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Donald Trump sème l’effroi au sein des dirigeants occidentaux…

Par : pierre

La scène se déroule le 10 février, en Caroline du Sud (Etats-Unis). Donald Trump est en campagne électorale pour les primaires républicaines, qu’il est désormais sûr de remporter ; et surtout pour le scrutin de novembre prochain, qui pourrait – peut-être – le faire revenir à la Maison-Blanche.

L’ancien président évoque, devant ses partisans chauffés à blanc, un de ses sujets favoris : il faut, martèle-t-il, que les Européens financent davantage à l’effort militaire transatlantique. Il raconte à cet effet une conversation – à l’évidence inventée – qu’il aurait eue avec un dirigeant du Vieux Continent. A celui-ci, qui l’interrogeait sur la protection de son pays qu’assurerait l’Oncle Sam en cas d’offensive russe, il aurait répondu : « si vous n’avez pas payé, non, je ne vous protégerais pas. En fait, je les encouragerais (les Russes) à faire ce qu’ils veulent. Vous devez payer vos factures ».

En quelques heures, la phrase fait le tour du monde et provoque un véritable séisme au sein des chancelleries occidentales. L’ancien président américain faisait déjà figure d’épouvantail dans les milieux pro-atlantistes. Désormais, les pires cauchemars de ceux-ci sont en train de prendre corps. Ils n’ont pas manqué de hanter les deux réunions majeures qui se tenaient dans les jours suivants : celle des ministres de l’OTAN, puis la Conférence pour la sécurité de Munich, fréquentée chaque année par le gotha politico-militaro-diplomatique des dirigeants occidentaux.

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Donald Trump sème l’effroi au sein des dirigeants occidentaux

Par : pierre

La scène se déroule le 10 février, en Caroline du Sud (Etats-Unis). Donald Trump est en campagne électorale pour les primaires républicaines, qu’il est désormais sûr de remporter ; et surtout pour le scrutin de novembre prochain, qui pourrait – peut-être – le faire revenir à la Maison-Blanche.

L’ancien président évoque, devant ses partisans chauffés à blanc, un de ses sujets favoris : il faut, martèle-t-il, que les Européens financent davantage à l’effort militaire transatlantique. Il raconte à cet effet une conversation – à l’évidence inventée – qu’il aurait eue avec un dirigeant du Vieux Continent. A celui-ci, qui l’interrogeait sur la protection de son pays qu’assurerait l’Oncle Sam en cas d’offensive russe, il aurait répondu : « si vous n’avez pas payé, non, je ne vous protégerais pas. En fait, je les encouragerais (les Russes) à faire ce qu’ils veulent. Vous devez payer vos factures ».

En quelques heures, la phrase fait le tour du monde et provoque un véritable séisme au sein des chancelleries occidentales. L’ancien président américain faisait déjà figure d’épouvantail dans les milieux pro-atlantistes. Désormais, les pires cauchemars de ceux-ci sont en train de prendre corps. Ils n’ont pas manqué de hanter les deux réunions majeures qui se tenaient dans les jours suivants : celle des ministres de l’OTAN, puis la Conférence pour la sécurité de Munich, fréquentée chaque année par le gotha politico-militaro-diplomatique des dirigeants occidentaux.

Pour la première fois depuis la fin de la seconde guerre mondiale, un potentiel chef du « monde libre » a menacé de laisser tomber ses alliés, voire de les « livrer aux griffes des Russes »… Bien sûr, chacun connaît le côté provocateur du personnage. D’autant que les « factures » que les Etats européens sont accusés de ne pas régler n’existent pas : Donald Trump fait en réalité allusion à un engagement (politique, non juridique) pris par les membres de l’OTAN en 2014, de porter leurs efforts militaires nationaux à au moins 2% de leur Produit intérieur brut (PIB).

Et surtout, le scénario évoqué est purement imaginaire. Mais le simple fait qu’il soit évoqué détruit la crédibilité de l’Alliance atlantique, crédibilité fondée sur l’automaticité de l’engagement militaire réciproque en cas d’agression. Si un doute apparaît, c’est cette crédibilité qui est mise à mal.

L’idée d’une « Union européenne de la défense » devient la marotte de la présente période. En clair, une structuration du complexe militaro-industriel à l’échelle de l’UE

Dans ces conditions, le secrétaire général de l’OTAN fut l’un des premiers à réagir : « toute suggestion selon laquelle les Alliés ne se défendront pas les uns les autres sape notre sécurité à tous, y compris celle des États-Unis », a martelé Jens Stoltenberg. Il a ajouté, comme pour s’en convaincre : « je suis convaincu que les États-Unis resteront un allié fort et engagé au sein de l’OTAN, quel que soit le gagnant de l’élection présidentielle ».

Josep Borrell, le chef de la diplomatie de l’UE n’a pas voulu être en reste : « une alliance militaire ne peut fonctionner au gré de l’humeur du président des Etats-Unis ». Pour sa part, le ministre polonais de la Défense – Varsovie est connu pour son attachement ultra-atlantiste – a tempêté : « la devise de l’OTAN “un pour tous, tous pour un” est un engagement concret. Saper la crédibilité des pays alliés revient à affaiblir l’ensemble de l’OTAN ».

Le président du Conseil européen a pour sa part affirmé que les déclarations de Donald Trump « ne servent que les intérêts de Poutine ». Mais comme d’autres dirigeants européens, Charles Michel a saisi l’occasion pour tenter de faire progresser « l’Europe de la Défense ». Proche de l’état d’esprit d’Emmanuel Macron, le Libéral belge a affirmé que tout cela « souligne à nouveau la nécessité pour l’UE de développer de toute urgence son autonomie stratégique et d’investir dans sa défense ». Sans employer les mêmes termes, Annalena Baerbock, qui dirige les Affaires étrangères allemandes, a abondé dans le même sens.

Un argument également défendu par le Commissaire européen Thierry Breton. Le Français, chargé à Bruxelles du marché intérieur mais aussi de l’armement, a estimé qu’on « ne peut pas jouer à pile ou face notre sécurité tous les quatre ans en fonction de l’élection américaine ». Conclusion : l’UE doit « augmenter ses dépenses en matière de défense et de capacités militaires ». Si Bruxelles considère (à regrets) que la perspective d’une armée européenne est hors d’atteinte (de même qu’une arme nucléaire de l’UE, comme l’a évoquée stupidement la tête de liste du SPD aux européennes, déclenchant un tollé, même parmi ses camarades), en revanche, l’idée d’une « Union européenne de la défense » devient la marotte de la présente période. En clair, une structuration du complexe militaro-industriel à l’échelle de l’UE.

Comment, dans ces conditions, analyser les menaces formulées par Donald Trump ?

M. Breton est cependant l’un des seuls à avoir rappelé qu’« on a déjà entendu ça » de la part de M. Trump, particulièrement lors de sa présidence, et qu’il n’y avait dès lors « rien de nouveau sous le soleil ».

En réalité, l’exigence américaine visant à faire payer plus les Européens est bien antérieure. Elle avait déjà été exprimée, certes plus poliment, notamment par Barack Obama, et reste l’un des refrains des sommets de l’Alliance. D’ailleurs, M. Stoltenberg vient de rappeler que l’engagement des 2% du PIB est désormais tenu par dix-huit des trente et un Etats membres. Berlin a longtemps été réticent quant à cet objectif ; le gouvernement Scholz a désormais levé toute réserve. Quant à la France d’Emmanuel Macron, elle prévoit d’augmenter son effort militaire pluriannuel de 40% pour la période 2024-2030 par rapport à la précédente.

Comment, dans ces conditions, analyser les menaces formulées par Donald Trump ? L’interprétation doit être double.

Il y a d’une part une certaine constance à Washington dans ses relations avec ses vassaux européens. Non pas tant dans le rééquilibrage du « fardeau financier » proprement dit, mais plutôt dans la rivalité industrielle et commerciale qui se joue en arrière-fond entre marchands de canons des deux côtés de l’Atlantique. Sous couvert d’exiger le « paiement des factures », Donald Trump escompte surtout que les pays européens augmentent leurs commandes auprès des grands groupes américains de l’armement. Un état d’esprit qui restera pressant quoiqu’il arrive.

A l’inverse, les firmes européennes espèrent bien prendre leur part dans des marchés militaires d’autant plus considérables et rentables que les tensions géopolitiques s’accroissent dans le monde. C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre les appels du président français et de quelques autres dirigeants européens en faveur d’une « souveraineté européenne ».

Il y a d’autre part une dimension liée à la campagne électorale que Donald Trump espère gagner. Il devine suffisamment le sentiment des électeurs pour avoir compris qu’une large partie d’entre eux donne la priorité aux questions intérieures, sociales notamment, plutôt que de souhaiter voir des dizaines de milliards de dollars engloutis dans des guerres ingagnables, en Ukraine particulièrement. C’est ce que les médias dominants qualifient, avec un mépris courroucé, de « tentation isolationniste » des citoyens américains.

En deux ans, l’Occident a déjà consacré environ 100 milliards d’euros au soutien militaire à Kiev. Dès lors, de leur côté, les dirigeants de l’UE seraient bien inspirés de s’intéresser à ce que pensent « leurs (propres) citoyens » de la poursuite de cette saignée monumentale, a fortiori à un moment où l’austérité budgétaire renforcée fait son grand retour.

En attendant, même hautement hypothétique, le spectre d’un prochain président américain adressant un bras d’honneur à l’OTAN terrorise Bruxelles. Ne boudons pas notre plaisir.

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Mythe de l’Europe-puissance, réalité des marchands de canons…

Par : pierre

Pacte de stabilité, politique migratoire, augmentation du budget communautaire pluriannuel, importations sans droits de douane des produits agricoles ukrainiens, élargissement, « Pacte vert »… La liste n’est pas exhaustive des dossiers sur lesquels les Vingt-sept s’écharpent, ouvertement ou plus discrètement.

Dans ce contexte pour le moins chahuté, le commissaire européen chargé du marché intérieur, le Français Thierry Breton, a-t-il trouvé un domaine qui fasse enfin consensus parmi les Etats membres ? Le 11 janvier, il a proposé de muscler l’« Europe de la Défense » – il serait plus exact de parler de l’Europe de l’armement – à travers la création d’un fonds doté de 100 milliards d’euros. La somme n’est pas tout à fait négligeable : si on la rapporte à la population vivant dans l’UE, elle représente plus de 200 euros par personne, bébés compris…

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Mythe de l’Europe-puissance, réalité des marchands de canons

Par : pierre

Pacte de stabilité, politique migratoire, augmentation du budget communautaire pluriannuel, importations sans droits de douane des produits agricoles ukrainiens, élargissement, « Pacte vert »… La liste n’est pas exhaustive des dossiers sur lesquels les Vingt-sept s’écharpent, ouvertement ou plus discrètement.

Dans ce contexte pour le moins chahuté, le commissaire européen chargé du marché intérieur, le Français Thierry Breton, a-t-il trouvé un domaine qui fasse enfin consensus parmi les Etats membres ? Le 11 janvier, il a proposé de muscler l’« Europe de la Défense » – il serait plus exact de parler de l’Europe de l’armement – à travers la création d’un fonds doté de 100 milliards d’euros. La somme n’est pas tout à fait négligeable : si on la rapporte à la population vivant dans l’UE, elle représente plus de 200 euros par personne, bébés compris…

Selon le commissaire – un grand partisan des réductions des dépenses publiques quand il était ministre des finances français (2005-2007) – il s’agit d’une part de « renforcer significativement notre base industrielle de défense » ; et d’autre part de « développer des infrastructures communes de sécurité ». Parmi ces dernières pourraient par exemple figurer le déploiement de satellites de surveillance de l’espace, des systèmes communs de défense aérienne, le possible lancement d’un porte-avion européen, ou bien des centres communs de cybersécurité.

L’achat direct par l’UE d’armements, de munitions et de matériels n’est pas autorisé par les traités. Pour contourner ce malencontreux obstacle, plusieurs fonds existent déjà, à l’image du Fonds européen de défense qui finance la recherche militaire ; du fonds baptisé ASAP encourageant les investissements des entreprises d’armement qui produisent des munitions ; du Fonds EDIP favorisant les acquisitions communes, par au moins trois Etats membres, d’équipements militaires.

On peut aussi citer la « Facilité européenne pour la paix » (sic !), un instrument plus ancien censé répondre aux besoins militaires des pays ou des régimes que Bruxelles souhaite soutenir, ce qui ne peut être fait par le budget général de l’UE. Le problème est que ce Fonds a été largement vidé par l’aide à l’Ukraine, et qu’il faudrait trouver un consensus pour l’abonder à nouveau.

Avec son projet présenté en janvier (et qui ne prendrait de toute façon pas forme avant la fin de l’année), Bruxelles souhaite subventionner les firmes productrices d’armes et de matériels qui, issues de plusieurs Etats membres, s’engageront à travailler ensemble. « Nous sommes prêts à aider les entreprises à prendre certains risques, notamment investir dans de nouvelles capacités, et ce sans nécessairement disposer d’emblée de commandes des différentes armées » a bien précisé M. Breton. En clair : risquer l’argent des contribuables pour permettre aux grandes firmes concernées d’être sures de rentrer dans leurs frais même si les commandes ne sont pas aussi nombreuses que prévu…

Les esprits chagrins pourraient observer qu’il s’agit là d’aides d’Etat, en principe pas très conformes au libéralisme prescrit par les traités. Certains gouvernements pourraient du reste brandir cet argument pour contester le projet. Mais pour M. Breton, comme pour de nombreux dirigeants européens (dont Emmanuel Macron), le jeu en vaut la chandelle.

Ladite Europe de la Défense poursuit deux objectifs : satisfaire les marchands de canons, et répondre aux fantasmes de l’« Europe-puissance »

Si aucun d’entre eux n’ose plus rêver d’une armée commune de l’UE, ladite Europe de la Défense poursuit en réalité deux objectifs : satisfaire les marchands de canons, et en particulier les soutenir face aux grands groupes américains qui lorgnent plus que jamais sur les commandes européennes ; et répondre aux fantasmes de l’« Europe-puissance », nouvel horizon mondial dont rêvent les élites de l’UE. Le 27 février prochain, la Commission précisera à cet égard sa « nouvelle stratégie de défense ».

Le premier but est d’autant plus sensible que de nombreux Etats membres n’hésitent pas à se fournir outre-Atlantique, au grand désespoir des firmes européennes (ADS/Airbus, Dassault, Thalès, KMW, Rheinmetall…).

Encore tout récemment, le ministre de la Défense bulgare était en visite à Washington puis dans les usines du géant Lockheed Martin. Sur sa liste de courses : des chasseurs F16, des véhicules de combat, des radars dernier cri, des missiles pour garde-côtes… Sofia a prévu d’y consacrer 10 milliards de dollars d’ici 2032. A noter que la Bulgarie passe pour le pays le plus pauvre de l’UE (mais aussi l’un de ceux où la proportion de la population qualifiée de « pro-russe » – en fait, anti-guerre – est la plus importante).

La Pologne avait pour sa part signé en juillet 2022 le « contrat du siècle » (avions, chars, obusiers…) avec des firmes… sud-coréennes, au grand dam des fournisseurs européens.

« Sommes nous prêts pour la guerre ? »

Quant au second but, il a encore été illustré par une déclaration, le 12 janvier, du nouveau ministre français des Affaires étrangères. Stéphane Séjourné, un très proche du président, a ré-insisté sur l’importance de l’« Europe puissance », et martelé : « le réarmement de la France passe évidemment par le réarmement de l’Europe ».

Hasard du calendrier, six jours plus tard doit arriver en librairie un essai écrit par un journaliste français spécialiste des questions militaires. Avec pour titre : « Sommes nous prêts pour la guerre ? ».

Naguère, les propagandistes de la CEE puis de l’UE proclamaient : « l’Europe, c’est la prospérité », « l’Europe, c’est la paix ».

Le deuxième slogan est désormais en passe de devenir aussi rassurant que le premier.

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Bruxelles a vécu un automne électoral chaud…

Par : pierre

Plusieurs élections nationales ont marqué l’automne 2023. Dans trois cas en particulier, Bruxelles en redoutait le résultat. En Slovaquie et aux Pays-Bas, ces craintes se sont réalisées, au-delà même de ce qui était anticipé. En Pologne en revanche, les dirigeants européens ont poussé un soupir de soulagement, mais peut-être un peu imprudemment.

Dès lors que l’on tente de comparer plusieurs élections au sein de l’UE, la plus grande prudence s’impose : les Etats membres ne sont pas des Bundesländer d’un pays unifié, et possèdent des cultures politiques très différentes. C’est du reste la raison pour laquelle il ne peut exister un « peuple européen ».

Cependant, cela n’interdit pas de repérer certains points communs parmi les récents résultats. A commencer par le succès de partis qui affichent des positions critiques vis-à-vis de l’intégration européenne. Que les auteurs de ces promesses ou discours électoraux soient sincères est une autre question. Ce qui compte ici est l’état d’esprit que les électeurs ont voulu exprimer, non la bonne foi des politiciens.

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Bruxelles a vécu un automne électoral chaud

Par : pierre

Plusieurs élections nationales ont marqué l’automne 2023. Dans trois cas en particulier, Bruxelles en redoutait le résultat. En Slovaquie et aux Pays-Bas, ces craintes se sont réalisées, au-delà même de ce qui était anticipé. En Pologne en revanche, les dirigeants européens ont poussé un soupir de soulagement, mais peut-être un peu imprudemment.

Dès lors que l’on tente de comparer plusieurs élections au sein de l’UE, la plus grande prudence s’impose : les Etats membres ne sont pas des Bundesländer d’un pays unifié, et possèdent des cultures politiques très différentes. C’est du reste la raison pour laquelle il ne peut exister un « peuple européen ».

Cependant, cela n’interdit pas de repérer certains points communs parmi les récents résultats. A commencer par le succès de partis qui affichent des positions critiques vis-à-vis de l’intégration européenne. Que les auteurs de ces promesses ou discours électoraux soient sincères est une autre question. Ce qui compte ici est l’état d’esprit que les électeurs ont voulu exprimer, non la bonne foi des politiciens.

Le 30 septembre, les citoyens slovaques ont accordé une nette victoire au SMER-SD avec 23% des suffrages, soit un bond de près de 5 points sur les élections de 2020. Ce parti, dirigé par l’ancien premier ministre Robert Fico, a été suspendu du Parti socialiste européen (dont il reste cependant membre) parce qu’il vient de former un majorité incluant le SNS, un parti de droite nationaliste (un cas de figure analogue s’était déjà produit de 2006 à 2010). Il a ainsi chassé la coalition « pro-européenne » sortante.

Si M. Fico a retrouvé son poste de premier ministre, il le doit à une campagne à forte tonalité sociale, mais aussi à son discours proposant de stopper les livraisons d’armes à l’Ukraine (un objectif qu’il a désormais modéré). A Bruxelles, on le considère comme « pro-russe », à l’instar de son homologue Viktor Orban, figure emblématique de la droite nationale hongroise. Il partage également avec ce dernier un refus de l’immigration et un attachement aux « valeurs traditionnelles » sur le plan sociétal.

Les Néerlandais ont créé une immense surprise en plaçant en tête pour la première fois le « populiste » Geert Wilders

Le 22 novembre, ce furent les Néerlandais qui créèrent une immense surprise en plaçant en tête pour la première fois le « populiste » Geert Wilders, avec 23,6% des voix. Dissident des Libéraux, son parti, le PVV s’est toujours distingué par un discours anti-islam. Mais lui aussi a mené une campagne à tonalité sociale et a plaidé pour « reprendre le contrôle » face à l’UE (l’expression avait été inventée par les partisans britanniques du Brexit) ; son programme prévoit même un référendum sur la sortie de l’UE (« Nexit »).

Dans un pays qui a donné la victoire au Non dans deux consultations concernant l’intégration européenne (2005 et 2016), plusieurs autres partis veulent également se distancier de l’UE.

A l’inverse, le dirigeant social-démocrate Frans Timmermans (photo) a dû se contenter de 15,5%, loin derrière le PVV. Il avait démissionné de son poste de premier vice-président de la Commission afin de se réinvestir dans la politique nationale et constituer des listes communes avec les écolos pour faire basculer les Pays-Bas vers une « gauche pro-européenne ». Les semaines et peut-être les mois des négociations parlementaires qui viennent de commencer diront si M. Timmermans parvient à constituer une « grande coalition » susceptible d’écarter M. Wilders du pouvoir.

Si cela était le cas, il n’est pas sûr que les citoyens néerlandais apprécieraient : parmi les thèmes qui ont déterminé leur choix figure en bonne place la « crise de la démocratie », autrement dit le sentiment de ne pas être écoutés…

Deux autres thèmes sont partagés par les vainqueurs aux Pays-Bas et en Slovaquie, pays par ailleurs très dissemblables : la dénonciation de l’immigration ; et l’arrêt de l’aide militaire à Kiev. On pourrait également ajouter un autre point commun, le refus du catastrophisme climatique. Face à M. Timmermans, ex-homme orchestre du « Pacte vert » de l’UE, le succès de M. Wilders, de même que le score du nouveau parti rural néerlandais, prennent encore plus de relief.

En Pologne, c’est un peu comme si, en France, une coalition allant de LR à la NUPES, en passant par les macronistes, avait remporté la majorité contre le seul RN

Les élections du 15 octobre en Pologne ont, elles, été saluées par Bruxelles et par la presse mainstream du Vieux continent. Donald Tusk, l’ancien président du Conseil européen (2014 – 2019), est désormais en passe de chasser le premier ministre actuel issu du Parti PiS (droite nationale conservatrice). Ce dernier est pourtant arrivé en tête du scrutin avec 35,4% des voix (- 8,2 points).

Mais M. Tusk, lui-même ancien premier ministre (2007 – 2014), et qui avait repris en 2021 la tête de son parti, PO (droite libérale conservatrice), a formé une coalition électorale avec d’une part le Parti paysan (centre) et d’autre part une alliance dominée par les sociaux-démocrates. PO a rassemblé 30,7% des voix, soit moins que le PiS, mais dispose d’une majorité absolue de députés avec ses deux alliés. Même si la comparaison est loin d’être parfaite, c’est un peu comme si une coalition allant, en France, de LR à la NUPES, en passant par les macronistes, avait remporté la majorité contre le seul RN – une victoire qui doit donc être relativisée.

Sous le gouvernement du PiS, la Pologne était, avec la Hongrie, l’« enfant terrible » de l’Union européenne. Et M. Tusk, fort de son CV européen, est donc attendu à Bruxelles comme l’homme qui va remettre Varsovie sur le droit chemin.

En fait, ce n’est pas si simple. Sur la politique migratoire, M. Tusk est clairement plus proche du chef du gouvernement polonais sortant, de Budapest ou de Bratislava, que de Bruxelles. Il argue que le pays a déjà accueilli plus d’un million et demi d’Ukrainiens depuis 2022, et s’opposera probablement à toute « solidarité » imposée par la Commission.

Quant aux questions climatiques, la Pologne, même après un changement de gouvernement, restera un « mauvais élève » parmi les Vingt-sept. Le pays est en effet massivement dépendant du charbon, tant pour les ménages que pour les industries, avec un secteur minier dont dépend l’emploi dans plusieurs régions.

A cet égard, il est à noter que les Verts polonais ne s’étaient pas sentis assez forts pour se présenter sous leurs propres couleurs : ils se sont rangés sous l’aile de Donald Tusk.

L’absence ou la déconfiture des Verts constitue une constante de tous les scrutins qui se déroulés récemment

L’absence ou la déconfiture des Verts constitue du reste une constante de tous les scrutins qui se déroulés récemment. Comme en Pologne, les écolos néerlandais n’étaient pas présents de manière distincte. En Slovaquie, ils n’existent tout simplement pas.

Quant aux électeurs luxembourgeois, qui renouvelaient aussi leurs députés cet automne (le 8 octobre), ils ont infligé aux Verts une raclée, en ne leur accordant que 8,5%, soit un score divisé par deux par rapport au précédent scrutin.

La tendance est sans doute à rapprocher de la dégringolade de leurs camarades dans deux élections régionales allemandes qui se sont tenues le même jour : ils ont perdu 3,2 points en Bavière, et 5 points en Hesse. (Pour qui s’intéresse aux sondages, une récente étude à l’échelle du continent conforte cette évolution).

C’est un immense problème pour Bruxelles qui a fait de son action environnementale sa première priorité. Mais ce n’est pas le seul. Car dans leur diversité selon les pays, les formations qui s’affichent (avec plus ou moins de sincérité…) critiques de l’intégration européenne ont gagné des voix en mettant en avant les dossiers les plus sensibles et les plus explosifs entre les Vingt-sept : outre le climat et les migrations, on peut citer les rapports avec la Russie, l’élargissement de l’UE (notamment à l’Ukraine, ce que M. Wilders combat), ainsi que l’augmentation proposée par Bruxelles du budget communautaire.

Ces trois derniers sujets sont à l’ordre du jour du sommet européen prévu pour les 14 et 15 décembre. Pour des raisons de délais, ni M. Wilders ni M. Tusk ne devraient y participer. Mais l’ombre des électeurs d’un peu partout risque de hanter les participants.

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Derrière l’affaire Scott-Morton, le dogme de la sacro-sainte concurrence ébranlé ?…

Par : pierre

Les polémiques politiques et le brouhaha médiatique se sont désormais estompés. On peut donc prendre un peu de recul sur la nomination, puis le renoncement, de Fiona Scott Morton au poste de chef économiste auprès du commissaire européen à la Concurrence, la Danoise Margrethe Vestager (à droite sur la photo).

Le 11 juillet, cette dernière annonçait qu’elle avait trouvé l’oiseau rare pour cette fonction déterminante : une Américaine issue de la prestigieuse université de Yale, spécialiste du droit de la concurrence ayant exercé ses talents au service du gouvernement Obama, puis comme consultante pour le compte, entre autres, d’Apple, d’Amazon et de Microsoft.

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Derrière l’affaire Scott-Morton, le dogme de la sacro-sainte concurrence ébranlé ?

Par : pierre

Les polémiques politiques et le brouhaha médiatique se sont désormais estompés. On peut donc prendre un peu de recul sur la nomination, puis le renoncement, de Fiona Scott Morton au poste de chef économiste auprès du commissaire européen à la Concurrence, la Danoise Margrethe Vestager (à droite sur la photo).

Le 11 juillet, cette dernière annonçait qu’elle avait trouvé l’oiseau rare pour cette fonction déterminante : une Américaine issue de la prestigieuse université de Yale, spécialiste du droit de la concurrence ayant exercé ses talents au service du gouvernement Obama, puis comme consultante pour le compte, entre autres, d’Apple, d’Amazon et de Microsoft.

Le 19 juillet, la candidate renonçait finalement face au tollé dans un certain nombre de pays – dont la France. En apparence, les arguments avancés par les adversaires de cette nomination ne manquaient pas de bon sens. Pourquoi aller chercher une citoyenne des Etats-Unis pour occuper une fonction censée défendre la « souveraineté européenne » (selon l’oxymore inventé par Emmanuel Macron) ? Et ce, alors même que les règles bruxelloises prescrivent que, sauf exception, les fonctionnaires de la Commission doivent posséder la nationalité d’un des vingt-sept Etats membres.

Et pourquoi, de surcroît, s’exposer à un possible conflit d’intérêt, puisque Mme Scott Morton a conseillé des firmes… contre lesquelles ses fonctions européennes l’auraient sans doute amenée à batailler ? C’est ce qu’Emmanuel Macron, parmi d’autres, a fait valoir, en rappelant les textes européens récents réglementant l’économie numérique notamment face aux géants d’outre-Atlantique. Le même a ajouté en substance : je saluerai un tel choix le jour où un Européen sera appelé comme conseiller à la Maison-Blanche pour le commerce international – une hypothèse qui n’est évidemment pas près d’arriver.

On pourrait faire remarquer que le maître de l’Elysée serait plus crédible si le gouvernement français ne multipliait pas lui-même les missions de conseil à l’administration nationale confiées à de grands cabinets américains, McKinsey en particulier… Quoiqu’il en soit, la plupart des partis politiques français se sont rangés sur cette ligne critique, et leurs représentants ont été à la manœuvre au sein de l’europarlement. Certaines capitales ont fait chorus, et plusieurs commissaires européens, dont le Français Thierry Breton (à gauche sur la photo), se sont discrètement désolidarisés de leur collègue Vestager.

A l’inverse, un appel signé par plus d’une centaine d’économistes, dont le Prix Nobel français Jean Tirole, ont défendu la candidate américaine en dénonçant le « régionalisme étroit » des partisans d’un recrutement européen, faisant valoir que seules les compétences importent, et que celles-ci sont à chercher sur le marché mondial. Quelques eurodéputés verts en vue se sont également insurgés contre un « esprit patriotique » déplacé.

Finalement, à Bruxelles, on a conseillé à l’universitaire américaine de renoncer d’elle-même : à un an des élections européennes, où la bulle dirigeante européenne redoute plus que tout que ne se renforcent les partis « populistes » ou anti-système, il n’aurait sans doute pas été prudent de laisser l’impression d’une Union européenne recrutant une ex-avocate des « GAFAM » (les géants américains des technologies numériques).

Enfin, les « bruxellologues » ont proposé de subtiles analyses sur les rapports de force au sein des dirigeants des Vingt-sept et de la Commission. Par exemple, d’aucuns ont vu la prise de position du président Macron comme un signal adressé à la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen. Cette dernière avait dû son poste, en 2019, à l’action conjointe de ce dernier et d’Angela Merkel. Et il se dit que Mme von der Leyen aimerait, l’année prochaine, se succéder à elle-même.

Tout cela n’est peut-être pas faux. Mais s’en tenir à ces considérations conduirait à passer à côté de l’essentiel. D’une part, l’incident a confirmé que les dirigeants européens restent partagés entre les partisans inconditionnels du rôle dirigeant de l’Oncle Sam sur l’UE et les défenseurs d’une plus grande « autonomie européenne », tant sur le plan commercial que géostratégique. Présentement – et notamment depuis le « Zeitenwende » d’Olaf Scholz – cette ligne de partage oppose plus clairement qu’avant Berlin et Paris.

Le commissaire à la concurrence a également sous sa coupe l’autorisation, ou non, des aides d’Etat

Surtout, il convient de ne pas oublier que les questions de concurrence ne se limitent nullement aux affrontements avec les géants américains du numérique : Mme Vestager – chapeautée par la présidente de la Commission – a tout pouvoir pour autoriser ou interdire les fusions et acquisitions entre entreprises dans tous les domaines économiques au sein même de l’UE. C’est ainsi par exemple qu’elle avait fait échouer le rapprochement entre Alstom et Siemens dans le domaine du ferroviaire (ce qui avait amené la firme française à se rapprocher du groupe canadien Bombardier).

Le commissaire à la concurrence a également sous sa coupe l’autorisation, ou non, des aides d’Etat. C’est ce pouvoir exorbitant qui lui permet par exemple de fragiliser les services publics – en France EDF (électricité) ou la SNCF (transport ferroviaire). Bruxelles impose ainsi à EDF de vendre à perte du courant à ses concurrents privés dont la création avait été imposée pour casser le monopole public.

La question la plus importante n’est donc pas de connaître la couleur du passeport d’un haut fonctionnaire de la direction générale bruxelloise de la concurrence… mais bien de s’interroger sur l’existence même d’une telle instance.

Depuis sa naissance en 1958, l’Union européenne (à l’époque la Communauté économique européenne) a dans son ADN la libre concurrence. Et ce principe garde de nombreux défenseurs quasi-religieux au sein de l’UE.

Les temps sont en train de changer

Mais les temps sont en train de changer. En 1992, le traité de Maëstricht renforçait l’intégration européenne au moment même où le « bloc de l’Est » s’effaçait. Cette supposée « fin de l’histoire » impliquait, comme horizon unique pour les dirigeants politiques « pro-système » la maximisation des profits des grandes firmes.

Cet objectif reste évidemment essentiel, mais, quarante ans plus tard, une nouvelle guerre froide se dessine. Et ce n’est plus seulement la Russie qui est l’adversaire désigné, mais plus encore la Chine, d’abord dans le domaine économique. Surtout, un « Sud global » émerge, certes hétéroclite, mais tenté de contester l’ambition hégémonique de l’Occident.

Dans ces conditions, un horizon prioritaire vient concurrencer celui de profit des firmes : assurer l’accès aux matière premières, aux ressources rares et cruciales, à l’énergie. Dans cette « Europe géopolitique », la sacro-sainte concurrence tout comme l’interdiction des aides publiques doivent parfois céder le pas à la constitution de « géants européens », si besoin moyennant subventions nationales.

Cela peut entraîner des remises en cause coperniciennes des dogmes fondateurs, ce qui n’ira pas sans conflit – en particulier entre Paris et Berlin (mais aussi au sein de chaque pays). Le successeur de l’éphémère Fiona Scott Morton n’aura donc pas une tâche facile.

Une tâche qui devrait s’avérer de plus en plus délicate, jusqu’à ce qu’enfin l’existence même de l’édifice communautaire soit remise en cause…

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Strasbourg, ou l’euroseur arrosé (éditorial paru dans l’édition de décembre)

Par : pierre

Panique et consternation. La petite bulle bruxelloise est en émoi depuis qu’a été révélé ce que les grands médias nomment désormais le « Qatargate » : la mise en cause de collaborateurs parlementaires et d’eurodéputés – italiens, grecs, belges, issus essentiellement du groupe social-démocrate – soupçonnés d’avoir touché rémunérations et avantages de la part du Qatar en échange de la promotion des intérêts de l’émirat. Six personnes ont été interpellées par la police belge, quatre écrouées, dont une vice-présidente de l’europarlement.

Les condamnations ont fusé. La présidente de cette institution a, sans rire, dénoncé une « attaque contre la démocratie européenne ». Son homologue de la Commission, Ursula von der Leyen, s’est alarmée que soit mise en jeu la « confiance des Européens dans nos institutions ». Soyons sérieux. Pour que l’europarlement soit déconsidéré, encore aurait-il fallu qu’il fût considéré – en réalité l’immense majorité des citoyens des vingt-sept pays s’en moquent comme de l’an 40. La seule chose qu’on puisse reprocher à l’Assemblée de Strasbourg est sa totale illégitimité, puisqu’il n’existe pas de peuple européen. Tout le reste n’a dès lors guère d’importance.

La crise de nerfs du ban et de l’arrière-ban européiste a cependant quelques mérites. A commencer par le retour de bâton comique contre une institution, à l’ego boursouflé qui ne cesse de donner des leçons de morale au monde entier en matière de transparence et d’Etat de droit. Au monde entier et même aux Etats membres : c’est précisément ce « parlement » autoproclamé qui avait lancé les hostilités contre la Hongrie, accusant son gouvernement de corruption. Le premier ministre Viktor Orban n’a pas boudé son plaisir devant cette euro-mouture de l’arroseur arrosé.

En outre, l’ex-secrétaire général de la Confédération européenne des syndicats (CES), Luca Visentini (aujourd’hui président de la Confédération syndicale internationale), fait partie des mis en cause. Ce qui jette une lumière crue sur l’interpénétration incestueuse entre cette centrale syndicale et les institutions bruxelloises.

Par ailleurs, on n’ose imaginer le tollé géopolitique si le corrupteur n’avait pas été Doha, mais Moscou. Que n’aurait-on pas dit sur les relais d’influence que le Kremlin paye pour « déstabiliser notre Europe », et la nécessité absolue d’édicter un trois cent cinquante neuvième paquet de sanctions. L’émir qatari, lui, n’a aucune crainte d’être puni, ne serait-ce que parce que son gaz remplace (en partie) celui que fournissait naguère la Russie. Sa diplomatie s’est d’ailleurs chargée de le rappeler promptement à ceux qui seraient tentés de tenir des propos désobligeants à son égard.

En matière d’influences étrangères, l’ombre de Washington et le poids de l’atlantisme bénéficient d’une immunité de principe, voire d’un tapis rouge permanent

Certes, Raphaël Glucksmann, le sémillant président de la « commission spéciale sur l’ingérence étrangère » (sic !) a qualifié l’affaire de « gravissime ». Jusqu’à présent cependant, il s’était plus excité en pourchassant les prises d’influence russes ou chinoises ; l’on serait surpris que cela change fondamentalement.

Enfin, dès lors qu’il est question de traquer lesdites influences étrangères, force est de constater que l’ombre de Washington et le poids de l’atlantisme bénéficient d’une immunité de principe, voire d’un tapis rouge permanent. En matière de guerre en Ukraine, par exemple, l’on n’imagine pas un instant l’europarlement s’éloigner de la ligne de l’Oncle Sam, solidarité occidentale oblige. Au demeurant, le Trésor américain n’a nul besoin de dépenser le moindre kopek pour cela : les relais de Washington travaillent gratuitement pour la cause – celle de la promotion du « monde libre ».

Il reste qu’en monopolisant la scène médiatique, les affaires de corruption confortent un silence abyssal sur l’essentiel : la responsabilité des institutions européennes dans le malheur des peuples, à commencer par les régressions économiques et sociales. A l’heure où Emmanuel Macron semble décidé à passer en force sur la réforme des retraites, qui soulignera le rôle de Bruxelles comme aiguillon et contrôleur ? Pourtant, dans son analyse de la situation de chaque Etat membre récemment publiée, la Commission rappelle que le Conseil de l’UE avait recommandé à la France, le 12 juillet 2022, de réformer le système de pensions en vue d’« unifier les règles des différents régimes ». Et elle laisse filtrer une certaine impatience : « jusqu’à présent, aucune mesure concrète n’a encore été précisée ».

Dans le brouhaha des turpitudes qataries, ce discret coup de pression semble passer inaperçu. Jusqu’à quand ?

Pierre Lévy

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Attention : l’édition d’octobre est parue…

Par : pierre

L’édition de Ruptures n°119 est sortie des presses le 27 octobre

Au sommaire :

– l’éditorial qui revient sur la soudaine fortune du terme « sobriété », synonyme post-moderne d’austérité, au moment où le chef de la diplomatie de l’UE décrit cette dernière comme un jardin merveilleux, menacé d’invasion par le reste du monde

– un éclairage sur la flambée des prix de l’énergie, qui pourrait provoquer une désindustrialisation en Europe, et qui résulte des sanctions anti-russes et contre-sanctions, des taxes climatiques, mais aussi de la libéralisation qui prend désormais Bruxelles à son propre piège

– une analyse des contradictions d’intérêts entre les Vingt-sept, dont les divisions sont apparues au grand jour lors du Conseil des 20 et 21 octobre, notamment à propos du plafonnement du prix du gaz, ainsi que d’un nouveau fonds de solidarité – même Paris et Berlin s’écharpent

– un point sur la réunion inaugurale, le 6 octobre, de la « Communauté politique européenne » qui rassemble membres et non-membres de l’UE, le sommet de Prague s’étant transformé en forum anti-Poutine

– une analyse détaillée des élections du 25 septembre en Italie, à l’issue desquelles la « post-fasciste » Giorgia Meloni a pris la tête d’un gouvernement qui a immédiatement donné des gages à Bruxelles et à l’OTAN – pas vraiment ce qu’espéraient les électeurs

– une analyse du scrutin bulgare du 2 octobre, le quatrième en dix-huit mois ; mais cette fois, la question vitale de l’énergie a dominé la campagne, ce qui a permis aux forces pro-russes de progresser dans un pays de plus en plus polarisé

– et, bien sûr, comme chaque mois, les brèves

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L’édition d’octobre de Ruptures est parue…

Par : pierre

La prochaine édition de Ruptures est parue le 28 octobre

Au sommaire :

– l’éditorial qui pointe l’enjeu considérable au-delà de l’arrêt du tribunal constitutionnel polonais : si un pays affirme pouvoir décider en dernier ressort face aux institutions communautaires, à quoi bon faire l’Europe ?

– une analyse du contenu et du contexte de la décision des juges constitutionnels de Varsovie : ces derniers ont affirmé – comme avant eux la Cour constitutionnelle allemande – la primauté du droit national sur le droit européen

– un balayage des deux Conseils européens d’octobre : les Vingt-sept ont divergé sur le rôle de l’UE dans le monde et ses rapports avec l’OTAN, mais aussi sur l’envolée des prix de l’énergie, du fait de la libéralisation et de la « transition écologique »

– un entretien avec Jacques Sapir, économiste et spécialiste de la Russie, qui éclaire la situation économique et sociale contrastée de ce pays, ainsi que les options géopolitiques possibles, après les élections de septembre

– une analyse du flou politique consécutif au scrutin des 8 et 9 octobre en République tchèque, à l’issue duquel les deux coalitions d’opposition veulent former ensemble le prochain gouvernement, alors que le président, hospitalisé, ne peut exercer ses prérogatives

– et, bien sûr, comme chaque mois, les brèves

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Le vertige de Bernard Guetta (éditorial paru dans l’édition du 28/09/21)

Par : pierre

Désastre. Débâcle. Fiasco. Les dirigeants et commentateurs occidentaux eux-mêmes expriment leur sidération face au séisme qu’a représenté la prise de Kaboul par les Taliban, le 15 août dernier, alors même que les soldats de l’OTAN n’avaient pas encore remballé leur paquetage.

Certes, après deux décennies de guerre, l’arrivée des « étudiants en religion » aux manettes du pays ne dessine pas nécessairement un avenir enviable pour les Afghans – et particulièrement pour les Afghanes. Mais c’est à eux, et à eux seuls, de décider de celui-ci.

Cela rappelé, il n’est pas interdit de se réjouir de la déroute américaine, car c’est bien de Washington que la funeste aventure avait été déclenchée il y a vingt ans tout juste. L’arrogante Amérique, qui un temps rêva d’imposer au monde son hégémonie, a offert un spectacle surréaliste : elle a imploré ses anciens ennemis en haillons de lui laisser déployer son ultime logistique de retrait… Surtout, Joseph Biden l’a martelé : les Etats-Unis n’ambitionnent plus, désormais, de guerroyer partout sur la planète en prétendant « construire des nations », c’est-à-dire mettre en place des régimes à leur botte. Ils n’interviendront plus, selon la Maison-Blanche, que pour défendre leurs propres intérêts vitaux. Certes, une telle promesse ne tiendra sans doute pas pour l’éternité.

Les dirigeants de pays qui se fiaient au « parapluie américain » sont pris de court, notamment les Européens, mis devant le fait accompli

Reste que les dirigeants de pays qui croyaient pouvoir se fier au « parapluie américain » sont pris de court. A commencer par les Européens, qui ont été mis devant le fait accompli : ni le principe ni même les modalités du retour des soldats de l’OTAN ne leur ont été soumis, alors même qu’ils avaient des troupes sur le terrain. Les plus atlantistes – Berlin, Londres, Copenhague et quelques autres – sont les plus humiliés. Cerise sur le gâteau : la « trahison » a certes été enclenchée en 2020 par Donald Trump, mais c’est bien son successeur démocrate qui l’a mise en oeuvre, quelques mois seulement après que la victoire de ce dernier eut été saluée par les dirigeants enthousiastes de l’UE comme un immense soulagement. Il est vrai que la continuité à la Maison-Blanche, d’apparence paradoxale, est claire : Washington entend désormais concentrer son énergie et ses forces contre le rival d’aujourd’hui et plus encore de demain : la Chine.

Face à ce lâchage spectaculaire « le monde (le sien, en réalité) est pris de vertige », s’affolait fin août l’eurodéputé macroniste Bernard Guetta. Et l’ex-chroniqueur géopolitique du service public de s’angoisser : « il n’y a plus de parapluie, plus de protection assurée, plus d’alliances en béton ». Ainsi, poursuit-il, les Etats-Unis pourraient rester de marbre « au cas où Vladimir Poutine marcherait sur Kiev », voire « s’il engageait ses mercenaires dans les Balkans, se manifestait plus encore dans la zone baltique, en Libye et en Afrique subsaharienne ». C’est tout juste s’il ne cite pas les cosaques défilant sur les Champs-Élysées.

Dès lors, conclut au clairon Bernard Guetta, « il n’y a plus une seconde à perdre » pour pousser l’intégration militaire de l’Union européenne, en particulier « développer en commun les armes du futur et nous préparer ensemble aux nouvelles batailles, spatiales et numériques ». Et comme le hasard fait bien les choses, le renforcement d’une « défense européenne » était justement au menu des Vingt-sept début septembre, une réunion ministérielle où fut notamment évoqué le projet d’une force d’intervention rapide de l’UE de 5 000 hommes, dite de première entrée.

Obsédé par son envie d’exister au niveau mondial, Bruxelles tire donc de la catastrophe afghane – après deux décennies de tutelle occidentale, la moitié des enfants de moins de cinq ans souffrent de malnutrition – une conclusion affligeante : il faut plus d’Europe militaire. Sauf que cette trouvaille mille fois fantasmée, tout particulièrement par le maître de l’Elysée, n’a pas tardé à provoquer de nouveaux affrontements au sein des Vingt-sept. Pire : la « solidarité » européenne que Paris attendait après la gifle du contrat de vente de sous-marins à l’Australie, cassé par la volonté américaine, a été fort discrète, preuve qu’à Berlin notamment, le lien transatlantique demeure prioritaire.

Et à supposer qu’un improbable consensus soit trouvé, il restera à convaincre les peuples que l’urgence est à multiplier les interventions extérieures sous la bannière bleu-étoilée. Et ce, après que les solutions militaires eurent fait les miracles que l’on sait en Asie centrale, mais aussi au Sahel ou au Moyen-Orient.

Bon courage !

Pierre Lévy

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La vraie catastrophe du Brexit : des augmentations de salaires

Par : pierre

Des rayons de supermarchés en berne, des stations essence en rupture de stock, et, pire que tout, la perspective d’une pénurie de dindes à Noël… Les médias dominants de l’Union européenne feignent de s’apitoyer sur ces pauvres Britanniques, mais jubilent : là voilà enfin, la catastrophe du Brexit mille fois annoncée !

Évidemment, ces médias ne font pas toujours dans la nuance (quitte, parfois, à propager des images truquées). Dans la réalité, le carburant est distribué sans problème dans les trois quarts des stations du Royaume ; les sujets de sa Gracieuse Majesté ont toujours accès à plus de 95% des produits antérieurement distribués ; et nul n’a encore vu des Anglais en haillons se disputer les ultimes quignons de pain délaissés par les moineaux.

Ce qui est vrai, en revanche, c’est qu’il y a bien, non un manque de matières ou de marchandises, mais des perturbations dans la transformation et, plus encore, le transport et la distribution de celles-ci. Précisément les secteurs dont les conditions de travail sont peu enviables, et les salaires à pleurer.

Autant d’emplois qui étaient tenus, jusqu’à présent, par des travailleurs étrangers, issus pour une très large part de l’Est de l’UE. En 2004, lors de l’élargissement de cette dernière, le premier ministre d’alors, Anthony Blair, avait fait le choix radical de ne même pas mettre en œuvre les garde-fous temporaires qui ont (un peu) limité l’arrivée de Polonais, de Lettons ou d’Estoniens sur le Continent. Des centaines de milliers d’entre eux sont venus chercher l’eldorado en Grande-Bretagne, à la grande joie du patronat britannique, avide d’une main d’œuvre prête à accepter des jobs au rabais, faute de pouvoir trouver chez eux – après la « transition post-communiste » – de quoi vivre.

Parmi les secteurs les plus concernés figuraient en particulier l’agro-alimentaire et le transport routier. A la faveur de la pandémie, très nombreux ont été ceux qui sont retournés dans leur pays d’origine, et n’ont pas fait le choix de revenir ensuite dans un État qui ne joue plus le jeu de la « libre circulation de la main d’œuvre ».

Résultat : un nombre considérable d’emplois « à bas coût » ne sont plus pourvus. Quelque peu paniqués, les employeurs ont implicitement admis qu’ils devraient consentir des salaires plus décents – que n’y avaient-ils pas songé plus tôt ? Et en juillet par exemple, les chaînes de magasins Asda et Tesco ont même promis une prime de 2 000 livres aux nouveaux chauffeurs qu’elles se proposaient d’embaucher.

Ce mois-là, la moyenne des salaires, tous secteurs confondus, a grimpé – hors primes – de 7,4% en rythme annualisé, un record jamais atteint depuis un quart de siècle. S’il fallait une illustration imparable de la pression qu’impose aux rémunérations la présence de travailleurs immigrés – au détriment, du reste, des Anglais comme des étrangers eux-mêmes – le Royaume-Uni post-Brexit la fournirait aussi clairement qu’une expérience de laboratoire. Sous des formes qui ont certes évolué, le phénomène est aussi ancien que le capitalisme lui-même.

Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les gros bataillons des électeurs favorables aux Brexit se sont recrutés chez les ouvriers et plus généralement dans les milieux populaires, confrontés quotidiennement au dumping social importé.

En finir avec la libre circulation de la main d’œuvre, et donc avec le rapport de force si déséquilibré qu’elle engendre au profit du patronat

Certes, le gouvernement de Boris Johnson prend, à court terme, des mesures provisoires – permis de travail exceptionnels valables jusqu’à la fin de l’année – pour fluidifier cette période de transition. Mais à moyen et long terme, là était bien un des horizons du Brexit, et compris comme tel par le monde du travail : en finir avec la libre circulation de la main d’œuvre, et donc avec le rapport de force si déséquilibré qu’elle engendre au profit du patronat.

Ce qui est en revanche inédit, c’est le conflit qui se confirme avec le gouvernement Tory. Depuis près de deux siècles d’existence, le parti conservateur ne s’était pas illustré par sa défense du monde du travail, mais plutôt par sa proximité avec les maîtres du capital. Il est vrai qu’en décembre 2020, c’est plutôt le premier – notamment au nord et au centre de l’Angleterre laborieuse – qui a assuré la victoire de Boris Johnson.

La Conférence annuelle des Conservateurs, du 3 au 6 octobre, a à cet égard fournit un spectacle étonnant : celui de ministres conservateurs accusant le patronat, affolé de devoir augmenter les rémunérations, d’être devenu « ivre de main d’œuvre bon marché ».

Les salaires augmentent, et ce n’est sans doute pas fini. Pour certains, à Bruxelles notamment, c’est sans doute là que réside le véritable cataclysme post-Brexit…

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Die Gießereibranche befindet sich im Auge des Zyklons

Par : pierre

Die Gießereibranche befindet sich zwischen den Produktionsverlagerungen, die von den Auftraggebern Renault und Stellantis beschlossen wurden und dem von Brüssel gesteuerten « ökologischen Übergang », insbesondere dem zukünftigen Verbot von Verbrennungsmotoren gefangen.

Die 350 Mitarbeiter der „Fonderies de Bretagne“ kämpfen weiter. Im Mai haben sie ihre Initiativen vervielfacht, und setzen ihre Mobilisierung fort, die am 27. April mit der Entscheidung, die Fabrik zu besetzen, ein entscheidendes Stadium erreichte.

Auf dem Spiel steht die Zukunft dieses in Caudan (Morbihan) gelegenen Betriebs, der heute zum Renault-Konzern gehört. Die Leitung der Firma kündigte aber im Mai 2020 an, dass sie ihn loswerden wolle. Sie behauptet, dass die Fabrik diversifiziert werden muss, und neue Kunden gefunden werden müssen. Sie verkündete ebenfalls, dass die Suche nach einem Käufer „weitergeht ».

Bereits 1999 hatte das Renault-Management das Unternehmen an eine italienische Firma verkauft, die es dann an ein anderes transalpines Unternehmen veräußerte, was schließlich im Konkurs endete. Ein entschlossener Kampf der Belegschaft führte dazu, dass die Fonderie de Bretagne 2009 wieder in die Muttergesellschaft integriert wurde. Ein Sieg, den die Mitarbeiter gerne wiederholen möchten.

Nur: Vor zwölf Jahren war das Unternehmen das einzige, das bestimmte Teile produzierte. In der Zwischenzeit hat das Management von Renault viele Produktionen in EU-Länder (insbesondere) verlagert, wo die Bedingungen der « Wettbewerbsfähigkeit » als vorteilhafter gelten. Schlimmer noch: 2018 hatte ein Feuer den Standort verwüstet, was die Geschäftsführung dazu veranlasste, französische Techniker zur Schulung von Kollegen eines Nissan-Werks (Renault-Gruppe) in Spanien zu schicken, um die Kontinuität der Lieferungen zu gewährleisten. Ein Teil der Produktion wurde jedoch nie zurück geführt.

Die Gewerkschaften bestätigen, dass es ausreichen würde, wenn diese zurückkäme, und wenn die Verlagerungen nach Portugal und Slowenien nicht fortgesetzt würden, damit die Fabrik mit voller Kapazität laufen kann. Umso verärgerter sind die Mitarbeiter, dass ihnen nun zwar die « Diversifizierung » der Kunden als notwendig präsentiert wird, diese aber von der Renault-Führung 2009 schrittweise weitgehend eingeschränkt wurde. Die bretonische Gießerei produziert nun zu 90 % für Renault – nur 10 % sind für Dritte, wie zum Beispiel BMW, bestimmt.

Der von Bercy am 26. April organisierte « runde Tisch » wurde als Provokation empfunden: Die vom Wirtschaftsminister angekündigte Beihilfe von 50 Millionen für den Sektor würde keine Investitionen finanzieren, sondern eine Beihilfe für die « Diversifizierung » der Aktivitäten der Gießerei und die « Umstellung » der entlassenen Mitarbeiter darstellen. Ein CGT-Delegierter aus dem Werk Caudan zögerte nicht, auf den Kontrast zwischen « schönen Reden, die die industrielle Souveränität und die Verlagerungen preisen », und der Realität der von der Konzernleitung getroffenen und von der Regierung gebilligten Entscheidungen hinzuweisen.

Andere Gießereien befinden sich in einer ähnlichen Situation. Insbesondere zwei davon: die Fonderie du Poitou Alu und die Fonderie du Poitou Fonte, zwei Fabriken mit Sitz in Ingrandes (Vienne). In diesem Fall kamen die ausgelösten Katastrophen von der Gruppe, zu der sie gehören, dem britischen Konglomerat GFG (Gupta Family Group), das 35.000 Mitarbeiter und 300 Standorte in etwa dreißig Ländern hat.

Abgesehen davon, dass diese Gruppe – die nicht immer dafür bekannt war, ihre Investitionsversprechen zu halten – durch den Konkurs vom 8. März ihres ebenfalls britischen Finanzpartners Greensill, geschwächt wurde.

Neben den beiden Unternehmen in Ingrandes ist auch ein drittes Unternehmen, Alvance Aluminium Wheels (in Diors, Indre), in Frankreich der letzte Hersteller von Felgen, von der Schließung bedroht. Die drei Standorte – mit insgesamt fast 900 Mitarbeitern – sind von der GFG-Aluminiumtochter Alvance abhängig und wurden deshalb im April unter Zwangsverwaltung gestellt. Der Fall wird am 8. Juni erneut vor dem Pariser Handelsgericht verhandelt.

Auch wenn die Ausgangslage eine andere ist, so ist die Strategie der Eigentümer ähnlich wie die von Renault für die Fonderie de Bretagne beschriebene. Darüber hinaus ist Renault der Hauptkunde der Standorte im Poitou, vor allem für die Lieferung von Zylinderkurbelgehäusen, eine der Spezialitäten der Giesserei Fonte. Die Fonderie du Poitou hatte jedoch auch noch das Vertrauen anderer renommierter Traditionskunden wie Fiat oder Suzuki.

Nur werden die Mitarbeiter mit der gleichen Logik konfrontiert, die auch den französischen Auftraggebern Renault und Stellantis eigen sind: die Verlagerung der Produktion nach Spanien und Osteuropa. Und das dank des freien Kapitalverkehrs, einer der Säulen der EU, der durch die Verträge unantastbar gemacht wurde.

Die Gewerkschaft CGT der Fonderie Alu besteht ihrerseits auf einem mit der Belegschaft ausgearbeiteten Alternativprojekt, das Investitionen in Höhe von 20 Millionen Euro für zwei neue Gießverfahren erfordert, ein Projekt, das nicht nur das Schreckgespenst der Liquidation in Schach halten, sondern auch fast hundert Arbeitsplätze schaffen würde.

Bei einer anderen GFG-Tochter, Liberty Steel, in der die Stahlaktivitäten zusammengefasst sind, sieht es nicht viel besser aus. Zwei französische Unternehmen könnten sich wieder einmal im Auge des Zyklons wiederfinden: Liberty Rail mit 430 Mitarbeitern in Hayange (Mosel), ein Zulieferer der SNCF, der in elf Jahren bereits dreimal verkauft wurde, und Ascoval, ein Stahlwerk mit 270 Mitarbeitern in Saint-Saulve (Nord), das nach dem Verkauf durch Vallourec im Jahr 2015 einen unendlichen Weg von Übernahme zu Übernahme hinter sich hat und dessen Übernahme durch GFG erst acht Monate her ist.

Die beiden Unternehmen, die gerade eine enge Komplementarität aufgebaut und einen Produktionssprung erlebt haben, könnten durch die finanzielle Logik erneut bedroht sein. Bruno Le Maire hat zwar 20 Millionen Euro auf den Tisch gelegt und erklärt, dass er die Mitarbeiter niemals im Stich lassen würde – aber GFG scheint sich vorerst nicht weiter engagieren zu wollen.

Die Verbrennungsmotoren sind doch gerade das Kerngeschäft der besagten Industrie

Doch es gibt einen noch schwerwiegenderen Grund, der die Zukunft der Gießereiindustrie bedroht: Das 2019 verabschiedete sogenannte « Mobilitätsorientierungsgesetz » sieht ab 2040 ein Verbot des Verkaufs von Neuwagen mit herkömmlichen Motoren vor. Dabei sind Verbrennungsmotoren doch gerade das Kerngeschäft der besagten Industrie.

Das Todesurteil für benzinbetriebene Autos zugunsten von Elektrofahrzeugen ist Teil der « ökologischen Wende », die jetzt als großes Ziel von Brüssel fest geschrieben wurde. Ein Bericht der Unternehmensberatung Roland Berger aus dem Jahr 2020 schätzt die Zahl der Arbeitsplätze, die durch diese sogenannte « klimafreundliche »-Politik vernichtet werden, auf 5.000 allein im Gießereisektor bis zum Jahr 2030. Das sind 40 % der Belegschaft dieser Branche.

Aber die soziale Katastrophe wartet nicht bis dahin. Warum jetzt in eine Produktion investieren, deren Ende bereits durch politische Entscheidungen besiegelt ist? Viele Gießereien wurden gerade liquidiert oder sind von der Schliessung bedroht. Dies ist zum Beispiel der Fall bei der Fabrik FVM in Villers-la-Montagne (130 Mitarbeiter, Meurthe-et-Moselle), die am 19. April von den Gerichten für aufgelöst erklärt wurde. Oder MBF Aluminium in Saint-Claude (300 Beschäftigte, Jura), deren Mitarbeiter damit drohten, den Standort in die Luft zu sprengen, und wo drei von ihnen in den Hungerstreik traten.

Der europäische Imperativ des „ökologischen Übergangs“ erklärt, warum die von Bercy angepriesenen öffentlichen Mittel nicht für Investitionen bestimmt sind – die die Grundlage für eine Wiederbelebung der industriellen Tätigkeit bilden würden – sondern für die « Umstellung » des Personals. Es ist genau diese Logik der De-Industrialisierung und « Begleitung », die die Beschäftigten von Caudan und anderswo durchbrechen wollen.

Ermutigung kam von der SAM-Gießerei in Viviez (Aveyron). Am 6. Mai gingen die Mitarbeiter dort wieder an die Arbeit: Nach 23 Tagen Streik erwirkten sie von ihrem Hauptkunden Renault die Zusage für zusätzliche Aufträge…

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Fulgurances eurocratiques (éditorial paru dans l’édition du 28 mai)

Par : pierre

Un chef d’œuvre. S’il existait un concours de langue de bois pétrie d’écriture automatique, les Vingt-sept, réunis le 8 mai à Porto, eussent sans conteste remporté le Grand Prix. Leur texte conclusif porte aux nues la future « transformation en vue d’une reprise équitable, durable et résiliente (…) collective, inclusive, rapide et fondée sur la cohésion (qui) renforcera la compétitivité, la résilience, la dimension sociale et le rôle de l’Europe sur la scène mondiale ». Le tout afin de « réaliser une convergence sociale et économique ascendante ». Et les chefs d’Etat et de gouvernement d’asséner : « nous sommes déterminés à continuer d’approfondir la mise en œuvre du socle européen des droits sociaux ». Pour les distraits, ledit socle avait été solennellement adopté en novembre 2017 dans la ville suédoise de Göteborg.

A l’époque, Emmanuel Macron, alors fraîchement élu, affirmait que le modèle social français devait s’inspire de la Suède pour « réduire la conflictualité » entre partenaires sociaux. Quatre ans plus tard, le maître de l’Elysée, à l’unisson de Bruxelles, n’en démord pas : « les partenaires sociaux (doivent être) associés à la construction de l’Europe sociale de demain ». Le 29 avril, afin de préparer le sommet de Porto, il réunissait tous les leaders syndicaux et patronaux français, sans qu’un seul manque à l’appel.

S’il n’y avait la réalité des millions d’ouvriers, d’employés, de chômeurs, de jeunes plongés dans les difficultés ou l’angoisse du lendemain, la réapparition régulière de l’arlésienne « Europe sociale » serait cocasse. En 1997 déjà, les socialistes européens, qui accédaient aux responsabilités au Royaume-Uni, en France et bientôt en Allemagne, tenaient leur congrès à Malmö avec un mot d’ordre : « l’Europe sera sociale ou ne sera pas ». On connaît la suite.

L’Europe sociale est une imposture. D’abord parce que l’intégration européenne a été conçue d’emblée dans l’intérêt des oligarchies économiques en vue de déconnecter les peuples de leur souveraineté politique. Ensuite parce que tout syndicaliste sait – ou devrait savoir – qu’aucune avancée pour le monde du travail n’a jamais été conquise que par la lutte, et certainement pas octroyée d’en haut.

Autre récent trait de génie eurocratique visant à « créer du consensus » : la conférence sur l’avenir de l’UE, solennellement lancée le 9 mai à Strasbourg. Une initiative « historique » et « sans précédent » visant à « renforcer la connexion avec nos citoyens », s’est extasiée Dubravka Suica, commissaire à la démocratie et à la démographie (sic !). Et quand il s’agit de fantasmer sur son propre futur, l’Union met en place une usine à gaz dont elle a le secret : une assemblée plénière de 108 députés nationaux, de 108 eurodéputés, de 54 représentants des Etats, de délégués de la Commission, du comité des régions, du comité économique et social, des partenaires sociaux, des ONG. Plus 108 simples citoyens. La plénière sera dotée de panels, d’une plateforme informatique, d’un comité exécutif, d’une présidence tricéphale… Le tout devant aboutir au premier semestre 2022, c’est-à-dire sous présidence française (et juste avant le scrutin présidentiel).

Ces pathétiques gesticulations soulignent en creux le désarroi des élites face à la désaffection populaire quant à leur projet d’intégration européenne

Emmanuel Macron se targue d’avoir été l’initiateur de ce coup de génie (comme déjà en 2018, lors d’un grand débat à l’échelle de l’UE dont nul ne se souvient), et prévoit une préparation hexagonale dudit débat : à l’automne, des conventions régionales devraient réunir des citoyens tirés au sort. Exactement comme lors de ladite « convention citoyenne sur le climat ». A l’époque, la question était de savoir « comment » (et non « si » il fallait) réduire les émissions de CO2. De manière analogue, il s’agira désormais de savoir comment il faut embellir l’UE – et certainement pas s’il faut remettre en cause son existence même.

Ces pathétiques gesticulations sont réjouissantes : elles soulignent en creux le désarroi des élites face à la désaffection populaire quant à leur projet d’intégration européenne. Ce que Michel Barnier souligne à sa manière : l’ancien négociateur européen en chef du Brexit bat actuellement la campagne en mettant en garde contre l’idée que la sortie du Royaume-Uni serait un accident. Selon lui, s’il est trop tard pour ce pays, il est encore temps d’éviter une tentation de sortie dans d’autres Etats, à condition de prendre cette « menace », en France en particulier, au sérieux.

Pour sa part, celui qui entra à l’Elysée en 2017 en héraut de l’Europe exhorte désormais à « résister au défaitisme ambiant ».

Quel aveu…

Pierre Lévy

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Britischer Impfstoff und europäische Ressentiments

Par : pierre



Angesichts einer buchstäblich beispiellosen Pandemie sollte den Regierungen das Recht auf Irrtümer zugestanden werden. Doch die unglaubliche Entscheidung vom 15. März liegt auf einer ganz anderen Ebene. An diesem Tag setzten unter anderem Deutschland und Frankreich die Verwendung des anglo-schwedischen Impfstoffs von AstraZeneca aus, weil einige Fälle von Thrombosen festgestellt worden waren. In Wirklichkeit gab es kaum Zusammenhang mit der Injektion: Von 17 Millionen Menschen, die eine Dosis des von der Universität Oxford entwickelten Impfstoffs erhielten, wurden 37 Fälle registriert, ein geringerer Anteil als in der nicht geimpften Bevölkerung. Diese einfache Tatsache sollte das Vakzin entlastet haben. Doch erst am 19. März, als sich die Europäische Arzneimittelagentur (EMA) auf die bereits von der WHO erarbeiteten wissenschaftlichen Erkenntnisse berief, hoben die meisten Hauptstädte, darunter Paris und Berlin, das Verbot auf.

Anfang März lautete die Parole im Elysée-Palast noch, das Tempo um jeden Preis zu beschleunigen, denn es stimmt, dass die Impfung der einzige Ausweg aus der Gesundheitskrise ist. In dem besorgniserregenden Wettlauf gegen die Epidemie bedeutet jedoch jeder Tag Verzögerung verlorene Menschenleben. Schlimmer noch: Die Kehrtwende der Regierung, auch wenn sie nur vorübergehend war, führte zu neuer Verwirrung und schürte damit erneut das Misstrauen, in grossen Teilen der Bevölkerung.

Drei Faktoren könnten bei dieser unverantwortlichen Entscheidung eine Rolle gespielt haben. Der erste ist das « Vorsorgeprinzip » (ein Begriff, der sich in diesem Zusammenhang wie schwarzer Humor anhört), in dessen Namen jeder wissenschaftliche oder technische Fortschritt von der vorherigen Antizipation aller möglichen Folgen abhängig gemacht werden soll. Wir würden immer noch in Höhlen leben, wenn unsere entfernten Vorfahren dieser seltsamen Weisheit gefolgt wären.

Der zweite Faktor ist europäischer Natur. Ausnahmsweise hat die Kommission nichts damit zu tun. Die Führer sind so sehr von der Idee der europäischen Integration durchdrungen, dass sich der Herdengeist, wie bei den Schafen, von selbst entfaltet. So berichtet Le Monde (17.03.21) über den Tag des 15. März: « Nach Dänemark, Norwegen, den Niederlanden und Island hat die Entscheidung Deutschlands, die Verwendung dieses Impfstoffs auszusetzen, alles mitgerissen. ‚Die deutsche Kehrtwende hat es uns nicht erlaubt, zu warten’, seufzte ein Minister« . Was Pieyre-Alexandre Anglade, ein dem Elysée nahestehender Abgeordneter, offenherzig zusammenfasst: « Unsere Strategie ist europäisch, es ist normal, sich in diesen Rahmen zu stellen“. Das sagt alles. Es sollte jedoch angemerkt werden, dass einige osteuropäische Länder und Belgien nicht gefolgt sind, wobei der belgische Gesundheitsminister sogar sarkastisch darauf hinwies, dass, wenn seine Kollegen überschüssigen Impfstoff hätten, er ihn gerne nehmen würde…

Der dritte Faktor besteht aus einer Hypothese, die in der Presse jenseits des Kanals die Runde macht: Der britische Impfstoff hätte den Preis für europäische Ressentiments gegen den Brexit bezahlt. Ein Ressentiment, das durch den spektakulären Erfolg des Vereinigten Königreichs geschürt wurde, das wieder einmal seine Unabhängigkeit zeigte, gerade in Bezug auf die Impfkampagne. Wo die EU, geplagt von ihrer Schwerfälligkeit, kläglich hinterherhinkt.

Der Impfstoff Wirkstoff von AstraZeneca war kaum entwickelt, da wurde auch schon seine Wirksamkeit in Frage gestellt. Dann, nach der Zulassung durch die EMA, gab es Gerüchte, vor allem in Berlin und Paris, dass es Menschen über 65 nicht schützen würde – eine These, die auch von Emmanuel Macron vertreten wurde – bevor die Ergebnisse englischer und schottischer Feldversuche das Gegenteil bewiesen. Schließlich wurde der Firma – die dank öffentlicher britischer Subventionen zum Selbstkostenpreis (1,72 €, im Vergleich zu 15 € bei Moderna) an einzelne Staaten verkauft – vorgeworfen, hauptsächlich nach Großbritannien zu liefern. Ein unverzeihliches Verbrechen, bei dem die Europäische Kommission droht, den Export der auf dem Kontinent produzierten Fläschchen zu blockieren.

Andererseits hat Brüssel gerade zwei Verfahren gegen London eingeleitet, weil es die Übergangsfrist einseitig um sechs Monate verlängert hat, in der die Briten Lebensmittel, die von Großbritannien nach Nordirland transportiert werden, nicht kontrollieren. Und die EU-Exekutive vervielfacht billige Schikanen, die von Meeresfrüchten bis zu Finanzprodukten reichen…

Die europäischen Führer verzeihen es London nicht, dass nach dem Austritt aus dem Club keine der vorhergesagten Katastrophen eingetreten ist. Und dass die britische Regierung sich frei fühlt, ihre eigene Politik zu verfolgen, von der Erhöhung der Steuern für Großunternehmen auf 25 % bis hin zum geopolitischen Schwenk in den asiatisch-pazifischen Raum. Gut oder schlecht? Das wird nun das Volk zu beurteilen haben.

Nicht Brüssel.

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Avis de gros temps (éditorial paru dans l’édition du 22 février)

Par : pierre

Au moins, c’est clair. Ceux qui nourrissaient encore quelque illusion sur les vertus apaisantes de l’arrivée de Joseph Biden à la Maison Blanche sont désormais fixés : en matière de politique étrangère, le « retour à la normalité » vanté ici et là apparaît sous son vrai visage : la volonté américaine assumée de reprendre le contrôle des affaires du monde et de « remuscler » – les mots ont un sens – l’alliance atlantique. « America is back » (« l’Amérique est de retour »), tel est le slogan du nouveau président, qui proclame ainsi vouloir rompre avec « l’Amérique d’abord » de Donald Trump. Non pas que la politique étrangère de ce dernier ait été particulièrement aimable – au Moyen-Orient en particulier. Mais avec son mot d’ordre recopié de Ronald Reagan, le nouveau maître de Washington renoue délibérément avec l’esprit de guerre froide.

Dans son discours tenu le 4 février, M. Biden affirme que la « domination américaine » (« leadership ») se doit désormais d’« affronter la montée de l’autoritarisme, notamment les ambitions croissantes de la Chine pour rivaliser avec les USA, et la détermination de la Russie visant à abîmer et faire dérailler notre démocratie ». Si les dépendances économiques réciproques le contraignent à quelque prudence de langage vis-à-vis de Pékin, il n’en est pas de même vis-à-vis de Moscou : « l’époque où nous reculions devant l’agressivité de la Russie – interférences dans nos élections, cyber-attaques, empoisonnement de ses citoyens – est terminée. Nous n’hésiterons pas à faire grimper le coût (de ce comportement) » de Moscou.

La nomination de Victoria Nuland comme sous-secrétaire d’Etat aux affaires politiques illustre à merveille ce nouveau cours. Celle qui devient ainsi la numéro trois du département d’Etat a servi les administrations successives depuis les années 2000. Jusqu’à 2003, elle fut représentante de George Bush à l’OTAN et joua un rôle important dans l’invasion de l’Afghanistan. Entre 2003 et 2005, elle fut conseillère du vice-président Cheney, et aida ce dernier à promouvoir la guerre contre l’Irak. Porte-parole et proche de la secrétaire d’Etat Hillary Clinton en 2011, elle fut très active dans la planification de l’agression occidentale contre la Libye et l’assassinat de son dirigeant. Et se félicita que cette heureuse initiative ait permis de faire affluer des stocks d’armes vers la Syrie dans l’espoir que les « rebelles » (et les combattants étrangers) puissent réserver le même sort à Bachar el-Assad.

Mais c’est en Ukraine que Mme Nuland donna toute sa mesure. Nommée en 2013 sous-secrétaire d’Etat pour l’Europe et l’Eurasie, elle ne tarda pas à se rendre à Kiev où elle fut immortalisée distribuant des sandwichs aux insurgés de la place Maïdan dont le but était de renverser par la violence le président élu. Surtout, elle fut la cheville ouvrière des provocations armées qui conduisirent au coup d’Etat de février 2014, puis de la formation du nouveau gouvernement issu des barricades. Elle s’illustra dans une conversation téléphonique dévoilée ensuite en s’écriant « Fuck EU » (« rien à foutre de l’UE ») pour exprimer son agacement face à des dirigeants européens jugés trop mous dans le renversement du pouvoir ukrainien.

Une Union européenne unie capable de se profiler comme une puissance mondiale contribuerait au pire : exacerber les logiques de rivalité et d’affrontement

C’est donc cette sémillante diplomate qui réapparaît aujourd’hui à un poste clé. Tous les dirigeants occidentaux ont certes poussé un énorme soupir de soulagement après le départ de Donald Trump. Mais si certains sont des alignés inconditionnels sur Washington et militent pour que la paranoïa anti-russe tienne lieu de politique extérieure de l’UE, d’autres, notamment à Berlin et à Paris (dans des contextes économiques et stratégiques différents), sont lucides : derrière les mots policés, ce sont exclusivement les intérêts américains qui détermineront la politique de l’Oncle Sam, avec quelques conflits en perspective : géostratégiques (gazoduc Nord Stream 2, Iran…) et surtout commerciaux.

Pour sa part, le président français appelle de ses vœux une « souveraineté européenne » tandis qu’à Bruxelles, certains ne cessent de rêver à une Union européenne unie capable de se profiler comme une puissance mondiale. Même si cet accomplissement apparaît aujourd’hui illusoire, cette velléité contribue au pire : exacerber les logiques de rivalité et d’affrontement – économique, stratégique, militaire – au détriment de coopérations entre nations égales et souveraines.

A court terme en tout cas, les relations internationales pourraient bien connaître quelques turbulences pas vraiment rassurantes.

Pierre Lévy

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Pierre Lévy, invité du Media pour tous, revient sur le Brexit et sur l’état de l’UE

Par : pierre

Le rédacteur en chef de Ruptures était, il y a quelques jours, interviewé par Le Média pour tous.

Au cours de cet entretien, il d’abord rappelé l’affaire qui oppose Twitter au mensuel ; il est ensuite longuement revenu sur le Brexit, une victoire historique pour la souveraineté des peuples ; il a enfin proposé son analyse sur la nature même de l’Union européenne, à la lumière de l’actualité.

La vidéo est désormais en ligne. Une version longue est également disponible pour les abonnés de la chaîne.

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Die EU-Politiker und die Veränderungen in den USA

Par : pierre

Am 20. Januar wird Joseph Biden Donald Trump im Oval Office ablösen. Der Übergang findet in einem besonders angespannten Klima statt: Der scheidende Präsident erkennt die Realität seiner Niederlage nicht an; ihm wird vorgeworfen, seine Anhänger zu einem Marsch auf das Kapitol am 6. Januar aufgerufen zu haben; sein Twitter-Account wurde auf Beschluss des « Big Tech »-Riesen gelöscht; und er ist Gegenstand eines neuen Amtsenthebungsverfahrens, das nicht erfolgreich sein wird, aber alle Merkmale einer politischen Rache trägt.

Es ist wahr, dass seine Gegner – insbesondere das demokratisch-mediale-politische Establishment – seit seiner Wahl 2016 einen permanenten Guerillakrieg führen, um ihn zu diskreditieren und aus dem Amt zu entfernen. Daran zu erinnern, heißt keineswegs, mit der Politik zu sympathisieren, die er betrieben hat und deren schreckliche Folgen viele Völker erleiden mussten, von Syrien bis Iran, über Palästina oder Venezuela. Der Hausherr im Weißen Haus hat jedoch keinen neuen Krieg begonnen, was ihn von seinen Vorgängern unterscheidet. Und er hat die westlichen Führer zutiefst destabilisiert. Willige Vasallen, die daran gewöhnt sind, Washington als ultimativen Kompass für ihre existenziellen « Werte » anzuerkennen.

Zweifellos lassen sich so ihre hysterischen Reaktionen auf die Ereignisse der letzten Tage erklären. Zwar sind die Vereinigten Staaten von einer extrem gespaltenen Innenpolitik geprägt. Man darf sich aber über die zumindest ungewöhnlichen und undiplomatischen Haltungen und Äußerungen vieler europäischer Staats- und Regierungschefs, der EU selbst sowie der Mainstream-Presse, wundern. Angesichts der « Krawalle » in der Bundeshauptstadt rekrutieren sich die neuen Empörten diesmal nicht aus den Arbeiterschichten, sondern aus den Reihen des Europäischen Rates.

Der französische Präsident ist am weitesten gegangen, indem er mitten in der Nacht ein Video aufnahm, das wenige Stunden nach dem Eindringen hunderter Demonstranten in das Kongressgebäude, 6 000 Kilometer von Paris entfernt, online gestellt wurde. So bekräftigte Emmanuel Macron, dass « Frankreich mit Alexis de Tocqueville die Vereinigten Staaten von Amerika als Emblem der Demokratie anerkannt hat », und hämmerte abschließend: « Wir werden der Gewalt einiger weniger, die dies in Frage stellen wollen, nicht nachgeben ».

Der Einbruch in das amerikanische Parlament ist zwar nicht unbedeutend und hat sogar den Tod von fünf Menschen verursacht. Aber wer kann ernsthaft behaupten, wie der Hausherr des Elysée-Palastes, seine Freunde und seine Sprecher es ständig getan haben, dass « die amerikanische Demokratie ins Wanken geraten ist »? Als ob die Macht vakant gewesen wäre, als ob ein Putsch ausgeheckt worden wäre, um sie zu ergreifen, wo doch die Menge danach ruhig wegging.

Auffällig ist vor allem, dass sich das französische Staatsoberhaupt von den Washingtoner Demonstranten direkt anvisiert fühlte. Offensichtlich, und auch wenn der politische Inhalt ein ganz anderer ist, spukt ihm das Gespenst der Gelbwesten immer noch nach, wie er damals, um sich selbst zu erschrecken, gestand, dass das französische Volk es nie bereut hat, dem König den Kopf abgeschlagen zu haben.

« Wir sind immer noch schockiert über das, was in den USA passiert ist (…) die Demokratie ist zerbrechlich, anfällig für Angriffe von innen und von außen »

Vera Jourova

Diese Gleichsetzung zwischen dem Aufruhr in der amerikanischen Hauptstadt und den « Risiken », die die Demokratien auf dem Alten Kontinent eingehen würden, ist auch in einem Text von Vera Jourova, der für « Werte und Transparenz » (sic!) zuständigen Vizepräsidentin der Europäischen Kommission, zu lesen. Die tschechische Politikerin beginnt ihren Text (der in mehreren Sprachen auf der Euractiv-Website veröffentlicht wurde): « Wir sind immer noch schockiert über das, was in den USA passiert ist (…) die Demokratie ist zerbrechlich, anfällig für Angriffe von innen und von außen ». Von den « Angriffen von außen  » hat jeder verstanden, dass sie von Russland ausgehen, dem üblichen Verdächtigen aller im Westen auftretenden Störungen. Aber es muss festgestellt werden, dass für die Europäische Kommission, wenn die Demokratie auf der einen Seite des Atlantiks « intern » angegriffen wird, sie notwendigerweise auch auf der anderen Seite angegriffen wird.

Die EU-Politikerin verweist dann (übrigens zu Recht) auf die schädliche Rolle der großen sozialen Netzwerke und ihre Willkürherrschaft, um dann aber festzustellen, dass « wir aufhören müssen, Angriffe auf europäische Werte zu akzeptieren » – ein Satz, der Lehren aus den Ereignissen… in Washington ziehen soll. Die Erklärung für dieses Paradoxon liegt wahrscheinlich am Ende des Textes, wo die Autorin warnt: « Wir dürfen die Menschen nicht zurücklassen ». Dies ist ein ausdrückliches Eingeständnis, das die wachsende Kluft zwischen den westlichen Eliten und den Völkern anerkennt. Eine Kluft aus Klassenarroganz, die Hillary Clinton 2016 karikierte und die sie den Sieg kostete.

« Dies ist ein Thema für alle liberalen Demokratien. Es geht um das wachsende Misstrauen gegenüber unseren Institutionen »

Alain Frachon, Le Monde

Eine Kluft, die auch innerhalb der Europäischen Union immer größer wird. So sehr, dass zum Beispiel in Frankreich eine Kolumnistin von Le Monde ihre Analyse betitelte (30.12.2020): « Und nun kommt der Schatten des Frexits“. Alain Frachon, einer der außenpolitischen Kolumnisten derselben Tageszeitung, bemerkte seinerseits (15.01.2021) nach den Ereignissen in der amerikanischen Hauptstadt, dass das « Geheimnis von Trump (…) in den Dutzenden von Millionen Amerikanern liegt – kompetent, intelligent, ein breites Spektrum an sozialem und beruflichem Hintergrund abdeckend –, die überzeugt sind, dass die Wahl gestohlen wurde ». Er schloss: « Dies ist ein Thema für alle liberalen Demokratien. Es geht um das wachsende Misstrauen gegenüber unseren Institutionen.

Man mag über die Verwendung des Wortes « scheinen » schmunzeln, aber in Wirklichkeit ist es genau das: Die große gemeinsame Angst der oligarchischen Kaste ist dieses wachsende Misstrauen der Bevölkerung – nicht gegenüber der Demokratie, sondern gegenüber den Institutionen und Personen, die zu Unrecht behaupten, sie zu verkörpern.

Viele Pro-Brüssel-Kommentatoren versuchen sich zu beruhigen: die US-Krise sei ein weiterer Grund, ein eigenständiges « europäisches Modell » aufzubauen, das auf einer weiteren EU-Integration basiert und in der Lage ist, in der Welt « eine Rolle zu spielen ». Der Diskurs ist – leider für sie – nichts Neues. Man kommt immer wieder auf dieses Theorem zurück: Was bei der Schaffung von Europa nicht funktioniert hat, wird bei der Schaffung von mehr Europa funktionieren.

Viel Glück !

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Les dirigeants européens scandalisés et indignés par les manifestants pro-Trump

Par : pierre

Le 20 janvier, Joseph Biden va remplacer Donald Trump dans le bureau ovale. Une transition qui s’opère dans un climat particulièrement tendu : le président sortant ne reconnaît pas la réalité de sa défaite ; il est accusé d’avoir appelé ses partisans à marcher, le 6 janvier, sur le Capitole ; son compte Twitter a été supprimé par décision du géant de la « Big Tech » ; enfin, il fait l’objet d’une nouvelle procédure de destitution qui, ne pouvant aboutir, a tout d’une vengeance politique.

Il est vrai que ses adversaires – en particulier l’establishment politico-médiatique démocrate – ont mené dès son élection en 2016 une guérilla permanente pour le décrédibiliser et le destituer. Rappeler cela ne revient nullement à sympathiser avec la politique qu’il a menée, et dont de nombreux peuples ont eu à subir les terribles conséquences, de la Syrie à l’Iran, en passant par la Palestine ou le Venezuela. L’hôte de la Maison Blanche n’a, en revanche, engagé aucune nouvelle guerre, ce qui le distingue de ses prédécesseurs. Et il a profondément déstabilisé les dirigeants occidentaux, vassaux volontaires habitués à prendre Washington pour boussole ultime de leurs « valeurs » existentielles.

Sans doute est-ce ainsi que peuvent s’expliquer les réactions parfois hystériques de ceux-ci aux événements de ces derniers jours. Car si l’on comprend bien que les Etats-Unis sont marqués par une politique intérieure clivée à l’extrême, on peut s’étonner des attitudes et déclarations pour le moins inhabituelles et peu diplomatiques de nombreux chefs d’Etat et de gouvernement européens, de l’UE elle-même, ainsi que de la grande presse qui partage leur idéologie. Face aux « émeutes » de la capitale fédérale, les nouveaux indignés ne se recrutent pas, cette fois, parmi les gueux, mais au sein du Conseil européen.

Le président français s’est à cet égard particulièrement illustré en enregistrant en pleine nuit une vidéo mise en ligne quelques heures après l’intrusion de centaines de manifestants au sein du bâtiment du Congrès, à 6 000 kilomètres de Paris. Emmanuel Macron a ainsi affirmé que « la France, avec Alexis de Tocqueville, a reconnu les Etats Unis d’Amérique comme un emblème de la démocratie », pour finalement marteler : « nous ne cèderons rien à la violence de quelques-uns qui veulent remettre en cause cela ».

Certes, l’envahissement du parlement américain n’est pas anodin, et a même provoqué la mort de cinq personnes. Mais qui peut sérieusement affirmer, comme n’ont cessé de le clamer l’hôte de l’Elysée, ses amis et ses porte-voix, que la « démocratie américaine a vacillé » ? Comme si le pouvoir avait été vacant, comme si un putsch avait été concocté pour s’en emparer, alors même que la foule repartait ensuite tranquillement.

Surtout, ce qui frappe, c’est que le chef de l’Etat français s’est senti directement visé par les manifestants de Washington. Manifestement, et même si le contenu politique est bien différent, le spectre des Gilets jaunes le hante toujours, lui qui confiait alors, pour s’en effrayer, que le peuple français n’a jamais regretté d’avoir coupé la tête au roi.

« Nous sommes encore sous le choc des évènements qui ont eu lieu aux Etats-Unis (…) la démocratie est fragile, elle est sujette à des attaques internes et externes »

Vera Jourova, vice-présidente
de la Commission européenne

Cette assimilation entre les troubles de la capitale américaine et les « risques » que courraient les démocraties sur le Vieux continent est également patente dans un texte rédigé par Vera Jourova, vice-présidente de la Commission européenne chargée des « valeurs et de la transparence » (sic !). La responsable politique tchèque commence ainsi sa tribune (publiée en plusieurs langues sur le site Euractiv) : « nous sommes encore sous le choc des évènements qui ont eu lieu aux Etats-Unis (…) la démocratie est fragile, elle est sujette à des attaques internes et externes ». Passons sur les « attaques externes » dont chacun comprend qu’elles émanent de la Russie, habituelle suspecte de tous les désordres occidentaux. Mais force est de constater que pour la Commission européenne, quand la démocratie est attaquée « en interne » d’un côté de l’Atlantique, elle l’est forcément de l’autre.

La dirigeante bruxelloise pointe ensuite (à juste titre, du reste) le rôle néfaste des grands réseaux sociaux et leur pouvoir arbitraire, mais c’est pour conclure que « nous devons cesser d’accepter les attaques contre les valeurs européennes » – une phrase censée tirer les leçons des événements… de Washington. L’explication de ce paradoxe réside sans doute à la fin du texte où l’auteur alerte : « nous ne pouvons pas laisser la population sur le banc de touche ». C’est un aveu explicite qui reconnaît le fossé grandissant entre les élites occidentales et les peuples. Un fossé fait d’arrogance de classe et de mépris du peuple qu’avait caricaturalement incarnés Hillary Clinton en 2016, et qui lui avaient coûté la victoire.

« La question concerne toutes les démocraties libérales. Elle est celle de la défiance croissante dont nos institutions semblent être l’objet »

Alain Frachon, Le Monde (15/01/2021)

Un fossé qui croît également au sein de l’Union européenne. Au point qu’en France par exemple, une chroniqueuse du Monde titrait son analyse (30/12/2020) : « Et maintenant, l’ombre du Frexit »… Alain Frachon, l’un des éditorialistes de politique étrangère du même quotidien, notait pour sa part (15/01/2021), après les événements de la capitale américaine, que le « mystère Trump est (…) dans les dizaines de millions d’Américains – compétents, intelligents, couvrant un vaste spectre d’origine sociale et professionnelle – qui sont convaincus que l’élection a été volée ». Et de conclure : « la question concerne toutes les démocraties libérales. Elle est celle de la défiance croissante dont nos institutions semblent être l’objet ».

On peut sourire sur l’emploi du terme « semblent », mais au fond, c’est exactement cela : la grande peur commune de la caste oligarchique, c’est cette défiance populaire croissante – non certes envers la démocratie, mais envers les institutions et les hommes qui prétendent indûment l’incarner.

De nombreux commentateurs pro-Bruxelles tentent de se rassurer en voyant dans les affres américaines une raison supplémentaire de construire un « modèle européen » distinct, reposant sur une intégration plus poussée de l’UE capable de « peser » dans le monde. Le discours n’est – hélas pour eux – pas nouveau. Il revient toujours à ce théorème : ce qui n’a pas marché en faisant l’Europe marchera en faisant plus d’Europe encore.

Bon courage !

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Die EU-Kommission begünstigt die Verlagerungen: der Fall Bridgestone-Béthune

Par : pierre

Der multinationale Konzern Bridgestone hat vor, sein Reifenwerk in Béthune zu schließen. Dabei geht es einerseits um den von Brüssel gewollten ökologischen Wandel und andererseits um die Verlagerungen nach Osteuropa, die  in diesem Fall auch noch durch europäische Fonds gefördert werden.

Am Mittwoch, dem 16. September, 11.00 Uhr stehen die Beschäftigten des Bridgestone-Reifenwerks in Béthune (Nordfrankreich)  unter Schock: Die Geschäftsleitung des japanischen Grosskonzerns hat angekündigt, dass sie den Standort im ersten Quartal 2021 schließen wird. Damit würden 863 Arbeitsplätze von der Landkarte verschwinden.

Sehr viele Familien wären betroffen, ganz zu schweigen von den Folgen für die vielen Subunternehmer. Die Leitung des japanischen Konzerns führt zwei Gründe für ihre Entscheidung an: zum einen die Konkurrenz durch die Reifenproduktion in Ländern mit « niedrigen Lohnkosten », zum anderen die « Überkapazität » in Europa.

Was das erste Argument angeht, so kann sich die Konzernleitung sehr wohl auf die Konkurrenz durch Billigarbeitskräfte berufen: Sie hat ständig und viel in Osteuropa investiert, gerade um vom Lohngefälle zu profitieren. Auf der anderen Seite sind die Investitionen in Béthune fast gleich null.

Insgesamt sind die Reifenimporte nach Frankreich in den letzten zehn Jahren um 151% gestiegen und übertreffen nun die Exporte. Was Bridgestone angeht, so ist die Produktion im Werk Poznan (Polen) von 24 auf 30.000 Einheiten pro Tag gestiegen. In Tatabanya (Ungarn), das Ende der 2000er Jahre gegründet wurde, verdreifachte sich die Produktion zwischen 2013 und 2017 nach einer Anschubinvestition von fast 270 Millionen Euro, während der Konzern gleichzeitig damit begann, die Belegschaft in Frankreich zu reduzieren.

Bridgestone erhielt erhebliche Subventionen von der Europäischen Union

Wenn dies auch keine Verlagerung im strengen Sinne des Wortes ist, so sieht es doch sehr danach aus. Aber es gibt Besseres – oder Schlimmeres… Der bedürftige multinationale Konzern erhielt erhebliche Subventionen von der Europäischen Union: Seine 139,1 Millionen Investitionen in Polen wurden von Brüssel mit 24 Millionen unterstützt. Genauer gesagt durch den Europäischen Fonds für regionale Entwicklung (EFRE), dessen offizieller Zweck es ist, die am schwächsten entwickelten Regionen Europas zu begünstigen.

In einem Vermerk der Kommission aus dem Jahr 2013 wird diesbezüglich präzisiert, dass das Investitionsprojekt diese großzügige Anschubfinanzierung verdient, da es sich um « Spitzenprodukte » handelt, zu denen auch Innovationen gehören, die es insbesondere ermöglichen, die Treibhausgasemissionen zu reduzieren. Darüber hinaus würde die Investition « 201 Arbeitsplätze » schaffen. Zum Preis also der späteren Schließung (insbesondere) seines französischen Werks.

Hier setzt das zweite Argument des Unternehmens an, das sich auf « Überkapazitäten in Europa » bezieht. In Wirklichkeit hängt dies einerseits mit einer Arbeitsteilung auf dem Alten Kontinent zusammen: « kleine Reifen » für Personenkraftwagen sind « profitabler », wenn sie in Niedriglohnländern hergestellt werden, während Fabriken im Westen diese « Wettbewerbsfähigkeit » bei den größeren (und profitableren) Reifen aufrechterhalten könnten, z.B. bei der Ausrüstung von SUVs (Sport Utility Vehicles). Aber in Béthune ist in dieser Richtung nichts investiert worden. Es sei darauf hingewiesen, dass andere Reifenhersteller der gleichen Logik folgen: Continental (das sein Werk in Clairoix, nördlich von Paris, liquidiert hat), Goodyear (das seine Werke in Amiens geschlossen hat) und sogar Michelin.

Da der « ökologische Wandel » weniger Kraftfahrzeuge beinhaltet, bedeutet dies zwangsläufig… weniger Reifen zu produzieren

Das hängt andererseits damit zusammen: Da der « ökologische Wandel » die Reduzierung der Grösse und der Anzahl der Kraftfahrzeuge beinhaltet, bedeutet dies zwangsläufig… weniger Reifen zu produzieren.

Das bisher jüngste Beispiel ist der Plan, « große Fahrzeuge » nach ihrem Gewicht (und damit insbesondere… SUVs) mit einem Zuschlag zu belegen. Dies wäre ein neues Handicap für einen durch den Lockdown verwüsteten Automarkt, dessen Nutzung u.a. mit der Perspektive leben muss, Verbrennungsmotoren durch Elektromotoren zu ersetzen, die viel weniger Arbeitskräfte benötigen.

Zwischen den Fronten

Die Mitarbeiter von Bridgestone befinden sich daher zwischen den Fronten: den « Umwelt »-Richtlinien, die auf dem Automobilsektor, einschließlich der Ausrüstungshersteller lasten, und der Priorität der Verlagerung aus Gründen der « Wettbewerbsfähigkeit », d.h. der Gewinnmaximierung.

Der französische Wirtschaftsminister Bruno Le Maire kann zwar hämmern, dass « Verlagerung » und « Reindustrialisierung » « Prioritäten » seien. In Wirklichkeit werden die Standortverlagerungen jedoch mit ziemlicher Sicherheit weitergehen, denn für die Europäische Union ist es verboten, … sie zu verbieten. Und das aus gutem Grund: Es ist dies die eigentliche Definition des Binnenmarktes. Kapital und Güter können darin frei zirkulieren, ganz nach Lust und Laune der Unternehmen und Investoren.

In dieser Hinsicht ist Polen ein Fall aus dem Lehrbuch: Es erhält weiterhin Werke, die von den großen Konzernen für den Westen als « zu teuer » angesehen werden. Und Warschau gewinnt an allen Fronten, da das Land einerseits von diesen großen Abwanderungen; und andererseits von massiven Finanztransfers, insbesondere über den EFRE, profitiert. Subventionen, die angeblich benachteiligten Regionen helfen sollen, die aber in Wirklichkeit mehr den großen Konzernen – den westlichen oder, in diesem Fall, den Japanern – als dem polnischen Volk zugute kommen.

Übrigens finden Verlagerungen nicht ausschließlich nach Osteuropa statt. Im vergangenen Juni kündigte der belgische Konzern Schréder an, dass das Werk Comatelec (Zentral-Frankreich), das Außenbeleuchtungen herstellt, seine Produktion an den spanischen Standort Guadalajara verlagern wird (rund hundert Arbeitsplätze). Lokale Mandatsträger – die lokalen Behörden sind die Hauptkunden des Unternehmens – hatten sich vorgestellt, dagegen zu protestieren, indem sie drohten, ähnliche, aber immer noch in Frankreich hergestellte Produkte zu kaufen. Noch einmal Pech gehabt: Das Gesetz über das öffentliche Auftragswesen verbietet es, eine solche Bedingung zu stellen. Es würde in der Tat im Widerspruch zu den Regeln des europäischen Binnenmarktes stehen.

Im Jahr 2005 vertraute die Polin Danuta Hubner, damals EU-Kommissarin für Regionalpolitik, der französischen Tageszeitung La Tribune an: « Standortverlagerungen in Europa müssen gefördert werden » – eine Vertraulichkeit, deren Offenheit sie sehr schnell bedauerte. Seitdem aber wurde diese Linie mit großer Konsequenz verfolgt…

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La Commission européenne favorise les délocalisations : l’exemple de Bridgestone-Béthune

Par : pierre

La multinationale Bridgestone prévoit de fermer son usine de pneumatiques de Béthune. En cause : d’une part la transition environnementale pilotée par Bruxelles, d’autre part les délocalisations vers l’Europe de l’Est, en l’espèce encouragées par des fonds européens (article paru dans l’édition de Ruptures du 26/10/2020)

Mercredi 16 septembre, 11 heures du matin. Les salariés de l’usine de pneus Bridgestone, à Béthune (Pas-de-Calais), sont sous le choc : la direction du groupe japonais annonce vouloir fermer le site au premier trimestre 2021. 863 emplois seraient rayés de la carte.

Autant de familles jetées dans le désarroi, sans même parler des conséquences pour les nombreux sous-traitants. Le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, évoque une « véritable trahison » ; sa collègue déléguée à l’industrie, Agnès Pannier-Runacher, veut « mettre les dirigeants face à leurs responsabilités » ; et le président du Conseil régional demande à ces derniers de renoncer à la fermeture en échange d’investissements que les pouvoirs publics financeraient à hauteur de 50% sinon, « ce sera la guerre », tonne Xavier Bertrand… Ce dernier avait déjà versé 500 000 euros de fonds publics en 2018, année au cours de laquelle le groupe japonais a également touché 1,8 millions de fonds d’Etat au titre du CICE…

Depuis lors, un « accord de méthode » a été signé prévoyant un « dialogue social » en vue de trouver des « scénarios alternatifs ». Mais qui est dupe ? En quelques années, la production est tombée de 30 000 à 5 000 pneus par jour. Dès lors, les protestations officielles auraient été plus crédibles si elles étaient arrivées plus tôt ; et, surtout, si les véritables enjeux avaient été pointés : d’une part, la libre circulation des capitaux au sein de l’UE, et donc la liberté de délocalisation ; d’autre part, les conséquences de la « transition écologique » pilotée par Bruxelles.

La direction du groupe nippon avance deux justifications à sa décision : d’une part, la concurrence des pneus produits dans les pays à « bas coût de main d’œuvre » ; d’autre part une « surcapacité » en Europe.

S’agissant du premier argument, la direction du groupe est bien placée pour citer la concurrence de la main d’œuvre à bas coût : elle n’a eu de cesse d’investir massivement en Europe de l’Est, précisément pour bénéficier du différentiel salarial, comme le pointe Jean-Luc Ruckebusch, délégué CGT de l’usine. A contrario, s’indigne ce dernier, les investissements à Béthune ont été quasi nuls, tout juste les dépenses de maintenance.

Il rappelle par ailleurs que, globalement, les importations de pneus vers la France ont bondi de + 151% en dix ans, et dépassent désormais les exportations. Une catastrophe face à laquelle un « bouclier anti-dumping social » serait nécessaire, selon le syndicaliste.

Car la production de l’usine Bridgestone de Poznan (Pologne) est passée de 24 à 30 000 unités par jour. Celle de Tatabanya (Hongrie), créée à la fin des années 2000, a vu sa production tripler entre 2013 et 2017, moyennant un investissement de près de 270 millions d’euros, au moment même où le groupe commençait à rogner ses effectifs en France.

Bridgestone a reçu de grasses subventions de l’Union européenne pour investir en Pologne

Si ce n’est pas une délocalisation au sens strict, cela y ressemble fortement. Mais il y a mieux – ou pire… La pauvre multinationale a reçu de grasses subventions de l’Union européenne : ses 139,1 millions d’investissements en Pologne ont été financés, à hauteur de 24 millions, par Bruxelles. Plus précisément par le Fonds européen de développement régional (FEDER), dont l’objet est officiellement de favoriser les régions européennes les moins développées.

Une note de la Commission datant de 2013 précise à cet égard que le projet d’investissement mérite ce plantureux coup de pouce parce qu’il concerne des « produits de pointe » incluant des innovations permettant en particulier de réduire les émissions de gaz à effet de serre. En outre, l’investissement permettait de créer « 201 emplois ». Au prix, donc, de la fermeture ultérieure de (notamment) son usine française.

C’est là qu’intervient le second argument mis en avant par la firme, qui évoque donc une « surcapacité en Europe ». En réalité, celle-ci est d’une part liée à une division du travail sur le Vieux continent : les « petits pneus » pour véhicules de tourisme sont « plus rentables » à fabriquer dans les pays à bas salaires, tandis que les usines à l’ouest pourraient maintenir cette « compétitivité » sur les plus gros (et plus rentables) pneumatiques, par exemple ceux équipant les SUV (véhicules utilitaires sports). Mais rien n’a été investi à Béthune en ce sens. A noter que les autres constructeurs de pneumatiques sont dans la même logique : Continental (qui a liquidé son usine dans l’Oise), Goodyear (qui a fermé ses usines d’Amiens), et même Michelin.

Dès lors que la « transition écologique » passe par moins de véhicules automobiles, cela signifie forcément… moins de pneus à produire

D’autre part et surtout, les responsable politiques qui s’affichent scandalisés se sont bien gardés de pointer une évidence : dès lors que la « transition écologique » passe par la réduction de la place et du nombre de véhicules automobiles, cela signifie forcément… moins de pneus à produire.

Dernier exemple en date : le projet (non encore concrétisé) de surtaxer les « gros véhicules » en fonction de leur poids (et donc en particulier… les SUV). Un nouveau handicap pour un marché automobile sinistré lors du confinement, et dont l’emploi est en ligne de mire avec, entre autres, la perspective du remplacement des moteurs thermiques par des moteurs électriques (pour sa part, le puissant syndicat allemand IG Metall sonne déjà l’alerte dans ce contexte).

Pris en étau

Les salariés de Bridgestone sont donc pris en étau entre ces consignes « environnementales » qui pèsent sur le secteur automobile, y compris les équipementiers ; et la priorité aux délocalisations pour des raisons dites de « compétitivité », c’est-à-dire de maximisation des profits.

Le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, peut bien marteler que « relocalisation » et « réindustrialisation » sont des « priorités ». En réalité, les délocalisations ont toutes chances de se poursuivre, car, pour l’Union européenne, il est interdit… de les interdire. Et pour cause : c’est la définition même du marché unique. Capitaux et marchandises peuvent y circuler sans contrainte, au bon vouloir des firmes et des investisseurs.

La Pologne constitue à cet égard un cas d’école : elle ne cesse de recevoir des activités que les grands groupes jugent « trop chères » à l’Ouest. Pour la seule année 2017, Castorama et Bricodépôt y ont par exemple expédié une part de leurs activités (tertiaires), au moment où Whirpool déménageait son usine d’Amiens (électroménager) vers ce même eldorado.

A noter que Varsovie gagne ainsi sur tous les tableaux puisque le pays bénéficie d’un côté de ces grands déménagements, et d’un autre de transferts financiers massifs, notamment via le FEDER. Des subventions censées aider les régions défavorisées, mais qui profitent donc en réalité plus aux grands groupes – occidentaux, voire, en l’espèce, japonais – qu’au peuple polonais.

Au demeurant, les délocalisations ne se font pas exclusivement vers l’Europe de l’Est. En juin dernier, le groupe belge Schréder a annoncé que l’usine Comatelec (Cher) qui fabrique de l’éclairage extérieur, va voir sa production déménagée vers le site espagnol de Guadalajara (une centaine d’emplois). Des élus locaux – les collectivités sont les grands clients de cette entreprise – ont imaginé protester en menaçant d’acheter des produits analogues mais qui restent fabriqués en France. Encore une fois, mauvaise pioche : le code des marchés publics interdit de spécifier une telle condition. Ce serait en effet contradictoire avec les règles du marché unique européen…

En 2005, la Polonaise Danuta Hubner, qui était alors commissaire européen à la politique régionale, confiait au quotidien La Tribune : « il faut favoriser les délocalisations en Europe » – une confidence dont elle regretta très vite la franchise. Depuis cette date, cette ligne a été suivie avec une grande constance. Quelles que soient les proclamations ministérielles…

 

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L’édition d’octobre de Ruptures est parue

Par : pierre

L’édition d’octobre de Ruptures a été routée le 27 octobre.

Au sommaire :

– l’éditorial qui pointe l’ambition de l’« Europe-puissance » rêvée par Bruxelles, un objectif voué à l’échec mais également dangereux pour la paix et les intérêts nationaux des Etats membres

– un point sur le projet de la multinationale Bridgestone de fermer son usine de Béthune, à la fois pour profiter d’une délocalisation en Pologne largement financée par l’UE, et comme conséquence de la « transition écologique » catastrophique pour l’industrie automobile

– un compte-rendu des Conseils européens des 1er et 15 octobre, au cours desquels les dirigeants des Vingt-sept ont « sanctionné » la Biélorussie, une décision que Chypre avait tenté de bloquer dans l’espoir (vain) d’obtenir des sanctions également contre Ankara, dont le président multiplie les provocations en Méditerranée

– un point sur les négociations quant à l’avenir des relations entre l’UE et le Royaume-Uni : Bruxelles a dû mettre (un peu) en sourdine son arrogance, ce qui relance l’hypothèse d’un accord imminent

– une analyse des hostilités militaires meurtrières qui ont été relancées fin septembre entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan soutenu par la Turquie, dans un contexte où Moscou est le mieux placé pour promouvoir un cessez-le-feu dans ce « conflit gelé » remontant à la dissolution de l’URSS

– une analyse de la formation d’un gouvernement en Belgique, seize mois après les élections de mai 2019, avec un cabinet qui repose sur une coalition hétéroclite de sept partis ayant pour seul objectif commun d’éviter un nouveau scrutin

– et, bien sûr, comme chaque mois, les brèves

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Retour sur le Russiagate : 98 % des médias français ont été conspirationnistes

Par : laurent

Ce travail est chaleureusement dédié à Aaron Maté, Glenn Greenwald, Robert Parry (†), Julian Assange, Max Blumenthal, Stephen Cohen, Caitlin Johnstone, Matt Taibbi, Chris Hedges, Jimmy Dore et à tous les autres journalistes et commentateurs qui ont correctement informé sur le Russiagate malgré la marginalisation, les pressions et les calomnies (voir cette liste des valeureux sceptiques anglo-saxons).

Le Russiagate, dont la thèse centrale était l’existence d’une collusion entre Moscou et l’équipe de Donald Trump pour favoriser l’élection de celui-ci à la présidence des États-Unis, a subi une débâcle flagrante lors de la remise du rapport Mueller en mars 2019. Dénuée de toute preuve, cette théorie du complot fait pourtant régulièrement l’objet de tentatives de réanimation par différentes forces traumatisées par la défaite d’Hillary Clinton. Les médias ayant joué un rôle essentiel dans la production de ce mauvais feuilleton d’espionnage – aux conséquences néfastes bien réelles –, il n’est pas inutile de revenir sur le traitement de l’affaire en France. Sur les 56 médias de premier plan que nous avons examinés, dont certains font bruyamment profession d’« indépendance », comme Mediapart ou Le Canard enchaîné, un seul ne s’est pas vautré dans le conspirationnisme : Le Monde diplomatique.

Après sa déroute, le Russiagate a rapidement été remplacé, ou plutôt prolongé, par un autre récit sensationnel qui tournera lui aussi au fiasco, l’Ukrainegate. Les commentateurs et médias dominants (et parfois moins dominants…), nullement ébranlés par leur fourvoiement manifeste, continuent de servir de caisse de résonance docile aux multiples allégations d’« ingérence russe ». Une telle obstination irrationnelle signe la propagande, on peut même légitimement parler de russophobie. C’est parce que les médias refusent de reconnaître leurs erreurs et d’en tirer les enseignements appropriés qu’il est nécessaire de bien prendre la mesure du délire conspirationniste dans lequel ils se sont complu.

Il faut donc se souvenir que la thèse clintonienne d’une collusion entre l’équipe Trump et Moscou en vue de faire élire l’homme d’affaires à la présidence des États-Unis en novembre 2016 a été très favorablement relayée dans les médias occidentaux pendant deux ans et demi. C’est-à-dire qu’elle a occupé le devant de la scène durant la majeure partie du mandat de Donald Trump.

À la remorque de leurs homologues d’outre-Atlantique, les principaux acteurs français de la presse, de la télévision et de la radio, mais aussi la plupart des organes dits indépendants ou alternatifs, ont ainsi donné de l’importance et du crédit à la plus grande théorie du complot officielle depuis la fable criminelle sur les armes de destruction massive de Saddam Hussein. Nous présentons ci-dessous les preuves de cette quasi-unanimité (98 % des médias dans l’échantillon large et représentatif que nous avons retenu).

Conspirationnisme mainstream

Bien qu’incapables de fournir la moindre preuve, les médias ont choisi de croire – et surtout de faire croire – à ce « Russiagate », un nom faisant référence au scandale du Watergate qui avait abouti à la démission du président Richard Nixon. S’ils se sont acharnés à donner vie à cette conspiration en essayant de faire passer les allégations les plus abracadabrantes pour de solides éléments à charge, c’est principalement sous l’effet grisant d’une double détestation : celle de la Russie (personnifiée par son maître maléfique, Vladimir Poutine) et celle de Trump. La victoire « impensable » de ce dernier face à Hillary Clinton, la championne des élites libérales-atlantistes, devait être contestée d’une façon ou d’une autre ; c’était moins pénible que de s’astreindre à réfléchir aux raisons véritables de la défaite.

Sans originalité, l’amertume du camp otanien a pris la forme d’une accusation du grand méchant ours russe, une incrimination reprise en France y compris par des médias se réclamant – certes plutôt timidement – de positions moins alignées sur l’impérialisme washingtonien (Mediapart, Le Canard enchaîné, Marianne, L’Humanité, Politis). Comme il y a des alter-européistes, il y a des alter-impérialistes ; ce sont d’ailleurs souvent les mêmes.

Il n’était nullement nécessaire d’être bien disposé à l’égard de la ligne politique de Moscou ou de celle (moins claire…) de Donald Trump pour être capable de s’apercevoir que les innombrables adeptes du Russiagate ont fait preuve d’un manque de prudence et de discernement stupéfiant. Il suffisait d’être sensible à la vraisemblance du scénario et attentif aux faits, ou plutôt… à leur absence.

Le paroxysme du n’importe quoi a été atteint avec la médiatisation abondante du « dossier Steele », qui postulait notamment l’existence d’une vidéo dans laquelle on verrait Donald Trump en train de contempler des prostituées soulageant leur vessie sur le lit de la chambre du Ritz-Carlton de Moscou que les époux Obama avaient occupée lors d’une visite présidentielle. Ce « kompromat » obtenu par le FSB permettrait à Voldemort Poutine de faire chanter l’homme d’affaires… Le dossier, un grotesque tissu de rumeurs et de fake news, avait été concocté par un ancien agent du renseignement britannique pour le compte d’un prestataire du Comité national démocrate (DNC – l’organisme qui dirige le Parti démocrate) et du comité de campagne officiel d’Hillary Clinton. Une source on ne peut plus fiable donc.

Aux États-Unis comme en France, les personnes qui exprimaient publiquement des doutes sur la crédibilité du récit dominant étaient volontiers dépeintes en thuriféraires du président américain ou de son homologue russe, voire des deux. Avec ceux qui ont un faible plus ou moins assumé pour l’Otan, l’intimidation et l’ostracisation remplacent souvent l’argumentation. Le débat est rendu délibérément impossible en assimilant toute critique de la ligne euro-atlantiste à un soutien aux « dictateurs » et autres « populistes illibéraux ». C’est l’application d’une méthode simpliste courante en propagande de guerre, généralement cuirassée d’un alibi humanitaire : « Si vous êtes contre un changement de régime par la force en Irak/Libye/Syrie/etc., c’est que vous êtes du côté du boucher Saddam/Kadhafi/Bachar/etc. »

L’irresponsabilité des Russiagâteux

Si tous les médias français n’ont pas défendu la thèse de la collusion avec le même zèle, les comptes rendus et commentaires partaient toujours du principe que celle-ci était crédible et que des éléments probants plaidaient en sa faveur (précisons que la préférence compréhensible de Moscou pour le candidat Trump – compte tenu de l’hostilité anti-russe affichée d’Hillary Clinton – ne constitue évidemment pas en soi une preuve d’entente). Les tournures conservant l’apparence du doute masquaient mal une adhésion préférentielle à la théorie du complot. La rationalité avait une fois encore déserté toutes les rédactions. Toutes sauf celle du Monde diplomatique (et dans une bien moindre mesure celle d’Atlantico), qui parlera de « Tchernobyl médiatique » lors de l’explosion en plein vol du Russiagate.

À chaque fois qu’il y avait un rebondissement dans « l’affaire » – et il y en eut beaucoup –, que les spéculations allaient bon train sur les « avancées » de l’enquête du procureur spécial Robert Mueller, le bourrage de crâne reprenait de plus belle. « Ingérence russe », « collusion avec la Russie », « liens troubles », « relations ambiguës »… Ce récit jamesbondesque à base de machiavélisme poutinien a libéré la parole conspirationniste dominante et permis de multiplier les procès à charge contre Moscou, accusé de vouloir saper à la chaîne les bienveillantes « démocraties libérales ».

En effet, si la Russie a manipulé l’élection présidentielle américaine, alors pourquoi pas le référendum sur le Brexit, la campagne présidentielle française, le référendum catalan, le mouvement des Gilets jaunes, les élections européennes, les élections générales britanniques, etc., etc. ? Dernièrement, on nous a dit que, « selon des sources du renseignement », Moscou payait des talibans pour qu’ils tuent des soldats américains et que des hackers russes essayaient de voler des données sur un vaccin pour la Covid-19. Il n’y a pas de fumée sans feu. C’est pourquoi il faut produire beaucoup de fumée. Et donc relayer servilement les opérations d’intoxication mitonnées par les services de renseignement occidentaux.

Les propagateurs de ces multiples scoops tonitruants devraient s’enquérir de la moralité de la fable d’Ésope appelée « Le Berger mauvais plaisant », plus connue sous le titre « Le Garçon qui criait au loup »…

Au lieu de se montrer soucieux de la vérité et des faits, de tempérer leur agressivité systématique à l’égard de la deuxième puissance nucléaire mondiale, les médias ont endossé le paradigme belliciste de la « menace russe ». Ce climat hostile a facilité, entre autres mesures antagoniques, l’intensification de l’odieuse politique de sanctions contre la Russie, le retrait états-unien de plusieurs traités internationaux de contrôle des armes, le renvoi de diplomates russes et l’opposition au projet de gazoduc Nord Stream 2 soutenu par Moscou. Quant à l’Otan, qualifiée d’« obsolète » par Donald Trump pendant sa campagne, elle est redevenue selon lui pertinente peu de temps après son élection, et même « un rempart pour la paix et la sécurité internationales » (voir notre article sur ce revirement). La « marionnette Trump » semble moyennement sous le contrôle du maître du Kremlin…

La campagne permanente de dénigrement anti-russe travaille l’opinion publique afin qu’elle consente à la hargne occidentale, en premier lieu à l’égard de Moscou, mais aussi des autres « ennemis » du bloc euro-atlantique (Chine, Iran, Syrie, Venezuela, etc.). Il s’agit ultimement de justifier un prétendu « droit d’ingérence ». Les médias sont en grande partie responsables de cette mentalité obsidionale qui tente de légitimer des comportements de brute et la pratique routinière du deux poids, deux mesures. Ce ne sont pas seulement les usages diplomatiques, l’esprit de concorde, voire le droit international qui sont piétinés, mais aussi plus fondamentalement les valeurs de vérité et de justice.

Les journalistes sont-ils conscients que la russophobie paranoïaque et le climat de guerre froide qu’ils nous imposent empoisonnent les relations internationales et font courir de graves risques à la paix dans le monde ? Non seulement les médias ne favorisent pas la désescalade, mais ils la combattent âprement.

Aaron Maté, l’expert proscrit

Deux ans et demi d’intense propagande conspirationniste donc, et puis… le verdict est tombé avec la remise du rapport Mueller : la « théorie du complot » selon laquelle « Donald Trump ou ses équipes auraient conspiré avec les Russes pour voler la présidentielle américaine » est une « illusion » (Wall Street Journal, 24 mars 2019). Une conclusion confirmée par la publication du rapport complet. À ceux qui douteraient encore du caractère tout à fait vide du dossier, nous recommandons la lecture des articles de celui qui est probablement le meilleur spécialiste au monde du Russiagate, le journaliste Aaron Maté, qui travaille désormais pour l’excellent site The Grayzone.

Ses textes, très étayés et rigoureux, sont malheureusement peu accessibles en français. Toutefois, Le Monde diplomatique en a traduit trois : « Ingérence russe, de l’obsession à la paranoïa », « Comment le “Russiagate” aveugle les démocrates » et « Un cadeau des démocrates à Donald Trump » (nous avons déjà indiqué plus haut un quatrième article d’Aaron Maté paru dans le mensuel, celui sur l’Ukrainegate). Et le site Les Crises a publié celui-ci : « Repose en Paix, Russiagate ».

Pour les lecteurs qui maîtrisent la langue de Steinbeck, il est indispensable de prendre connaissance de cette analyse approfondie du rapport Mueller. Aaron Maté y réfute également les allégations centrales du volet informatique de l’accusation d’ingérence russe dans l’élection américaine de 2016, à savoir d’une part le piratage des serveurs du DNC (voir aussi cet article plus récent) et de la messagerie électronique de John Podesta – le directeur de campagne d’Hillary Clinton –, et d’autre part les opérations menées par des « bots russes » sur les réseaux sociaux afin d’influencer les électeurs américains (pour en savoir plus sur le second point, lire cet autre texte).

Il est édifiant de constater que le journaliste le plus compétent sur le Russiagate a été complètement marginalisé, quand il n’était pas harcelé sur les réseaux sociaux ou attaqué avec virulence par des personnes occupant des positions professionnelles plus confortables, y compris d’anciens collègues. Aux États-Unis, Aaron Maté a vu ses espaces d’expression se réduire à cause de la lucidité dont il a fait preuve ; il a été (et reste) quasiment banni de l’univers mainstream. En France, parmi la cinquantaine de médias connus que nous avons observés, seul Le Monde diplomatique s’est intéressé à son travail ; son nom n’a pas même été mentionné par les autres (sauf une unique fois dans cet article malhonnête de Slate éreintant Glenn Greenwald, « tellement critique de la couverture médiatique sur l’ingérence russe que son discours ressemble à celui de Donald Trump »…).

Les chauffards du journalisme

Le Russiagate a fait chou blanc mais, sans surprise, les médias et commentateurs installés n’ont nullement fait amende honorable et reconnu qu’ils avaient massivement intoxiqué leurs publics, s’alignant ainsi sur les objectifs géostratégiques des faucons de Washington – qui dominent aussi le Parti démocrate – et des services de renseignement occidentaux. Ils auraient pourtant eu intérêt à admettre leur égarement pour enrayer la spirale du discrédit dans laquelle ils sont pris. Mais rien n’indique pour l’instant qu’ils se soient résolus à pratiquer un journalisme honnête et rigoureux.

En diffusant avec délectation une théorie du complot accablante pour Donald Trump, les médias dissimulaient à peine leur souhait de le voir destitué ; il en fut de même ensuite avec l’Ukrainegate et la procédure formelle en ce sens. Résultat : en l’accusant à tort de façon aussi outrée, en orchestrant une chasse aux sorcières de type maccarthyste, ils ont renforcé le président honni et l’ont en partie immunisé contre les critiques légitimes – qui ne manquent pas –, ce qui l’a positionné avantageusement pour un second mandat (depuis, sa gestion de la crise du coronavirus a beaucoup fragilisé cette configuration favorable).

Par contre, les perroquets otanophiles sont parvenus à leurs fins sur un autre plan : ils ont empêché tout apaisement entre les États-Unis (et leurs vassaux) et la Russie. Le parti de la guerre continue de mener la danse. On peut d’ailleurs se demander si le Russiagate n’avait pas pour but premier, dans l’esprit de ses instigateurs, de contrecarrer le non-interventionnisme, l’obsolescence de l’Otan et le rapprochement américano-russe sur lesquels Donald Trump avait fait campagne (la sincérité de ces positions est une autre question).

Ce sinistre feuilleton était une façon pour les adorateurs du Pentagone de réaffirmer leurs fondamentaux : exceptionnalisme états-unien, hégémonie mondiale et impérialisme humanitaire. La vaste campagne anti-russe favorise également une restriction de la liberté d’expression et un contrôle de plus en plus strict d’Internet. De tout cela, les médias sont activement complices.

98 %, vraiment ? – Oui.

Nous présentons ci-dessous des captures d’écran effectuées sur les versions en ligne des principaux médias d’information permettant de se faire une idée de leur traitement du Russiagate et plus globalement du dossier des « ingérences russes » dans l’élection de 2016 (Le Canard enchaîné n’ayant pas de formule numérique, nous utilisons pour ce titre des reproductions réalisées à partir des archives sur microfilms). Au nombre de dix au maximum, les publications sont ordonnées chronologiquement. Comme cela peut être aisément vérifié, les titres – et les chapôs quand ils sont présents – des articles reflètent leur contenu, à quelques nuances près. Il s’agit ici de restituer la tonalité générale du discours.

Les lecteurs attentifs remarqueront la mention récurrente de l’expression « avec l’AFP » dans la signature des articles listés (c’est-à-dire qu’ils ont été écrits en reprenant largement une dépêche produite par l’agence de presse), ce qui montre le rôle majeur qu’a joué celle-ci dans la propagation de la théorie du complot. L’agence britannique Reuters est également citée. L’emprise souvent néfaste des agences de presse sur la production journalistique mériterait d’être davantage mise en lumière (sur le sujet, voir cette étude).

La couverture du Russiagate permet de mesurer le degré d’uniformité de l’espace médiatique français – droite et « gauche » confondues – sur ce qui a trait aux rapports de force mondiaux et à la géopolitique. Pluralisme et finesse d’analyse font particulièrement défaut quand il est question de la Russie. Nous avons affaire à un cas d’école qui révèle la soumission foncière à l’impérialisme américain, y compris de la part de publications prétendument alternatives (qui semblent réclamer une « autre Otan » – inclusive, bienveillante et durable – comme elles réclament une « autre Europe »). 98 % des médias sont les attachés de presse ou des critiques superficiels du militarisme euro-atlantique.

La pensée conspirationniste, considérée par les élites comme un grand fléau civilisationnel quand elle est pratiquée par les dominés, devient tout à fait autorisée pour la défense des intérêts de l’Occident néocolonial. On notera au passage le silence pudique des chasseurs patentés de fake news, fact-checkeurs et autres spécialistes médiatiques du complotisme sur la déconfiture du Russiagate. Par exemple, à notre connaissance, le sociologue Gérald Bronner, qui déplore abondamment – et souvent à juste titre – le « succès des mythologies du complot [et l’]hystérisation des débats publics » (cf. cette tribune), n’a pas dit un mot sur le sujet. Comment expliquer cette occultation si ce n’est par un biais politique ?

Quant à Rudy Reichstadt, qui est considéré par les médias dominants comme l’expert de référence en matière de conspirationnisme, il a écrit dans un article publié le 18 janvier 2019 sur Conspiracy Watch que le Russiagate était étayé par des « indices accablants » et des « éléments autrement plus solides que ceux sur lesquels sont habituellement bâties les théories du complot diffusées par le Kremlin ». Deux ans plus tôt, dans cet autre texte, il était allé jusqu’à accorder du crédit au fameux dossier Steele, dont « les éléments troublants […] portés sur la place publique » lui semblaient de nature à appuyer « l’hypothèse que le Kremlin ait pu influencer les élections américaines ». Convenons-en, Rudy Reichstadt est bien, en un certain sens, « expert en complotisme »… On comprend que le complexe médiatico-politique ait adoubé un tel champion pour défendre la cause.

Le cas du Russiagate montre à quel point l’ensemble du secteur médiatique peut faillir sous le poids de ses biais idéologiques et vices structurels. Une telle irresponsabilité représente une menace pour la paix mondiale. C’est pourquoi il nous faut inlassablement demander des comptes aux propagandistes. À ceux qui seraient tentés de minorer leur influence, nous préconisons la lecture de ce bref compte rendu d’un sondage effectué après la médiatisation des conclusions du rapport Mueller : « Pour près de la moitié des Américains, il y a eu collusion Trump-Russie ».

Laurent Dauré

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I. La règle : médias conspirationnistes (55)

A. Quotidiens (13)

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II. L’exception : média non-conspirationniste (1)

A. Mensuel (1)

Le Monde diplomatique

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« Les entretiens de la quarantaine » : Pierre Lévy analyse les crises européennes

Par : pierre

Convié par la chaîne du Cercle Aristote, le rédacteur en chef du mensuel Ruptures revient sur les crises et contradictions auxquelles sont confrontés les dirigeants de l’UE, notamment après le verdict explosif sur l’euro rendu par le Tribunal constitutionnel allemand.

Un entretien audio à faire connaître :

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La monnaie unique chancelle (éditorial paru dans Ruptures du 26/05/20)

Par : pierre

L’Europe, une affaire allemande. Pour des raisons géographiques, historiques. Et bien sûr économiques. Dès lors, quand la chancelière franchit ses propres « lignes rouges », c’est qu’à Berlin, on s’inquiète vraiment. Il convient, a martelé Angela Merkel, d’« agir en responsabilité pour que l’euro puisse subsister ». Rien de moins. C’était l’objet de la proposition conjointe du « couple franco-allemand » annoncée le 18 mai : un plan de 500 milliards qui seraient empruntés sur les marchés par la Commission européenne puis donnés – et non prêtés – aux secteurs et régions agonisants.

C’est la violence de la crise déclenchée par le virus qui a conduit Mme Merkel à briser ce tabou majeur : une mutualisation des dettes et un remboursement collectif, non par les bénéficiaires, mais par les Etats les plus riches : l’Allemagne, bien sûr, mais aussi la France, qui, si le plan était adopté par les Vingt-sept, co-financeraient le renflouement italien ou espagnol – un point sur lequel le président français ne s’est pas étendu. Il s’est en revanche flatté d’avoir amené sa partenaire vers les vues traditionnelles de Paris : plus de fédéralisme économique et budgétaire.

La concession allemande doit probablement plus au réalisme de sa partenaire qu’au charme jupitérien. Berlin est depuis longtemps accusé – à juste titre – de profiter largement de la monnaie unique pour accumuler excédents commerciaux et budgétaires, et ce, au détriment des pays les plus faibles. Cette situation menaçait de devenir explosive.

Car si tous les pays sont touchés par une brutale récession avec des conséquences sociales jamais connues depuis la guerre, la puissance économique germanique devrait permettre de remonter la pente, là où les pays du sud risquent de plonger sans retour. Avec à la clé une aggravation du fossé au sein même de la zone euro. C’est politiquement de moins en moins tenable, et, surtout, économiquement, périlleux : quel avenir pour une puissance massivement exportatrice si nombre de ses voisins sombrent ?

Un autre événement germano-allemand, et non des moindres, a bousculé la chancelière : l’arrêt historique du Tribunal constitutionnel fédéral du 5 mai. Les juges de Karlsruhe ont exigé de la Banque centrale européenne (BCE) qu’elle s’explique sur le programme de création monétaire massive lancé en 2015, et fixé un ultimatum de trois mois. Il est peu probable qu’à cette échéance de très court terme, la Cour ordonne finalement à la banque centrale allemande de se retirer du programme, comme elle en a brandi la menace, car cette arme nucléaire provoquerait illico la désintégration de l’euro : pour l’Italie et l’Espagne notamment, mais aussi pour la France, cesser l’injection monétaire de la BCE reviendrait à débrancher le respirateur artificiel d’un patient Covid en réanimation.

En revanche, les juges constitutionnels ont rappelé que la participation de Berlin à un programme de planche à billets (quels que soient les déguisements inventés par les juristes financiers) était contraire à l’« identité constitutionnelle » du pays. Le nouveau programme lancé en mars, censé combattre la course à l’abîme économique déclenchée par le virus, est donc dans le viseur. Bref, le sauvetage de la zone euro par la voie monétaire, comme c’est le cas depuis 2011, est désormais interdit. Ne reste que la voie budgétaire, par la communautarisation des dettes.

Le tribunal de Karlsruhe a ainsi confirmé que la primauté du droit communautaire ne vaut que dans la mesure où les Etats l’acceptent

Le Tribunal constitutionnel a posé, par son verdict, une bombe encore plus explosive, cette fois pour l’UE dans son entier. Il a confirmé que, de son point de vue, il existe des circonstances où le droit national doit prévaloir sur le droit européen, ce qui a immédiatement fait hurler les partisans de l’intégration. Ce faisant, il prolonge ses sentences précédentes et confirme ainsi que la primauté du droit communautaire, à l’origine simplement auto-proclamée par la Cour de justice de l’UE, ne vaut que dans la mesure où les Etats l’acceptent.

Si les juges constitutionnels allemands ont strictement dit le droit, ils ont aussi traduit un état d’esprit répandu parmi les Allemands, peu enclins à accepter des sacrifices supplémentaires (notamment en matière d’affaiblissement de l’épargne) au nom de l’Europe. Un état d’esprit populaire sur lequel pourrait surfer une partie de l’élite dirigeante d’outre-Rhin, y compris au sein même du parti de la chancelière.

Et un état d’esprit qui est partagé – pour des raisons certes diverses – dans de nombreux pays de l’UE. L’Europe, ou plutôt sa mise au rancart : une affaire des peuples.

Pierre Lévy – @LEVY_Ruptures

 

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L’UE « soutient » officiellement le plan américain visant à éliminer le président vénézuélien

Par : pierre

Washington a demandé a son poulain vénézuélien, Juan Guaido, de se retirer provisoirement, pour mieux écarter Nicolas Maduro – une stratégie sur laquelle Bruxelles vient de s’aligner

Les deux sont espagnols, les deux sont socialistes, les deux ont été ministre des Affaires étrangères de leur pays. Surtout, le premier fut Haut représentant de l’UE pour la politique étrangère (1999-2009), responsabilité qu’occupe le second aujourd’hui.

Seule différence : Javier Solana fut également Secrétaire général de l’OTAN (1995-1999), alors que son successeur à Bruxelles, Josep Borrell, n’a pas eu cet honneur. Mais ses chances restent intactes, ne serait-ce qu’au regard de sa dernière prise de position, particulièrement appréciée à Washington.

A l’issue de la réunion des ministres des Affaires étrangères des Vingt-sept du 3 avril (par vidéoconférence), M. Borrell a annoncé que l’Union européenne « soutient » le plan américain visant à faire partir le président du Venezuela, Nicolas Maduro. Celui-ci avait été réélu en mai 2018, au grand dam de l’opposition inspirée par Washington.

En janvier 2019, Juan Guaido, un homme issu de cette dernière, s’est auto-proclamé président du pays, aussitôt reconnu par la Maison-Blanche, par les chancelleries européennes, et par nombre des diplomaties sud-américaines.

Les dirigeants US – au premier rang desquels John Bolton, exfiltré des couloirs du pouvoir entre temps – escomptaient que le peuple et l’armée vénézuéliens acclameraient le jeune prétendant. Le scénario ne s’est pas déroulé selon les plans prévus. La seule chose qui a fonctionné, c’est un étranglement supplémentaire de l’économie du pays par les sanctions américaines.

Il y a quelques jours encore, le ministre américain de la Justice – les guillemets devraient être de rigueur – a lancé un « avis de recherche » dans la plus pure tradition du Far West, où la tête de Nicolas Maduro était mise à prix pour quiconque faciliterait son « arrestation », en fait son élimination, au moins politique.

Qu’un tel contrat mafieux, au vu et au su du monde entier, ait pu être lancé sans provoquer, en France par exemple, de réactions estomaquées et indignées montre à quel point le confinement de l’information qui sévit aujourd’hui grâce au coronavirus fait des ravages.

Sauf que le shériff qui siège à Washington a dû s’y faire : le président vénézuélien résiste, et la majorité du peuple n’est pas disposée à accepter les oukases des Yankees.

l’UE applaudit des deux mains ce plan qui vise ouvertement à un changement de régime piloté de l’extérieur

La diplomatie – si l’on ose dire – américaine a donc dû opérer un changement de stratégie. Elle a prié Juan Guaido de ne plus se revendiquer, pour l’instant, comme président, ce que l’intéressé, ça tombe bien, a accepté illico. Evidemment, elle a demandé au président élu… de faire de même. Et ce pendant une « période de transition » au cours de laquelle le pouvoir serait confié à un « Conseil d’Etat ». En échange, Washington consentirait à lever ses sanctions – Madame est trop bonne.

C’est donc à ce plan, qui vise ouvertement à un changement de régime piloté de l’extérieur, que l’UE a applaudi des deux mains. Dès aujourd’hui, même, puisqu’elle « accueille positivement le cadre pour une transition démocratique au Venezuela proposé par les Etats-Unis », selon les termes de Josep Borrell. Et le communiqué rédigé dans le plus pur sabir euro-diplomatique poursuit : l’UE est prête à « contribuer, notamment à travers le Groupe de contact international, à un processus inclusif vers le rétablissement de la démocratie et l’Etat de droit, à travers une élection présidentielle libre et équitable ».

Pour sa part, Caracas a refusé une offre si généreuse, et appelé les Européens « au respect de la souveraineté du peuple vénézuélien », le tout sur la base des « principes de la Charte des Nations-Unies ».

Quelle arrogance !

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Die zwei Säule der EU wackeln

Par : pierre

Zu spät. Mitte März hat sich die Europäische Kommission nach langem Zögern damit abfinden müssen, sich auf die noch nie genutzte « allgemeine Ausnahmeklausel » zu berufen, die erlaubt, die Sparpolitiken in den EU-Ländern auszusetzen. Die Staaten dürfen grenzenlos Ausgaben tätigen. Das ist das Einzige, was Brüssel richtig machen konnte: keine Überwachung mehr, keine Drohungen, keine Sanktionen – mit einem Wort: Klappe halten.

Aber der Schaden ist bereits da. In den dreiundzwanzig Jahren seines Bestehens war der Stabilitätspakt eine Massenvernichtungswaffe gegen die öffentlichen Ausgaben der Mitgliedstaaten, wobei die öffentlichen Dienste an vorderster Front stehen. Daher die tragische Katastrophe im Bereich der öffentlichen Gesundheit.

In Frankreich zum Beispiel wurde die Zahl der Krankenhausbetten pro Einwohner in drei Jahrzehnten halbiert. Weder Chaos, Panik noch Ausgangssperre wären entstanden, wenn das Land  genug Masken, Tests, Beatmungsgeräte und Personal gehabt hätte – anders gesagt, wenn die Regierung und alle ihre Vorgänger, die der europäischen Logik verpflichtet waren, die Anforderungen des öffentlichen Krankenhaussystems berücksichtigt hätten, anstatt es platt zu walzen.

Es ist wahrscheinlich kein Zufall, dass sich Italien im Herzen des Corona-Zyklons befindet. Die Wochenzeitung Freitag erinnerte kürzlich daran, wie die EU 2011 von Rom verlangte, die Kapazitäten im Gesundheitswesen um 15 Prozent zu kürzen. Gerade als Brüssel den als zu weich geltenden Silvio Berlusconi durch den ehemaligen EU-Kommissar Mario Monti ersetzte.

Die Siebenundzwanzig, die durch den doppelten Tsunami im Gesundheits- und Wirtschaftsbereich in Panik gerieten, setzten also ihre Sparmaßnahmen aus. Aber für wie lange? Ohne Stabilitätspakt als Korsett kann der Euro nicht lange durchhalten.

Neben dem Euro ist der Schengen-Freizügigkeitsraum die zweite Säule, die traditionell von den EU-Prominenten gefeiert wird. Bereits durch die Migrantenkrise erschüttert, wackelt er nun in seinen Grundfesten. Innerhalb weniger Tage haben nicht weniger als fünfzehn Länder – darunter auch die Bundesrepublik – die Kontrolle über die so genannten « inneren » Grenzen wiedererlangt oder diese sogar abgeriegelt und damit die heiligsten Regeln mit den Füßen getreten. Der französische Präsident gehörte zu denjenigen, die bis zum 12. März sagten, dass diese offen bleiben sollten. Einige Tage später beschloss er dann mit seinen Amtskollegen, die so genannten Außengrenzen zu schließen. Ein merkwürdiger Virus, der einen Unterschied zwischen den Ländern, die Mitglieder des europäischen Clubs sind, und den anderen, zu machen scheint…

In der allgemeinen Auflösung verordneten Paris und Berlin, dass die wertvollen Schutzmasken in erster Linie ihren nationalen Gesundheitsdiensten gewidmet werden sollten – ein logischer Reflex, der zeigt, dass der Nationalstaat als der Schutzrahmen schlechthin verankert bleibt, ein Reflex, der aber Brüssel in Trance versetzte – während Prag die von China nach Italien gesandten Masken klaute. Italien, dem die EU ihr Beileid entgegen brachte, während Peking, aber auch Russland und Kuba, Ausrüstung, medizinisches Personal und militärische Logistik zur Verfügung gestellt haben… In den sozialen Netzwerken der Halbinsel schwirren Millionen von Nachrichten mit einer einzigen Idee herum: Wir werden uns daran erinnern. Der Außenminister, Luigi di Maio, hat nichts anders gesagt.

Jacques Delors gibt zu, dass die EU « in Todesgefahr » ist, während der französische Präsident befürchtet, dass « das Überleben des europäischen Projekts auf dem Spiel steht »

Für die Anhänger der europäischen Integration, die mit Schrecken in den letzten Wochen zu erkennen begannen, dass der Brexit ein Erfolg werden könnte, konnte es kein schlimmeres Szenario geben. Die sehr pro-europäische Tageszeitung Le Monde räumte in einem Leitartikel (20.03.20) ein, dass « das ‚jeder für sich selbst’, das sich jetzt  in der EU entfaltet, nichts hat, das die Briten bereuen lassen kann« , den Block verlassen zu haben. Emmanuel Macron seinerseits sprach am 12. März von einer zukünftigen « Reflexion über einen Modellwechsel« , bei dem es notwendig sei, « die Kontrolle wiederzuerlangen« . Ironischerweise ist dieser Ausdruck genau eine wörtliche Übersetzung des zentralen Mottos der Brexiter… Auch wenn sein Aufruf, « ein Frankreich, ein souveränes Europa aufzubauen » (was in sich widersprüchlich ist: zwei konkurrierende Souveränitäten können nicht zusammenleben), seine weitere Verbundenheit mit dem Dogma bestätigt.

Aber die Angst wächst in der EU-Chefetage. Während das berühmte deutsch-französische Paar vom Radar verschwunden ist, alarmierte Le Monde am 28. März erneut: « Die EU spielt um ihr Überleben« . Kurz zuvor sprach der Wirtschaftsminister Bruno Le Maire von einem entscheidenden Test für die EU. Zwei Tage später gab Jacques Delors – der uralte Held der EU-Anhänger – zu, dass die EU « in Todesgefahr » sei. Diese Befürchtung wurde vom französischen Präsidenten wiederholt, der der Ansicht ist, dass « das Überleben des europäischen Projekts auf dem Spiel steht« .

Eine Epidemie kann eine andere verdecken. Eine viel erfreulichere.

 

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La crise du Covid-19 engendre des profiteurs idéologiques parmi les « défenseurs de la planète »

Par : pierre

Certains saisissent l’occasion de l’épidémie et du confinement pour affirmer que des contraintes autoritaires sont aussi possibles et nécessaires pour combattre le réchauffement climatique.

On les attendait. On s’impatientait. On s’inquiétait. Mais qu’étaient devenus les acharnés du climat, les Greta-ficionados, les combattants de la planète ? Les premières apparitions du virus remontent désormais à plusieurs mois, et toujours aucune preuve de la culpabilité du réchauffement dans le surgissement de l’agent épidémique. Rien, le Covid sidéral !

C’est désolant.

Alors, faute de grives (bio), il a bien fallu enfiler des merles. Dans le paysage de la presse écrite dominante, Libération et Le Monde ont publié de nombreuses contributions de partisans de la soumission de l’Homme à la nature, ou des tenants de la version douce – la cohabitation harmonieuse et sans conflit.

Certains ont salué au passage « le plus salutaire des coups de frein » que constitueraient les circonstances actuelles. Pour s’en tenir aux seules colonnes du Monde, un premier angle d’attaque a fait revivre le parfum nostalgique d’un « âge d’or » – qui n’a évidemment jamais existé – au sein duquel les humains auraient accepté avec bienveillance leur indépassable infériorité vis-à-vis de la nature. Ainsi, avance l’essayiste Dominique Eddé (1), « on est en droit de se demander si la pandémie de coronavirus aurait généré autant de panique et d’angoisse dans une autre époque, un autre temps ».

On n’a malheureusement pas (encore) inventé la machine à remonter le temps. Sinon, on aurait volontiers conseillé aux sceptiques de la « modernité », voire pour certains de la science, aux amoureux de la biodiversité, aux ennemis du « productivisme », des OGM et des pesticides, de se transporter par exemple au Moyen-âge, quand les épidémies de peste noire étaient – ô temps béni – parfaitement naturelles, tout comme l’étaient les moyens de les combattre, avec l’efficacité incontestable des médecines douces. A défaut, on peut relire Camus. L’écrivain, situant son roman La Peste au vingtième siècle, évoquait les cadavres que l’on ramassait chaque matin gisant dans les rues.

Aussi dramatique que soit l’épisode actuel, on n’en est pas tout à fait là aujourd’hui. Surtout, le chaos tragique que connaissent les hôpitaux français s’explique non par la virulence du virus, mais par la démolition qui a été progressivement imposée au service public de santé. Ainsi, la panique aurait-elle fait irruption si l’on n’était pas passé, en quatre décennies, de 11 lits d’hospitalisation pour mille habitants à 6,5 ? Si l’on avait disposé d’assez de masques, d’assez de tests, d’assez de respirateurs ? La gravité de la situation ne s’explique pas par trop de « modernité », mais au contraire par la manière dont celle-ci a été minée par des choix politiques.

L’inévitable Noël Mamère voit dans la crise actuelle « une sorte de répétition générale avant l’effondrement majeur »

Déjà, en 2010, l’éruption du volcan islandais Eyjafjöll, qui avait paralysé une large partie du trafic aérien planétaire, avait suscité des commentaires pénitents – y compris un éditorial du quotidien du soir – sur le thème : la nature nous prouve sa supériorité indépassable, cet événement nous rappelle opportunément la nécessaire humilité. Dominique Eddé livre la version 2020 : « l’ignorance et l’impuissance, qui sont en définitive les deux données fondamentales de la condition humaine, sont brusquement de retour au sein de l’humanité ».

Comme si l’aventure de l’humanité ne consistait pas précisément à faire reculer, toujours et encore, et sans limite, « l’ignorance et l’impuissance ».

Pour sa part, l’inévitable Noël Mamère (2) voit dans la crise actuelle « une sorte de répétition générale avant l’effondrement majeur ». L’ancien maire de Bègles fait cependant preuve, allez savoir pourquoi, d’une certaine prudence : nous n’en sommes qu’à la répétition, pour le véritable effondrement, il faudra sans doute patienter encore un peu.

Second axe

Le second axe d’attaque des Philippulus de l’apocalypse s’intéresse à la méthode employée, en France et dans plusieurs autres pays, pour combattre la crise sanitaire. C’est sans doute le chroniqueur Stéphane Foucart (qu’on a connu plus rationnel précédemment) qui a donné le signal (3). En substance : si l’on peut imposer autoritairement des mesures drastiques contre l’épidémie, pourquoi ne procéderait-on pas de la même manière pour endiguer la production de CO2 ? Car, pour le journaliste, la méthode douce vantant une transition « verte » progressive (à défaut d’être progressiste) a prouvé son inefficacité. Qui plus est, précise-t-il avec honnêteté, à la différence du confinement temporaire aujourd’hui mis en œuvre, la sauvegarde de la planète devra imposer des contraintes aussi drastiques, mais « durables ». Disons jusqu’à 2050 et n’en parlons plus.

Un groupe de militants et d’associatifs n’a pas tardé à embrayer (4), appelant dans un texte collectif à « entrer en résistance climatique », affirmant « viser une victoire climatique à travers une profonde transformation de nos vies et de nos sociétés ». C’est le moment où jamais, affirment-ils, car « la crise du coronavirus vient démontrer à tous qu’une bascule rapide est possible ». Pour « sortir du productivisme et du consumérisme », les signataires entendent devenir une « minorité motrice, catalyseur enthousiaste d’une transition désirable capable d’initier le changement nécessaire dans toute la société ».

En « phase 1 » (cinq sont proposées), ils « invitent » notamment à adopter de sympathiques recettes : « repenser sa manière de se déplacer et ne plus prendre l’avion, redécouvrir les transports doux et rouler moins de 2 000 kilomètres par an en voiture ; développer la cuisine végétarienne et se nourrir d’aliments biologiques, locaux et de saison, avec de la viande au maximum deux fois par mois ». La « phase 2 » devrait déboucher sur « un nouvel imaginaire donnant à voir ce futur frugal et désirable ». On notera la référence à la « frugalité », emballage (recyclable) de l’austérité. Quant à la phase 3, elle verrait l’abolition de « l’aviation de masse » ; ce qui, si les mots ont un sens, signifie le retour à l’aviation d’élite. Enfin, une fois le bon exemple donné, la « phase 5 » verrait la mise en œuvre de « l’ensemble des outils de la diplomatie politique et économique (…) pour convaincre les gouvernements réfractaires ». Lesdits réfractaires n’ont qu’à bien se tenir. Car dans la géopolitique actuelle, les outils évoqués portent un nom : « sanctions ».

Encore s’agit-il là de la version douce. Quelques jours plus tard, deux chercheurs proposent leur contribution (5) visant à « tirer les leçons de la crise du coronavirus pour lutter contre le changement climatique ». Le refrain est le même, mais en mode comminatoire. François Gemenne et Anneliese Depoux commencent par se réjouir que, vraisemblablement, « beaucoup de ces mesures de ralentissement forcé de l’économie (aient) induit une baisse significative des émissions de gaz à effet de serre ». Prenant l’exemple de la Chine, ils notent que « la période de confinement (…) a vraisemblablement épargné, dans ce pays, un nombre de vies plus important que le coronavirus n’en a coûté » du fait de la baisse de la pollution atmosphérique. Message transmis aux Chinois, qui ne manqueront pas d’appeler de leurs vœux l’arrivée de nouveaux virus, tant le bilan global paraît si positif.

Ce qui semble avoir échappé aux auteurs, c’est que la production de l’ex-Empire du Milieu a certes brutalement chuté, conduisant ainsi le pays à vivre sur ses réserves. Mais pourrait-il tenir longtemps sans produire ? Et donc sans, le moment venu, être en proie à la disette – dans un air cependant de plus en plus pur, appréciable consolation.

Les auteurs du texte se réjouissent : « il est (donc) possible que des gouvernements prennent des mesures urgentes et radicales face à un danger imminent (et…) que ces mesures soient acceptées par la population ». Mais pour se désoler aussitôt : « nous sommes à l’évidence incapables de faire de même pour le changement climatique ». Ils s’interrogent sur les raisons d’un tel hiatus.

Pour certains, face à l’urgence climatique, nous ne pouvons plus nous payer le luxe de ce qui s’appelait naguère la démocratie

La conclusion est sans appel, et mérite d’être intégralement citée : « la lutte contre le changement climatique aura également besoin de mesures décidées verticalement : si nous attendons que chacun prenne les mesures qui s’imposent, nous risquons d’attendre longtemps ».

On soulignera au passage le terme « verticalement », qui renvoie évidemment à la « verticale du pouvoir », expression consacrée pour stigmatiser l’autoritarisme attribué au président russe. Le message est sans ambiguïté : face à l’urgence climatique, nous ne pouvons plus nous payer le luxe de ce qui s’appelait naguère la démocratie ; des mesures autoritaires vont s’imposer.

Le sacrifice de la souveraineté populaire au nom de l’urgence climatique – l’injonction n’est certes pas nouvelle. Le petit plus consiste ici à se saisir d’une occasion jugée opportune, précisément du fait de la situation dramatique, pour tenter de marquer des points.

Chacun jugera.

Pierre Lévy

(1) Le Monde, 23/03/2020
(2) Le Monde, 14/03/2020
(3) Le Monde, 15/03/2020
(4) Le Monde, 20/03/2020
(5) Le Monde, 19/03/2020

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Elections en Slovaquie : des « populistes de gauche » battus par un « populiste de droite »…

Par : pierre

Les électeurs slovaques ont exprimé leur rejet d’un gouvernement dirigé par des sociaux-démocrates accusés d’être mouillés dans de graves scandales, mais, les « centristes » pro-UE n’obtiennent pas la victoire espérée par Bruxelles.

Les élections législatives qui se sont déroulées en Slovaquie le 29 février ont été marquées par une participation en forte hausse : 65,8%, soit + 6 points par rapport à 2016. La scène politique de ce pays d’Europe centrale de 5,5 millions d’habitants sort bouleversée du scrutin. Ce dernier a été marqué par deux traits saillants.

Le premier est la lourde défaite du parti SMER-SD, affilié aux sociaux-démocrates européens, mais souvent accusé de « dérive populiste ». Son chef emblématique, Robert Fico, a dirigé le gouvernement depuis 2006 (hors une parenthèse entre 2010 et 2012), avant d’être contraint à la démission en mars 2018. Et ce, suite à l’assassinat, en février 2018, d’un jeune journaliste qui enquêtait les liens entre la mafia italienne et des hommes d’affaires réputés proches du pouvoir – dont l’un est actuellement en procès, car accusé d’être le commanditaire du crime. M. Fico, face à des dizaines de milliers de manifestants le soupçonnant de couvrir le crime et de tremper dans nombre d’affaires de corruption, a dû céder sa place de premier ministre à l’un de ses camarades de parti, Peter Pellegrini.

« S’il n’y avait pas eu ce meurtre, je serais aujourd’hui devant vous comme premier ministre avec un soutien de 30 % des électeurs » – Robert Fico

Celui-ci n’a pu que constater la gifle que lui ont infligée les électeurs. Car c’est clairement ce contexte qui a fait chuter le SMER-SD à 18,3% des suffrages, soit 10 points de moins qu’en 2016. « S’il n’y avait pas eu ce meurtre, je serais aujourd’hui devant vous comme premier ministre avec un soutien de 30 % des électeurs », avait claironné M. Fico lors de la campagne.

L’autre caractéristique du scrutin est la victoire d’ampleur inattendue qu’a remportée le Mouvement des gens ordinaires et des personnalités indépendantes (Olano). Avec 25% des suffrages (+ 14 points), celui-ci a capitalisé sur son appel à « nettoyer la Slovaquie ». C’est cette formation, de tendance conservatrice, qui a su cristalliser à son profit la colère et la frustration populaire.

Il s’agit d’un succès personnel pour Igor Matovic, fondateur du parti, il y a dix ans, et manifestement doté d’un grand sens de la communication, voire de l’autopromotion. Mais ce riche homme d’affaires de 46 ans, qui a fait fortune dans les petites annonces avant d’étendre son groupe de presse, est généralement décrit comme excentrique, imprévisible et versatile. Autoritaire dans son propre parti, il a bâti son succès sur la dénonciation des « voleurs » et des « corrompus ». Il a par ailleurs affirmé : « je veux faire de la politique comme je le sens, pas de manière correcte », ce qui a conduit des observateurs à le classer comme « populiste de droite ».

Arrivé en troisième position, le parti SME-Rodina, proche de Marine Le Pen et de Matteo Salvini, s’établit à 8,2%, soit une progression de 1,6 point. Il est suivi d’un cheveu par Notre Slovaquie (LSNS) qui obtient 8% (stable). Cette formation, qui a longtemps revendiqué une filiation avec le nazisme slovaque et continue d’être activement anti-Roms, met cependant en avant des propositions sociales marquées « à gauche » et sa volonté de quitter l’OTAN ainsi que d’organiser un référendum pour abandonner l’euro.

Enfin, deux formations dites centristes franchissent la barre nécessaire pour entrer au Parlement de 150 sièges : d’une part le SaS, parti d’inspiration ultra-libérale, qui obtient 6,2%, soit la moitié de son score antérieur ; d’autre part le parti Pour le peuple, fondé par l’ancien président et homme d’affaires « philanthrope » pro-UE Andrej Kiska, qui avait battu Robert Fico aux présidentielles de 2014. Ce nouveau mouvement s’établit à 5,8%.

Plusieurs autres formations centristes n’avaient pas réussi à s’entendre, ce qui les a empêchées de rester ou d’entrer au Parlement, au grand désespoir de Bruxelles, qui misait particulièrement sur le parti Slovaquie progressiste. Ce mouvement avait été récemment lancé par Zuzana Caputova, élue en mars 2019 à la présidence de la République ; celle-ci est parfois comparée politiquement à Emmanuel Macron. Elle avait gagné contre son concurrent du SMER-SD en surfant également sur l’indignation provoquée par l’assassinat du journaliste, et en proposant des mesures de libéralisation sociétale. Avec 6,96%, son alliance manque d’un cheveu l’entrée au Parlement.

Le Mouvement chrétien-démocrate (KDH) qui prépara l’adhésion du pays à l’UE de 2004, reste hors jeu à 4,6%, de même que les deux formations voulant représenter la minorité hongroise, dont Most-Hid (2%, – 4,4 points) qui était associée au gouvernement sortant. Le Parti national slovaque (SNS, droite nationaliste, héritier d’un parti fondé en 1871), troisième partenaire de la coalition sortante, perd lui aussi tous ses députés, avec 3,2% ( – 5,7 points).

Avec six formations représentées au Parlement, l’éclatement est moindre que celui prédit par les sondages. Igor Matkovic devrait être sollicité pour former la future coalition. Il a d’emblée exclu d’y associer le SMER-SD malgré l’appel du pied de Peter Pellegrini, en affirmant : « on ne négocie pas avec la Mafia ».

En revanche, la presse slovaque considère qu’il pourrait s’allier avec au moins deux partenaires, le SaS et Pour le peuple. Cette coalition à trois disposerait de 78 sièges, soit trois de plus que la majorité absolue. Mais si ces deux partis sont clairement orientés à droite, le SaS est ultra-libéral mais plutôt « eurosceptique », et favorable à une libéralisation sociétale – exactement à l’inverse de Pour le peuple, la formation de M. Kiska, très pro-UE mais conservatrice sur le plan des mœurs. Les observateurs évoquent également un possible quatrième partenaire : le parti SME-Rodina, qui affiche son hostilité à l’UE et porte des valeurs « traditionalistes ».

Inquiétudes économiques

Au soir de son triomphe, le probable futur premier ministre a tenu à donner des gages à Bruxelles en proclamant que la Slovaquie allait combattre contre la corruption et pour l’Etat de droit – sous-entendu : pas comme les voisins du groupe de Visegrad (Tchéquie, Hongrie, Pologne).

Il est cependant peu probable que les dirigeants européens soient rassurés par ce passage d’un chef de gouvernement « populiste de gauche » vers un successeur « populiste de droite », d’autant que ce dernier ne fera pas basculer le pays vers une position pro-immigration. Du reste, si Igor Matovic a été habile à gagner l’élection, nul ne sait comment cet homme sans expérience de pouvoir se comportera à la tête du pays.

Or la Slovaquie pourrait bien faire face à de prochains déboires économiques. Certes, le gouvernement sortant s’est targué, pour 2019, d’une croissance à 2,2% et d’un chômage officiel à 5%. Mais le groupe américain United States Steel Corporation a par exemple annoncé l’année dernière la réduction d’un cinquième de ses effectifs (12 000 salariés) de l’aciérie de Kosice (Est du pays).

Surtout, la moitié du PIB du pays est concentré sur l’industrie automobile, après que Volkswagen, PSA et beaucoup d’autres y ont massivement délocalisé des emplois d’Europe de l’Ouest. Or ce secteur est désormais menacé notamment par les exigences et les normes environnementales édictées par l’UE, ce qui pourrait conduire à une véritable hécatombe de l’emploi dans les prochaines années.

 

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L’angoisse existentielle de l’Occident (éditorial paru dans Ruptures n°93)

Par : pierre

Emmanuel Macron s’inquiète de ce que les « classes moyennes », désormais, « doutent » de « l’aventure européenne »

 

Querelles, déclin, arrogance. Tel était l’air du temps qui flottait lors de la Conférence sur la sécurité de Munich – une grand-messe non étatique qui draine chaque année la fine fleur des élites diplomatiques et militaires occidentales, dont l’édition 2020 s’est déroulée du 14 au 16 février.

Certes, chefs d’Etat et de gouvernement, ministres, diplomates, généraux et experts ont communié dans une foi commune : les « valeurs de l’Occident » devraient guider le monde – liberté (notamment d’entreprendre), droits de l’homme, Etat de droit, démocratie… Mais entre Washington, Berlin et Paris notamment – trois des pôles du bloc atlantique – les bisbilles et rivalités n’ont cessé de s’accentuer ces dernières années.

L’intervention du président français – c’était sa première apparition dans cette enceinte informelle – était donc attendue. Sans surprise, il a apporté de l’eau au moulin du thème volontairement provocateur proposé cette année par les organisateurs : « westlessness » – un terme anglais qu’on pourrait approximativement traduire par « effacement de l’Occident ». Depuis plusieurs mois en effet, le maître de l’Elysée met en garde ses pairs : des puissances rivales émergent qui menacent notre hégémonie. Sont bien sûr visées la Chine, la Russie, de même que la Turquie (pourtant membre de l’OTAN). Autant de pays qui « ne partagent pas nos valeurs ». Il y a donc bien « affaiblissement de l’Occident », affirme Emmanuel Macron, en particulier si l’on compare à l’euphorie d’il y a quinze ans, quand, selon ses termes, « nous pensions qu’on allait dominer le monde durablement ».

Il y a quinze ans, « nous pensions qu’on allait dominer le monde durablement » a rappelé le président français

On imagine au passage ce qu’eussent été les réactions si un leader non occidental avait affiché explicitement sa propension, fût-elle sur le mode nostalgique, à « dominer le monde ». Mais l’arrogance du maître de l’Elysée n’a nullement été remarquée tant elle parut parfaitement naturelle aux sommités réunies à Munich, de même qu’aux journalistes venus couvrir l’événement.

Quoi qu’il en soit, le dirigeant français a pris acte de l’unilatéralisme exacerbé de Washington. Il plaide dès lors pour un renouveau du dialogue « sans concession » avec Moscou, qui hérisse le poil de nombreux Etats membres de l’UE. Surtout, il placarde sans modération son oxymore préféré : il faut bâtir une « souveraineté européenne », ce qui signifie à la fois la poursuite de l’Alliance atlantique, mais aussi la construction d’une autonomie (stratégique, diplomatique, militaire, technologique, monétaire) vis-à-vis de l’Oncle Sam.

Pour le président, cela passe donc par une UE à géométrie variable, dont le premier cercle a vocation à une intégration poussée. Sauf que cette vision déplaît aux pays qui ne seraient pas dans ce premier cercle ; elle ne séduit guère non plus à Berlin (sauf les dirigeants des Verts que le président a rencontrés en particulier, peut-être en rêvant de leur arrivée dans une prochaine coalition, puisque la vie politique intérieure allemande devient de plus en plus chaotique). L’offre élyséenne de bâtir une « culture stratégique commune », voire des exercices militaires communs incluant l’arme nucléaire (sans cependant partager cette dernière) est tombée à plat outre-Rhin, où la culture atlantiste est profondément ancrée parmi les élites, même si celles-ci ne goûtent pas outre mesure le trumpisme. Et ce, dans un contexte où les divergences franco-allemandes se multiplient.

Tout se passe comme si, au spectre du déclin occidental sur le plan géopolitique, venait s’ajouter celui du déclin de l’idéologie eurolibérale

Le plaidoyer macronien n’est pas une révélation. La nouveauté, en revanche, est dans la référence aux « classes moyennes » qui « doutent » désormais de « l’aventure européenne » – une inquiétude répétée… à quatre reprises. L’ancien banquier semble considérer – à juste titre – que l’oligarchie est par nature acquise à l’intégration européenne ; que les classes populaires sont à l’inverse irrémédiablement perdues ; et que l’enjeu revient donc à stopper la glissade desdites classes moyennes dans ce que le vocabulaire officiel nomme « nationalisme » ou « illibéralisme ».

Ainsi, tout se passe comme si, au spectre du déclin occidental sur le plan géopolitique, venait s’ajouter, sur le plan hexagonal (et continental), celui du déclin de l’idéologie eurolibérale. Or cette dernière sous-tend les « réformes » d’inspiration bruxelloise, à commencer par celle des retraites.

Certes, dans l’état d’esprit populaire, politique extérieure et politique intérieure semblent être sans rapport direct : la lutte contre la régression sociale ne va pas spontanément de pair avec la résistance à l’arrogance atlantique.

Pas encore, du moins.

Pierre Lévy – @LEVY_Ruptures

 

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Le Brexit et la trahison du thatcherisme (éditorial de Ruptures n°92)

Par : pierre

Boris Johnson serait-il devenu bolchévik ?

Historique. Pour une fois, le terme n’est pas galvaudé. Le 31 janvier au soir, le Royaume-Uni aura juridiquement quitté l’Union européenne. Avec la chute du mur de Berlin – mais dans un sens opposé – il s’agit probablement du plus important événement européen depuis la fin de la Seconde guerre mondiale. Dès le référendum, et malgré une suite incroyable d’embûches, sa réalisation ne faisait in fine aucun doute – c’est ce que nous n’avons cessé d’analyser dans ces colonnes.

Le dépit a saisi tous ceux qui ont eu jusqu’au bout l’illusion de pouvoir faire dérailler le processus, moyennant guérilla parlementaire et pression bruxelloise. Quelques jours avant les élections décisives du 12 décembre, qui tournèrent au plébiscite en faveur du Brexit, certains partisans de l’UE affirmaient encore que, grâce à l’inscription récente et massive de jeunes sur les listes électorales, le choix du 23 juin 2016 allait pouvoir être retoqué.

Très cruel paradoxe pour les partisans de l’Europe : la guerre d’usure que menèrent les députés pro-UE à Westminster a bloqué l’accord signé en novembre 2018 entre Bruxelles et Theresa May, alors même que cette dernière avait accepté d’y graver concession sur concession. A l’inverse, en affirmant que la Grande-Bretagne sortirait « quoi qu’il arrive, avec ou sans accord », son successeur a arraché un traité bien plus net et fait voter une application qui concrétise un Brexit bien plus « dur »… Boris Johnson a en outre exclu que les négociations pour fixer le cadre des futures relations bilatérales se traduisent par un « alignement » sur les règles des Vingt-sept.

Quitter l’Union européenne ne signifie nullement qu’adviendra mécaniquement une politique progressiste. Simplement, le pays reconquiert la liberté d’opter en ce sens

Bien sûr, quitter l’Union européenne ne signifie nullement qu’adviendra mécaniquement une politique progressiste. Simplement – et c’est évidemment l’essentiel – le pays partant reconquiert la liberté d’opter en ce sens. A cet égard, les signaux qui proviennent de Londres pourraient être pires. Une des premières décisions du « gouvernement du peuple » (selon l’appellation revendiquée par M. Johnson) a été d’augmenter de 6,2% le salaire minimum – un record.

Le locataire de Downing street a indiqué dans la foulée qu’il ne se rendrait pas à Davos « parce qu’il y a plus urgent à faire que d’aller trinquer avec les milliardaires ». Démagogique ? Peut-être. Mais doit-on également moquer ainsi un programme qui s’engage à réinvestir massivement dans les services publics (notamment la santé), les infrastructures (notamment ferroviaires), et à rééquilibrer les priorités en faveur des régions les plus déshéritées ? Le premier ministre vient même de renflouer un transporteur aérien dont la faillite aurait laissé à l’abandon nombre de liaisons régionales. Une décision contraire aux règles de l’UE – mais aussi une « trahison du thatchérisme », selon le quotidien conservateur The Telegraph.

Boris Johnson s’est-il converti au bolchevisme ? C’est peu probable. Mais au lieu de faire un bras d’honneur aux classes populaires après que celles-ci ont assuré sa victoire, il projette sans doute de s’ancrer à long terme au sein de celles-ci, en profitant du fossé qui s’est creusé entre les ouvriers et une « gauche » favorable à l’UE et à l’ouverture des frontières.

Il faudra juger sur pièces. Ce qui est certain, c’est que le Brexit a et aura des conséquences bien au-delà du Royaume-Uni. Alors que durant des mois, l’on nous a présenté la sortie de l’UE comme une interminable torture sans autre perspective que le chaos, désormais, chaque jour qui passe sans que le pays ne sombre dans l’abîme va constituer un cinglant désaveu de cette propagande.

Donc, on peut sortir de l’UE sans brûler en enfer. Pour les dirigeants européens, cela va devenir une bien fâcheuse évidence

Le président de la Banque d’Angleterre, le Canadien Mark Carney, avait été l’un des plus acharnés prophètes de l’apocalypse dès la campagne référendaire de 2016. Bougon, il vient de concéder discerner « la réduction des incertitudes », pour affirmer toutefois que le rebond économique « n’est pas assuré ». Ce qui dénote quand même une petite évolution par rapport à la catastrophe certaine… On note au passage que l’homme vient de quitter ses fonctions pour remplacer le milliardaire américain Michael Bloomberg comme représentant de l’ONU pour le climat – un autre poste où il brillera par l’annonce des catastrophes bien connues…

Donc, on peut sortir de l’UE sans brûler en enfer. Pour les dirigeants européens, cela va devenir une bien fâcheuse évidence. Taraudés par cette angoisse, ils viennent de lancer un processus de « rénovation » de l’UE censé durer deux ans et associant les « citoyens européens » via un « grand débat » à la Macron.

Grandiose !

Pierre Lévy – @LEVY_Ruptures

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L’absence (éditorial paru dans l’édition de décembre)

Par : pierre

Le temps des insurrections ? Chili, Colombie, Equateur, mais aussi Hong-Kong, et bien sûr Iran, Irak, Liban, Algérie… Faut-il d’ailleurs ajouter la France, ainsi que la Finlande (où une puissante vague de grèves s’annonce) ? La tentation de l’analogie est grande. Mais elle est périlleuse, tant chaque mouvement est ancré dans des réalités historiques, économiques et sociales, culturelles et politiques propres et dissemblables.

Bien souvent, il s’agit d’incendies qui ont pris tout le monde de court. Mais les similitudes s’arrêtent là. Quel sens y a-t-il à fourrer dans le même sac les manifestants qui ont déferlé à Bogota contre un pouvoir ultra-libéral, et la jeunesse dorée de La Paz réussissant à annuler le verdict des urnes qui venait de reconduire le progressiste Evo Morales ? Ou bien les émeutiers aisés pro-occidentaux de Hong-Kong, et les révoltés de Santiago du Chili, pour qui la hausse du ticket de métro signifie le basculement dans la misère ?

Deux critères, parmi d’autres, permettent de se faire une première idée de chaque mouvement. D’une part la description qu’en proposent les médias dominants : selon que vous défilerez à Caracas pour renverser le pouvoir chaviste, ou à Bogota pour exiger un niveau de vie décent, vous serez salué avec enthousiasme, ou juste évoqué de manière distraite. Et d’autre part leur composition sociale. Ainsi, la fureur du peuple irakien s’exprime en première ligne au travers des plus démunis, notamment la classe ouvrière. Au Liban en revanche, les classes moyennes ont fait figure de moteur du mouvement.

Si l’on veut vraiment établir un trait commun, du moins pour les soulèvements d’inspiration progressiste, il en est un… qui apparaît plutôt en creux : l’absence d’alternative politique. Un manque cruel qui, objectivement, ne laisse pas beaucoup d’espoir aux révoltés. De Bagdad à Beyrouth en passant par Alger, nombreux sont ceux qui refusent même l’idée de porte-parole – ce qui n’est pas sans rappeler l’état d’esprit des Gilets jaunes. Ce rejet de la représentation est compréhensible après l’expérience de la désinvolture et des trahisons des partis politiques traditionnels. Mais elle constitue un fatal handicap. Dans aucun des pays cités – pas plus que dans l’Hexagone – ne s’esquisse une force politiquement déterminée, rigoureusement organisée et idéologiquement cohérente susceptible de porter des perspectives de rupture.

« Contraintes » économiques, ingérences politiques, intoxication idéologique : ces armes font obstacle aux aspirations au progrès et à l’indépendance

Une absence que les tenants de l’ordre mondialisé cultivent évidemment avec soin, et qui repose en outre sur trois catégories d’entraves. La première est économique : les Etats on été mis en situation d’« interdépendance », c’est-à-dire en réalité de dépendance mutuelle, du fait de la libre circulation des biens et des capitaux : la globalisation des chaînes de valeur vise aussi à désamorcer les révolutions sociales. La deuxième consiste en la mise en place d’institutions intégrées dont l’objectif même est de placer les choix politiques hors de portée des peuples par le vol de leur souveraineté réelle. L’Union européenne en constitue un prototype, et le départ désormais imminent du Royaume-Uni un contre-exemple formidable.

La troisième est idéologique, à l’heure où la pensée dominante tend à faire manifester les jeunes en faveur d’horizons aussi absurdes que réactionnaires – la « sauvegarde de la planète » – ce qui a l’immense avantage de dévoyer des énergies collectives considérables (mais pas forcément renouvelables). On notera que le grand manitou de l’ONU pour le climat, Michael Bloomberg, un des plus riches milliardaires américains (et ancien maire de New York) vient de passer la main pour cette fonction au Canadien Mark Carney, actuel gouverneur (furieusement anti-Brexit) de la Banque d’Angleterre. Difficile de trouver meilleurs symboles de l’oligarchie mondialisée…

« Contraintes » économiques, intoxication idéologique, ingérences politiques : ces armes tiennent encore à distance les aspirations populaires au progrès social et, inséparablement, à l’indépendance nationale. En témoigne cet ultimatum de Jean-Yves Le Drian, patron du Quai d’Orsay, qui co-dirige un groupe de l’ONU censé soutenir le Liban : le fidèle grognard d’Emmanuel Macron (après avoir été celui de François Hollande) a sommé la classe politique du pays du cèdre de « prendre conscience de la gravité de la situation et de l’appel de la rue »… Une ingérence ordinaire, que le Hezbollah (parti à base chiite engagé pour la souveraineté libanaise) ne s’est pas permis de renvoyer ironiquement à son expéditeur.

Dommage ?

Pierre Lévy

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Victoire écrasante pour Boris Johnson et pour le Brexit

Par : pierre

Au grand dam des partisans de l’Union européenne, le Brexit a été plébiscité – une nouvelle fois.

A l’instant où les bureaux de vote britanniques se sont fermés, les sondages « sorties d’urnes » n’ont laissé aucun doute : ce sera une victoire écrasante du Parti conservateur et de son chef, Boris Johnson. La majorité dont disposera celui-ci sera la plus large dont un gouvernement ait disposé depuis près de quatre décennies.

Ceux – au Royaume-Uni, à Bruxelles et dans les capitales européennes – qui comptaient encore sur un miracle divin qui verrait le pays rester dans l’Union européenne viennent de voir s’envoler leurs dernières illusions. L’accord qui fixe les modalités de divorce entre Londres et l’Union européenne avait été arraché – contre toute attente – le 17 octobre par le chef du gouvernement. Celui-ci s’était alors heurté une ultime fois aux chicanes des députés sortants pro-UE.

Mais ces derniers – et les Travaillistes en particulier – n’ont pas réussi à retarder encore la dissolution d’un Parlement qui devenait tout à la fois grotesque et illégitime. Le scrutin du 12 décembre revêtait donc une importance extraordinaire – le plus crucial depuis l’après-guerre, ont même affirmé certains. M. Johnson l’avait en quelque sorte transformé en plébiscite pour ou contre le Brexit. Il a gagné son pari haut la main – plus encore que les pronostics les plus optimistes ne le prédisaient. Les nouveaux députés vont donc, dans les toutes prochaines semaines, ratifier l’accord de sortie.

Il s’agit d’un événement de portée historique : pour la première fois, un Etat décide de partir, parce qu’on a demandé l’avis à son peuple

Et cette dernière sera effective le 31 janvier prochain. Démarrera alors une période de transition de onze mois, pendant laquelle les futures relations – notamment commerciales – entre le pays et l’Union européenne seront négociées. C’est très court, affirment la plupart des analystes. Et cela ne se fera pas sans mal. Mais, contrairement aux commentaires qui vont désormais fleurir, l’essentiel est politiquement accompli.

Il s’agit donc d’un événement de portée historique : pour la première fois, un Etat décide de partir, parce qu’on a demandé l’avis à son peuple. Mais sans doute pas pour la dernière.

PS : le mensuel Ruptures a été le seul journal à avoir analysé et affirmé, depuis le 23 juin 2016, que le Brexit aurait lieu, quoi qu’il arrive. Et même si nul ne pouvait prévoir le détail des péripéties, celles-ci n’ont jamais mis en cause la certitude du dénouement. Peu d’autres ont été aussi affirmatifs.

Tous les détails dans l’édition à paraître vers le 20 décembre. Il n’est pas trop tôt – ni trop tard – pour s’abonner à Ruptures, et suivre ainsi la suite de l’histoire…

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Thierry Breton fordert von Brüssel aus Emmanuel Macron auf, seine Rentenreform durchzuziehen

Par : pierre

In einem Interview mit dem Radiosender Europe 1 besteht der neue EU-Kommissar, ehemaliger Chef einer Reihe von Großunternehmen, darauf, dass die Reformen, die die europäische Exekutive für notwendig hält, durchgeführt werden.

Am Montag, dem 9. Dezember, hatte der Radiosender Europe 1 die schöne Idee, den neu ernannten EU-Kommissar für Binnenmarkt, Industriepolitik, digitale Technologien und einige andere Arbeitsbereiche einzuladen.

Thierry Breton sollte den Standpunkt Brüssels zu der von der französischen Regierung geplanten Rentenreform darlegen. Voller Angst  warteten wir auf das Urteil. Die Spannung war gross.

Von den ersten Worten des Kommissars an muss der Herr des Elysée – der Breton für das Amt in Brüssel vorgeschlagen hatte – jedoch einen tiefen Seufzer der Erleichterung getan haben: Von dem Mann, der noch vor wenigen Wochen der Chef des großen IT-Dienstleistungsunternehmens Atos war, nachdem er Bull, Thomson und dann France Télécom geleitet hatte, ganz zu schweigen von seinem Umweg über das französische Finanzministerium, kam für die Streikenden keine Unterstützung.

« Man hofft, dass man die Mittel finden wird, um diese Reform zu Ende zu bringen » – Thierry Breton

Im Gegenteil: « Ich denke an alle, die heute Morgen in Schwierigkeiten sind » (i.e. in den Verkehrsmitteln festsitzen), sagte er. Mit diesem erhabenen Satz wollte sicher Herr Breton von Brüssel aus sein Mitgefühl mit den Leiden seines eigenen Volkes zeigen… Er fügte hinzu: « Man hofft, dass man die Mittel finden wird, um diese Reform zu Ende zu bringen« .

Das erste « man » bezieht sich eindeutig auf die Europäische Kommission, das zweite auf die französischen Behörden, von denen « man » erwartet, dass sie den bösen Streikenden nicht nachgeben.

Und Thierry Breton bekräftigte dies noch: « Die Europäische Kommission hält es für notwendig, dass alle Reformen, die notwendig sind, insbesondere diese, auf dem gesamten Kontinent durchgeführt werden« . Dem gerade erst bestellten Kommissar wird man nicht die Schuld für den feinen Pleonasmus geben (« die Kommission hält alle Reformen, die notwendig sind, für notwendig »), denn das Wesentliche ist klar: In Brüssel wollen wir nichts von den « Strukturreformen » aufgeben. Und vor allem nicht den Druck auf die Hauptstädte, von denen erwartet wird, dass sie nicht nachgeben.

NRP

Selbst in einem Büro, das noch nach frischer Farbe riecht (davon kann man ausgehen), hat es nicht lange gedauert, bis sich der neue Kommissar mit allen EU-Maßnahmen vertraut gemacht hat, die den Mitgliedstaaten, insbesondere denjenigen der Eurozone, bei der zu verfolgenden Wirtschaftspolitik Orientierung geben. So heißt es im Nationalen Reformprogramm (NRP), das die jährlichen Verpflichtungen von Paris (wie von jeder Hauptstadt) gegenüber der Europäischen Union zusammenfasst, und deren letzte Ausgabe im April 2019 in Brüssel vorgelegt wurde: « Der Zugang zur Beschäftigung und die Neubewertung der Arbeit sind eine Priorität, daher muss der Arbeitsmarkt reformiert, die Lohnnebenkosten gesenkt und die Arbeitslosen- und Rentenversicherungssysteme modernisiert werden« . Alles klar…

Im angelsächsischen Kauderwelsch, ins Französische übertragen, nennt man das eine ‚Roadmap’. Und die französischen Behörden sind betriebsbereit – zumindest will Herr Breton das glauben: Emmanuel Macron wird « von Brüssel aus als jemand gesehen, der begonnen hat, das Land gründlich zu reformieren« ; und genießt « viel Vertrauen » innerhalb der europäischen Exekutive.

Er wird es wahrscheinlich brauchen.

 

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De Bruxelles, Thierry Breton demande à Emmanuel Macron de tenir bon sur les retraites

Par : pierre

Dans une interview sur Europe 1, le nouveau Commissaire européen, ancien patron de grandes firmes, insiste pour que soient réalisées les réformes que l’exécutif européen juge nécessaires

On ne saurait trop remercier nos confrères d’Europe 1. Ceux-ci ont eu l’idée lumineuse, ce lundi 9 décembre, d’inviter le tout frais Commissaire européen chargé du marché unique, de la politique industrielle, du numérique, et de quelques autres dossiers.

Thierry Breton allait donc pouvoir nous donner le point de vue de Bruxelles sur la réforme des retraites prévue par le gouvernement français. On attendait le verdict avec angoisse. Le suspense était total. Dès les premiers mots du Commissaire, cependant, le maître de l’Elysée – qui l’a proposé pour le poste, il est vrai en second choix après les malheurs de Sylvie Goulard – a dû pousser un immense soupir de soulagement : celui qui était, il y a quelques semaines encore le patron de la grande firme de services informatiques Atos, après avoir dirigé Bull, Thomson puis France Télécom, sans compter un détour ministériel par Bercy, n’a pas apporté son soutien aux grévistes.

« On espère qu’on saura trouver les moyens pour mener à son terme » la réforme – Thierry Breton

Au contraire : « je pense à toutes celles et ceux qui sont en difficulté ce matin », a-t-il lâché. En prononçant cette phrase sublime, M. Breton, même délocalisé dans la capitale de l’UE, ne songeait pas aux ministres du gouvernement français, mais voulait montrer son empathie avec les souffrances de son propre peuple. Et d’ajouter : « on espère qu’on saura trouver les moyens pour mener à son terme » ladite réforme.

Précision : le premier « on » se rapporte manifestement à la Commission européenne ; le deuxième, aux autorités françaises dont « on » attend qu’elles ne faiblissent pas face aux privilégiés du secteur public qui prennent les malheureux usagers – ou plutôt les clients – en otage.

Et Thierry Breton d’étayer sa pensée : « la Commission européenne juge nécessaires toutes les réformes qu’il faut mener sur l’ensemble du continent, et notamment celle-ci ». On n’en voudra pas au jeune Commissaire une formulation finement pléonastique (« la Commission juge nécessaires toutes les réformes nécessaires »), car on a compris l’essentiel : à Bruxelles, sur les « réformes structurelles », on ne relâche rien. Et surtout pas la pression sur les capitales qui sont sommées de ne pas flancher.

PNR

Même installé dans un bureau qui sent encore la peinture fraîche (on l’imagine), l’homme n’a pas mis longtemps à se familiariser avec l’ensemble des dispositifs communautaires visant à guider les Etats membres, tout particulièrement ceux de la zone euro, dans la politique économique à mener. Ainsi, le Programme national de réforme (PNR) qui résume les engagements annuels de Paris vis-à-vis de l’Union européenne, et dont la dernière copie fut remise à Bruxelles en avril 2019, stipule notamment : « l’accès à l’emploi et la revalorisation du travail constituent une priorité, en réformant le marché du travail et en réduisant les charges, en revalorisant les revenus d’activité, et en modernisant les systèmes d’assurance chômage et de retraite ».

Dans le sabir anglo-saxon transposé en français, on appelle cela une feuille de route. Et les autorités françaises sont en ordre de marche – c’est du moins ce que veut croire M. Breton qui affiche ainsi son optimisme : Emmanuel Macron est « vu de Bruxelles, quelqu’un qui a commencé à réformer en profondeur le pays », et jouit de « beaucoup de confiance » au sein de l’exécutif européen.

Il va sans doute en avoir besoin.

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Louable lucidité et réjouissantes angoisses (éditorial paru dans l’édition du 27 novembre)

Par : pierre

L’entretien accordé par Emmanuel Macron à l’hebdomadaire The Economist témoigne du vertige de la disparition de l’Occident

L’économie de marché fonctionnant pour le bien de tout le monde ? Ce n’est plus vrai. L’ouverture infinie du commerce mondial ? Sûrement pas un élément de pacification. L’obligation de réduire à moins de 3% les déficits budgétaires ? Une contrainte d’un autre siècle. Le principe de souveraineté des peuples ? Hélas oublié, ce qui a poussé à vouloir imposer nos valeurs et changer des régimes – une erreur funeste issue du mariage fatal entre droit d’ingérence et néo-conservatisme. La Russie ? Toujours considérée implicitement comme un ennemi, alors qu’il conviendrait de réfléchir avec elle à une architecture de confiance et de sécurité. L’OTAN ? Une organisation en état de mort cérébrale.

Signé ? Le président de la République française à l’occasion d’un entretien fleuve publié le 7 novembre par l’hebdomadaire britannique libéral The Economist. Quelle mouche l’a donc piqué ? Probablement la lucidité et l’inquiétude d’un Emmanuel Macron comprenant que l’époque bascule, et capable de dépasser l’atlantisme compulsif dans lequel barbotaient ses (au moins) deux prédécesseurs.

Pour le géostratège de l’Elysée, l’Occident – au sens de l’Europe de l’Ouest – est en passe de perdre sa prééminence historique

L’angoisse n’est pas feinte : pour le géostratège de l’Elysée, l’Occident – au sens de l’Europe de l’Ouest – est en passe de perdre sa prééminence historique, et avec lui, les « valeurs humanistes universelles » qu’il aurait inventées. En fait de valeurs, c’est plutôt celles du CAC 40 qui sont à terme menacées – mais cela, le président ne le dit évidemment pas. Encore que. Au détour d’une analyse critique de l’Alliance atlantique, il rappelle que celle-ci a été mise en place avec les Etats-Unis en vue d’installer « une forme d’ombrelle géopolitique, mais en contrepartie, il faut (…) acheter américain ». Or « la France n’a pas signé pour ça », s’insurge le président.

Il poursuit, en substance : l’Union européenne était un projet de communauté, elle se réduit de plus en plus à un marché ; les dirigeants américains s’intéressent de plus en plus à l’Asie, et de moins en moins au Vieux Continent, plus encore sous Donald Trump qui ne se sent nullement lié par un projet européen que Washington avait pourtant à l’origine sponsorisé ; et, troisième élément, la Chine émerge au point que s’ébauche un duopole Washington-Pékin.

Et nous, et nous ? M. Macron, tente d’alerter ses pairs en les avertissant : si l’on continue ainsi – une UE qui ne s’intéresse qu’au commerce, à la libre concurrence, et à la baisse des dépenses publiques au moment où Etats-Unis et Chine investissent massivement dans l’innovation – nous allons disparaître de la scène mondiale. En outre, de nombreux pays de l’UE se débattent dans des crises politiques, dont l’avatar en France est le séisme social des Gilets jaunes, précise le président.

Face au danger de devenir le « partenaire junior » d’un Oncle Sam dont les intérêts stratégiques les plus cruciaux ne sont plus en Europe ; et face à l’absurde illusion selon laquelle le « doux commerce » mène forcément à la pacifique et libérale « fin de l’Histoire » pronostiquée après l’effacement de l’URSS, le président français brandit son double credo : primo, un rapprochement « sans naïveté » avec Moscou, puisque l’Europe doit maîtriser elle-même son voisinage sans être déterminée par le grand frère américain. Secundo, une « souveraineté européenne » qui doit commencer par la puissance militaire, puisque le « garant » de l’OTAN ne garantit plus les règles de l’Alliance atlantique. Cette dernière se trouve de ce fait en « mort cérébrale », comme l’a montré le feu vert donné par Donald Trump à la Turquie contre les Kurdes et la Syrie.

Entre la pure Europe américaine chère aux précédents hôtes de l’Elysée, et l’empire européen autonome rêvé par l’actuel, on ne choisira pas

La pensée macronienne est issue du croisement de deux déterminants contradictoires. D’un côté, la négation de la pertinence et de la viabilité politique des nations – un axiome qui ne conçoit l’avenir mondial qu’en termes de grands ensembles voués à confronter leurs influences respectives – bref, une logique d’empires. De l’autre, la prégnance de l’Histoire longue qui ne prédispose pas la France à une posture de vassalité alignée, à l’exception des périodes où elle est dirigée par des caniches de la taille politique de MM. Sarkozy ou Hollande.

Si l’on estime que l’avenir est à la coopération entre Etats indépendants et souverains, on ne choisira pas entre la pure Europe américaine des précédents hôtes de l’Elysée, et l’empire européen autonome rêvé par l’actuel. Pour l’heure, et faute d’un sursaut stratégique, ce dernier estime que l’Union européenne est « au bord du précipice ».

On attend donc avec impatience le prochain pas en avant.

Pierre Lévy

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Auf beiden Seiten des Rheins äußern die Bauern ihren Ärger und ihre Not

Par : pierre

Schlag auf Schlag demonstrierten in Berlin und in Paris Zehntausende von Landwirten gegen die in Brüssel verhängten Verbote und Vorschriften, die ihre Zukunft auf dem Altar der Umwelt opfern, sowie gegen  die von der EU abgeschlossenen Freihandelsabkommen.

Am Dienstag, dem 26. und am Mittwoch, dem 27. November erhoben deutsche und französische Bauern nacheinander ihre Stimme auf der Strasse. Auf beiden Seiten des Rheins sind Erbitterung, Verzweiflung, und die daraus resultierenden Forderungen sehr ähnlich. Zumal in vielen Fällen die Ursachen für die Entscheidungen auf der Ebene der Europäischen Union liegen.

Ist der Bauer ruiniert, wird dein Essen importiert

In Berlin trafen sich 40 000 Bauern – so die Polizei – auf dem Potsdamer Platz. Diese kamen, um ihrem Ärger Ausdruck zu verleihen und dem Gefühl, dass ihnen ihre Zukunft gestohlen wird. Zu ihren Slogans gehörten: „Ist der Bauer ruiniert, wird dein Essen importiert“ sowie „Gemeinsam statt gegeneinander“. Die in Brüssel beschlossenen neuen Beschränkungen, Regeln und Verbote bedrohen einen Sektor, dessen Hauptaufgabe darin besteht, die Bevölkerung zu ernähren. Es sei denn, man akzeptiert, dass die Zukunft in einer ständig zunehmenden Globalisierung liegt: dem Import von Äpfeln aus Chile bis hin von Rindfleisch aus Argentinien.

Deutsche Landwirte hatten in jüngster Zeit bereits zweimal demonstriert: Die Ankündigung des « Insektenschutzplans » der Bundesregierung, der die Beschränkung oder Beseitigung von Chemikalien (Herbizide, Insektizide, Düngemittel…) vorsieht, hatte wie der Funken, der das Feuer entzündet, gewirkt: Ausserdem stellt der freie Warenverkehr die Landwirte des Landes jedoch in Konkurrenz zu Staaten, in denen es diese Art von Beschränkungen nicht gibt.

Der im September angekündigte Plan wurde umgesetzt, nachdem die EU-Kommission ein zweites Vertragsverletzungsverfahren gegen Deutschland eingeleitet hatte: Berlin wurde aufgefordert, den Nitratgehalt im Grundwasser zu senken.

Grundsätzlich steigt der Druck der umweltpolitischen Lobbys, den « Naturschutz » zum höchsten Wert zu machen so weit, dass Bauern das Ziel von Anschuldigungen und Racheakten aus bestimmten Meinungsbereichen werden– oft aus den wohlhabenden Schichten in Großstädten (aber nicht aus den Arbeitervierteln).

Eine vergleichbare Situation in Frankreich

Vergleichbar ist die Lage in Frankreich, wo sich die Landwirte immer mehr wie Sündenböcke behandelt fühlen. In Wirklichkeit sind es aber die Mainstream-Medien, die immer wieder die Gesellschaften auf beiden Seiten des Rheins beschreiben, als befänden diese sich, wie von einer grünen Welle getragen, in einer höheren Sphäre. Nichts dürfte  dieser „grünen“ Stimmung entgegen gesetzt  werden – sowohl  aus ideologischen wie auch aus wahltaktischen Gründen.

Diese zunehmende Diskriminierung der Agrarwelt ist besonders schlimm in einer Zeit, in der Hunderttausende von kleinen französischen bäuerlichen Familienbetrieben vom Bankrott bedroht sind, und wo, von unlösbaren Schwierigkeiten getrieben, sich im Durchschnitt ein Bauer pro Tag, das Leben nimmt. Filme, die kürzlich in Frankreich herausgekommen sind, veranschaulichen diese dramatische Situation (Au nom de la terre, Petit paysan). Der populäre Erfolg dieser Werke deutet darauf hin, dass die Anklage gegen die Bauern bei weitem nicht einstimmig ist.

In diesem Kontext demonstrierten die französischen Bauern am 27. November in mehreren Städten. In Paris blockierten zwischen 800 und 900 Traktoren den „périphérique“ (Ring-Autobahn), dann die Champs-Elysées, und streuten sogar Heu vor das sehr vornehme Restaurant Le Fouquet’s.

In Paris wie in Berlin prangerten die Demonstranten die Ungerechtigkeit an: einerseits werden immer mehr Zwänge durchgesetzt, anderseits werden landwirtschaftliche Erzeugnisse massiv importiert. Insbesondere die von der Europäischen Union unterzeichneten jüngsten Freihandelsabkommen, (mit Kanada,  dem Mercosur…), wurden von den Protestierenden angegriffen.

Grundsätzlich haben die Bauern auf beiden Seiten des Rheins ein zentrales Anliegen: Sie wollen von ihrer Arbeit leben können.

Darüber hinaus hat ein zu Beginn des Jahres verabschiedetes Gesetz („Egalim“) zur Neugewichtung der Einkommen zwischen Produzenten, Lebensmittelindustrie und grossen Handelsketten bisher noch keine konkreten Ergebnisse gezeigt. Grundsätzlich haben die Bauern auf beiden Seiten des Rheins ein zentrales Anliegen: Sie wollen von ihrer Arbeit leben können.

Und sie wollen nicht als Sündenbock benutzt werden. Vor allem von denen nicht, die Petitionen zur « Rettung der Bienen » (wie in Bayern vor kurzem) in die Welt setzen, ein Slogan, der ihnen mehr am Herzen zu liegen scheint als die « Rettung der Bauern ».

Die gleiche Opposition entstand vor einigen Monaten in Frankreich, als die Regierung im Namen der Umwelt eine Kraftstoffsteuer einführen wollte. Dies hat zu einer Spaltung geführt zwischen denen, die sich um das « Ende der Welt » sorgen , und denen, die sich mehr um das « Ende des Monats » sorgen.

Und das war die Bewegung der Gelbwesten-..

 

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Parution de l’édition d’octobre de Ruptures

Par : pierre

Ruptures n°89 est arrivé chez les abonnés le 31 octobre.

Au sommaire :

– l’éditorial qui s’intéresse au prochain Haut-représentant pour la politique extérieure de l’UE : Josep Borrell, actuel ministre socialiste espagnol des affaires étrangères, a plaidé devant l’europarlement pour que l’UE « apprenne à utiliser le langage de  la force » et rende opérationnels les « groupements tactiques ».

– un récit des rivalités, vengeances et coups bas qui ont marqué la constitution – toujours en cours – de la future Commission européenne, dont la prise de fonction a dû être reportée

– un point complet sur les derniers développements de la « saga du Brexit » : les députés pro-UE du Parlement britannique ont imposé un nouveau report de trois mois, mais Boris Johnson a réussi à négocier un nouvel accord avec Bruxelles (ce qui paraissait impossible) et va finir par obtenir des élections anticipées

– une analyse des élections en Pologne, où le parti conservateur PiS a remporté une victoire écrasante, et annonce son intention de transformer le pays sur le long terme, dans un esprit incompatible avec les principes de Bruxelles

 – un retour sur la situation en Autriche, où le jeune Sebastian Kurz, chef du parti conservateur ÖVP est en passe de redevenir chancelier, mais doit pour l’heure se choisir des partenaires de coalition – une nouvelle alliance avec le FPÖ n’est pas exclue

– et, bien sûr, comme chaque mois, les brèves

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Braises et fumées (éditorial mis à jour après les nominations)

Par : pierre

Ca y est : à l’issue d’un Conseil européen qui se sera étalé sur près de trois jours, et après de laborieuses négociations en coulisses, les Vingt-huit se sont mis d’accord sur leur « casting de rêve ». L’affiche comprend surtout des responsables politiques qui apparaissaient en fin de carrière.

L’Allemande Ursula Von der Leyen (60 ans) devrait présider la Commission européenne à partir du 1er novembre. Angela Merkel offre à l’UE son actuelle ministre de la Défense, peu populaire outre-Rhin, et qui était fragilisée à ce poste après diverses bévues, scandales et déclarations peu adroites. Mme Von der Leyen est une fervente supporter de l’OTAN, et rêve des Etats-Unis d’Europe…

Le Belge Charles Michel, désigné comme futur président du Conseil européen (à partir du 1er décembre), n’est certes pas, lui, atteint par l’âge de la retraite. Mais il vient de subir une double défaite aux élections fédérales belges du 26 mai. Tant son parti, le Mouvement réformateur (libéral), que toutes les formations du gouvernement de coalition qu’il dirigeait ont subi de sévères déroutes. Ses chances de retrouver un poste de premier plan dans son pays étaient quasiment nulles.

A 63 ans, la patronne du FMI, la Française Christine Lagarde devrait prendre la tête de la Banque centrale européenne. Celle qui avait commencé sa carrière par vingt-cinq ans dans un des plus importants cabinets d’affaires américains avant de devenir ministre à Paris, puis de diriger le FMI de Washington, va désormais rempiler à Francfort. Les Grecs, qui n’ont pas oublié la Troïka, seront ravis.

Enfin, l’Italienne Federica Mogherini, qui chapeautait la « diplomatie » de l’UE, sera remplacée par le socialiste espagnol Josep Borrell, 72 ans, ancien président de l’europarlement, et actuel chef de la diplomatie dans le gouvernement provisoire à Madrid. Une fonction dans laquelle il a récemment qualifié la Russie de « vieil ennemi » qui « redevient une menace ».

Ce vaste mercato a une apparence : un complexe marchandage où presque tous les coups sont permis – retournements, bluff, pressions, alliances et trahisons ultimes. Ce « Game of throne » passionne l’euro-bulle autant qu’il indiffère les citoyens des différents pays. Au passage, si les dirigeants avaient voulu détruire la légende que leurs communicants ont désespérément tenté de bâtir avant et après les élections européennes – une UE qui reconquiert l’amour de ses citoyens grâce à une proximité et une transparence toujours plus palpables – ils ne s’y seraient pas pris autrement. Un mois plus tôt, les mêmes chantaient sur tous les tons aux électeurs qu’enfin, cette fois-ci, leur voix compterait.

Le 20 juin, les candidats respectifs des trois premiers partis européens avaient été déclarés disqualifiés, faute de consensus au Conseil. En particulier, le poulain d’Angela Merkel a été barré par Emmanuel Macron, qui n’en voulait à aucun prix mais qui n’a pas manqué d’appeler de ses vœux la chancelière à se présenter elle-même, sachant pertinemment que celle-ci avait exclu cette hypothèse. A l’europarlement, les chefs de groupe n’ont certes pas abouti à proposer une candidature commune, mais une « super-grande coalition », à quatre, se prépare pour élargir la majorité sortante, trop affaiblie, qui était « seulement » composée de la droite classique et des sociaux-démocrates. Voilà qui enchanterait sûrement le « citoyen européen » si ce dernier existait…

Mais, derrière ce rideau de fumée, ce mercato a une réalité : l’émergence d’une Union européenne toujours plus minée par les contradictions d’intérêts. Car si on peut se désintéresser des petites manœuvres, cela n’interdit pas d’élucider ce que celles-ci recouvrent au fond. Certes, l’intégration européenne ne s’est jamais faite sans frictions. Mais en particulier depuis 2004 – l’élargissement de quinze à vingt-cinq Etats membres – puis 2008 – la mise en place du traité de Lisbonne – le problème des élites dirigeantes européennes a changé de nature : l’UE est désormais en phase de délitement, même si nul ne peut en prévoir l’échéance, et dont le Brexit est le signe avant-coureur.

Si peu de choses séparent la plupart des dirigeants sur le plan idéologique – chrétiens-démocrates, sociaux-démocrates, libéraux, Verts, voire « gauche radicale » (sic !) clament tous, à des degrés divers, leur foi en l’aventure européenne à laquelle « il n’y a pas d’alternative » – les différences d’intérêts entre pays émergent désormais plus crûment, dans tous les domaines : économique, social, industriel, commercial, démographique, migratoire, sans parler des cultures politiques si dissemblables, forgées par l’histoire et la géographie. Autant de domaines qui ont dessiné les affrontements de ces dernières années entre pays de l’ouest et de l’est, du nord et du sud, entre petits et grands, entre inconditionnels de Washington et nostalgiques de Barack Obama…

Les différences d’intérêt ne sont pas un problème en soi. Elles peuvent refléter des complémentarités, fournir la matière de coopérations, faire l’objet de négociations diplomatiques entre pays souverains. Elles le deviennent en revanche dès lors qu’il s’agit de faire rentrer tout le monde de force dans le même moule intégré. C’est bel et bien l’exigence centrale des traités – « une union toujours plus étroite » – qui a semé les graines des divisions, des antagonismes, des conflits. Et le temps n’est plus où le « couple franco-allemand » pouvait assurer la discipline au sein d’instances policées. Encore moins depuis que les contentieux s’accumulent entre Berlin et Paris.

Au-delà de la tragi-comédie qu’on pourra au choix trouver réjouissante ou insipide, les dirigeants de l’UE font face à un processus de désintégration que les braises des colères populaires pourraient bien un jour accélérer.

La fumée ne sera pas forcément toujours blanche.

 

Pierre Lévy

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L’amour se fait attendre (éditorial paru dans Ruptures n°86)

Par : pierre

Aplomb pyramidal ou méthode Coué ? A l’issue du 26 mai, trois légendes urbaines ont été répandues en boucle par les commentateurs europhiles. Primo, les citoyens européens auraient témoigné – « enfin ! » – leur attachement à l’intégration européenne en se précipitant nombreux dans les bureaux de vote. Etrange sophisme puisque, dans plusieurs pays, la hausse de la participation électorale a nourri des forces se proclamant anti-Bruxelles. En outre, ceux qui ont voté l’ont fait quasi-exclusivement sur des enjeux nationaux. Enfin, dans plusieurs pays, les européennes étaient organisées simultanément à des scrutins régionaux, à des référendums, voire à des élections nationales, ce qui a mécaniquement réduit l’abstention.

Surtout, cette hausse est pour le moins à relativiser puisque, dans l’UE, un électeur sur deux (49,1%, contre 57,4% en 2014) a continué de boycotter les urnes. Et ce, malgré les campagnes de dramatisation littéralement sans précédent, multiples et dispendieuses. En France, Cfdt et Medef s’associèrent pour l’occasion. Des directions de grandes multinationales se sont adressées à leurs salariés, ce prosélytisme étant encore plus massif outre-Rhin. Et jusqu’aux archevêques français, allemands et du Benelux exhortant, dans un texte solennel, leurs ouailles à aller voter…

l’électorat vert est sociologiquement typé : très fort parmi les classes urbaines et aisées, réduit dans le monde ouvrier et parmi les classes populaires

La deuxième « fake news » vise à accréditer l’image d’une « vague verte » qui aurait balayé l’Union européenne. L’examen des chiffres devrait faire revenir à plus de mesure : les partis écologistes ne progressent que dans sept pays sur vingt-huit, stagnent, voire régressent dans plusieurs autres (dont la Suède, emblématique patrie de l’égérie du climat), et sont même inexistants ou marginaux dans une majorité d’entre eux. La progression du pourcentage écolo en France (loin cependant de son niveau de 2009) et plus encore en Allemagne accroît mécaniquement le score vert global puisque ces deux pays sont les plus peuplés de l’union.

On notera qu’en France en particulier (mais cela vaut aussi outre-Rhin), l’électorat vert est sociologiquement typé : très fort parmi les classes urbaines et aisées, réduit dans le monde ouvrier et parmi les classes populaires. Politiquement, les cartes électorales montrent une proximité entre les votants écolos et ceux favorables à Emmanuel Macron. Du reste, la grande porosité entre ces deux mouvances s’est traduite au dernier moment par une fuite de la seconde vers la première.

Enfin, la troisième antienne répétée depuis le 26 mai au soir est que les partis « populistes » ou d’« extrême droite » ont été « contenus ». Outre que lesdites forces sont pour le moins hétérogènes, l’affirmation semble plus relever de la pensée magique, qui plus est sur le thème « c’est moins mal que si ça avait été pire ».

trois hommes sortent objectivement grands vainqueurs du scrutin : Nigel Farage, Matteo Salvini, et Viktor Orban

La réalité est que trois hommes sortent objectivement grands vainqueurs du scrutin : le chef du Parti du Brexit, Nigel Farage, qui réussit un spectaculaire retour ; le vice-premier ministre italien Matteo Salvini (Ligue) qui rassemble plus du tiers des votants (17% en 2018) ; et le premier ministre hongrois Viktor Orban qui attire 52% de ses compatriotes, dix ans après son arrivée au pouvoir. Quelles que soient leurs arrière-pensées, ces trois là incarnent un rejet affiché de Bruxelles, qui le leur rend bien.

Certes, les socialistes Frans Timmermans et Pedro Sanchez ont aussi quelques raisons de se réjouir pour leurs scores respectifs aux Pays-Bas et en Espagne. Mais, outre que le reste de leur famille politique est littéralement en capilotade, les deux hommes pourraient bien se retrouver très vite face à face. Car le second n’a toujours ni gouvernement, ni majorité, et donc encore moins de budget – c’est en présentant son projet de loi de finances qu’il est tombé, en février dernier. Or la Commission dans laquelle officie le premier (il souhaite même bientôt la présider) va renouer avec sa vigilance austéritaire, maintenant que l’échéance électorale est passée.

Après le divertissement électoral, les choses sérieuses reprennent

Cela ne concerne pas seulement Madrid, mais à très brève échéance Rome, que le commissaire sortant Pierre Moscovici vient à nouveau de menacer. Bref, après le divertissement électoral, les choses sérieuses reprennent. Et il n’est pas sûr que l’actuel « mercato » à suspense visant à désigner les futurs pontes bruxellois suffise à alimenter l’amour présumé des citoyens pour l’« idée européenne ».

Certainement pas, en tout cas, du côté des salariés de GE-Belfort, et de tous ceux qui sont menacés par l’après-européennes et ses vagues de licenciements.

De véritables vagues, cette fois.

Pierre Lévy

 

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Echange doux-amer entre Paris et Berlin (éditorial paru dans l’édition du 29 mars)

Par : pierre

Le 4 mars, le maître de l’Elysée avait pris sa plus belle plume – et mobilisé modestement vingt-huit quotidiens nationaux du Vieux continent – pour s’adresser aux « citoyens d’Europe ». Moins d’une semaine plus tard, la chef des chrétiens-démocrates allemands publiait, en guise de réponse, une tribune qui livrait sa propre vision de l’avenir de l’UE. Annegret Kramp-Karrenbauer (« AKK »), qui vient de succéder à Angela Merkel à la tête de la CDU, n’est certes pas encore chancelière, mais elle a de bonnes chances de le devenir en 2021 – ou même avant.

Naturellement, les deux dirigeants partagent les mêmes fondamentaux. A commencer par l’amour de la langue de bois européenne. Pour Emmanuel Macron, l’UE, « projet inédit de paix, de prospérité et de liberté (est) un succès historique ». Pour Mme Kramp-Karrenbauer, celle-ci est une « réussite incomparable ». Et même un produit à exporter, puisqu’il faut défendre « notre mode de vie européen (…) pour nous-mêmes et pour le monde entier » ; de son côté, le président français affirme sans ciller que « l’Europe entière est une avant-garde, elle a toujours su définir les normes du progrès » dans le monde.

Ce dernier commence cependant sa missive en alertant : « jamais l’Europe n’a été autant en danger ». Sa collègue allemande opine d’emblée : « il a raison, il faut agir de toute urgence ». Une fois asséné que « la civilisation européenne nous unit, nous protège et nous libère », Emmanuel Macron enchaîne une série de propositions dans l’espoir de freiner le délitement de l’intégration européenne et de calmer les inquiétudes populaires. Il faut pro-té-ger martèle le chef de l’Etat. Par exemple en créant une agence de sauvegarde de la démocratie, explicitement conçue contre la malveillance russe… Il faut aussi augmenter les dépenses d’armement, et créer un conseil de sécurité extérieure pour faire progresser l’Europe militaire. Il faut en outre « tourner toutes les institutions » vers l’engagement climatique, et réguler les géants de l’Internet. Sur tous ces points, la nouvelle patronne de la CDU n’a pas d’objection de principe, même si elle reste en retrait sur la création d’institutions nouvelles.

Sur l’espace de libre circulation Schengen – sujet jugé hypersensible puisqu’il touche aux migrations et à l’asile – les points de vue de Paris et de Berlin ne coïncident plus tout à fait. L’approche allemande est plus conciliante avec les pays d’Europe centrale. Et sur d’autres aspects, les divergences se multiplient entre les deux rives du Rhin. Ainsi, les gesticulations de l’ancien de la banque Rothschild sur le « bouclier social » sont fraîchement accueillies à Berlin. Plus généralement, tous les appels macroniens à une intégration plus fédérale se heurtent désormais à une réticence marquée : « aucun super Etat européen ne saurait répondre à l’objectif d’une Europe capable d’agir ; (…) refonder l’Europe ne se fera pas sans les Etats nations » affirme ainsi Mme Kramp-Karrenbauer. C’est un tournant majeur : traditionnellement, la CDU défendait une Europe à vocation fédérale, là où les dirigeants français traînaient plutôt les pieds.

l’aile la plus ultralibérale de la CDU n’est plus forcément convaincue que l’intérêt de l’Allemagne soit de tout subordonner à l’intégration européenne

Déjà, le président français avait dû ravaler ses projets ambitieux de réforme de la zone euro et la plupart des fantasmes exprimés lors de son discours de la Sorbonne (septembre 2017). Mais la dirigeante allemande juge utile d’effectuer quelques piqûres de rappel : « le centralisme européen, l’étatisme européen, la communautarisation des dettes, l’européanisation des systèmes de protection sociale et du salaire minimum seraient la mauvaise voie ». Et d’ajouter quelques chiffons rouges qui déplaisent souverainement à Paris, comme la demande de mise en commun du siège français au Conseil de sécurité de l’ONU.

Les deux protagonistes ont chacun des préoccupations politiques qui ne coïncident pas nécessairement. Le premier travaille en France à l’émergence d’un « parti européen » associant gauche et droite ; la seconde veut donner des gages à l’aile la plus ultralibérale et conservatrice de la CDU, qui n’est plus forcément convaincue que l’intérêt de l’Allemagne soit de tout subordonner à l’intégration européenne.

Et ce au moment où l’UE – dont le but ultime est d’effacer la souveraineté de chaque peuple – se retrouve de plus en plus sous tension à mesure que montent les mécontentements, les colères et les frustrations. Sauf bien sûr à considérer, comme l’énonce sans rire AKK, que « jamais l’idée européenne n’a connu de tels niveaux d’approbation ».

Bon courage…

Pierre Lévy

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Absorption d’Alstom par Siemens : un blocage bienvenu… mais pour de très mauvaises raisons

Par : pierre

(Certains éléments de cet article sont extraits de l’entretien exclusif avec Jean-Michel Quatrepoint, spécialiste des questions industrielles, à paraître dans l’édition de février de Ruptures – pour ne pas manquer cette édition, abonnez-vous !)

La Commission européenne a bloqué, le 6 février, la fusion prévue entre le groupe français Alstom et la branche Transports du géant allemand Siemens. Les syndicats français se sont réjouis de cette décision : un tel mariage ne pouvait en effet qu’entraîner des suppressions d’emploi massives, et une perte de maîtrise industrielle et technologique majeure pour la France. Car en fait de rapprochement, il se serait agi d’une absorption pure et simple au profit de la firme de Munich.

Pourtant, ce n’est pas ce qui a motivé la décision de Bruxelles. Loin d’évoquer la sauvegarde des emplois, la Commission a fait prévaloir les sacro-saintes règles de la concurrence : celle-ci, a-t-elle indiqué, aurait été faussée par l’émergence du nouvel ensemble. Cet argumentaire a fâché non seulement les directions des deux entreprises, mais également les gouvernements à Berlin et à Paris qui voulaient créer un « géant européen » notamment capable de combattre contre le grand groupe ferroviaire chinois CRRC. Emmanuel Macron et son ministre de l’Economie, Bruno Le Maire ne se préoccupaient nullement de l’indépendance nationale, mais entendaient s’inscrire au contraire dans la mondialisation et sa logique financière.

Au fil des ans, Alstom a été progressivement dépossédé de ses atouts industriels et technologiques

Il faut rappeler qu’Alstom a été progressivement dépossédé de ses atouts industriels et technologiques. C’était l’une des entreprises issues du grand groupe national CGE dont les compétences, des années 1960 à la fin des années 1990, allaient des télécommunications à l’ingénierie et à la construction navale, en passant par l’énergie et le transport.

Après différentes ventes et cessions, notamment à des entreprises américaines, Alstom ne comportait plus, en 2014, que ces deux dernières grandes branches. Et en avril 2014, on apprenait que la direction d’Alstom négociait secrètement avec le mastodonte américain General Electric (GE) en vue de céder à celui-ci le secteur énergie, en l’occurrence la conception et la fabrication des turbines, soit 70% de l’activité de l’entreprise, dont l’usine historique de Belfort. Le ministre de l’Economie de l’époque, Arnaud Montebourg, avait alors fait une grosse colère en découvrant avoir été mis devant le fait accompli.

L’accord finalement signé en juin 2014 a présenté un habillage flatteur : la fusion allait être une « alliance entre égaux », à travers la création de co-entreprises. Mais quelques mois ont suffi pour que se confirme la prééminence de GE, qui récupérait ainsi les marchés juteux de son ancien concurrent français, ainsi que ses technologies de pointe. Avec d’importants dégâts sur l’emploi, malgré les promesses mirifiques

A l’époque, Emmanuel Macron était secrétaire général-adjoint de l’Elysée. Il conseillait directement le président d’alors, François Hollande, en matière économique et industrielle. On sait maintenant que M. Macron est intervenu pour s’opposer à ce que quelques contraintes soient imposées au repreneur GE. Avec un argument : la France « n’est pas une économie dirigiste, n’est pas le Venezuela »… Et en 2015, c’est lui qui, devenu ministre des Finances, a entériné l’opération.

Il faut aussi noter la partie « Energie » d’Alstom a été larguée au groupe US suite à un chantage et des pressions sans précédent exercés conjointement par le ministère américain de la justice, les tribunaux de ce pays, et la direction de GE. Alstom était alors poursuivi par les Américains pour « corruption » dans d’autres dossiers. Et les autorités françaises n’ont pas imaginé d’autre possibilité que de céder à Washington.

Emmanuel Macron, avant de prendre ses fonctions publiques, était banquier chez Rothschild ; or cet établissement était précisément la banque conseil d’Alstom…

Il convient enfin de rappeler qu’Emmanuel Macron, avant de prendre ses fonctions publiques, était banquier chez Rothschild ; et que cet établissement était précisément la banque conseil d’Alstom…

Conséquences – entre autres – de la désastreuse opération de 2015 : les turbines qui équipent les 58 centrales nucléaires françaises, dépendent désormais du groupe américain pour la maintenance. En outre, cela représente un problème majeur pour l’exportation : Washington peut bloquer la vente de centrales françaises à l’étranger. Par ailleurs, GE a désormais le monopole sur les turbines de propulsion du porte-avions et des sous-marins nucléaires français…

Entre le bradage des turbines d’Alstom à GE et le projet – désormais condamné – d’absorption d’Alstom ferroviaire par Siemens, existent différentes similitudes, à commencer par l’apparence d’une alliance « entre égaux » qui s’avère en réalité un bradage des compétences et des emplois. Et le sacrifice des atouts économiques nationaux au nom de l’insertion dans la mondialisation.

En 2003, Alstom n’avait dû son salut qu’à une nationalisation (partielle), mais en 2006, la Commission condamnait la France pour « aides d’Etat illégales » et imposait une re-privatisation

En 2003 déjà, Alstom avait essuyé une tempête et n’avait dû son salut qu’à une nationalisation (partielle) décidée par Nicolas Sarkozy, qui n’était pourtant pas un bolchevik avéré. Ce dernier avait tenté quelque chose, là où son successeur actuel à l’Elysée défend exclusivement les intérêts de l’oligarchie mondialisée.

Mais en 2006, la Commission avait finalement condamné la France pour « aides d’Etat illégales », et avait imposé une re-privatisation d’Alstom. En l’occurrence via la vente des actions détenues par la puissance publique au groupe privé Bouygues (bâtiment, médias…). Huit ans plus tard, ce dernier manifestait son intention de revendre ses parts, en 2014, moyennant un très substantiel dividende exceptionnel… Un élément qui a également contribué à provoquer la catastrophe industrielle.

Les salariés d’Alstom ne peuvent décidément compter ni sur les pouvoirs publics, ni sur Bruxelles pour défendre leurs emplois et la maîtrise industrielle nationale.

 

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Brexit : victoire éclatante de Theresa May au sein de son parlement

Par : pierre

C’est une victoire éclatante qu’a remportée Theresa May à l’issue de la séance parlementaire décisive qui s’est tenue le 29 janvier. La plupart des correspondants des journaux européens prédisaient (espéraient, en fait) que les députés britanniques allaient imposer au premier ministre des dispositions de nature à faire échouer le Brexit ; ils ont été pris totalement à contre-pied.

Car une majorité de parlementaires a voté le texte du gouvernement actant l’état des négociations avec Bruxelles, texte désormais nanti d’un amendement décisif : celui-ci donne mandat à Mme May de retourner à Bruxelles pour exiger des Vingt-sept une modification essentielle du projet de divorce signé en novembre dernier.

Theresa May, selon cet amendement (qu’elle soutenait vivement et qui fut finalement adopté par 317 voix contre 301), doit renégocier ledit « filet de sécurité » (« backstop »). Cette disposition prévoyait que le Royaume-Uni devait rester dans l’Union douanière avec l’UE aussi longtemps qu’une solution pérenne quant à la frontière entre les deux Irlande n’était pas trouvée – c’est-à-dire potentiellement indéfiniment, accusaient ses détracteurs.

Tous les amendements qui concrétisaient les différents espoirs des adversaires du Brexit ont été rejetés

Certes, un autre amendement affirme l’opposition des députés à un Brexit sans accord (« no deal »), mais il n’est nullement contraignant. Surtout, tous les autres amendements qui concrétisaient les différents espoirs des adversaires du Brexit ont été rejetés : pouvoir accordé au Parlement pour déterminer lui-même différentes alternatives remettant en cause la sortie du Royaume-Uni, voire pour imposer l’une d’entre elles ; report de la date prévue (29 mars), ou bien faculté du Parlement d’imposer un tel report…

Bref, Theresa May garde la main, démentant ainsi ceux qui pronostiquaient que le Parlement britannique allait unilatéralement « prendre le contrôle ». Une prédiction qui était juridiquement infondée – dans la jurisprudence constitutionnelle britannique, le premier ministre reste le maître à bord tant qu’une motion de censure ne l’a pas chassé ; et qui s’est surtout révélée politiquement erronée, la capacité de rebondir de Theresa May ayant, pour la énième fois, été sous-estimée.

Suite de l’article, et dossier complet dans l’édition du mensuel à paraître le 31 janvier

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Gilets jaunes : la genèse d’un mouvement qui pourrait marquer l’Histoire de la France

Par : fabien

Beaucoup de commentateurs croient déjà pouvoir savourer l’enterrement des Gilets jaunes. C’est sans doute aller un peu vite en besogne. Quoi qu’il en soit, il n’est pas trop tôt pour revenir sur les traits saillants et inédits de ce mouvement, ainsi que sur les enjeux dont il est porteur.

Lire aussi : Des Gilets jaunes à l’ « empire européen » (éditorial paru dans l’édition du 28 novembre)

Le soulèvement…

Le 17 novembre 2018 a marqué le premier acte de mobilisation nationale du mouvement citoyen des Gilets jaunes. A la fin de cette journée, l’exécutif annonçait qu’à son pic, la mobilisation avait rassemblé 282 700 manifestants dans tout le pays. Un chiffre qui a laissé perplexe, puisqu’il correspondait à une moyenne de 62 participants par point de blocage sur tout le territoire…

Péages d’autoroute, ronds-points ou encore parkings de centre commerciaux : une partie du peuple vêtu de jaune venait ainsi d’investir, de façon inédite, la « rue » et nombre de ses points stratégiques, un peu partout sur l’Hexagone.

Le gouvernement ne bouge pas d'un iota après la mobilisation du #17Novembre #GiletsJaunes https://t.co/5SB2dLbwZw pic.twitter.com/HkInmWKX02

— Marianne (@MarianneleMag) November 18, 2018

Une colère plus forte que les tentatives de la récupérer ou de la calmer

C’est une taxe écologique qui a mis le feu aux poudres. Mais la colère populaire s’est avérée bien plus profonde, comme en témoigne une première liste de revendications « officielle » diffusée dès le 29 novembre. Spontanée et luxuriante dans sa forme, celle-ci pointe des enjeux fondamentaux. Elle s’en prend explicitement aux politiques menées ces dernières décennies par les gouvernements successifs.

Les « abandonnés de la mondialisation » ont manifesté leur exaspération. En face, les détracteurs médiatiques du mouvement ont tenté de le discréditer. Dès la première journée, nombre d’éditorialistes n’ont pas manqué de concentrer leurs efforts sur les dérapages ou accidents regrettables mais isolés. Une approche anxiogène qui s’est accompagnée de la rhétorique gouvernementale dénonçant une « radicalisation » du mouvement, affirmant à l’envi que celui-ci serait gangrené par des membres de « l’ultra-droite »…

Des actions à la symbolique puissante

Des blocages de lieux stratégiques en province jusqu’aux multiples vagues jaunes qui ont déferlé sur ladite plus belle avenue du monde : pour exprimer son exaspération, le mouvement citoyen s’est affranchi du cadre initialement octroyé par l’Etat.

Ainsi, dès le 24 novembre, date à laquelle des Gilets jaunes s’étaient pour la première fois décidés à converger sur Paris, les manifestants ont ignoré les consignes du gouvernement qui souhaitait contenir le rassemblement sur le Champ de Mars. C’est bel et bien aux abords des lieux de pouvoirs, de l’avenue des Champs-Élysées à la rue du Faubourg Saint-Honoré (à quelques pas du palais présidentiel), que la plupart des citoyens mobilisés ont ainsi décidé de porter leur message.

Un groupe de #GiletsJaunes est parvenu à s’approcher à 100m du Palais de l’Elysée#24novembre

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— RT France (@RTenfrancais) November 24, 2018

Un phénomène inédit face auquel les autorités ont mis en place d’impressionnants dispositifs de sécurité, incluant de nombreuses interpellations préventives. Par exemple, pour la seule journée du 8 décembre (dit acte IV du mouvement), les forces de l’ordre ont procédé, au total, à 1 723 interpellations (chiffre officiel). Le même jour, les blindés de la gendarmerie arborant le drapeau européen ont été dispatchés dans la capitale.

Quant à la province, depuis près de quatre semaines, une partie du peuple se relaie jour et nuit, avec un soutien significatif de la population locale, pour tenir des ronds-points ou encore des péages d’autoroutes. Par ailleurs, certains complexes commerciaux ont connu une chute importante de leur chiffre d’affaire.

Des masques qui tombent au fur et à mesure que le message se construit

Le mouvement a bénéficié d’emblée d’une popularité sans précédent auprès de la population française. Il s’est même, dans un premier temps, attiré le soutien proclamé d’une large part de l’opposition, de gauche comme de droite.

Mais certaines familles politiques ont, au fur et à mesure de l’expression des revendications, pris leurs distances. A l’image de Laurent Wauquiez, chef des Républicains, qui a appelé à cesser le mouvement après l’avoir soutenu officiellement, d’autres personnalités politiques n’ont pas hésité, après l’attaque de Strasbourg, à brandir la menace terroriste pour demander un arrêt du mouvement.

Un choix qui fut d’ailleurs épinglé par quelques responsables politiques comme Jean-Luc Mélenchon, qui estimait le 12 décembre qu’il fallait que « la République, ses passions, ses mobilisations, puissent continuer » ; ou encore comme Florian Philippot, qui déclarait le même jour qu’ « un mouvement social n’a jamais sali la mémoire de victimes du terrorisme ».

Le président de la République a quant à lui multiplié les précautions afin de dissimuler la condescendance que ses détracteurs lui reprochent. Mais même temporaire, l’empathie pour un mouvement populaire semble rester inaccessible à certains membres éminents du camp Macron, à l’image du chef des députés du parti présidentiel, Gilles Le Gendre, qui, le 17 décembre, n’a pas réussi à contenir son égo. Il a ainsi considéré qu’une des erreurs du gouvernement résidait dans le fait d’avoir été « trop intelligent, trop subtil »…

.@GillesLeGendre : "Nous avons insuffisamment expliqué ce que nous faisons. Et une 2e erreur a été faite : le fait d'avoir probablement été trop intelligent, trop subtile, trop technique dans les mesures de pouvoir d'achat. Nous avons saucissonné toutes les mesures" #Tdinfos pic.twitter.com/NKO7syUUWh

— Public Sénat (@publicsenat) December 17, 2018

Par ailleurs, afin de contenir les actions locales menées dans le cadre du mouvement citoyen, l’exécutif a assuré, dès le lendemain de l’acte V, qu’il ne tarderait pas à envoyer les CRS et gendarmes sur les ronds-points de France.

Contre vents et marées, les Gilets jaunes ne lâchent rien

Jusqu’alors plus rapide et plus efficace que ses prédécesseurs pour satisfaire les intérêts qu’il représente, Emmanuel Macron se retrouve dans une impasse. Aujourd’hui nommément visé par le mouvement des Gilets jaunes en tant qu’énième pion au service des institutions supranationales européennes, l’actuel locataire de l’Elysée n’a eu d’autre choix que de revenir sur la hausse annoncée des taxes sur le carburant (qui constitua à l’origine la goutte d’eau).

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Après une première phase pacifique pour le moins traitée avec mépris par l’exécutif, la sympathie constante du mouvement citoyen auprès de la population française, ainsi que les violents incidents en marge des mobilisations successives aux abords des lieux de pouvoirs, ont réussi à faire reculer le gouvernement.

Mais les Gilets jaunes ne comptent pas s’en contenter : le 13 décembre, un communiqué mettait en avant quatre propositions : l’instauration d’un référendum d’initiative citoyenne (RIC), la création d’une assemblée citoyenne, la baisse des taxes sur les produits de première nécessité, et la « réduction significative » des salaires gouvernementaux.

Rendez-nous notre liberté et notre souveraineté

Ce jour-là, des porte-parole du mouvement s’exprimaient à Versailles devant la salle du Jeu de paume, symbole de l’unité des députés du Tiers-état lors de la Révolution française. 229 ans plus tard, ces Gilets jaunes ont prêté le serment « de ne pas se séparer avant d’avoir obtenu la présentation devant le peuple français du référendum d’initiative citoyenne, du recul des privilèges d’Etat et de la baisse des prélèvements obligatoires », avant de terminer leur communiqué en ces termes : « rendez-nous notre liberté et notre souveraineté ».

Un message clair adressé à celui qui a toujours prôné le transfert de celle-ci à l’échelle européenne.

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