la zone d’origine la plus importante (29 %), la deuxième étant l’Europe (25 %). Sur cinq ans (2018-2023), la plus forte hausse concerne les étudiants venus d’Afrique subsaharienne (+40 %).

Au total, 13% des étudiants en France sont étrangers. Quant à leur répartition, les étudiants internationaux sont inscrits, pour les deux tiers d’entre eux, à l’université (65 %), puis en écoles de commerce (14 %), en écoles d’ingénieurs (7 %) et en formations en lycée (classes préparatoires notamment – 5 %). Avec des typologies par continent très différentes.

Ceux qui sont inscrits à l’université proviennent essentiellement d’Afrique du Nord et d’Afrique subsaharienne, alors que les Asiatiques ne représentent que 10 % du total. Mais, en école de commerce comme en école d’ingénieurs, les étudiants asiatiques représentent plus du tiers des étudiants étrangers, et les étudiants d’Afrique subsaharienne à peine 15 %. Chaque établissement capte son marché étudiant sur des zones géographiques précises et déterminées.

L’origine des doctorants est elle aussi différente de l’origine de l’ensemble des étudiants puisque le pays le plus représenté est la Chine, suivi du Liban, de l’Italie et de l’Algérie.

Les universitaires ont raison de dire que l’attractivité de la France est un enjeu de puissance. Mais pour que cela soit effectif encore faut-il attirer les meilleurs étudiants, et ne pas se servir des Lumières de la France pour combler des filières et des formations bouchées dans le seul but de les maintenir en existence afin de sauver les postes et les prébendes. Plutôt qu’une fausse démission, le ministre de l’Enseignement supérieur aurait dû s’attaquer à ce chantier essentiel.

Pourquoi la gauche caviar universitaire américiane tolère les appels au génocide d’Israël

Par P.-E. Ford

Jusqu’à présent, la cancel culture au pouvoir à Harvard, Stanford, Yale et consoeurs, ne suscitait guère d’émotion dans les rangs du Parti démocrate, ni dans la presse qui lui est si dévouée. Tout a changé le 5 décembre, grâce aux auditions publiques de la Commission sur l’éducation et la population active de la Chambre des représentants, présidée par la républicaine Virginia Foxx, de Caroline du nord. Ce jour là, la présidente de Harvard, Claudine Gay, son homologue de University of Pennsylvania, Liz Magill, ainsi que la présidente du Massachusetts Institute of Technology (MIT), Pamela Nadell, ont chacune honteusement soutenu que « manifester sur le campus pour exiger le génocide des juifs » n’était pas en soi une forme de harcèlement inacceptable et passible de sanctions. « Tout dépend du contexte et du passage à l’acte, ou non, des auteurs de ces mots » ont précisé ces fières et éminentes incarnations de l’idéologie woke.

 

Sur les campus américains, la peur et l’humiliation subie par des milliers d’étudiants juifs ne pèsent pas lourd

Dans ces nobles institutions, si l’on qualifie quelqu’un de « gros » même dans un contexte affectueux,  on se fait rapidement sanctionner pour harcèlement et stigmatisation odieuse. Si l’on appelle « monsieur » une jeune personne qui était de sexe masculin mais qui est en train d’achever sa transition vers le genre féminin, on est également passible de sérieuses réprimandes. Pour ne pas marginaliser ou offenser les transgenres et les non-genrés, les toilettes pour hommes et les toilettes pour femmes ont été abolies dans plus de 420 universités américaines. Elles sont remplacées par des lieux dits « de genre inclusif ». En revanche il est acceptable, tant que l’on ne tue personne, de manifester pour éliminer tous les juifs d’Israël et faire disparaître leur État.

La priorité de l’enseignement porte sur le combat de la colonisation, crime dont Israël est déclaré coupable aujourd’hui. Pour la gauche woke qui détient le pouvoir dans les universités, c’est ce même crime qui a été commis par les Européens lorsqu’ils ont débarqué en Amérique. Et le crime colonial continue, puisque des Blancs dominent toujours économiquement les États-Unis, par le racisme et la violence policière.

Parce qu’ils sont « progressistes », de gauche, drapés dans des drapeaux palestiniens, les étudiants fanatisés ont le droit d’arracher les affiches des otages juifs du Hamas, de nier la torture infligée par ces terroristes, notamment à des enfants et des vieillards. Leurs manifestations fleuves accusent aussi Israël d’être responsable des massacres du 7 octobre, car c’est « l’oppression par les Juifs qui pousse les Palestiniens à des actes légitimes de résistance ».  Tout cela sous le regard tolérant de l’extrême gauche caviar qui gère ces institutions selon une échelle de valeurs prétendument « inclusive ».

Encore plus ahurissant, les trois présidentes se sont vu offrir par la représentante républicaine de New York, diplômée de Harvard, Elise Stefanik, en direct et à plusieurs reprises, la possibilité de dire « non, ces appels au génocide ne sont pas – par définition –  acceptables ». Et à chaque fois, elles ont refusé de le faire. Ce n’est que le lendemain, constatant le tollé suscité par leurs scandaleuses affirmations, qu’elles ont cherché à corriger le tir. Il aura fallu que la Maison-Blanche, le gouverneur de la Pennsylvanie et de riches donateurs privés à ces universités, notamment des banquiers et investisseurs de Wall Street, s’alarment, pour qu’elles fassent leur mea culpa.

On sent bien hélas que leur revirement est davantage lié à leur effort désespéré pour ne pas être démises de leurs fonctions par le conseil d’administration, qu’à leur découverte soudaine de la monstruosité de leurs affirmations. Claudine Gay, avec la froideur et l’arrogance tranquille qu’on lui connaît, s’était déjà illustrée au lendemain du 7 octobre, en laissant un vaste mouvement pro-Hamas submerger le campus de Harvard. « Le silence de la direction de Harvard, jusqu’à présent, associé au communiqué largement publié de groupes d’étudiants accusant Israël d’être l’unique responsable, a permis à Harvard de paraître, au mieux, neutre face aux actes de terreur contre l’État juif d’Israël »  déplorait ainsi Larry Summers, lui-même ancien président de l’université et ancien conseiller de Barack Obama.

 

Ce terrorisme intellectuel est encouragé par les professeurs et par la direction de ces universités, au nom du « progressisme »

Rien de tout cela ne peut être compris si l’on ne replace pas les événements dans le contexte de domination de l’extrême gauche caviar qui affecte les universités américaines. Voilà des années que les penseurs, auteurs, éditorialistes libéraux, conservateurs, républicains, pro-capitalistes, adversaires du wokisme, y sont de fait interdits d’expression.

Des comités progressistes d’étudiants leur bloquent les portes des salles de conférence, hurlent des slogans pour noyer leurs propos et perturbent systématiquement leurs interventions. Ce terrorisme intellectuel est encouragé par les professeurs et par la direction de ces universités, au nom du « progressisme ». L’inclusion censée y être pratiquée ne s’applique en fait qu’à la gauche. Et de préférence à la gauche de la gauche. La censure effective de toute opinion en opposition à la pensée unique écolo-progresso-transgenre et prétendument antiraciste, est devenue la norme. Seuls quelques obscurs réactionnaires, comme les élus républicains (pas tous trumpistes) et le Wall Street Journal, dénoncent la situation depuis des années. Leurs cris d’alarme ne sont cependant pas relayés par les journalistes de la presse dite mainstream, pour la plupart idéologiquement formés – et formatés – dans ces universités. Assis sur des dizaines de milliards de dollars de dotations privées, confortés dans leurs certitudes par la facilité avec laquelle ils obtiennent, de parents bien intentionnés, en moyenne 80 000 dollars par an de droits de scolarité, les mandarins de l’Ivy League se sont crus intouchables.

Depuis le 5 décembre, tout change. Les masques tombent. Les langues se libèrent. Bill Ackman, Ross Stevens, Marc Rowan, Jon Huntsman Jr. et d’autres financiers de premier plan, anciens élèves de ces fleurons universitaires, exigent la démission des trois présidentes qui se sont ridiculisées au Congrès par leur fanatisme anticolonial, sous couvert de « préserver la libre expression sur notre campus ». Leurs donations, et celles de tant d’autres anciens diplômés écœurés, sont désormais suspendues, voire retirées. « La profonde faillite morale », des présidentes de Harvard, MIT et U. Penn, comme le résume Bill Ackman, est enfin dénoncée.

Sur le web.

Streaming : une taxe au profit d’une clique

Le gouvernement annonce la mise en place de la taxe sur les plateformes de streaming, en préparation depuis des mois. La loi montre le rapport de connivence entre les dirigeants et des bénéficiaires de redistributions à l’intérieur du pays.

La taxe sur les plateformes de musique finance ensuite des projets d’artistes, spectacles, et autres types d’acteurs. Les plateformes, en particulier le directeur de Spotify, donnent des arguments contre la loi…

Explique un communiqué de Spotify, cité par Les Échos :

« C’est un véritable coup dur porté à l’innovation, et aux perspectives de croissance de la musique enregistrée en France. Nous évaluons les suites à donner à la mise en place de cette mesure inéquitable, injuste et disproportionnée ».

En dépit des critiques de la part des plateformes, la taxe arrive dès l’année prochaine. Les partisans font de la communication dans les médias.

Une tribune de Télérama, de la part d’un défenseur de la loi, explique « Pourquoi la taxe streaming est une bonne nouvelle ».

L’auteur écrit :

« Le système de redistribution peut être questionné, c’est toujours sain. Mais il aurait été injuste et risqué que certains financent le CNM selon leur bon vouloir tandis que d’autres en ont l’obligation. Ne serait-ce que pour cette raison, la taxe streaming est une bonne nouvelle. »

Un autre, le président de l’association des producteurs indépendants – en somme, les bénéficiaires de la taxe – fait l’éloge de la loi dans une interview pour FranceTVInfo

Il explique :

« Il s’agit d’une taxe d’un niveau très faible mais qui concerne l’ensemble des acteurs du numérique qui diffusent de la musique en ligne. Ça va des plateformes qu’on appelle pure players (dont c’est vraiment le cœur de métier) jusqu’aux plateformes dont c’est plutôt une activité parmi d’autres. Je pense aux Gafa notamment, mais également à tout ce qui est réseaux sociaux, etc. De la même manière que ces acteurs sont déjà taxés pour financer la création audiovisuelle dans sa diversité au CNC, on va les taxer aussi pour alimenter les programmes de soutien à la musique. »

Comme avec la plupart des taxes, les bénéficiaires justifient la mesure par une allusion au bien du pays. Il requiert, selon eux, plus de genres de musique, d’artistes, et de financements pour des musiciens en marge. Sinon, seule une poignée de styles de musique ou de créateurs toucheront des revenus, disent-ils.

Il répond aux plaintes de surtaxation des plateformes :

« Il est clair que du côté des pure players, comme Spotify ou Deezer, il y a une vraie vertu dans le système de rémunération de la création. Là, il s’agit de réaffecter un petit peu cet argent à des genres musicaux qui reçoivent aujourd’hui une rémunération très faible en streaming, car qui dit rémunération très faible dit faible capacité à se financer derrière, avec un vrai risque à terme que ça nuise à la diversité de la création locale. Quelque part, ce qu’on essaye de viser, c’est la vitalité renouvelée de la filière française, du tissu de production français. Sinon, à défaut, tout le monde ira vers des genres musicaux qui sont peu nombreux mais extrêmement rémunérateurs dans le streaming. »

La redistribution revient à une taxe sur le consommateur de biens et de services, pour une utilisation aux fins des dirigeants.

 

Contrôle des financements

De toute façon, les chiffres des plateformes mettent à mal l’argument des partisans de la taxe. Un grand nombre d’artistes touchent des revenus… pas une poignée de stars de la musique pop.

Selon les chiffres partagés par Spotify, cités par Le Point, « 57 000 artistes ont généré plus de 10 000 dollars [contre 23 400 artistes en 2017]. Et 1060 artistes ont généré au moins un million de dollars [contre 460 en 2017]. »

Le site YouTube dit avoir payé 6 milliards de dollars aux chaînes de musique en 2022, en hausse par rapport à 4 milliards en 2021, et 3 milliards de dollars en 2019. Les distributions proviennent de publicités lors des vues, ou d’une part au revenu des abonnements payants à la plateforme.

Dans un marché, la création de musique et le soutien des artistes rémunèrent la réussite auprès du public. Les dirigeants veulent une emprise sur le financement de la musique. Ils prennent ainsi aux consommateurs via la taxation des plateformes. Puis ils distribuent l’argent selon les vœux d’une poignée de personnes aux commandes.

Les bénéficiaires des distributions justifient le transfert au prétexte d’un besoin chez les artistes. La taxe sur les plateformes revient à une prise de contrôle, comme d’autres interventions dans les vies des individus.

(Vous pouvez suivre mes envois quotidiens sur la Bourse et l’investissement en cliquant ici.)

Comment réconcilier les irréconciliables ?

Un récent article sur l’islam m’a valu quelques critiques, et cette question ironique, si j’avais d’autres articles aussi curieux à proposer. Hélas oui, la mine n’en est pas épuisée.

Un jour les Israéliens seront à nouveau en paix avec leurs voisins palestiniens. Ils auront, on l’espère, exercé dans les bornes les plus strictes leur droit à la légitime défense, et employé avec mesure le dangereux appareil de la guerre. Mais la paix est un idéal négatif, qui n’évoque qu’un monde sans violence. Ne peut-on pas au surplus se respecter, s’entendre, se réconcilier ?

La géographie et l’histoire se mêlent pour dresser devant nous des situations difficiles. Lorsque les républicains chinois sont chassés du pouvoir, ils se réfugient sur une petite île à 160 kilomètres des côtes qu’ils doivent quitter, et ils y fondent un gouvernement de sécession. L’île de la Grande-Bretagne est séparée d’à peine 20 kilomètres des côtes d’Irlande, de sorte que par temps clair on en aperçoit les falaises. Français et Allemands ne sont séparés que par un fleuve de 200 mètres de largeur, bien faible rempart contre les velléités d’une armée. Il y a par le monde beaucoup de ces siamois politiques, qui sont forcés de vivre une cohabitation que souvent ils ne désirent pas.

Sur un même territoire (les États-Unis), les descendants de colons européens ont dû aussi apprendre à vivre au milieu des descendants d’esclaves qu’ils avaient transportés, opprimés puis émancipés, de même qu’avec les indigènes dont ils avaient accaparé les terres.

Solutionner les haines nationales, raciales, religieuses, peut se faire en s’appuyant sur le témoignage de l’histoire. Plusieurs auteurs de la tradition libérale française ont œuvré, en leur temps, à la réconciliation entre catholiques irlandais et anglicans, entre Noirs et Blancs aux États-Unis, notamment, et peuvent nous fournir des idées.

 

Les différents moyens de réconciliation

À les en croire, la première condition à obtenir est la suppression des barrières légales qui empêchent les peuples de s’unir d’eux-mêmes.

En Irlande, il fut un temps interdit à tout Anglais d’adopter le costume et jusqu’à la moustache irlandaise, de même que d’épouser une Irlandaise catholique. Un catholique ne pouvait occuper un emploi public, ni acquérir une propriété. Des barrières douanières s’assuraient que l’industrie textile irlandaise ne prospérait pas (Gustave de Beaumont, De l’Irlande, 1863, t. I, p. 43, 99, 111.). Il fallait donc, en priorité, obtenir l’abolition de ces lois.

La pratique stricte de la justice est, elle, essentiellement pacificatrice.

Aux États-Unis, écrit Charles Comte, ce n’est pas l’oubli de l’histoire, l’abolition des couleurs et des races, qu’il faut ambitionner, mais l’installation d’une justice impartiale et de l’égalité réelle devant la loi.

« Il faut faire, autant que cela se peut, que tous les hommes jouissent d’une protection égale ; il faut que les mêmes qualités ou les mêmes services obtiennent les mêmes récompenses, et que les mêmes vices ou les mêmes crimes soient suivis de peines semblables. » (Traité de législation, 1827, t. IV, p. 496).

L’orgueil de race, cependant, est lent à mourir. Pour le vaincre, il n’est peut-être guère d’autre recours que la liberté des mariages.

À son retour d’Amérique, Gustave de Beaumont soutient que « les mariages communs sont à coup sûr le meilleur, sinon l’unique moyen de fusion entre la race blanche et la race noire » (Marie ou de l’esclavage aux États-Unis, 1835, t. II, p. 317). Mais il faut pour cela vaincre à la fois l’opinion, qui réprouve ces unions, et la loi, qui parfois les interdit ou les déclare nulles.

La mobilisation de l’opinion publique contre les haines nationales, raciales, religieuses, est fortement appuyée par Frédéric Bastiat dans sa défense de la liberté des échanges. Ce sont pour lui des sentiments « pervers » et « absurdes », qu’il est plus encore utile d’éradiquer que le protectionnisme lui-même (Œuvres complètes, t. VI, p. 382 ; t. I, p. 167). Les deux maux se tiennent cependant : le libre-échange est pacificateur et unificateur de son essence, car il fait de l’étranger un ami (Idem, t. II, p. 271).

 

Ne pas céder au découragement

Les haines nationales, religieuses, raciales, paraissent toujours insurmontables aux générations qui les constatent et les combattent. Mais aussi elles meurent, ou faiblissent. L’Anglais et l’Irlandais ne forment pas une union fraternelle, mais le temps n’est plus où le premier enfermait des prisonniers dans des cavernes et y mettait le feu pour les enfumer, où l’autre exprimait sa vengeance en organisant le rapt et le viol des femmes ou des filles des propriétaires anglais qu’il voulait punir. De même la cohabitation des Noirs et des Blancs aux États-Unis a progressé.

Le libéralisme est porteur d’un idéal dont l’application est difficile, les victoires lentes et jamais acquises. Ce n’est pas un motif pour se décourager, mais pour œuvrer à un progrès qu’à peine peut-être nous entreverrons. La liberté, disait Édouard Laboulaye, est une œuvre qui ressemble à ces cathédrales qu’élevait le Moyen Âge : ceux qui les commençaient n’ignoraient pas qu’ils n’en verraient pas la fin. Ou, pour reprendre une autre image, empruntée à Edmond About, nous faisons la cuisine de l’avenir. Nous vidons les poulets et nous tournons la broche, pour que nos arrière-neveux n’aient plus qu’à se mettre à table et à dîner en joie.

À ce titre, combattre les haines nationales, raciales et religieuses, et accompagner les réconciliations, est une œuvre de la plus grande utilité.

Borne annonce la destruction définitive de notre agriculture

Hier, Elisabeth Borne a présenté la “Stratégie Nationale Biodiversité 2030”, moins médiatique que la stratégie bas carbone sur laquelle Emmanuel Macron a tergiversé pendant plusieurs mois, mais peut-être plus destructrice encore pour notre mode spontané de vie. En effet, d’ici 2030, la Première Ministre annonce d’importants changements écologiques dans le paysage de nos campagnes qui devraient modifier fortement le visage de la France profonde.

On se souvient des hésitations d’Emmanuel Macron à présenter l’explosive “stratégie bas carbone” du gouvernement, qui doit imposer la sobriété écologique à un petit peuple déjà rincé par l’inflation et les salaires bas qui ont suivi les 35 heures. Moins médiatique, la stratégie biodiversité n’en est pas moins, n’en sera pas moins destructrice. Elle comporte en effet quelques mesures structurantes qui devraient modifier notre paysage dans les 6 ou 7 ans à venir.

Par exemple :

Nous voulons avancer, également, pour la restauration des sols. C’est le sens de l’engagement du président de la République de planter 1 milliard d’arbres en dix ans. C’est encore ce que permettront les 50 000 kilomètres de haies que nous plantons à travers le territoire, ou encore nos actions de restauration des zones humides. Nous devons ensuite veiller à faire baisser les pressions qui s’exercent sur la biodiversité. Je connais bien la sensibilité de cette question. Et je crois fermement qu’il n’y a pas d’opposition entre transition écologique, développement des territoires et croissance économique – au contraire. 

Elisabeth Borne

Bref, alors que les nappes phréatiques débordent, contrairement aux affirmations de la propagande écologique, le gouvernement s’engage à restaurer les zones humides. Si l’on ajoute à ce projet étrange l’installation de 50.000 kilomètres de haie, la plantation d’1 milliards d’arbres, et l’objectif plus général de diminuer la surface agricole utile, on comprend que notre agriculture sera mise à rude épreuve dans les années qui viennent. Dans ce cas de figure, le problème général n’est pas celui de l’écologie, mais de la propriété privée. Progressivement, l’agriculture sera mise en coupe réglée pour faire plaisir au lobby de l’écologie.

Globalement, donc, nous glissons dans cette société orwellienne où la France est promise à la club-médisation. Nos campagnes seront sauvages, protégées, vides d’industrie. Notre pays se transformera en carte postale où pas une usine ne viendra pollué le ciel, pas un ouvrier ne viendra plus déparer dans les plus jolis villages de France. Nous vivrons du tourisme, et nous mourrons d’ennui.

Rappelons que cette stratégie décline les projets de l’Union Européenne dans ce domaine. L’asservissement de l’Europe dans un grand projet mondialiste progresse.

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L’assimilation, ce concept antilibéral

Dans un article précédent, j’ai montré que l’immigration libre était un point du programme des libéraux français classiques, et que pour marcher dans leurs pas, il nous fallait penser les contours de cette politique, plutôt que la rejeter.

J’examinerai aujourd’hui le principe de l’assimilation, pour voir s’il peut être reconnu par le libéralisme.

 

Le droit d’être minoritaire

C’est un principe fondamental du libéralisme que le respect des opinions et des actions inoffensives des minorités, et de tout ce qui peut être défini comme la sphère propre de l’individu (Benjamin Constant, Œuvres complètes, t. IV, p. 643 ; t. XIII, p. 118). En d’autres termes, chaque individu a le droit d’avoir ses goûts, ses opinions ; on n’exige guère de lui que sa soumission aux lois, c’est-à-dire qu’il ne blesse pas la liberté égale de son voisin, et ne détruise pas ses propriétés.

D’ordinaire, l’individu qui est né sur le sol et qui acquiert la nationalité par la naissance n’est pas inquiété par les prétentions coercitives de quelconques majorités. L’opinion commune ne le contraint pas : il adopte les tenues vestimentaires qu’il a choisi ; il a ses opinions ; en bref, il mène sa vie selon son propre règlement.

Mais on voudrait que les immigrés, en tant que nouveaux venus, se conforment aux opinions majoritaires, ou couramment admises. D’abord, il faudrait pouvoir les définir, et d’ordinaire, on s’en garde bien. Mais sans doute la chose est assez claire : il faut pour eux s’habiller « comme tout le monde », penser « comme tout le monde », et en somme vivre la vie de tout le monde.

Ce projet a le grave défaut de s’opposer à la nature de l’homme. La nature a voulu l’inégalité : les individus naissent inégaux, leurs expériences de vie sont différentes, et les instruments par lesquels ils produisent leurs émotions et leurs idées, sont différents (Ch. Dunoyer, Nouveau traité, etc., 1830, t. I, p. 92-93). On n’est pas maître d’aimer la musique de la majorité, ou les plats dont se régale la majorité, par un simple acte de la volonté (G. de Molinari, Conversations sur le commerce des grains, 1855, p. 159 et suiv.). Tocqueville était convaincu de l’importance de la religion, mais il n’était pas libre de croire ce qu’il ne croyait pas.

Faire adopter des modes vestimentaires, des opinions et des modes de vie, se fait ou par la conviction, ou par la contrainte. Dans le cas de l’assimilation, on rejette d’avance la conviction, car ce serait admettre le droit d’être innocemment minoritaire, et c’est ce dont précisément on ne veut pas. Il faudra donc édicter et faire respecter certaines opinions, des manières de se vêtir, de vivre. Il y aura des sanctions pour ceux qui y contreviendront.

De ce point de vue, l’assimilation, si elle veut dire adopter certains modes de vie, n’est pas conforme aux principes du libéralisme, et elle prépare aux confins de la grande société une petite société qui est à l’opposée de son idéal.

 

Le paradoxe de l’enfant

L’immigrant, dira-t-on, est un nouveau venu : par conséquent, il n’a pas les mêmes droits, il ne mérite pas la même liberté. Il vient dans une société déjà formée, dont il doit respecter les susceptibilités. Il ne peut pas marcher à sa guise son propre chemin.

Cependant, tout nouvel enfant qui naît en France se présente aussi essentiellement comme un nouvel arrivant. Or qui dira qu’il a le devoir absolu de s’assimiler ? Au contraire, vous le verrez bientôt avoir ses opinions, ses goûts, ses penchants. De la société dont il a hérité, il fera, avec d’autres, ce qu’il voudra et ce qu’il pourra. Il renversera peut-être les opinions reçues, lancera de nouvelles modes dont les plus anciens s’offusqueront. Tout cela est dans l’ordre. Car chaque nouvelle génération remplace celle de ses parents et grands-parents, dans un grand-remplacement continuel qui est de l’essence des sociétés humaines.

Cette évolution naturelle est d’ailleurs la condition du progrès. Il ne faut pas en avoir peur. La prétention de fixer le cadre social des générations futures est au contraire profondément antilibérale, et rappelle les charges que Turgot lançait jadis contre les fondations pieuses prétendument immortelles (Article « Fondation » de l’Encyclopédie).

De ce point de vue encore, la prétention à l’assimilation ne paraît pas conforme aux principes du libéralisme.

 

L’assimilation vraie et fausse

À en croire les auteurs libéraux classiques, l’assimilation est de toute manière, dans notre pays, une véritable utopie. Sur un même sol, les Français se feront plutôt arabes que les Arabes ne se feront français ; laissés à leur propre impulsion, certains retourneront à la vie sauvage, plutôt que de pousser les populations indigènes à suivre leurs pratiques civilisées. (Édouard Laboulaye, Histoire politique des États-Unis, 1867, t. III, p. 53 ; Paul Leroy-Beaulieu, De la colonisation chez les peuples modernes, 1874, p. 154)

La vraie assimilation se fait par la conviction, le libre débat, l’influence d’une culture supérieure qui produit des merveilles éclatantes et qu’on admire. Elle se fait aussi par la nature imitative de l’homme, par son goût pour la tranquillité, par son conservatisme. Enfin, elle procède des unions de l’amour.

L’assimilation légale, je ne vois pas qu’un libéral des temps passés l’eût vanté ni même surtout pratiqué. Au contraire, je les vois tous à l’envie se conduire dans tous les pays fidèles à leurs propres usages, avec un sans-gêne qui n’étonne pas encore à l’époque. Réfugié aux États-Unis, le physiocrate Dupont de Nemours, par exemple, n’a jamais pris la peine d’apprendre l’anglais, et il continuait à dater ses lettres selon le nouvel almanach de France (voir ses Lettres à Jefferson, et Dupont-De Staël Letters, 1968, p. 60). Il était venu sans passeport, avec des opinions monarchistes très célèbres, puisqu’il les avait répandues dans des livres et brochures pendant plus de quarante ans. Il a fondé en toute liberté une entreprise de poudre, c’est-à-dire d’explosifs, qui aujourd’hui emploie 34 000 personnes et produit un résultat net de quelques 6,5 milliards de dollars. Il a vécu là-bas paisiblement les dernières années de sa vie.

Pour définir une position libérale moderne sur la question de la liberté d’immigration, l’assimilation est donc une première chimère à écarter.

L’INSEE montre que les enfants de pauvres sont gros, et les autres alcoolo

Y a-t-il des comportements induits par les milieux sociaux ? Non, disent la bouche en coeur ceux qui prétendent que nous vivons dans une parfaite égalité des chances. Oui, dit l’INSEE qui documente le sujet avec un intéressant portrait social de la France. Il faut lire ce document tout à fait instructif pour comprendre les enjeux de la France contemporaine. D’un côté une jeunesse misérable qui prend la malbouffe de plein fouet. De l’autre, une jeunesse à la recherche de paradis artificiels pour oublier le vide de son existence.

Bien entendu, il y a tout un bla-bla sur l’égalité des chances. La réalité est un peu différente. Dans le portrait social de la France que l’INSEE publie, on découvre que les enfants dont les parents sont inactifs (autant dire marginaux) sont, une fois sur quatre, obèses, alors qu’un enfant de cadre sur 15 seulement est dans ce cas. L’inactivité des parents est-elle la mère de la gourmandise chez les enfants ? Plutôt la mère de la malbouffe et de la compréhension des règles diététiques de base.

Inversement, les enfants de cadres sont plus nombreux à sa saouler et à se droguer que les enfants de pauvres :

9 enfants de cadres picolent, contre 6 enfants de pauvres. En substance, donc, soit tu es pauvre et gros, soit tu es riche et alcoolo. Entre les deux, tu choisis.

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La culture en péril (12) – Redécouvrir la lecture à l’ère du numérique

Michel Desmurget est l’auteur notamment de La Fabrique du crétin digital, ouvrage sorti en 2019. Docteur en neurosciences et directeur de recherche à l’Inserm, il s’appuie sur ses travaux, ainsi que sur de très nombreuses études approfondies qui ont été menées à travers le monde, pour mesurer l’impact de la lecture sur l’intelligence dès le plus jeune âge, et d’autres qualités humaines essentielles qu’elle permet de développer.

Le constat est sans appel : le poids écrasant du digital, dans ce qu’il a de moins reluisant, au détriment du plaisir de la lecture, qui tend beaucoup à disparaître, a des conséquences multiples sur nos enfants, et au-delà, sur l’ensemble des générations actuelles, en particulier les plus jeunes.

 

Ce qu’apporte la lecture

C’est un thème qui nous est cher et que nous avons eu l’occasion d’aborder à de nombreuses reprises, et pas seulement à travers cette série. La lecture apporte de multiples bénéfices, parfois majeurs (je pense en particulier à cette qualité fondamentale dont on parle beaucoup depuis quelques temps, mais qui est pour moi un sujet de préoccupation crucial depuis longtemps : l’empathie). Or, nous dit Michel Desmurget, le milieu familial – plus encore que l’école – joue un rôle essentiel dans la transmission du goût de la lecture plaisir (car c’est bien d’elle qu’il s’agit avant tout) chez l’enfant, et dont l’enjeu est très loin d’être négligeable.

 

Des centaines d’études montrent le bénéfice massif de cette pratique sur le langage, la culture générale, la créativité, l’attention, les capacités de rédaction, les facultés d’expression orale, la compréhension d’autrui et de soi-même, ou encore l’empathie, avec, in fine, un impact considérable sur la réussite scolaire et professionnelle. Aucun autre loisir n’offre un éventail de bienfaits aussi large. À travers la lecture, l’enfant nourrit les trois piliers fondamentaux de son humanité : aptitudes intellectuelles, compétences émotionnelles et habiletés sociales. La lecture est tout bonnement irremplaçable.

 

D’humanité il est en effet bien question. Car en ces temps particulièrement agités, où la violence aveugle règne parfois, il me semble que cette empathie sur laquelle j’insiste est le maillon altéré qui mène aux défaillances humaines et aux sauvageries que nous ne constatons que trop souvent. Qui rejoint cette ignorance qui semblait à juste titre préoccuper un certain Dominique Bernard qui en a été la victime indirecte. Sujet qui me préoccupe également depuis longtemps et que l’on aurait en effet tort de sous-estimer. Qui rejoint en ce sens cette autre préoccupation aux conséquences non moins négligeables et préoccupantes qu’est la bêtise, un sujet d’étude là encore primordial, et hélas presque inépuisable.

 

Un bien sombre constat

La première partie de l’ouvrage s’appuie sur de nombreuses études approfondies, dont l’auteur dresse un panorama assez détaillé, illustrant l’impact particulièrement préoccupant du recul de la lecture sur les performances scolaires.

Il montre que les mécanismes d’imprégnation liés aux habitudes familiales de lecture partagée, devant laisser place ensuite à une autonomie croissante, ont un impact majeur sur la maîtrise du langage et de l’orthographe, ainsi que sur la compréhension de l’écrit. Ce qui exerce en prime un effet primordial sur les performances scolaires, et donc sur la détermination du devenir de la plupart des individus.

De nombreuses statistiques émaillent l’ensemble, montrant notamment la prépondérance du recours aux écrans digitaux, omniprésents dans notre quotidien et nos vies. Rejoignant au passage un autre constat voisin établi par Olivier Babeau – d’ailleurs cité par l’auteur – au sujet de la tyrannie du divertissement. Or, remarque Michel Desmurget, il est à déplorer que ce soit parmi les étudiants d’aujourd’hui qui lisent très peu que l’on va recruter les professeurs de demain, censés donner le goût de la lecture à leurs élèves. Une sorte de cercle vicieux qui a, hélas, déjà commencé

 

Cela fait maintenant presque 15 ans que les systèmes éducatifs occidentaux ont vécu leur moment Spoutnik. Depuis, rien n’a changé. Entre déni et opérations de communication, l’action politique a ici expiré avant même d’être née. Les performances de nos gamins sont alarmantes, mais rien ne bouge. À défaut de veiller sur la construction de leur intelligence, on leur offre, pour maintenir l’illusion, des diplômes dépréciés. Pire, on cristallise le désastre dans une sorte de nasse inéluctable qui voit tout une génération de lecteurs défaillants devenir enseignants.

 

Parmi les statistiques les plus alarmantes, on trouve un chapitre assez complet relatif aux performances de plus en plus inquiétantes en matière de lecture et de compréhension simple d’un texte, tant en France qu’à l’étranger, notamment aux États-Unis. Situation préoccupante dont seuls semblent véritablement émerger la Chine et d’autres pays asiatiques (en particulier Singapour), très conscients quant à eux de la priorité à accorder à l’éducation, qui est à la base de tout. Et dont les défaillances, dont nous nous en tenons chez nous depuis trop longtemps au constat, nous mènent droit au désastre. Tandis que les pays asiatiques en question privilégient justement la lecture, l’exigence, la rigueur et l’autodiscipline, n’hésitant pas à l’inverse à restreindre l’usage des écrans numériques, à l’instar de ce que font d’ailleurs, nous le savons, les grands génies de cette industrie.

Ce n’est pas tout. Non seulement nos décideurs tardent à agir, mais à l’inverse de ce qu’il conviendrait d’entreprendre, nous nous sommes dirigés depuis de nombreuses années – sous l’effet d’une sorte de pessimisme ambiant – dans le sens de la simplification des programmes et des manuels scolaires, tout comme du langage et de l’expression. Michel Desmurget nous remémore au passage quelques exemples de livres pour la jeunesse (et pas uniquement) non seulement présentés dans des versions abrégées (qui se substituent parfois complètement à l’originale), mais – pire encore – parfois en partie réécrits, le passé simple étant par exemple remplacé par le présent de l’indicatif, les phrases raccourcies (quelquefois substantiellement), la richesse lexicale nettement amoindrie. Il remarque qu’il en va d’ailleurs de plus en plus de même dans les paroles des chansons ou dans les discours politiques, signe d’un appauvrissement généralisé du langage, avec toutes les conséquences que cela induit. Notamment, à l’issue de ce processus, en termes de compréhension « basique » des choses. Voilà où nous mènent, considère l’auteur, « les chantres de l’égalitarisme doctrinaire ».

 

La maîtrise de la lecture, une simple question de pratique

La deuxième partie du livre s’intéresse en particulier aux aspects physiologiques liés au fonctionnement du cerveau.

De fait, quoi qu’on veuille, des milliers d’heures d’instruction et de pratique sont nécessaires pour savoir vraiment lire (et comprendre), de sorte que cela devienne simple et quasi-naturel, selon les spécialistes. Autrement dit, l’apprentissage à l’école ne saurait suffire. C’est la lecture régulière, chez soi, qui permet de développer véritablement ses capacités, au premier rang desquelles la compréhension de ce qu’on lit, n’en déplaise là encore à ceux qui voudraient révolutionner la langue et l’orthographe dans l’espoir un peu vain de lutter contre les inégalités. Une lecture attentive de cette partie du livre leur serait utile, tant elle est susceptible de leur démontrer en quoi leur militantisme est irréaliste et inopérant, pour ne pas dire totalement contre-productif.

Au-delà de sa complexité, la langue française est bien faite, mieux que l’on peut éventuellement le penser spontanément. Les multiples exemples présentés par l’auteur mettent par exemple parfaitement en évidence le rôle joué par des lettres ou accents pouvant paraître inutiles à première vue (même si l’on pourra toujours évidemment sans doute trouver des exceptions), facilitant grandement, en définitive, la compréhension. Même si cela ne se fait en effet pas sans effort et sans une pratique régulière de la lecture. À l’instar de ce qui s’applique tout autant aux domaines du sport ou de la musique (enlèverait-on une corde au violon pour en simplifier la maîtrise, interroge l’auteur ?). Rien de « réactionnaire » dans ces observations, insiste-t-il, tout juste des éléments purement factuels et établis par la science.

Savoir lire ne se limite en revanche aucunement au simple déchiffrage. Or, il apparaît (et tout professeur peut le constater en pratique auprès de ses classes) qu’il y a souvent difficulté à comprendre qu’on ne comprend pas. Là encore, Michel Desmurget nous en donne des exemples très concrets. Le manque de repères, de lectures, de culture, ne permettent pas de comprendre bien des choses, même simples. Les malentendus sont fréquents en la matière.

À tout ceci vient se greffer l’illusion que le large accès à la connaissance via les moteurs de recherche permettrait de remplacer la connaissance. Il s’agit bien d’un leurre, que le docteur en neurosciences parvient à nous démontrer facilement à l’aide là encore de quelques exemples très parlants. Sans oublier la crédulité qui l’accompagne, et que seule une pratique régulière de la lecture et les mécanismes intellectuels qu’elle met en jeu permettent de débusquer. Il faut lire l’ouvrage pour s’en convaincre, ces quelques lignes ne pouvant entrer dans le détail de l’explication et des exemples illustratifs qui la nourrissent.

 

Un phénomène cumulatif

L’apprentissage est en effet un phénomène cumulatif, reposant sur une série de socles. Autrement dit, une série de repères issus de l’expérience de la lecture, et sans lesquels on ne parviendra pas à déchiffrer un problème nouveau.

C’est ce que Michel Desmurget montre dans la troisième partie du livre, en valorisant notamment le rôle de la lecture partagée. Tout en insistant bien sur le fait que cet apprentissage, puis cette pratique au quotidien de la lecture, ne valent que si elle se conçoit de manière ludique, comme un bon moment d’échange et de complicité, une forme de loisir en famille. Plus l’enfant éprouvera de plaisir, plus il progressera.

L’essentiel se trouve dans une phrase du professeur de psychologie Andrew Biemiller :

« On ne peut apprendre des mots qu’on ne rencontre pas ».

D’où l’importance capitale de parler beaucoup à ses enfants dès le plus jeune âge. Ce qui participe grandement à la construction de son cerveau, et donc de ses facultés. Ce que ne permettent pas de remplacer les écrans. D’autant plus que le moment-phare où la plasticité du cerveau est optimale est l’âge de 18-24 mois. C’est là que la variété des conversations intra-familiales va jouer le plus grand rôle. Sachant que les stimulations reçues la première année sont d’ores et déjà cruciales pour le déploiement des capacités langagières, même si le bébé ne parle pas encore.

La lecture partagée va alors jouer un grand rôle dans la richesse du vocabulaire, la qualité de l’attention, et les aptitudes socio-émotionnelles. Mais aussi sur la capacité à respecter les règles sociales communes, la politesse, le contrôle de l’impulsivité, l’apaisement et l’harmonie familiale. Sans oublier cette qualité fondamentale qu’est l’empathie.

C’est pourquoi, montre Michel Desmurget, l’école ne pourra pas grand-chose face au décalage considérable et qui va ne faire que s’accroître entre enfants venant de milieux où ils ont été stimulés et les autres. Le nombre de mots de vocabulaire acquis par les uns et les autres varie déjà du simple au double au moment de l’entrée à l’école à 3 ans. Et ne va faire que s’amplifier (« Le gouffre de 4200 mots qui, à 9 ans, sépare les enfants les plus favorisés de leurs homologues les moins privilégiés représente douze ans d’enseignement intensif »).

D’autant plus que « plus on sait, plus on apprend » (y compris en faisant appel à des analogies). Le système éducatif français n’est d’ailleurs pas, rappelle l’auteur, celui qui est connu pour contrebalancer le mieux les inégalités sociales, malgré toutes les prétentions de ceux qui entendent y contribuer via les orientations qu’ils promeuvent.

 

Un monde sans livres

C’est le titre de la quatrième partie, dans laquelle Michel Desmurget commence par consacrer tout un chapitre à ce que l’humanité doit aux livres, permettant de bien réaliser à quel point leurs apports ont été et continuent d’être majeurs, avant de montrer le potentiel unique du livre. C’est bien justement en raison de ce potentiel qu’ont lieu les autodafés. Provoquer l’amnésie historique et l’appauvrissement du langage, afin de mieux contrôler les individus et les sociétés est l’un des moyens courants utilisés par les régimes totalitaires, qui cherchent à rendre le peuple plus malléable, par le recours à des mots, des concepts et des raisonnements simples.

La cinquième et dernière partie, enfin, revient en détail sur les multiples bénéfices de la lecture en ce qui concerne la construction de la pensée, la maîtrise du langage et les aspects fondamentaux de notre fonctionnement socio-émotionnel. L’auteur montre, entre autres, que les adeptes de la réécriture des livres et de l’expiation sans limites de tout ce qui est susceptible de froisser les uns ou les autres est non seulement une absurdité qui risque d’aboutir à brûler une grande partie des livres, mais il s’agit en outre de quelque chose de contre-productif, dans la mesure où c’est à travers tous les ouvrages, y compris ceux qui peuvent déranger, que l’enfant peut fourbir les armes qui lui permettront plus tard d’identifier et affronter l’odieux.

Une étude menée auprès d’une large population d’étudiants a d’ailleurs montré, ajoute-t-il, « que la lecture d’un plus grand nombre d’ouvrages de fiction était associée à une diminution des stéréotypes de genre et à une représentation plus égalitaire des rôles sexués ». En convergence avec une autre recherche relative aux attitudes discriminatoires envers les minorités. Car ce sont bien les valeurs de tolérance, écrit-il, qui se développent, ainsi que l’ont montré de nombreux auteurs, par la diversité des contrastes et des écrits.

Deux méta-analyses ont aussi montré, sur la période 1980-2010, une nette augmentation du narcissisme et de l’auto-suffisance des populations étudiantes, accompagnée d’un déclin conjoint de l’empathie. Même si le recul de la lecture n’est pas seul en cause dans ces évolutions.

Donc, rien de plus utile, pour contrecarrer toutes ces tendances que d’encourager la lecture dès le plus jeune âge comme mode émancipateur et formateur, à même d’aider les individus à se construire et nous aider à vivre dans une société davantage propice à l’harmonie et aux libertés. Les parents ont ici un rôle accompagnateur à jouer. Un jeu qui en vaut la chandelle quand on connaît les bénéfices incomparables que l’on retire de la lecture plaisir à raison d’une toute petite demi-heure par jour simplement ! À comparer au nombre d’heures journalier consacré à leur concurrent directement responsable du très vif recul de la lecture : les écrans récréatifs…

 

Michel Desmurget, Faites-les lire ! Pour en finir avec le crétin digital, Seuil, septembre 2023, 416 pages.

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Nora Bussigny : « les militants wokes ont une recherche imminente de pureté, ils sont persuadés de faire le bien »

Nora Bussigny est journaliste d’investigation et collabore avec plusieurs médias tels que Le Point, Factuel ou Marianne. Son enquête en immersion dans les milieux militants, Les Nouveaux Inquisiteurs est son troisième ouvrage.

 

Contrepoints : Bonjour Nora Bussigny. Qu’est-ce qui vous a incitée à faire cette infiltration et à écrire ce livre ? Quelles sont les questions que vous vous posiez, et avez-vous trouvé des réponses à ces questions ?

Nora Bussigny : Ce qui m’a poussé à me dire que l’immersion était la meilleure méthode, c’est que coup sur coup j’ai mené deux enquêtes, une pour Marianne et une pour Le Point. La première était à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, le 8 mars 2022. J’ai enquêté sur des femmes qui ont été tabassées car considérées comme transphobes. Cette information, je l’apprends après, car je suis journaliste et qu’elles m’ont prévenu. Mais ça paraît tellement antinomique que des femmes frappent d’autres femmes, car Terf, lors de la Journée internationale des droits des femmes que notre première réaction, c’est de ne pas y croire ! Or, c’est le quotidien de beaucoup de militantes, et je me suis dit que ce serait intéressant de le vivre et de pouvoir le raconter. Pour Le Point, j’ai échangé avec des anciens militants intersectionnels qui en étaient revenus, car ils avaient été marqués par ce qu’ils avaient vécu, c’est-à-dire cancellés, rejetés, menacés, insultés…

Et à chaque fois que je récupérais les informations, je n’arrêtais pas de me dire que ce serait d’autant plus intéressant de pouvoir le vivre et le raconter.

Je lisais beaucoup d’essais sur la question, notamment l’excellente note de Pierre Valentin sur le wokisme pour la Fondapol, mais à chaque fois je me disais que, aussi brillant que ce soit, il manque ce qui se passe exactement dans les milieux militants. Or, on ne peut le vivre qu’en étant soi-même militant.

Enfin, plus personnellement, j’aime beaucoup le journalisme d’immersion car il me paraît être le plus concret. Je suis d’ailleurs une grande lectrice de ce genre de journalisme, il y a évidemment la figure de Nellie Bly, mais en contemporains je pense par exemple à Geoffroy Le Guilcher et son Steak Machine.

J’ai donc proposé le projet à mon éditeur, à qui ça a tout de suite plu.

Ensuite, pour répondre à votre deuxième question sur « qu’est-ce que j’imaginais au début »… J’imaginais que j’allais être très sûre de moi tout du long, que j’allais être dans une indignation constante à recueillir la moindre information pour le livre, mais je ne m’attendais pas du tout à ce que ça m’atteigne autant, que j’allais moi-même voir des changements au niveau psychologique. C’est pour cette raison que j’ai ensuite décidé d’incorporer dans le récit des séances avec un psy spécialisé de la question pour suivre ces changements.

J’avais effleuré cette question de la psychologie lors de mes rencontres avec les anciens militants. Je les avais trouvé très paranoïaques, très marqués, très anxieux… Par exemple, ils cherchaient toujours à relire chacune de leurs citations dans mes articles, ils pesaient chacun de leurs mots par peur que ce soit mal interprété. Mon immersion m’a rapidement fait comprendre pourquoi ils étaient ainsi…

L’autre chose à laquelle je ne m’attendais pas, c’est leur degré de radicalité et d’extrémisme. C’est pour cela que, contrairement à Pierre Valentin ou Samuel Fitoussi, qui ont récemment publié des ouvrages sur le sujet du wokisme, je ne tiens pas tant que ça au terme woke, et je ne voulais d’ailleurs pas qu’il soit dans le titre du livre. Je pense que le terme est malheureusement galvaudé, qu’il est considéré par beaucoup, dans la gauche républicaine, comme un terme d’extrême droite, de réac…  Mais surtout parce que ces milieux sont surtout des milieux d’extrême gauche, et qu’il me semble plus pertinent de les nommer ainsi, car c’est ce qu’ils sont : des mouvements extrémistes qui sont antifa, antipolice… Et je pense qu’on perd beaucoup de lecteurs à employer ce terme, notamment des gens en province pour qui wokisme ne veut rien dire.

 

Contrepoints : Sans faire de psychologisation à outrance, avez-vous constaté une récurrence de certains traits psychologiques, de traits de caractère chez les militants wokes ? En vous lisant, on a parfois l’impression que la politique est pour certains un moyen de répondre à des problématiques plus personnelles ?

Nora Bussigny : Il y a une grosse perte d’identité, et paradoxalement un repli identitaire très fort. Ce sont des personnes qui se cherchent, qui sont incohérentes dans leur lutte. Je fais très attention à ne pas pathologiser car je ne suis pas psy, mais ce que je peux dire néanmoins, c’est que beaucoup d’entre eux sont soit autodiagnostiqués, soit diagnostiqués par des psys : j’en air rencontré beaucoup qui me disaient « je suis bipolaire, je suis autiste, je suis sous traitement… »… En plus, ça fait partie de leur identité, par exemple, sur leur bio twitter, c’est indiqué, on le voit facilement.

Donc je ne dirais pas qu’ils le sont tous, mais beaucoup le revendiquent.

 

Contrepoints : Dans votre immersion, vous donnez à voir et à étudier la figure du militant politique radical, et ici, spécifiquement celle du militant woke. Ce qui frappe le plus dans votre récit, c’est la contradiction entre la vertu affichée de manière ostensible par leur discours, et la réalité de leurs actions et de leurs comportements. D’un côté, ils prônent une tolérance sans limite, et de l’autre ils font constamment preuve d’une absence totale de tolérance et d’empathie à l’égard de leurs adversaires politiques. Comment expliquez-vous cette contradiction, vous qui avez été au contact de ces militants ?

Nora Bussigny : Vous l’avez déjà très bien dit. Et pour moi, c’est exactement le titre du livre, et je dis sans prétention que je le trouve très bon, car ce n’est pas moi qui l’ai trouvé, mais mes éditeurs. Comme je vous disais je ne voulais pas le terme woke dans le titre, et je pense que de parler de « nouveaux inquisiteurs », c’est exactement le bon terme : j’assistais à une nouvelle inquisition.

Il y a une recherche imminente de pureté, ils sont persuadés de faire le bien. Et à côté, ils s’adonnent parfois à une grande violence, à des comportements haineux et/ou discriminants.

Comment expliquer ce paradoxe, cette contradiction ? Il faut revenir, je crois, à la question de l’identité. Le militantisme n’est que leur identité, ils se gargarisent d’agir pour le bien commun, avec un B majuscule. Ça donne lieu à des réactions souvent très manichéennes, et à une lutte constante contre l’ennemi. Il y avait beaucoup de paranoïa de la part de ces militants, une peur folle d’être soi-même rejeté car il y a un grand morcellement des luttes dans ces mouvements militants. Donc cette peur du rejet fait qu’ils avancent sans cesse avec le besoin d’afficher ostensiblement leur pureté militante, et en même temps ils surveillent constamment que les autres agissent correctement, selon les codes acceptés. Sauf que ces codes changent tout le temps, donc ils ne sont jamais à l’abri d’être dépassés et de devenir eux-mêmes les cibles à abattre.

Une chose qui m’a marquée, c’est l’utilisation constante du terme « problématique », qui dit beaucoup de ce morcellement des luttes et des mécaniques d’exclusions qui sont à l’œuvre.

 

Contrepoints : Vous interrogez également des militants qui ne se reconnaissent pas dans ce néo féminisme identitaire et tiennent à défendre les causes des minorités dans un paradigme universaliste. Pourtant, même ces derniers sont totalement exclus des mouvements wokes, et sont parfois considérés comme leurs premiers adversaires. Comment expliquez-vous cela, est-ce parce que la révolution finit toujours par dévorer ses propres enfants ? Ou simplement est-ce la manifestation des limites et contradictions inhérentes à l’intersectionnalité militante et à l’obsession victimaire ?

Nora Bussigny : Je vais même aller plus loin : je pense qu’il y a un aspect sectaire. On sait que le propre d’une secte, c’est qu’il est très facile d’y entrer, très difficile d’en sortir. À partir du moment où on en sort, on est le nouvel ennemi.

Dans l’islam radical, il existe une mouvance qui fait qu’on en veut beaucoup plus aux musulmans qui ne pratiquent pas un islam rigoriste, qu’aux kouffar, c’est-à-dire les incroyants.

J’ai constaté une logique similaire dans ces milieux militants. Et c’est pour ça que j’ai passé un an à culpabiliser ! Parce que, comme on passe notre temps à nous interroger sur des questions de privilèges, d’oppression, dès que l’on va faire un petit pas de côté, on devient forcément l’ennemi à abattre.

Enfin, je vais dire quelque chose de très orwellien, mais ce qui est le plus efficace pour réunir les gens, c’est d’identifier un ennemi commun. Et dans un contexte de morcellement des luttes, il est encore plus facile de forger un sentiment de « commun » et de « solidarité » en s’en prenant à un ennemi commun.

C’est pour cette raison que je voulais inclure dans mon enquête les militants universalistes, car je ne voulais pas dire que c’est tout le militantisme qui est à jeter. Après une année de plongée dans un monde de démesure, de radicalité, je voulais faire l’éloge de la mesure.

 

Contrepoints : Dans le livre, vous faites part aux lecteurs de vos moments de doutes, de vos inquiétudes quant à la sortie de l’ouvrage, notamment celles d’être catégorisée comme une énième essayiste antiwoke empreinte de panique morale, et donc d’être « cancellée » ce qui pourrait vous handicaper pour vos futurs projets littéraires. Maintenant que le livre est sorti, qu’en est-il ?

Nora Bussigny : Comme le dit Dewey (personnage de la série Malcolm), « je ne m’attendais à rien mais je suis quand même déçu » !

Plus sérieusement, je pense avoir été un peu naïve, car je me suis dit qu’ils ne pourraient pas me faire subir un tel harcèlement en tant que femme. Mais rien que là, en disant cela, je vois que suis encore un peu dans une forme « d’emprise », même si ça n’a rien à voir avec l’emprise des victimes de violences conjugales, j’en ai bien conscience. J’ai fait une conférence pour le Printemps Républicain à Sciences-Po récemment, et une étudiante m’a dit « on a l’impression que vous êtes encore un petit peu dans une sorte d’emprise ». Et c’est vrai que je fais encore très attention aux mots que j’emploie pour ne pas offenser, car quand on fait ça pendant un an, on adopte forcément des réflexes !

Mais pour recentrer sur votre question, il est vrai que j’ai entendu pendant un an des militants et militantes qui se targuent de lutter et de sensibiliser contre le cyberharcèlement. Et ce sont ces mêmes personnes, depuis la sortie du livre, qui m’ont fait vivre un cyberharcèlement massif ! Par exemple, en raison des menaces dont je fais l’objet, avec mon éditeur, nous avons du suspendre toute rencontre en librairie, alors même que le livre rencontrait un franc succès… Les moqueries et les critiques, à la limite ça ne me dérange pas, mais là c’était autre chose. Par exemple, on utilisait mon visage que l’on détournait dans des montages.

Bref, je ne m’attendais pas, peut-être par naïveté, à en faire les frais.

 

Contrepoints : Dans le livre, vous expliquez que pendant l’écriture, vous vous trouvez radicale et plutôt sarcastique. À la lecture, j’ai éprouvé un sentiment tout à fait opposé : je trouve qu’on sent à quel point vous êtes presque obsédée par l’idée de ne pas caricaturer ceux que vous observez, de faire preuve d’une certaine forme de générosité dans l’analyse et la critique, de vous remettre en question, ce qui rend l’ouvrage, si on le compare avec d’autres pamphlets antiwoke, très nuancé et peu violent. Pourquoi était-ce important pour vous de ne pas caricaturer les gens et les idées qui sont au cœur de votre enquête ? Est-ce que vous vous êtes parfois dit que peut-être vous vous trompiez, qu’en fait ces militants avaient raison, que vous étiez du « mauvais côté de l’histoire » ?

Nora Bussigny : C’est une très bonne question… C’est vrai que je me souviens avoir modifié les débuts de page, car je craignais d’être accusée de transphobie. Je pesais chaque mot. Et ce n’est qu’aujourd’hui que je commence à prendre du recul sur le fait que mon ressenti pendant l’immersion a beaucoup empiété sur le processus d’écriture. J’ai eu une constante peur d’offenser.

Et comme l’offense, dans ces milieux militants, est vécue comme une blessure absolue, je culpabilisais tout le temps et j’avais très peur de blesser. Pour l’anecdote, j’avais fait exprès de ne plus lire Charlie Hebdo, alors que c’est un magazine que j’aime beaucoup, parce que j’essayais de lire surtout du contenu intersectionnel et progressiste afin d’être dans une bonne dynamique pour l’immersion. Et c’est en relisant Charlie que je me suis souvenue que « oui, on peut offenser ». Car offenser, ce n’est pas blesser, violenter. Et eux, à Charlie, la violence réelle ils en ont vraiment fait les frais…

En fait, on est tellement toujours incité à déconstruire nos privilèges avec un discours très manichéen, qu’on a vite l’impression qu’on passe son temps, à notre corps défendant, à faire subir de la violence aux autres.

C’est très culpabilisant car on se dit : « je ne fais jamais assez bien et donc je leur fais du mal ».

A contrario, j’ai beaucoup apprécié mon moment avec les colleuses contre les féminicides, car elles m’ont appris qu’elles-mêmes avaient été divisées au sein de leur lutte, car certaines avaient fait un collage jugé islamophobe. C’est à ce moment-là que j’ai eu un regain de mes convictions initiales, à savoir que j’avais toujours questionné le port du voile. Mais avant cela, j’en étais venue à sérieusement m’interroger sur « est-ce que je n’aurais pas, peut-être, intériorisé mon islamophobie ? »

 

Contrepoints : Ce que vous avez dit sur la liberté de pouvoir offenser m’interroge, en tant que libéral, sur la vision de la liberté d’expression chez ces militants. Leur cheval de bataille, c’est la question du langage. Et c’est intéressant car, d’un côté il y a une ultra sensibilité manifeste où des mots, des paroles, sont considérés comme des agressions, et en même temps ces mêmes militants vont participer à une euphémisation de la violence réelle, je pense par exemple à ce qui se passe en Iran…

Nora Bussigny : Oui, c’est une très bonne remarque, car ces militants n’ont plus de curseur moral. Ce curseur leur fait dire qu’une chose est violente, qu’elle les blesse et que l’entièreté de la société devrait le reconnaître et le condamner avec eux. Et a contrario, on assiste au silence de militantes féministes sur ce que subissent les femmes en Israël.

J’avais eu le malheur de faire un tweet où je pointais ce deux poids deux mesures, en dénonçant que pour certains, décapiter des bébés ou voir des femmes au bassin fracturé à cause des viols qu’elles subissent, ça ne suscitait aucune réaction, alors qu’utiliser des mauvais pronoms devenait le summum de la violence et suscitait l’indignation : évidemment, pointer cette incohérence m’a valu une nouvelle vague de cyberharcèlement.

 

Contrepoints : Enfin pour conclure, pensez-vous que le wokisme est un sujet de société majeur et central, que les idées défendues par ces militants représentent un véritable danger, ou au contraire, est-ce un épiphénomène qui s’éteindra seul ?

Nora Bussigny : À titre personnel, je crois plutôt que c’est un épiphénomène, même si je sais que beaucoup pensent l’inverse. D’ailleurs, le magazine Society qui nous a tous interviewés (les auteurs d’essais sur le wokisme) m’a fait remarquer que j’étais une des seules à ne pas avoir de discours alarmiste. Alors, est-ce que c’est parce que je suis passée à côté de quelque chose, est-ce que je n’ai pas compris les enjeux ? Ou est-ce que c’est parce que j’ai tellement passé de temps avec eux que je n’ai aucune crainte ?

Très sincèrement, je pense qu’ils vont s’entredévorer. Ils vont passer leur temps à se canceller les uns les autres.

Aussi je le répète, je crois qu’il faut les nommer de manière très claire : plutôt que de parler de wokes, il faut les qualifier d’extrémistes de gauche. Avec les événements en Israël, on voit ces deux gauches se séparer, certains même à LFI se désolidarisent des positions de leurs collègues. Je pense donc que c’est cette radicalité et cet extrémisme dans le discours qui vont faire que beaucoup vont en avoir assez.

De plus, plus la logique identitaire va s’étendre, plus les exclus du mouvement vont être nombreux. J’ai fait beaucoup de manifs, et je sais que les deux prochains ennemis à abattre dans les luttes, c’est la femme blanche, qu’elle soit hétérosexuelle ou lesbienne, et le gay blanc. D’ailleurs, aux USA et en Angleterre, et ça arrive en France, on commence à voir des événements supprimer le G de LGBT. Pourquoi ? Car le « white gay » est considéré comme trop privilégié, trop inséré dans la société.

Donc je pense que ces mouvements vont s’autodétruire et qu’il ne faut pas être trop alarmiste, mais ne pas s’empêcher non plus de les critiquer et de dénoncer le fait qu’on ne lutte pas contre le racisme en triant les Blancs.

À lire aussi :

Entretien réalisé par Baptiste Gauthey, rédacteur en chef de Contrepoints, le 27 octobre 2023.

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Universités en Californie : quand la lutte antiraciste vire au racisme

Même les luttes bien intentionnées peuvent mal finir. Érigé en norme après la Seconde guerre mondiale, l’antiracisme est en passe de sombrer dans un véritable chaos idéologique, et les universités nord-américaines ne sont pas en reste dans ce travail de sape.

 

Université inclusive

Le journal Le Monde vient de révéler un document stupéfiant, émis par la direction du California Community Colleges (CCC), l’organisme qui gère les cycles courts de l’enseignement supérieur public en Californie.

Ce document est destiné à mettre en œuvre la politique DEI (Diversity, Equity, Inclusion). Pour ce faire, tous les personnels « doivent démontrer qu’ils travaillent, enseignent et dirigent dans un environnement diversifié qui célèbre et inclut la diversité ».

Un engagement individuel est attendu. Il ne s’agit pas d’une simple recommandation, puisque les personnels seront évalués sur leurs compétences et résultats en matière de DEI. Le ton est très vite donné : il est notamment précisé qu’ils doivent être conscients que les identités sont « diverses et fluides », fondamentales pour les individus, et qu’elles sont à l’origine des « structures d’oppressions et de marginalisation ».

 

L’antiracisme au soleil de la Californie

Le document est accompagné d’un glossaire qui est un monument en soi. Tout le vocabulaire woke y figure : racisme structurel, identité de genre, privilège blanc, discrimination, racisme voilé, inclusion, micro-agression, etc. Sa lecture étant vivement conseillé pour qui souhaite disposer d’un condensé de l’idéologie woke.

On peut y déceler cinq idées principales.

Le racisme est partout

C’est ce que soulignent notamment les articles sur le « racisme structurel » et le « racisme institutionnel ». Le racisme imprègne les institutions et les mentalités. Même s’il est difficile de localiser précisément la « domination blanche », celle-ci « se diffuse et infuse dans tous les aspects de la société ». Elle est donc présente dans l’histoire, la culture, la vie politique et l’économie.

Le racisme est à sens unique

Il concerne uniquement l’attitude des Blancs à l’égard des minorités de couleur. Aucune remarque ne concerne le racisme qui pourrait émaner des minorités vers la majorité, ou entre les minorités elles-mêmes. La notion de « privilège blanc » illustre bien ce caractère unidimensionnel du racisme. Seuls les Blancs sont frappés par le mal ; tous les autres groupes en sont épargnés.

La population se divise en deux : les racistes et les non-racistes

Le texte l’affirme explicitement : « les personnes sont antiracistes ou racistes ». Il n’existe donc ni situations intermédiaires ou équivoques ni attitudes contradictoires ou plurielles dans le rapport que chacun peut avoir avec autrui. On est soit du côté du Bien, soit du côté du Mal ; on est pur ou impur.

L’antiracisme nécessite d’effectuer une conversion personnelle

Il doit se traduire par un engagement total. Ceux qui prétendent être non-racistes sont dans le déni des problèmes. Un antiraciste authentique est celui qui commence par confesser ses torts : il doit admettre qu’il a lui-même été raciste. Une fois converti, il doit mettre toute son énergie dans la lutte pour abattre le racisme systémique. Un prosélytisme authentique est la seule manière de racheter ses errements passés et de montrer que l’on est passé du côté des purs.

Il ne faut pas céder aux sirènes des faux arguments

Les faux arguments sont le rejet de la discrimination positive et la défense de la méritocratie. La politique de traitement préférentiel est une bonne chose. Ceux qui s’y opposent en parlant d’un « racisme inversé » sont dans l’erreur. Ce sont les opposants à la discrimination positive qui sont les vrais racistes car ils sont aveugles au racisme structurel. Il en va de même pour la méritocratie, qui est un concept fallacieux et pervers. Le mérite est une notion faussement neutre : elle relève de « l’idéologie de la blanchité » (ideology of Whiteness) et ne fait que protéger le privilège blanc, donc le racisme systémique.

 

Désastreuse université

Qu’un tel recadrage idéologique puisse intervenir au pays de la liberté, dans sa partie la plus riche et la plus avancée, ne peut manquer de surprendre.

Bien sûr, on comprend que la société américaine soit marquée par l’histoire de la ségrégation raciale et qu’elle peine à sortir de ses fractures. Mais sachant que ces questions sont sensibles et âprement controversées, on aurait pu s’attendre à ce que les autorités universitaires fassent preuve de tact et de retenue, en tout cas qu’elles sortent des lectures dogmatiques, et proposent au minimum quelques arguments factuels.

Or, elles font exactement le contraire, ce qui est particulièrement inquiétant sur l’état des universités américaines.

 

Composition des étudiants de première année à l’UCLA par ethnicité/race (2022).

Africain Américain          8 %
Indien américain ou Natif Alaska          1 %
Asiatique       38 %
Hispanique       22 %
Blancs       27 %
Inconnus         4 %
Total   100 %

Source : UCLA

 

Car la lutte contre le racisme ne justifie pas tout. Elle ne doit pas conduire à renoncer à l’objectivité et à la rigueur. Un simple regard sur la composition des étudiants de l’UCLA (université de Californie) apporte un autre éclairage. Certes, les Noirs sont faiblement représentés (8 %), mais les Blancs sont devenus minoritaires (27 %) : ils sont largement devancés par les Asiatiques (38 %), et la part des Hispaniques ne cesse de progresser pour se situer juste derrière celle des Blancs (22 %).

On ne voit pas comment un système prétendument gangréné par le racisme des Blancs pourrait accepter une telle remise en cause de la prééminence de ses membres.

 

L’ennemi Blanc

Loin de tenir un propos apaisant et objectif, le CCC désigne clairement un ennemi : les Blancs.

Dans le glossaire, la « Suprématie blanche » (White Supremacy) est présentée comme « un système d’exploitation et d’oppression à l’égard des nations et des peuples de couleur » qui a été instauré par « les nations blanches du continent européen dans le but de maintenir et défendre leur bien-être, leur pouvoir et leur privilège ».

Ce raccourci historique est déjà très discutable, mais il laisse entendre que rien n’a changé, ce qui sous-entend que ce terrible système d’oppression est toujours en place.

Les étudiants sont donc invités à communier dans la détestation des Blancs. Aussi déroutant que cela puisse paraître, tous les thèmes du discours raciste, qui sont dénoncés à juste titre, sont appliqués aux Blancs : l’essentialisation, la stigmatisation, la haine viscérale et la logique du bouc émissaire. En somme, après avoir identifié les caractéristiques du racisme, le glossaire DEI les transpose sans difficultés aux Blancs. Cette évidente contradiction ne saute pas aux yeux des auteurs.

 

L’université, école de la haine ?

Au-delà de l’aspect stupéfiant de ce document, on se demande sur quoi peut déboucher une telle rhétorique ? Quel programme d’action est-elle en mesure de tracer ?

Si le racisme imprègne profondément les mentalités, on voit mal ce qui pourrait permettre d’y échapper. Si le racisme est partout, à quoi bon agir ?

Le mouvement antiraciste est alors condamné à se radicaliser : seule une lutte totale, de type révolutionnaire, peut être à la hauteur de la situation. Ce faisant, le mouvement antiraciste est condamné à se refermer sur lui-même. Curieusement, le glossaire commence par le mot « Allié ». Il indique que, dans le cas de la lutte contre l’oppression raciale, les alliés « sont souvent des Blancs qui travaillent à mettre fin à l’oppression systémique des gens de couleur ».

Mais comment convaincre les Blancs de rejoindre une cause qui les insulte et qui fait d’eux l’incarnation du mal ? Du reste, les Blancs ne vont-ils pas se mettre à penser que l’antiracisme est devenu une nouvelle idéologie totalitaire et raciste qui menace la démocratie elle-même ?

 

Faillite de l’université

L’hypothèse d’une régression intellectuelle de l’université doit être prise au sérieux. Les manifestations de sympathie à l’égard du Hamas qui ont récemment été observées sur plusieurs campus, y compris à Harvard, ne sont pas faites pour rassurer.

Ce soutien à un mouvement terroriste a un mérite : il fait tomber les masques. Il dévoile toute l’hypocrisie qui se cache derrière le discours lénifiant sur la création d’un environnement bienveillant et inclusif à l’égard des étudiants. La création de Safe space, le bannissement des prétendues « micro-agressions » et autres discours de haine n’empêche aucunement de laisser s’exprimer la haine à l’égard des juifs sans que les directions universitaires n’y trouvent rien à redire.

Comment en sommes-nous arrivés là ?

Il reviendra aux historiens de demain de résoudre cette énigme. Certains ont pointé le rôle de la féminisation de l’enseignement supérieur en expliquant que les hommes ont moins peur du conflit et des idées offensantes, alors que les femmes sont surtout attachées à la compassion et à la protection des groupes vulnérables, mais il est évident que cette explication est insuffisante.

Toutes les universités américaines ne sont évidemment pas sur le même plan. Il n’empêche que la Californie n’est pas n’importe quel État, et il se pourrait bien qu’elle représente l’avant-garde d’un mouvement plus large. L’enjeu est de savoir comment s’en protéger.

Netanyahu a besoin de l’opération à Gaza pour conserver son pouvoir, par Dmitri Bavyrine

Après la visite du président américain Joe Biden en Israël, le discours de Washington à l’égard du gouvernement israélien semble devenir plus dur. En fait, les Américains ne veulent pas d’opérations terrestres dans la bande de Gaza. Mais le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, lui, en a besoin comme de l’air qu’il respire. Sans cette offensive, il perdra le pouvoir, mais avec elle, il en sera certainement de même.

Cet article initialement publié sur le site vz.ru n’engage pas la ligne éditoriale du Courrier.

« Justice doit être rendue. Mais mon avertissement est le suivant : pendant que vous ressentez cette rage, ne la laissez pas vous consumer. Après le 11 septembre, nous étions furieux aux États-Unis. Nous avons demandé justice, mais nous avons commis des erreurs », a déclaré le président américain Joe Biden dans un discours télévisé spécialement destiné au peuple israélien.

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(III/VI) Raymond Aron : ses prises de position sur les intellectuels, l’Algérie et Mai 68

Première partie de cette série ici.

Seconde partie de cette série ici.  

 

L’opium des intellectuels

Ces intellectuels de gauche, dont Aron est si proche, à tout le moins par sa formation normalienne et philosophique, il les accuse de trahir leurs propres valeurs en se laissant subjuguer, à la fois par une doctrine du XIXe siècle que l’histoire a démentie, par un État dont la nature totalitaire devrait leur être odieuse et par un parti qui en est le représentant et l’exécutant dans nos frontières.

Contrairement à eux, Aron ne nourrit aucun doute sur la nature mensongère et tyrannique du communisme stalinien. Cette lutte idéologique – non contre Marx, mais contre le marxisme, le marxisme-léninisme, et plus encore contre l’aveuglement des intellectuels de gauche sur les réalités de l’Union soviétique – se double d’un choix proprement politique : l’abstention est interdite ; il faut assumer ses refus.

À ce propos un passage de L’opium des intellectuels, est tout à fait éclairant sur la manière de voir de Raymond Aron :

« Nous n’avons pas de doctrine ou de credo à opposer à la doctrine ou au credo communiste, mais nous n’en sommes pas humiliés, parce que les religions séculières sont toujours des mystifications. Elles proposent aux foules des interprétations du drame historique, elles ramènent à une cause unique les malheurs de l’humanité. Or la vérité est autre, il n’y a pas de cause unique, il n’y a pas d’évolution unilatérale. Il n’y a pas de Révolution qui, d’un coup, inaugurerait une phase nouvelle de l’humanité. » (opus cité, p. 302)

Ceux qui partagent sa vision ne peuvent opposer à leurs adversaires une foi comparable. On ne peut exiger d’eux qu’ils adhèrent « à un édifice aussi compact de mensonges aussi séduisants ».

En revanche, ils partagent « la conviction profonde qu’on n’améliore pas le sort des hommes à coups de catastrophes, qu’on ne promeut pas l’égalité par la planification étatique, qu’on ne garantit pas la dignité et la liberté en abandonnant le pouvoir à une secte à la fois religieuse et militaire ».

Lucide il ajoute : « Nous n’avons pas de chanson pour endormir les enfants. »

 

La tragédie algérienne

Pour ce qui est des évènements d’Algérie, l’analyse qu’il en fait et les conclusions qu’il en tire sont typiques de sa manière.

Convaincu du fait que « la politique de la France ne peut pas être déterminée par un million de français d’Algérie », il publie en 1957 La tragédie algérienne.

Dans ce pamphlet, il s’efforce de prendre le problème tel qu’il est, c’est-à-dire porteur de contraintes objectives auxquelles la France ne peut échapper, qu’on le veuille ou non. Avant tout le monde, il affirme que l’indépendance de l’Algérie est inéluctable et qu’il faudra bien s’y résoudre. Il appuie sa démonstration sur des arguments d’ordre strictement économiques et démographiques

À droite, on le taxe bien sûr de défaitisme et d’abandon. À gauche, on s’indigne qu’il ne fonde pas son analyse sur des positions morales, on lui reproche de ne pas condamner le colonialisme en tant que tel, de ne pas employer le langage de l’idéologie.

Il refuse de signer le Manifeste des 121, pétition d’intellectuels hostiles à l’Algérie française appelant à la désertion les appelés du contingent. Elle lui semble être le comble de l’irresponsabilité, les signataires incitant les jeunes recrues à prendre tous les risques mais n’en prenant eux-mêmes aucun. Il refuse aussi d’écrire comme il le dit « des choses littéraires sur l’horreur et la torture » et laisse le soin des protestations morales aux belles âmes.

Sa prise de position mécontente donc tout le monde et pendant plusieurs mois la direction du Figaro lui demande de ne plus rien écrire sur l’Algérie.

En 1980 son commentaire reste très sobre :

« À partir du moment où j’avais écrit ce que je pensais de l’Algérie à une époque où personne ne le disait, j’avais fait ce que je pouvais faire ».

 

Mai 68, l’Université dans la tourmente

En Mai 68 aussi Aron détonne dans le paysage intellectuel français par ses prises de position.

Sartre est accueilli en héros dans le grand amphi de la Sorbonne ; il y proclame que le mouvement de mai va réaliser le vieux rêve d’une liaison du socialisme et de la liberté, qu’une nouvelle société est en train de naître et qu’elle réalisera la pleine démocratie.

À la même époque Maurice Clavel, enthousiaste, soutient avec lyrisme les gauchistes dans le Nouvel Observateur et dans Combat.

Comme le remarque Winock, « il ne fait pas dans la dentelle, mais dans l’Absolu, dans l’âme, dans le cosmique. Il récuse Descartes, crie sa foi en Dieu avec des traits de flamme, et bénit ces étudiants qui refusent de devenir des cadres. Avec un ton de prêcheur de parousie, il s’en remet aux contestataires et au Saint Esprit, se réclame de Jeanne d’Arc et de Cohn Bendit ».

Dans ce tumulte Aron garde la tête froide et en appelle à la raison. Pour lui Mai 68 est un « psychodrame », ou, comme le dit plus crument son ami Alexandre Kojève ,« un ruissellement de  connerie ». Il s’efforce de faire voir les choses pour ce qu’elles sont, à savoir une crise de l’université qui appelle une réforme et des solutions rationnelles.

Ne craignant pas de s’exposer, dans Le Figaro du 11 juin 1968, il lance un appel à la défense de l’université en crise :

« Peut-être le moment est-il venu, contre la conjuration de la lâcheté et du terrorisme, de se regrouper, en dehors de tous les syndicats, en un vaste comité de défense et de rénovation de l’université française ».

Ce comité est constitué dès le 21 juin.

Contre Aron, Sartre défend un enseignement pour la masse et non pour l’élite. Dans Le Nouvel Observateur il déclare :

« Cela suppose qu’on ne considère plus, comme Aron, que penser seul derrière son bureau – et penser la même chose depuis 30 ans – représente l’exercice de l’intelligence. Cela suppose surtout que chaque enseignant accepte d’être jugé et contesté par ceux auxquels il enseigne, qu’il se dise : « Ils me voient tout nu ». […] Il faut, maintenant que la France entière a vu de Gaulle tout nu, que les étudiants puissent regarder Aron tout nu. On ne lui rendra ses vêtements que s’il accepte la contestation ».

Aron n’a pas cru bon de répondre à une attaque aussi peu digne d’un philosophe, mais a contribué comme il le pouvait à une réforme de l’université qui pour un temps l’a remise sur les rails.

Article publié initialement le 11 août 2022.

Appropriation culturelle : le non-vol de quelque chose qui n’appartient à personne

Lorsque j’étais à l’université, j’ai un jour protesté contre l’utilisation paresseuse de l’expression « biens publics » par un camarade de classe. Il l’avait utilisé pour favoriser sa position politique, comme un synonyme abrégé de ce qui est bon pour la société – un euphémisme à peine voilé pour « ce que je veux qu’il se passe ».

« Les biens publics sont des choses qui ne sont ni rivales ni exclusives », ai-je dit, en bafouillant presque un manuel d’économie qui se trouvait à proximité. « Ceux dont vous parlez ne sont ni l’un ni l’autre ».

Il a roulé des yeux d’ennui. Oui, oui, mais ce n’est pas ce que les gens veulent dire lorsqu’ils parlent de « biens publics ».

Étrangement, je pense qu’il a raison.

 

Les critères flous du bien public

De nos jours, les critères clairs et plutôt exigeants de l’économiste concernant ce qu’on appelle les biens publics sont largement balayés au profit de quelque chose comme « ce que je pense être bon pour le public ». Cette petite erreur de langage ouvre la voie à un monde de politiques économiques dont nous ne nous sommes toujours pas remis.

Aujourd’hui, tout est bien public.

Dans un article de Helen Epstein paru dans la New York Review of Books, on apprend que la planche à billets n’est pas seulement importante pour les dépenses publiques, mais aussi « pour l’amélioration des soins de santé, de l’éducation, des transports, du réseau électrique et d’autres biens publics susceptibles de favoriser le développement ».

Pour les partisans des services publics, tout ce qui comporte ne serait-ce qu’un soupçon d’avantages externes pour quelqu’un, quelque part, est donc transformé en « bien public », qui doit être fourni par l’État. Nous aurions pu excuser de telles convictions, les mettant sur le compte de l’ignorance, si des économistes au sommet de la profession n’avaient pas embrassé ces points de vue ; le lauréat du prix Nobel William Nordhaus en est un bon exemple.

Il faut creuser environ trois cents pages dans le livre de William D. Nordhaus, The Spirit of Green, pour admettre que les échecs des gouvernements peuvent être pires que les échecs qui se produisent ostensiblement sur les marchés privés. Sinon, il ne s’agit que de solutions technocratiques : des arcs-en-ciel et des licornes, des biens publics par-ci, des biens publics par là. Tout est une externalité non corrigée – des claviers sur lesquels nous écrivons aux stations-service, en passant par les hôpitaux, les propriétaires et la langue anglaise.

Si vous ne disposez que de solutions gouvernementales, tout ressemble à un clou du secteur privé qui a désespérément besoin d’être enfoncé. Dans son livre, Nordhaus argumente sur les mérites de l’internalisation des effets externes de la pollution, puis étend la logique aux taxes sur les jeux, le tabagisme, la consommation d’alcool et l’utilisation d’armes à feu. Comme la pollution, ils ont un impact sur d’autres personnes, et un planificateur social bienveillant doit donc intervenir. Ayant déjà convaincu son auditoire de la nécessité d’une correction gouvernementale pour un gaz invisible dont les dommages futurs sont invisibles, le reste suit comme une évidence.

Ce qui est clair, c’est que bien qu’il soit titulaire du prix le plus prestigieux de la profession économique et qu’il soit l’auteur d’un manuel d’économie de longue date, le professeur Nordhaus ne comprend même pas les principes économiques de base de la propriété et de la rivalité. Pour les deux critères du bien public, c’est l’utilisation concurrentielle de la rivalité qui a des implications sociétales, et donc économiques.

 

Propriété et appropriation culturelle

La propriété, non pas dans ses concepts juridiques, mais dans ses fonctions économiques, n’existe que dans des conditions de rareté.

La rareté signifie que les biens et les services ont des coûts secondaires d’utilisation et d’opportunité.

En cas d’abondance illimitée, la propriété et le droit de propriété (peut-être à l’exception de votre propre personne) ne jouent aucun rôle : il y a suffisamment de biens pour satisfaire les besoins de chacun à tout moment. Dans la vie quotidienne, nous ne fixons pas le prix de l’oxygène dans l’air parce qu’il y en a suffisamment pour tout le monde à tout moment, et que les processus naturels de la Terre en produisent davantage. Il s’agit d’une ressource non rare, son prix est donc nul, et il est absurde d’essayer d’établir un droit de propriété sur telle ou telle molécule d’air. Si l’utilisation d’une bouffée d’air est rivale, en ce sens que personne d’autre ne peut utiliser la bouffée d’air que je viens d’inhaler, la quantité omniprésente est suffisante pour que le bon air devienne non rival.

L’accusation anti-intellectuelle d’appropriation culturelle est un autre malentendu sur la non-rivalité.

Les caractéristiques culturelles, qu’il s’agisse de la mode, de la musique, de l’art, de la langue, des innovations ou des traditions, sont des choses intangibles qui n’appartiennent à personne. Pourtant, les travailleurs non éclairés du monde entier ont décidé que tous les traits appartiennent (à perpétuité ?) au groupe qui les a historiquement exploités.

Ce qu’ils oublient, c’est le concept économique fondamental de rivalité.

Mon utilisation de l’anglais – une langue qui n’est pas ma langue maternelle et que je me suis donc complètement « appropriée » – n’empêche en rien une autre personne d’utiliser l’anglais, ou de modifier l’anglais de la manière qu’elle préfère (pensez aux néologismes des adolescents). Le fait que j’applique une recette vieille de plusieurs décennies pour le dîner de ce soir ne prive en rien quelqu’un d’autre du plaisir d’utiliser cette même recette. Mon utilisation de la danse, de la chanson ou du système de croyance d’une tribu lointaine n’empêche nullement cette dernière de danser, de chanter ou de croire la même chose.

Les expressions culturelles ne sont pas possédées, ne peuvent être possédées et, plus important encore, sont illimitées. Elles ne sont pas rivales au sens des biens publics, dans la mesure où n’importe qui peut porter un chapeau mexicain, se laisser pousser des dreads, prier un dieu étranger, jouer des instruments traditionnels d’une tribu lointaine ou, plus près de moi, pratiquer le yoga.

Il arrive régulièrement – de manière tout à fait hypothétique, bien sûr – qu’une jeune femme woke et anticapitaliste se plaigne d’une caractéristique du yoga moderne tel qu’il est pratiqué en Occident. Nous connaissons tous le personnage (et si ce n’est pas le cas, la récente sortie d’Anita Chaudhuri dans le journal britannique The Guardian peut servir d’approximation décente).

Sortant en sueur d’un cours avec des dizaines d’autres étudiants partageant les mêmes idées et sensibles à la culture, l’engagement de cette femme à ne pas s’approprier culturellement ce que d’autres humains ont fait un jour est sapé pas moins de trois fois par ses propres actions.

Premièrement, elle parle l’anglais, une langue qui s’est appropriée culturellement des mots de toutes sortes, du vieux norrois au frison, au normand et aux langues germaniques (sans parler de son exportation à travers le monde au cours du siècle dernier ou plus).

Deuxièmement, elle sort tout juste d’une séquence physique, semblable à l’aérobic, de flux rapides que beaucoup d’Occidentaux considèrent comme un entraînement physique ; ce n’est absolument pas ce qu’était le yoga pendant la majeure partie de ses cinq mille ans d’histoire.

Troisièmement, c’est une femme (les femmes n’apparaissent que très peu dans les archives historiques du yoga), et sa pratique de cet art ancien aurait été mal vue par la plupart des cultures qu’elle cherche à défendre.

Les contradictions performatives sont puissantes, mais la leçon est plus large : une pratique – comme le yoga, les recettes de cuisine, la mode ou les chansons – réalisée à n’importe quel moment, dans n’importe quel lieu, ou avec n’importe quel peuple, n’appartient à personne. Ce sont des biens non rivaux. Ils peuvent changer et incorporer des choses différentes de tout ce qui existe dans le vaste éventail de traditions émergentes, culturelles et artistiques de l’humanité. Les symphonies de Mozart ne sont pas uniquement interprétées par des Européens blancs dans les splendides salles de Vienne ; les voitures et la culture automobile ne sont pas uniquement utilisées par les groupes démographiques qui ont contribué à leur invention. Personne ne possède les cultures, personne ne les régit et personne ne peut vous empêcher de les utiliser. Par conséquent, vous pouvez les mélanger et les modifier à votre guise.

On pourrait penser que celui qui célèbre la diversité, qui fait l’éloge de la tolérance pour les différences des uns et des autres, et qui embrasse le principe du melting-pot, devrait comprendre cela. Hélas, ce n’est pas le cas.

 

Sur le web

L’école de la République : de l’égalité à l’égalitarisme

Depuis une cinquantaine d’années, les politiciens français ont choisi de sacrifier l’école de la République sur l’autel de l’égalitarisme.

Cette école ne cherche pas à rendre l’apprentissage le plus efficace possible, mais au contraire d’empêcher chacun de progresser à son rythme. Les meilleurs ne doivent surtout pas prendre leur envol car l’égalité serait rompue. Il faut donc leur couper les ailes. Sectorisation, collège unique, programmes uniformes, tout a été fait pour masquer une réalité : l’hétérogénéité sociale.

L’école s’adresse donc à un élève théorique, défini politiquement. Elle refuse la diversité des acquis culturels et des capacités cognitives. C’est une longue histoire. En voici un résumé.

 

La politique contre la pédagogie

Commençons par le commencement.

Si la pédagogie consiste à favoriser l’acquisition des savoirs, quelle est la condition préalable à toute bonne pédagogie ? Il faut que l’enseignement s’adresse à un groupe d’élèves ou d’étudiants aussi homogène que possible. Allez dans une école de musique, dans une école de ski, dans n’importe quel organisme de formation, la démarche première consiste à tester le niveau des élèves et à les regrouper par niveau.

Aussi paradoxal que cela puisse paraître, l’Éducation nationale refuse cette condition basique de l’apprentissage depuis de nombreuses décennies. L’hétérogénéité des groupes a été sacralisée. Pourquoi ? Parce que la structure Éducation nationale, c’est-à-dire le ministère concerné, dépend directement du pouvoir politique, et que celui-ci a fait croire au progrès de l’égalité par le nivellement cognitif. Le narratif politicien se réclame de la parfaite égalité de l’école.

L’école de la République est juste parce qu’elle traite tous les élèves exactement de la même façon, sans tenir compte de leurs spécificités.

Ce concept de justice égalitariste n’est évidemment que de la poudre aux yeux. La diversité sociale ne peut être éludée. En s’opposant à toute adéquation entre le système éducatif et la réalité sociologique, les gouvernants ont conduit l’Éducation nationale à l’échec en cinquante ans environ.

Ils n’en ont que faire. Avec ses promesses électoralistes d’égalité la prochaine élection a plus d’importance pour eux que la vérité.

 

La merveilleuse révolution pédagogique ou le monde à l’envers

Mais comment prétendre qu’il est possible d’être pédagogiquement efficace avec des groupes d’élèves totalement hétérogènes ?

À cœur vaillant rien d’impossible !

Il suffit d’affirmer, contre toute évidence, que l’hétérogénéité des groupes est préférable pédagogiquement à leur homogénéité. On trouvera suffisamment de propagandistes intéressés pour diffuser ce précepte pédagogique révolutionnaire. Ce fut le cas.

Toute la technostructure éducative publique (inspecteurs généraux, inspecteurs pédagogiques, administration) a donc prôné la « pédagogie différenciée ». Cette pédagogie consisterait à disposer à tout instant de plusieurs niveaux de formation pour chaque groupe. L’enseignant doit adapter son enseignement aux niveaux variables des élèves de sa classe. Si, pour trente élèves, il est possible de distinguer quatre niveaux, il appartient à l’enseignant de proposer quatre cursus différents.

En pratique, c’est impossible, et cela n’a pas eu lieu. Malgré les instructions officielles, très rares sont les enseignants qui se sont pliés à cette absurdité. D’où un alignement de l’enseignement sur un niveau moyen-faible pour ne pas abandonner à leur sort les trois quarts des élèves. D’où une impossibilité pour les meilleurs d’exploiter leurs capacités.

L’hypocrisie politique a donc interdit l’efficacité pédagogique.

Pour les politiciens, il s’agissait, et il s’agit encore, de prétendre que l’école donne des chances identiques à tous et permet de construire une société égalitaire. Les principaux syndicats d’enseignants, positionnés politiquement à gauche, n’ont pas contesté le principe égalitariste mais demandé à cor et à cris, pendant des décennies, des moyens supplémentaires pour atteindre l’objectif.

 

L’égalité au rabais, c’est pour les autres !

Mais le mammouth Éducation nationale a aussi imposé des contraintes structurelles.

La structure centralisée du système éducatif (1 200 000 salariés) supposait un nombre réduit de catégories d’établissements (écoles, collèges, lycées, universités et grandes écoles) aux programmes d’enseignement uniformes.

Seule une forte décentralisation aurait permis de tenir compte de la diversité sociale.

La réforme la plus emblématique à cet égard fut celle du « collège pour tous » réalisée par René Haby, ministre de l’Éducation nationale de 1974 à 1978 (septennat de Valéry Giscard d’Estaing). On parlera par la suite dans les médias de « collège unique ». L’ambition naïve du ministre consistait à poursuivre la démocratisation de l’école élémentaire par un premier niveau d’enseignement secondaire (quatre années) accueillant toute la jeunesse du pays.

Cette louable ambition était politiquement porteuse, mais sociologiquement absurde.

L’enseignement élémentaire est en effet principalement un apprentissage presque technique (lire, écrire, compter) qui peut s’adresser à tous de la même façon.

Mais l’enseignement secondaire présentant un caractère éminemment culturel, il faut nécessairement tenir compte du fossé cognitif entre les élèves pour élaborer des programmes différenciés adaptés à chacun.

Le programme unique pour tous les enfants du pays peut se concevoir dans l’enseignement élémentaire, mais il est totalement inadapté à l’enseignement secondaire. Sauf évidemment s’il s’agit d’un simple affichage politique, ce qui était le cas.

La classe dirigeante n’est en effet pas affectée par le soi-disant collège unique. Même avec des programmes identiques, la sectorisation géographique maintient des différences majeures entre le niveau d’enseignement dans les banlieues pauvres et le 16e arrondissement de Paris. L’enseignement privé et ses établissements élitistes constituent également un recours. La politique définie par les gouvernants pour le peuple de France ne concernait donc absolument pas les familles des décideurs. Elles avaient d’autres solutions.

 

Tenir compte du réel

Restons-en là.

Il n’est certes pas facile de diffuser à la fois culture, formations scientifiques, techniques et professionnelles de façon à permettre à chacun de valoriser au mieux ses aptitudes.

Mais une chose semble évidente : il convient de tenir compte du réel. Masquer une réalité sociale très inégalitaire par un discours politique trompeur ne peut aboutir à terme qu’à l’échec. Nous y sommes. Le conte de Voltaire à l’issue heureuse proposé par nos politiciens se transforme sous nos yeux en tragédie grecque.

Quelques remarques de portée générale sur le classement 2023 dit « de Shanghai » des Universités

Indispensables précautions

Ce papier ne prétend pas à l’exhaustivité pour deux raisons de pondérations inégales : d’une part il m’a été sollicité par la rédaction de Contrepoints en période estivale, moment d’inévitable ralentissement neuronal et d’énergie ; d’autre part, disserter valablement sur ce sujet nécessite une connaissance approfondie des systèmes d’enseignement supérieur,  au moins des grands pays du monde.

Nous n’avons pas cette prétention, même si nous avons quelques notions et lumières en la matière. Nous examinerons successivement, d’abord les critères de choix du classement de Shanghai, ce qui permettra de cerner les biais méthodologiques choisis. Puis nous procéderons à quelques réflexions sur les résultats, avant enfin dans un dernier temps de déterminer les raisons du résultat ni bon ni mauvais de la France.

 

Des critères spécifiques donnant une prime aux sciences prétendues « dures »

Ce classement est largement et annuellement contesté (rarement par ceux qui sont « dans la botte » ou en forte progression), sujet à caution, vilipendé par certains, et pourtant scruté par tous. Il fait penser aux sondages pendant les périodes électorales.

Le refrain des entrepreneurs politiques est connu : « nous n’attachons que peu d’importance aux sondages » (mais en fait nous avons les yeux rivés dessus !). Il comporte cependant un biais méthodologique crucial et décisif qui génère mécaniquement des résultats prévisibles. Dès lors qu’on connaît le biais méthodologie, et à cette restriction près, les résultats peuvent être analysés avec intérêt.

Un avantage comparatif substantiel dope ici les résultats des uns, affaiblit ailleurs les résultats des autres. Il s’agit de prendre en compte les sciences dites dures (mathématiques, physique, chimie, mécanique, médecine, pharmacologie,  biologie, astrophysique, économie…) d’abord, toujours, exclusivement… ou presque, au détriment des autres disciplines considérées comme obéissant à des obligations méthodologiques moins rigoureuses.

En gros les sciences humaines qui ne comptent pour rien, ou presque, dans le dit classement. Sont ainsi pénalisées, voire passées sous silence, les institutions universitaires qui excellent en histoire, géographie, lettres classiques, littérature, grammaire, sociologie, psychologie, langues, histoire de l’art, philosophie.

Plus encore, ici et maintenant, pour notre pays, les critères excluent, non en droit, mais en fait, les facultés de droit. Or, c’est un domaine dans lequel nos facultés excellent, nonobstant la notable avancée de la Common Law. De Paris 1, 2 et 5, à Aix-en-Provence, de Montpellier à Bordeaux, Lyon et Toulouse, sans compter Strasbourg, Rennes et d’autres, nos professeurs de droit restent des pôles d’excellence, malgré les errements désastreux du positivisme juridique. Nos grands juristes font partie de l’étroite cohorte des meilleurs du monde et nombre de professeurs étrangers rêvent de venir passer quelques mois dans nos facultés afin de se mettre dans les pas lointains de Portalis et des rédacteurs du Code civil, et de l’école de l’exégèse.

Quels sont donc ces critères ? Ils sont au nombre de six.

Le premier est le contingent de prix Nobel et de médailles Fields (le Nobel de mathématiques réservé aux moins de 40 ans) parmi les anciens élèves. En dehors du prix Nobel de littérature, mais il est fort rare qu’à l’université, un professeur de littérature, ou de toutes autres disciplines, soit également un écrivain renommé, tous les autres prix Nobel font partie de la famille des sciences lourdes (médecine, physique, chimie, économie).

Le second est le nombre de Nobel et Fields parmi les chercheurs de l’université. Ce second point appelle naturellement la même remarque.

Puis est pris en compte le nombre de chercheurs les plus cités dans leurs disciplines depuis les dix dernières années. Encore faut-il que la revue soit dite à référé (tel n’est pas le cas par exemple, sauf exception, des revues juridiques). Il faut noter que la bibliométrie recèle un effet pervers. Un auteur peut faire l’objet de multiples citations mis en cause qu’il est par ses pairs pour ses approximations et erreurs grossières. Thomas Picketty fournit un bon exemple. Il fait l’objet de très nombreuses références, mais c’est fréquemment pour être critiqué et blâmé de façon cinglante.

Le quatrième critère fait référence au nombre d’articles publiés dans Nature et Science pendant les cinq dernières années. Les humanités, et plus largement les sciences humaines et morales, en sont exclues de facto.

L’avant-dernier critère est le nombre d’articles indexés dans Science Citation Index, et Social Sciences.

Enfin, le dernier résume, synthétise et cristallise les autres puisqu’il est question de « la performance académique au regard de la taille de l’institution » ?! (un calcul bien délicat et vraisemblablement aussi approximatif que lorsque le ministère de l’Éducation nationale en France « redresse » les résultats effectifs au baccalauréat en fonction des résultats « attendus », vu l’origine sociale des élèves. Cette idée particulièrement perverse de déterminisme de la réussite scolaire en fonction de l’origine sociale des élèves est issue évidemment directement des idées proposées par Bourdieu et Passeron en 1966 dans Les Héritiers, la bible des soixante-huitards, et évince les travaux ultérieurs mondialement acceptés et ratifiés de Raymond Boudon sur « l’inégalité des chances ». Rien ne mesure mieux l’imprégnation idéologique et l’absence de vraie culture des ministres de l’Éducation nationale réputés de droite que l’acceptation pleine et entière de cette doxa dont d’innombrables mesures de « rattrapage social », de quotas, de discriminations positives ont découlé.

Ce qui précède peut se résumer ainsi : « dis-moi quels critères tu utilises, et je te dirai par avance les résultats…». Selon les « entrées » choisies, il est aisé de prévoir les résultats.

 

Des résultats cependant significatifs et éclairants

Une fois ces limites et restrictions admises, les résultats appellent des commentaires dont la portée est certaine. Ils sont essentiellement au nombre de trois.

D’abord le classement confirme évidemment la corrélation-causalité entre le niveau du capital humain d’un pays et son développement.

Si nous descendons jusqu’au rang 100, 18 pays sont concernés. (Curieusement, alors qu’il s’agit d’un classement issu de la Chine, Hong-Kong avec une citation est considérée comme un pays indépendant.)

Les États-Unis sont en tête de façon écrasante avec 38 citations (et 8 dans les 10 premières universités du monde, 12 dans les 15 premières, 16 dans les 20 premières, 21 dans les 30 premières…), la Grande- Bretagne (8 citations avec Cambridge et Oxford dans les 7 premières, soit les deux seules non américaines entre le rang 1 et le rang 14).

Figurent également : l’Australie (6 citations ), la Suisse (5), le Canada (5), La France (4), l’Allemagne (4), la Suède (3), Israël (3), les Pays-Bas (3), le Japon (2 citations seulement), la Belgique (2),  le Danemark (2), la Norvège (1), Singapour (1), la Corée du Sud (1).

Le classement de la Chine provoque quand même une certaine forme d’étonnement.

Les universités y sont certes, selon des observateurs avisés, compétents et incontestables, en très nets progrès. De là avec 10 citations à occuper 10 % du Top 100 et égaler la France, l’Allemagne et le Japon réunis…

Les choses sont désormais bien établies par l’analyse économique. La richesse de chacun dans une frontière donnée (et par agrégation la richesse de tous) dépend de plusieurs éléments : d’une part la qualité et la prévisibilité des institutions et du droit ; d’autre part le niveau du capital humain, lui-même divisé, selon des pondérations à déterminer, en capital éducation et savoirs, et en capital santé, et enfin dernier élément la densité du maillage numérique permettant immédiatement l’accès aux connaissances utiles et nécessaires à nos prises de décisions et la connaissance des possibilités, actions, opportunités offertes par les autres afin d’optimiser l’échange marchand monétarisé, comme non marchand.

Le classement confirme également une dimension apparemment de moindre importance, presque de nature technique, et qui pourtant confirme de façon éclatante et lumineuse qu’à partir d’une certaine taille les effets pervers engendrés sont supérieurs aux avantages évidemment attendus par une addition des facteurs de production, le travail et/ou le capital. Small is beautiful. La loi ricardienne des rendements décroissants joue à plein son rôle en matière universitaire.

Il faut en apporter la preuve.

Nous avons pour les quinze premières universités du monde, selon les critères de Shanghai, consulté à la source le nombre d’étudiants. Notons d’abord que douze d’entre elles sont américaines. Les deux anglaises, Cambridge et Oxford, et une française Paris-Saclay.

En dehors de Berkeley et University of California Los Angeles, qui dépassent de peu les 40 000 étudiants ainsi que Paris-Saclay (48 000 étudiants, 8100 enseignants – chercheurs ), toutes ont un effectif inférieur à 30 000, à l’exception de Columbia à New York (31 317). Princeton s’autorise à en avoir moins de 10 000, Yale 14476 , Chicago moins de 15 000, le M.I.T. 10 894, et Harvard, cette année encore en « pole position » moins de 20 000. Cambridge et Oxford sont pour l’une à 20 000 étudiants,  l’autre à 23 000.

Autrement dit, la taille ne fait pas la qualité. Le bureaucrate, le technocrate et nombre de ministres de l’Enseignement supérieur en France ont imaginé, pensent encore et sont convaincus qu’en additionnant des étudiants et des chercheurs on accroît ses chances de bien figurer. L’apparence est trompeuse. Certes théoriquement, et c’est vrai à la marge, plus il y a d’enseignants – chercheurs, plus il y a de production(s) scientifique(s) et de références en bas de pages à imputer à l’université pour augmenter son score.

C’est oublier qu’à partir d’une certaine taille des coûts de bureaucratie, d’encadrement, de hiérarchie, des coûts organisationnels, des coûts sociaux, d’information, de communication et bien d’autres , viennent, non seulement gommer les avantages attendus de l’augmentation en travail et capital, mais encore même peuvent produire des effets pervers stérilisants et décourageants pour les plus productifs et talentueux. Les forces des meilleurs s’épuisent dans des documents abscons, sans contenus, ni fins ni intérêt qu’une bureaucratie, afin de justifier son existence, ne cesse de produire selon des mécanismes analysés avec brio et et pertinence, acceptées aujourd’hui en certitudes, par Mises, Sauvy, Crozier et Niskanen.

Si ce n’était si grave et lourd de conséquences qu’il suffise d’écrire que dans telle ou telle université française la taille des caractères pour une thèse a été définie par note, ainsi que les couleurs autorisées pour la couverture… ! C’est simultanément comique, incroyable, risible, dérisoire, consternant, pitoyable, pathétique et tragique.

Le troisième trait notable et significatif puise dans la nature des droits de propriété. Restons dans le classement de 1 à 15 , échantillon suffisant (au reste confirmé par la suite du classement) .

Dans les 15 premières universités du classement de Shanghai, 12 sont des universités privées, 3 des universités publiques. (Berkeley, University of California Los Angeles, et Paris-Saclay) .

Dans les 12 premières, 10 sont privées. Le duo gagnant est donc clairement d’être de taille raisonnable (assez pour bénéficier des économies d’échelle, et point trop pour éviter les effets de l’implacable loi des rendements non proportionnels), et de mettre en jeu à tous niveaux la responsabilité par les mécanismes féconds liés au droits de propriété privés.

Il n’est pas besoin d’être savant pour comprendre par exemple le faible effet stimulant d’un financement public assuré, quelle que soit par ailleurs la performance. Ce propos ne signifie en rien que les personnels sont démotivés dans l’enseignement supérieur public. Il souligne simplement qu’un pôle d’excellence est subventionné à l’identique d’un autre qui se comporte médiocrement (nonobstant le mythe du diplôme national, à vrai dire le mensonge destructeur et trompeur pour les étudiants, comme pour les parents, qui laisse à penser qu’une licence en droit ou en lettres est toujours et partout de niveau identique. À ce stade on quitte l’hypocrisie pour tomber dans la mystification).

Bien sûr, les choses sont plus complexes. Les moyens de la recherche ne comptent pas pour rien. L’écrasante suprématie de l’anglais dans les revues scientifiques ont donné un temps un avantage non négligeable aux Anglo-Saxons (ce point est en train d’être gommé par la généralisation de l’anglais parmi les savants). Le niveau de rémunération incite plus ou moins. Et bien d’autres choses encore dépassant le cadre imparti à cet article. Mais enfin les faits sont là, et ils sont têtus.

Cela signifie-t-il l’échec irrémédiable des systèmes à droits de propriété publics ?

Gardons-nous de tout sectarisme. Berkeley est en cinquième position, et University of California Los Angeles au treizième rang en 2022 se maintient exactement à la même place cette année.

Appliquons la jurisprudence méthodologique (John Stuart Mill, Karl Popper) des cygnes blancs et noirs. Le fait que les quatre premières universités du classement sont privées ne permet pas d’inférer la proposition qui serait vraie universellement en tous temps et tous lieux.

« Toutes les bonnes universités sont privées ».

Inversement, la présence de trois universités publiques parmi les 15 premières permet d’affirmer cette proposition vraie :

« Les bonnes universités ne sont pas toutes privées ».

Notons cependant une chose fort importante en termes de motivation, d’incitation, de volonté d’excellence. Berkeley a pour voisine Stanford (deuxième du classement). Si Berkeley veut avoir des étudiants d’excellence, et non pas le rebut que ne veut pas Stanford (17 246 étudiants), il lui faut être attirante par un très haut niveau.

La remarque vaut pour University of California de Los Angeles environnée, sinon presque encerclée, par des universités privées californiennes Stanford, California Institute of Technology, etc. et même sa concurrente publique Berkeley ! (dans les 15 premières, les trois universités publiques sont les seules à dépasser 40 000 étudiants : 48 000 pour Paris-Saclay, 45 057 pour Berkeley, et 44 947 pour University of California de Los Angeles). Nous ne savons répondre à la question de l’absence totale dans les 100 premières du classement des universités des pays suivants : Russie, Inde, Brésil, Afrique du Sud, Italie, alors que la Chine est présente dix fois. Nous n’osons imaginer un biais nationaliste dans un classement scientifique)

 

La France : bulletin de notes : élève moyen. Dommage, car peut incontestablement mieux faire

Le fait pour la France que l’université et les grands organismes de recherche soient, au-delà des mots, entre les mains de l’État, politise à outrance le débat autour de cette question vitale.

Il s’en déduit des positions extrêmes et outrancières oscillant entre excès d’honneur (non, l’université française n’est pas au top) et procès en indignité (non, l’université française n’est pas à la dérive).

Reformulons la chose : l’enseignement supérieur français est-il à la hauteur espérée ? La réponse est négative. Fait-il naufrage ? Non. Est-ce un énorme gâchis ? Oui.

Après leur formation en France (payée par le contribuable dans un système public) une partie non négligeable des meilleurs partent désormais vers des pays dans lesquels, des moyens de travail aux rémunérations, ils peuvent mieux épanouir leur potentiel.

Au-delà de ces premières réflexions, gardons-nous d’oublier les critères de Shanghai.

On a vu précédemment qu’ils donnaient une prime spectaculaire aux sciences dites dures.

Certes, nos facultés de médecine donnent beaucoup de points aux universités françaises dans lesquelles elles sont installées. Certes, Paris Orsay  l’ex Paris XI) et ses écoles d’ingénieurs permettent à l’appellation Paris-Saclay d’entrer dans le top 15 et de faire partie de la toute petite cohorte (3 unités) avec Cambridge et Oxford, d’universités dans le top 15 qui ne sont pas situées aux États-Unis.

Les facultés de sciences (ex Paris 6 et 7 dont le campus de Jussieu), et médecine (en particulier ex Paris 5 Descartes et Paris 6, l’Institut de physique du Globe), les observatoires remplissent l’escarcelle des trois autres universités françaises classées dans le top 70, soit Paris Sciences et Lettres (P.S.L.), Sorbonne Université 46e, et Université Paris Cité 69e. Mais évidemment, la place résiduelle, voire infime, donnée aux sciences humaines pénalise la France dans ce classement presque exclusivement consacré aux sciences dures.

La France a toujours des facultés de droit parmi les meilleures du monde (Paris 2 Panthéon-Assas dont la réputation d’excellence n’est pas à démontrer ne figure pas dans le top 200, ce qui interroge sur le classement de Shanghai), et nos historiens, surtout en histoire de l’Antiquité, du Moyen Âge, et en Histoire de France pour les Bourbons, sont très bien placés.

Dans les humanités classiques nous sommes haut dans le hit parade, et la partie de la sociologie dans le sillage de Raymond Boudon rivalise sans difficulté avec les meilleurs mondiaux.

Ces considérations pèsent lourds.

Un autre exemple : la prestigieuse université Université Jean Moulin Lyon 3 entièrement dédiée aux sciences humaines est absente, pendant que l’université Claude Bernard Lyon 1 Sciences et Santé, très bonne maison certes également, figure dans le top 200).

Paris Sciences et Lettres est 41e, régressant d’une place, détail insignifiant. Sorbonne Université est 46e régressant légèrement. (de nouveau la vérification se fait. Ce regroupement récent est celui de l’ancienne faculté des lettres de Paris 4 Sorbonne, mais surtout comprend tout Paris-Centre en médecine et l’ancienne faculté des sciences Pierre et Marie Curie à Paris-Jussieu ).

Toute la suite du classement confirme notre thèse, puisque toutes les autres universités classées, ainsi par exemple Aix-Marseille Université est dans le groupe 151e – 200, comprennent scientifiques et médecins.(alors que le fleuron sans doute d’Aix-Marseille Université est sans doute la prestigieuse faculté de droit d’Aix-Marseille née en 1409, et qui apporte peu de points à sa maison-mère, c’est-à-dire  Aix-Marseille Université).

Il reste pour finir à souligner deux choses.

D’une part, un handicap majeur pour de nombreuses universités françaises. C’est qu’une partie importante, voire dominante de la recherche en sciences et médecine va passer par le CNRS et l’INSERM non pris en compte dans le classement si le laboratoire n’est pas rattaché à une université ; d’autre part, quels sont les vices à éradiquer dans notre université ?

Évidemment, le fait que certains laboratoires du CNRS, en particulier en sciences, ne soient pas rattachés à une université affecte de nombreux établissements dans le classement de Shanghai, puisque ce dernier ne traite que des universités. Le CNRS est souvent critiqué. Quelquefois avec raison pour ses procédures, et une bureaucratie qui a augmenté de façon significative. Souvent à tort, car dans beaucoup de disciplines, en particulier en sciences lourdes, il est et reste un pôle d’excellence. La plupart de nos prix Nobels en sciences, et médailles Fiels en mathématiques sont issus et rattachés au CNRS. La non affiliation de certains laboratoires du CNRS à une université est évidemment un lourd handicap pour nos universités pour le classement que nous examinons. (l’équivalent du CNRS n’existe ni aux USA, pas plus en Grande-Bretagne, Canada, Australie, Chine, etc.).

Si, pour conclure, on s’interroge sur les vices à évincer pour rendre nos universités meilleures, un certain consensus existe parmi des personnes pourtant par ailleurs très opposées sur le plan doctrinal.

Nos universités sont trop grandes (cf notre point 2).

Une frénésie de regroupements a été menée en ne voyant que les économies d’échelle, mais pas les effets pervers expliqués précédemment.

Ce gigantisme a entraîné une bureaucratie dont on a peu idée si on n’y est pas confronté directement. L’autonomie est une véritable farce.

Nos maîtres d’il y a cinquante ans nous expliquent qu’ils géraient comme ils le désiraient, du moins la dimension des choix scientifiques et pédagogiques. Aujourd’hui, de plan quadriennal en contrats d’objectifs, des écoles doctorales aux innombrables instances, conseils, commissions, comités, un directeur de laboratoire n’a quasiment plus de temps pour chercher, comprendre, trouver, écrire. Pour continuer leur vrai métier ils sont nombreux à renoncer à des responsabilités autrefois prestigieuses, et pour lesquelles la concurrence était vive. Les non universitaires professionnels, parmi les lecteurs, croient que, du moins dans les très grosses facultés à fort enjeu, la bataille pour le décanat est féroce. C’est tout l’inverse.

Le problème est désormais le suivant : convaincre une ou un collègue, si possible prestigieux, de se dévouer pendant cinq ans. La charge est tellement écrasante du point de vue administratif que le collègue sait qu’il met totalement ou presque, sa carrière scientifique et toute autre activité en sommeil pendant cinq ans.

Or, dans certaines spécialités, inclus en droit, une coupure de quelques années peut se révéler à terme rédhibitoire sur le plan scientifique. On comprend mieux les légitimes hésitations. En outre, dans certaines institutions, la politisation au moment des élections universitaires est très grande. Les candidats ne doivent surtout pas oublier de soigner les personnels et les élus étudiants. S’il y a deux candidats proches, ce sont ces deux dernières catégories qui arbitrent. Les désastreuses lois Edgar Faure (1968 ), Savary (1984 ) et Pécresse (2007) n’ont pas fini de polluer la vie universitaire.

D’autre part, l’habitude commence à se prendre de réclamer des évaluations collectives. Or, s’il est vrai que fréquemment la recherche additionne de multiples talents et compétences, rien n’est plus solitaire et personnel que l’activité de recherche. On le vit dès la rédaction de sa thèse qu’on n’écrit pas à plusieurs. Et c’est tout seul que je rédige cet article.

Il resterait d’autres points à évoquer, mais nous aurons écrit l’essentiel en insistant sur une dernière dimension.

Les procédures de recrutement dans l’université française sont trop souvent, mais pas toujours, ici opaques, là incompréhensibles, là encore marquées par des biais idéologiques.

Soyons clair : en matière de recrutement universitaire aucun système n’est parfait. Comme en matière électorale chaque procédure comporte avantages et inconvénients.

Mais en ce domaine, comme tant d’autres, on voit aisément les vertus de la concurrence et de la compétition. Imaginons, par un biais ou un autre, une esquisse de vraie concurrence entre les universités. On peut légitimement penser qu’elles chercheront à recruter les meilleurs des enseignants. Et ce pour une raison très simple et incontournable. Dans une université, les étudiants ne sont que de passage, les enseignants pour près d’un demi siècle.

L’université qui attire les meilleurs étudiants, et figure au sommet du classement de Shangai, verra par le fait même affluer nombre d’étudiants brillants qui, non seulement acquitteront le prix des études, comme on paie le prix de toute chose, mais il est vraisemblable que les meilleurs étudiants auront de très belles carrières, donc de très hauts revenus. Et ils se feront un plaisir et un devoir d’alimenter les fondations qui constituent l’essentiel du financement et des moyens colossaux des universités américaines.

Et c’est avec ces moyens qu’on peut recruter les meilleurs professeurs avec de hautes propositions salariales, qui, à leur tour, attireront les meilleurs étudiants, et ainsi de suite.

Voilà pourquoi les universités américaines dominent de façon écrasante le classement de Shanghai.

Pas parce qu’un Américain est en moyenne mieux doté intellectuellement qu’un autre, mais parce que les bonnes institutions génèrent les bons comportements et attitudes qui font à travers l’éducation la richesse des nations. Pour l’avoir compris et explicitement écrit dès la fin du XVIIIe siècle, voilà ce qui fait la grandeur et l’immortalité du père de l’économie politique, Adam Smith.

Université d’été d’Aix-en-Provence : un rendez-vous des libéraux qui a tenu toutes ses promesses

La pensée libérale et ses promoteurs sont bien vivants et actifs dans notre Hexagone, et au-delà.

Pour ceux qui en douteraient, la récente édition de L’Université d’été d’Aix-en-Provence en a apporté une preuve éclatante. Grâce aux efforts conjoints de l’IREF et de l’IES-Europe, ce rendez-vous des libéraux qui a pris longtemps le nom d’Université d’Été des Nouveaux Économistes — première édition en 1978 ! — s’est en effet de nouveau tenu dans la cité ensoleillée d’Aix-en-Provence et les locaux accueillants de sa Faculté de Droit les 20, 21 et 22 juillet dernier.

Retour sur ces trois jours.

 

Les libéraux sont toujours présents

Première bonne surprise : le nombre de participants.

On pense trop souvent que les libéraux de France pourraient tenir dans une cabine téléphonique (une expression qu’il faudra bientôt expliquer aux enfants de la génération smartphone…) C’est faux. Plus de 150 personnes ont suivi les conférences et débats tout au long de ces trois jours, et cela malgré quatre années sans Université d’été — le covid expliquant en large partie cette pause — et des absences liées à la période estivale.

Deuxième surprise agréable : les jeunes sont au rendez-vous.

C’est certes avec grand plaisir que nous retrouvons des visages bien connus, des habitués de l’Université d’été qui ont consacré toute une vie à l’approfondissement et la diffusion des idées libérales — les Henri Lepage, Jacques Garello, Philippe Nemo, Max Falque, Mario Rizzo, Jean-Philippe Delsol, Steven Davies, Jean-Philippe Feldman, George Selgin, David Schmidtz, Enrico Colombatto et bien d’autres encore.  Mais c’est un plaisir tout aussi grand de découvrir des visages nouveaux. Et, pour beaucoup, jeunes.

Au-delà du croisement des générations, c’est la diversité des provenances qui surprend.

Ici, l’économiste côtoie le philosophe, le juriste, l’historien, le sociologue, le scientifique et l’homme d’affaires. Mais encore, profitant du travail d’IES-Europe qui depuis 1989 parcourt l’Europe pour introduire les jeunes étudiants et jeunes think-tanks à la pensée libérale, le Français échange avec l’Italien, le Polonais, le Roumain, l’Ukrainien, l’Anglais, le Marocain, l’Américain, l’Égyptien, le Tchèque ou le Suisse. On ne peut s’empêcher de penser aux lettres rédigées par Voltaire à son retour d’Angleterre, dans lesquelles il s’émerveillait de l’ouverture et de la tolérance qu’il avait observées dans un pays imprégné des principes de liberté.

L’ambiance, vous l’aurez compris, était donc autant festive qu’estivale.

Elle n’en était pas moins studieuse pour autant du fait, entre autres, de la qualité des intervenants qui, tour à tour, ont partagé leurs analyses du thème choisi pour cette nouvelle édition de l’Université d’été.

J’ai déjà cité quelques-uns des « anciens » parmi ces intervenants, mais nous avons aussi bénéficié des apports de nombreux chercheurs de plus jeunes générations.

Pour me limiter qu’aux Français, nous avons eu la chance d’écouter Pierre Bentata, Nathalie Janson, Yorick de Mombynes, Emmanuel Martin, François Facchini, Nicolas Lecaussin, Renaud Fillieule, Nikolai Wenzel, Elisabeth Krecké, Antoine Gentier, Daniel Dufort et encore Erwan Queinnec.

 

Comment gérer les crises

Mais quel était le thème central de cette Université d’été ?

Il était incontestablement d’actualité : comment gérer les crises qui frappent nos sociétés, et comment, si possible, les prévenir !

Vaste thème ! On pense évidemment à la crise du covid, aux crises financières, à la crise des finances publiques, aux crises monétaires, aux questions liées à l’environnement, à l’énergie, au réchauffement, ou encore à des crises culturelles (paternalisme, wokisme, intégration…), ou aux crises que pourrait engendrer le développement de nouvelles technologies comme l’intelligence artificielle. Chacune de ces crises — avérée, potentielle ou fantasmée — a fait l’objet d’une session et de débats animés par les intervenants, nourris par les questions des participants.

Il est impossible en quelques lignes de rendre compte ici de la richesse de ces échanges.

Fort heureusement, des comptes rendus détaillés sont déjà disponibles en ligne, et les textes de la plupart des interventions seront publiés dans le prochain numéro du Journal des libertés. Les enregistrements vidéo des débats seront également prochainement disponibles sur les sites de l’IREF et d’IES-Europe. De quoi occuper nos soirées automnales et hivernales !

 

Trois enseignements

Pour le lecteur impatient, voici toutefois trois des nombreux enseignements que j’ai tirés de ces débats.

Le premier est que l’on doit savoir reconnaître une situation de crise.

Savoir affronter le risque plutôt que de l’ignorer est un trait de l’esprit libéral. Malheureusement, le déni est en train de devenir une spécialité européenne. On essaie de cacher la crise sous le tapis. On fait comme si le risque pouvait s’effacer d’un coup d’éponge. C’est ce que l’on a pu voir par exemple avec l’aujourd’hui célèbre « quoi qu’il en coûte ». Agir de la sorte ne résout bien évidemment rien et annonce des crises à venir plus sévères et plus générales.

Le deuxième enseignement, lié au premier, est que la crise est un appel à la prise de décision.

Les mots « crise » et « discernement » partagent d’ailleurs la même racine. D’une certaine façon, c’est à travers les crises que l’on affirme sa volonté, que l’on redéfinit sa motivation, que l’on trace un nouveau cap compatible avec notre objectif de long terme. La crise peut être salutaire si l’on sait identifier ses causes profondes et si l’on a le courage d’en tirer les enseignements. Rêver d’un monde sans crise n’est pas plus que cela : un rêve ! Mieux vaut apprendre à les affronter avec sérénité.

Ce qui conduit directement au troisième enseignement.

Pour bien gérer une crise, et savoir éventuellement la prévenir, il faut une connaissance adéquate. Or, cette connaissance ne se limite pas, loin de là, au savoir des experts — un savoir qui est d’ailleurs bien différent de ce que l’on imagine trop souvent. Pour bien faire face à la crise, il faut pouvoir mettre en œuvre les connaissances locales ; il faut un cadre décisionnel qui favorise les initiatives personnelles et collectives ; il faut aussi — c’était notre premier point — admettre que l’on fera inexorablement des erreurs, mais que celles-ci nous permettront de construire de meilleures solutions. Une recommandation du Prix Nobel Elinor Ostrom m’est revenue souvent à l’esprit au cours de ces débats : Think globally, act locally ! Les solutions à des problèmes globaux passeront par des initiatives locales.

 

C’est pourquoi une société libérale, respectueuse des libertés individuelles et du principe de subsidiarité, et non paralysée par le principe de précaution, sera bien mieux équipée pour éviter et pour gérer les crises.

Et c’est également pour cette raison que nous avons tiré un réconfort certain en constatant tout au long de cette Université d’été que, bien loin d’être en crise, le courant libéral est bien vivant et bien fort. Nul doute que la prochaine édition de ce rendez-vous estival confirmera cet élan si nécessaire pour l’avenir de tous.

Être de gauche rend intolérant et peu généreux ? C’est la conclusion de ces chercheurs

Les personnes de gauche et, plus généralement, les interventionnistes de tout bord, sont les premiers à revendiquer les valeurs de tolérance et de générosité. En particulier pour cette dernière valeur, le fait de vouloir utiliser l’État à des fins sociales est présenté comme gage de générosité. Les politiques sociales sont bonnes par nature, les autres égoïstes.

Pourtant, comme le montrent les études universitaires, ce sont les gens de gauche – ou, il faudrait absolument préciser, les étatistes – qui sont les moins tolérants et les moins généreux.

 

L’intolérance, une valeur de gauche ?

« L’intolérance est une maladie contagieuse car elle contamine toujours ceux qui la combattent » disait Raymond Aron. La phrase pourrait s’appliquer à la gauche française qui a fait de la lutte contre l’intolérance un de ses chevaux de bataille. C’est particulièrement sensible en 2021 avec le virage woke et identitaire pris par cette même gauche.

Pourtant, à en croire Anne Muxel, sociologue et directrice de recherches au Cevipof, cette gauche se révèle largement moins tolérante que la droite.

Anne Muxel a mené une étude sociologique pour voir comment les personnes de droite et de gauche réagissaient face à des personnes proches ne partageant pas leurs idées. Le constat a été sans appel : les personnes se disant de droite se montrent beaucoup plus tolérantes que celles se déclarant de gauche. Ce qui explique cette plus grande tolérance de la droite, c’est sa culture de la liberté, et donc l’influence libérale, à en croire Anne Muxel dans son ouvrage Toi, moi et la politique, amour et conviction.

La sociologue résumait ainsi les conclusions de ses travaux sur France Inter :

Ça a été une surprise pour moi dans la mesure où les valeurs de tolérance, de respect de la différence, du respect de l’autre font partie d’une culture en tout cas revendiquée par la gauche. Pourtant il y a une plus grande difficulté pour les personnes qui se classent à gauche d’accepter la divergence politique dans la sphère privée […] La culture de la droite suppose la liberté, la liberté de l’autre de penser, de vivre et d’être comme il veut. Cela suppose une plus grande ouverture.

 

La forte corrélation étatisme et racisme

Ces travaux français trouvent un complément avec l’étude américaine de James Lindgren, célèbre juriste à la Northwestern University.

Dans ce papier, l’auteur s’intéresse aux motivations des tenants de la redistribution et des anticapitalistes (« What Drives Views on Government Redistribution and Anti-Capitalism: Envy or a Desire for Social Dominance ? » , mars 2011, Northwestern Law & Economics Research Paper No. 06-10 & 29). Les conclusions sont édifiantes : plus on est raciste, aigri, solitaire ou peu généreux, plus on est en faveur de la redistribution des richesses et de l’anticapitalisme.

Plus précisément, James Lindgren a analysé 25 années de données du National Opinion Research Center, l’un des centres de recherche en sciences sociales les plus respectés aux États-Unis. À partir de ces données, il a tenté de corréler idées économiques et politiques avec le racisme ou l’intolérance. À chaque fois, une même corrélation, nette : plus on est raciste et intolérant, plus on favorise la redistribution et plus on hait le capitalisme libéral. La corrélation n’est évidemment pas parfaite (qui affirmerait une relation aussi basique ?) mais il existe un lien fort et récurrent. Même si l’on prend en compte l’éducation, le revenu, l’âge ou le sexe, le lien persiste entre socialisme et racisme/intolérance.

 

Le socialisme rend aigri ?

Autre conclusion intéressante de l’étude, les socialistes semblent être plus aigris : les tenants les plus ardents d’une politique de redistribution ont jusqu’à trois fois plus de risque que la moyenne d’avoir été en colère dans la semaine précédant le sondage.

De même pour la tristesse, la solitude ou la mélancolie. À l’inverse, les opposants à la redistribution ont quatre fois plus de chance de déclarer être heureux ou satisfaits ! Les socialistes (au sens de tenants de la redistribution à nouveau) déclarent en outre que leurs colères, outre qu’elles sont plus nombreuses, sont aussi plus longues. Ils admettent deux fois plus que la moyenne qu’ils ont répondu à cette colère en planifiant une vengeance.

Pour parfaire le tableau, socialistes et anticapitalistes se disent moins heureux, avoir moins de mariages heureux, être moins satisfaits de leur situation financière ou de leur emploi, et ce même en corrigeant des différences de revenu, sexe, etc.

Enfin, socialistes et anticapitalistes déclarent bien moins que les opposants aux politiques sociales de redistribution avoir un comportement altruiste ou donner régulièrement à des SDF. En résumé, radins, racistes et intolérants les socialistes et les anticapitalistes, à en croire cette étude académique !

Ces résultats d’une étude sociologique se retrouvent sans surprise confirmés par l’étude de la générosité respective des personnes de droite et de gauche.

 

La générosité, une valeur libérale, et non étatiste ou « de gauche »

Arthur Brooks est docteur en économie, spécialiste des sciences sociales et d’économie comportementale. Dans Who really cares (Basic Books, 2006), il étudie les comportements respectifs des conservateurs et des liberals américains (socialistes en anglais) en matière de générosité1.

Ces deux positions ont une traduction concrète dans le comportement des individus qui s’en revendiquent2 : ceux qui « pensent que le gouvernement devrait mener une politique de redistribution plus forte » donnent… nettement moins à des associations ou aux moins fortunés que ceux qui veulent réduire le rôle de l’État. Cela alors que les premiers ont un revenu supérieur de 6 % aux seconds.

Là encore, c’est la culture individualiste qui explique en grande partie cette différence de générosité en fonction des opinions politiques. Ceux qui font confiance à l’individu, et non à l’État, pour aider autrui donnent plus. Ceux qui en appellent à l’action de l’État donnent nettement moins et se reposent sur les autres pour aider les moins fortunés. Ils n’ont aucun droit à revendiquer la notion de générosité dont ils parlent, mais qu’ils ne mettent pas en pratique.

On retrouve exactement le même schéma pour le don du sang : les gens de droite donnent nettement plus souvent leur sang que les gens de gauche. Si les gens de gauche et du centre donnaient autant que ceux de droite, il y aurait 45 % de don du sang en plus aux États-Unis selon Brooks ! (« If liberals and moderates gave blood at the same rate as conservatives, the blood supply of the United States would jump about 45 percent. »)

Une autre comparaison intéressante qui vient à l’appui des conclusions d’Arthur Brooks est celle entre les États-Unis et le Canada. Comme l’écrit Martin Massse (depuis le Canada) :

« On pourrait croire qu’une société comme le Québec, où les mots solidarité, équité et compassion sont sur toutes les bouches, une société qui « résiste au vent froid de droite qui souffle sur le reste du continent » comme se plaisent à nous répéter nos politiciens défenseurs du « modèle québécois », est un endroit où les individus font preuve d’une plus grande générosité qu’ailleurs. Comparés à ces Anglos matérialistes et individualistes du reste du continent, ne sommes-nous pas une grande famille généreuse et tricotée serrée ?

Eh bien non. Comme des sondages et études le montrent année après année, les Canadiens sont moins généreux que les Américains, et les Québécois sont les moins généreux des Canadiens. Ils sont donc les Nord-Américains qui contribuent le moins aux œuvres de charité. Une étude du Fraser Forum de décembre 2000 (Canadian & American Monetary Generosity) qui compare tous les États américains et provinces canadiennes en termes de générosité (nombre de donateurs et montants donnés) place les provinces au bas de la liste. C’est l’Alberta, paradis du conservatisme et de la fiscalité minimale au pays, qui fait meilleure figure. Le Québec est bon dernier.

Cette réalité n’est pas si surprenante et l’explication en est fort simple. Le contribuable québécois doit supporter l’État le plus lourd sur le continent et est forcé de contribuer au financement d’un tas de programmes sociaux pour les plus démunis, dont un Fonds spécial de lutte contre la pauvreté. Logiquement, il se dit qu’il fait déjà sa part. Pourquoi donner une seconde fois à des œuvres privées, alors qu’on est déjà obligé de donner pour des programmes publics ?

Les Québécois ne sont pas plus égoïstes que les autres Nord-Américains, ils agissent de façon rationnelle dans le contexte socialiste qui est le leur. Les Albertains aussi, eux qui sont les moins taxés au pays. Ils se sentent logiquement plus responsables et contribuent donc plus à des œuvres privées.

Le résultat est cependant loin d’être le même sur le plan de la moralité. Les donateurs privés peuvent prétendre être véritablement généreux : c’est leur argent à eux qu’ils donnent, de façon libre et volontaire. Au contraire, la charité publique n’est qu’une vaste tromperie socialiste. Ceux qui y contribuent sont forcés de le faire. Et ceux qui s’en attribuent le mérite, nos gouvernants, ne sont en réalité que des bandits de grand chemin et des hypocrites. »

 

Conclusion : être de gauche rend intolérant et radin ?

Le lecteur l’aura compris, ce n’est pas tant le fait d’être de droite ou de gauche qui rendrait intolérant, radin, etc. selon moi. Les lecteurs de cet article qui seraient les plus à droite auraient ainsi tort de se réjouir de croire pouvoir attaquer ainsi le camp adverse.

Il serait en effet bien plus opportun de parler d’étatisme versus libéralisme, de société fermée vs société ouverte. De ceux qui attendent tout du Léviathan, ou de ceux qui prennent leur destin en main. De ces choix découlent largement notre attitude au quotidien, dont la générosité. Soit on demande à d’autres d’être généreux pour soi, soit on l’est pour soi-même.

À force de demander à l’État de tout faire, on finit par ne plus rien faire pour l’autre par soi-même. Aller vers toujours plus de socialisme et d’étatisme, c’est aller vers une société fermée. Le socialisme et l’étatisme, qu’ils soient de droite ou de gauche, ne mènent qu’à une société de personnes intolérantes et repliées sur elles-mêmes.

Aller vers une société ouverte implique de responsabiliser l’individu, de cesser de tout confier à l’État pour rendre le pouvoir à celui qui en est la source : l’individu. Comme certains le disent bien, « je n’ai pas trahi mon idéal socialiste en devenant libéral ».

Tout individu de bonne foi qui veut réellement l’épanouissement de l’individu dans une société ouverte et tolérante ne peut vouloir qu’une société de liberté.

Article publié initialement le 5 décembre 2021

Lire aussi :

  1. Il faut noter que l’essentiel des conservateurs américains se retrouvent dans la défense du capitalisme libéral, ce qui n’est pas le cas de la droite française.
  2. Plus précisément, les convictions politiques sont un des trois facteurs qui influent sur la générosité des individus, avec la religion et la structure familiale.

L’Université d’été d’Aix précise le projet libéral

Un article de La Nouvelle Lettre

Samedi 22 juillet : au-delà de l’économie, la culture

Les premiers temps de l’Université s’étaient occupés de la crise : quelles formes a-t-elle prises ? Comment les États y avaient-ils répondu (covid, énergie, environnement). Quel rôle ont joué les « experts » ?

La dernière journée de l’Université va s’interroger sur la façon de sortir des crises et les réformes qu’appelle la doctrine libérale « classique » : réformes économiques, en particulier concernant la monnaie et les finances publiques, réformes culturelles pour retrouver la liberté et la responsabilité des êtres humains libérés du paternalisme d’État.

 

« La mauvaise monnaie chasse la bonne »

La « loi de Gresham » explique qu’en cas de coexistence entre monnaies, la mauvaise monnaie est celle qui circule le plus couramment, parce que les gens gardent la bonne monnaie, qui leur paraît plus fiable et mieux conserver sa valeur à plus long terme : on préfère avoir des pièces d’or plutôt que des billets de banque.

Or, nous vivons une coexistence de monnaies très impressionnante : la monnaie bancaire traditionnelle (Georges Selgin), la monnaie contrôlée par les banques centrales (Antoine Gentier) et maintenant le bitcoin, mais est-ce une monnaie ? (Yorick de Montbynes).

D’autres communautés de paiement inventent des monnaies globales indépendantes des États (Henri Lepage). Il faut toutefois ne pas sous-estimer les dégâts que peuvent créer les États, et en particulier l’Union européenne (B. Lyddon).

 

Les réserves fractionnaires, pour ou contre ?

Le système bancaire moderne a sans doute fait son apparition à Sienne, avec la Monte dei Paschi1.

Certes, les banquiers de Florence avaient déjà inventé le billet de banque, parce qu’il est plus sûr de régler les transactions avec des billets qu’en transportant de l’or. Mais la valeur des billets était intégralement couverte par l’or détenu dans la banque.

Mais peut-on imaginer que le billet ne soit pas couvert à 100 % par de l’or ? C’est ce qu’on appelle des réserves fractionnaires. Parmi les actifs de la banque ne figurent plus seulement du métal précieux, mais aussi des titres de crédit. C’est ce qu’a fait la banque de Sienne.

La pratique va se généraliser au point que l’on dira « les crédits font la monnaie », et au XXe siècle on parlera de « multiplicateur monétaire ». Avec l’expansion du commerce mondial et la révolution industrielle les réserves fractionnaires sont de plus en plus contestées, et au XIXe siècle une forte controverse oppose partisans du free banking du currency banking : laisser les banques responsables de leurs émissions ou les réglementer. Aujourd’hui la réglementation l’emporte, mais est-ce justifié, et où est le progrès ?

Les adversaires des réserves fractionnaires identifient quatre risques que les banques font courir à leurs clients et à la communauté :

  1. La fraude
  2. La fragilité
  3. L’inflation
  4. Les cycles

 

Murray Rothbard explique que l’or déposé par les clients à la banque ne devient pas la propriété de celle-ci. Il s’agit d’un simple contrat de dépôt, et le déposant n’a pas le droit d’utiliser ce qui lui est confié.

Adam Smith lui-même avait déploré la mauvaise posture dans laquelle une banque se met, et qui peut se terminer en faillite (il a été impressionné par la faillite de la banque du Canada en 1867). On relie aussi la liberté bancaire à l’inflation, parce que les banques peuvent être menacées d’une soudaine demande de liquidités, et n’ont pas les actifs suffisants. Elles émettent donc de la monnaie en accordant des crédits à n’importe qui (le « malinvestissement » de Hayek).

L’inflation expliquerait à son tour les cycles économiques, le taux d’intérêt monétaire étant décalé par rapport au taux d’intérêt réel.

En fait, l’histoire montre juste le contraire. Durant les périodes de crise observées aux États-Unis et en Angleterre, ce sont les États où les banques sont libres qui échappent à la crise, et la grande dépression de 1929 a bien été aggravée par la politique de Hoover.

En fait, c’est Mises qui indique la solution : il faut faire la distinction entre crédit transféré, et crédit créé. La banque n’a pas le droit d’accorder un crédit sans gage sur une richesse actuelle ou future, la monnaie et le crédit sont indispensables pour entreprendre et réussir. C’est la responsabilité de la banque de veiller à la qualité de la monnaie qu’elle émet. Dans un climat de libre concurrence, c’est la clientèle qui se prononce sur les choix bancaires.

 

La « fiat money » crée l’inflation

Depuis la fin de la Première Guerre mondiale, la réglementation bancaire n’a cessé de s’imposer, on en vient à admettre que la monnaie n’est pas la création des banques mais bien de l’État.

La monnaie est un droit régalien qui rapporte d’ailleurs un « droit de seigneuriage » comme on disait jadis. C’est l’État qui dit ce qu’est et ce que doit être la monnaie « fiat money ». Donc, tous les systèmes bancaires sont sous la coupe des banques centrales, qui n’ont aucune indépendance par rapport aux autorités politiques. Elles n’ont de banques que le nom.

Les chiffres sont a priori très inquiétants.

Entre 2004 et 2023 le bilan de la BCE a été multiplié par sept. Le prix de l’or a été multiplié par six : le cours des actions en bourse a augmenté parallèlement. Tout cela ne signifie pas que les affaires marchent, mais que la valeur du dollar baisse, puisque c’est en monnaie américaine que toutes ces données sont calculées.

La question de fond est donc celle d’un système monétaire mondial fondé sur une monnaie dépréciée. Mais la situation ne saurait durer, la suprématie du dollar est déjà bien entamée, pour une raison fondamentale : les États-Unis ont perdu leur domination économique.

L’activité économique et surtout l’industrie se sont déplacées vers l’Asie : ce déplacement se chiffre à environ un tiers.

Dans ces conditions, l’émission d’une monnaie sans contrepartie réelle revient à distribuer des « faux droits », comme disait Jacques Rueff. Cette erreur n’est pas propre aux États-Unis, les Anglais ont aussi voulu soutenir la livre, mais ont dû très vite renoncer : les « dévaluations compétitives » sont un rêve.

Or, la réaction des États va exactement en sens contraire : ils renforcent leur règlementation et détruisent le marché, et ils croient échapper à l’inflation en comparant les prix.

C’est ce qui s’est produit à Rome avec l’émission de pièces sans un gramme d’or ni d’argent, la face de César n’a pas été suffisante pour accorder le moindre crédit à la pièce.

C’est ce qui s’est passé avec les assignats de la Révolution française, gagés sur des « biens nationaux » dont les états généraux avaient pensé qu’ils seraient suffisants pour rembourser une dette publique volontairement sous-évaluée par Necker.

C’est ce qui s’est passé avec l’Allemagne nazie, multipliant par des milliards le prix d’un timbre poste.

Et, dans tous ces cas, les États ont cru bon de lutter contre l’inflation par le contrôle des prix. Il n’y a pas plus stupide manière de lutter contre l’inflation, mais elle a pourtant traversé les siècles, et c’est ce qui se fait aujourd’hui. Contrôle des prix et réglementation des marchés débouchent sur la pénurie2, le marché noir, la spéculation et la corruption, et finissent par détruire la société.

 

Les faces cachées du bitcoin

B majuscule c’est le système monétaire, b minuscule c’est l’unité monétaire qui circule dans le système. 19 millions de bitcoins sont en circulation aujourd’hui, voilà 14 ans qu’on pronostique la disparition de cette monnaie. Le bitcoin doit son succès à ses trois dimensions : technique, économique, sociale.

La technique de Bitcoin garantit à ses usagers une sécurité absolue. Il n’est pas piratable, il n’est pas duplicable, il n’est pas identifiable (on ne peut connaître quelque chiffre ou identifiant), il résiste à l’État (au point que certains États et l’Union européenne voudraient créer leur propre bitcoin – ce qui est évidemment stupide), et sa technique n’a cessé de s’améliorer.

Du point de vue économique, le bitcoin a-t-il toutes les caractéristiques d’une monnaie ?

Certes, il n’est pas un moyen d’échange universel et intemporel. Mais il a quelques qualités qui le rapprochent d’une excellente monnaie : d’une part il est très coûteux à produire (comme les métaux précieux), d’autre part il est l’objet d’un marché (ce qui correspond à l’exigence dévoilée par Carl Menger : il fait l’objet d’une demande, celle de liquidité absolue (il est donc marketable). Il a aussi un horodatage précis, ce qui facilite les contrats, mais cette qualité contractuelle est décentralisée, elle ne concerne que les parties au contrat. Le bitcoin accélère les échanges, et évite des transports et des transferts, ce qui diminue tous les coûts et les prix.

Du point de vue social, le bitcoin dépolitise la monnaie : les États n’ont rien à y voir, même s’ils le veulent. Cette monnaie s’offre aussi aux pays les moins développés, et leur permet de participer à un échange mondial sans coût. Le bitcoin diminue la criminalité, parce qu’il n’y a pas de transaction frauduleuse et la corruption est impossible. L’avenir de Bitcoin est assuré, mais ses organisateurs (ignorés évidemment de tout le monde) ont fait part de leur intention de limiter la quantité de bitcoins à 21 millions. Il est donc conseillé d’en acheter le plus vite possible, dans quelques mois, le bitcoin neuf vaudra moins cher que le bitcoin d’occasion !

 

La « global money », une communauté de paiement professionnelle

Le désordre monétaire mondial a certes créé des monnaies parallèles comme le bitcoin, mais il a aussi amené les professionnels à trouver des modes de paiement sans passer par les monnaies officielles.

De nombreux groupes industriels, financiers, commerciaux sont en relation permanente, d’autant que leurs activités sont très diversifiées : une holding peut se développer dans l’automobile, le tourisme, la recherche médicale ou le spectacle. Il suffit pour ces professionnels d’avoir des comptes courants ouverts dans un certain nombre de banques (par exemple, en France, Paribas ou la Société Générale). Ces professionnels se font mutuellement crédit, sachant qu’ils seront sûrement payés en temps et en valeur voulus. Cela représente un volume d’affaires considérable, de plusieurs milliards de dollars (mais précisément personne ne veut être réglé en dollar). Cette masse de transactions n’apparaîtra dans aucune statistique monétaire, et cependant les paiements auront été faits. C’est un nouvel exemple de création monétaire à partir de purs titres de crédits.

Ce système est vieux comme le monde et rappelle deux choses importantes : d’une part le crédit est né avant la monnaie, l’être humain a été amené à intégrer le temps dans ses calculs, même si « le temps appartient à Dieu » ; d’autre part la monnaie est reçue comme telle au sein d’une communauté de paiement plus ou moins large. Cela s’est vu depuis les banques temples sumériennes3. Cette procédure est-elle celle de l’avenir ? Certains craignent que le club « fermé » soit tenté d’avoir un poids politique mondial, comme certains le prônent à Davos.

 

Une communauté d’endettement dangereuse

Si quelques grandes holdings constituent des communautés pour faciliter les échanges mondiaux, les pays de l’Union européenne ont imaginé une communauté de nature à accroître l’endettement public.

L’instrument commun est le budget européen.

L’objectif est de réaliser plus vite la transition énergétique, priorité des priorités, mais aussi les barrières protectionnistes, et enfin les équipements publics. L’important est de transformer les déficits publics en investissements publics : une transformation du court terme en long terme. Le court terme, ce sont les ressources retirées des impôts et autres prélèvements obligatoires, le long terme, ce sont tous les bienfaits attendus en termes de décarbonation, de réindustrialisation, de relance agricole, de bien-être des citoyens européens.

C’est l’Europe-providence qui prend le relais des États-providence.

Les principes et les institutions sont déjà en place pour effectuer cette transformation. Évidemment tout sera contrôlé par la Commission, elle établit le Plan de Cohésion Politique de l’Union, avec le CPR (commom provisions régulation) le fonds européen de Développement Régional (ERDF), et le Fonds de Transition Appropriée (JTF). À Bruxelles, on aime la réglementation et la bureaucratie.

C’est aussi une machinerie à encourager la dépense publique, et de deux manières : les pays déficitaires peuvent toujours arguer de dépenses nouvelles parce qu’elles s’inscrivent dans le cadre du projet d’investissement européen, et ils peuvent dès aujourd’hui obtenir des avances sur leurs investissements futurs.

Évidemment, il n’y a aucune justification à de telles initiatives, sinon de donner à Bruxelles un pouvoir encore plus élargi.

Il faut instaurer le jacobinisme européen et en finir avec le régionalisme (à la mode française, la meilleure façon de renforcer le pouvoir central c’est d’organiser la décentralisation, qui masque seulement la déconcentration).

Mais il existe malheureusement des pays « frugaux » qui sont supposés contribuer davantage aux provisions en vue de financer la planification écologique. Pologne, Hongrie et autres pays d’Europe centrale et Baltique sont devenus de « mauvais Européens » aux yeux de la présidente Ursula von der Leyden.

Enfin, et non le moindre, les pays les plus attachés à la doctrine Delors sont pris au piège financier, ils doivent promettre de réduire leurs déficits de mauvais européens. Pologne, Hongrie et Pays-Bas sont réputés pour leurs dettes, et l’on a vu le gouvernement français demander à l’Europe un ralentissement de la transition énergétique : un comble !

En fin de compte, il n’y a aucune illusion à se faire : la voie dans laquelle s’engage l’Union européenne est celle du gaspillage des fonds, c’est-à-dire de nouveaux sacrifices pour les contribuables européens et de nouvelles réductions des libertés personnelles.

 

La culture malade de l’éducation

On peut se demander pour quelles raisons les erreurs économiques et la réduction des libertés personnelles se multiplient sans réaction massive des peuples concernés. C’est que toute crise a une dimension culturelle (Jean-Philippe Delsol). Or, la culture se forme dans le système éducatif, en échec total (Philippe Nemo).

 

La culture de la peur et du grand remplacement

Comme il a été rappelé dès les premiers instants de l’Université, la crise est inhérente aux erreurs commises, et les erreurs sont la rançon de la nature de l’être humain : perfectible mais faillible.

Étymologiquement, la crise est une tragédie, un drame qui oppose Antigone et Créon (le bien et le mal s’opposent, mais coexistent). S’ouvre alors la période de la démesure, de la facilité, et finalement du recours à la contrainte, c’est-à-dire à l’État qui en a le monopole. La seule issue possible est la résistance, comme l’a rappelé Albert Camus. Il faut faire preuve de discernement, passer tout évènement au crible de la raison, éviter la démesure. Cicéron plaide pour « la balance » (In medio stat virtus). Il faut revenir à la justice, qui n’est pas égalité, mais la rémunération de chacun à son dû. C’est l’objectif que l’on peut atteindre à travers le marché et à travers la démocratie. Cela a un autre nom : la sagesse.

Or, la sagesse a fui l’Occident, et en particulier la jeunesse de l’Occident.

La jeunesse refuse la vie en société, elle est aveuglée, elle est pessimiste. Tous les canons de la peur hantent son esprit, les suicides et la drogue traduisent la tragédie, on ne pense qu’aux inégalités dont sont victimes les femmes, aux menaces pour la planète, pour la santé, alors même que la réalité mondiale est tout autre.

La réalité, c’est l’accroissement spectaculaire de la population et de la prospérité mondiales en deux générations.

Les résultats de cet aveuglement sont le désenchantement, le rejet de la raison (bien qu’on ne cesse d’évoquer le siècle des Lumières), l’absence d’une culture commune au sein des États, et sans doute parce que ceux-ci ont échoué à s’adapter à la mondialisation. On voit se répandre une idéologie du remplacement (tout changer, wokisme), on veut réécrire l’Histoire, en oublier les grandes leçons pour s’arrêter à des détails sans intérêt.

Le processus de déculturation conduit à la décivilisation, au gaspillage du libre arbitre.

 

Une éducation sinistrée ne transmet plus la culture

Il y a sans doute une composante structurelle à la crise culturelle actuelle. En effet, elle tient à la nature des êtres humains.

Mais il y a aussi une composante conjoncturelle : la culture n’est plus transmise. Ce n’est pas celle de l’Occident qui est en cause : elle a derrière elle la fierté de plusieurs dizaines de siècles.

C’est que cette culture humaniste n’est plus enseignée aujourd’hui. De la sorte nous produisons de jeunes sauvages (surtout dans les communautés immigrées) qui n’ont pour idée que de détruire. Cela rend évidemment impossible toute vie en société, qui ne peut subsister, comme le dit Hayek, que s’il existe des règles de comportement respectées parce qu’inscrites dans un ordre spontané. Il n’y a rien de plus traditionnel que la tradition. Et la tradition ne s’accommode pas du multiculturalisme.

Pourquoi la transmission de la culture ne se fait-elle pas ?

À cause de changements profonds : mondialisation, immigration, explosion de la famille (familles monoparentales, travail des femmes), numérique, climat.

La situation actuelle tranche avec ce qui se faisait durant les siècles précédents, puisque la culture se transmettait de génération en génération à travers l’Église, les monastères, les paroisses, et surtout les familles. Aujourd’hui, les médias diffusent un mythe collectiviste. Mais c’est surtout le système scolaire qui est déshérité. D’une part, la qualité des enseignants s’est dégradée : syndicalisme et politisation l’expliquent ; d’autre part, la liberté scolaire a été réduite à néant, pas de concurrence, pas de création, un mammouth bureaucratique.

Alors, que pourraient faire des libéraux pour transmettre la culture ?

Il faut en revenir aux humanités, c’est-à-dire à la littérature, à l’histoire, à l’art. Il faut retrouver et sauver le patrimoine culturel : musées, cathédrales et châteaux. Il faut réhabiliter le travail. Nombreux sont ceux qui s’engagent actuellement dans ces voies, ils font du libéralisme sans le savoir.

 

Discours de clôture de l’université

La tradition de l’Université est de se terminer sur la dimension éthique et humaniste du « libéralisme classique » et de confier cet exercice à une personnalité de premier plan.

La personnalité ne pouvait être que le professeur Mario Rizzo, venu à Aix très souvent depuis trente ans, qui a enseigné à NYU (New York Uny), temple de l’économie autrichienne avec Israel Kirzner), et à l’Université de Chicago, auteur d’ouvrages fondamentaux comme Economics of Time and Ignorance en collaboration avec Richard Langlois. Quant au sujet de son discours il s’agit de la « Psychologie antipaternaliste de William James »

Il est indiqué aux lecteurs de La nouvelle lettre que d’autres sessions de l’Université n’ont pas trouvé leur place pour l’instant dans notre présentation, mais elles apparaîtront dans un prochain document avec la référence aux interventions de R. Nechita, Nouh El Harmouzi, N. Lecaussin, D. Dufort, C. Nasuela, D. Mursa, S. Mascalon & S. Sepe, Sir S.Kamall, C. Johnson, F. Facchini, D. Piana, A. Mathieu, S. Beraldo, A. Slomka-Bolebiowska, Elizabeth Krecké, E. Martin, N. Wenzel, Ph. Dapprich, D. Gobartenko, P. Bentata, J-P. Chamoux

 

La psychologie antipaternaliste de William James

William James n’est pas un économiste, mais un psychologue. La psychologie a fait une entrée remarquée dans la science économique, elle partage avec l’école autrichienne, et ce qu’on appelle les  libéraux classiques, l’importance que l’on doit attribuer au comportement humain. Ce comportement ne se réduit pas à l’utilité ou à la rentabilité, mais il dépend des libres choix individuels, des appréciations personnelles que chaque acteur économique, producteur ou consommateur, devrait pouvoir faire en toute liberté.

C’est ici que la psychologie intervient.

En effet, les individus sont influencés par le paternalisme, qui réunit l’autonomie individuelle. William James proteste contre certaines interventions publiques qu’il juge scandaleuses.

Ainsi, l’État du Massachussetts interdit d’être soigné par quelqu’un qui n’est pas diplômé en médecine. Non seulement c’est la liberté de l’individu de choisir ses soins, mais l’expérience personnelle lui a peut-être prouvé que ces soins sont plus efficaces. Un autre exemple est donné lorsqu’après la Deuxième Guerre mondiale, les États-Unis ont voulu faire des Philippines la copie de la société américaine. Ils ont vanté les vertus de courage, d’honnêteté, de solidarité des Américains (à démontrer) et ont décidé que ces vertus s’expriment dans les guerres. Ils ont donc obligé les jeunes Philippins à effectuer un service militaire obligatoire.

En réalité, le paternalisme veut décider de ce qui est bien ou mal en général, sans tenir compte que chaque individu aura sa propre conception de ce que sont le bien et le mal. C’est l’affaire du cerveau de chacun, et peut se développer à l’école.

De la même façon, le savoir est quelque chose de personnel, il dépend de l’information et de l’appréciation du temps par les individus. Et pour un même individu, ces données sont elles-mêmes variables suivant les circonstances. Donc le savoir n’est pas collectif, il se forme au contraire par la rencontre entre des personnes. Ce dont nous avons besoin, ce que nous apprenons, c’est non pas le paternalisme, mais ce que nous apprenons de nos maîtres, de nos amis, ce que nous avons fait pour réaliser nos objectifs. Ce que nous faisons aujourd’hui est plus important que ce que nous programmons pour demain. C’est un exercice intellectuel et spirituel permanent.

Cette conclusion appelle deux questions de la part de Jacques Garello  : quid de la famille ? quid du capital humain ?

La réponse est que l’apprentissage personnel est le plus important. En deuxième rang vient la famille, en troisième rang nos relations, et en tout dernier rang, et à proscrire, l’État. Quant au capital humain, il ne cesse de se former tout au long de la vie : on devrait parler de personne plutôt que d’individu parce que l’individu passe sa vie à épanouir sa personnalité.

Sur le web

  1. Cette banque avait été créée pour venir en aide aux paysans en difficulté (Monte de Pieta). Mais elle élargira ensuite son activité à tous les propriétaires fonciers de la plaine toscane
  2. On peut toujours décréter, comme monsieur Macron, que l’on doit s’adapter à la pénurie, « l’ère de l’abondance est finie »
  3. Dans le temple Cohesion Politique de l’Union européenne, la famille possède un pilier, on écrit dans la pierre les dettes et créances au fur et à mesure qu’elles naissent. Les comptes sont « courants », et l’on est sûr que les paiements seront faits, car la banque est un temple : Dieu punira ceux qui oublient leurs obligations

Congrès de Lyon. Une recherche jeune et libre face à des défis inédits

L'historien Frédéric Abécassis est l'un des organisateurs du congrès qui, du 10 au 13 juillet 2023, rassemblera à Lyon les chercheurs et chercheuses sur le Moyen-Orient et les mondes musulmans, donnant lieu à plus de 120 ateliers, débats et projections. L'occasion pour Orient XXI de faire un point sur l'état de la profession et ses enjeux.

Laurent Bonnefoy.Alors que se tient à Lyon le cinquième Congrès des études sur le Moyen-Orient et les mondes musulmans, quelle est selon vous l'importance de cette rencontre scientifique ?

Frédéric Abécassis. — C'est une rencontre bisannuelle qui est devenue un peu rituelle puisque les deux premières éditions ont eu lieu en 2015 et 2017 à l'Institut national des langues orientales (Inalco) avant d'être organisées à l'Université Paris 1 en 2019. L'édition 2021 à Aix-en-Provence avait malheureusement eu lieu en ligne. Le Congrès de Lyon qui s'ouvre le 10 juillet est ainsi notre premier congrès post-covid en France, après le forum Insaniyyat qui s'est tenu à Tunis en septembre 2022. C'est aussi ce qui explique son ampleur.

D'une façon générale, on peut dire que c'est un moment important dans la socialisation des jeunes chercheuses et chercheurs. Il offre pour nombre d'entre eux/elles une première expérience de communication dans une rencontre scientifique. Le congrès est à chaque fois un témoignage du dynamisme de cette jeune recherche, et il est important de donner à celles et ceux qui y participent le sentiment d'appartenance à une communauté professionnelle.

Par ailleurs, cette rencontre montre que la profession peut débattre librement, dans la sérénité, des questions parfois conflictuelles qui animent notre champ. Les jeunes chercheurs et chercheuses arrivent avec leurs hypothèses, tout comme les plus confirmées, les posent sur la table et les soumettent à la critique de leurs collègues. Cette démarche rend naturels la confrontation et le débat d'idées dans le champ scientifique.

L. B. Se dégage-t-il de grandes tendances, des thématiques nouvelles, qui reconfigurent le champ des études sur la région ?

F. A. — Il existe toujours une certaine tension entre ce qui fait la spécificité d'une aire culturelle, liée notamment à la barrière d'accès à une région que constitue l'apprentissage d'une langue et les approches plus disciplinaires fondées sur des enjeux épistémologiques et des problématiques spécifiques à ces approches. Pour ce congrès, nous avons collectivement souhaité mettre l'accent sur les disciplines, et en particulier faire valoir la nécessité d'une interdisciplinarité et d'un dialogue fécond entre les disciplines des sciences humaines et sociales (histoire, sociologie, anthropologie, etc.)

Beaucoup de choses se dégagent de la première journée d'accueil du congrès. Il y a d'abord un élément nouveau lié à la création en 2022 de l'Institut français d'islamologie (IFI). C'est le fruit d'un travail très long qui a été pensé en partie au sein du GIS Momm pour aboutir à ce groupement d'intérêt public spécifiquement dédié à « l'étude scientifique et non confessionnelle des systèmes de croyances, de savoirs et de pratiques propres aux différentes branches qui composent la religion musulmane ». Mais les liens demeurent étroits avec notre groupe, le GIS Moyen-Orient et monde musulman que je dirige et qui fédère une cinquantaine de laboratoires scientifiques. À Lyon, une quinzaine d'ateliers sont dédiés à l'islamologie et une des tables rondes inaugurales, organisée par l'IFI, y sera justement consacrée : s'agit-il d'une discipline spécifique ou d'un champ de la connaissance scientifique ?

Une deuxième innovation concerne la mise en place d'une structure autonome au sein du GIS, fédérant plusieurs associations de jeunes chercheurs et chercheuses. C'est à cette génération qui, du master au post-doctorat, fait vivre notre profession et la renouvelle, qu'il reviendra d'ouvrir les débats à travers un événement qu'ils ont souhaité organiser entre eux, dans l'auditorium du musée des Beaux-Arts de Lyon. La réflexion portera sur le rapport au terrain et le positionnement des chercheursses face aux enjeux, bien sûr politiques — mais pas seulement, parfois ontologiques — qu'il pose : comment suis-je perçu, qui suis-je pour parler de ce dont je parle et au nom de quoi suis-je légitime à le faire ?

Enfin, l'approche disciplinaire permet de souligner un troisième point : l'effort pour soutenir et valoriser les travaux sur l'histoire de l'art et l'archéologie. Le domaine large de l'archéologie dite islamique nous est en effet apparu en grande difficulté, notamment parce que de nombreux terrains sont empêchés soit du fait de conflits comme c'est le cas tout récemment au Soudan, plus anciennement au Yémen, en Syrie et en Libye, soit parce que l'accès est de plus en plus monopolisé par des écoles de recherche nationales comme c'est le cas en Turquie, en Iran ou même en Égypte. Bien des missions ont ainsi été contraintes de fermer. Cet état de fait impose d'imaginer de nouvelles approches, de développer des formations et de valoriser des archives ou le travail qui a été accumulé par des missions archéologiques anciennes, encore insuffisamment exploité. Cette crise n'empêche pas des signes d'ouverture et de renouvellement, par exemple autour du dynamisme de ces études dans la péninsule Arabique pour l'histoire et l'archéologie préislamique.

La conférence inaugurale sera notamment prononcée par Mercedes Volait, spécialiste du patrimoine architectural égyptien moderne. À Lyon, un travail effectué avec le Musée des Beaux-Arts depuis plusieurs années auquel elle a participé a permis d'éditer un catalogue raisonné des collections d'art islamique, dont la plus grande partie est conservée en réserves et n'a jamais été présentée au public. Et ce travail scientifique raconte une histoire lyonnaise souvent méconnue, celle des relations entre la métropole et l'Orient. Les liens entre les soyeux lyonnais et les pays musulmans sont ici redécouverts. Les collections du Musée des Beaux-Arts sont par exemple largement liées à l'envoi au XIXe siècle de missions en Orient pour y rechercher de nouveaux motifs pour la production de soieries. L'histoire de l'art permet de montrer que les échanges n'ont jamais été à sens unique, mais qu'il y a eu des interpénétrations fécondes.

L. B.Le congrès est l'occasion de décerner des prix aux jeunes chercheuses et chercheurs, notamment le prix Michel Seurat dont Orient XXI est partenaire. Que devrait-on en retenir ?

F. A. — Ce qui m'a frappé, c'est la très grande admiration des jurys (dont je n'étais moi-même pas membre) pour l'enthousiasme, l'audace, parfois la témérité, toujours les fortes intuitions, de nos jeunes chercheurses. Accumuler du savoir impose de la patience et de l'érudition. Globalement, il faut retenir l'excellent niveau de cette nouvelle génération et pour le prix Michel Seurat comme pour les prix Imomm (Islam, Moyen-Orient et mondes musulmans), le jury a tenu à souligner la qualité des travaux en cours qui lui étaient proposés en attribuant cinq mentions.

L'organisation de ces prix est également l'occasion de rencontres, de frottements, parfois de frictions, entre les disciplines. Les prix permettent de peser l'importance de chacune d'entre elles tant ils constituent une marque de reconnaissance par des jurys toujours multidisciplinaires. Le palmarès, déjà diffusé sur les sites du GIS et du congrès, manifeste l'importance des approches du quotidien, tournées vers les sociétés davantage que vers les pouvoirs. C'est peut-être ce qui caractérise aussi l'ensemble du congrès. Les enjeux environnementaux, notamment à travers la géographie, sont largement intégrés. À cet égard, se tiendra lors du Congrès une exposition sur le traitement des déchets. La résilience des sociétés et la diversité des formes de mobilisation — auxquelles les chercheuses et chercheurs se sentent liés et participent parfois, sont ainsi au cœur de ces travaux extrêmement enthousiasmants.

L. B.Quelles sont les contraintes qui s'exercent sur les métiers de la recherche sur le Moyen-Orient et le monde musulman ?

F. A. — Le congrès sera l'occasion de présenter au public scientifique le livre blanc des études maghrébines en France, fruit d'une enquête réalisée par un groupe de travail animé par Choukri Hmed et Antoine Perrier. Parmi les conclusions qu'ils avancent, certaines peuvent être généralisées. Les contraintes sont variées. Elles sont tout d'abord d'ordre intellectuel, liées par exemple à nos formations. Il est très difficile en France de se former à la fois dans une discipline des sciences humaines et sociales, d'avoir ainsi un bagage poussé en épistémologie, et par ailleurs d'acquérir une formation allant jusqu'à un fort degré d'intimité dans l'une des langues de l'aire qui nous concerne. C'est encore trop souvent l'un ou l'autre, d'autant plus que ces langues, autant que certaines disciplines, souvent perçues comme rares, sont en perte de vitesse dans le milieu académique. Il faut ainsi lutter pour continuer à faire exister les formations.

Une deuxième contrainte a trait au fait que le terrain nous confronte généralement à des sociétés qui ont été colonisées, ont des systèmes de formation académique plus récents et une certaine tendance à fonctionner en autonomie, aboutissant à des formes de cloisonnement. Chacun semble trop fréquemment évoluer sans échanger. Chacune dans son pays. Les espaces communs, par exemple les revues, manquent encore. Pour dépasser cette contrainte, la présence longue sur le terrain, chez l'un, chez l'autre, est quelque chose d'important.

Je n'aurais pas fait mes recherches en histoire sur le système scolaire égyptien si, entre 1989 et 1996, je n'étais pas resté enseignant en Égypte. Le fait d'avoir des chercheurs et chercheuses occidentaux/ales trop souvent de passage sur des missions courtes constitue un handicap qu'il faut, par-delà le cas de fermetures de terrains pour cause de guerre — on pense au Yémen, à l'Afghanistan et à la Syrie — tenter de dépasser en valorisant les liens et l'accueil entre universitaires.

L. B.Divers responsables des études aréales en France, dont vous-même, avez rédigé le mois dernier une tribune au sujet des difficultés d'obtention des visas pour les collègues étrangers. Quels sont les problèmes qui se posent ?

F. A. — Ces problèmes, on en mesure l'ampleur dès qu'on a un peu vécu dans des sociétés du Sud où la circulation ne va pas de soi et où les passeports ne permettent pas de voyager partout. L'enjeu des visas génère une inégalité supplémentaire, qui justement limite ou empêche les liens dont nous parlions plus haut. Les scientifiques hors espace Schengen, mais aussi les organisateurs de colloques ou de congrès comme celui qui s'ouvre à Lyon sont chaque fois confrontés à ces difficultés, liées aux procédures ou aux refus de visas par les consulats français ou européens ou pire, à présent, à l'autocensure et au renoncement de collègues face à des procédures coûteuses, aléatoires et trop souvent, au final, humiliantes.

Le forum Insaniyyat organisé à Tunis en septembre 2022 visait à tenter de réduire ces barrières et à faire connaitre, dans les universités tunisiennes, les recherches européennes, et inversement. Le renouvellement des réseaux scientifiques est une démarche fondamentale. À la suite de ce forum, pour le congrès de Lyon, nous avons eu beaucoup de propositions de chercheurses venues du Maghreb, et ces propositions sont souvent très intéressantes. Mais pour les valoriser et permettre un échange vraiment fructueux, rien ne vaut la présence physique qui impose l'obtention de visas. Les contacts établis dans les ambassades ou grâce aux centres de recherche à l'étranger sont utiles, mais restent extrêmement chronophages et ils ne sont satisfaisants pour personne parce qu'ils créent de l'obligation là où on aspirerait à une forme de passeport académique. Cette situation génère même des positions de boycott des réseaux français dans certaines institutions tant que les procédures ne seront pas assouplies. C'est une invite à la vigilance, car cela contribue justement au cloisonnement des champs nationaux de recherche et pose donc un risque pour l'avenir de nos études et la production de connaissance.

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