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À partir d’avant-hierLa voie de l'épée

Du nouveau dans les pansements de l'âme-Le protocole 6C

Le 15 mars au soir, le grand reporter de Paris Match Nicolas Delesalle évoquait son déplacement en Ukraine au cœur de la guerre et sa rencontre avec la population en souffrance, parfois physique mais aussi et le plus souvent psychologique par le choc de l’arrivée du malheur sur leurs maisons et leurs familles. Le spectacle de ces tragédies n’est hélas pas une nouveauté.

Ce qui était plus étonnant, pour un observateur français du moins, fut la manière dont Nicolas Delesalle est lui-même intervenu en « premier secours psychologiques » devant des gens sidérés par le choc non pas en essayant de les rassurer, avec des mots gentils et l’appel au calme, mais au contraire en les « activant » cérébralement et physiquement sur des petits problèmes concrets à résoudre. Il les faisait sortir ainsi d’un stade de saturation émotionnelle -propice au développement futur de souffrances profondes et durables, les troubles du stress post-traumatique (TSPT)- pour activer le néocortex. Cela ne garantit pas l’impossibilité de développer un TSPT mais cela en réduit considérablement la probabilité. C’est d’autant plus utile que comme un garrot on peut appliquer la méthode à soi-même.

Il a alors appliqué la méthode dite des 6C mise en œuvre largement en Israël depuis dix ans par tout ceux qui peuvent être amenés à pénétrer dans les bulles de violence, à en être victimes soi-même avec une certaine probabilité et en être spectateurs à coup sûr. Cela concerne bien sûr prioritairement les militaires, policiers, soignants, secouristes, pompiers, journalistes, etc. dont c’est le métier mais de fait potentiellement tout le monde.

C’est une méthode, ou plus précisément protocole de premier secours psychologique, qui, outre l’avantage évidemment d’être particulièrement efficace (et après une dizaine d’années de large pratique, il n’y a plus aucun doute à ce sujet) mais également d’être simple. Chacun peut l’apprendre pratiquement en aussi peu de temps que les gestes de premiers secours physiques. C’est peut-être paradoxalement son principal défaut, car il démocratise ainsi des choses qui pourraient apparaître comme un monopole de professionnels souvent attachés par ailleurs à des dogmes antérieurs aux dernières découvertes des neurosciences.

Si vous pensez que les gestes de premiers secours purement physiques sauvent des vies, dites-vous que les gestes de premiers secours psychologiques sauvent des âmes et cette méthode du 6C est sans doute ce qui se fait de mieux pour cela. Je n’ai aucun intérêt là-dedans mais simplement le regret de ne pas avoir connu cela dans ma formation de soldat, cela aurait sans doute évité beaucoup de souffrances par la suite.

Pour en savoir plus voir ici ou ici ou encore video 

Jouer la guerre. Histoire du wargame-Un livre d'Antoine Bourguilleau


Devant l’École supérieure de guerre à Paris, Henri Poincaré a décrit un jour la guerre comme une expérience dont l’expérience ne pouvait se faire. Il entendait par là que la présence obligatoire de la mort, donnée ou reçue, perturbait quelque peu les choses. Une équipe sportive peut se préparer à jouer un match important en jouant d’autres matchs de préparation. Une armée ne prépare évidemment pas une bataille en jouant d’autres batailles auparavant, du moins des batailles réelles. De ce fait les soldats sont condamnés à simuler la guerre lorsqu’ils ne la font pas, et à la simuler le mieux possible sous peine d’être mal préparés et donc de souffrir encore plus au contact de la réalité. Les tournois, l’ordre serré au son du tambour, les exercices sur le terrain avec des munitions «à blanc», les grandes manœuvres ne sont en réalité que des jeux où on s’oppose sans se tuer réellement, sauf accidentellement.


Ceux qui se déroulent sur des cartes s’appellent des Jeux de guerre et à c’est l’exploration de ces batailles sans morts que nous invite Antoine Bourguilleau dans Jouer la guerre. Histoire du wargame aux éditions Passés Composés. En bon historien Antoine Bourguilleau raconte d’abord une histoire, celle qui va de l’invention des premières abstractions de batailles, jusqu’aux systèmes sur carte les plus sophistiqués, civils ou militaires, en excluant les Jeux vidéo. Des Échecs aux Wargames donc en passant par les Kriegsspiel (avec un ou deux «s») pour reprendre les appellations dominantes et consacrées qui témoignent par ailleurs du retrait de la France dans ce domaine pourtant stratégique. L’auteur traite dans sa troisième partie des différents champs d’emploi des wargames aujourd’hui et même de leur conception.


Reprenons. L’idée de simuler des batailles sans en subir les inconvénients semble avoir toujours existé, mais les premiers jeux d’affrontement sont sans doute les ancêtres respectifs du Go (le Wei hai) et des Échecs (le Chaturanga) et sont contemporains de l’apparition de la pensée philosophique- c’est-à-dire dénuée d’explications surnaturelles- politique et stratégique. Ce n’est pas par hasard non plus que les jeux modernes, c’est-à-dire s’efforçant de coller autant que possible à la réalité tactique de moment, soient apparus avec la révolution scientifique et l’époque des Lumières. Il y a un lien très clair entre le développement de la pensée scientifique expérimentale et celui de la simulation militaire.


On notera aussi l’importance des amateurs passionnés. Le cas le plus emblématique est peut-être celui de l’Écossais, John Clerk, qui révolutionne la tactique navale britannique, les amiraux Rodney et Neslon ont clairement admis ce qu’ils lui devaient, sans avoir jamais porté l’uniforme ni même mis les pieds sur un navire de guerre. Il reproduisait simplement toutes les batailles navales de son temps avec des modèles réduits en bois et quelques règles simples simulant le vent, la puissance de feu et la capacité de résistance aux tirs. C’est un excellent exemple de ce que l’on appelle aujourd’hui la combinaison professionnels-amateurs (Pro-Am). Il y en aura bien d’autres par la suite, en particulier aux États unis lorsque les designers de wargames civils se révéleront plus inventifs que les institutionnels.


L’institutionnalisation du jeu de guerre est contemporaine de la «professionnalisation» des armées à partir de la seconde moitié du XIXe siècle, c’est-à-dire l’acceptation que la pratique de la guerre (au sein anglais de warfare) était une discipline et reposait comme la médecine sur un long apprentissage de connaissances stables et l’intégration permanente d’éléments nouveaux. Les différentes écoles de guerre apparaissent à cette époque et elles intègrent presque toutes des formes de simulation tactique et/ou historique qui en constituent les laboratoires. C’est une imitation du modèle qui a permis à l’armée prussienne de l’emporter sur les armées autrichienne et française sans avoir combattu depuis cinquante ans autrement que sur cartes. Un autre exemple emblématique est celui de l’US Navy de la Seconde Guerre mondiale, extraordinaire et gigantesque machinerie complexe, dont l’expérience réelle ne reposait pourtant que sur quelques combats pendant la guerre contre l’Espagne en 1898. Dans un discours à l’École de guerre navale de Newport en 1961, l’amiral Nimitz a décrit tout ce que la victoire dans le Pacifique devait aux petits bateaux en bois que ses camarades et lui faisaient évoluer sur le parquet de la salle de simulation. Tout y avait été anticipé, avant même parfois que les systèmes n’existent, tous les problèmes rencontrés plus tard dans la logistique océanique avaient été abordés. Seule l’apparition des kamikazes leur avait échappé.


Les passages sur la Seconde Guerre mondiale sont à cet égard particulièrement intéressants. C’est une époque où tous les états-majors utilisent la simulation sur cartes pour préparer leurs grandes opérations. Ces simulations n’ont alors pas fonction de prédire l’avenir, mais de permettre de mieux voir certains problèmes du présent et leurs conséquences possibles. Le plus fascinant est alors de voir l’effet Cassandre se développer presque obligatoirement dès lors que les résultats des simulations ne correspondent pas aux croyances. La préparation de ce qui sera la bataille de Midway par l’état-major japonais avec une simulation et modifiée rejouée jusqu’à ce que les résultats soient conformes au plan est désormais un classique pour illustrer ce biais.


Et puis est arrivé Charles S. Roberts, le wargame commercial et la démocratisation du jeu de guerre. Je suis pour ma part tombé amoureux des jeux de guerre en lisant la présentation de D-Day, un des tout premiers jeux d’Avalon Hill en 1961, dans Science et Vie. Désormais n’importe qui pouvait jouer à la guerre et même de plus en plus facilement concevoir une simulation tactique correcte, ce qu’Antoine Bourguilleau décrit très bien. Je m’y suis longtemps essayé pour mon plaisir personnel, en partie professionnel avant d’échouer à convaincre complètement l’institution militaire, au moins l’armée de Terre, de l’intérêt du wargame sur carte.


La lecture de Jouer la guerre et de toutes les expériences faites à l’étranger qui y sont décrites, celle des historiens militaires britanniques en particulier, le renouveau de l’édition et de la créativité française avec Nuts publishing et des auteurs comme Pierre Razoux m’ont incité à retenter l’expérience.


Il se passe à nouveau beaucoup de choses dans ce domaine et l’auteur lance de nombreuses pistes. Le retard des forces armées françaises dans ce domaine n’est pas une fatalité. La remarquable manœuvre qui a permis la victoire de la Marne en septembre 1914 et donc changé le cours de l’histoire n’aurait sans pas été possible sans les nombreux exercices sur carte que Joffre avait imposé aux états-majors des cinq armées françaises juste avant la guerre. Derrière le «miracle», il y avait aussi le jeu.


Antoine Bourguilleau, Jouer la guerre. Histoire du wargame, éditions Passés Composés, 2020, 264 pages.
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