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Jean-Marc Jancovici au Sénat : omissions et approximations

Par : Thomas Jestin — 2 mars 2024 à 04:30

Je viens d’écouter l’audition d’une petite heure de Jean-Marc Jancovici au Sénat, qui a eu lieu le 12 février dernier dans le cadre de la « Commission d’enquête sur les moyens mobilisés et mobilisables par l’État pour assurer la prise en compte et le respect par le groupe TotalEnergies des obligations climatiques et des orientations de la politique étrangère de la France ».

Beaucoup d’informations exactes, qui relèvent d’ailleurs bien souvent du bon sens, mais aussi quelques omissions et approximations sur lesquelles je souhaite revenir ici.

Je tiens à préciser d’entrée que j’ai beaucoup de respect pour Jean-Marc Jancovici, dont j’ai vu un nombre incalculable de vidéos sur YouTube, notamment la série de huit cours donnés à l’école des Mines. J’ai aussi lu avec intérêt le livre résumant Le plan de transformation de l’économie française publié par le Shift Project, think tank qu’il a cofondé.

Entendons-nous déjà sur le constat qu’on peut facilement partager avec lui avant d’en venir aux différents points d’achoppement.

Oui, il est urgent d’amener à zéro les émissions nettes de gaz à effet de serre au maximum, et le plus vite possible.

Oui, en l’état, il semble impossible de limiter la hausse moyenne des températures à 1,5 °C au-dessus du niveau préindustriel.

Et oui, nous semblons bien partis pour dépasser la limite des 2°C.

La question comme toujours demeure : « Que faire et comment ? ». Comme à son habitude, Jean-Marc Jancovici prêche d’abord et avant tout pour une sobriété massive en France, la « pauvreté choisie » selon ses mots, afin de montrer l’exemple au reste du monde dans l’espoir de l’inspirer, « son pari pascalien », dit-il.

C’est déprimant. Si la sobriété peut avoir un rôle à jouer, elle ne suffira pas à elle seule. Le progrès technologique accéléré par l’économie de marché ne trouve pas grâce à ses yeux, c’est son angle mort.

Mes remarques.

 

Oubli d’une pompe à carbone amenée à jouer un rôle majeur

Je note déjà une erreur scientifique dès sa prise de parole, ce qui est assez surprenant de sa part. Il explique qu’il n’y a que deux façons pour le CO2 de quitter l’atmosphère : soit en étant absorbé par l’océan par « équilibrage de pressions partielles » ; soit en étant transformé, avec d’autres intrants, en biomasse suite à l’action de la photosynthèse des plantes.

Il oublie un phénomène qui a son importance, on va le voir, l’érosion chimique des roches silicatées : quand le CO2 de l’atmosphère se mêle à la pluie pour produire de l’acide carbonique (H2CO3), qui va ensuite réagir avec ces roches pour donner d’un côté un minéral carbonaté (contenant les atomes de carbone) et de l’autre du sable en général (contenant les atomes de silicium). Les minéraux carbonatés ainsi produits sont ensuite emportés par les rivières et fleuves jusqu’au fond des océans où il se déposent. Leurs atomes de carbone sortent alors de l’atmosphère pour le très long terme. C’est ce qu’on appelle le cycle lent du carbone.

Si Jean-Marc Jancovici n’en parle pas, c’est sans doute car, si sur le temps géologique long il peut induire des changements climatiques très marqués, à notre échelle temporelle il n’a que peu d’impact : on considère qu’il retire de l’atmosphère chaque année environ 300 millions de tonnes de CO2, et il est contrebalancé par les émissions de CO2 des volcans qui rejettent, eux, environ 380 millions de tonnes de CO2 chaque année au maximum. Ce cycle géologique semble donc ajouter en net du carbone dans l’atmosphère, à hauteur de 80 millions de tonnes de CO2 par an, soit 0,2 % des émissions de CO2 d’origine humaine (autour de 40 milliards de tonnes/an).

Un oubli pardonnable donc. Mais cela traduit en fait la courte vue de Jean-Marc Jancovici, car ce phénomène, l’érosion chimique des roches silicatées, représente a priori le moyen le plus économique de capturer et stocker pour le très long terme et à très grande échelle le CO2 en excès dans l’atmosphère.

S’il nous faut absolument cesser d’émettre des gaz à effet de serre au plus tôt, l’inertie de nos économies fait que cela prendra du temps, même si les solutions sont réelles. Nous allons donc continuer à pourrir la planète pendant encore un certain temps. Il est urgent de réfléchir à comment retirer pour de bon l’excès de carbone dans l’atmosphère, à hauteur de 1500 milliards de tonnes de CO2, pour réparer le mal déjà commis, et limiter au maximum la casse.

Un certain nombre de solutions sont envisagées.

Celles consistant à embrasser la photosynthèse sont difficiles à généraliser à grande échelle, on manque de place pour ajouter assez d’arbres par exemple, et quand bien même, on n’est pas sûr de pouvoir les maintenir en état dans un monde en réchauffement. D’autres pensent aux algues, mais le résultat est difficile à mesurer. L’autre classe de solution est la capture du CO2 ambiant grâce à des machines et son stockage en sous-sol.

Le problème de toutes ces solutions, quand elles sont pensées pour être durables, est in fine leur scalability et leur coût. Elles sont beaucoup trop chères, on peine à voir comment tomber en dessous des 100 dollars par tonne de CO2 capturé et séquestré. Comme ce CO2 capturé ne rapporte rien directement, il s’agit en fait d’une taxe que les contribuables du monde doivent se préparer à payer. Avec 1500 milliards de tonnes de CO2 en excès, un coût de 100 dollars par tonne et plus rend tout simplement l’opération inconcevable, on parle d’environ deux fois le PIB mondial ! Même réparti sur 20 ans, on tombe à 10 % du PIB mondial par an, une taxe bien trop lourde.

Démultiplier l’érosion chimique de roches silicatées, notamment l’olivine, semble offrir un moyen de faire tomber ce coût à 5 dollars par tonne, tel que le détaille cette projection.

L’olivine est assez abondante et accessible sur Terre pour capturer les 1500 milliards de tonnes de CO2 en excès dans notre atmosphère. L’idée consiste à extraire ces roches, les concasser en fine poudre à déverser dans la mer où leur constituant principal, la fostérite de formule Mg2SiO4, réagira avec l’acide carbonique de l’océan (formé par réaction de l’eau avec le CO2) pour précipiter notamment du bicarbonate de magnésium Mg2(HCO3qui pourra se déposer au fond des mers, séquestrant au passage ses atomes de carbone. Bien sûr, il faudra pour cela beaucoup de machines qui utiliseront possiblement des carburants hydrocarbonés, (même pas en fait à terme), mais leur impact sera largement compensé par le CO2 séquestré. On parle là d’un chantier vertigineux, sur au moins vingt années, mais à 5 dollars par tonne de CO2, cela devient une taxe digeste à la portée de l’humanité.

Ainsi, plutôt que d’être passablement ignorée comme l’a fait Jean-Marc Jancovici, cette pompe à CO2 méritait au contraire d’être citée, et devrait faire l’objet de beaucoup d’attention, d’études complémentaires et expérimentations, préalables aux investissements à suivre.

 

Non, notre siècle ne sera pas un monde d’énergie rare

Jean-Marc Jancovici part du postulat que nous entrons dans une ère de pénurie d’énergie du fait du tarissement de la production de pétrole et de gaz, et de la nécessité absolue de se passer des énergies fossiles pour minimiser la catastrophe climatique.

De là, il prévoit que nous ne pourrons plus produire autant d’engrais aussi bon marché qu’aujourd’hui, ce qui veut dire que la nourriture sera plus rare et plus chère. Couplé à la hausse des coûts du transport, il en conclut qu’il deviendra prohibitif d’approvisionner en nourriture une ville comme Paris (deux millions d’habitants) et qu’à l’avenir, la taille idéale d’une ville serait plutôt de l’ordre de celle de Cahors (20 000 habitants).

Mais pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Si ce postulat et les premières étapes du raisonnement sont valides pour ce siècle, alors il y a bien pire à prévoir que de voir Paris se vider et fleurir des Cahors.

Continuons ce reductio ad absurdum.

Si l’on pense véritablement qu’on ne pourra pas produire autant de nourriture qu’aujourd’hui, que les rendements agricoles vont baisser drastiquement, et que la nourriture coûtera bien plus cher à l’avenir, alors le premier des problèmes n’est pas le redimensionnement des villes. Non, c’est d’abord et avant tout le fait que la Terre ne pourra pas faire vivre huit milliards d’êtres humains. Ce qui voudrait dire que des milliards d’entre nous sont d’ores et déjà condamnés à mourir de faim au XXIe siècle ! Autant que Jean-Marc Jancovici le dise clairement !

Ce bien sinistre tableau ne tient pas la route, nous allons voir pourquoi.

Mais demandons-nous d’abord quelles sont les raisons profondes derrière le postulat initial de Jean-Marc Jancovici ?

Il considère que d’une part, pour satisfaire à tous les usages électrifiables, on ne parviendra pas à développer assez vite les infrastructures de production d’électricité pour en produire en quantité suffisante à prix abordable. Car construire du nucléaire prend trop de temps, et le renouvelable souffre d’après lui de problèmes rédhibitoires : intermittence, contrainte sur les matériaux et les sols, et enfin prix acceptables envisagés non crédibles, car permis justement par la dépendance aux machines fonctionnant aux carburants fossiles, dont il faudrait se débarrasser.

D’autre part, il explique qu’il n’y a pas de solution alternative aussi abordable que les énergies fossiles pour les usages qu’on ne pourra pas électrifier, notamment l’aviation long courrier et le transport maritime en haute mer. Annonçant ainsi la fin de la mondialisation et les joies du voyage en avion.

Ce raisonnement a tenu un temps. Mais des tendances de fond, dont on pouvait effectivement encore douter jusqu’il y a quelques années, sont aujourd’hui impossibles à ignorer, et nous font dire que le XXIe siècle sera bien au contraire un monde d’abondance énergétique !

Ces tendances, les voici :

• Chute continue du coût de l’énergie solaire photovoltaïque (PV), et en parallèle, la croissance exponentielle des déploiements, même trajectoire pour les batteries qui permettent notamment la gestion de l’intermittence sur le cycle diurne (jour/nuit).

• De nouvelles études montrent qu’il y aura assez de matériaux pour assurer la transition énergétique.

• Du fait du premier point, il sera possible de produire à grande échelle des carburants de synthèse carbonés avec le CO2 de l’atmosphère (aux émissions nettes nulles donc) à un tarif compétitif, puis plus bas que les énergies fossiles importées à peu près partout sur Terre d’ici à 2035-2040.

Le dernier point va justement permettre de verdir et faire croître l’aviation et le transport maritime, et de tordre le cou à l’objection du renouvelable abordable seulement du fait de la dépendance aux énergies fossiles. On ne se passera pas des énergies carbonées, mais on fera en sorte qu’elles ne soient plus d’origine fossile.

Détaillons.

 

Chute continue du coût du solaire PV et des batteries

Pour se donner une idée, un mégawatt-heure d’électricité solaire PV coûtait 359 dollars à produire en 2009, on est aujourd’hui autour de 25 dollars/MWh aux États-Unis sur les fermes solaires de pointe.

En avril 2021, on apprenait qu’un chantier en Arabie Saoudite vendra de l’électricité à un prix record mondial de près de 10 dollars/MWh. Il y a toutes les raisons de penser que cela va continuer à baisser au rythme actuel pour encore longtemps, pour les raisons que j’exposais dans cet article (économies d’échelles, loi de Wright, assez de matériaux). Sans surprise, le solaire PV est en plein boom. En 2023 en Europe, c’est l’équivalent en puissance d’une centrale nucléaire par semaine qui a été installée !

Ce phénomène de baisse des prix au fur et à mesure des déploiements est également à l’œuvre avec les éoliennes, dans des proportions moindres toutefois. Elles auront un rôle à jouer dans les pays les moins ensoleillés et en hiver, en complément du solaire PV.

Cette explosion des déploiements va s’accélérer grâce à la baisse parallèle du coût des batteries qui permettent de compenser les effets de l’intermittence sur la journée. Par exemple, les batteries Lithium Iron Phosphate (LFP) coûtaient autour de 110 euros/kWh en février 2023. Les industriels parlent d’atteindre 40 euros/kWh cette année, un chiffre qu’en 2021 on pensait atteindre vers 2030-2040. Tout s’accélère !

Autre exemple, Northvolt, une entreprise suédoise, a dévoilé une technologie de batterie révolutionnaire, « la première produite totalement sans matières premières rares », utilisant notamment le fer et le sodium, très abondants sur les marchés mondiaux. Son faible coût et la sécurité à haute température rendent cette technologie particulièrement attractive pour les solutions de stockage d’énergie sur les marchés émergents, notamment en Inde, au Moyen-Orient et en Afrique.

Bref, on assiste bien à la chute continue du coût des batteries couplée à la hausse continue de leur qualité (s’en convaincre en 6 graphiques ici).

Pour la gestion de l’intermittence saisonnière, on s’appuira sur un système combinant centrales nucléaires et au gaz de synthèse pour prendre le relais au besoin. On continuera à investir dans l’extension des réseaux électriques permettant par exemple d’acheminer de l’électricité solaire PV depuis le Sahara jusqu’à l’Europe.

Enfin, pour le stockage longue durée, c’est a priori le stockage hydraulique par pompage qui devrait s’imposer.

 

Nous disposons d’assez de ressources et métaux pour la transition énergétique

L’Energy Transition Commission (ETC) a publié un rapport important en juillet 2023, qui examine les besoins en minéraux de 2022 à 2050. Il repose sur un scénario ambitieux visant à atteindre zéro émission nette d’ici 2050 : électricité mondiale décarbonée, transport de passagers quasiment décarboné, industrie lourde approvisionnée en hydrogène vert, et 7 à 10 milliards de tonnes de CO2 de captage et de stockage du carbone pour les émissions restantes.

Le rapport montre que le monde possède en soi suffisamment de cuivre, nickel, lithium, cobalt et argent, même si nous devrons en rendre davantage économiquement viables, ou trouver de nouveaux gisements facilement accessibles.

Mais il faut noter que les industriels savent souvent remplacer un matériau lorsque son approvisionnement semble compromis, ou que son prix monte trop.

Par exemple, les projections sur le besoin en cobalt ont considérablement baissé à mesure que certains constructeurs de voitures électriques se sont tournés vers d’autres intrants. De la même façon, les prix élevés du cuivre entraînent une transition vers l’aluminium.

Et les estimations de l’ETC sur la demande en minéraux sont élevées par rapport à d’autres analyses. En recoupant ces hypothèses avec d’autres analyses, on constate que l’ETC est conservateur, prévoyant généralement la plus forte demande en minéraux. Citons par exemple :

L’Agence internationale de l’énergie (AIE) : « Il n’y a généralement aucun signe de pénurie dans ces domaines : malgré la croissance continue de la production au cours des dernières décennies, les réserves économiquement viables ont augmenté pour de nombreux minéraux de transition énergétique. »

Agence internationale des énergies renouvelables (IRENA) : « Les réserves de minéraux de transition énergétique ne manquent pas, mais les capacités d’extraction et de raffinage sont limitées. […] La production a augmenté pour de nombreux minéraux de transition énergétique, et les réserves extraites de sources économiquement viables ont augmenté. De plus, les innovations de rupture – telles que l’amélioration de l’efficacité et les substitutions de matériaux – sont déjà en train de remodeler la demande. »

 

Carburants carbonés de synthèse aux émissions nettes nulles

On parle d’e-carburants, ou encore d’électro-carburants, car on utilise de l’électricité pour capturer le CO2 de l’atmosphère et pour faire de l’électrolyse de l’eau permettant d’obtenir l’hydrogène H2 à faire réagir avec le CO2 capturé afin de produire ces carburants de synthèse. Il ne faut pas les confondre avec les biocarburants, sur lesquels je reviens en dernière partie.

Si l’électricité utilisée est verte, on a bien là des carburants verts, aux émissions nettes nulles, puisque le CO2 utilisé au départ provient de l’atmosphère. Brûler ces carburants n’ajoute pas de nouveau carbone à l’atmosphère tiré des entrailles de la Terre. (pour retirer en net du CO2 de l’atmosphère, il faudra, par contre, se tourner vers la solution évoquée en première partie.)

Aujourd’hui, fabriquer ces e-carburants reste prohibitif. Mais cela va bientôt changer du fait de la chute continue du coût de l’énergie solaire PV.

Pour rivaliser avec le kérosène fossile importé par exemple, il faudra que le coût de cette énergie solaire PV passe en dessous des 10 dollars/MWh.

On utilise pour cela l’électricité sur le point de production sans avoir besoin de se raccorder au réseau pour s’épargner les coûts (onduleurs, pertes en transmission) et délais associés, en intégrant bien dans le calcul l’intermittence du solaire PV, et donc l’utilisation des machines produisant ces e-carburants que 25 % du temps en moyenne. J’explique tout en détail dans cet article.

Un des freins relatifs au développement du solaire PV est l’embouteillage pour se raccorder au réseau (des années dans certains cas aux États-Unis) et la disponibilités des batteries (même si ça évolue très vite, on l’a vu). Mais cela ne s’applique pas à la production d’e-carburants : nul besoin du réseau électrique ni de batteries. Cela ne peut que contribuer à débrider plus encore l’explosion des déploiements de fermes solaire PV.

Au rythme actuel de la baisse des prix du solaire PV, les e-carburants produits sur place seront compétitifs avec les carburant fossiles importés avant 2030 dans les endroits les plus favorables et à peu près partout sur Terre d’ici à 2035-2040.

C’est inévitable.

La mondialisation soutenue par le commerce maritime ne s’arrêtera pas faute d’énergie. Et loin de ralentir, l’aviation sera en mesure d’exploser à partir des années 2040, sans que cela n’accroisse les émissions nettes de gaz à effet de serre.

Si certaines tensions seront observées sur les 10 à 15 prochaines années, le temps que ces solutions arrivent à maturité, il est clair par contre qu’ensuite, c’est bien un monde d’abondance énergétique propre qui nous attend.

 

Oui, les biocarburants sont une hérésie, mais pas que pour les raisons invoquées

Suite à une question sur la concurrence des sols entre nourriture et biocarburants, Jean-Marc Jancovici explique que d’une certaine façon, oui les terres dédiées à la production de biocarburants conduisent à de la déforestation, sous-entendant qu’il faudrait faire sans les biocarburants et réduire en conséquence le transport des hommes et marchandises, la sobriété d’abord et avant tout à nouveau.

Jean-Marc Jancovici a raison, les biocarburants sont une aberration, mais pas seulement pour les raisons qu’il donne. Ils ont vocation à rester chers car produire de la biomasse, la récolter, la transporter, la transformer, la conditionner ne se prêtera pas à des économies d’échelles suffisantes.

Et quand bien même cela pourrait devenir aussi abordable que les carburants fossiles, c’est un crime thermodynamique absolu de s’en servir pour le transport terrestre comparativement à la motorisation électrique.

Pour un moteur à combustion, sur 100 unités d’énergie au départ, seuls 20 sont transformés en mouvement, le reste est gâché en chaleur inutilisée. Pour une voiture électrique, on est proche de 89 % d’efficacité ! En réalité, pour ce qui est du transport terrestre, la messe est dite, les véhicules électriques vont éclipser tout le reste. Dans quelques années, à autonomie égale, il sera moins cher à l’achat et à l’usage d’opter pour un véhicule électrique plutôt que pour un véhicule à essence. Mêmes les engins agricoles et de minageune partie de l’aviation et le transport maritime fluvial et côtier seront électrifiés à terme !

On peut se passer des biocarburants et des énergies fossiles, mais cela ne veut pas dire que le transport doit diminuer. On l’a vu, le transport terrestre a vocation à être électrifié de bout en bout, et les solutions existent pour produire en masse à terme de l’électricité verte.

Et pour les usages où l’on ne pourra pas encore se passer des hydrocarbones, on comprend maintenant que le salut viendra non pas des biocarburants, mais des e-carburants ! Puisque Jean-Marc Jancovici parlait des sols, notons que pour une même dose de soleil reçue, l’efficacité énergétique des biocarburants est de l’ordre de 0,1 % tandis qu’on est autour des 5 % pour les e-carburants (produits avec de l’énergie solaire PV).

Autrement dit, pour une quantité égale de carburants, on aura besoin de 50 fois moins de terres avec les e-carburants, et on pourra d’ailleurs utiliser des terres arides. Oui, les biocarburants sont une hérésie sans avenir.

Voilà donc une somme de raisons d’entrevoir le futur avec le sourire, un sourire non pas benêt, mais ancré dans la conviction que l’ingéniosité humaine et les ressources de notre planète permettront bien à huit milliards d’êtres humains et plus de vivre confortablement et durablement.

Cette abondance nous tend les bras au XXIe siècle, mais le chemin pour y arriver va être tortueux pour encore une bonne décennie. En attendant, tout effort de sobriété est bienvenu, ne le nions pas non plus, mais par pitié, ouvrons aussi les yeux sur ces dernières tendances plus qu’encourageantes.

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Poutine, Tucker Carlson et les bananes

Par : @geopolitis-X — 9 février 2024 à 04:25

La Russie de Poutine sera privée de bananes, considérées là-bas comme une source importante et peu chère de vitamines et de protéines. C’est le surprenant effet indésirable du transfert par l’Équateur aux États-Unis de six systèmes de missiles anti-aériens Osa-AKM, qui devraient ensuite être transférés à l’Ukraine. En contrepartie, les États-Unis fourniront à l’Équateur de nouveaux systèmes de défense aérienne américains, accompagnés d’une formation, d’un soutien, de pièces de rechange et d’une assistance technique continue.

En effet, pour contourner le refus des Républicains de voter une enveloppe d’aide à l’Ukraine, Joe Biden cherche partout sur la planète des armements qui pourraient être livrés au pays victime de la barbarie de Poutine, en les faisant transiter par les États-Unis.

Mais… Quel rapport avec les bananes ? 

Le rapport, c’est la stupidité des dirigeants russes qui, à l’annonce de cette information, ont décidé de boycotter l’Équateur qui était jusqu’alors leur principal, sinon l’unique fournisseur (92 à 98 %) de ce fruit dont la forme fait penser à un boomerang allongé.

Comble de l’hypocrisie, le Kremlin a « envoyé Rosselkhoznadzor, son service de contrôle phytosanitaire, vérifier la prochaine livraison de bananes de cinq grandes entreprises agricoles équatoriennes et y a trouvé une mouche à bosse polyphage. »

La Russie espère pouvoir se tourner vers l’Inde, mais les prix ne seraient pas aussi avantageux et rien n’est sûr au niveau des quantités.

Il est vrai cependant que la Russie dispose de milliards de roupies dans les coffres de New Delhi, produits de la vente de pétrole, dont elle ne sait que faire, à cause de l’inconvertibilité en dollars américains des deux devises.

Et la banane est aussi un sujet sociologique en Russie, rien de mieux pour le comprendre que de lire ce qu’un Russe en pense sur Télégram, avec un humour réaliste :

« Le problème ici, ce sont les bananes. Pour les Russes, elles sont devenues un produit de base. L’une des sources les plus accessibles non seulement d’énergie, mais aussi de vitamines et de minéraux. Du calcium, du fer.

L’autre aspect du problème est socio-économique. Pour des segments importants de la population, la banane reste le mets délicat et le dessert le plus abordable. Les ananas et les mangues, vous le savez, sont plus chers, et les oranges le sont désormais aussi. Il s’avère donc que pour les couches sociales les moins riches, la banane la plus ordinaire est le symbole d’un succès minime. Puisque vous pouvez vous permettre une banane, cela signifie que vous n’êtes pas un complet perdant ni un mendiant. »

La liste des pénuries alimentaires va s’allonger pour le pauvre peuple russe opprimé : œufs, viande de bœuf et de poulet, et maintenant bananes.

Sans parler des berlines allemandes, françaises ou japonaises dont ils étaient si fiers de se porter acquéreurs. Pendant ce temps, l’Ukraine inonderait l’Europe de ses poulets et de ses œufs à des prix imbattables. Un comble ! Mais elle ne produit pas encore de bananes.

 

Tucker Carlson, le trumpiste poutiniste

Le célèbre chroniqueur trumpiste expert en fakes et en provocation, qui était arrivé en Russie pour interviewer le maître du Kremlin, n’est pas le bienvenu pour une partie des Russes, qui s’en émeuvent sur les réseaux sociaux, tandis que les ultranationalistes plus fascistes que Poutine lui-même – on peut se demander comment c’est possible – se réjouissent par avance du tort de ce que son travail de sape pourrait faire à Joe Biden.

« Et pourquoi un tel amour pour ce colporteur de faux de haut vol, qui a été licencié de Fox News pour des dommages s’élevant à un milliard de dollars, précisément à cause d’allégations mensongères » s’interrogent les Russes raisonnables, ceux qui ont su préserver leur esprit des ravages de la propagande institutionnelle orchestrée par le FSB ex-KGB.

Le Kremlin a confirmé que Carlson avait bien rencontré le dictateur russe, Poutine ne pouvant bien sûr pas rater cette occasion de faire un pied de nez à l’adversaire de son allié objectif, Donald Trump.

Dmitri Peskov, porte-parole du Kremlin, a déclaré que les médias occidentaux n’essayaient même plus de paraître impartiaux dans leurs reportages sur la Russie, et qu’ils n’avaient plus envie de communiquer directement avec de tels médias.

Il est vrai qu’en matière d’impartialité, la Russie de Poutine coche toutes les (mauvaises) cases.

Le trublion du paysage médiatique américain a annoncé qu’il publierait son interview le 9 février sur son site internet.

Par ailleurs, Carlson prévoit de se rendre à Kyiv pour réaliser une interview, car selon lui, « toutes les interviews précédentes du dirigeant ukrainien avec les médias américains n’étaient pas du journalisme, mais de la propagande. »

À moins qu’un mandat d’arrêt ne soit opportunément lancé… Mais l’Union européenne ne semble pas l’envisager.

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Pour un traité de libre-échange entre l’Union européenne et l’Indonésie

Par : Guillaume Périgois — 4 février 2024 à 04:31

Près de la moitié de la population mondiale votera en 2024 dans un contexte de troubles internationaux. Les électeurs de l’Union européenne éliront leurs représentants au Parlement européen les 6 et 9 juin 2024. Une quarantaine d’élections auront également lieu dans le monde, notamment aux États-Unis, en Inde, en Indonésie, en Russie et au Mexique.

L’Union européenne se trouve à un trounant en 2024, confrontée à la nécessité de redéfinir ses relations avec un autre géant démographique et commercial, l’Indonésie. Alors que les deux entités s’apprêtent à vivre des élections importantes, l’influence combinée de plus de 700 millions de personnes pourrait ouvrir la voie à la réinitialisation d’un partenariat qui a été entaché par les conflits politiques, les contestations juridiques et l’absence flagrante d’un accord de libre-échange.

 

L’Indonésie, troisième plus grande démocratie du monde

L’histoire de l’Indonésie est tissée de cultures et d’influences diverses. Autrefois plaque tournante du commerce des épices, l’archipel a connu l’essor et le déclin de puissants royaumes, dont celui de Srivijaya et de Majapahit. La colonisation par les Hollandais au XVIIème siècle a ouvert la voie à la lutte pour l’indépendance de l’Indonésie, qui a culminé avec sa proclamation en 1945. Après l’indépendance, la nation asiatique a été confrontée à des défis politiques et économiques, notamment le régime autoritaire de Suharto, jusqu’à l’avènement de la démocratie en 1998.

Aujourd’hui, l’Indonésie est un exemple de résilience. Le pays, qui compte aujourd’hui plus de 270 millions d’habitants, a connu une croissance économique constante et s’est imposé comme un acteur clé en Asie du Sud-Est. Dans ce pays démocratique et dynamique, les prochaines élections seront l’occasion de donner un mandat pour des politiques qui peuvent propulser l’Indonésie sur la scène mondiale.

 

Un accord de libre-échange opportun avec le pays le plus peuplé d’Asie du Sud-Est

L’Union européenne a négocié avec succès plusieurs accords de libre-échange avec différents blocs, renforçant ainsi ses liens économiques sur la scène mondiale. Parmi les accords les plus importants, citons les partenariats avec le Canada (CETA), le Japon et le bloc Mercosur en Amérique du Sud. Ces accords ont permis de faciliter l’accès aux marchés, de réduire les droits de douane et de stimuler les investissements transfrontaliers.

Depuis juillet 2016, l’Union négocie donc avec l’Indonésie dans le but de conclure un accord dont la portée serait similaire à celle des accords commerciaux conclus par Bruxelles avec Singapour en 2014 et avec le Viêt Nam en 2015.

À l’instar des accords existants, la position unique de l’Indonésie en tant que marché majeur pour les biens et services haut de gamme, associée à son influence régionale, offre à l’Union européenne une porte d’accès au dynamisme économique de l’Asie du Sud-Est. En donnant la priorité à un accord de libre-échange global avec l’Indonésie, l’Union européenne ne diversifierait pas seulement son portefeuille économique, mais se positionnerait aussi stratégiquement dans une région à l’immense potentiel.

Le libre-échange favorise la croissance économique en élargissant l’accès au marché, en promouvant une concurrence saine et en stimulant l’innovation. L’abaissement des barrières commerciales permet une allocation efficace des ressources, une spécialisation basée sur l’avantage comparatif et un plus grand choix pour les consommateurs. Les consommateurs européens et indonésiens bénéficieraient d’un plus large éventail de biens et de services à des prix plus compétitifs, ce qui améliorerait en fin de compte leur niveau de vie.

Par exemple, les produits de luxe français, réputés dans le monde entier, trouveraient un marché florissant dans la classe moyenne en expansion de l’Indonésie. Les produits français emblématiques ont tout à gagner d’une réduction des droits de douane et d’une plus grande accessibilité. Les collaborations dans des domaines tels que les énergies renouvelables, les infrastructures intelligentes et les technologies numériques pourraient ouvrir la voie à des partenariats mutuellement bénéfiques. Alors que l’Indonésie, membre du G20, vise un développement durable, l’expertise française dans ces secteurs deviendrait un atout qui s’alignerait sur les priorités économiques des deux nations.

De surcroît, le renforcement des liens économiques avec l’Indonésie pourrait servir de doux contrepoids à l’influence croissante de la Chine dans la région, sans avoir recours à des manœuvres ouvertement politiques ou militaires. En substance, un accord de libre-échange avec l’Indonésie serait un outil sophistiqué dans l’arsenal diplomatique de l’Union européenne, facilitant l’influence et la stabilité dans une partie du monde stratégiquement cruciale.

Mais le renforcement des liens économiques n’est pas seulement une question de commerce et d’influence ; c’est aussi un outil qui permet de promouvoir la compréhension entre des sociétés différentes. Des économies interconnectées sont moins susceptibles d’entrer en conflit. Dans ce contexte, un accord de libre-échange bien négocié ne renforcerait pas seulement la prospérité économique des deux blocs, mais jetterait également les bases d’une relation géopolitique plus solide.

 

Les gagnants et les perdants d’un accord avec l’Indonésie

Un accord de libre-échange devrait entraîner une augmentation globale du PIB et des échanges tant pour l’Union européenne que pour l’Indonésie. Les résultats de l’analyse d’impact menée par l’Union européenne indiquent que d’ici 2032, les augmentations attendues du PIB de l’Union se situeront entre 2,46 et 3,09 milliards d’euros. Pour l’Indonésie, les gains attendus sont plus prononcés, avec des augmentations prévues du PIB allant de 4,56 milliards d’euros à 5,19 milliards d’euros d’ici 2032. 

L’étude prévoit des augmentations significatives de la production et des exportations de produits industriels en provenance de l’Union européenne. Les secteurs les plus susceptibles de connaître des hausses à la production et à l’exportation sont les véhicules à moteur et pièces détachées, papier et produits en papier, produits chimiques, caoutchouc et plastique. Pour l’Indonésie, on s’attend à des augmentations significatives de la production et des exportations de textiles, de vêtements et de chaussures.

Alors que les gains globaux devraient être positifs, certains secteurs devraient connaître des baisses de production et d’exportations globales. Pour l’Union européenne, celles-ci devraient se produire dans les secteurs du textile, de l’habillement et de la chaussure, tandis que l’Indonésie devrait connaître des baisses dans les secteurs des véhicules à moteur et de leurs pièces détachées, des machines, du papier et des produits en papier, des produits chimiques, du caoutchouc, du plastique et des produits métalliques.

 

Quel impact sur nos agriculteurs ?

En ce qui concerne l’agroalimentaire, l’étude d’impact prévoit que l’accord pourrait entraîner une augmentation de la production de produits laitiers et de boissons alcoolisées dans l’Union européenne, tandis que les exportations bilatérales d’aliments transformés devraient également augmenter en Indonésie. 

En effet, il est impossible d’affirmer que le secteur agricole français pourrait se trouver lésé par un éventuel accord de libre-échange avec l’Indonésie. En effet, la France produit surtout des céréales (blé, maïs, orge), de la betterave sucrière, du tournesol, des pommes de terres, du colza, des fruits, du lait de vache, du vin, de la viande bovine et porcine. De son côté, la production agricole de l’Indonésie, pays soumis à un climat chaud et tropical, est dominée par les produits suivants : riz, huile de palme, caoutchouc naturel, thé, noix de coco, fruits tropicaux (bananes, mangues, ananas, etc.), café, cacao, soja, poissons et fruits de mer. On le voit, les deux pays, soumis à des climats que tout oppose, ont une production agricole aussi différente que complémentaire.

La Copa-Cogeca, le groupe de pression des agriculteurs européens à Bruxelles, estime que « en ce qui concerne les ambitions de l’agenda commercial européen (par exemple l’Australie, la Nouvelle-Zélande, le Mercosur et l’Indonésie), nous soutenons les efforts de l’Europe pour trouver de nouveaux marchés, en particulier dans les régions du monde qui connaissent une croissance rapide. Nous pensons toutefois que les accords doivent être équilibrés en ce qui concerne le chapitre agricole. »

Preuve qu’un traité de libre-échange peut respecter les intérêts agricoles des deux parties et être populaire, la Suisse a conclu un accord de libre-échange avec l’Indonésie en décembre 2018. Les citoyens suisses, dont l’avis a été demandé par referendum d’une façon inédite sur un traité de libre-échange, a accepté l’accord. 

 

Le nickel, le véritable enjeu des négociations ?

« Pour l’Union européenne, le véritable enjeu des négociations est lié à l’accès aux matières premières », estime Alan Hervé, Professeur à Institut d’études politiques de Rennes et auteur de l’ouvrage Les accords de libre-échange de l’Union européenne, publié en décembre 2023. 

Contacté par Contrepoints, il souligne que c’est l’accès au nickel qui fait l’originalité de ces négociations entre Bruxelles et Jakarta. L’Indonésie a en effet interdit l’exportation de minerai de nickel en 2020, affirmant son droit à stimuler son économie et à créer des emplois en remontant dans la chaîne de valeur, notamment pour développer son industrie locale de batterie pour les véhicules électriques. L’Indonésie, premier exportateur mondial de nickel avant cette interdiction, représente donc pour l’Europe une source d’approvisionnement potentielle très intéressante. Un contentieux a notamment été engagé par l’Union européenne devant l’OMC à ce sujet.

Pour Alan Hervé, « quand l’Union européenne négocie, elle essaie d’obtenir un accès au marché du pays-tiers. Là, un des enjeux premiers est de sécuriser des règles sur l’accès aux matières premières indonésiennes, ce pays appliquant beaucoup de mesures de restriction à l’export ». Si jamais les négociations devaient aboutir, « il y aurait sans doute des clauses qui porteront sur ces points de frictions avec, du côté de l’Union européenne, des garanties d’approvisionnement, mais aussi sans doute, du côté indonésien, la volonté de maintenir des mesures de sauvegarde et des possibilités de maintenir des mesures de restrictions dans certains cas. » 

 

Une opportunité à saisir

Malgré des aspects prometteurs, les relations Union européenne-Indonésie connaissent des difficultés. Celles-ci sont particulièrement évidentes lorsque l’Union impose des barrières commerciales et des droits de douane sur les produits indonésiens, notamment sur le cacao, le café, l’huile de palme, l’acier et le bois. À Jakarta, ces actions ont alimenté une certaine méfiance, créant un obstacle à la promotion d’un partenariat mutuellement bénéfique.

Comme le disait Frédéric Bastiat, les mesures protectionnistes, telles que les droits de douane, reviennent à briser des vitres pour stimuler l’activité économique : elles créent un avantage visible (la protection de l’industrie nationale) mais négligent les coûts invisibles (les pertes d’opportunités et les inefficacités économiques).

Alors que l’Union européenne est confrontée à la baisse de ses exportations vers des marchés comme la Chine, et à la menace de tarifs douaniers de la part d’un probable gouvernement Trump, le moment est plus que jamais venu de recalibrer sa stratégie. En resserrant ses liens avec l’Indonésie, l’Union pourrait tirer parti d’une économie dynamique et s’assurer ainsi un avantage stratégique sur des concurrents tels que les États-Unis, la Chine, et même des acteurs plus modestes comme le Royaume-Uni et la Turquie, qui s’efforcent de renforcer leurs relations commerciales avec Jakarta. Ces pays ont conclu que les mesures unilatérales contre les exportations indonésiennes étaient contre-productives. À l’Union européenne de leur emboîter le pas.

Si elle veut surfer avec succès sur cette vague diplomatique, l’Union européenne devra adopter une approche pragmatique. Après les élections indonésiennes de février, le nouveau président indonésien offrira une occasion unique de prendre un nouveau départ, et Bruxelles devra faire preuve de proactivité. Pour établir un dialogue constructif avec Jakarta, il faudra s’attaquer à la cause première de ces relations tendues : les barrières commerciales imposées par Bruxelles.

L’huile de palme, l’une des principales pommes de discorde entre les deux zones, est emblématique des défis auxquels l’Union européenne est confrontée dans ses relations avec l’Indonésie. Alors que l’Union s’oriente vers le développement durable, il est impératif de trouver un terrain d’entente avec l’Indonésie, un pays fortement tributaire de la production d’huile de palme. Il est primordial de trouver un équilibre qui encourage les pratiques durables indonésiennes sans étouffer la croissance économique du pays et l’Union européenne doit mettre fin à certaines barrières commerciales manifestement protectionnistes qui nuisent aux exportations indonésiennes.

 

Alors que l’Union européenne cherche à relever ces défis, un accord de libre-échange global et mutuellement bénéfique avec l’Indonésie doit être une priorité. Si elle n’agit pas maintenant, l’Union risque d’être mise à l’écart alors que d’autres acteurs mondiaux renforcent leurs liens avec l’Indonésie et l’Asie du Sud-Est, ce qui désavantagerait Bruxelles dans le paysage en constante évolution du commerce international.

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Démographie de la Russie : une jeunesse décimée ou en fuite

Par : Patrick Aulnas — 25 janvier 2024 à 04:10

L’agression russe contre l’Ukraine a déjà des conséquences démographiques dramatiques. La stratégie militaire archaïque de l’armée russe consiste à envoyer au front une masse de soldats mal formés et mal équipés. La jeunesse russe est décimée. Mais les jeunes les mieux formés, pouvant travailler à l’étranger, ont quitté le pays pour ne pas être mobilisés. Pour les Russes, il en résulte une vision sombre de l’avenir, peu propice à un sursaut nataliste.

 

Le déclin démographique russe ne date pas d’hier

Le graphique suivant fourni par la Banque mondiale représente l’évolution de la population de la Russie depuis 1960.

Évolution de la population de la Fédération de Russie (1960-2020)

Le pic est atteint en 1992 avec une population de 148,5 millions d’habitants. Le déclin est ensuite constant (143,4 millions en 2020). La petite reprise de croissance entre 2010 et 2020 est principalement liée à l’annexion par la violence de la Crimée en 2014 (2,4 millions d’habitants). Sans la Crimée, la population actuelle est d’environ 141 millions. La Russie a donc perdu 7,5 millions d’habitants depuis 1992. Mais si on retire la population immigrée, c’est-à-dire si on calcule le solde naturel (naissances et décès), selon les spécialistes la population russe a diminué de 12 millions depuis 1992.

Le taux de fécondité (nombre moyen d’enfants par femme en âge de procréer) était de 1,5 en 2021. Il faut un taux de 2,1 pour assurer la stabilité de la population, hors immigration. Le vieillissement de la population est déjà ancien puisque les plus de 65 ans représentaient 6 % de la population en 1960 et 14,5 % en 2017.

 

Démographie : la Russie est en décroissance, l’Asie en croissance

La démographie de l’énorme Fédération de Russie (17,2 millions de km2) n’est absolument pas uniforme.

Dans l’Asie centrale, la croissance démographique reste élevée. Alors que la population russe de l’ouest du territoire diminue fortement, la population asiatique de l’est augmente. Bruno Tertrais, dans un article publié par l’Institut Montaigne, cite les chiffres suivants pour l’Asie centrale au sens large, comprenant les territoires devenus indépendants à la chute de l’URSS :

« Pendant ce temps, la démographie de l’Asie centrale a continué d’évoluer dans la direction opposée. Selon les Nations unies, la région (75,5 millions d’habitants aujourd’hui) pourrait compter 88 millions d’habitants en 2035 et 100 millions en 2050. La population en âge de travailler de l’Ouzbékistan devrait augmenter de plus de 6 millions d’ici 2050, celle du Tadjikistan de près de 3 millions. »

 

La guerre, nouvelle catastrophe démographique

Dans un tel contexte démographique, avec ses 52 millions d’habitants russophones à l’époque, l’indépendance de l’Ukraine en 1991 a été considérée par beaucoup de dirigeants russes comme une catastrophe démographique.

Depuis, ils sont obnubilés par la reconquête. Ils n’ont pas compris le sens de l’histoire. L’Ukraine ne sera plus jamais russe car les Ukrainiens ne veulent plus être soumis aux diktats de Moscou. La guerre est en réalité une nouvelle catastrophe démographique pour la Russie. Un document déclassifié, transmis au Congrès par les services de renseignements américains, indique qu’environ 315 000 Russes ont été blessés ou tués depuis le début de la guerre en février 2022.

Selon le directeur général de l’état-major de l’Union européenne, de février à novembre 2022 les pertes russes en Ukraine s’élèvent à 60 000 tués et entre 180 000 et 190 000 blessés.

Les sources américaines et norvégiennes corroborent approximativement ces chiffres qui ne sont que des estimations. Les chiffres réels ne seront connus qu’après la fin de la guerre. La guerre n’étant pas terminée et la tactique ukrainienne consistant à tuer le maximum de Russes (puisque la hiérarchie militaire russe envoie ses soldats à la boucherie), c’est la jeunesse russe qui va être totalement décimée après le conflit.

Il faut également tenir compte de l’émigration de jeunes Russes cherchant à échapper à la mobilisation. Les estimations proviennent des pays d’accueil, la Russie ne communiquant pas sur le sujet. Selon les différentes sources, on peut estimer que 700 000 à 1 000 000 de Russes ont quitté leur pays depuis le début du conflit en Ukraine. Ils se sont installés en Géorgie, en Serbie, dans les anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale (Kazakhstan, Kirghizistan et Ouzbékistan), en Turquie, en Israël. Il s’agit d’une population jeune et disposant d’une formation professionnelle. Seule une évolution de la Russie vers la démocratie, peu vraisemblable à court terme, leur permettrait de revenir dans leur pays.

Enfin, le pouvoir fasciste russe ne recule devant aucun crime pour atténuer la chute démographique : des enfants sont déportés en masse des territoires ukrainiens occupés vers la Russie. Ces enfants sont proposés à l’adoption à des familles russes et leur identité est modifiée de façon à empêcher toute recherche ultérieure. Ces déportations sont impossibles à chiffrer et les estimations vont de quelques dizaines à quelques centaines de milliers.

 

Un avenir sombre pour la Russie

La guerre en Ukraine produit une énorme surmortalité de la jeunesse, une fuite des cerveaux et des personnes qualifiées, une approche pessimiste de l’avenir incompatible avec une augmentation de la natalité.

Tout cela vient s’ajouter à l’alcoolisme massif parmi la population masculine, aux inégalités considérables de niveau de vie selon les régions, à la corruption généralisée liée à la dictature mafieuse exerçant le pouvoir. Si elle n’éclate pas à la suite d’une défaite militaire, il faudra des décennies à la Russie pour se remettre de l’erreur historique majeure que constitue « l’opération spéciale » de Vladimir Poutine en Ukraine.

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La diplomatie française est prisonnière de l’hyper présidentialisme d’Emmanuel Macron

Par : Loriane Lafont-Grave — 16 janvier 2024 à 04:30

À l’heure où Stéphane Séjourné vient de succéder à Catherine Colonna au Quai d’Orsay, il ne paraît pas superflu d’esquisser un panorama de la situation de la France et de ses Outre-mer à l’international. Disons-le tout de go, la météo diplomatique n’est pas au beau fixe sur plusieurs fronts : celui, d’abord, de nos relations avec plusieurs pays du continent africain auprès desquels la France a accusé ces derniers mois une perte d’influence considérable ; celui des relations franco-américaines avec en toile de fond le conflit russo-ukrainien et le spectre d’une attaque de Taïwan par la Chine. Ces deux tableaux autorisent à faire un bilan plus que mitigé de la diplomatie macronienne qui s’est vue reprocher, dans des situations pourtant distinctes : incohérence, manque de fiabilité, improvisation, paternalisme et arrogance.

Cette communauté de reproches est d’autant plus frappante à souligner qu’elle a des sources distinctes (chefs d’État, commentateurs de la vie politique et internationale, anciens ambassadeurs, anciens ministres…) et converge vers la personne même du président. En effet, c’est davantage à ce dernier qu’à sa dernière ministre des Affaires étrangères qu’il faut, semble-t-il, imputer ce triste constat qu’a cristallisé l’absence de nombreux chefs d’État ou de personnalités de premier plan lors du Sommet pour la Paix tenu à Paris en novembre dernier. Une partie de notre ancien personnel diplomatique, plusieurs chefs d’État étranger—à l’exception notable de Narendra Modi en Inde —, de nombreux fonctionnaires du ministère en désaccord avec la suppression du corps diplomatique, n’ont pas été, c’est peu dire, enthousiastes, devant les initiatives emphatiques et non-coordonnées prises unilatéralement par le chef de l’État, tel le projet de coalition internationale contre le terrorisme lancé lors d’une déclaration conjointe avec Benjamin Netanyahou au cours d’une visite en Israël le 24 octobre 2023.

 

Le problème majeur de la diplomatie française en ce début 2024, c’est le président lui-même

Le problème majeur de la diplomatie française en ce début 2024, c’est ainsi le président lui-même, en raison de l’interprétation maximaliste — bonapartiste, faudrait-il ajouter ? — qu’il fait de la fonction présidentielle dans le sillage de De Gaulle. On peut identifier, dans la pratique, et ce depuis maintenant six années consécutives— bien que sous l’ère Le Drian les envolées solitaires d’Emmanuel Macron aient été moins frappantes—, ce que je qualifierais volontiers d’abus de la fonction présidentielle.

C’est dans le droit fil de la doctrine gaulliste, qui fait des relations avec l’étranger le domaine réservé du président, quitte à déclencher maints accrocs et tiraillements avec nos alliés, que se situe Emmanuel Macron qui ajoute à ce parti pris une dose d’idéalisme allemand et de Descartes mal digéré qu’on pourrait résumer par une parodie du Cogito : « Je pense et je me pense, donc j’agis. »

Raymond Aron, en rupture de ban avec la tendance idéaliste de la philosophie française, fustige, tout au long de ses Mémoires, l’attitude solipsiste qu’est celle du Général, attitude qui ne va pas sans un « culte de la personnalité » tôt perçu et rejeté par Aron, dès son arrivée à Londres en 1940. De tels traits ne se retrouvent-ils pas chez le président actuel ? Certainement, mais ils sont encore hypertrophiés et intensifiés par une carence en autorité qui, elle, faisait moins défaut au Général, auréolé par ailleurs d’un prestige moral et politique non usurpé.

Dans le domaine des relations internationales, comme sur bien d’autres volets de la politique intérieure française, c’est l’hyper-verticalité des décisions prises par le locataire de l’Élysée qui apparaît ainsi comme un continuum délétère. Un gaullisme outré et un gaullisme survolté, tel apparaît le macronisme dans la manière, ô combien théâtrale, par ailleurs, de gérer les relations internationales. Ce faisant, il s’oppose aux tenants d’un libéralisme politique cohérent qui privilégierait davantage de collégialité et de concertation dans les initiatives, et tenterait véritablement de donner vie et voix au Parlement en matière de politique extérieure.

Macron se prétend pourtant libéral… Que faut-il donc comprendre ? Que c’est la transgression, comme méthode, qui définit son exercice du pouvoir, et que le macronisme, tout comme le gaullisme, ont très peu rimé avec « libéralisme » au sens politique du terme qu’on rappellera avec Aron :

La philosophie libérale ou démocratie est une philosophie du respect de l’homme. À ce titre elle n’est donc nullement liée à une conception individualiste de la société. Bien loin de nier les communautés réelles, elle apprend à chacun à se connaître dans un monde dont il n’est ni le centre ni le tout.

Rien d’un Benjamin Constant, donc, chez l’auteur de Révolution. ses convictions européennes auraient certes pu, et dû, faire signe vers celles de Germaine de Staël, mais là encore la pratique du président en matière de relations internationales est bien trop proche de celle de Bonaparte dans la manière martiale qu’il a de paraître imposer les volontés françaises à nos voisins, qui se méfient d’ailleurs toujours d’un penchant bien français vers l’autoritarisme. Entre De Staël et Bonaparte, il y a une contradiction manifeste, et originelle. Force est de constater que la formule d’un bonapartisme staëlien (ou constantien) ne marche pas. Il serait grand temps d’en tirer les conséquences en cessant de cultiver des oxymores.

 

L’inexistence du Parlement quant aux choix de politique étrangère place la France dans une situation d’anomalie vis-à-vis des autres démocraties occidentales

Pour revenir au rôle du Parlement, son inexistence quasi-complète quant aux choix de politique étrangère — il est à peine, voire pas du tout consulté, et son vote n’est pas requis — place assez nettement la France dans une situation d’anomalie vis-à-vis d’autres démocraties occidentales. Le fait qu’il ait fort peu voix au chapitre nous affaiblit sur le long terme : l’exécutif non pas fort, mais presque tout-puissant, donnant l’illusion d’une plus grande efficacité, ce qui est de plus en plus discutable.

Cet hyper-gaullisme pratiqué par Emmanuel Macron, tant sur la forme que sur le fond, apparaît d’autant plus, en raison de la guerre entreprise par la Russie contre l’Ukraine. Et c’est sur la manière dont la France se positionne à l’égard de Kiev que je voudrais m’arrêter un peu longuement en ce qu’elle cristallise certains tropismes français de mauvais aloi : un anti-américanisme atavique, les annonces de livraison d’armes et la réalité de ces mêmes livraisons qui renvoient au manque de fiabilité de la France sur le plan logistique, des ambiguïtés ici et là dans le soutien à l’Ukraine, et enfin un « neutralisme » larvé dans une façon d’essayer de tenir la neutralité de la France dans le conflit en voulant, tout d’abord, « ne pas humilier Moscou », puis en tergiversant sur le niveau de l’aide matérielle à apporter à Kiev. Une aide dont Jean-Dominique Merchet, entre autres, a souvent pointé dans ses très informés articles de L’Opinion l’opacité, en même temps que la grande faiblesse en comparaison des contributions de nos voisins européens.

C’est à nouveau à Aron, atlantiste tranquille, que je voudrais me référer, et à un passage, en particulier, de ses Mémoires, qui prend place dans la section intitulée « Le Partage de l’Europe » qui fait fort à propos écho à la situation actuelle, dans les hésitations d’une partie de la classe politique, intellectuelle et médiatique française à prendre fait et cause pour l’Ukraine. Le conflit débuté le 24 février 2021 contraint nécessairement à ne pas mettre sur un pied d’égalité Washington et Moscou, à moins de tomber dans ce qu’Aron appelait « l’Imposture de la neutralité » au sujet des divisions suscitées par l’adoption ou le rejet par la France du pacte Atlantique.

Aron rapporte les immenses réserves d’Hubert Beuve-Méry (dans un papier datant du 19 octobre 1945 dans l’hebdomadaire Temps Présent) envers ce pacte, la nécessité à ses yeux pour la France de se tenir à équidistance des deux blocs dans ces prémices de guerre froide. Aron rappelle une phrase du fondateur du journal Le Monde qui le laissa, et le laisse toujours perplexe, trente ans plus tard au moment de l’écriture de ses Mémoires. Aron commente en ces termes la position « neutraliste » de Beuve-Méry : « Enfin il pensait que l’adhésion de la France à l’un des camps accroîtrait les dangers de guerre » puis cite la phrase du grand éditorialiste qu’il tient pour « aberrante » :

Il se peut que l’Europe n’ait pas finalement le moyen d’empêcher la guerre, mais elle est à peu près sûre de la précipiter si elle se laisse glisser dans un camp ou dans un autre.

Aron résume un peu plus loin son sentiment quant à cette position alors très partagée par l’aile gaulliste :

En dernière analyse, tant qu’à choisir, le directeur du Monde choisissait l’Occident bien que son allergie aux États-Unis l’incitât à critiquer peut-être plus souvent les turpitudes du capitalisme américain que les cruautés du totalitarisme soviétique.

Cette réflexion d’Aron au sujet de la position d’Hubert Beuve-Méry me paraît tout à fait transposable aux réserves de certains éditorialistes ou politiques français à l’endroit d’une prise de position ferme et claire de la France pour l’Ukraine qui aggraverait selon eux la guerre.

Les réserves de certains et certaines à l’endroit d’une entrée de Kiev dans l’Union européenne et dans l’OTAN sont, toutes choses étant égales par ailleurs, similaires à celles exprimées par Étienne Gilson (grand médiéviste et universitaire catholique) et Beuve-Méry à l’endroit du pacte Atlantique qui donna lieu à une vive controverse avec Aron. Ce dernier leur répondit à plusieurs reprises dans Le Figaro puis dans des articles de la revue Liberté de l’Esprit.

Gilson, rapporte Aron « accusait [par exemple] les Américains de vouloir acheter avec des dollars le sang français », accusations qu’Aron trouvait non seulement extravagantes mais fumeuses en comparaison des horreurs du régime stalinien. De Gaulle trancha finalement, de justesse, pour la position de Aron en acceptant le pacte, ainsi que le relate Claude Mauriac dans son livre Un autre De Gaulle, journal 1944-1954, pouvant laisser conclure au « spectateur engagé » que ses articles avaient effectivement influencé in extremis le général. Un gaullisme tempéré d’aronisme, tel fut alors le choix sage de De Gaulle dont notre président ferait peut-être bien de se rappeler.

Les réserves actuelles du même ordre à l’endroit des États-Unis dont Emmanuel Todd a souhaité ce jeudi 11 janvier « la disparition » qui serait « la meilleure chose qui puisse arriver à l’Europe » paraissent relever du même niveau de fantasme — à ceci près que Gilson est une signature universitaire d’un tout autre calibre que celle de M. Todd.

 

Les Européens ne doivent pas attendre, pour préparer leurs opinions publiques, une intensification de la guerre de la Russie contre l’Ukraine

Un des enjeux pour la diplomatie française à l’heure des élections américaines en novembre prochain est donc qu’elle se prépare, avec nos alliés européens, à la possibilité d’un « lâchage » de l’Europe via l’Otan si Donald Trump (ou un concurrent républicain) remportait les suffrages. Mais même en cas d’une réélection de Joe Biden ou d’un Démocrate à la Maison Blanche, les Européens ne doivent pas attendre, pour préparer leurs opinions publiques, une intensification de la guerre de la Russie contre l’Ukraine et des contrecoups éventuels pour eux-mêmes.

Une réorientation partielle de l’appareil industriel français au service de la production de munitions ne serait pas du luxe. Mais comme l’écrivait Malraux à Aron en 1950 :

« Étrange pays qui croit assez à la guerre pour stocker des sardines, c’est la principale occupation des Parisiens ici) mais pas assez pour s’occuper de la défense. »

On est toujours là, semble-t-il, en l’absence de courage politique et définition d’une ligne politique claire.

La France, sur ces deux points, devrait être plus avancée, quoique ne soit pas sans écueils cette double recommandation, à l’heure où nos marges budgétaires sont étroites, et où l’état de nos armées n’est pas optimal. Raison de plus pour être courageux. Le projet de Défense européenne étant bloqué, il s’agit pour nous d’appuyer et de conforter les pays voisins, notamment d’Europe centrale et d’Europe de l’Est, par nos initiatives, plutôt que d’haranguer dans le vide ces pays lassés par la rhétorique macronienne trop peu souvent suivie des faits, sinon contradictoire.

 

Ce n’est pas de « locomotive » que la France doit faire figure mais d’ancre, de pays stable et constant dans sa volonté de faire gagner l’Ukraine

Mieux, la France n’ayant jamais fait figure de leader dans le dossier ukrainien, il est impératif qu’elle clarifie sa position en apparaissant comme une alliée fiable et solide aux yeux de Kiev en contribuant davantage à l’effort de guerre ukrainien : c’est par des actes concrets, et non par des mots que notre crédibilité, seulement, viendra. Ce n’est pas de « locomotive » que la France doit faire figure mais d’ancre, de pays stable et constant dans sa volonté, non plus seulement de ne pas laisser gagner la Russie mais de faire gagner l’Ukraine. Les errements, revirements, petites ambiguïtés et flottements du président ne peuvent plus être de mise à l’heure où la victoire peut basculer d’un côté comme de l’autre sur le front ukrainien.

Les États-Unis auraient également besoin d’une France solide et ferme sur ses appuis à un moment où l’électorat américain peut se montrer plus hésitant qu’avant en faveur du financement des Ukrainiens. L’Oncle Sam ne peut avoir l’impression qu’il paie seul la facture de cette guerre se substituant par là même aux responsabilités qui incombent pourtant prioritairement aux Européens. De ce point de vue, la France a un rôle dans lequel elle ne s’investit pas encore de manière suffisante.

Si nous avons perdu du crédit dans les mois passés auprès des États-Unis, notamment suite à notre position confuse sur Taïwan (lors d’une visite d’État d’Emmanuel Macron en Chine) et qui a laissé perplexe nos alliés en général, il n’est pas trop tard pour montrer au monde que nous ne sommes pas que de beaux parleurs en quête d’hypothétique prix sur la scène internationale, mais que nous savons faire preuve de clairvoyance et de solidarité en nous rangeant aux cotés de l’Ukraine et des États-Unis via l’apport d’un soutien logistique plus conséquent.

 

Constance, modestie, sérieux, fiabilité

Notre ligne de conduite en politique étrangère serait ainsi un bon cap à adopter pour notre politique intérieure : constance, modestie, sérieux, fiabilité — et surtout moins de communication. Bref, qu’Emmanuel Macron s’inspire de De Gaulle quand il écoute Raymond Aron, c’est-à-dire qu’il devienne libéral sur le plan politique, et abandonne le « en même temps » appliqué aux relations internationales qui s’apparente à une neutralité mal à propos. Redisons-le avec Aron, la neutralité est une imposture — et sans doute aussi une lâcheté.

Si l’on veut que gagne l’Ukraine, et non pas simplement ne pas la laisser perdre, prendre résolument position est une obligation. Cela vaut également pour les États-Unis d’Amérique qui pourraient être encouragés à faire davantage si leur alliée de toujours, la France, première armée européenne, s’engageait bien plus substantiellement dans l’effort de guerre ukrainien. À craindre Poutine, nous lui donnons raison, et nos tergiversations dans le passage à l’action pourraient finir par coûter cher au continent européen. Il est encore temps de nous ressaisir, en surmontant nos peurs.

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Javier Milei : pas si fou « El Loco »

Par : Yves Bourdillon — 12 janvier 2024 à 04:30

Peste et famine vont sévir, le délire ultralibéral anéantir les acquis sociaux, et les sauterelles ravager les cultures. C’est, à peine caricaturé, la réaction de la plus grande partie de la presse française (notamment Ouest France, FranceTVinfo, France24, LaTribune, Alternatives économiques…) à l’arrivée au pouvoir, le 10 décembre, en Argentine de Javier Milei, élu sur un programme libertarien, c’est-à-dire de réduction drastique du rôle de l’État sur les plans économique et sociétal.

Le récit dominant en France serait que l’économie argentine, déjà engluée dans une profonde crise caractérisée par une corruption endémique et une inflation de 160 %, la plus élevée au monde actuellement, allait être définitivement mise à terre par cette expérience ultralibérale absurde tentée par « el loco » (le fou, surnom de Javier Milei) dont on se demande bien par quel aveuglement 55 % d’Argentins ont voté pour lui.

 

L’annonce d’un désastre peut-être un peu prématurée

Les médias racontent, avec quasi-jubilation, que des « manifestations monstres » se déroulent aux quatre coins du pays contre l’appauvrissement déjà perceptible et la « casse sociale ». Et, selon eux, des électeurs de Javier Milei regretteraient déjà leur choix. En fait, les manifestations monstres se résument pour l’instant à trois cortèges en dix jours d’une dizaine de milliers de personnes dans Buenos Aires, où le syndicat CGT a appelé à une grève générale le 24 janvier qui constituera un test crucial.

Quant à la casse sociale, elle peut difficilement faire encore sentir ses effets pour la bonne raison que la première vague de décisions économiques du nouveau président n’est pas encore vraiment entrée en vigueur, à l’image des privatisations d’ampleur, qui prendront des mois, ou la réduction de la durée d’indemnisation du chômage, actuellement de 9 à 12 mois, pour la ramener aux normes habituelles dans cette partie du monde (une horreur évidemment vue de Paris où, de 18 à 28 mois, elle est la plus longue de la planète, avec le Danemark et l’Espagne). En gros, la presse française se fait l’écho d’une souffrance qui n’est pas encore perceptible. Bien que douleur il y aura, effectivement, comme l’a d’ailleurs admis Javier Milei en évoquant six premiers mois difficiles.

Les seules mesures en passe d’être ressenties sont la baisse des subventions à la consommation de produits de première nécessité à partir du 1er janvier, subventions truffées – l’expérience le montre partout dans le monde – , d’effets pervers sur l’offre des biens et services concernés. Ces mesures, sont en outre, très coûteuses pour l’État. Ainsi que la suppression de 300 normes et règlement, dont la plus emblématique est l’encadrement des loyers. Cette dernière suppression a été particulièrement clouée au pilori par une presse française qui ne semble pas envisager que des prix administrés suscitent généralement des pénuries. D’un effet immédiat, via le renchérissement des produits importés, a aussi été la dévaluation de 50 % du peso, dont le cours, à vrai dire, était insoutenable à moyen terme.

 

Vous reprendrez bien un petit peu de banqueroute ?

À l’inverse, visiblement, d’une bonne partie de la presse française, les Argentins ont compris dans leur majorité qu’il ne fallait plus foncer dans le mur en klaxonnant et que les demi-mesures hésitantes, un pas en avant, deux en arrière, ne suffiraient pas.

Il faut savoir, en effet, ce qui peut paraître inconcevable à des cercles parisiens médiatiques, universitaires ou politiques biberonnés à l’étatisme comme horizon indépassable du genre humain et convaincus que l’argent public serait infini et gratuit, que l’État argentin était acculé. C’était d’ailleurs la raison principale du vote des Argentins en faveur d’une politique moins dépensière (en sus de leur colère contre l’inflation et la corruption, contrepartie quasi automatique d’un État très interventionniste). Les dépenses publiques sont équivalentes en Argentine à 41 % du revenu national, ce qui, vu de France où elles frôlent 65 % du PIB, record du monde, peut paraître petit bras, mais est très élevé pour un pays à revenu intermédiaire. La dette argentine, « seulement » 73 % du PIB mais là aussi c’est beaucoup pour un pays émergent, était notée CCC par les agences de notation, dernier cran avant le constat d’un défaut de paiement.

Les Argentins ont payé pour en voir les effets, avec celui survenu il y a exactement vingt-deux ans.

À l’intention des Français qui ont perdu l’expérience de la banqueroute depuis 1794 et dont certains, à la culture économique disons… perfectible, tonnent parfois « eh bien on ne remboursera pas et puis voilà », un défaut de paiement, cela a une conséquence simple : du jour au lendemain les prêteurs, qui savent qu’ils ne reverront plus jamais une bonne partie de leurs créances, ne vous prêtent plus. Cela implique donc que si l’État empruntait 35 chaque fois qu’il dépensait 100, ce qui est, exemple pris totalement au hasard, actuellement le cas en France, il doit, soit ramener ses dépenses à 65, et pas à moyen terme, non, en quelques jours, c’est-à-dire soit diminuer d’un tiers les salaires ou les effectifs des fonctionnaires, soit augmenter ses recettes de 50 %, pour qu’elles passent de 65 à 100. C’est-à-dire doubler le barème de l’impôt sur à peu près tout, puisqu’une grande partie de l’assiette fiscale s’effondrera par fuite à l’étranger, dissimulation et activité au noir. Une TVA qui monte à 40 % et un impôt sur le revenu équivalent à quatre mois de salaire pour les classes moyennes, alléchant, non ?

 

Le péronisme, passeport pour un naufrage

Un petit rappel : corporatisme, clientélisme, nationalisme, interventionnisme tous azimuts de l’État sont les ingrédients principaux de la doctrine péroniste appliquée la plupart du temps depuis l’arrivée au pouvoir du général Juan Péron en 1946, et grâce à laquelle le pays, jadis parmi les plus riches du monde, s’est terriblement appauvri (depuis dix ans le taux d’Argentins vivant sous le seuil de pauvreté absolu ne tombe pas sous la barre de 40 %), a été frappé par des vagues d’hyperinflation et des épisodes de dictature militaire.

On compte juste deux courtes parenthèses libérales, mal menées, dont une pilotée par un Carlos Menem… se réclamant aussi de Péron. En 78 ans, on peut compter seulement une quinzaine d’années, avec le parti de centre gauche UCR (au demeurant avec une forte instabilité institutionnelle et aux relations ambiguës avec les Péronistes), où cette doctrine, incarnée en divers courants, révolutionnaire, orthodoxe, justicialiste, fédéral, n’inspirait pas les pouvoirs publics. On comprend mieux le désastre.

Comme le montre l’échec du président argentin, mouture libérale classique, Mauricio Macri (2015-2019), l’art du libéralisme est délicat et tout d’exécution. Attention à ne pas mourir guéri, suivant la formule bien connue. Même un libéral peut aussi objecter au projet de Javier Milei de supprimer la banque centrale, s’interroger sur sa capacité à faire passer les lois nécessaires au Congrès, où son parti est très minoritaire, et répugner à sa personnalité emportée et colérique, ainsi que ses propos indulgents envers les dictatures militaires, son opposition à l’avortement, curieuse pour un libéral, et son appui aux… ventes d’organes. Quant à sa demande d’avoir les pleins pouvoirs économiques pour un mois, elle peut paraître discutable, et on peut légitimement ne pas être convaincu par sa réforme du divorce, ou du droit de manifester (en revanche, le voir arracher les affichettes représentant les bureaucraties inutiles en criant « afuera », ou brandir une tronçonneuse pour symboliser ce qu’il compte faire aux dépenses pas indispensables n’est pas déplaisant).

Mais son véritable crime, aux yeux de la presse française, n’est pas là, plutôt d’être ultra-libéral, de la variété qui dévore les nourrissons à la pleine lune, c’est-à-dire de vouloir réduire le poids de l’Etat dans l’économie. Pour mieux le discréditer il est d’ailleurs classé systématiquement à l’extrême droite, alors que l’extrême droite est, par construction, antagoniste du libéralisme, a fortiori ultra : ce dernier mise massivement sur les individus autonomes, tandis que l’extrême droite considère ces derniers comme des pions au service d’un projet national.

Cette critique frénétique émise par la presse française sans tenir compte du contexte argentin illustre la prééminence du dogme social-étatiste. Cela rappelle un peu la détestation à la limite de la névrose envers, jadis, Margaret Thatcher en oubliant qu’elle avait récupéré un pays sur le point de passer sous la tutelle du Fonds monétaire international.

La plupart des commentateurs pourront continuer à hurler au grand méchant loup ultra-méga libéral sans d’autres risques qu’une immense déconvenue si jamais Javier Milei et son équipe réussissent. La France n’est, elle, pas menacée par la banqueroute, puisque notre système paternaliste que le monde entier nous envie mais se garde bien, curieusement, d’imiter (où s’ajoutent même régulièrement des subventions pour rapiéçages de chaussettes) est financé par des emprunts imperturbables. Avec une brillante série de cinquante déficits annuels consécutifs, sans équivalent historique nulle part au monde. Tout va donc très bien, Madame la marquise.

Bien sûr…

 

☐ ☆ ✇ Contrepoints

Économie russe : le discours du Kremlin fracassé par les réalités financières

Par : Gérard Vespierre — 10 janvier 2024 à 05:45

À écouter les propos du maître du Kremlin, la situation économique russe en 2023 est pratiquement meilleure qu’en 2021. Les sanctions internationales décidées par les pays occidentaux afin de faire payer à la Russie son invasion de l’Ukraine seraient sans effet. L’alliance stratégique avec Pékin et le partenariat indien permettraient de faire face à la chute des exportations énergétiques vers l’Europe. Mais au-delà des mots, des idées, et des incantations, quelles sont les réalités chiffrées de l’économie russe ?

Dans la guerre idéologique que la Russie a décidé de mener contre les démocraties occidentales toutes les armes sont utilisables, et parmi celles-ci, la communication d’influence. Le BA-BA de celle-ci est de diffuser, à l’intention de l’adversaire, que les armes qu’il emploie sont inefficaces. Telle est la stratégie rhétorique mise en place par le Kremlin vis-à-vis des sanctions économiques.

Un discours très structuré a été mis en place. Il s’articule autour du contournement global des sanctions économiques. Il comporte deux volets, l’un concerne les débouchés du secteur énergétique, et l’autre les nouveaux canaux d’approvisionnements.

 

Les infrastructures de transport sont malheureusement fixes

La Chine, présentée comme l’allié stratégique privilégié, serait ainsi devenue le nouveau débouché du gaz et du pétrole russes. Mais dans le domaine industriel et des infrastructures, il n’y a rien de magique. Tant pour le gaz que le pétrole, il est nécessaire de disposer de gazoduc et de pipeline. Certains sont certes connectés aux infrastructures chinoises, mais la plus grande partie des réseaux russes est dirigée vers l’Europe. Il faudra du temps, et beaucoup d’argent pour construire l’équivalent vers l’Asie. Étant donné les milliers de kilomètres à mettre en place, aucun projet ne peut être concrétisé en 12 mois. Les importations énergétiques vers la Chine terrestre et maritime n’ont pu remplacer l’immense marché européen. Il en est naturellement de même pour le partenaire indien.

Les exportations vers la Chine et l’Inde n’ont pu que partiellement remplacer les volumes de gaz et de pétrole vendus sur le marché européen. De plus, les pays occidentaux ont établi un prix maximum, 60 dollars, au-delà duquel les courtiers maritimes ne peuvent assurer les cargaisons de pétrole russe. L’addition des contraintes logistiques de transport et la limitation de valeur pour le transport maritime ont conduit les recettes énergétiques russes à la baisse. Le chiffre de 30 % a été avancé pour les premiers mois de 2023 par l’Agence Internationale pour l’Énergie.

À cela s’ajoute l’effet prix du baril. Ce dernier a en effet varié entre 80 dollars et 120 dollars en 2022, mais ce prix s’est situé entre 70 dollars et 95 dollars sur la totalité de l’année 2023, créant, pour un même volume vendu, moins de recettes.

Ce paramétrage de valeur est important, et conduit à considérer l’évolution de la valeur du rouble.

 

La dépréciation monétaire

En décidant, habilement, d’exiger le paiement de ses exportations énergétiques en roubles, le pouvoir russe a créé un apport de demande de sa monnaie en 2022 provoquant mécaniquement une revalorisation de cette dernière. En 2022, le rouble est ainsi passé de 0,8 centime à 1,6 centime. Mais la situation 2023 s’est déroulée selon un cycle inversé avec une baisse significative de la monnaie russe par rapport à l’euro, puisque le rouble est revenu à un centime (100 roubles pour un euro comme l’illustre le graphique ci-dessous) soit une baisse de 27 % sur un an…

Source et graphique : Strategic Conseils

(Source et graphique : Strategic Conseils)

Cet affaiblissement significatif de la monnaie a naturellement conduit à un renchérissement, de même pourcentage, des importations. La conséquence a été une accélération de l’augmentation des prix de tous les produits importés, donc une inflation importée accompagnée d’une inflation domestique liée à la baisse de main-d’œuvre dans les productions civiles, liée aux besoins d’effectifs de l’armée.

Le gouvernement et la Banque centrale ont donc décidé l’instauration d’une politique de lutte contre l’inflation.

 

L’envolée du taux de la Banque centrale

Dans le cadre d’une politique monétaire très classique (déjà utilisée lors de précédentes crises du rouble) la présidente de la Banque centrale russe, Elvira Nabioulina, a décidé de procéder au doublement du taux directeur, en six mois, en le faisant passer de 7,5 % à 16 %… !

Le graphique ci-dessous (ligne bleue) décrit cette accélération, dans la deuxième partie de l’année, en comparaison avec le niveau et la faible évolution en 2023 du taux directeur de la Banque centrale européenne.

Cette envolée du taux d’intérêt de la Banque centrale russe à 16 % signifie que le taux d’inflation réel est en fait beaucoup plus élevé que le taux de 7 % annoncé par les autorités. La rationalité de la politique monétaire d’une banque centrale consiste à placer son taux directeur autour du niveau du taux d’inflation qu’elle a décidé de combattre. Telles furent les politiques de la BCE, de la FED et de la Banque d’Angleterre…

Le taux d’inflation réel russe se situe donc au-delà des 10 % au cours de l’année 2023.

Cette hausse importante du taux directeur a également pour objectif de soutenir le taux de change du rouble, en tentant par une rémunération élevée, de ralentir la sortie de capitaux. La chute de plus de 25 % de la valeur du rouble en 2023 est le moteur de la hausse des prix de toutes les importations… et donc de l’inflation…

Mais ce niveau de taux directeur provoque également un ralentissement de l’économie en réduisant drastiquement les capacités d’investissement des ménages et des entreprises. Cette considération sur l’économie globale conduit à regarder l’évolution de la Bourse de Moscou depuis le début de la guerre en Ukraine.

 

Une baisse structurelle de la Bourse moscovite

En synthétisant les évolutions des cours de 50 entreprises, l’indice de référence RTS est comparable à notre indice CAC 40. La comparaison avec Paris et New York est riche d’enseignement. Tout d’abord on constate que la Bourse de Moscou a commencé à « dévisser » 5 mois avant le début de l’invasion de l’Ukraine. Les cercles économiques des grandes entreprises proches du pouvoir savaient. Le déclenchement de la guerre a fait baisser l’indice RTS de 60 % ; il s’est maintenu, en moyenne sur l’année 2023 à – 45 % de sa valeur d’octobre 2021. Par rapport aux bourses occidentales, Moscou fait donc face à une dévalorisation substantielle de ses grandes entreprises, information jamais communiquée ni commentée.

En contrepartie, cette baisse drastique de valorisation impacte la capacité de ces grandes entreprises à emprunter, puisque la baisse de leur valorisation augmente symétriquement leur ratio d’endettement.

 

L’inflation liée à l’envolée des prix de l’énergie s’est stabilisée et a commencé à ralentir. Les bourses occidentales sont donc haussières au cours de l’année 2023, avec une accélération en fin d’année liée à la perspective d’un début de baisse des taux des banques centrales dans les prochains mois.

Rien de tel en Russie, l’indice RTS (ligne bleue) reste bas et plat.

Les entreprises russes anticipent donc une année 2024 morose, en reflet de la baisse des prix mondiaux du pétrole et du gaz.

 

Des perspectives peu engageantes

La Russie reste prisonnière de la primauté accordée à ses matières premières, au détriment de la création de filières de valeur ajoutée. La décision récente de TotalEnergies, et des co-investisseurs Chinois et Japonais de suspendre leurs participations au projet gazier Artic LNG-2 indique que l’augmentation des ressources énergétiques russes n’est pas à l’ordre du jour. Il n’y a donc pas d’amélioration à prévoir dans ce domaine tant que durera la guerre en Ukraine.

Les sanctions économiques continuent de s’accumuler à l’image de celles de l’Union européenne sur l’arrêt des achats de diamants russes à partir du 1er janvier 2024.

À ces éléments extérieurs s’ajoute le paramètre intérieur des restrictions significatives de main-d’œuvre spécifiquement liées à la guerre en Ukraine. Plus de 300 000 Russes en pleine capacité de travail y ont été tués ou blessés. Des centaines de milliers d’autres, dans des professions de service, principalement informatique, ont quitté le pays et se sont réfugiés au Kazakhstan, en Turquie, en Géorgie, à Dubaï. Les immigrés originaires des pays d’Asie préfèrent partir pour ne pas être enrôlés de force dans l’armée russe. Autant de compétences et de valeur ajoutée qui vont continuer à faire défaut à l’économie russe en 2024.

Le pouvoir peut se targuer d’une augmentation du PIB de 5 % au troisième trimestre 2023, avec une monnaie qui a perdu plus de 25 % de sa valeur dans l’année…

Il y a le discours, destiné à donner la meilleure image économique possible à la population russe, afin de soutenir son moral. Il est aussi arme de communication à l’usage des « ennemis de la Russie ». Mais ces ennemis-là sont moins soumis à la propagande incessante du Kremlin, et sont capables d’identifier les données économiques réelles auxquelles est confronté le Kremlin.

Si la guerre perdure, le déclin économique se poursuivra aussi.

☐ ☆ ✇ Contrepoints

[Enquête II/II] Le rôle des instruments d’influence russe en Afrique : le cas des Maisons russes

Par : Ibrahima Dabo — 27 décembre 2023 à 04:45

 

Cet article est le second volet de l’étude « Le rôle et la place des instruments d’influence culturelle et humanitaire russe en Afrique »

Depuis la chute du mur de Berlin en 1989 et la dislocation du bloc soviétique en 1991, il est important de constater que Moscou reprend pied progressivement en Afrique. Après la fin de la guerre froide, Moscou a perdu son leadership et sa puissance dans le monde, particulièrement sur le continent africain.

Au lendemain des indépendances et jusqu’à l’effondrement de l’Union soviétique, Moscou avait une présence réelle en Afrique, caractérisée par des coopérations dans plusieurs domaines. Durant cette période, la présence russe était matérialisée par l’implantation de centres culturels russes. L’ambition de revenir en Afrique après plusieurs années d’absence est née avec le président Vladimir Poutine lors de sa visite sur le continent, d’abord en Afrique du Sud, puis au Maroc en 2006. Aussitôt, Moscou montre son intérêt et ses ambitions pour le continent africain. Le sommet Russie-Afrique marque un tournant décisif dans les relations entre la Russie et l’Afrique et matérialise le retour de la Russie en Afrique.

Du 22 au 24 octobre 2019 à Sotchi, le président russe Poutine a organisé le sommet russo-africain dans le but de donner le signal pour la reconquête du continent. C’est dans cette stratégie de restaurer l’image et le rayonnement de Moscou dans le monde et particulièrement en Afrique que s’inscrit la mission de la Fondation Russkiy Mir et de l’Agence fédérale Rossotroudnitchestvo. Dans la conduite de leur mission d’influence culturelle et humanitaire sur le continent, ces deux structures sont complémentaires.

Les actions de la Fondation Russkiy Mir et de l’Agence fédérale Rossotroudnitchestvo s’inscrivent dans la politique de réaffirmation du rang de grande puissance mondiale menée par le Kremlin depuis le début des années 2000. La création de ces instruments du soft power russe montre les véritables ambitions de la Russie. Bien que l’influence médiatique ne soit pas liée à ce sujet, il est utile de rappeler que Moscou a lancé en décembre 2005 la chaîne d’information internationale russe Russia Today de même que Spoutnik en 2014. Tout ce dispositif à la fois culturel et informationnel représente la diplomatie publique russe. Ces instruments du soft power russe jouent un rôle non négligeable dans la politique extérieure russe.

 

Le cas des Maisons russes

Consciente de l’importance et de l’enjeu que représente le soft power dans la conduite de la politique étrangère des États, la Russie mise sur l’implantation de centres culturels russes en Afrique. Plusieurs centres culturels russes ont été ouverts sur le continent africain : au Maroc, en Tunisie, en Tanzanie, en Zambie, en République du Congo et en Éthiopie.

Durant l’année 2022, des Maisons russes ont ouvert leurs portes en Algérie, en Égypte, au Soudan et au Mali. Une Maison russe est en cours de construction en Angola. Elles sont des leviers importants pour la promotion de la langue et de la culture russes en Afrique. Les centres russes sont ouverts sur la base d’accords intergouvernementaux. L’ouverture de ces centres s’inscrit dans une volonté du Kremlin de renforcer sa présence sur le continent africain. Rossotroudnitchestvo leur fournit des matériels et des manuels scolaires afin de faciliter l’apprentissage de la langue russe. Ces centres culturels russes organisent des évènements promotionnels de la langue et de la culture russes.

En République du Congo, la Maison russe de la culture et de la science en Afrique centrale organise des évènements dédiés aux écrivains russes, à l’exemple du poète Alexandre Pouchkine. À cela s’ajoutent les journées du cinéma russe. Le 9 juillet 2023, la chanteuse russe d’opéra Daria Davidova a été invitée par Maria Fakhrutdinova, directrice générale de la Maison russe de Brazzaville. En République du Congo, Rossotrudnichestvo organise des formations continues pour le personnel médical congolais. Des événements de ce genre sont organisés régulièrement par les Maisons russes en vue de renforcer la présence russe dans ces pays d’Afrique.

Le 1er février 2022 marque la cérémonie solennelle d’ouverture de la Maison russe à Bangui en République centrafricaine sous la présence du ministre centrafricain de l’Enseignement supérieur, Laurent Cissa Magale. L’implantation de cette Maison russe témoigne de la volonté des autorités russes de renforcement de l’influence russe en République centrafricaine. Force est de constater que celle-ci peut être considérée comme la vitrine de l’influence russe en Afrique. C’est dans ce pays, où la présence russe est plus visible, caractérisée par le déploiement des mercenaires du groupe Wagner, qui mènent des actions de désinformation et de propagande dans le but d’y accroître l’influence russe. La Maison russe de Bangui permet aux Centrafricains de pouvoir se familiariser avec la culture et la langue russes. Cette Maison russe est dirigée par un acteur incontournable du groupe paramilitaire russe Wagner en République centrafricaine, Dmitri Sytyi.

À la différence des autres pays africains, où l’on trouve des Maisons russes, le cas du Sénégal est assez particulier. À Dakar, le Centre culturel russe a été fermé depuis l’effondrement de l’URSS. Jusqu’en 1992, la coopération entre l’Union soviétique et le Sénégal était caractérisée par l’agence Aeroflot, les collaborations dans le domaine éducatif et le Centre culturel russe, qui se trouvait sur la place de l’Indépendance au-dessus du café le « Rond-Point ».

Durant cette période, les Soviétiques offraient des bourses d’étude aux étudiants sénégalais. Plusieurs cadres sénégalais ont été formés dans les universités soviétiques. Les relations bilatérales entre Dakar et Moscou datent de 1962. Au Sénégal, la langue russe est enseignée depuis les années 1960. L’actuel président du Sénégal, Macky Sall a étudié le russe au lycée Gaston Berger de Kaolack. Il y a quelques années, une association culturelle privée, non gouvernementale et apolitique,  l’« Alliance pour la culture russe Kalinka » a été lancée. Ce Centre culturel russe, différent du modèle des Maisons russes, est l’initiative d’une dizaine de personnes aux profils variés et aux compétences diverses, qui se sont réunies pour créer Kalinka. Ce Centre culturel a pour objectif de familiariser la société sénégalaise avec la culture russe et les valeurs traditionnelles slaves. L’initiative vient de Larissa Kryukova, épouse de l’ancien ambassadeur de la Russie au Sénégal, Sergey Kryukov. La secrétaire générale de Kalinka est Oumy Séne, fille de feu Ibrahima Séne, ingénieur agronome formé en URSS et ancien secrétaire du Parti de l’Indépendance et du Travail (PIT).

 

La coopération dans le domaine éducatif au cœur de la stratégie d’influence russe en Afrique

Depuis quelques années, le nombre d’étudiants africains dans les universités russes ne cesse d’augmenter. Chaque année, dans le cadre de sa coopération éducative avec les pays africains, l’État russe met à leur disposition des bourses d’études. À travers un dépôt de dossier en ligne, l’Agence fédérale Rossotroudnitchestvo sélectionne les meilleurs candidats, ceux qui bénéficieront de la bourse de la Fédération de Russie.

Les étudiants africains sélectionnés sont orientés dans les différentes universités publiques russes. L’université russe de l’Amitié des peuples Patrice Lumumba et l’université d’État de Tambov accueillent le plus grand nombre d’Africains. Durant l’année universitaire 2016-2017 environ 20 000 étudiants africains étudient en Russie, dont 15 000 sont contractuels. Ces chiffres traduisent l’intérêt croissant des étudiants africains pour l’enseignement supérieur russe. Il est important de souligner que les étudiants africains contractuels ont la possibilité de faire leurs études en anglais ou en russe. C’est une des raisons de l’attractivité de l’enseignement supérieur russe. Les domaines de la médecine, les sciences de l’ingénieur, la physique, les mathématiques et les sciences économiques et la philologie sont les plus sollicités.

Au lendemain du sommet Russie Afrique de Sotchi en 2019, le président Vladimir Poutine a promis d’augmenter le nombre d’étudiants africains dans les universités russes. Selon le chef Rossotroudnitchestvo Evgueni Primakov, l’Afrique fait partie des priorités de la structure du fait du nombre considérable d’Africains qui s’intéressent à la langue et à la culture russes.

C’est ce qui explique le nombre considérable de bourses octroyées aux étudiants africains pour faire leurs études dans les universités publiques russes. Le nombre du quota d’étudiants africains dans les universités publiques russes ne cesse de croître, passant de 2,3 mille à 4,7 mille places entre l’année universitaire 2023/24. Au cours de l’année 2022/2023, ce nombre a doublé. On peut citer quelques pays africains qui bénéficient plus de bourses de la Fédération de Russie : la Guinée (450), l’Angola (300), le Mali (290), la République du Congo (250), l’Égypte (250) et le Nigéria (250).

Pour le cas du Sénégal, le quota a beaucoup augmenté ces dernières années, passant d’une dizaine à aujourd’hui 100 bourses destinées aux étudiants sénégalais. Depuis le début des années 2000 jusqu’en 2017, le nombre de bourses mises à la disposition de l’État du Sénégal par la Russie n’a pas dépassé une vingtaine chaque année. Le nombre a commencé à connaître une augmentation considérable à partir de 2020. Pour cette année universitaire 2023/2024, Moscou a octroyé 100 bourses au Sénégal.

Le domaine éducatif occupe une place de choix dans la politique d’influence culturelle et humanitaire de la Russie. L’Agence fédérale Rossotroudnitchestvo et quatre universités russes lancent une faculté préparatoire gratuite sur le continent africain. Le 1er novembre 2023, la faculté préparatoire pour les futurs étudiants des universités russes, venant d’Éthiopie, de Tanzanie et de Zambie, en ingénierie et profil technique a été lancée. Les quatre universités liées à ce programme sont : l’Université d’État d’électrotechnique de Saint-Pétersbourg V. I. Oulianov Lénine ; l’Université technique d’État de Moscou ; l’Université fédérale du Caucase du Nord ; et l’Université fédérale de l’Oural.

Ce projet vise à renforcer la coopération éducative entre Moscou et ces pays africains. Les cours seront déroulés en ligne par des professeurs d’université. Les enseignants des Maisons russes assureront les cours en présentiel. Au premier semestre, les étudiants apprendront la langue russe, au second semestre des matières scientifiques seront ajoutées au programme pour les préparer. À la fin de l’année, les étudiants recevront des certificats de langue russe et pourront poursuivre leurs études dans les universités publiques russes.

La coopération éducative, en particulier l’attraction d’étudiants africains dans les universités russes est un élément important dans les relations russo-africaines. Le gouvernement de la Fédération de Russie a mis en place un projet baptisé « Exportation de l’éducation ». Ce projet vise à accroître l’attractivité et la compétitivité de l’enseignement supérieur russe sur le marché mondial durant la période de mai 2017 à novembre 2025.

« À la suite de la mise en œuvre du projet, le nombre d’étudiants à temps plein dans les universités russes devrait passer de 220 000 en 2017, à 710 000 en 2025. Le nombre d’étudiants étrangers dans les cours en ligne des établissements d’enseignement russes varie de 1 100 000 à 3 500 000 ».

Le renforcement de la coopération éducative a été au menu des échanges lors de la Deuxième Conférence parlementaire internationale Russie-Afrique, qui s’est tenue à Moscou du 19 au 23 mars 2023. Le thème de l’une des tables rondes portait sur le « soutien parlementaire à la coopération dans le domaine de la science et de l’éducation ». Les autorités russes ont profité de cette occasion pour rappeler l’importance de la coopération éducative entre la Russie et les États africains. Depuis quelques années, Moscou renforce son influence sur le continent à travers sa coopération dans le domaine éducatif. Les deux sommets Russie Afrique, en 2019 à Sotchi, et en 2023 à Saint-Pétersbourg ont été des moments importants pour Moscou de revigorer sa coopération éducative avec les pays africains.

Au-delà de l’Agence fédérale Rossotroudnitchestvo, des sociétés russes présentes en Afrique participent à la politique éducative du gouvernement russe en octroyant des bourses aux étudiants africains. C’est le cas par exemple de Rusal, la société russe d’aluminium, qui a lancé en 2022 la bourse Rusal destinée aux étudiants guinéens. Dans le cadre de ce programme, 50 étudiants guinéens pourront être formés gratuitement dans les domaines de la médecine et de la pharmacie à l’université de médecine d’État Krasnoïarsk, et à l’École de pharmacie de Krasnoïarsk. La bourse Rusal vise à former des cardiologues, des chirurgiens, des thérapeutes et des infirmiers. La coopération dans le domaine éducatif est un puissant outil de soft power qui permet de créer une image attrayante de la Russie dans les pays africains en tant que partenaires importants. Dans un contexte de guerre d’influence en Afrique, cette coopération éducative peut contribuer à donner une image positive de Moscou, tout en renforçant sa présence sur le continent africain.

La Russie met en avant sa coopération dans le domaine éducatif pour reprendre pied en Afrique. Depuis quelques années, plusieurs programmes sont lancés dans le but d’accroître l’influence russe sur le continent. Le développement de l’enseignement de la langue russe est une des priorités du Kremlin.

Dans le cadre du renforcement de l’enseignement de la langue russe en Afrique, l’Agence fédérale Rossotroudnichestvo, en collaboration avec l’Institut d’Éducation internationale de l’université russe Rosbiotech, a lancé un programme éducatif visant à renforcer les capacités des enseignants africains de la langue russe sur les méthodes modernes de son enseignement comme langue étrangère. Des enseignants de cette discipline, issus de dix pays africains, ont fait le déplacement à Dakar du 25 au 27 octobre 2023 pour assister à la formation sur les nouvelles méthodes utilisées dans l’enseignement du russe comme langue étrangère. Anna Golubeva, experte de la maison d’édition « Zlatoust » a assuré cette formation sur les nouveaux supports pédagogiques. Cette rencontre a été présidée par l’ambassadeur de la Fédération de Russie au Sénégal Dimitry Kourakov. Vadim Zaichikov, chef du département de l’éducation et des sciences de Rossotroudnitchestvo et Boris Chernyshov, vice-président de la Douma d’État de Russie, président du conseil d’administration de Rosbiotech ont participé en ligne lors de la première journée.

Dans le cadre de la coopération éducative, l’Agence fédérale Rossotrudnichetsvo, en collaboration avec l’Université électronique d’État de Saint-Pétersbourg (LETI), lancent la semaine russe des mathématiques, physique et informatique au Sénégal du 20 au 25 novembre 2023.

Ce projet parmi tant d’autres vise à vendre l’enseignement supérieur russe, et s’inscrit dans le programme « développement de l’éducation » du gouvernement russe en collaboration avec l’association des diplômés soviétiques et russes du Sénégal. Près de 40 cours ont été dispensés durant cette semaine dans les lycées de Dakar, de Thiès et Bambey. Le programme du gouvernement russe a pour objectif l’expansion de l’enseignement supérieur en Afrique dans le but de faire sa promotion dans les domaines de la science et de la technologie.

La diplomatie culturelle portée par l’Agence fédérale Rossotroudnichestvo et la Fondation Russkiy Mir occupent une place de choix dans la politique d’influence de la Russie sur le continent. Depuis quelques années, ces structures lancent plusieurs programmes en Afrique dans le but d’augmenter l’influence russe. Grace à ces deux structures du soft power russe, il est important de constater que Moscou pousse davantage ses pions et renforce sa présence. Les actions de Rossotroudnichestvo et la Fondation Russkiy Mir montrent véritablement l’importance que le Kremlin accorde au soft power dans la conduite de sa diplomatie culturelle et humanitaire. Le soft power est un instrument efficace utilisé par la Russie en vue d’augmenter son influence sur le continent africain, surtout dans ce contexte actuel marqué par une guerre d’influence entre les grandes puissances.

 

Ne résumons pas la présence russe en Afrique à ses volets militaire et informationnel

Dans un monde de plus en plus marqué par la guerre d’influence et les rivalités géopolitiques, les instruments de soft power sont plus que nécessaires.

Les autorités russes ont pris conscience de l’importance et de l’enjeu que représente le soft power dans le monde contemporain. Il est devenu un outil indispensable, incontournable et efficace pour la bonne conduite d’une diplomatie véritable. Les actions de l’Agence fédérale Rossotroudnitchestvo et de la Fondation Russkiy Mir sur le continent africain traduisent l’intérêt et l’enjeu que constitue l’Afrique pour la Russie. On a tendance à résumer la présence russe en Afrique à l’aspect militaire ou informationnel, mais depuis quelques années ces deux structures du soft power russe sont en train d’effectuer un travail très efficace dans le renforcement de la présence russe en Afrique.

La politique étrangère russe basée sur le soft power occupe une place de choix dans la stratégie d’influence russe sur le continent. La diplomatie publique russe est de plus en plus présente en Afrique, portée par plusieurs acteurs œuvrant pour le rayonnement de l’influence russe, particulièrement dans les pays où Moscou a des intérêts stratégiques. Ces structures ont joué un rôle non négligeable dans le retour de la Russie sur le continent africain.

☐ ☆ ✇ Contrepoints

Loi européenne sur les métaux critiques : moins de dépendance mais des questions en suspens

Par : The Conversation — 26 décembre 2023 à 04:15

Les auteurs : Lucas Miailhes est doctorant en Science Politique/Relations Internationales à l’Institut catholique de Lille (ICL). Andrew Glencross est le Directeur d’ESPOL, Professeur de Science Politique à l’Institut catholique de Lille (ICL).

 

Les préoccupations de l’Union européenne concernant le risque d’approvisionnement en matières premières critiques (ou critical raw materials, CRM en anglais) se sont considérablement accrues au cours de la dernière décennie en raison de leur importance croissante pour la transition numérique et écologique.

En effet, la production de CRM reste actuellement largement concentrée géographiquement en dehors de l’Europe, notamment en Chine, ce qui expose l’Union européenne à des risques d’approvisionnement majeurs. Consciente de sa dépendance à l’égard de sources extérieures pour ces matériaux, Bruxelles prend désormais des mesures pour relever ce défi, et ainsi se protéger contre d’éventuelles restrictions d’exportations de pays tiers.

L’Europe n’a pas de temps à perdre. Selon l’Agence internationale de l’énergie, la demande mondiale de CRM devrait quadrupler d’ici 2040, sous l’effet d’une multiplication par 42 de la demande de lithium et d’une multiplication par 7 de la demande en terres rares d’ici 2050. Essentielles à la fabrication des batteries, les terres rares et le lithium sont au cœur de la mobilité et du stockage de l’énergie, ce qui rend la sécurité du CRM vitale pour atteindre les objectifs de l’Union européenne en matière de décarbonation.

Cependant, la Chine possède actuellement un quasi-monopole des exportations de terres rares, le cobalt et le lithium, constituant ainsi la source de plus de 90 % des importations européennes. Pékin est bien conscient de l’importance de ce levier de puissance, et s’en sert déjà dans son bras de fer technologique avec les États-Unis.

Pour relever ces défis, la Commission européenne a proposé en mars 2023 la loi sur les matières premières critiques (CRMA), qui vise à garantir l’accès de l’Union européenne aux matières premières essentielles. Cette législation vise à réduire la dépendance des vingt-sept en encourageant l’augmentation de la production européenne, le recyclage et le raffinage des matières premières critiques.

La CRMA établit une liste de 16 matières premières stratégiques et critiques et fixe des objectifs pour augmenter la contribution de l’Union européenne (10 % pour l’extraction, 40 % pour la transformation et 15 % pour le recyclage). La proposition comprend des mesures visant à rationaliser les processus administratifs d’extraction, à surveiller les chaînes d’approvisionnement et à investir dans la recherche et l’innovation.

Néanmoins, les critiques ont soulevé des inquiétudes quant à l’absence de fonds dédiés, remettant en cause la viabilité financière et l’efficacité de la législation. L’extraction, le traitement et le recyclage des CRM nécessitent en effet des investissements importants et les possibilités de financement actuelles de l’UE sont dispersées et complexes. En réponse, le Parlement européen a proposé la création d’un Fonds européen pour les matières premières stratégiques en septembre 2023.

 

« Club d’acheteurs bruxellois »

Un autre sujet de discorde concerne les risques potentiels liés à l’acceptation des projets stratégiques par les populations locales, qui peuvent s’inquiéter des impacts environnementaux et sociaux. Dans le texte européen, les projets stratégiques sont définis comme des projets relatifs aux matières premières qui renforcent de manière significative la sécurité de l’approvisionnement de l’Union européenne en matières premières stratégiques. Les entreprises dont les projets seront reconnus comme stratégiques bénéficieront de procédures d’autorisation simplifiées et d’un accès plus facile aux possibilités de financement. Cela soulève des inquiétudes quant à l’équilibre entre l’accélération des projets et la mise en place de garanties environnementales et sociales solides.

En outre, les discussions mettent en évidence le manque de dispositions concrètes sur la circularité de la CRMA. Les critiques soutiennent que la loi n’offre pas suffisamment d’orientations pour renforcer le rôle du secteur de la réparation dans l’extension du cycle de vie des produits contenant des CRM. La loi se concentre sur l’exploitation des déchets, l’amélioration des processus de recyclage et l’augmentation de la réutilisation des produits et des CRM secondaires, mais elle n’aborde pas la législation sur le droit à la réparation.

Enfin, les dispositions de la CRMA relatives à l’achat groupé, qui visent à encourager le regroupement de la demande intérieure de l’Union européenne par la constitution de stocks stratégiques, ont suscité certaines craintes. Le chercheur américain Cullen S. Hendrix a par exemple exprimé des inquiétudes concernant un « club d’acheteurs bruxellois », soulignant le risque d’effets néfastes sur les économies en développement. En faisant baisser les prix de vente, la pratique d’achat groupé par les pays de l’Union pourrait en effet entraver la capacité des pays en développement à bénéficier de leur dotation en CRM pour financer leur transition énergétique.

 

Et pour la France ?

Du point de vue français, le CRMA répond à deux attentes politiques complémentaires sur le moyen et long terme.

Premièrement, le texte de loi vient en appui à l’exécutif, qui cherche depuis longtemps à voir la Commission européenne accepter plus de souplesse en ce qui concerne les aides d’État. Ces dernières représentent en effet un levier privilégié pour favoriser le développement territorial dans l’hexagone, comme en témoignent les subventions à la hauteur d’un milliard et demi d’euros attribuées au projet d’usine de batteries à Dunkerque. En outre, le CRMA offre des perspectives intéressantes pour favoriser des projets industriels à l’instar de la mine de lithium dans l’Allier – qui d’ailleurs suscite les inquiétudes des habitants.

Le deuxième point fort de cette législation européenne est qu’elle démontre la valeur ajoutée de l’action de l’Union européenne en tant qu’acteur à l’échelle mondiale. Ceci est une conception très française de l’Europe, qui voit en la construction européenne un moyen non seulement de peser dans les affaires internationales mais aussi de s’affranchir de la puissance américaine.

La logique « gaulliste » de cette vision consiste à penser la base industrielle en lien avec les capacités de défense. Ce n’est donc pas une coïncidence que le Conseil européen, sous la présidence française en 2022, a appelé à œuvrer à la construction d’une base économique plus solide en même temps que le renforcement des capacités de défense européennes.

 

Répondre aux préoccupations

Actuellement en phase de trilogue, les négociations entre le Conseil de l’Union européenne et le Parlement européen sont presque terminées. La prochaine étape de la procédure législative de l’Union européenne est l’approbation et l’adoption formelle par le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne. L’accord provisoire sur le CRMA conclu avec le Parlement européen le 13 novembre 2023 doit en effet encore être approuvé et formellement adopté par les deux institutions.

La CRMA jouera un rôle essentiel dans la capacité de l’Union européenne à atteindre ses objectifs en matière de transition écologique et à renforcer son autonomie stratégique. Cependant, la CRMA a suscité de nombreux débats et a soulevé des inquiétudes parmi les différentes parties prenantes. Bien qu’elle soit susceptible de répondre aux défis de l’Union européenne en matière d’accès sûr et durable aux CRMA, il est essentiel d’examiner attentivement les préoccupations soulevées par les critiques et d’y répondre afin de garantir l’efficacité des dispositions prises au sein du CRMA.

Vous pouvez retrouver cet article sur le site de The Conversation France.

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[Enquête I/II] Les instruments du soft power russe en Afrique

Par : Ibrahima Dabo — 21 décembre 2023 à 04:45

Depuis le début des années 2000, force est de constater que la Russie marque progressivement son retour sur la scène internationale en tant que grande puissance mondiale. La restauration et la réaffirmation du statut de grande puissance mondiale sont des éléments les plus importants de la politique du régime poutinien. Cette politique de grande puissance « Derzhavnost » mondiale s’inscrit dans une logique de redonner à la Russie sa puissance du temps de l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS).

L’effondrement de l’Union soviétique et la fin de la guerre froide ont entraîné des conséquences désastreuses, ayant affaibli considérablement l’influence russe dans le monde et particulièrement en Afrique. L’arrivée de Vladimir Poutine à la tête du pays peut être considérée comme le début du retour de Moscou sur l’échiquier mondial. Ce dernier considère la chute de l’URSS, comme « la plus grande catastrophe géopolitique du siècle dernier ». Dès son arrivée, le Kremlin commence à mettre en place des politiques visant à restaurer le rang de grande puissance de la Russie. Le terme soft power « myagkaya-sila », emprunté chez le politologue américain Joseph Nye a été réadapté par les autorités russes dans le but de mettre en place des structures visant à rétablir l’image de Moscou à l’international.

Le terme soft power a été développé par le politologue américain Joseph Nye dans trois de ses ouvrages majeurs : Bound to Lead : The Changing Nature of American Power (1990), Soft Power (2004), et The Future of Power (2011). Joseph Nye définit le soft power comme étant la capacité d’influencer les autres par la persuasion et l’attraction. Le soft power vise le consentement de l’autre sans faire recours à l’usage de la force.

Selon Frédéric Charillon :

« Ce processus repose essentiellement sur une culture, des valeurs, une image, véhiculées par une politique étrangère habile, pour en faire des atouts diplomatiques ».

En se basant sur les travaux de Nye, les autorités russes décident de créer des instruments de soft power dans le but de réaffirmer le statut de grande puissance mondiale de la Russie. Dans les différents concepts de politique étrangère, l’État russe accorde une importance particulière au soft power.

Selon Marina Mikhailovna Lebedeva, spécialiste russe des relations internationales :

« La Russie s’est activement tournée vers le concept de soft power, qui était dû à l’idée de restaurer l’influence russe sur la scène mondiale ».

Le terme « Myagkaya-sila » est l’appropriation russe du soft power. Si on se base sur les différents concepts de politique étrangère de 2008 à 2016, il est important de noter que le soft power occupe une place de choix dans la politique d’influence russe.

Dans le concept de politique étrangère de la Fédération de Russie du 15 juillet 2008, force est de constater que le Kremlin compte sur le soft power pour restaurer son image et son statut dans le monde.

« Promouvoir l’étude et la diffusion de la langue russe en tant que partie intégrante de la culture mondiale et instrument de communication interethnique. Développer, notamment par l’utilisation des ressources, du potentiel et des initiatives des institutions de la société civile dans le domaine de la diplomatie publique, la coopération culturelle et humanitaire internationale en tant que moyen d’établir un dialogue entre les civilisations ».

Dans ce concept de politique étrangère de 2008, les autorités russes affichent déjà leurs ambitions de créer des instruments de soft power au service de l’État russe dans la promotion de la culture et de la politique d’influence humanitaire russe dans le monde. La Fondation Russkiy Mir et l’Agence fédérale Rossotroudnitchestvo ont été créées afin de porter la politique d’influence culturelle et humanitaire de la Russie. Ces deux instruments ont pour objectif la mise en valeur de la culture et de la langue russes tout en renforçant leur attractivité dans le monde, et particulièrement dans les pays où le Kremlin a des intérêts stratégiques.

Le concept de politique étrangère de la Fédération de Russie du 12 février 2013 renforce également ces structures dans la conduite de la politique d’influence culturelle et humanitaire.

« Promouvoir l’étude et la diffusion de la langue russe en tant que partie intégrante de la culture mondiale et instrument de communication internationale et interethnique. Travailler à la création d’une image positive de la Russie, correspondant à l’autorité de sa culture, de son éducation, de sa science, de ses sports, au niveau de développement de la société civile, ainsi qu’à la participation à des programmes d’assistance aux pays en voie de développement, à la formation d’outils pour influencer sa perception dans le monde, à l’amélioration du système d’utilisation du  soft power, à la recherche de formes optimales d’activité dans ce domaine, en tenant compte à la fois de l’expérience internationale et des spécificités nationales et en se basant sur des mécanismes d’interaction avec la société civile et les experts, afin de poursuivre la formation d’un cadre réglementaire dans ce domaine. Dans le cadre de la diplomatie publique, la Russie s’efforcera d’en avoir une perception objective dans le monde, de développer ses propres moyens efficaces d’influencer l’opinion publique à l’étranger, d’assurer le renforcement de la position des médias russes dans l’espace mondial de l’information en leur fournissant le soutien étatique nécessaire, de participer activement à la coopération internationale dans le domaine de l’information ».

C’est à travers ces différents concepts de politique étrangère de la Fédération de Russie que l’on retrouve les missions des deux structures du soft power russe dans le monde.

Le concept de soft power a été employé pour la première fois par Sergueï Lavrov, dans une interview accordée au journal russe Rossiïskaïa Gazeta.

Selon lui :

« Dans les conditions modernes, ce que l’on appelle soft power – la capacité d’influencer le monde environnant à l’aide de son attrait civilisationnel, humanitaire, culturel, de politique étrangère et autre – devient de plus en plus important ».

Le terme « myagkaya-sila », appropriation du soft power, a été employé également pour la première fois par le président Vladimir Poutine dans son article publié en 2012 dans le journal russe Moskovskiye Novosti.

Le président Poutine définit ce terme comme « un ensemble d’outils et de méthodes permettant d’atteindre des objectifs de politique étrangère sans utiliser d’armes, mais par le biais de l’information et d’autres leviers d’influence ».

Cette vision russe sur le soft power s’est beaucoup renforcée à partir de 2013 dans les différents concepts de politique étrangère de la Fédération de Russie. La Fondation Russkiy Mir, l’Agence fédérale Rossotroudnitchestvo, les médias internationaux Russia Today et Spoutnik représentent le dispositif de la diplomatie publique du Kremlin.

Dans la conduite de sa diplomatie culturelle et éducative, le président Poutine considère que « La Russie dispose également d’institutions telles que Rossotroudnitchestvo, la Fondation Russkiy Mir et nos principales universités, qui élargissent la recherche de candidats talentueux à l’étranger ».[8]

Dans la mise en œuvre de leurs missions, ces deux structures complémentaires mettent en avant l’aspect culturel et humanitaire. Cette vision du soft power russe se reflète dans la politique africaine de la Russie par le biais de Rossotroudnitchestvo et de la Fondation Russkiy Mir.

 

La Fondation Russkiy Mir, « le Monde russe »

Il est important de souligner que le « myagkaya-sila » est l’appropriation russe du terme soft power développé par le politologue américain Joseph Nye. Les travaux de Nye ont beaucoup inspiré les autorités russes.

Cette appropriation du soft power a poussé le Kremlin à mettre sur pied des instruments de soft power à l’exemple de la Fondation Russkiy Mir. Cette structure est financée par les pouvoirs publics russes dans le but de doter la Russie d’un outil de diplomatie culturelle. Russkiy Mir a été créée le 21 juin 2007 à la suite d’un décret du président de la Fédération de Russie Vladimir Poutine. Dès son lancement, la fondation se veut être une organisation visant à populariser la langue russe tout en soutenant les programmes de promotion de cette langue à l’étranger. Russkiy Mir est la première structure étatique qui œuvre dans le domaine éducatif pour développer la langue russe dans le monde.

Les membres du Conseil d’administration de Russkiy Mir sont pour la plupart des personnalités politiques et universitaires. La présidence du Conseil d’administration est assurée par Dmitriy Nikolaevich Kozak, chef de cabinet adjoint du bureau exécutif présidentiel de la Fédération de Russie. Sont aussi membres du Conseil : Sergueï Sergueïevitch Kravtsov, ministre de l’Éducation et vice-président du Conseil d’administration de la Fondation ; Sergueï Viktorovitch Lavrov, ministre des Affaires étrangères ; Olga Borisovna Liubimova, ministre de la Culture ; Valery Nikolaevich Falkov, ministre de la Science et de l’Enseignement supérieur.

Il y a aussi les membres du Conseil de Surveillance. Celui-ci est assuré par : Vladimir Ilitch Tolstoï, conseiller du président russe ; Anton Ur’evich Sevryuk, président du département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou (conseiller externe) ; Aleksandr Vyacheslavovich Bugaev, premier vice-ministre russe de l’Éducation ; Alexeï Varlamov, recteur de l’Institut littéraire de Gorki ; Olga Vasilyeva, présidente de l’Académie russe de l’Education ; Sergueï Verchinine, vice-ministre des Affaires ; Nikolaï Kropatchev, recteur de l’Université d’État de Saint-Pétersbourg ; Igor Maslov, chef de la direction présidentielle pour les relations interrégionales et culturelles avec l’étranger ; Natalia Alekseevna Narochnitskaya, présidente de la Fondation pour la perspective historique, directrice de l’Institut européen pour la démocratie et la coopération (Paris) ; Igor Neverov, chef de la direction de la politique étrangère du président russe ; Viatcheslav Alekseïevitch Nikonov, premier vice-président de la commission des affaires internationales de la Douma d’État de la VIIIe convocation (conseiller externe) ; Mikhaïl Borissovitch Piotrovski, directeur du Musée de l’Ermitage ; Evgeniy Aleksandrovich Primakov, chef de l’Agence fédérale Rossotroudnitchestvo ; Viktor Sadovnichy, recteur de l’Université d’État Lomonossov de Moscou ; Margarita Simonyan, rédactrice en chef de l’agence internationale d’information Rossiya Segodnya (conseillère externe) ; Anatoly Torkunov, recteur de l’Institut d’État des relations internationales de Moscou ; Alexeï Filatov, chef de la direction présidentielle pour la coopération transfrontalière.

La date du 4 novembre occupe une place importante dans l’agenda de la fondation.

« Les grandes orientations de la fondation sont définies lors des Assemblées du Monde russe, qui réunissent tous les 4 novembre- jour de l’Unité nationale- les principaux représentants de l’élite politique, culturelle et religieuse du pays ».[9]

Comme de coutume, cette année, à la veille de la fête de l’Unité nationale du 4 novembre 2023, la fondation a organisé la quinzième Assemblée du monde russe. Le thème principal portait sur « la mission de la parole russe dans un monde multipolaire ». L’Assemblée de la Fondation Russkiy Mir s’est tenue à Moscou, en présence de 77 pays dont des personnalités publiques, des diplomates, des spécialistes en littérature et en linguistique. Plusieurs rencontres ont été organisées pour réfléchir sur l’avenir de la langue et culture russes dans un monde multipolaire, et des tables rondes dont les principaux thèmes de discussion tournés autour de l’évolution de l’étude de la langue russe dans un monde multipolaire, les défis modernes sur la voie de la préservation de l’espace russophone et les avantages de la connaissance de la langue russe.

Il est important de noter la participation cette année du Mouvement international des russophiles (MIR). Une table ronde a été organisée par MIR dont le thème portait sur « Le mouvement international des russophiles : popularisation de la langue et de la culture russes ». Ce mouvement a vu le jour le 14 mars 2023 en Russie. L’initiative de la création de ce mouvement vient de Konstantin Malofeïev, président du conseil d’administration du groupe de média Tsargrad. Ce dernier est un oligarque très influent et proche du Kremlin.

La Fondation Rouskiy Mir est un instrument d’une importance capitale dans la promotion des valeurs et de la culture russes. Le ministère de l’Éducation et le ministère des Affaires étrangères sont les premiers partenaires de la fondation. Il y a aussi les associations internationales des professeurs de langue et littérature russes. Ces associations constituent des leviers importants pour la Fondation dans la conduite de sa mission à l’étranger. La Fondation Russkiy Mir s’est fixée comme objectif la promotion de la langue russe, qui est un élément important de la culture russe et des valeurs slaves. Dans la conduite de sa mission, elle apporte son soutien aux établissements éducatifs, aux organisations et associations nationales et internationales de professeurs de la langue et de littérature russes, aux associations professionnelles, aux organisations publiques et à but non lucratif dans le but de revigorer la recherche et de renforcer les programmes d’études de la littérature et de la langue russes.

Ces différentes missions assignées à la Fondation font de cette structure un outil incontournable pour le rayonnement de la langue et culture russes dans le monde.

Selon Maxime Audinet :

« Il s’inscrit dans une dynamique double de protection de la langue russe dans les États où sa présence est forte, et d’expansion dans les pays représentant un intérêt stratégique pour la Russie ».

En créant la Fondation, les autorités veulent se servir de cet outil pour bâtir un projet mondial autour des valeurs russes. En s’inspirant du modèle chinois des Instituts Confucius, la fondation développe des partenariats avec des universités étrangères dans le but d’implanter ses centres. À l’instar de la Fondation Russkiy Mir, il existe également une autre structure au service de la politique d’influence humanitaire et culturelle de la Russie.

 

Rossotroudnitchestvo, « la coopération russe »

Rossotroudnitchestvo est le principal outil du soft power et de la diplomatie publique de la Russie.

Elle est l’Agence fédérale dédiée au soft power russe dans le monde. Présente dans 80 pays, cette structure russe est au premier plan dans la conduite de la politique d’influence humanitaire et culturelle de Moscou. En 2008, par un décret le président Dimitri Medvedev a lancé l’Agence fédérale pour la Communauté des États indépendants, les compatriotes vivant à l’étranger et la coopération humanitaire internationale (Rossotroudnitchestvo).

Il est important de souligner que l’Agence fédérale est une continuité du Centre russe pour la coopération scientifique et culturelle internationale, connu sous le nom de « Roszarubezhtsentr » créé en 1994. L’histoire de cette structure remonte en 1925 sous le nom de Société de l’union pour les relations culturelles avec les pays étrangers (VOKS). Olga Davidovna Kameneva, sœur de Trotski et épouse de Kamenev en a été la première présidente. En 1958, l’Union des sociétés soviétiques pour l’amitié et les relations culturelles avec les pays étrangers (SSOD) remplace le VOKS. Le but de ces deux institutions soviétiques était de développer la coopération culturelle entre les peuples de l’Union soviétique et les pays étrangers.

L’Agence fédérale Rossotroudnitchestvo est aujourd’hui l’acteur principal dans la politique d’influence culturelle et humanitaire du Kremlin. La création de cette structure témoigne de la volonté des autorités russes d’utiliser la culture et l’humanitaire pour donner une image positive de la Russie. Evgeniy Aleksandrovich Primakov est nommé chef de l’Agence fédérale pour la Communauté des États indépendants, les compatriotes vivant à l’étranger et la coopération humanitaire internationale par le décret n° 416 du président Vladimir Poutine, en date du 25 juin 2020. Tous les membres de l’Agence fédérale sont nommés par le président russe. Par décret n° 481 du président de la Fédération de Russie en date du 21 juillet 2022, Kirill Sergueïevitch Bogomolov a été nommé chef adjoint de l’Agence fédérale. Les administrateurs et membres de l’Agence fédérale sont aussi nommés par décret présidentiel. Il s’agit de ces hauts fonctionnaires, ayant occupé différentes fonctions dans l’administration russe : Dmitriy Valerievich Polikanov, Alekseï Mikhaïlovitch Polkovnikov, Pavel Anatolievitch Chevtsov. Rossotroudnitchestvo est imbriqué à plusieurs directions ministérielles de l’Etat russe.

Dans les décrets présidentiels (du 13 novembre 2009 n° 1285 et du 8 mai 2013 n° 476) sur les fonctions de l’Agence fédérale, Rossotroudnitchestvo relève du ministère des Affaires étrangères de la Fédération de Russie et déroule ses activités en collaboration avec d’autres organes exécutifs fédéraux et les organes du pouvoir exécutif.

L’Agence fédérale réalise ses missions par le truchement des Maisons russes de la science et de la culture à l’étranger. Rossotroudnitchestvo a pour fonction d’aider le ministère des Affaires étrangères de la Fédération de Russie dans la conduite sa politique étrangère dans le cadre des programmes de coopération humanitaire et culturelle internationale. Les missions de l’Agence couvrent les domaines (scientifique, éducatif, culturel et humanitaire). Elle participe également au développement et à la mise en œuvre de la politique d’influence visant à améliorer l’image de la Russie à travers les actions culturelles et humanitaires. Rossotroudnitchestvo est un acteur important de la diplomatie publique et du soft power russe dans le monde.

Aujourd’hui, les Maisons russes sont implantées dans plusieurs pays dans le monde. Elles sont des leviers importants dans la promotion de la langue et de la cutures russes.

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Iran : 40 ans de crimes impunis, 40 ans de résistance pour la liberté

Par : Hamid Enayat — 18 décembre 2023 à 05:00

Bien que le récent rapport choquant d’Amnesty International sur les tortures sexuelles infligées aux détenus de la révolte de 2022 en Iran ait mis en lumière la cruauté du pouvoir clérical en Iran, rares sont ceux qui, dans ce pays, aient échappé à cette violence d’État venue du fond des âges.

La première confrontation des combattants de la liberté avec les mollahs remonte à 1980 quand Téhéran et d’autres villes étaient le théâtre d’une lutte pacifique en faveur des libertés et des droits fondamentaux. Lorsque Khomeiny a vu que les femmes et les jeunes rejoignaient massivement les opposants, en particulier l’Organisation des Moudjahidine du peuple d’Iran, l’OMPI, il a ressenti une grave menace.

Dans une allocution publique le 25 juin 1980, après un rassemblement massif de l’OMPI au cœur de la capitale, il a martelé :

« Notre ennemi n’est pas en Amérique, ni en Union soviétique, ni au Kurdistan, mais ici-même, sous nos yeux, à Téhéran. »

À la fois démocratique et musulmane, l’OMPI a attiré des centaines de milliers de jeunes, surtout des femmes, en prônant l’égalité des genres. Cela a posé un défi majeur aux fondations misogynes de la République islamique, instaurée par Khomeiny.

Lorsque la dictature naissante a fait exécuter des adolescentes pendant le soulèvement de l’été 1980, Khomeiny a émis une fatwa stipulant qu’il fallait violer les vierges avant de les fusiller pour leur barrer le chemin du paradis. Le viol ainsi consacré s’est généralisé, n’épargnant aucune génération. Des milliers de filles et de garçons ont été livrés aux poteaux d’exécution sans même avoir été identifiés. Les mollahs sont allés jusqu’à demander aux parents des victimes de payer pour récupérer les corps. C’est à cette époque qu’une fatwa de Khomeiny a annoncé qu’il ne fallait respecter ni la vie ni les biens de toute personne liée à l’OMPI.

 

Quarante années de fatwas

Une autre confrontation majeure a eu lieu en 1988.

Le régime estimait que si les dizaines de milliers de prisonniers politiques qu’il détenait étaient libérés à la fin de leur peine, ils deviendraient un moteur puissant pour mobiliser la population. D’autant plus que les Iraniens étaient laminés par huit années de guerre inutile, et que Khomeiny, dans la défaite, voyait sa chute imminente.

Aussi a-t-il décidé à nouveau de recourir à un massacre massif pour se maintenir en place. Il a lancé une fatwa annoncant que quiconque maintenait son soutien à l’OMPI ou s’opposait au régime devait être exécuté. Il ne savait pas que cette fidélité allait se transformer en emblème de résistance et de liberté. En l’espace d’un été, des procès minutes ont envoyé à la mort quelque trente mille jeunes prisonniers politiques, dont beaucoup avaient déjà purgé leur peine. Les corps ont été ensevelis sans distinction dans des fosses communes secrètes. Ils ont été exécutés, non pas en raison de leurs actions, mais pour leurs opinions opposées à celles de la dictature religieuse.

Il est donc vrai de dire que l’ennemi du régime iranien n’est pas l’Amérique ou Israël, mais la résistance iranienne pour la liberté. Cependant, le massacre est devenu une réalité dans la conscience de la société iranienne. Les parents et les proches des victimes recherchent toujours leurs tombes. Ils restent fascinés par ce qui leur reste, des montres brisées aux aiguilles bloquées sur le moment de l’exécution.

 

Les femmes pionnières de la lutte pour la liberté

Ebrahim Raïssi, actuel président du régime iranien, et d’autres hauts responsables sont impliqués dans ce massacre. C’est lui qui, des années après, a déclaré que ceux qui adhèrent aux idéaux des victimes sont condamnés à mort. Et des individus de son acabit ordonnent des sévices cruels dans les rues, les prisons et les maisons « sécurisées »… Le régime iranien cherche à détruire la résistance pour la liberté.

Face à une telle monstruosité émergeant des ténèbres, les femmes en Iran se sont placées en première ligne de la résistance ; car la survie du régime dépend aussi de l’hostilité envers les femmes et de la discrimination sexuelle. C’est pourquoi les mollahs infligent les pires tourments aux femmes Ce régime clérical n’est pas seulement l’ennemi du peuple iranien, il est aussi en guerre contre l’humanité.

Si l’ampleur des crimes des mollahs, comme le reflète le rapport d’Amnesty International, est illimitée, les sacrifices de la génération qui lutte pour la liberté sont également illimités. L’audace des résistants repose sur le fait qu’ils tentent de viser la tête de l’hydre de l’intégrisme et du terrorisme à Téhéran.

L’impunité du régime iranien

La communauté internationale n’est pas consciente des conséquences de la politique de complaisance avec la dictature religieuse, une politique dont ce régime tire pleinement parti pour faire du chantage, lancer des actes terroristes et prendre en otage les gouvernements occidentaux et leurs principes éthiques. Les événements des derniers mois et la guerre à Gaza, avec des milliers d’enfants innocents tués, sont le résultat direct de cette politique de complaisance. Les mollahs utilisent toujours leur impunité et leurs moyens diplomatiques pour s’ingérer dans les pays du Moyen-Orient et mener leur terrorisme en Occident.

Au niveau international, il est temps de mettre fin à l’impunité de quarante années des mollahs et les traduire en justice pour leurs crimes contre l’humanité. Khamenei, Raïssi et autres responsables du massacre de 1988, ainsi que ceux qui ont ordonné le meurtre de jeunes Iraniens lors des récentes manifestations, en particulier les commandants des pasdarans, doivent être jugés devant la Cour pénale internationale.

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Le déclin de l’aide à l’Ukraine est un danger pour les démocraties

Par : Romain Blachier — 14 décembre 2023 à 04:30
Il y a un coup de mou dans l’aide à l’Ukraine : des armes promises ne sont pas livrées. La France fait un jeu comptable pour surévaluer artificiellement l’aide apportée. Le Comité olympique accepte que les athlètes russes participent aux jeux. L’élan citoyen, si fort dans nos démocraties occidentales au printemps 2022, semble retombé. Et si les Ukrainiens ont réussi à reprendre une partie des terres volées par les armées de Vladimir Poutine, la contre-offensive patine désormais, faute d’obtenir toutes les armes promises. L’Ukraine est loin d’avoir reçu le million d’obus promis par les Européens. Et la Russie est en mode économie de guerre. Le président ukrainien met en garde : tout retard dans l’aide militaire à Kyiv est un rêve devenu réalité pour Poutine. Et pendant ce temps, les diplomates de Moscou espèrent une victoire de Donald Trump aux USA, qui pourrait mettre un coup d’arrêt au financement de la résistance ukrainienne…
En Afrique, les régimes pro-russes pullulent au Mali comme en Centrafrique. Et plus discrètement au Cameroun, où le président Paul Biya, traditionnel allié de la France, a incité son équipe nationale à affronter la Russie en match amical à Moscou (dans des conditions de voyage rocambolesques). Ou plus significativement en Afrique du Sud, où le gouvernement a autorisé des manœuvres conjointes des soldats russes et de son armée nationale.Et cela n’est rien comparé à l’accueil spectaculairement amical sur la péninsule arabique qui a été réservé à la visite de Vladimir Poutine. Et partout en Europe pointent des forces soutenant par le Kremlin, soutenues par le Kremlin. Parfois repoussées comme Éric Zemmour ou Marine Le Pen en France, elles sont parfois victorieuses comme le SMER en Slovaquie. Paradoxe, nombre de ces forces s’opposent à l’immigration, alors que Moscou est souvent soupçonné d’utiliser les migrations comme une arme contre l’Europe afin, c’est sa vision, de faire monter le mécontentement.Dans le monde, du Nicaragua au Niger, des putschistes, nombre de régimes non démocratiques, sous le couvert certes louable au départ de ne pas être victimes d’ingérences (on sait à quel point Ortega fut attaqué par les réseaux de Reagan), portent aujourd’hui atteinte aux droits humains avec la protection politique, économique et militaire de la Russie. Au nom de l’anti-occidentalisme.Un comble quand on sait les liens de la Russie avec des partis se réclamant de la défense de l’Occident avec Zemmour et Le Pen, ou en Allemagne avec l’AfD.
Si l’Ukraine tombe, les armes que nous avons fournies iront à une puissance, la Russie, qui fait tout pour affaiblir l’Europe. Si l’Ukraine tombe, l’influence du modèle démocratique dans le monde sera mise à mal. Taïwan sera plus que jamais sous la menace de Pékin. Et de plus en plus de dictateurs pourront continuer ou commencer leur œuvre en se sachant impunis.Au-delà de l’aide morale à une démocratie agressée par un voisin plus puissant, des enfants enlevés, des femmes violées, des villes ravagées, aider l’Ukraine n’est pas seulement un acte altruiste. C’est une nécessité pour qu’un ordre mondial plus injuste, plus violent ne surgisse pas des cendres martyrisées de Kyiv…
☐ ☆ ✇ Contrepoints

Industrie spatiale : la France face à la compétition internationale

Par : Mathieu Luinaud — 10 décembre 2023 à 04:45

Longtemps resté l’apanage de programmes publics militaires ou civils, le secteur spatial s’est ouvert progressivement aux applications commerciales à partir des années 1990, quand l’administration Clinton, désireuse de garder l’avantage d’une base industrielle active, décide d’ouvrir la vente d’imagerie satellite à haute résolution en 1994, puis d’en faire de même avec le système GPS en 1996.

Depuis, la commercialisation du secteur est largement engagée et a vu l’émergence de la vague du NewSpace en référence à l’arrivée de nouveaux acteurs, et notamment de startups qui ont bénéficié jusqu’à présent d’un accès facilité aux financements. Cette commercialisation accrue ne doit pas pour autant cacher une réalité qui veut que la commande publique reste structurante pour le secteur spatial et qui se traduit par une concurrence qui s’intensifie sur deux plans. Entre puissances étatiques, qui redoublent d’effort pour pousser leurs entreprises nationales, mais aussi entre fournisseurs de services commerciaux qui s’insèrent sur des marchés de plus en plus internationalisés.

 

La concurrence dans le secteur spatial est d’abord une compétition entre grandes aires d’influence

D’un côté les États-Unis, leader historique et toujours incontesté de l’aventure spatiale tant institutionnelle que commerciale, et de l’autre la Chine qui a su imposer progressivement un duel qui fait revivre les rivalités de modèle qui existaient du temps de l’URSS grâce à un secteur spatial financé à coups de grands programmes publics et qui irrigue jusqu’à la politique d’influence chinoise du Belt & Road Initiative en Afrique.

Au milieu de tout cela, l’Europe spatiale se veut forte d’une industrie puissante qui prend racine dans près d’un demi-siècle d’activité aérospatiale coordonnée avec en pointe la France, suivie de l’Italie très active sur le marché des lanceurs (Avio) et des satellites (Thales Alenia Space, Leonardo) et d’une Allemagne qui était jusqu’à présent plutôt active sur le marché des satellites (OHB).

C’est sans compter cependant sur une accélération récente de la concurrence intra-européenne à mesure que les opportunités du spatial se font plus lucratives. Cette concurrence est d’abord institutionnelle, avec un jeu de pouvoir qui oppose l’historique Agence Spatiale Européenne (ESA) et la plus récente Agence pour le Programme Spatial Européen (EUSPA) à qui la Commission européenne confie une part croissante des tâches de commercialisation du spatial, dévitalisant en partie l’ESA de ce rôle.

Mais cette concurrence se joue aussi entre puissances spatiales nationales, avec une fragilisation considérable du trio France-Italie-Allemagne en matière d’accès à l’espace. Et si la Conférence ministérielle de l’ESA de novembre 2023 qui réunissait les responsables de ses différents États membres a réussi à maintenir à flot la coopération de ce trio, ce n’est pas sans plusieurs concessions qui vont accroître la concurrence sur le marché de l’accès à l’espace en Europe. En contrepartie d’une rallonge des financements du programme Ariane 6, qui bénéficie largement à la France, l’ESA a en effet acté l’indépendance de la commercialisation des fusées de l’Italien Avio jusqu’à présent commercialisées par Arianespace, filiale d’ArianeGroup à qui il a pu être reproché de ne pas mettre suffisamment en avant les lanceurs d’Avio. L’autre concession, c’est l’ouverture croissante des lancements commandés par l’ESA à de nouveaux modèles de lanceurs, dont l’Allemagne espère profiter.

 

Faut-il s’inquiéter pour l’avenir de notre industrie spatiale nationale ?

À bien des égards, la France semble particulièrement armée pour faire face à cette concurrence croissante. Il faut dire qu’en France nous pouvons nous enorgueillir d’un ensemble d’atouts qui a fait jusqu’à maintenant notre renommée en matière de spatial.

Un héritage historique d’abord, de savoir-faire dans la filière aéronautique qui se transforme en filière aérospatiale à l’après-guerre, à la suite notamment d’une impulsion politique forte du Général de Gaulle qui créé en 1961 le Centre National d’Études Spatiales (CNES) tout en décidant la création du lanceur français Diamant qui, en 1965, mettra en orbite Astérix, le premier satellite français.

Cet héritage s’est construit et se consolide aussi autour d’un spatial dual, à la fois civil et militaire, sous l’impulsion du Commandement de l’Espace créé en 2019. La demande militaire en satellites de télécommunications et d’imagerie couplée au besoin d’accès à l’espace pousse nos industriels à innover constamment. Citons par exemple nos satellites de télécommunications Syracuse, notre Composante Spatiale Optique (CSO) capable de produire de l’imagerie en « extrêmement haute résolution » ou CERES, notre capacité de renseignement électromagnétique. Chacune de ces composantes a été savamment distribuée aux différents grands constructeurs français pour garantir un flux de contrats et maintenir l’excellence de nos industriels qui est mise en concurrence de manière croissante, entre acteurs français grâce notamment aux programmes de France 2030.

Se maintenir à la pointe de l’innovation dans le spatial nous permet aussi d’être à l’avant-garde d’un marché européen de plus en plus demandeur, à mesure que le spatial irrigue des pans entiers de secteurs économiques (automobile, assurance, tourisme, décarbonation) et de la société, avec des applications en matière de santé, d’environnement et de développement de la smart city. C’est aussi un atout pour répondre aux commandes institutionnelles de la Commission européenne, gros pourvoyeur de marchés publics avec ses constellations d’optique Copernicus, de navigation par satellite Galileo, et bientôt de télécommunications avec Iris2.

Enfin, et sans elle rien ne serait possible, notre industrie peut se targuer d’avoir à disposition une filière éducative qui forme un vivier d’ingénieurs de niveau mondial spécialisés dans l’industrie lourde et l’aéronautique avec notamment l’ISAE-Supaéro qui attire aujourd’hui des talents du monde entier, qui nous viennent aussi des États-Unis et d’Asie, à l’heure où la filière aérospatiale ouvre entre 10 000 et 15 000 postes.

 

Comment la France tire son épingle du jeu

Ces atouts sont fondamentaux pour permettre à la France de faire jeu égal si ce n’est outrepasser ses compétiteurs. Et dans cette concurrence désormais mondiale, la France tire son épingle du jeu grâce à la fois à ses leaders industriels historiques mais aussi via un vivier de nouvelles startups prometteuses qui arrivent à se positionner à la frontière technologique du spatial, c’est-à-dire au sommet du savoir-faire mondial en matière d’innovation.

Par ses acteurs historiques d’abord, comme ArianeGroup sur le marché des lanceurs, la France reste un des principaux artisans de la capacité européenne d’accès à l’espace. Et même si elle connait quelques balbutiements avec le programme Ariane 6, il faut rappeler que c’est vers Ariane 5 que les États-Unis et la NASA eux-même se sont tournés pour garantir une mise en orbite la plus précise possible pour le James Web Space Telescope (JWST), une preuve de la reconnaissance mondiale de la fiabilité de nos technologies. Autre exemple en matière de technologie satellitaire cette fois-ci, avec la récente vente de satellites Pléiades Neo par Airbus à la Pologne afin de fournir une capacité en imagerie très haute définition à un pays pour qui les enjeux sécuritaires deviennent de plus en plus critiques à la suite notamment du conflit entre la Russie et l’Ukraine.

Mais il n’y a pas que nos grands industriels qui font la renommée française. Nos startups du NewSpace s’exportent déjà sur les marchés internationaux. C’est le cas de Preligens, spécialiste de l’analyse algorithmique de données spatiales, notamment pour la Défense, qui est aujourd’hui fournisseur pour le Pentagone aux États-Unis, un client rigoureux qui témoigne des qualités de notre savoir-faire. Citons encore Exotrail dont les systèmes de propulsion électrique innovants ont été choisis par Blue Canyon Technologies, filiale du champion américaine Raytheon pour équiper une mission scientifique de la NASA en 2026.

Forte de ces succès industriels, la France peut aussi pousser son expertise technique au service de son soft power pour concurrencer notamment la Chine sur le continent africain. C’est ainsi par exemple qu’outre un rayonnement scientifique mondial grâce au CNES, la France met à profit ses universités pour accompagner les puissances spatiales émergentes. L’Université de Montpellier forme notamment une première génération d’ingénieurs sénégalais spécialistes de la conception et construction de petits satellites pour amorcer le développement d’un secteur spatial local, une initiative amenée à se répandre dans le monde pour non seulement faire rayonner nos universités, mais aussi adosser de potentiels contrats à ces coopérations techniques et scientifiques.

 

De nouveaux concurrents sont en train d’émerger

Ce serait néanmoins une gageure que de ne pas se méfier de la puissance de frappe de nos nouveaux concurrents.

En Europe d’abord, avec une Allemagne dont l’appareil industriel est en moyenne davantage modernisé qu’en France et plus avancé sur certaines technologies de l’Industrie 4.0 qui pourraient permettre de nouvelles innovations de procédé à même de faire gagner en compétitivité l’industrie spatiale allemande et lui faire rapidement rattraper son retard sur la France. Une puissance qui est aussi financière, sous la forme de capacité d’investissement elle aussi supérieure à la nôtre et qui pourrait faire la différence par un soutien public accru mais aussi une facilité à la levée de fonds en Allemagne qui se veut décisive dans un secteur lourd en besoins d’investissements (CAPEX) et en coûts irrécupérables.

Plus loin à l’Est, l’expertise en sciences des données de nos partenaires européens devrait leur permettre de développer des solutions innovantes d’emploi de la donnée spatiale qui pourrait concurrencer nos acteurs nationaux jusqu’à présent focalisés sur l’amont de la chaîne de valeur du spatial.

Se méfier aussi de la concurrence internationale, pas seulement celle de la Chine ou des États-Unis dont les conditions d’ouverture des marchés demeurent plus restrictives aux nôtres comme l’alertait déjà Paul Lignières dans son ouvrage Le Temps des Juristes (2012), mais de celle d’autres grands du spatial comme l’Inde, et peut être demain certains pays du Golfe qui pourraient attirer une quantité croissante d’industriels et startups grâce un cadre réglementaire et financier avantageux.

 

Le secteur spatial français n’a pas dit son dernier mot

L’enjeu pour la France face à cette concurrence nouvelle est de trouver les moyens de continuer à renforcer le dynamisme industriel du secteur, sur plusieurs plans.

Sur le plan du financement privé d’abord, pour faciliter le développement du capital-risque dans un pays jusqu’à présent plus frileux que l’essentiel de ses concurrents directs, en dépit d’initiatives adossées à nos grands groupes comme Airbus Ventures ou CMA-CGM Ventures.

Par ailleurs, puisque le spatial ne saurait se passer de la commande publique, plusieurs pratiques là aussi venues des États-Unis ont prouvé leur efficacité en matière de mise en concurrence d’acteurs commerciaux par la commande publique, à l’image des DARPA challenges qui mettent en concurrence plusieurs acteurs en ne les gratifiant de contrats que par palier, et à condition d’avoir rempli un strict cahier des charges, ce qui a pour effet de dynamiser considérablement la concurrence.

Ce modus operandi requerra néanmoins une évolution de notre conception du cadre juridique et réglementaire qui doit faciliter la cyclicité des affaires comme peut le faire le droit américain des entreprises en difficultés, largement tirée des enseignements du « Law & Economics » et qui favorise le retournement d’entreprises et qui a pu sauver des acteurs comme américains comme Iridium ou Intelsat, véritables phénix industriels.

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Une start-up française prévoit une mise en service de microréacteurs nucléaires d’ici 2030

Par : Michel Gay — 7 décembre 2023 à 04:45

La start-up française Naarea a réalisé « une première mondiale » dans la course aux microréacteurs nucléaires de quatrième génération à neutrons rapides et à sel fondu. C’est un petit pas encourageant pour la France, même si ce n’est pas encore un grand bond pour l’humanité.

 

La société Naarea

La société Naarea (Nuclear Abundant Affordable Resourceful Energy for All) a embauché son premier employé en 2022. Elle vient de réaliser une innovation importante en faisant tourner un sel fondu à 700°C dans une boucle entièrement en carbure de silicium contenant du graphène. Cette avancée est une étape préliminaire pour permettre la mise au point d’un petit réacteur nucléaire modulaire.

Selon Naarea, cette céramique en carbure de silicium qui résiste à la corrosion est idéale pour le cœur d’un petit réacteur en production de masse.

Le carbure de silicium est déjà utilisé dans l’industrie, notamment dans les moteurs de fusées et les satellites. Ce matériau a l’avantage de pouvoir être synthétisé et usiné en France et d’être abondant et recyclable. Il résiste mieux que l’acier inoxydable aux températures extrêmes.

La société Naarea, lauréate de l’appel à projets « Réacteurs Nucléaires Innovants », bénéficiant d’une enveloppe de 500 millions d’euros du plan d’investissement « France 2030 », développe un petit réacteur nucléaire de quatrième génération.

Sa technologie repose sur de nouveaux types de sel fondus produisant de l’énergie à partir de combustibles nucléaires usagés, d’uranium appauvri, et de plutonium.

L’îlot nucléaire, dont le poids lui permet d’être transportable par des moyens conventionnels, tient dans un volume équivalant à un conteneur de la taille d’un autobus (un conteneur traditionnel de 40 pieds). Il pourra produire 40 mégawatts (MW) d’électricité ou 80 MW de chaleur.

Selon Naarea, ce micro réacteur « permettra la fermeture complète du cycle du combustible nucléaire, le Graal absolu ! ».

Mais il y a encore loin de la coupe aux lèvres…

Selon Jean-Luc Alexandre, président et cofondateur de l’entreprise :

« Le projet Naarea est né du constat que les besoins croissants en énergie et en électricité bas carbone font du nucléaire une solution incontournable […]. La demande électrique mondiale sera a minima multipliée par quatre entre 2020 et 2050. Quand nous avons analysé les 17 objectifs de développement durable (ODD), fixés par les Nations unies, nous nous sommes rendu compte que tout ramenait à l’énergie d’une manière ou d’une autre, qu’il s’agisse de l’agriculture, de la faim dans le monde ou de la biodiversité ».

À partir de ce constat a été fondée l’entreprise Naarea pour construire ce microréacteur nucléaire afin de fournir une électricité stable et bas carbone pouvant remplacer les énergies fossiles presque partout dans le monde.

 

Sans eau et presque sans déchets

Le refroidissement du système, qui fonctionnera à pression atmosphérique, s’affranchit de l’eau aujourd’hui utilisée pour refroidir les grands réacteurs actuels plus puissants, et la turbine est entraînée par du CO2 « supercritique » (permettant un rendement d’environ 50 %).

N’étant pas astreint à la proximité d’une rivière ou d’une mer, ce module prévu pour être fabriqué en série en usine pourrait être installé sur n’importe quel îlot industriel sécurisé répondant aux normes de sécurité Seveso, avec peu de génie civil.

De plus, il permet d’éliminer les déchets les plus radioactifs de haute activité à vie longue (HAVL) dont la durée est de plusieurs centaines de milliers d’années en les consommant. Ce microréacteur les transforme en produits de fission dont la durée de vie radioactive serait d’environ 250 ans, plus facilement gérables.

Ces microréacteurs pourraient donc venir en complément des réacteurs actuels à eau pressurisée de troisième génération en consommant leurs « résidus ».

 

Un jumeau numérique

Naarea s’appuie sur un « jumeau numérique » de leur microréacteur, une plateforme digitale collaborative qui offre une représentation du réacteur en 3D permettant d’en faire fonctionner les composants et de mesurer des paramètres inaccessibles dans le monde réel. Il sert également d’outil de démonstration en matière de sûreté et de sécurité, auprès notamment de l’ASN (Autorité de sûreté nucléaire) en France et d’autres autorités internationales.

C’est aussi un outil pédagogique et de formation qui accélère la conception du réacteur en facilitant la collaboration.

Les responsables de Naarea ne souhaitent pas vendre la technologie de leur réacteur, mais uniquement son usage.

L’entreprise met en avant sa volonté d’être « concepteur, fabricant et exploitant » pour devenir un fournisseur d’énergie (chaleur et/ou électricité) aux consommateurs isolés (îles, déserts électriques, …), ou souhaitant décarboner leurs productions.

 

Naarea et le nucléaire recrutent

Aujourd’hui, l’écosystème nucléaire en France a besoin de 100 000 personnes sur les dix prochaines années, soit 10 000 recrutements par an.

Naarea contribue à cette dynamique en accueillant des personnes venant d’horizons divers et en les intégrant à la filière nucléaire pour bénéficier d’une « fertilisation croisée » en adoptant les meilleures pratiques des autres secteurs pour s’en nourrir mutuellement.

Le but est de produire des centaines de réacteurs en série en utilisant l’impression en 3D pour la fabrication du cœur et des pièces. Cette approche est économiquement viable en production de masse. C’est d’autant plus réalisable sur des pièces de petite taille : le cœur du réacteur est de la taille d’une machine à laver.

Ce microréacteur répond aux mêmes exigences de sécurité et de sûreté que les centrales nucléaires traditionnelles. La réaction de fission est intrinsèquement autorégulée par la température (si elle augmente, la réaction diminue) afin que le réacteur soit toujours dans un « état sûr » grâce aux lois de la physique.

Étant de plus télécommandé à distance, ce microréacteur pourra être neutralisé (« suicidé ») pour contrer un acte malveillant.

 

Une mise en service en 2030 ?

Naarea travaille sur une maquette à échelle un qui devrait être prête d’ici la fin de 2023. Elle continue à embaucher à un rythme soutenu : elle vise 200 employés à la fin de cette année, et 350 l’année prochaine où un démonstrateur fonctionnel devrait voir le jour.

Naarea envisage un prototype opérationnel autour de 2027-2028 pour une mise en service en 2030.

De nombreux autres petits réacteurs modulaires sont actuellement en développement dans d’autres pays pour répondre à l’énorme demande énergétique future afin d’atteindre l’objectif zéro émission à l’horizon 2050. Certains d’entre eux ont une puissance de 250 à 350 MW, plus adaptés pour de petits réseaux électriques, mais pas pour les besoins spécifiques des industriels et de petites communautés dans des lieux isolés.

Ces microréacteurs pourront répondre à des usages décentralisés de sites industriels ou à l’alimentation de communautés isolées.

Selon le président de Naarea :

« Un réacteur de 40 MW permet de produire de l’eau potable pour environ deux millions d’habitants en dessalant de l’eau de mer, d’alimenter 2700 bus pendant une année […] ou une centaine de milliers de foyers en énergie ».

 

Nouveaux besoins, nouveau marché mondial

L’entreprise russe Rosatom propose aux Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du sud), et notamment aux pays d’Afrique et d’Asie, de petites centrales nucléaires flottantes ou à terre, clés en mains, avec tous les services associés (fabrication du combustible, entretien, et retraitement du combustible usagé) à un prix compétitif.

La Russie utilise l’argent de son gaz et du pétrole pour financer son expansionnisme nucléaire et politique.

Nul besoin d’une infrastructure industrielle préexistante : la Russie s’occupe de tout, de la fourniture des équipements à la formation du personnel. Son offre inclut aussi le financement (crédit total) de l’opération. Les pays acheteurs n’ont donc rien à débourser initialement. Ils ne paient que l’électricité ou un remboursement annuel.

Rosatom a ainsi écarté la France du marché des grandes centrales nucléaires en Afrique du Sud où elle était pourtant bien implantée, puisque les deux premiers réacteurs nucléaires en Afrique (deux fois 900 MW) ont été construits par Framatome. C’est aussi le cas au Vietnam et dans d’autres pays.

Pourtant, la France est le seul pays au monde (autre que la Russie et bientôt la Chine) à pouvoir proposer pour l’instant une offre complète incluant le combustible et le retraitement.

Les États-Unis ne retraitent plus leur combustible nucléaire, ni pour eux-mêmes ni pour l’exportation, depuis 1992.

 

Une carte maîtresse

La France a donc une carte maîtresse à jouer dans le domaine des microréacteurs pour nouer de nouveaux liens privilégiés utiles pour l’avenir.

En effet, les pays qui achètent des centrales nucléaires deviennent dépendants du vendeur pendant des décennies pour leur approvisionnement en électricité.

Le vendeur et l’acheteur doivent donc rester « amis » et deviennent des partenaires privilégiés pour d’autres contrats de construction d’infrastructures civiles (aéroports, ponts, autoroutes, génie civil, équipements publics…) ou militaires, et ce pendant près d’un siècle (construction, durée de vie de la centrale nucléaire supérieure à 60 ans, et déconstruction).

Pour autant, nos dirigeants ne répondent pas, ou maladroitement et de manière incomplète, aux demandes et aux besoins des pays voulant accéder au nucléaire.

La Russie, la Corée du Sud et la Chine s’empressent de combler à leur avantage la demande de coopération nucléaire à laquelle la France répond mal. Elle rate de belles opportunités nucléaires, mais aussi diplomatiques et politiques, pour établir des liens durables avec de nombreux pays en les aidant à développer leur parc nucléaire.

De plus, son offre n’est parfois pas compétitive par rapport à celle de la Russie qui, elle, inclut le financement.

À noter que l’offre des Russes comprend aussi la formation dans leurs écoles d’ingénieurs d’un excellent niveau à Moscou, mais aussi à Tomsk en Sibérie, et dans une demi-douzaine d’autres villes. Des milliers de futurs opérateurs et d’ingénieurs nucléaires en herbe des Brics arrivant dans ces écoles apprennent aussi le russe. Un jour, ils apprendront peut-être le français en France, ou chez eux ?

 

Un foisonnement de compétences

Compte tenu des contraintes techniques et administratives à surmonter, la date annoncée par Naarea pour la mise en service de leur premier réacteur en 2030 est probablement (très ?) optimiste.

Toutefois, ce foisonnement de compétences et de talents dans ce nucléaire innovant doit être encouragé, surtout en France, même si c’est un projet qui ne sera transformé industriellement que dans 30 ans, 50 ans ou… 100 ans.

Dans l’intervalle, de jeunes ingénieurs s’enthousiasmeront, et c’est bien !

Et ces nouveaux talents qui forgent ce microréacteur nucléaire de quatrième génération peuvent bénéficier d’une conjoncture internationale favorable, d’une réglementation simplifiée, et de soudaines avancées technologiques et découvertes.

Nul n’est à l’abri d’un coup de chance !

Sinon, ces ingénieurs et techniciens pourront toujours ensuite se recycler dans le nucléaire « classique » des puissants réacteurs EPR (ou RNR) pour succéder à la génération précédente ayant développé l’extraordinaire parc nucléaire qui fonctionne parfaitement aujourd’hui en France, et pour encore des décennies.

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Comment évaluer l’économie israélienne au prisme de son insertion internationale ?

Par : The Conversation — 6 décembre 2023 à 04:00

Les auteurs : Deniz Unal est économiste, rédactrice en chef du Panorama et coordinatrice des Profils du CEPII – Recherche et expertise sur l’économie mondiale, CEPII. Laurence Nayman est économiste au CEPII.

 

Le conflit actuel pèse sur le marché du travail et sur les finances.

Mais, fort de son remarquable engagement dans la haute technologie, le pays a accumulé une position extérieure nette conséquente. Cette épargne pourrait être mobilisée pour faire face au coût de la guerre. Suffira-t-elle demain ?

 

Neuf millions d’habitants

Israël fait partie de la grande région MENAT (Middle East, North Africa, Turkey) à la démographie dynamique : entre 1960 et 2022, le taux de croissance annuel moyen de la population y a été de 2,4 %, contre 1,6 % dans le monde et 0,4 % en Europe. Alors qu’en 1960 l’Europe était trois fois plus peuplée que cette région, elle l’est aujourd’hui un peu moins : 550 millions contre 577 millions.

Sur cette longue période, la croissance de la population en Israël et en Palestine (définie par les Nations unies comme l’ensemble que forment la Bande de Gaza, la Cisjordanie et Jérusalem-Est) a été légèrement supérieure à la moyenne régionale (respectivement 2,5 et 2,6 %). Sur la dernière décennie, néanmoins, la croissance démographique en Palestine a été plus élevée : 2,3 %, contre 1,8 % en Israël et 1,6 % dans la région MENAT.

En 2022, la Palestine compte autant d’habitants que le Liban, environ 5 millions, tandis que les Israéliens sont aussi nombreux que les Émiratis, environ 9 millions. C’est peu, comparé aux trois pays les plus peuplés de la région, l’Égypte, l’Iran et la Turquie qui abritent respectivement 111, 89 et 85 millions d’habitants, soit, ensemble, près de la moitié de la population de la zone.

 

L’insertion commerciale d’Israël

Dans cette région, Israël est aujourd’hui la seule économie avancée selon les critères du Fonds monétaire international. Ses habitants ne sont cependant pas les plus riches. Plusieurs pays du Golfe le sont davantage grâce à leur rente énergétique, notamment le Qatar dont le PIB réel par habitant en parité de pouvoir d’achat est pratiquement le double de celui d’Israël.

Forte de ses ressources énergétiques, la région commerce surtout avec des pays tiers (90 % de ses échanges en 2021), leur vendant des matières premières et leur achetant des produits manufacturés. Les échanges au sein de la région ont longtemps été limités en raison de la faiblesse du niveau de développement de la plupart des pays qui la composent, du peu de complémentarité de leurs spécialisations et des conflits qui s’y sont déroulés.

Mais depuis le début des années 2000, et à la suite notamment du décollage de l’industrie turque, qui a développé une large gamme de produits manufacturés à prix compétitifs, les flux intra-zone ont augmenté : ils représentent 10 % du commerce total des pays de la région en 2021, contre 4 % en 2000.

L’insertion commerciale d’Israël dans la région est plus forte : en 2021, 12 % de ses exportations y sont destinées et 14 % de ses importations en proviennent.

 

Deux partenaires jouent un rôle important dans ces échanges : la Palestine et la Turquie

La Palestine, qui reçoit plus de la moitié des exportations régionales d’Israël, se situe au troisième rang de ses clients au niveau mondial (6,5 % en 2021), après les États-Unis et la Chine (respectivement 26,8 et 7,9 %). C’est un commerce contraint en raison des restrictions et obstacles imposés par l’État hébreu aux échanges palestiniens avec le reste du monde.

La Turquie, après la Chine et les États-Unis, est le troisième fournisseur de l’État hébreu (respectivement 14,5, 11,5 et 6,8 % en 2021), auquel elle vend 65 % de l’acier qu’il consomme. En dépit de leurs difficultés relationnelles tenant notamment au conflit israélo-palestinien, les deux pays, liés depuis 1996 par un accord de libre-échange, ont jusqu’ici maintenu des échanges soutenus. Mais la guerre actuelle, qui secrète de part et d’autre des appels au boycott, tend à les réduire : les exportations de la Turquie vers Israël auraient chuté de moitié depuis début octobre dernier, selon le ministre turc du Commerce.

 

Le fulgurant essor des ventes de services innovants

S’en tenir aux échanges de marchandises offre cependant une vision biaisée de l’insertion d’Israël dans le commerce international. Ses ventes de services ont en effet connu un essor fulgurant au cours de la dernière décennie et représentaient en 2021 plus de la moitié du total de ses exportations (53 %), bien avant celles de produits électroniques (13 %) et chimiques (11 %).

Les services liés aux technologies de l’information et de la télécommunication (TIC) totalisent à eux seuls 41 % des exportations de biens et services de l’État hébreu. Suivent les exportations de services techniques et de conseil, dont l’un des postes est la recherche et développement (R&D), et, dans le secteur manufacturier, de produits électroniques à haute valeur ajoutée. Autant de spécialisations qui témoignent du poids de l’innovation dans l’économie israélienne. Selon le Centre du commerce international (agence conjointe de l’ONU et de l’OMC), les ventes de services liés aux TIC du pays s’adressent pour l’essentiel aux pays avancés.

L’essor du secteur des services liés aux TIC tient à la création volontariste d’un écosystème favorable. Dès 1992, le gouvernement israélien a investi 100 millions de dollars dans un fonds de capital-risque à vocation militaire, le programme Yozma (initiative en hébreu). Abondé par des fonds privés à hauteur de 11 milliards, ce programme a financé 168 start-up high-tech qui ont généré plus d’un milliard de dollars d’exportations en l’espace de douze ans. La dynamique ainsi enclenchée a fait d’Israël un hub technologique dans les domaines de la cybersécurité, des logiciels et des échanges de données, mais aussi de la pharmacie et de l’agriculture.

Cette dynamique a également été alimentée par les dépenses de la R&D engagées par l’État et par des fondations israélo-américaines créées dans les années 1970, à commencer par Bird (Binational R&D Foundation), BSF (Binational Science Foundation) et Bard (Binational Agriculture and R&D Fund). En 2020, selon l’OCDE, le financement des dépenses de R&D en Israël provenait pour 50 % de l’étranger, pour 40 % des entreprises israéliennes, pour 9 % du gouvernement et pour 1 % des institutions privées nationales à but non lucratif.

Ce modèle, qui a attiré environ 500 multinationales versées dans le high-tech, a aussi favorisé la création d’emplois technologiques dans l’ensemble de l’économie. Leur part dans l’emploi total salarié représente 14 % en 2022, contre 10,6 % en 2014.

 

L’aide internationale, poste clef du compte courant israélien

Le compte courant d’Israël révèle un autre aspect de l’évolution de son insertion internationale. En effet, les revenus secondaires reçus de l’étranger – l’aide extérieure, essentiellement – ont été cruciaux pendant la phase de développement de l’économie israélienne pour faire face à l’énorme déficit de la balance commerciale. Celle-ci a atteint plus d’un cinquième du PIB en 1975.

Grâce à la stabilisation macro-économique entreprise dans les années 1980 par Shimon Peres, le pays est ensuite entré dans un régime de croissance vertueux. Son déficit dans les échanges de biens s’est sensiblement réduit et, à partir des années 2000, les excédents engendrés dans les échanges de services (8 % du PIB en 2022) lui ont permis de dégager pour la première fois une capacité de financement durable. Aussi, le solde courant, positif depuis 2003, s’élève à 4 % du PIB en 2022 et le solde des revenus secondaires, toujours en 2022, ne représente plus que 2 % du PIB, contre 18 % en 1973, année de la guerre de Kippour.

Les États-Unis sont le premier apporteur de fonds à Israël, et Israël est le principal récipiendaire de l’aide américaine depuis 1976. D’après le dernier rapport du service de recherche du Congrès américain, le cumul de l’aide des États-Unis à Israël entre 1946 et septembre 2023 est de 159 milliards de dollars courants (260 milliards de dollars constants de 2021). De 1971 à 2007, une partie significative de cette aide relevait du soutien économique ; elle est désormais quasi exclusivement militaire.

Par ailleurs, depuis 1991, Israël est le seul pays autorisé par le Congrès à placer l’aide qui lui est accordée sur un compte rémunéré aux États-Unis. Enfin, depuis 2021 et jusqu’au déclenchement de la guerre actuelle, le Congrès a voté l’octroi à Israël de 3,3 milliards de dollars courants d’aide militaire par an. S’ajoutent à cette somme d’autres montants spécifiques à la défense aérienne (anti-missiles, Dôme de fer). En 2022, au total, les 4,8 milliards de dollars d’aide militaire votés par le Congrès américain représentent 80 % des crédits reçus par le gouvernement israélien au titre de la coopération internationale.

 

Une position extérieure nette très positive en 2022

Fondée sur d’importants investissements dans le high-tech et sur l’exportation de services haut de gamme vers les pays avancés, la spécialisation commerciale réussie d’Israël a contribué à une amélioration substantielle de sa position extérieure nette depuis une quinzaine d’années.

Cette jeune économie avancée dispose donc d’un excès d’épargne à l’instar de l’Allemagne. Autrement dit, les résidents en Israël ont accumulé à l’étranger plus de capitaux qu’ils n’en ont reçu du reste du monde. Leur patrimoine net s’élève ainsi en 2022 à 159 milliards de dollars, soit 30 % du PIB.

Cette épargne, confortable par temps de paix, pourrait-elle suffire en cas de prolongement de la guerre ?

Vous pouvez retrouver cet article sur le site de The Conversation France.

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Comment réconcilier les irréconciliables ?

Par : Benoit Malbranque — 4 décembre 2023 à 04:45

Un récent article sur l’islam m’a valu quelques critiques, et cette question ironique, si j’avais d’autres articles aussi curieux à proposer. Hélas oui, la mine n’en est pas épuisée.

Un jour les Israéliens seront à nouveau en paix avec leurs voisins palestiniens. Ils auront, on l’espère, exercé dans les bornes les plus strictes leur droit à la légitime défense, et employé avec mesure le dangereux appareil de la guerre. Mais la paix est un idéal négatif, qui n’évoque qu’un monde sans violence. Ne peut-on pas au surplus se respecter, s’entendre, se réconcilier ?

La géographie et l’histoire se mêlent pour dresser devant nous des situations difficiles. Lorsque les républicains chinois sont chassés du pouvoir, ils se réfugient sur une petite île à 160 kilomètres des côtes qu’ils doivent quitter, et ils y fondent un gouvernement de sécession. L’île de la Grande-Bretagne est séparée d’à peine 20 kilomètres des côtes d’Irlande, de sorte que par temps clair on en aperçoit les falaises. Français et Allemands ne sont séparés que par un fleuve de 200 mètres de largeur, bien faible rempart contre les velléités d’une armée. Il y a par le monde beaucoup de ces siamois politiques, qui sont forcés de vivre une cohabitation que souvent ils ne désirent pas.

Sur un même territoire (les États-Unis), les descendants de colons européens ont dû aussi apprendre à vivre au milieu des descendants d’esclaves qu’ils avaient transportés, opprimés puis émancipés, de même qu’avec les indigènes dont ils avaient accaparé les terres.

Solutionner les haines nationales, raciales, religieuses, peut se faire en s’appuyant sur le témoignage de l’histoire. Plusieurs auteurs de la tradition libérale française ont œuvré, en leur temps, à la réconciliation entre catholiques irlandais et anglicans, entre Noirs et Blancs aux États-Unis, notamment, et peuvent nous fournir des idées.

 

Les différents moyens de réconciliation

À les en croire, la première condition à obtenir est la suppression des barrières légales qui empêchent les peuples de s’unir d’eux-mêmes.

En Irlande, il fut un temps interdit à tout Anglais d’adopter le costume et jusqu’à la moustache irlandaise, de même que d’épouser une Irlandaise catholique. Un catholique ne pouvait occuper un emploi public, ni acquérir une propriété. Des barrières douanières s’assuraient que l’industrie textile irlandaise ne prospérait pas (Gustave de Beaumont, De l’Irlande, 1863, t. I, p. 43, 99, 111.). Il fallait donc, en priorité, obtenir l’abolition de ces lois.

La pratique stricte de la justice est, elle, essentiellement pacificatrice.

Aux États-Unis, écrit Charles Comte, ce n’est pas l’oubli de l’histoire, l’abolition des couleurs et des races, qu’il faut ambitionner, mais l’installation d’une justice impartiale et de l’égalité réelle devant la loi.

« Il faut faire, autant que cela se peut, que tous les hommes jouissent d’une protection égale ; il faut que les mêmes qualités ou les mêmes services obtiennent les mêmes récompenses, et que les mêmes vices ou les mêmes crimes soient suivis de peines semblables. » (Traité de législation, 1827, t. IV, p. 496).

L’orgueil de race, cependant, est lent à mourir. Pour le vaincre, il n’est peut-être guère d’autre recours que la liberté des mariages.

À son retour d’Amérique, Gustave de Beaumont soutient que « les mariages communs sont à coup sûr le meilleur, sinon l’unique moyen de fusion entre la race blanche et la race noire » (Marie ou de l’esclavage aux États-Unis, 1835, t. II, p. 317). Mais il faut pour cela vaincre à la fois l’opinion, qui réprouve ces unions, et la loi, qui parfois les interdit ou les déclare nulles.

La mobilisation de l’opinion publique contre les haines nationales, raciales, religieuses, est fortement appuyée par Frédéric Bastiat dans sa défense de la liberté des échanges. Ce sont pour lui des sentiments « pervers » et « absurdes », qu’il est plus encore utile d’éradiquer que le protectionnisme lui-même (Œuvres complètes, t. VI, p. 382 ; t. I, p. 167). Les deux maux se tiennent cependant : le libre-échange est pacificateur et unificateur de son essence, car il fait de l’étranger un ami (Idem, t. II, p. 271).

 

Ne pas céder au découragement

Les haines nationales, religieuses, raciales, paraissent toujours insurmontables aux générations qui les constatent et les combattent. Mais aussi elles meurent, ou faiblissent. L’Anglais et l’Irlandais ne forment pas une union fraternelle, mais le temps n’est plus où le premier enfermait des prisonniers dans des cavernes et y mettait le feu pour les enfumer, où l’autre exprimait sa vengeance en organisant le rapt et le viol des femmes ou des filles des propriétaires anglais qu’il voulait punir. De même la cohabitation des Noirs et des Blancs aux États-Unis a progressé.

Le libéralisme est porteur d’un idéal dont l’application est difficile, les victoires lentes et jamais acquises. Ce n’est pas un motif pour se décourager, mais pour œuvrer à un progrès qu’à peine peut-être nous entreverrons. La liberté, disait Édouard Laboulaye, est une œuvre qui ressemble à ces cathédrales qu’élevait le Moyen Âge : ceux qui les commençaient n’ignoraient pas qu’ils n’en verraient pas la fin. Ou, pour reprendre une autre image, empruntée à Edmond About, nous faisons la cuisine de l’avenir. Nous vidons les poulets et nous tournons la broche, pour que nos arrière-neveux n’aient plus qu’à se mettre à table et à dîner en joie.

À ce titre, combattre les haines nationales, raciales et religieuses, et accompagner les réconciliations, est une œuvre de la plus grande utilité.

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France-Inde : un partenariat de plus en plus stratégique

Par : The Conversation — 3 décembre 2023 à 04:30

L’auteur, Paco Milhiet, est Visiting fellow au sein de la Rajaratnam School of International Studies  (NTU-Singapour) et chercheur associé à l’Institut catholique de Paris (ICP)

 

« L’Inde aura un rôle déterminant pour notre avenir ; c’est aussi un partenaire stratégique et un pays ami », déclarait Emmanuel Macron quelques minutes après avoir décerné la grande croix de la Légion d’honneur au Premier ministre Narendra Modi le 14 juillet 2023, invité à assister au traditionnel défilé sur les Champs-Élysées.

Il est vrai que depuis la signature d’un partenariat stratégique en 1998, la relation bilatérale franco-indienne a connu un essor sans précédent dans plusieurs domaines : culturel, économique, diplomatique, mais surtout stratégique. L’énergie nucléaire, l’aérospatiale, la recherche et développement, l’exportation d’armements et les exercices militaires conjoints sont autant de secteurs clés qui favorisent le développement de cette relation.

Depuis 2018, ce partenariat stratégique intègre une forte dimension Indo-Pacifique. Par la voix de leurs chefs d’État respectifs, Emmanuel Macron et Narendra Modi, les deux pays ont, chacun, formalisé sa propre stratégie Indo-Pacifique en 2018, à quelques mois d’intervalle.

 

Une longue histoire commune

La France et l’Inde entretiennent une relation bilatérale ancienne, remontant au XVIIe siècle. À l’époque, Jean-Baptiste Colbert, ministre de Louis XIV, poursuivit l’ambition de bâtir un empire colonial en Asie du Sud. Cinq « comptoirs indiens » restèrent d’ailleurs sous souveraineté française jusqu’en 1954 : Pondichéry, Karikal, Yanaon, Mahé et Chandernagor.

Au XXe siècle, les deux pays ont maintenu de bonnes relations symbolisées par le respect exprimé entre leurs chefs d’État respectifs : Jawaharlal Nehru et Charles de Gaulle, Jacques Chirac et Indira Gandhi (parfaitement francophone), et désormais Emmanuel Macron et Narendra Modi (ce qui vaut d’ailleurs au président français des critiques régulières de la part des ONG de défense des droits humains, du fait de la politique conduite dans ce domaine par le Premier ministre indien).

Par ailleurs, la France a été l’un des seuls pays à ne pas condamner les essais nucléaires indiens en 1998 et soutient l’Inde dans son objectif de devenir membre permanent du conseil de sécurité de l’ONU.

Identifiables comme de « grandes puissances moyennes » selon une formule employée en 2009 par Valéry Giscard d’Estaing et qui semble toujours d’actualité aujourd’hui – l’Inde n’est toujours pas membre du Conseil de sécurité de l’ONU, les capacités opérationnelles de son armée sont limitées et la croissance de son économie compense à peine une démographie annuelle conséquente –, les diplomaties française et indienne ont régulièrement adopté des politiques étrangères convergentes, notamment lors de la guerre en Irak en 2003, marquées par une volonté d’autonomie stratégique dans la pratique de leurs politiques étrangères respectives et un rejet des politiques de blocs.

Si la France est aujourd’hui bien ancrée dans le camp occidental en tant que membre de l’OTAN, et l’Inde un acteur majeur du « sud global » à travers sa participation aux BRICS, les deux pays revendiquent toujours une politique étrangère indépendante.

Cette vision commune des relations internationales a permis à l’Inde et la France de développer un partenariat de défense approfondi.

 

Partenariat de défense

Au lendemain de son indépendance en 1947, l’Inde ne veut pas dépendre exclusivement de l’ancien colonisateur britannique. Elle se tourne alors vers la France pour acheter du matériel militaire. En 1953, 120 avions de chasse de type Ouragan sont achetés au constructeur aéronautique français Dassault. L’embargo déclaré en 1965 sur les ventes d’armes à l’Inde pour donner suite aux guerres indo-pakistanaises est levé côté français dès 1966. Depuis, les ventes d’armements français en Inde sont en pleine expansion.

Sur la période 2002-2023, la France est le deuxième fournisseur d’armement indien après la Russie, tandis que l’Inde est le principal client français. Plusieurs contrats sont emblématiques : six sous-marins de classe Scorpène « indianisés » réalisés par les chantiers de Bombay sont désormais en service et 36 avions de chasse Rafale ont été livrés entre 2020 et 2022.

En 2023, à l’issue du 14 juillet, l’Inde a annoncé l’acquisition de trois sous-marins et de 26 avions Rafale supplémentaires.

Exporter de l’armement n’est pas un acte neutre, dénué de tout intérêt politique, car cela entraîne une diffusion de standards d’entraînement, de culture opérationnelle, d’accoutumance technologique et de mise en application doctrinale. La vente d’armes verrouille une relation de défense à laquelle se superposent des intérêts géopolitiques et économiques.

À ces coopérations civilo-militaires s’ajoutent la multiplication d’exercices militaires bilatéraux et multilatéraux ainsi que la participation active à des forums régionaux (Indian Ocean Naval Symposium, Indian Ocean Rim Association).

 

Le tournant Indo-Pacifique

En 2021, l’AUKUS, un accord tripartite entre les États-Unis, l’Australie et le Royaume-Uni a entraîné l’annulation d’un contrat de sous-marin franco-australien. Depuis, la stratégie indo-pacifique française favorise le développement de ses relations avec les pays de l’océan Indien. Ce nouveau schème stratégique libère une marge de manœuvre pour la diplomatie française afin de renforcer ses liens avec d’autres pays de la zone, prioritairement l’Inde, désormais pierre angulaire de sa politique extérieure en Indo-Pacifique.

Preuve s’il en est, le 14 juillet 2023, le Premier ministre indien, Narendra Modi, était l’invité d’honneur du défilé militaire sur les Champs-Élysées. Des troupes indiennes ont défilé tandis que des Rafale indiens survolaient l’avenue parisienne.

Quelques instants plus tard, les diplomaties indienne et française publiaient un communiqué conjoint pour célébrer les 25 ans du partenariat stratégique. Intitulé « Horizon 2047 : 25e anniversaire du partenariat stratégique entre l’Inde et la France, vers le centenaire des relations franco-indiennes », une « feuille de route » énumérait 12 points comme autant de piliers d’une collaboration dans l’ensemble régional Indo-Pacifique : fonds marins, espace, coopération maritime, alliance solaire, campus franco-indien, Pacifique océanien.

 

L’île de La Réunion, laboratoire des relations franco-indiennes

Un territoire français de l’océan Indien, l’île de La Réunion, illustre cette nouvelle composante indo-pacifique de la relation franco-indienne.

La France, puissance riveraine de l’Indo-Pacifique à travers l’exercice de sa souveraineté dans ses collectivités d’Outre-mer, entend utiliser l’île de La Réunion comme un relais de la bonne entente franco-indienne. Une grande partie de la population réunionnaise est d’origine indienne, et un consulat indien sur l’île de La Réunion est ouvert depuis 1983. Depuis 2018, les deux pays ont signé un accord de coopération logistique donnant un accès à la base de La Réunion aux forces navales indiennes.

Des patrouilles conjointes impliquant un avion P8I indien sont régulièrement effectuées. Grâce à son champ d’action de 2200 km, cet appareil peut couvrir et surveiller depuis La Réunion toute la côte orientale de l’Afrique, y compris le stratégique Bab el-Mandeb et le détroit d’Ormuz, ce qui constitue une plus-value stratégique considérable pour les forces armées indiennes. L’île de La Réunion devient donc progressivement une plateforme stratégique de la collaboration militaire franco-indienne dans la zone.

Une collaboration dictée par les intérêts nationaux

Les stratégies française et indienne servent avant tout les impératifs nationaux propres à chacun des deux pays. Pour la France, il convient d’apparaître comme une puissance régionale légitime et de diversifier ses partenaires étrangers. Pour l’Inde, les relations tumultueuses avec le puissant voisin chinois et le rival pakistanais restent le facteur géopolitique déterminant.

Chaque stratégie comporte donc des spécificités et peut parfois restreindre les perspectives de collaborations franco-indiennes, notamment dans leur rapport avec les deux grandes puissances américaine et chinoise, et surtout vis-à-vis de la Russie, qui, depuis son invasion de l’Ukraine, reste un partenaire majeur de l’Inde.

Mais ces divergences n’affecteront pas la relation bilatérale à court terme. La relation franco-indienne reste au beau fixe, particulièrement en Indo-Pacifique.

 

Vous pouvez retrouver cet article ici

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Les multinationales françaises : des pépites à choyer

Par : IREF Europe — 2 décembre 2023 à 04:15

Un article de Philbert Carbon.

 

L’Insee dresse un portrait des multinationales françaises dans une note récente. Par firme multinationale française, l’institut désigne un groupe de sociétés (hors services non marchands et filiales bancaires) dont le centre de décision est situé en France et qui contrôle au moins une filiale à l’étranger.

 

Les multinationales françaises réalisent plus de la moitié de leur chiffre d’affaires à l’étranger

En 2021 (année sur laquelle porte la note), elles contrôlaient 51 000 filiales dans plus de 190 pays. Ces filiales employaient 6,9 millions de salariés, ce qui représentait 56 % des effectifs des firmes dont elles font partie. Elles réalisaient un peu plus de la moitié (52 %) du chiffre d’affaires consolidé total des firmes multinationales françaises, ce qui représentait 1566 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel consolidé. Précisons qu’il s’agit du chiffre d’affaires généré par les filiales présentes à l’étranger et non pas des ventes réalisées par la firme multinationale à l’étranger.

Le document nous apprend, par ailleurs, que les grandes firmes (celles qui emploient au moins 5000 personnes en France ou réalisent un chiffre d’affaires annuel consolidé sur le territoire national supérieur à 1,5 milliard d’euros) regroupent 43 % des filiales à l’étranger, emploient 76 % des effectifs et réalisent 83 % du chiffre d’affaires consolidé total.

Si l’Insee précise que les autres multinationales – de taille intermédiaire et de taille petite ou moyenne– réalisent la majorité de leur chiffre d’affaires en France, il n’indique pas le pourcentage exact du chiffre d’affaires réalisé à l’étranger pour chacune des catégories d’entreprises. Nous ne savons pas non plus quel est le nombre de ces multinationales. Deux informations pourtant essentielles pour bien appréhender le sujet !

La note de l’Insee datée du 13 décembre 2019, qui traite des données de 2017, était à cet égard plus complète. Nous savions alors que notre pays comptait 4600 multinationales, dont 160 grandes firmes et 1510 entreprises de taille intermédiaire (ETI). Les 3230 restantes étaient donc des sociétés dites de taille petite ou moyenne (c’est-à-dire employant moins de 250 personnes en France et réalisant un chiffre d’affaires annuel consolidé sur le territoire national inférieur à 50 millions d’euros).

Il faut se tourner vers le cabinet de conseil EY et son « Profil financier du CAC 40 » pour apprendre que l’activité internationale des entreprises composant l’indice phare de la bourse de Paris a représenté, en 2022, plus de 78 % de leur chiffre d’affaires. Certes, le chiffre ne porte que sur 40 entreprises et il ne mesure pas la même chose, mais il permet de comprendre que nos grandes entreprises n’ont besoin que marginalement de la France pour faire des affaires.

 

Les multinationales françaises sont surtout présentes en Europe

La note de l’Insee nous apprend également que les filiales des multinationales françaises sont, contrairement à ce que l’on croit souvent, essentiellement implantées dans les pays développés. Les trois premiers pays d’implantation, qui regroupent un quart des filiales, sont les États-Unis (10,2 % avec 5200 filiales), l’Allemagne (8 % avec 4100 filiales) et le Royaume-Uni (7,3 % avec 3700 filiales). La Chine occupe la cinquième place avec 5,5 % des filiales. Le top 10 – dans lequel figurent, outre les quatre pays déjà cités, l’Espagne, la Belgique, l’Italie, les Pays-Bas, la Suisse et le Canada – abrite 54,3% des filiales. Plus de la moitié des filiales sont implantées en Europe.

En termes d’effectifs, le classement est quelque peu différent, même si les Etats-Unis restent à la première place avec 10,9 % (et 754 000 salariés). Dans le top 10, nous voyons, en effet, apparaître des pays où le coût de la main-d’œuvre est réputé bas : l’Inde (7,5 % des effectifs, soit 520 000 personnes), le Brésil (7,5 %), la Pologne (3,4 %) et la Russie (2,8 %, mais c’était avant la guerre en Ukraine et l’embargo).

C’est sans doute ce qui explique que le coût salarial par tête dans les filiales implantées à l’étranger est en moyenne de 38 900 euros par an, contre 63 300 euros pour les établissements implantés en France.

Enfin, en ce qui concerne le chiffre d’affaires, les États-Unis occupent encore la tête du classement avec 325 milliards d’euros générés, soit 20,8 % du total. Ils sont suivis par l’Allemagne (8,8 % et 135 milliards), le Royaume-Uni (6,8 % et 107 milliards), l’Italie (6,4 % et 101 milliards), la Chine (6,1 % et 96 milliards). Les dix premiers pays – dans lesquels figurent aussi l’Espagne, la Belgique, la Suisse, le Brésil et les Pays-Bas – génèrent 68 % du chiffre d’affaires. Les filiales implantées dans l’UE ne produisent que 36,5 % du chiffre d’affaires à l’étranger des multinationales françaises (soit 572 milliards).

On remarquera, en rapprochant les différentes données, que le meilleur « rendement » est réalisé par les filiales américaines qui, avec moins de 11 % des effectifs, génèrent presque 21 % du chiffre d’affaires de l’ensemble des implantations françaises à l’étranger.

 

Où sont réalisés les bénéfices ?

En ce qui concerne les profits, la note de l’Insee est muette. C’est regrettable, car nous aurions pu ainsi apprécier si les multinationales françaises gagnent autant d’argent qu’on le dit dans les pays à bas coûts.

Néanmoins, nous pouvons nous référer à une étude de la Banque de France sur la contribution des investissements directs à l’étranger des groupes du CAC 40. Même si elle date de 2013 et qu’elle porte sur la période 2005-2011, elle est riche d’enseignements. Elle révèle, en effet, qu’en 2011, 60 % des résultats nets des groupes du CAC 40 étaient réalisés à l’étranger (alors que la proportion était d’environ 50 % en 2005). Douze groupes réalisaient même plus de 75 % de leurs profits à l’étranger (contre dix en 2005).

Plusieurs raisons expliquent cette hausse selon la Banque de France : bien sûr, l’augmentation des investissements à l’étranger ; probablement, une recherche d’optimisation fiscale qui a pu conduire certains groupes à enregistrer une part croissante de leurs profits dans des pays à fiscalité avantageuse ; et, raison la plus inquiétante, l’écart de compétitivité croissant entre la France et le reste du monde. Cet écart s’étant encore agrandi depuis 2011, il est ainsi probable que la part des bénéfices réalisés à l’étranger par les grands groupes français ait aussi augmenté. Si Total Énergies est accusé de ne payer que peu d’impôts en France (à peine 2 milliards d’euros sur les 30 milliards d’impôts et taxes acquittés au total), c’est bien parce que le groupe réalise la quasi-totalité de ses bénéfices à l’étranger

Même si investir et produire à l’étranger rapporte plus qu’en France, ces multinationales restent françaises. Cependant, le risque qu’elles transfèrent un jour leur centre de décision hors de France n’est pas nul. C’est pourquoi, le Gouvernement devrait les choyer. Au lieu de cela, il préfère les vilipender.

Dernièrement, Bruno Le Maire, le ministre des Finances, ne s’en est-il pas pris aux grands industriels de l’agroalimentaire qui font « des marges indues » ? Il y a un an, le président Macron ne montrait-il pas du doigt Total Énergies qui fait des « profits importants », distribue « beaucoup d’argent » aux actionnaires mais traîne des pieds pour ouvrir des négociations sur les salaires ? Le gouvernement n’a-t-il pas cherché à taxer les « superprofits » de l’armateur CMA-CGM, ou les raffineries de Total Énergies ?

Attirer à Paris les banques londoniennes ou le siège de la FIFA avec un régime de faveur est une chose, comme subventionner les usines de batteries (1,5 milliard d’euros pour ProLogium à Dunkerque). Il ne faudrait pas oublier nos pépites nationales. Rappelons-nous des déconvenues récentes de Bridor en Bretagne ou du groupe Duc en Bourgogne. Ces entreprises ne demandent pas l’aumône, mais simplement de pouvoir investir aussi en France et y gagner de l’argent !

Sur le web.

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[Enquête II/II] Les victimes de Wagner au Mali souhaitent le retour de Barkhane

Par : Loup Viallet — 1 décembre 2023 à 05:00

Cet article constitue la seconde partie de mon enquête sur le double ethnocide des Touareg et des Peuls au Mali, dont le premier volet a été publié le 20 novembre. Pour mieux comprendre l’effondrement sécuritaire et humanitaire que traversent les populations peules et touarègues du nord du Mali, j’ai interrogé les victimes de Wagner sur l’évolution de leurs conditions d’existence depuis le départ des Français.

Depuis deux ans, le régime putschiste installé à Bamako ne cesse d’accuser la France, tantôt de « néocolonialisme », tantôt d’« abandon », mettant en avant le slogan de la « souveraineté retrouvée du Mali ». Dans les faits, la junte de Bamako a transféré son autorité aux mains du groupe paramilitaire russe Wagner, et s’aligne publiquement sur les positions du Kremlin.

Au nord du Mali, les témoins Peuls et Touareg ont constaté une « amplification de l’insécurité » depuis le départ de Barkhane. Tous, à leur manière, m’ont confirmé que « les jihadistes ont repris du terrain » et que leurs attaques se sont « multipliées ». D’autre part, ils ont fait la connaissance des « monstres » de Wagner.

 

Les Forces Armées du Mali (FAMa) sous commandement russe ?

Sur le terrain en tout cas c’est limpide. Les témoins des crimes de Wagner ont pu observer à de nombreuses reprises la subordination des soldats maliens aux paramilitaires russes. Si les forces armées maliennes participent aux crimes de guerre des Wagner, il semble que les soldats maliens soient aussi victimes d’exactions de la part des paramilitaires russes.

Lorsque j’ai demandé aux victimes de Wagner de se souvenir comment ces derniers se comportaient avec les FAMa au moment des massacres et des pillages, j’ai entendu des réponses plus ou moins détaillées mais qui allaient toutes dans le même sens que celle donnée par ce berger peul : « les FAMa sont aux ordres des Wagner ».

Certains témoins ont décelé de la « frustration » parmi les militaires maliens tenus à l’écart lors des réunions de commandement ou forcés à obéir sous peine d’être torturés ou exécutés. Le 9 octobre 2023, à Anéfis, plusieurs civils ont vu 6 soldats maliens se faire égorger ou fusiller par des éléments de Wagner à la suite d’un désaccord sur le partage des biens pillés et sur le sort à réserver aux populations locales.

Le régime de Bamako n’a pas retrouvé sa souveraineté en rompant ses accords de coopération militaire avec la France. Il l’a transférée à une milice paramilitaire qui dirige, dans les faits, son armée régulière.

 

« Ne comparez pas Barkhane et Wagner. Ils sont comme l’eau et le lait » 

Les témoins Peuls et Touareg avec lesquels j’ai pu échanger ont vécu à proximité de bases militaires françaises qui ont été investies par le groupe Wagner et les Forces Armées Maliennes (les FAMa) à la fin de l’opération Barkhane. Ils décrivent l’arrivée de Wagner comme un changement de monde. Le professionnalisme de l’armée française a cédé la place à la barbarie des paramilitaires russes :

« La force Barkhane était respectueuse des gens, ils sont bien éduqués, polis. Barkhane aidait les gens. Wagner n’est comparable qu’avec l’armée malienne ou les terroristes. C’est des gens sans foi ni loi. »

« Barkhane ne s’attaque pas aux civils sans armes. Wagner attaque les civils et les animaux. Barkhane respect les droits de l’homme contrairement à Wagner à qui le gouvernement du Mali a donné carte blanche pour exterminer les touaregs et les arabes. »

« Wagner tue à sang froid, alors que barkhane au pire ils arrête et emmène les gens dans leur hélicoptère »

« Wagner et barkhane c’est ni le même comportement ni le même mode opératoire ni la même mission. Barkhane cherchais des terroristes. Tout ceux qui ont des liens avec les terroristes peuvent être arrêtés avec l’espoir de si aucune preuve irréfutable n’as été trouvé ils serrons remis en liberté mais Wagner c’est tout as fait le contraire. Tout ceux qu’elle croise en brousse sont des terroristes ou des rebelles qu’il faut abattre à tout prix. Tels sont les ordres qui leurs ont été donné par les militaires aux pouvoirs. »

« Barkhane donnait des médicaments et finançait des projets. Mais par contre Wagner brûlent, volent et torturent. »

 

Une armée régulière respectueuse des droits de l’Homme : avant son départ, l’armée française avait bâti des liens de confiance avec les populations locales

Au nord du Mali, le démantèlement de Barkhane a entraîné une hausse du chômage et de l’insécurité. Ceux qui ont côtoyé les soldats français témoignent de rapports respectueux et d’actions de solidarité qui contrastent considérablement avec les exécutions, les arrestations arbitraires et les pillages menés par le groupe Wagner :

« Barkhane respectait le DIH [Droit International Humanitaire] en t’arrêtant ils cherchaient d’abord les pièces d’identification, ils passaient tes doigts dans leurs machines ce qui permettait de t’identifier facilement, dès que cela est fait il te posait des questions de routines sur ton voyage, ta personne rien de compliqué. Mais c’est carrément tout le contraire avec Wagner qui est au service du gouvernement, il est en quelques sortes la Main de Guerre de ce gouvernement de Transition qui tue avec lâcheté les paisibles citoyens pour qui leurs seules crimes est l’appartenance au nord du Mali »

« Barkhane chez nous dans région Menaka et contribuait à la stabilite sociale. Elle faisait des patrouilles hors la ville et la ville était bien sécurisée. Ils organisaient des tournois entre eux et les quartiers et les quartiers entre eux même. Au faite l’idée de les chassés était une décision irréfléchie ils ont laissé un grand vide sur tout les plans »

« Les forces barkhane étaient présentes et avaient quelque interactions avec les populations en intervenant dans plusieurs domaine dont le principal était la sécurité mais aussi en faisant des programmes d’aide sociale. »

« Barkhane était dans notre zone. J’étais dans la zone de Bir Khan de 2014 à 2019, et je n’ai vu aucun mal de Barkhane envers les habitants. Au contraire, j’y vois un soulagement et une sécurité pour la zone. Par exemple, il a sécurisé la voie publique, et je ne l’ai jamais vu arrêter un innocent. Je les ai également vus effectuer des patrouilles d’infanterie à Birr presque la nuit. Il était 3 heures du matin, mais aucun d’eux ne m’a parlé. »

« Chez nous a douentza, barkhane finançait les projets, ils sont humains »

« Les forces barkhane nous soutenait, ils nous apportait les nourritures et médicaments »

 

La grande majorité des victimes de Wagner interrogées souhaitent le redéploiement de Barkhane au Mali

Les réponses des victimes de Wagner tranchent singulièrement avec la propagande anti-française de la Russie, et avec les mots durs de la junte bamakoise sur la coopération militaire entretenue ces dix dernières années avec la France.

À la question fermée « êtes-vous favorable à une intervention de l’armée française et des armées européennes pour neutraliser Wagner » je n’ai pas reçu une réponse négative. La grande majorité des témoins que j’ai interrogés m’ont répondu « oui » (« oui, que Dieu fasse », « Oui et dans le plus vite », « Oui, oui, oui, oui, oui », « oui, à 1000 % et je les soutiendrai de toutes mes forces », « totalement, oui »…) sans distinction d’ethnie ni de classe sociale. Qu’ils soient Peuls ou Touaregs, notables en exil, chômeurs, bergers, mères au foyer, les victimes de Wagner et de la junte bamakoise sont favorables au redéploiement de la mission anti-terroriste de Barkhane et ont vécu son retrait comme une « erreur » et un « abandon ». Sur l’ensemble des témoins que j’ai consultés sur cette question, je n’ai pas entendu une réponse négative. Un jeune commerçant et une mère au foyer Touareg ont apporté des nuances à l’élan d’enthousiasme que ma question suscitait chez leurs coreligionnaires. Le premier m’a confié douter que la France n’intervienne. Selon lui « Le problème est que Wagner représente la Russie et aucun pays du monde n’osera s’attaquer au Wagner car s’attaquer au Wagner c’est s’attaquer à la Russie « . La seconde m’a confié qu’elle était plus favorable à une solution diplomatique qu’à la « voie des armes et de la force ».

Il ne s’agit bien sûr que d’un symbole, leurs témoignages (rapportés, qui plus est) ne pouvant servir de mandat. Cependant leurs réponses permettent de nuancer la propagande anti-française déployée par les juntes sahéliennes, par les médias africains anciennement financés par la galaxie Prigogine et par les discours de Moscou présentant la France comme une puissance coloniale en Afrique.

Depuis 2016, la Russie a réinvesti le continent africain en se présentant comme une alternative à l’« impérialisme français » en Centrafrique, au Mali, au Burkina Faso… En instaurant un régime de terreur au nord du Mali, les paramilitaires de Wagner ont contribué à faire renaître un sentiment pro-français. La présence militaire française au Sahel n’a pas été sans bavures, mais contrairement à Wagner, les soldats français respectaient, soutenaient et protégeaient les populations locales. Et elles s’en souviennent.

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La crise de la fonction publique française : à qui la faute ?

Par : Élodie Messéant — 22 novembre 2023 à 05:30

Dans un rapport publié en novembre, la Cour des comptes dresse un bilan préoccupant de l’état de la fonction publique française.

Trois ans après la promulgation de la loi du 6 août 2019 sur la transformation de la fonction publique (LTFP), l’État peine à attirer, à recruter et à fidéliser les agents publics. La Cour note que « le nombre de fonctionnaires a diminué de 53 300 dans l’ensemble de la fonction publique, soit une baisse de 1,4 % par rapport à 2016. » La proportion d’agents contractuels dans les trois fonctions publiques est passée de 14 % en 2005 à 24 % en 2020. La fonction publique hospitalière représente, à elle seule, 49 % de la baisse de fonctionnaires entre 2016 et 2020 (- 26 200 agents, soit une baisse de 3,1 %).

La Cour relève en effet un suivi partiel et défaillant de la LTFP.

En principe, cette loi était censée améliorer significativement l’attractivité de la fonction publique :

  • davantage de mobilité chez les fonctionnaires via des changements de poste,
  • introduction d’une rupture conventionnelle pour simplifier les départs volontaires,
  • plus grand recours aux contractuels pour plus de flexibilité dans le recrutement,
  • promotion de la formation continue,
  • valorisation des compétences.

 

Malgré les dispositions facilitant le recrutement contractuel, peu de CDI en primo-recrutement ont été conclus, et seulement 1900 contrats de projet en CDD ont été signés dans la fonction publique d’État.

Un aspect fondamental de cette réforme est resté en suspens : le respect de la durée légale du travail des agents. Des dérogations au droit commun maintiennent des régimes favorables aux fonctionnaires, compromettant l’efficacité du contrôle de légalité exercé par les préfectures. Certaines administrations et collectivités locales ont établi des régimes dérogatoires leur permettant de travailler moins de 1607 heures par an. Malgré les dispositions de la LTFP visant à les supprimer, certains secteurs ou entités ont conservé ces pratiques.

Des collectivités locales ont pu maintenir des cycles de travail inférieurs à la durée légale, arguant de sujétions particulières, comme la commune de Champs-sur-Marne (agents des routes, agents en charge de l’entretien ménager, agents des collèges, etc.) ou la commune d’Oissel qui a « supprimé des jours de congés, mais en a institué d’autres dans le cadre de la mise en place de nouveaux cycles de travail. » D’autres n’ont aucun scrupule à adopter des dispositifs illégaux, comme la commune de Méricourt, qui refuse de mettre en œuvre la délibération du conseil municipal et continue d’appliquer un régime antérieur. En 2022, c’est la mairie de Paris qui se voyait contrainte d’appliquer les 35 heures à ses agents : le tribunal administratif avait annulé les trois jours de RTT supplémentaires qu’elle leur donnait au nom d’une pénibilité spécifique liée au fait de travailler dans la capitale.

Une fois de plus, la fonction publique française fait office d’exception culturelle : le nombre moyen d’heures de travail des fonctionnaires des administrations centrales s’élève à 1620 par an en France selon l’OCDE, contre 1814 en Allemagne, 1739 en Suède ou 1685 au Royaume-Uni. Cela n’empêche toutefois pas une certaine gauche de penser que le statut de la fonction publique serait menacé par « des années de néo-libéralisme et d’austérité », et non par une gestion archaïque qui dilapide les comptes publics. 

☐ ☆ ✇ Contrepoints

Refusons fermement de tomber dans le piège du régime iranien, qui essaie d’échapper à son inévitable renversement

Par : Hamid Enayat — 22 novembre 2023 à 05:00

Il est évident que les kilomètres de tunnels souterrains complexes et coûteux, les arsenaux de missiles et les usines de fabrication de drones ne sont pas l’œuvre du Hamas seul. Pourtant, les partisans de la politique complaisance vis-à-vis du régime iranien ont initialement tenté de nier toute implication de ce dernier dans le conflit, malgré les preuves accablantes.

Dans cette guerre où des enfants innocents sont victimes, le grand bénéficiaire jusqu’à maintenant est Ali Khamenei, et non Israël. Indépendamment de son auteur, chaque crime de guerre renforce Khamenei qui l’utilise pour éviter l’effritement de ses forces, motiver ses troupes et attiser la haine dans la région. Le mollah Hamid Rassaei a même admis que la mort de milliers de personnes à Gaza servirait les intérêts du régime des mollahs.

 

Téhéran se nourrit de la souffrance des innocents

Malgré ses efforts, Israël risque de perdre face à une menace bien plus grande : le terrorisme issu de Téhéran, qui sévit depuis quarante ans. Tel un Dracula, ce régime se nourrit de la souffrance des innocents, y compris celle des enfants iraniens envoyés sur les champs de mines durant la guerre Iran-Irak.

Le terrorisme et la bellicosité ont été institutionnalisés sous le gouvernement des Mollahs, notamment avec la création de la Force Al-Qods pour diriger des milices à l’étranger. La guerre actuelle offre un choix critique : celui de la paix ou de la guerre prolongée. La paix nécessite la reconnaissance mutuelle d’Israël et de la Palestine, conformément à la résolution 222 de l’ONU, tandis que la guerre risque de s’étendre et de causer davantage de pertes.

L’éradication du Hamas pourrait être possible, mais cela ne fera qu’alimenter des groupes encore plus radicaux, soutenus par Téhéran. Le véritable enjeu reste la propagation de l’antisémitisme, y compris dans les pays occidentaux.

 

Khamenei tire profit des hostilités entre Israël et le Hamas

Le régime des mollahs craint l’expansion de la guerre et évite d’impliquer le Hezbollah pour ne pas aggraver la situation. Cependant, il continue de soutenir les hostilités entre Israël et le Hamas, sans vouloir déclencher un conflit majeur. Khamenei cherche à maintenir cette tension, la transformant en un affrontement entre le monde islamique et l’Occident. Dans son discours, il a souligné que le monde islamique doit soutenir les Palestiniens.

Il tente de détourner l’attention de la menace de renversement de son propre régime, exacerbée par des émeutes en Iran depuis 2017. La prétendue destruction d’Israël n’est qu’un prétexte pour alimenter la guerre et mobiliser des forces dans la région. Khamenei n’a jamais eu l’intention réelle de déclarer la guerre à l’Amérique ou de s’opposer directement à Israël, car cela signifierait sa chute.

En Iran, les mollahs n’ont pas réussi à mobiliser la population contre Israël. Les Iraniens, écrasés par des décennies de guerre et de terrorisme, ainsi que par la faim et la pauvreté, refusent d’être manipulés par Khamenei.

 

Le régime des mollahs a des pieds d’argile

Malgré les apparences, le régime des mollahs est dans un état de faiblesse extrême. Alejo Vidal Quadras, un ex-député européen critique du régime iranien, a récemment été la cible d’une tentative d’assassinat à Madrid, attribuée aux mollahs de Téhéran. Le régime, acculé par une insurrection sans issue, est contraint de faire face aux conséquences de ses actes.

Ali Khamenei, à l’instar d’autres dictateurs, a récemment limité son cercle de pouvoir en écartant certains députés. Le régime est confronté à une révolte persistante, alimentée par des facteurs économiques et culturels profonds. Selon un rapport interne divulgué, Khamenei envisage de créer une crise hors des frontières pour détourner l’attention, notamment en ciblant les pays arabes en vertu de l’accord d’Abraham, tout en intensifiant la répression interne.

La véritable guerre au Moyen-Orient est celle entre le régime iranien et sa population. C’est un combat pour libérer l’Iran des griffes des fascistes religieux et pour apporter la paix dans une région en proie au chaos et à la crise. Nous devons nous concentrer sur ce conflit crucial.

☐ ☆ ✇ Contrepoints

C’était Mark Rutte : un bilan de ses 13 ans à la tête des Pays-Bas

Par : Pieter Cleppe — 21 novembre 2023 à 05:00

À l’approche des élections néerlandaises du 22 novembre, il convient de faire le point sur les réalisations de l’homme qui domine la politique néerlandaise depuis 13 ans : Mark Rutte.

Rutte est devenu Premier ministre néerlandais pour la première fois en 2010. Tout au long de ses quatre mandats, il s’est révélé être un véritable caméléon politique. Il n’a pas hésité à s’appuyer sur les sièges du populiste de droite Geert Wilders dans son premier cabinet, ni à faire d’importantes concessions au parti vert D66, de plus en plus à gauche, dans ses troisième et quatrième cabinets.

Sur le plan économique, les Pays-Bas ont connu une croissance modérée sous Rutte, ce qui s’explique aussi par le fait que la charge fiscale a invariablement augmenté sous ses gouvernements, ce dont un politicien libéral ne peut guère être fier. La crise liée au covid, au cours de laquelle Rutte a approuvé le modèle d’enfermement qui a échoué, ne peut l’excuser qu’en partie.

En termes de politique énergétique, les gouvernements Rutte ont été ambigus, avec d’une part une ouverture à l’énergie nucléaire neutre en CO2, et d’autre part la décision de construire de nouvelles centrales nucléaires, mais de fermer le plus grand gisement de gaz d’Europe, à Groningen.

Selon les opposants, cette dernière décision a été prise « sans analyse rationnelle des coûts et des bénéfices ».

En outre, elle est de toute façon discutable, étant donné les craintes majeures de pénurie de gaz en Europe l’année dernière, alors que l’industrie européenne continue de souffrir d’une énergie chère, et que les Pays-Bas eux-mêmes, comme d’autres États membres européens, concluent des contrats de gaz à long terme avec des fournisseurs tels que le Qatar.

 

Le pas de deux européen de Mark Rutte

En termes de politique européenne, le manque de courage de Mark Rutte a fait le tour de la question.

D’un côté, il était l’homme qui menaçait de ne plus envoyer d’argent à la Grèce en faillite, ce qui aurait pu faire exploser la zone euro, mais il a fini par signer à la croisée des chemins en 2015 pour la Grèce, et en 2020, pendant la crise du covid, il a abandonné son opposition au soi-disant « Corona Recovery Fund« , un nouveau fonds européen d’un milliard de dollars. 

Ce dernier point pourrait être la plus grande tache du bilan de M. Rutte d’ici quelques années.

Le fait que la Cour des comptes européenne critique aujourd’hui l’audit du fonds de relance, y compris le « manque de responsabilité » dans l’utilisation de l’argent des citoyens de l’UE, n’est pas une surprise, compte tenu des mises en garde formulées lors de la création du fonds. Le plus gros problème, cependant, est que le fonds risque de devenir permanent.

La différence entre ce fonds, qui fournit 800 milliards d’euros de prêts et de subventions aux États membres de l’UE, et la plupart des autres dépenses européennes, est que ce soi-disant « mécanisme de relance et de résilience » (RRF) n’est pas financé par les transferts de fonds des États membres de l’UE mais, au contraire, par l’émission d’une dette commune par la Commission européenne, ce qui a fait l’objet de doutes juridiques, qui, bien sûr, n’ont finalement pas empêché la poursuite de l’opération.

En effet, dans plusieurs années, ces dettes devront être remboursées par la Commission européenne aux créanciers qui ont acheté ces « euro-obligations » de facto, et jusqu’à présent, il n’a pas été décidé comment les États membres paieront pour cela. Bien sûr, il est écrit dans les étoiles que les États membres, de plus en plus à court d’argent, voudront éviter un simple transfert à la Commission et ne seront peut-être pas enclins à permettre à la Commission européenne de faire payer directement les citoyens européens pour collecter l’argent. Il ne reste donc qu’une seule option : contracter un nouvel emprunt pour rembourser l’ancien, ce qui est déjà une pratique courante dans le financement des gouvernements nationaux.

En pratique, cela signifie que le Corona Recovery Fund deviendra un fonds permanent. Éviter une telle chose, cependant, était la condition posée par M. Rutte en 2020 pour accepter ce fonds souhaité par Angela Merkel.

Bien sûr, nous ne savons pas s’il en sera ainsi, mais les dirigeants nationaux, qui devront décider, auront tout intérêt à le faire. En outre, ils sont incités à financer désormais les dépenses européennes par le biais de ce fonds de relance plutôt que par le biais du budget européen traditionnel. En effet, cela permet d’éviter les querelles incessantes sur les contributeurs nets et les bénéficiaires nets – avec le Fonds de relance Corona, tout cela est beaucoup plus flou – et il n’est pas nécessaire de trouver de l’argent dans le budget national. Après tout, ce sont les petits-enfants qui paieront la facture, par le biais d’une dette européenne accrue. Même si les investisseurs internationaux n’étaient pas suffisamment intéressés par la dette européenne, il existe une solution : la Banque centrale européenne (BCE) peut simplement imprimer de l’argent, et les épargnants paient la facture par le biais de l’inflation, qui n’est pas toujours facile à refléter dans les statistiques. 

 

Un bilan international approximatif

Mark Rutte se voit peut-être déjà occuper un poste international important, comme celui de secrétaire général de l’OTAN, mais son bilan international n’est pas très impressionnant.

Il a également perdu des points lors de l’événement du Brexit. M. Rutte était considéré par le Premier ministre britannique David Cameron comme l’allié le plus fiable pour introduire des réformes européennes afin de garantir le maintien des Britanniques dans l’UE ; également parce que, selon les sondages, les Néerlandais, comme les Britanniques, étaient favorables aux réformes demandées par le Royaume-Uni. En bref, il s’agissait de renforcer le contrôle national sur l’élaboration des politiques de l’UE et d’empêcher une dangereuse centralisation du pouvoir.

Tout au long des 13 années de pouvoir de Mark Rutte, le nombre de Néerlandais souhaitant que l’UE ait moins de pouvoirs est passé de 46 à 54 %, mais dans la pratique, l’UE n’a fait qu’accroître ses pouvoirs.

En pratique, dans les années qui ont précédé le référendum britannique de 2016, M. Rutte a à peine fait un effort pour aider M. Cameron, tout comme Angela Merkel. Le seul à avoir fait un effort a été le gouvernement polonais, en permettant aux États membres de l’UE d’avoir un peu plus de contrôle sur certaines prestations sociales pour les migrants d’autres États membres de l’UE à partir de maintenant. Étant donné le grand nombre de Polonais vivant au Royaume-Uni, on pouvait s’attendre à ce que certains d’entre eux soient affectés, mais le gouvernement polonais a compris l’importance géopolitique du Royaume-Uni, ce que Rutte et Merkel ont tout simplement ignoré, mais qui est devenu évident depuis la guerre en Ukraine. 

Après le référendum sur le Brexit, M. Rutte a semblé se réveiller, jouant un rôle important pour éviter les perturbations et certainement un Brexit « sans accord ». Ce qui est également à mettre au crédit de M. Rutte, c’est son soutien au programme « Mieux légiférer » de la Commission européenne, y compris pendant la présidence néerlandaise de l’UE en 2016. Malheureusement, cette initiative a été édulcorée, et le commissaire néerlandais responsable de ce programme, le social-démocrate Frans Timmermans, s’est révélé peu de temps après être un véritable zélateur du climat pour lequel il n’y a jamais assez de nouvelles règles. M. Rutte mérite également d’être pointé du doigt, car c’est lui qui a nommé M. Timmermans commissaire européen en 2019, alors que ce n’était absolument pas nécessaire, puisque le parti de M. Timmermans ne faisait même pas partie du gouvernement néerlandais à l’époque. 

 

Rutte aura trébuché sur la politique de l’azote

Le manque d’assurance de M. Rutte au niveau européen a également eu des conséquences majeures au niveau de la politique intérieure.

Les mesures extrêmes de son gouvernement en matière d’azote allaient d’une restriction nationale de 100 kilomètres par heure sur les autoroutes à des plans de fermeture d’exploitations agricoles à grande échelle. L’idée est que le contribuable devra payer 25 milliards d’euros pour indemniser ces exploitations. Tout cela a suscité de telles protestations que le parti agricole BBB est devenu le plus grand parti du pays lors des élections provinciales du printemps 2023. La question n’est toujours pas résolue. 

Même si des erreurs nationales ont été commises en termes de politique de l’azote, le cœur du problème se situe toujours au niveau de la politique européenne, où il est extrêmement difficile de modifier les zones naturelles une fois qu’elles ont été établies à la demande des règlements de l’UE. En 2020, l’ancien ministre néerlandais des Affaires étrangères Maxime Verhagen, alors président de l’industrie néerlandaise de la construction, a demandé au Premier ministre Rutte de se rendre à Bruxelles pour parler des zones Natura 2000, en déclarant : « Les zones naturelles doivent être plus robustes et moins vulnérables […] Utilisez votre droit de veto ».  

Hormis quelques tentatives timides de consultation avec la Commission européenne, M. Rutte n’a jamais osé mettre cette question sur la table avec ses collègues chefs de gouvernement. Et ce, en dépit de son importance pour l’économie néerlandaise, et du fait que les Pays-Bas sont à peu près le plus grand contributeur net européen par habitant.

 

Rutte fut favorable au libre-échange

Rutte a fait preuve de fermeté en ce qui concerne le soutien au libre-échange international. Bien que le Parlement néerlandais a protesté contre l’accord de libre-échange Mercosur avec les pays d’Amérique latine, son parti lui a apporté un soutien indéfectible. Après qu’un référendum sur le traité UE-Ukraine en 2016 a mis en lumière les craintes qu’il inclut une forme de coopération politique avec l’Ukraine, y compris des passages ambigus sur la coopération militaire, M. Rutte s’est montré créatif et a obtenu une déclaration indiquant clairement que l’intention était purement économique.

Au début du mois, dans les dernières semaines de sa présidence, M. Rutte a plaidé au niveau de l’UE en faveur de la reconnaissance des normes utilisées par les exportateurs d’huile de palme d’Asie du Sud-Est pour lutter contre la déforestation. Le refus de l’UE de le faire avait déclenché un conflit commercial de haut niveau avec la Malaisie et l’Indonésie, cette dernière ayant même décidé en mai de geler les négociations commerciales avec l’Union européenne. Cette situation est d’autant plus problématique qu’il est primordial pour l’Occident de maintenir de bonnes relations avec cette région en ces temps de tensions croissantes avec la Chine. Le CCI, une agence conjointe des Nations unies et de l’Organisation mondiale du commerce, a averti au début de l’année que l’approche de l’UE pourrait avoir un effet « catastrophique » sur le commerce mondial, car les petits producteurs en particulier risquent d’être « coupés » des flux commerciaux. 

Le fait que le Royaume-Uni reconnaisse le programme local de certification « Malaysian Sustainable Palm Oil (MSPO) » est une preuve supplémentaire qu’une telle approche est la bonne chose à faire, d’autant plus qu’au début de l’année, Global Forest Watch a révélé que la Malaisie faisait de grands progrès en matière de réduction de la déforestation. Il est donc agréable de voir que M. Rutte s’oppose à la tendance de l’Union européenne à saper les relations commerciales par des exigences de plus en plus élevées en matière de réglementation environnementale et sociale, même si le passé prouve que l’intensification des échanges ne fait qu’améliorer les préoccupations environnementales et sociales au niveau local. 

 

Une formation difficile du gouvernement se profile à l’horizon

Le paysage politique néerlandais est désespérément fragmenté. La solution évidente serait de modifier le système électoral pour passer à un système de vote majoritaire, ou d’accorder une sorte de prime au parti le plus important, mais rien de tel n’a été fait. 

À l’heure actuelle, le parti agricole BBB a déjà reculé dans les sondages et, toujours selon les mêmes sondages, le Nieuw Sociaal Contract (NSC) de Pieter Omtzigt deviendra le plus grand parti. Omtzigt est un homme politique démocrate-chrétien très respecté qui a réussi à faire tomber le troisième cabinet Rutte à la suite d’un scandale et qui a ensuite créé son propre parti. Omtzigt est idéologiquement au centre, mais il a donné l’impression d’être plus intéressé par un cabinet de centre-droit, avant de le nier par la suite. La préférence de M. Omtzigt sera déterminante pour les chances de Frans Timmermans, qui a quitté la Commission européenne dans l’espoir de devenir Premier ministre pour l’alliance des sociaux-démocrates et des Verts, mais qui a peu de chances d’y parvenir, selon le journaliste expérimenté Syp Wynia.

Pour sa part, Omtzigt déclare également qu’il ne souhaite pas nécessairement occuper cette fonction, par reconnaissance pour le Parlement. Il n’hésite pas non plus à sinspirer du modèle scandinave des cabinets minoritaires, d’autant plus que cela pourrait renforcer le rôle du Parlement, en obligeant les hommes politiques à prendre des décisions basées sur le fond.

Selon toute vraisemblance, il s’agira d’une formation particulièrement complexe. Même si un certain nombre de partis de centre-droit obtenaient ensemble la majorité à la Chambre basse et gouvernaient ensuite avec le populiste de droite Geert Wilders, qui envoie ouvertement des signaux indiquant qu’il souhaite être modéré, il est tout à fait possible qu’une telle constellation ne bénéficie toujours pas d’une majorité à la Chambre haute. C’est pourquoi les partis politiques néerlandais s’attendent à de nouvelles élections en 2025.

 

La crise de l’azote se profile : il s’agira de la gérer habilement

Quel que soit le candidat au pouvoir, il devra au moins s’attaquer à la crise de l’azote. Même le zélateur du climat Frans Timmermans s’est déjà engagé à abandonner l’objectif de réduction de moitié de l’azote d’ici à 2030, largement considéré comme particulièrement délicat. Cependant, comme Mark Rutte n’a pas réussi à mettre ce dossier sur la table diplomatique européenne, tout gouvernement sera confronté aux mêmes contraintes que l’administration sortante. Les doux guérisseurs font des plaies nauséabondes.

☐ ☆ ✇ Contrepoints

Viticulture, le temps des vaches maigres

Par : Armand Paquereau — 20 novembre 2023 à 05:15

Avec 45,6 millions d’hectolitres de vin produits en 2022, juste derrière l’Italie (49,8) et devant l’Espagne (35,7), la viticulture française représente un secteur économique majeur pour notre pays.

Le marché des vins et spiritueux regroupe plus de 700 000 emplois, soit 2,3 % de la population active en 2022. Il se traduit par un chiffre d’affaires de 22,82 milliards d’euros pour cette même année. Avec 17,2 milliards d’euros issus de l’exportation, le secteur est un acteur majeur dans notre économie, sachant que la balance commerciale globale française accuse pour cette année 2022 un déficit record et abyssal de 164 milliards d’euros.

 

Un avenir inquiétant

Dans un univers mondial où l’offre et la demande font et défont les marchés, il est intéressant de regarder l’état des équilibres.

Sur ces deux graphiques superposés dans les valeurs et dans le temps, il apparaît clairement que la production est en moyenne excédentaire de 14 % sur la consommation.

La variabilité annuelle des productions s’explique par les conditions climatiques et les variations extrêmes résultent des aléas de la météo (gelées printanières, grêle, excès de sécheresse, attaques de mildiou, oïdium ou insectes ravageurs). Il semble qu’avec des excès météo cumulés, l’année 2023 atteigne des records de baisse de rendements. Les vignerons du sud-ouest ont subi d’énormes pertesà cause de la grêle et le mildiou. Les parcelles conduites en Bio ont été les plus sensibles, les fongicides systémiques leur étant interdits. Les vignerons ont été pris en ciseaux entre la nécessité de traiter plus souvent pour pallier le lessivage du cuivre par la pluie, et la dose de ce dernier limitée par la réglementation.

Le 8 novembre dernier, les 122 députés présents ont voté à l’unanimité un amendement qui permet la mise en œuvre d’un fonds d’urgence sous minimis de 20 millions d’euros pour accompagner les viticulteurs victimes des dégâts du mildiou. Cette aide est plafonnée à 20 000 euros sur trois années glissantes.

 

Les vignerons bordelais en crise

Durement touché par une baisse de 32 % de consommation du vin rouge, (93 % des consommateurs préfèrent le vin blanc), le vignoble bordelais, composé à 85 % de cépages rouges, a subi de plein fouet cette récession.

En accord avec l’interprofession, une cellule de crise à la préfecture de la Gironde a permis de décider le 17 avril 2023 un arrachage de crise qui concernera un tiers des vignerons. Ce projet sera financé à hauteur de 38 millions d’euros par l’État, 10 millions par la région, et 9 millions par l’interprofession qui s’appuiera sur un prêt remboursable en 20 ans.

Le vignoble de Bordeaux comprend 117 500 hectares de vignes répartis en 37 AOC. Ce plan 2023 concernera l’arrachage d’environ 9500 hectares de vignes en capacité de produire à hauteur de 6000 euros par hectare. En effet, la crise qui dure depuis plusieurs années a conduit certains vignerons à laisser des parcelles à l’abandon pour limiter les frais et tenter de retarder la faillite. Si les besoins dépassent le budget alloué, les quelques 333 viticulteurs s’étant déclarés décidés à arrêter, représentant 6400 hectares, seront servis en priorité. Un plan d’assainissement du vignoble qu’a déjà connu l’appellation Cognac il y a quelques années.

L’abandon d’entretien de leurs vignes par certains a d’ailleurs aggravé la situation des vignerons voisins, car non préservées des maladies et des insectes ravageurs (mildiou, cicadelles de la flavescence dorée), ces parcelles ont été des ilots de contamination et de propagation. 2023 a vu la récolte de certaines parcelles totalement anéantie par le mildiou.

 

Changement des habitudes des consommateurs

Le cliché du Français avec son béret, sa baguette de pain et sa bouteille de rouge a vécu. Les goûts des consommateurs évoluent au gré de la publicité, des messages gouvernementaux et des influences des réseaux sociaux.

Ce graphique démontre clairement que si la consommation de spiritueux a peu varié depuis 62 ans, la consommation de vin a chuté de 71,5 %. Mais celle de la bière a tendance à augmenter depuis 2016. Les Français consomment moins et privilégient les signes de qualité (AOC, HVE, Bio) dont le prix limite la quantité dans les budgets.

Cette tendance n’est pas sans incidence pour les vignerons. En effet, les contraintes liées aux labels, notamment en Bio, augmentent les coûts de production, limitent les rendements (phytos et fertilisants limités ou bannis) et entraînent des frais de certification quelquefois conséquents et toujours répétitifs.

 

La concurrence étrangère

Tous les producteurs étrangers soutiennent des actions de promotion dynamiques, tant au niveau de la qualité que du marketing. Un accord commercial exonère des droits de douane l’importation en Chine de vins australiens, alors que les vins français sont taxés à 14 %. Il en résulte une augmentation de 60 % de l’importation des vins australiens en Chine.

Les producteurs étrangers bénéficient de conditions de production plus favorables. Les réglementations environnementales sont généralement moins contraignantes, les salaires et les charges sociales moins élevés, la lutte antialcoolique moins prégnante.

Les facteurs de compétitivité des prix sont détaillés dans une étude de France-Agrimer (p18-22). Il en ressort pour les principaux : coût de la main-d’œuvre plus élevé, des pratiques culturales, exigences environnementales excessives, taxation foncière et successorale ruineuse.

La nouvelle réglementation des ZNT (Zones Non Traitées) est un lourd handicap pour l’agriculture française, et encore plus pour la viticulture. Les vignes voisines d’habitations (dont certaines ont été construites sans distance de retrait) ne peuvent être protégées des maladies et des prédateurs sur des distances de 10 à 20 mètres selon les produits phytos utilisés. Les surfaces concernées doivent être arrachées pour ne pas devenir des noyaux de contamination et de propagation.

 

Une éclaircie passagère

Le remède de cheval du Bordelais a déjà été appliqué dans le vignoble du cognac.

En 1997, un plan d’adaptation viticole d’arrachage, de surgreffage ou de diversification pour épurer 15% de la superficie du vignoble et les écarter de la surproduction de cognac avait été mis en place par l’interprofession. L’arrachage définitif, sans droit de replantation avait été financé par des primes de l’État et de Bruxelles.

L’équilibre n’a été retrouvé qu’une dizaine d’années plus tard. Puis, la conjoncture économique étant devenue favorable, le négoce de l’interprofession a fait pression sur la famille viticole d’abord pour augmenter le quota de production qui a atteint 14,73 hectolitres d’alcool pur par hectare en 2022, pour une production réelle de 12,86 Hl/AP/Ha.

Mais les arbres ne montent pas au ciel. L’euphorie d’une dizaine d’années de croissance des ventes est en train de produire les effets habituels :

 

Comme on le voit ci-dessus, lorsque la production est trop excédentaire par rapport aux ventes, les cours s’effondrent.

Sur le second marché de la place de Cognac (transactions hors contrats avec les grandes maisons) on voit déjà les cours s’effondrer de moitié. Certains viticulteurs en contrat avec les grandes maisons se voient en 2023 refuser des échantillons. Le « mauvais goût de surproduction » est mortifère. Et ce n’est qu’un début…

Malgré l’écart délétère du graphique, l’interprofession s’est accordée depuis 2018 16 836 hectares de plantations nouvelles, soit une augmentation de plus de 20 % de son potentiel de production. Ces plantations ne sont pas encore toutes en production. Le delta production/ventes s’aggravera d’autant, et la viticulture charentaise risque de plonger dans les affres de sa voisine bordelaise. Les hommes ont la mémoire courte, et les anciens ne sont pas écoutés. La production des 30 000 hectares de plantations en appellation cognac des années 1970 a mis vingt années à être écoulée, malgré les arrachages massifs qui avaient suivi.

Si faire et défaire c’est toujours travailler, bien gérer c’est prévoir et anticiper.

 

 

☐ ☆ ✇ Contrepoints

Droits de l’Homme : le double discours de Juan Branco

Par : Gabriel Robin — 18 novembre 2023 à 05:30

Les questions des droits de l’Homme et de la morale en matière de politique internationale ont été particulièrement instrumentalisées ces dernières années. Les commentateurs et acteurs de la vie politico-médiatique ne sont pas rares à s’être contredits sur ces questions, invoquant alternativement la morale universelle et la rhétorique réaliste des intérêts, fonction des belligérants d’un conflit.

Cas particulièrement exemplaire de cette disposition d’esprit fallacieuse, l’avocat Juan Branco s’est ainsi illustré par de constants et fréquents discours humanitaires concernant diverses situations de politique internationale, tout en s’affranchissant des principes qu’il professait pour d’autres cas.

 

Ukraine : l’angle mort de l’hypocrisie tiers-mondiste

Ainsi, en août 2022, dans un entretien accordé à VA+, il affirmait dans son style toujours grandiloquent que le soutien français à l’Ukraine allait contre nos intérêts nationaux, demandant aux spectateurs de s’interroger sur les raisons qui poussaient notre pays à aider Kiev à défendre sa souveraineté nationale face à l’invasion russe.

Sur son propre site, on peut aussi retrouver un texte de mars 2022 où il affirme la même chose :

« … La question qui se pose aujourd’hui, ce sont les intérêts de la France, la défense des intérêts de la population française et le rôle que l’État français doit jouer afin de protéger ses concitoyens, et que la zone dont nous parlons n’est pas une zone d’intérêt stratégique primordiale pour la France, contrairement à ce qui a été beaucoup affirmé et ne justifie pas du tout le dispositif qui a été mis en place face aux participants au conflit, avec une posture moralisante. »

Si l’objet de cet article n’est pas de démontrer que la France a intérêt à défendre les frontières légales d’un pays limitrophe de l’Union européenne ainsi que de divers États-membres de la zone OTAN, le problème du propos de Juan Branco est qu’il entre en contradiction totale avec la plupart de ses points de vue.

Aujourd’hui célèbre pour ses gesticulations sénégalaises, en tenue traditionnelle locale s’il-vous-plait, l’avocat germanopratin ne manque pas de fustiger l’État français quand il défend ses intérêts en Afrique, au Levant ou partout ailleurs.

Désormais avocat de l’opposant Ousmane Sonko, panafricaniste qui défendait d’ailleurs la junte malienne sous emprise russe en août 2022, au moment même où Juan Branco ne trouvait rien à redire aux bombardements visant des civils à Marioupol ou Bakhmut, il ne manque jamais une occasion de fustiger le Sénégal et la CEDEAO.

 

Les gesticulations sénégalaises de l’avocat Juan Branco

Serait-il dans notre intérêt que le pays le plus stable de la région, qui affiche selon le rapport 2022 de l’Economic Intelligence Institute un des meilleurs indices de démocratie des institutions parmi les pays francophones d’Afrique, tombe entre les mains d’un révolutionnaire ami des régimes sahéliens qui ont chassé l’armée française pour y installer la milice Wagner dont les exactions nombreuses sont parfaitement documentées, le tout pour satisfaire l’appétit d’une puissance prédatrice ?

Ou alors, faudrait-il considérer que la question des droits humains ne concerne que les pays occidentaux ?

De la même manière, on constate qu’Israël subit une attention toute particulière. Israël peut commettre des crimes de guerre et doit, comme tous les États du monde, se soumettre au droit international. Il est néanmoins permis de s’interroger sur le fait que ses actions suscitent bien plus de protestations que celles, par exemple, d’un Bachar Al Assad qui a employé des armes chimiques et même assiégé le camp palestinien de Yarmouk avec une brutalité sans pareille.

 

L’Ordre international est l’intérêt de la France

De tels crimes n’ont alors dérangé personne, et surtout par nos belles âmes plus promptes à salir la France, dont les intérêts semblent selon eux se limiter à s’aligner sur la Russie et ses alliés.

Disons-le donc tout net : ils ne s’intéressent pas plus aux intérêts de la France bien pensés qu’aux droits de l’Homme, mais ont un agenda qui colle étrangement aux obsessions anti-occidentales du « sud global » dont l’objectif final tient dans l’instauration d’une prétendue « multipolarité » qui mettra à bas un Ordre International patiemment construit, au service exclusif des Empires revanchistes et des irrédentismes.

Notre ordre est certes imparfait, mais il vaut mieux que l’anarchie et la multi-conflictualité. Les Juan Branco et autres agités sont donc des agents du désordre et des propagateurs de la guerre du tous contre tous, bien plus que des humanistes. Ce n’est pas être idéaliste que de vouloir défendre l’Ordre international contre ceux qui entendent le saccager. Ce n’est pas non plus contraire au devoir d’humanité qui est le nôtre.

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EELV contre la rénovation de l’École polytechnique : haro sur le progrès

Par : Gabriel Robin — 15 novembre 2023 à 05:15

Tout, absolument tout est bon pour protester en France. Même quand il s’agit de projets positifs. Ainsi, jeudi 9 novembre, une trentaine d’anciens élèves de la prestigieuse École polytechnique se sont réunis pour… manifester. Ils ont, à la manière des syndicalistes, déployé des banderoles et soulevé des pancartes pour s’opposer à la poursuite des travaux prévus pour la création d’un futur centre de conférence international, projet qu’ils jugent « pharaonique et inutile ». Ils ont bien sûr reçu le soutien de quelques élus Europe Ecologie Les Verts du Ve arrondissement parisien, l’école se trouvant au 5, rue Descartes.

Le site, aujourd’hui occupé par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, est devenu le QG de l’association des anciens élèves en 1976, après la délocalisation du campus à Saclay dans l’Essonne. Quelques élèves, une trentaine sur plusieurs centaines au fil des ans, ont donc décidé de manifester contre un projet financé sur fonds privés qui prévoit, oh malheur, la construction d’un amphithéâtre de 500 places. Pharaonique, c’est bien le terme… Les protestataires formulent d’autres reproches, arguant que la transformation du bâtiment irait à « contre-courant » des enjeux fixés par la ville de Paris dans le cadre de son Plan local d’urbanisme bioclimatique…

Tous ces arguments ne seraient-ils pas plutôt d’opportunité face à la crainte des anciens élèves et des élus de la gauche parisienne de voir le groupe LVMH et la famille Arnault présider à l’avenir de l’école ? Le front s’est en tout cas constitué, avec pour première ligne la présidente du groupe écologiste du Conseil de Paris, madame Fatoumata Kondé qui a déposé un vœu pour que l’adjoint à l’urbanisme Emmanuel Grégoire « prenne position sur le sujet ». Mais en France, il existe des procédures légales, et cet acte de mécénat proposé par Bernard Arnault en tant qu’ancien élève, et approuvé par la direction de l’école, a été concrétisé par la délivrance d’un permis de construire en 2019.

Les fouilles archéologiques ayant été achevées, le chantier est donc lancé.

Il n’y a ici d’ailleurs, à en juger par les déclarations constantes des mécènes confirmées par la direction de l’école, aucune velléité commerciale du groupe LVMH, puisque le lieu transformé servira de Centre de conférence international dans l’idée de faire rayonner l’excellence de la formation de Polytechnique, et par là même de la France, si la chose compte encore. Mieux encore, les installations deviendront la pleine propriété de l’École polytechnique, sans que l’État, et donc le contribuable, ne dépensent un euro pour cela. On se doute d’ailleurs bien que le bâtiment respectera scrupuleusement les normes les plus strictes en matière de respect de l’environnement…

Bref, voici une opération qui ne peut que bénéficier à Paris, à Polytechnique, mais aussi à la France. Qu’un centre d’activités moderne et restauré existe en plein cœur du Quartier Latin ne pourra qu’attirer les plus grands scientifiques, capitaines d’industrie, innovateurs et artistes. Le tout « gratuitement ». De quoi se plaignent donc les écologistes parisiens et les anciens élèves ? Leur déconnexion du monde actuel n’a d’égale que leur dogmatisme.

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Qui gouvernera l’IA ? La course des nations pour réguler l’intelligence artificielle

Par : The Conversation — 14 novembre 2023 à 04:45

Un article de Fan Yang, Research fellow at Melbourne Law School, & Ausma Bernot, Postdoctoral Research Fellow, Australian Graduate School of Policing and Security.

L’intelligence artificielle (IA) est un terme très large : il peut désigner de nombreuses activités entreprises par des machines informatiques, avec ou sans intervention humaine. Notre familiarité avec les technologies d’IA dépend en grande partie de là où elles interviennent dans nos vies, par exemple dans les outils de reconnaissance faciale, les chatbots, les logiciels de retouche photo ou les voitures autonomes.

Le terme « intelligence artificielle » est aussi évocateur des géants de la tech – Google, Meta, Alibaba, Baidu – et des acteurs émergents – OpenAI et Anthropic, entre autres. Si les gouvernements viennent moins facilement à l’esprit, ce sont eux qui façonnent les règles dans lesquelles les systèmes d’IA fonctionnent.

Depuis 2016, différentes régions et nations férues de nouvelles technologies en Europe, en Asie-Pacifique et en Amérique du Nord, ont mis en place des réglementations ciblant l’intelligence artificielle. D’autres nations sont à la traîne, comme l’Australie [ndlr : où travaillent les autrices de cet article], qui étudie encore la possibilité d’adopter de telles règles.

Il existe actuellement plus de 1600 politiques publiques et stratégies en matière d’IA dans le monde. L’Union européenne, la Chine, les États-Unis et le Royaume-Uni sont devenus des figures de proue du développement et de la gouvernance de l’IA, alors que s’est tenu un sommet international sur la sécurité de l’IA au Royaume-Uni début novembre.

 

Accélérer la réglementation de l’IA

Les efforts de réglementation de l’IA ont commencé à s’accélérer en avril 2021, lorsque l’UE a proposé un cadre initial de règlement appelé AI Act. Ces règles visent à fixer des obligations pour les fournisseurs et les utilisateurs, en fonction des risques associés aux différentes technologies d’IA.

Alors que la loi européenne sur l’IA était en attente, la Chine a proposé ses propres réglementations en matière d’IA. Dans les médias chinois, les décideurs politiques ont évoqué leur volonté d’être les premiers à agir et d’offrir un leadership mondial en matière de développement et de gouvernance de l’IA.

Si l’UE a adopté une approche globale, la Chine a réglementé des aspects spécifiques de l’IA les uns après les autres. Ces aspects vont des « recommandations algorithmiques » (par exemple des plateformes comme YouTube) à la synthèse d’images ou de voix, ou aux technologies utilisées pour générer des deepfake et à l’IA générative.

La gouvernance chinoise de l’IA sera complétée par d’autres réglementations, encore à venir. Ce processus itératif permet aux régulateurs de renforcer leur savoir-faire bureaucratique et leur capacité réglementaire, et laisse une certaine souplesse pour mettre en œuvre une nouvelle législation face aux risques émergents.

 

Un avertissement pour les États-Unis ?

Les avancées sur la réglementation chinoise en matière d’IA ont peut-être été un signal d’alarme pour les États-Unis. En avril, un législateur influent, Chuck Shumer, a déclaré que son pays ne devrait pas « permettre à la Chine de prendre la première position en termes d’innovation, ni d’écrire le code de la route » en matière d’IA.

Senators Rounds, Heinrich, Young, and I had a great meeting with President Biden at the White House today on his executive order on AI, working for bipartisan AI legislation in Congress, and investing so that we can outcompete the Chinese government on AI. pic.twitter.com/xsFm0c5fKo

— Chuck Schumer (@SenSchumer) October 31, 2023

Le 30 octobre 2023, la Maison Blanche a publié un décret (executive order) sur l’IA sûre, sécurisée et digne de confiance. Ce décret tente de clarifier des questions très larges d’équité et de droits civiques, en abordant également des applications spécifiques de la technologie.

Parallèlement aux acteurs dominants, les pays dont le secteur des technologies de l’information est en pleine expansion, comme le Japon, Taïwan, le Brésil, l’Italie, le Sri Lanka et l’Inde, ont également cherché à mettre en œuvre des stratégies défensives pour atténuer les risques potentiels liés à l’intégration généralisée de l’IA.

Ces réglementations mondiales en matière d’IA reflètent une course contre l’influence étrangère. Sur le plan géopolitique, les États-Unis sont en concurrence avec la Chine, que ce soit économiquement ou militairement. L’UE met l’accent sur l’établissement de sa propre souveraineté numérique et s’efforce d’être indépendante des États-Unis.

Au niveau national, ces réglementations peuvent être considérées comme favorisant les grandes entreprises technologiques en place face à des concurrents émergents. En effet, il est souvent coûteux de se conformer à la législation, ce qui nécessite des ressources dont les petites entreprises peuvent manquer.

Alphabet, Meta et Tesla ont soutenu les appels en faveur d’une réglementation de l’IA. Dans le même temps, Google, propriété d’Alphabet, a comme Amazon investi des milliards dans Anthropic, le concurrent d’OpenAI ; tandis qu’xAI, propriété d’Elon Musk, le patron de Tesla, vient de lancer son premier produit, un chatbot appelé Grok.

 

Une vision partagée

La loi européenne sur l’IA, les réglementations chinoises sur l’IA et le décret de la Maison Blanche montrent que les pays concernés partagent des intérêts communs. Ensemble, ils ont préparé le terrain pour la « déclaration de Bletchley », publiée le 1er novembre, dans laquelle 28 pays, dont les États-Unis, le Royaume-Uni, la Chine, l’Australie et plusieurs membres de l’UE [ndlr : dont la France et l’Union européenne elle-même], se sont engagés à coopérer en matière de sécurité de l’IA.

Les pays ou régions considèrent que l’IA contribue à leur développement économique, à leur sécurité nationale, et à leur leadership international. Malgré les risques reconnus, toutes les juridictions s’efforcent de soutenir le développement et l’innovation en matière d’IA.

Selon une estimation, d’ici 2026, les dépenses mondiales consacrées aux systèmes centrés sur l’IA pourraient dépasser les 300 milliards de dollars américains. D’ici 2032, selon un rapport de Bloomberg, le marché de l’IA générative pourrait valoir à lui seul 1,3 billion de dollars américains.

De tels chiffres tendent à dominer la couverture médiatique de l’IA, ainsi que les bénéfices supposés de l’utilisation de l’IA pour les entreprises technologiques, les gouvernements et les sociétés de conseil. Les voix critiques sont souvent mises de côté.

 

Intérêts divergents

Au-delà des promesses économiques, les pays se tournent également vers les systèmes d’IA pour la défense, la cybersécurité et les applications militaires.

Lors du sommet international sur la sécurité de l’IA au Royaume-Uni, les tensions internationales étaient manifestes. Alors que la Chine a approuvé la déclaration de Bletchley faite le premier jour du sommet, elle a été exclue des événements publics le deuxième jour.

L’un des points de désaccord est le système de crédit social de la Chine, qui fonctionne de manière peu transparente. Le AI Act européen considère que les systèmes de notation sociale de ce type créent un risque inacceptable.

Les États-Unis perçoivent les investissements de la Chine dans l’IA comme une menace pour leurs sécurités nationale et économique, notamment en termes de cyberattaques et de campagnes de désinformation. Ces tensions sont bien sûr susceptibles d’entraver la collaboration mondiale sur des réglementations contraignantes en matière d’IA.

 

Les limites des règles actuelles

Les réglementations existantes en matière d’IA présentent également des limites importantes. Par exemple, il n’existe pas de définition claire et commune d’une juridiction à l’autre des différents types de technologies d’IA.

Les définitions juridiques actuelles de l’IA ont tendance à être très larges, ce qui soulève des inquiétudes quant à leur applicabilité en pratique, car les réglementations couvrent en conséquence un large éventail de systèmes qui présentent des risques différents, et pourraient mériter des traitements différents.

De même, de nombreuses réglementations ne définissent pas clairement les notions de risque, de sécurité, de transparence, d’équité et de non-discrimination, ce qui pose des problèmes pour garantir précisément une quelconque conformité juridique.

Nous constatons également que les juridictions locales lancent leurs propres réglementations dans le cadre national, afin de répondre à des préoccupations particulières et d’équilibrer réglementation et développement économique de l’IA.

Ainsi, la Californie a introduit deux projets de loi visant à réglementer l’IA dans le domaine de l’emploi. Shanghai a proposé un système de classement, de gestion et de supervision du développement de l’IA au niveau municipal.

Toutefois, une définition étroite des technologies de l’IA, comme l’a fait la Chine, présente le risque que les entreprises trouvent des moyens de contourner les règles.

 

Aller de l’avant

Des ensembles de « bonnes pratiques » pour la gouvernance de l’IA émergent de juridictions locales et nationales et d’organisations transnationales, sous le contrôle de groupes tels que le conseil consultatif de l’ONU sur l’IA et le National Institute of Standards and Technology des États-Unis. Les formes de gouvernance qui existent au Royaume-Uni, aux États-Unis, en Europe et, dans une moindre mesure, en Chine, sont susceptibles de servir de cadre de travail à une gouvernance globale.

La collaboration mondiale sur la gouvernance de l’IA sera sous-tendue par un consensus éthique et, plus important encore, par des intérêts nationaux et géopolitiques.

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60 ans après le traité de l’Élysée, le « couple » franco-allemand a changé de nature

Par : The Conversation — 13 novembre 2023 à 04:45

Un article de Gaëlle Deharo, Enseignant chercheur en droit privé, et Madeleine Janke, Professur für Betriebliches Rechnungwesen.

« Il n’est pas un homme dans le monde qui ne mesure l’importance capitale de cet acte […] parce qu’il ouvre toutes les grandes portes d’un avenir nouveau pour la France, pour l’Allemagne, pour l’Europe et par conséquent pour le monde tout entier ».

Il y a soixante ans, le 22 janvier 1963, le général Charles de Gaulle et le chancelier Konrad Adenauer signaient ensemble un accord de coopération rédigé en allemand et en français. Destiné à consolider l’amitié franco-allemande, à consacrer la solidarité entre les peuples français et allemand et à renforcer le rôle moteur du couple franco-allemand dans la construction européenne, le texte posait les bases d’une union et d’une coopération politique, économique, en matière de défense, de politique étrangère, d’éducation et de jeunesse. La réconciliation du peuple allemand et du peuple français marquait ainsi la fin de la rivalité historique de la France et de l’Allemagne.

 

Des relations sans équivalent

Depuis a émergé l’expression du « couple » franco-allemand, qui ne renvoie pas uniquement à la proximité géographique entre les deux pays ou à la nécessaire gestion d’une frontière commune. Ce terme témoigne surtout des relations étroites de la France et de l’Allemagne dans de nombreux domaines; depuis la gestion des frontières jusqu’au rapprochement des populations.

Qu’il s’agisse, en effet, de géopolitique, de culture ou encore de coopération universitaire, les relations entre la France et l’Allemagne ne semblent pas connaître d’équivalent. D’abord parce qu’elles s’inscrivent dans une histoire dense et riche, ensuite parce qu’elles intéressent de nombreux domaines. Enfin, parce que la signature du traité de l’Élysée en 1963 ne fut pas un moment dans l’histoire, mais le début d’un long processus régulièrement marqué par la volonté réitérée des dirigeants français et allemand de rappeler l’intensité de la coopération et de l’amitié entre les deux pays.

Ainsi, 40 ans après la signature du traité de l’Élysée, le 22 janvier 2003, le président français Jacques Chirac et le chancelier Gerhard Schröder ont posé les bases d’une concertation structurée en créant le Conseil des ministres franco-allemand ayant pour mission d’assurer la coopération entre les deux États. Dans chaque pays, un secrétaire général coordonne désormais la préparation de ces conseils, qui se tiennent 1 à 2 fois par an, et assure le suivi des décisions entreprises.

Dans cette perspective, de nombreux axes de coopération ont été définis et mis en œuvre grâce à la création de structures binationales dans de nombreux domaines : concertation politique, défense et de sécurité (CFADS), environnement (CFAE), économie et finance (CEFFA), culture (HCCFA), jeunesse…

 

Un moteur de la construction européenne

Pilier de la construction européenne, le traité de l’Élysée a été réaffirmé, cinquante-six ans plus tard, le 22 janvier 2019 à Aix-la-Chapelle, par le président Emmanuel Macron et la chancelière Angela Merkel. Il s’agissait alors de consacrer le rôle moteur du « couple franco-allemand », non plus dans la construction, mais dans l’intégration européenne qui constitue le fil conducteur de la concertation entre la France et l’Allemagne.

Paris et Berlin entendaient ainsi approfondir et élargir la coopération entre la France et l’Allemagne, « dans le but d’aller de l’avant sur la voie d’une Europe prospère et compétitive, plus souveraine, unie et démocratique » et de « définir des positions communes sur toutes les questions européennes et internationales importantes ».

En d’autres termes, la coopération franco-allemande, loin de se cantonner à une dimension binationale doit être comprise aux niveaux européen et international. Historiquement, en effet, le « couple » franco-allemand s’est construit autour de la résolution des rapports de pouvoirs entre la France et l’Allemagne au niveau interne, comme élément d’équilibre favorisant la construction européenne, comme au niveau externe, renforçant le rôle de l’Europe dans la résolution des difficultés géopolitiques.

 

Un renforcement du poids de l’Europe dans le monde

Moteur du développement européen, la relation franco-allemande reste unique dans et hors de l’Europe, ce qui lui confère un poids politique essentiel dans la définition de la politique étrangère et le développement de la souveraineté européenne. Lors de leur déclaration commune, en 1963, le président de Gaulle et le chancelier Adenauer avaient déjà souligné le rôle déterminant de la relation franco-allemande qui « ouvre toutes les grandes portes d’un avenir nouveau pour la France, pour l’Allemagne, pour l’Europe et par conséquent pour le monde tout entier ».

Plus récemment, par une déclaration conjointe, la France et l’Allemagne ont réaffirmé leur détermination, aux côtés de leurs alliés et de leurs partenaires du monde entier, « à défendre les valeurs et les intérêts européens ainsi qu’à préserver l’ordre international fondé sur les principes de la Charte des Nations unies ». Mise à l’épreuve des bouleversements géopolitiques, de la pandémie du Covid-19, de la définition d’un modèle énergétique européen ou encore de la politique monétaire, l’intimité du couple franco-allemand ne va cependant pas sans crispation.

Si les déclarations communes rappellent et réaffirment la volonté de renforcer toujours plus les liens entre la France et l’Allemagne, la question se pose de l’avenir de ces relations. Au-delà de la définition des politiques de concertations et de coopération, l’amitié franco-allemande se nourrit en effet des relations entre les citoyens français et allemands.

Lors de la signature du traité de l’Élysée, le président de Gaulle et le chancelier Adenauer soulignaient l’importance « de la solidarité qui unit les deux peuples tant du point de vue de leur sécurité que du point de vue de leur développement économique et culturel » et le rôle déterminant que la jeunesse se trouve appelée à jouer dans la consolidation de l’amitié franco-allemande.

 

Quel avenir pour l’amitié franco-allemande ?

De fait, de nombreuses initiatives ont été mises en œuvre pour favoriser les échanges scolaires et universitaires afin de favoriser l’interculturalité, la compréhension de la culture du partenaire et l’acceptation des différences. Par exemple, depuis 1963 l’Office franco-allemand pour la Jeunesse (OFAJ – DFJW) a permis à près de 9,5 millions de jeunes de participer à plus de 382 000 programmes d’échanges.

Symbole de l’intégration franco-allemande, le baccalauréat franco-allemand vient par exemple couronner, par un examen passé dans les deux langues, des études binationales et biculturelles. Si seuls trois lycées (Buc, Fribourg, Sarrebruck) préparent aujourd’hui au baccalauréat franco-allemand, l’ouverture d’établissements supplémentaires est à l’étude.

De la même façon, l’université franco-allemande (UFA – DFS) favorise la coopération franco-allemande dans l’enseignement supérieur. Elle a pour mission de promouvoir les relations et les échanges entre établissements d’enseignement français et allemands, en apportant son soutien à des projets binationaux dans le domaine de l’enseignement, tant au niveau des premiers que des seconds cycles, de la recherche et de la formation de futurs chercheurs.

Au niveau collectif, la tendance semble donc bien favorable au renforcement de la coopération franco-allemande. Pour autant, au niveau individuel, la coopération franco-allemande se heurte à la désaffection de l’apprentissage de la langue allemande par les lycéens : la baisse constante des collégiens et lycéens choisissant l’enseignement de l’allemand se poursuit de façon constante et dramatiquement stable depuis plusieurs années.

Sous cet éclairage, les acteurs de l’enseignement supérieur public comme privé ont un rôle majeur à jouer afin de rendre compte non seulement de l’importance politique et géopolitique de la maîtrise des langues allemande et française, mais aussi pour rendre compte du dynamisme économique de la coopération franco-allemande. Sous cet éclairage, parler les deux langues dans un domaine d’expertise apparaît comme un atout majeur pour les candidats au recrutement au niveau européen et international.

À ce jour, les programmes franco-allemands proposés dans l’enseignement supérieur constituent donc pour les étudiants maîtrisant les deux langues la garantie de valoriser une compétence particulièrement recherchée dans le monde professionnel.

Conformément au souhait du général de Gaulle et du chancelier Adenauer, les cursus franco-allemands témoignent de l’importance de la coopération franco-allemande non seulement aux niveaux culturel et académique mais aussi au niveau économique : aujourd’hui comme il y a soixante ans, l’amitié franco-allemande « ouvre toutes les grandes portes d’un avenir nouveau pour la France, pour l’Allemagne, pour l’Europe et par conséquent pour le monde tout entier ». Es lebe die deutsch-französische Freundschaft ! (Vive l’amitié franco-allemande !)

Sur le web.

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La crise au Proche-Orient, une aubaine pour la Russie ?

Par : The Conversation — 6 novembre 2023 à 04:45

Un article de Cyrille Bret, Géopoliticien.

Depuis le début des combats entre le Hamas et Israël, la Fédération de Russie joue à fond de sa position très particulière au Moyen-Orient. Ses liens structurels avec tous les acteurs de la crise actuelle lui permettent de mener des actions et de tenir des discours qu’aucun autre pays européen n’est prêt à assumer.

Le 26 octobre, le représentant spécial de la présidence russe pour le Proche-Orient, Mikhaïl Bogdanov, a reçu des dirigeants du Hamas à Moscou. Dans le même temps, la relation entre Israël et la Russie reste forte, entretenue notamment à travers la nombreuse et influente communauté immigrée en Israël en provenance de l’ex-URSS.

Pour Moscou, la série d’événements qui a démarré le 7 octobre dernier constitue une diversion qui confine à l’aubaine. La guerre en Ukraine est passée au second plan de l’attention médiatique et diplomatique, et le Kremlin se présente comme un faiseur de paix entre Israël et le Hamas. La « guerre de Soukkot » peut-elle permettre à la Russie de se relancer sur la scène internationale tout en marquant des points dans son bras de fer géopolitique avec les États-Unis, qu’elle désigne comme les grands responsables du chaos actuel au Proche-Orient ?

 

Exploiter une aubaine stratégique

Pour la stratégie russe en Europe, cette crise constitue une occasion inespérée. Elle intervient en effet à un moment où la Fédération a besoin d’une pause dans la mobilisation internationale contre son opération militaire en Ukraine. Le relatif passage au second plan du conflit russo-ukrainien lui profite directement et massivement. Ne serait-ce que parce que Washington a envoyé à Israël des armes initialement destinées à l’Ukraine

En cet automne 2023, les efforts de reconquête ukrainiens peinent à produire des effets stratégiques. Les territoires repris depuis début juin par les armées de Kiev sont conséquents, mais restent sans commune mesure avec les 20 % du territoire national occupés et annexés illégalement par la Russie. Pour Moscou, la crise au Moyen-Orient permet de tourner encore plus rapidement la page de la contre-offensive ukrainienne afin d’achever de la faire passer pour un non-événement.

De plus, la crise au Proche-Orient absorbe l’attention et les activités des chancelleries mondiales au moment où se manifestent certains fléchissements dans le soutien à l’Ukraine, en Pologne du fait du conflit lié à l’importation en Europe des céréales ukrainiennes, aux États-Unis dans un contexte de crise institutionnelle au Congrès ou encore en Europe centrale comme en Slovaquie, où la victoire de Robert Fico affaiblit l’unité de l’UE dans son bras de fer avec la Russie.

Au-delà des dirigeants, ce sont aussi les médias et les opinions publiques à travers le monde qui, actuellement, s’intéressent un moins moins au théâtre ukrainien et des féroces combats qui se déroulent dans le Donbass, pour se focaliser sur le conflit au Proche-Orient, ce qui offre à la Russie une forme de répit.

La façon dont la Russie va exploiter cette période de relatif répit médiatique et diplomatique ne se manifestera pas immédiatement. Les repositionnements de troupes au sol, les campagnes diplomatiques bilatérales, la mobilisation des amis du Kremlin dans les organisations multilatérales, l’élaboration d’un nouveau narratif sur la guerre en Ukraine, etc. : tout cela est en préparation à Moscou. Mais les effets ne se verront que vers la fin de l’année, notamment à l’occasion de la traditionnelle conférence de presse du président Poutine.

Assurément, la Russie se repositionnera non plus comme un acteur régional en Europe oriental mais comme un acteur global, au Moyen-Orient notamment. C’est ainsi qu’elle a déposé un texte de résolution à l’ONU visant à obtenir un cessez-le-feu à Gaza ; le rejet de ce texte, du fait des votes « contre » des États-Unis, du Royaume-Uni, de la France et du Japon, lui a permis de renforcer, aux yeux des pays dits du Sud et, spécialement, des États musulmans, sa posture de leader du camp anti-occidental, soucieux de protéger la population civile gazaouie, tout en dénonçant l’alignement des Occidentaux sur Israël et en allant jusqu’à se présenter comme un pays défendant le droit international.

 

Mobiliser ses alliés dans la région

Pour les Realpolitiker russes, cette crise présente aussi l’occasion de mobiliser leurs réseaux d’alliances dans les mondes arabe, turc, persan et plus largement musulman. Dès avant l’accession au pouvoir de Vladimir Poutine, la Fédération de Russie a constamment renforcé ses relais dans la région.

Dans le monde arabe, à partir de 2015, elle a réactivé l’ancienne alliance avec la famille Al-Assad pour littéralement sauver le régime en Syrie par une intervention militaire cruciale. Elle a en outre resserré ses liens traditionnels avec l’Égypte dans les domaines de l’armement, de l’agro-alimentaire et de l’énergie. Elle a cultivé son allié algérien et a repris pied en Libye avec son soutien au maréchal Haftar. Elle s’est même engagée dans une coopération avec le royaume saoudien dans le cadre de l’OPEP+.

Par-delà le monde arabe, elle a trouvé dans l’Iran un fournisseur de drones pour la guerre en Ukraine ainsi qu’un soutien dans les enceintes internationales. Et les rapprochements entre les présidents russe et turc sont réels, même s’ils ne doivent pas susciter l’illusion d’une alliance solide.

La crise actuelle lui permet de raviver ces alliances structurelles autour d’une question ancienne et passée au second plan dans le monde musulman après les accords d’Abraham : la cause palestinienne. La spécificité de la position de la Russie dans la région à la faveur de ce conflit doit être soulignée : elle est capable de mobiliser ses alliés par-delà les lignes de clivage internes à la région. Et la crise actuelle, qui réactive l’hostilité à Israël dans les opinions arabes, persanes et musulmanes au sens large, souligne la centralité d’un acteur dont les Occidentaux ont pourtant voulu faire un paria.

Là encore, les effets de cette position ne se manifesteront pas tous immédiatement : c’est à moyen terme que la Russie tentera de tirer bénéfice de sa position actuelle pour contester encore davantage le poids des États-Unis dans la région. Toutefois, il est certain que l’aubaine immédiate peut être complétée par des gains stratégiques dans la zone : la Russie peut utiliser la crise pour souligner sa centralité, pour rappeler à ses alliés qu’elle parle à tous et peut donc prétendre au rôle de médiateur.

À condition toutefois de préserver sa relation avec Israël.

 

Préserver ses relais en Israël

Si la Russie prétend à une position œcuménique au Moyen-Orient, elle est actuellement handicapée, en Israël, par plusieurs facteurs. Les mouvements de foule au Daghestan, république autonome de la Fédération de Russie à majorité musulmane, contre les passagers d’un vol en provenance de Tel-Aviv, ont été perçus avec beaucoup d’inquiétude dans l’État hébreu.

Après avoir revendiqué le rôle de pionnier dans la lutte contre l’islamisme sunnite violent, comment la Russie pourrait-elle prétendre au rôle de médiateur alors qu’elle accueille désormais fréquemment des dirigeants du Hamas ?

Plusieurs leaders en Israël redoutent le renforcement de l’axe Moscou-Téhéran-Hamas dans le contexte de l’opération israélienne à Gaza. La symbiose entre la République islamique d’Iran et la Fédération de Russie préoccupe tout particulièrement Israël : elle peut jouer en faveur d’une modération du Hezbollah, mais elle peut aussi contribuer à la régionalisation des hostilités.

Dans la crise, la Russie a beaucoup à perdre avec Israël. Ses relais d’influence y sont multiples : plus d’un million d’habitants (sur 9 millions) sont issus de l’ex-URSS. Ils constituent la première communauté immigrée en Israël et disposent de figures publiques influentes dans les domaines politiques, économiques, financiers, médiatiques ou technologiques. La Russie est-elle condamnée par sa position actuelle à dilapider son capital en Israël ? Nombreux sont les observateurs à estimer que les relations bilatérales Moscou-Tel-Aviv sont à un plus bas historique.

En somme, la position russe au Moyen-Orient se trouve à un croisement. Soit elle se contente se traiter la crise actuelle comme une diversion : elle profitera alors du répit médiatique et de la baisse de pression diplomatique pour renforcer encore ses positions en Ukraine ; soit elle endosse le rôle de ciment des acteurs anti-Israël au Moyen-Orient : elle rompra encore davantage avec des Occidentaux mobilisés en faveur de la sécurité d’Israël ; soit, enfin, elle choisit la voie étroite de médiateur potentiel : il lui faudra alors, pour être acceptée comme telle par les Israéliens, remédier aux nombreuses tensions de la relation bilatérale Moscou-Tel-Aviv.

Voir sur le web.

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(VI/VI) Raymond Aron : le souhaitable et le possible

Par : Pierre Robert — 23 octobre 2023 à 04:30

Première partie de cette série ici.

Seconde partie de cette série ici.  

Troisième partie de cette série ici.

Quatrième partie de cette série ici.

Cinquième partie de cette série ici.

 

Entre raison et passion la lutte continue

Après la publication du Spectateur Engagé, Michel Contat, un proche de Sartre a estimé dans un article du quotidien Le Monde que le dialogue entre Sartre et Aron n’a jamais cessé :

« Ces deux pensées antagonistes malgré leur communauté de culture (la phénoménologie, le marxisme) sont les deux pôles entre lesquels se tend jusqu’au déchirement le débat intellectuel du siècle […] C’est dans nos têtes que […] s’affrontent les deux voix fraternellement ennemies, nos deux voix : celle qui énonçant le souhaitable, le désirable pose un projet indéfini et celle qui, lui opposant raisonnablement le possible, la réalité têtue, met en garde… »

Au partisan enflammé et partial que fut Sartre s’oppose l’analyste dépassionné mais qui prend aussi position que fut Aron. Comme beaucoup d’autres aujourd’hui, je suis convaincu qu’il vaut mieux avoir raison à la manière d’Aron que tort à la manière de Sartre.

Réfléchir avec Aron c’est en effet réfléchir sur l’essentiel, sur ce qui est au fondement des attitudes politiques et des systèmes de pensée qui influencent les actions des hommes, sachant que parmi ces systèmes certains sont mortifères et ont fait la preuve des terribles dangers dont ils sont porteurs, alors que d’autres sont stériles et paralysent l’action. C’est ce deuxième danger qui aujourd’hui menace l’Europe lorsqu’elle prend des décisions dangereuses qui semblent conformes à ses valeurs mais sont contraires à ses intérêts de long terme.

Alors que partout dans le monde s’exacerbent les tensions géopolitiques, il pourrait bien se révéler fructueux de s’inspirer de la posture d’Aron pour analyser plus froidement les implications de la guerre en Ukraine.

 

Les sanctions contre la Russie au filtre de la méthode aronienne

Pour reprendre les termes de Raymond Aron :

Entre la tentation totalitaire et les aspirations libérales, la bataille continue, elle se poursuivra aussi loin devant nous que porte notre regard. Les libertés dont nous jouissons gardent la fragilité des acquis les plus précieux de l’humanité.

Sans risque de se tromper, on peut affirmer que le système poutinien est d’essence totalitaire et met en danger nos fragiles libertés. Après avoir annexé la Crimée puis envahi une partie de l’Ukraine, son régime menace aujourd’hui l’Occident en général et l’Europe en particulier dont il cherche à détruire la cohésion.

Il faut donc combattre cet agresseur avec la plus grande fermeté. La question de fond est de savoir avec quelles armes il convient de le faire.

La voie d’un soutien militaire sans faille semble s’imposer. L’Occident est fondé à fournir massivement les systèmes de défense les plus modernes à l’Ukraine et de mettre à sa disposition toutes les données l’aidant à résister à son envahisseur. L’enjeu est de créer un rapport de force favorable lorsque sera venu le temps de la négociation de manière à ne pas subir les conditions de l’ennemi.

Mais les six trains de sanctions économiques sans précédent prises par l’UE servent-ils cette cause ? Leurs initiateurs ont-ils bien mesuré leurs effets pervers lorsqu’ils les ont adoptés ? Ces mesures ne sont-elles pas en train de leur infliger bien plus de dommages qu’ils n’en infligent à la Russie ? On est légitimement fondé à se poser ces questions.

Dès aujourd’hui il est nécessaire d’établir un bilan de leur efficacité et de ne pas se borner à s’indigner des propos de madame Le Pen disant « qu’elles ne servent à rien ». Si l’UE les atténuait ou les mettait entre parenthèses troquerait-elle son honneur « contre un plat de lentilles » comme le prétend Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition énergétique ? Cela aussi est à examiner sérieusement car tout montre que le coût de ces mesures pour l’Europe pourrait être catastrophique. Déjà l’inflation s’envole, les pénuries menacent et l’industrie allemande hier si prospère tremble sur ses bases.

Certes on peut honnir l’ex-chancelier Schröder mais pas le contredire lorsqu’il déclare aux média allemands :

« Beaucoup de gens pensent que c’est bien qu’il y ait encore quelqu’un qui garde ouverts les canaux de discussion avec la Russie dans le conflit actuel ».

Faire parler les morts est toujours périlleux. Il n’en reste pas moins qu’il est plus que jamais vital de faire preuve de raison et de dépassionner l’analyse des évènements en cours comme nous y invite Raymond Aron. Il nous aurait peut-être aussi incité à faire preuve de lucidité en réalisant que les adeptes de la décroissance sont aussi à la manœuvre. Par l’entremise des sanctions, l’occasion est trop belle de rationner les addicts aux énergies fossiles que nous sommes avec l’espoir de changer durablement nos comportements.

 

Pour aller plus loin

Ce qu’on peut écouter

 

Ce qu’on devrait lire

 

Sources

  • Le Spectateur engagé (livre d’entretiens), Paris, Julliard, 1981
  • Mémoires, 50 ans de réflexion politique, 2 volumes, Paris, Julliard, 1983
  • Revue Commentaire, N° 28, Paris, Julliard, 1985
  • Le siècle des intellectuels, Michel Winock, Paris, Seuil, 1997

Publié initialement le 16 aout 2022.

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Quelle responsabilité du monde arabo-musulman dans le conflit israélo-palestinien ?

Par : Alain Cohen-Dumouchel — 19 octobre 2023 à 05:15

Face à l’horreur à laquelle les terroristes du Hamas nous ont confronté, il est tentant de commenter l’actualité en se plongeant dans des analyses ou des jugements par trop événementiels.

Que les terroristes du Hamas soient des monstres sanguinaires ne fait aucun doute, mais faut-il pour autant tomber dans le piège tendu aux commentateurs et analystes de la situation au Proche-Orient ?

Je veux parler de l’interprétation au jour le jour des épisodes du conflit, du commentaire des prises de position des uns et des autres, du jugement des actes militaires et des décisions politiques. Entrer dans cette arène, c’est obligatoirement ne pas prendre le recul nécessaire pour analyser ce conflit. Le danger de cette vision micro-politique (par analogie avec la micro-économie) réside dans la perte de vue du problème global, ce qu’on pourrait appeler le point de vue macro-politique.

 

L’antisémistisme européen à l’origine de la création d’Israël

Pour bien analyser la situation, il faut aller du général au particulier, et élargir son point de vue au-delà des seuls acteurs israéliens et palestiniens.

La création de l’État d’Israël résulte avant tout de l’antisémitisme européen.

On peut discuter à l’infini sur le bien-fondé de la création d’un État confessionnel, la gauche s’est longuement épanchée sur le sujet. Quelle que soit la conviction laïque que l’on puisse avoir, force est de constater que dans le monde il y a des religions, que la religion juive est l’une d’entre elles, et que c’est contraints et forcés par l’antisémitisme européen que des Juifs ont fondé l’État d’Israël.

La création de cet État a déplacé 400 000 Palestiniens en 1948. Ce nombre est peu contestable. Ces Palestiniens qui, pour la plupart, ne possédaient à l’époque ni passeport ni papiers, qui n’avaient pas de réelle « nationalité » au sens moderne du terme, étaient des Arabes qui parlaient la même langue, avaient les mêmes coutumes, et une culture proche de celle de leurs voisins, aujourd’hui séparés par des frontières artificielles.

Pourquoi les frères arabes de ces Palestiniens n’ont-ils jamais voulu accueillir cette population somme toute marginale par rapport à la taille de leurs États et de leurs populations ?

Après la guerre d’Algérie, les Français de métropole ont bien recueilli un million de réfugiés qui n’avaient bien souvent jamais mis les pieds en France. Leur culture était probablement plus éloignée de celle des Français de métropole que la culture et le mode de vie des Palestiniens ne l’étaient de celles de leur voisins égyptiens, syriens, libanais ou jordaniens.

Le fait est que les Palestiniens ont été parqués dans des camps au lieu d’être assimilés par leurs frères arabes. Si la France avait décidé de parquer ses réfugiés nord-africains dans des camps, la terre entière aurait, à juste raison, crié au scandale.

Si le rejet des Palestiniens par leurs voisins immédiats n’a pas été critiqué par les autres nations arabes, c’est que l’exode du peuple palestinien a provoqué la naissance d’un bouc émissaire, Israël, extrêmement pratique pour les dirigeants de ces pays.

Les pays arabes ont systématiquement joué la politique du pire. Ils n’ont jamais voulu solutionner le problème palestinien, car la diabolisation d’Israël leur a constamment servi à détourner leurs opinions publiques des vrais problèmes internes à leurs États : corruption, échec économique, socialisme rampant.

 

Israël, le bouc émissaire des ploutocraties arabes

L’ennemi extérieur, bien identifié, responsable de tous les maux des pays arabes, c’est Israël.

Que la misère et l’absence de libertés soient criantes dans ces pays, peu importe, puisque régulièrement, l’attention de la population est accaparée par le conflit israélo-palestinien.

De l’Arabie saoudite au Maroc, le peuple est focalisé sur les Juifs qui « colonisent la terre arabe ». Depuis 50 ans les ploutocraties arabes utilisent ainsi Israël comme bouc émissaire. Les Palestiniens sont maintenus artificiellement dans la misère. Les aides européennes ne parviennent pas à leurs destinataires, détournées par un pouvoir palestinien corrompu, mais inconditionnellement soutenu par les dictatures arabes. Les richissimes Saoudiens, les émirats, le Koweït, ne lèvent pas le petit doigt pour aider leurs frères, sauf pour les armer ou pour financer des écoles coraniques obscurantistes. La situation leur permet à merveille de focaliser la contestation en dehors de leurs frontières.

Si l’on se penche sur les dictatures arabes et musulmanes qui utilisent de façon récurrente Israël comme la cause directe ou indirecte des malheurs de leurs peuples, on trouve une vingtaine d’États : Iran, Irak, Afghanistan, Pakistan, Arabie Saoudite, Émirats, Koweït, Oman, Syrie, Jordanie, Liban, Égypte, Yémen, Soudan, Algérie, Tunisie, Libye et, dans une moindre mesure depuis quelque temps, le Maroc, qui totalisent 800 millions d’habitants sur une superficie de 15 millions de km2, trois fois la taille de l’Europe politique. Israël, ce sont environ 9 millions d’habitants et une superficie de 21 000 km2, soit environ trois départements français.

Ces chiffres donnent la mesure de la grotesque disproportion entre la vision subjective du problème vu par les peuples arabo-musulmans, et sa réalité démographique et territoriale.

Cette existence d’un État juif a également servi aux pays arabes à se débarrasser des Juifs sur leur territoire.

Sous le double couvert de la décolonisation et du sionisme naissant, après guerre, les pays arabes ont chassé 700 000 Juifs de chez eux ! Ainsi, les Juifs d’Algérie, du Maroc, de Tunisie et d’Égypte, dont les origines remontaient à l’Inquisition, ou parfois même bien avant, et qui n’avaient rien à voir avec les colons européens, ont émigré contraints et forcés vers l’Europe (en majorité), mais également vers les Amériques, en Australie ou en Israël.

Le Maroc a vu sa population juive passer de 250 000 à 4000 habitants en 40 ans. L’Égypte a vu sa population juive passer de 80 000 habitants en 1947 à moins de 10 habitants, aujourd’hui terrés dans le quartier Copte du Caire ; l’Algérie, de 140 000 à moins de 1000 ; le Liban de 7000 à moins de 1000 ; la Tunisie de 110 000 à moins de 5000 ; l’Irak de 120 000 à moins de 400, la Libye de 30 000 à néant.

Certaines sources font état d’un million de juifs chassés de chez eux après-guerre, uniquement dans les pays arabo-musulmans. Loin d’être volontaires, ces départs ont été provoqués par des brimades, des humiliations, l’interdiction de leurs commerces ou de leurs activités, quand il ne s’agissait pas de menaces physiques pures et simples. Du statut de dhimmi, citoyen de seconde zone, octroyé par les musulmans à tous les non musulmans, les Juifs ont profité de la colonisation européenne pour retrouver des droits. Puis, ils ont tout perdu lors de la décolonisation. Une grande partie de leurs biens a été vendue au rabais ou confisquée à leur départ. Relevons au passage que cette population, chassée de ses terres et de ses maisons, n’a pas commis d’actes terroristes en représailles, et que la notion de « droit au retour » violente et armée n’a jamais été à son ordre du jour. Notons enfin que les petits-enfants de ces Juifs expulsés de leurs pays ne s’auto-proclament pas « réfugiés » par hérédité.

 

Le défi de l’économie de marché dans le monde islamique

Les deux sources majeures de la détresse et de la misère palestinienne sont donc, d’une part, l’antisémitisme, d’autre part, l’utilisation cynique par les gouvernements du monde arabo-musulman de ce problème palestinien qu’ils ont largement contribué à entretenir.

Bien entendu, d’autres facteurs interviennent dans ce théâtre d’opération d’une immense complexité.

Il ne faut pas nier l’attitude d’Israël dans les territoires occupés et l’exaspération qui en résulte. Il faut aussi considérer, d’une façon encore plus générale, les bouleversements induits par la pénétration inexorable de l’économie de marché dans les vieilles structures claniques du monde islamique.

L’islamisme radical, forme de rejet violent de l’ordre spontané capitaliste et libéral, complique encore cet imbroglio moyen-oriental en trouvant des soutiens et des ramifications dans toute la sphère anticapitaliste.

Les jeunes Palestiniens se trompent d’adversaires, leurs voisins et coreligionnaires se moquent d’eux et les maintiennent dans la misère et le désespoir depuis des décennies.

Les vrais amis du peuple palestinien devraient être moins critiques à l’égard d’Israël, et nettement plus à l’égard des ploutocraties arabes qui maintiennent le statu quo pour conserver leur pouvoir et tenter de faire oublier leurs turpitudes.

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Guerre et barbarie : Si vis pacem para bellum

Par : Jacques Garello — 17 octobre 2023 à 04:45

Un article de l’IREF. 

 

Il existe des bibliothèques entières pour nous éclairer sur cette dramatique interrogation : une guerre peut-elle se dérouler sans quelque crime, sans quelque barbarie ?

À juste titre, des autorités qualifiées de « morales » ont demandé aux Israéliens de ne pas verser dans la barbarie : l’Organisation des Nations unies, le pape François. Porter atteinte à la santé et à la vie de la population civile qui vit dans la bande de Gaza en coupant eau et électricité est en effet contraire à toutes les règles mondialement acceptées, et au principe même du respect des droits de l’Homme.

Il a été fait remarquer, à juste titre aussi, que d’une part les crimes les plus odieux ont été le fait du Hamas, et que d’autre part la Seconde Guerre mondiale s’est terminée avec l’anéantissement de Dresde et les bombes atomiques d’Hiroshima et Nagasaki.

 

On peut trouver une issue au problème en définissant les principes d’une « guerre juste ».

Théologiens, philosophes, historiens, juristes et même économistes ont évoqué tous les critères possibles. Il est habituel de distinguer la guerre d’agression et la guerre de défense : les Israéliens ne peuvent rester sans réaction face à l’invasion du Hamas. Il ne s’agit pas de se venger avec haine, il s’agit de mettre fin à la barbarie. Il est également habituel de dire que si l’on veut garder la paix il faut préparer la guerre, cela ferait même partie du domaine régalien des États. Mais l’État d’Israël lui-même n’a pas rempli correctement sa mission ; peut-être les considérations politiques et économiques de court terme ont-elles occulté ou ralenti la défense nationale.

Je me permets de réduire le débat à un choix simple : se défendre, et pour ce faire dissuader les ennemis potentiels de passer à l’attaque, ou attendre les conflits pour réagir. Ce qui me semble à l’origine de la guerre actuelle c’est le désarmement militaire, mais aussi le désarmement moral qui caractérisent les pays libres depuis maintenant si longtemps, et sans aucun doute depuis le début de ce XXIe siècle.

Le désarmement militaire est d’autant plus incroyable que la course aux armements et l’apparition de nouvelles techniques ont été extrêmement rapides depuis vingt ans. Il faut remonter à la Seconde Guerre mondiale pour observer des changements aussi profonds. Mais la course est ruineuse, et elle entre en conflit avec les autres dépenses publiques que l’État-providence veut assumer, « quoi qu’il en coûte » (il est bien plus cher de lutter contre le réchauffement climatique que contre les barbares français ou étrangers, le budget de l’armée française et de plusieurs autres nations dites libres est ridicule).

 

Quant au désarmement moral, il est total.

Les valeurs de liberté, responsabilité, propriété et dignité ne sont plus enseignées ni pratiquées. Paradoxalement, on accuse le système capitaliste de développer l’individualisme, alors que le marché est la base de la concorde et du service mutuel.

Mais on a éliminé les supports du marché que sont la concurrence et la stabilité monétaire pour pratiquer le protectionnisme et la fausse monnaie.

On devrait aussi penser à la façon dont la jeunesse est éduquée et instruite, et aux chances d’une vie honnête et épanouissante. Le matérialisme a vaincu le spiritualisme. En 1983 Reagan a mis en place une stratégie de dissuasion avec l’Initiative de Défense stratégique (appelée Star Wars par les médias), il a voulu assumer les responsabilités américaines dans la guerre froide contre l’URSS, mais parallèlement les « divisions du pape » jadis ridiculisées par Staline sont venues soulever les Polonais contre l’occupant soviétique. Dès 1981, Jean Paul II prépare la chute du mur de Berlin dix ans plus tard.

Dans la guerre actuelle, nous devons comprendre les leçons de nos erreurs, mais surtout travailler à « tressaillir », à sortir des pièges de l’indifférence, de la résignation, de l’égoïsme et du loisir. Comme les Israéliens, nous devons nous mobiliser, lever l’armée de réserve de la société civile, nous devons sonner le réveil de la liberté.

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Israël-Palestine : les conséquences dévastatrices de l’assaut du Hamas

Par : The Conversation — 11 octobre 2023 à 04:45

Par Eyal Mayroz. 

Il y a presque 50 ans jour pour jour, Israël n’avait pas su anticiper le déclenchement de la guerre du Kippour de 1973, qui avait démarré par une attaque inattendue contre ses frontières par une coalition d’États arabes.

Aujourd’hui, il semble que les services de renseignement du pays aient à nouveau été victimes d’un faux sentiment de sécurité.

La conviction, largement partagée dans la société israélienne, que le Hamas ne chercherait pas à se lancer dans une confrontation militaire à grande échelle avec Tsahal pour se protéger et pour épargner de nouvelles souffrances aux habitants de Gaza a été anéantie par l’assaut surprise déclenché samedi matin, par voie aérienne, terrestre et maritime.

L’attaque a commencé par un tir de barrage de plusieurs milliers de roquettes tirées sur Israël. Sous le couvert de ces roquettes, une opération terrestre de grande envergure, soigneusement coordonnée, est partie de Gaza et a pris pour cibles plus de 20 villes israéliennes et bases militaires adjacentes à la bande de Gaza.

Les pertes israéliennes, estimées actuellement à plus de 600 morts et 2000 blessés, vont certainement augmenter dans les heures et les jours à venir.

Une mobilisation massive des réservistes de l’armée israélienne a été entamée, et des bombardements aériens ont frappé les installations et les postes de commandement du Hamas à Gaza. Plus de 370 victimes palestiniennes ont été signalées jusqu’à présent à Gaza, et 1700 personnes ont été blessées.

 

Les calculs du Hamas

Comme dans le cas de la guerre du Kippour, de nombreuses analyses et enquêtes seront menées dans les semaines, les mois et les années à venir sur les échecs en matière de renseignement, d’opérations sécuritaires et de politique qui ont permis au Hamas de prendre ainsi Israël à défaut. L’assaut n’a apparemment pas été détecté par les services israéliens dans un premier temps, puis a pu se dérouler avec succès pendant des heures, les combattants du Hamas se retrouvant face à des forces israéliennes insuffisantes ou non préparées.

Comme en 1973, l’assaut a été lancé durant le sabbat et lors de la fête juive de Souccot. Les objectifs stratégiques du Hamas sont incertains à ce stade. Toutefois, la sévérité certaine des représailles israéliennes contre le mouvement – et, par conséquent, contre la population civile de Gaza – rend probable l’existence de considérations allant au-delà d’une simple vengeance contre les actions israéliennes.

L’enlèvement d’Israéliens en vue de les échanger par la suite contre des militants du Hamas emprisonnés en Israël est depuis longtemps un objectif majeur des opérations militaires du mouvement islamiste.

En 2011, un soldat israélien, Gilad Shalit, qui était détenu à Gaza depuis 2006, avait été échangé contre plus de 1000 prisonniers palestiniens. Parmi ces prisonniers se trouvait Yahya Sinwar, l’actuel chef du Hamas à Gaza, qui avait passé 22 ans dans une prison israélienne.

Les rapports faisant état de dizaines d’Israéliens – dont de nombreux civils – capturés par le Hamas lors de l’assaut de ce week-end suggèrent qu’il pourrait s’agir là d’un motif central de l’attaque. Un nombre indéterminé d’otages détenus pendant des heures par des militants du Hamas dans deux villes du sud d’Israël ont été libérés par la suite par les forces spéciales israéliennes.

Des policiers israéliens évacuent une femme et un enfant d’un site touché par une roquette à Ashkelon, dans le sud d’Israël. Tsafrir Abayov/AP

Un autre objectif du Hamas, plus large, pourrait être de saper les négociations en cours entre les États-Unis et l’Arabie saoudite sur un accord visant à normaliser les relations entre le royaume et Israël.

Un échec de ces pourparlers serait une aubaine pour l’Iran, l’un des principaux soutiens du Hamas, et pour ses alliés. Téhéran a déclaré soutenir les attaques du Hamas contre Israël, mais on ne sait pas encore si l’Iran ou le Hezbollah (le groupe libanais chiite qui entretient un partenariat croissant avec le Hamas) ouvriront d’autres fronts dans les jours à venir, même si ce dernier a déjà tiré des obus contre le territoire israélien le 8 octobre.

Toute escalade du conflit en provenance de l’Iran ou du Liban serait très problématique pour Israël. Il en irait de même si la guerre contre le Hamas venait à exacerber les tensions déjà très sensibles et les affrontements violents entre Israël et les groupes militants palestiniens en Cisjordanie.

Des Iraniens agitent des drapeaux palestiniens lors d’une célébration de l’attaque du Hamas contre Israël à Téhéran. Abedin Taherkenareh/EPA

Et maintenant ?

Baptisée « Glaives de fer », l’offensive de représailles d’Israël contre le Hamas à Gaza risque de durer longtemps.

Outre la nécessité de restaurer la confiance de la société israélienne dans son armée, et de ressusciter la dissuasion militaire d’Israël face au Hamas et à d’autres ennemis, le gouvernement du Premier ministre Benyamin Nétanyahou devra probablement faire face à d’autres défis qu’il lui sera compliqué de relever : le sort des dizaines d’otages israéliens ; les risques que courront les forces israéliennes en cas d’incursion terrestre, à Gaza ; et les menaces d’escalade sur d’autres fronts, notamment au Liban, en Cisjordanie et dans les villes mixtes juives et palestiniennes à l’intérieur d’Israël.

En outre, le soutien international pourrait rapidement s’éroder en cas d’opération majeure à Gaza, à mesure que le nombre de victimes palestiniennes, déjà élevé, s’accroîtra.

Les violences actuelles viennent à peine de commencer, mais elles pourraient devenir les plus sanglantes depuis des décennies, peut-être même depuis la guerre entre Israël et les Palestiniens au Liban dans les années 1980.

Israeli warplanes target a tower in Gaza City after the Hamas attack. Mohammed Saber/EPA

Comme nous l’avons indiqué, les Israéliens considéreront sans aucun doute qu’il est essentiel de restaurer leur pleine capacité de dissuasion militaire face au Hamas – ce qui, aux yeux de beaucoup, pourrait nécessiter une prise de contrôle militaire de la bande de Gaza. Cela aurait des conséquences encore plus dévastatrices pour la population civile de Gaza.

Aux yeux de nombreux Palestiniens, les événements de ce week-end ont offert aux Israéliens un petit aperçu de ce qu’a été leur propre vie pendant des décennies d’occupation. Toutefois, les premières célébrations se transformeront probablement bientôt en colère et en frustration, car le nombre de victimes civiles palestiniennes continuera d’augmenter. La violence engendre la violence.

À court et à moyen terme, le traumatisme causé par l’attaque-surprise du Hamas ne manquera pas d’avoir des conséquences considérables sur la politique intérieure d’Israël.

Dans ses mémoires de 2022, Bibi. Mon Histoire, Benyamin Nétanyahou a évoqué sa décision, lors de l’opération israélienne « Pilier de défense » menée contre le Hamas en 2012, de ne pas lancer un assaut terrestre israélien à Gaza.

Une telle attaque, explique-t-il dans le livre, aurait pu causer plusieurs centaines de victimes parmi les forces de défense israéliennes et plusieurs milliers de victimes parmi les Palestiniens, ce à quoi il s’opposait catégoriquement. Il a autorisé des incursions terrestres à deux autres occasions (opérations « Plomb durci » en 2008 et « Bordure protectrice » en 2014. Mais la prudence l’a emporté dans d’autres cas, parfois du fait des fortes pressions dont il a pu faire l’objet.

Au vu de la combinaison du traumatisme national de ce week-end et de la composition du gouvernement de Nétanyahou, considéré comme le plus à droite de l’histoire du pays, il semble très peu probable qu’il fasse preuve de la même retenue dans les jours à venir.

Sur le web.

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Brève histoire du XXIe siècle : état et trajectoire des puissances mondiales

Par : Drieu Godefridi — 9 octobre 2023 à 05:30

Il est bien sûr présomptueux, presque risible, de prétendre rédiger l’histoire du XXIe siècle alors que nous sommes en 2023.

Pourtant, des tendances structurelles nettes se dégagent, et même s’il est impossible de prédire les prochains « cygnes noirs » — événements radicalement imprévisibles aux conséquences considérables (Taleb) — ces tendances sont si bien installées qu’il sera malaisé de s’en écarter.

J’en distingue quatre.

 

La stagnation de l’Europe

La première est la stagnation de l’Europe.

Depuis 2000, l’Europe décroche sur tous les plans. Croissance anémique, dénatalité fulgurante, désinvestissement militaire — dont des pays tels la Belgique et l’Allemagne ne sont toujours pas sortis — et sans doute le plus préoccupant : selon tous les classements internationaux, et tous les critères (brevets, investissement en capital, géants boursiers de type GAFA), l’Europe a cessé d’innover.

On innove aux USA, on innove encore en Asie, mais presque plus du tout en Europe. Si vous ajoutez à ce qui précède l’obsession écologiste de l’Union européenne, qui n’est plus guère qu’une machinerie à imposer des contraintes, vexations, punitions et taxes au nom de la transition énergétique, vous comprenez que la stagnation est un horizon dont l’Europe aura les pires difficultés à s’affranchir.

Or, l’histoire en témoigne : la stagnation n’est jamais qu’un état intermédiaire. Dans la durée, la stagnation est presque toujours l’antichambre, le prélude à la régression.

 

Le XXIe siècle sera chinois… vraiment ?

Les fines lames de la pensée abstraite, qui ont ceci de spécifique qu’elles se trompent à peu près tout le temps, sur tous les sujets — c’est la passion de l’erreur ! — toujours en faisant de grandes phrases, nous annoncent depuis cinquante ans que le XXIe siècle sera chinois. « Quand la Chine s’éveillera », on allait voir ce qu’on allait voir, sortez vos Assimil de chinois, ils arrivent.

On a vu. La Chine stagne.

En réalité, la Chine est prise dans les rets d’une crise à tous les niveaux dont elle aura les pires difficultés à se dépêtrer. Stagnation économique, effondrement démographique, taux de chômage des jeunes Chinois à 25 %, effondrement boursier, destruction de la place financière de Hong Kong, isolation monétaire — dire qu’on présidait le remplacement du dollar par le yuan ! — isolation géopolitique grandissante. La Chine parle fort sur Taïwan, mais elle n’a pas les moyens d’un conflit militaire d’envergure avec les États-Unis, ses alliés locaux et ses petits alliés de l’OTAN.

Surtout, le régime chinois, qui est une impitoyable dictature, dans laquelle on ne démissionne pas, mais on disparaît, ne possède pas les ressources institutionnelles d’une réforme pacifique. Xi décide, il décide seul, tel un dieu parmi les hommes (Aristote), et malheureusement pour les Chinois, il paraît à peu près aussi éclairé et ouvert à la critique qu’Hitler dans son bunker.

 

Les BRICs s’enrichissent, mais n’incarnent pas l’avenir

Et puis, il y a le reste du monde, ce qu’on appelait au XXe siècle le tiers-monde.

Alors, par comparaison avec le siècle précédent, le tiers-monde va bien, il va même considérablement mieux, car il s’est fortement enrichi, par le moyen de l’économie de marché et de l’ouverture au capitalisme international (à défaut de s’être fort ouvert sur le plan politique national).

Des experts nous expliquent que les BRICs incarnent l’avenir, comme ils nous expliquaient hier que le XXIe siècle serait chinois. Le problème est que les deux composantes majeures des BRICs — Chine et Inde — sont en situation de guerre à leur frontière, qu’il existe bien davantage de motifs qui divisent les BRICs que de causes de les réunir, et qu’une organisation ne décide jamais que selon le principe du plus petit commun dénominateur commun. Qui, dans le cas des BRICs, est proche de zéro.

Les BRICs s’enrichissent, des milliards de personnes sortent de la pauvreté, et l’on s’en réjouit. Mais l’idée que les BRICs dessineront le XXIe siècle ne résiste pas à l’analyse.

 

Une Amérique malade mais puissante

Reste l’ineffable système américain, qui joue constamment avec ses propres limites, qui s’apprête à désigner comme président, soit un homme à moitié fou, ivre de lui-même, soit un vieillard cacochyme immergé jusqu’aux yeux dans les pactes de corruption multiples de son brillant sujet de fils, Hunter (qui entrera dans l’histoire, à l’instar des enfants dégénérés des empereurs romains).

Le choix n’est guère reluisant.

Oh, et les problèmes des États-Unis sont innombrables, telle l’immigration, aussi anarchique là-bas qu’elle l’est chez nous. La haine et les clivages politiques sont tels qu’il y aura, immanquablement, des épisodes de violence. À New York, des gens crèvent en pleine rue, et à tous les coins de rue ; à San Francisco, Los Angeles, c’est tout pareil, résultat de cent politiques aberrantes des Démocrates. Oui, à maints égards, l’Amérique est malade.

Mais elle est aussi prospère, plus prospère qu’elle ne l’a jamais été, formidablement novatrice, à la tête de la plus éblouissante concentration militaire jamais rassemblée sur la surface de la Terre, et structurellement capable de mieux gérer les crises économiques et financières que ne le sont ses concurrents.

Pourquoi ? Par le simple motif de la flexibilité : aux USA, on engage et on licencie sans motif, avec un préavis de quelques jours. Dès qu’une entreprise se développe, elle embauche massivement car elle sait qu’en cas de coup dur, elle pourra licencier tout aussi rapidement. Une entreprise n’est jamais qu’une entité économique rationnelle.

S’il y avait un seul élément du système américain que nous devrions reproduire en Europe, c’est cette flexibilité du marché du travail.

Cela n’arrivera jamais ? Non, bien sûr, cela n’arrivera pas. Et c’est pour cela que l’Europe continuera à stagner, tandis que l’Amérique ouvre the way of the future.

Si l’on s’en tient aux faits, le XXIe sera plus américain qu’aucune alternative actuellement concevable.

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Quel rôle pour les BRICS dans l’économie mondiale ?

Par : The Conversation — 30 septembre 2023 à 04:40

Par Mary-Françoise Renard.

 

S’émanciper de l’influence des puissances occidentales et constituer une nouvelle force économique et géopolitique.

Tel est le souhait qu’ont exprimé les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), lors de leur 15e sommet qui s’est tenu à Johannesburg, en Afrique du Sud, du 22 au 24 août 2023. C’est aussi ce qui ressort lors du G77 qui s’est achevé le 16 septembre à La Havane.

Il ne s’agit pas de rompre avec ces puissances, mais de s’affirmer face à elles. Ces États, à l’instar d’autres pays émergents, considèrent qu’ils subissent les effets négatifs du développement des économies avancées, par exemple en matière environnementale, tout en devant en payer le prix. Ils souhaitent donc limiter leur dépendance et accroître leur pouvoir de décision.

On retrouve parmi les BRICS des situations très diverses. Le principal point commun à ces pays est d’être des économies émergentes grâce à une forte croissance, représentant des marchés attractifs pour les investisseurs internationaux, et n’appartenant plus au groupe des pays en développement sans être entrées dans celui des pays développés.

Le sommet de Johannesburg s’est conclu par l’adhésion de 6 nouveaux pays à partir de 2024 : l’Arabie saoudite, l’Argentine, l’Égypte, les Émirats arabes unis, l’Éthiopie, et l’Iran. Les candidats étaient nombreux, et un futur élargissement est probable. Ce sommet très médiatisé fut un succès, notamment pour la Chine, très favorable à de nouvelles adhésions, celles-ci concernant des pays avec lesquelles elle entretient de solides relations.

Quelles sont les raisons de cette évolution ? Et quelles peuvent en être les conséquences ?

 

Peser sur la gouvernance mondiale

Deux jours avant le sommet, le président sud-africain a affirmé sa volonté de non-alignement sur les grandes puissances. Il a ainsi confirmé la position de nombreux pays refusant de condamner l’agression russe en Ukraine afin de ne pas suivre la volonté de l’Europe et des États-Unis.

Ce sommet a donc été l’occasion de rappeler l’ambition de nombreux États du sud de reconfigurer leur rôle dans la gouvernance mondiale. Cela fait plusieurs années que les BRICS souhaitent accroître leur poids au sein des institutions internationales, particulièrement le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale. Ce vœu avait particulièrement été exprimé lors du premier G20 en 2008.

Ces demandes répétées ont fait l’objet d’un vote de principe en 2012 au FMI et une modification de ce que l’on appelle les « quotes-parts » en 2015. La quote-part d’un pays détermine le montant maximal de ressources financières qu’il s’engage à fournir au FMI, ainsi que le montant maximal de prêt qu’il pourra en obtenir. Surtout, en matière de gouvernance, elle représente le pouvoir de vote dans les décisions de cette instance mondiale. Ces quotes-parts sont révisées au moins tous les 5 ans par le Conseil des gouverneurs.

Or, malgré de profonds changements dans l’économie mondiale, les économies développées continuent d’être très majoritaires dans ce pouvoir de décision. La 15e révision présentée en 2020 n’a donné lieu à aucune modification des quotas, exacerbant le mécontentement des pays émergents : les BRICS restent en position de faiblesse par rapport aux économies avancées.

Plusieurs modifications ont été proposées, notamment dans la méthode de calcul, sans résultat jusqu’à maintenant. Cette méthode tient compte, par ordre d’importance, du PIB, du degré d’ouverture de l’économie, de sa stabilité et des réserves en or et en devises du pays.

Une 16e révision générale des quotes-parts est en cours et devrait être achevée d’ici mi-décembre 2023. En attendant, face à ce qu’elle considère comme une sous-estimation de son rôle dans l’économie mondiale, la Chine, en lançant l’initiative « Une ceinture, une route » (généralement appelée projet des routes de la soie), veut permettre la création d’institutions considérées comme des alternatives au FMI et à la Banque mondiale. La Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures créée en 2013, et la Nouvelle banque de développement, appelée parfois banque des BRICS, en 2015, ont leurs sièges respectifs à Pékin et Shanghai.

La Chine détient 26 % des droits de vote dans la première, contre 16 % pour la zone euro, et accroît ainsi son rôle dans la gouvernance mondiale. L’ouverture de la seconde à de nouveaux pays comme l’Arabie saoudite va renforcer ses capacités financières tout en permettant à ce pays de diversifier ses placements. Elle n’est pas une alternative au FMI ou à la Banque mondiale, mais elle renforce le pouvoir de négociation des BRICS.

 

Internationaliser le yuan

Outre les instances internationales, c’est également via le marché des devises que les BRICS tentent d’acquérir un poids nouveau.

Brièvement évoquée par le président du Brésil, l’existence d’une monnaie commune à ces États n’a pas été retenue et semble très peu probable compte tenu de leur hétérogénéité. Celle-ci devient en outre encore plus grande avec l’élargissement du groupe.

Le caractère international d’une monnaie s’apprécie par son utilisation en dehors de son territoire national, pour les échanges commerciaux et financiers, comme réserve de change et sur le marché des changes. Elle est un vecteur de confiance dans les transactions internationales. Depuis la création de l’euro en 1999, la part du dollar dans les réserves des banques centrales est passée de 71 % à 54,7 % en 2023, celle de l’euro étant de 18,3 % et celle du yuan de 2,39 %. La baisse du poids du dollar est donc réelle, mais cette monnaie continue néanmoins à dominer très largement les autres, le yuan (ou Renminbi) occupant le 7e rang.

C’est la Chine qui semble la plus à même de proposer une alternative et de permettre à certains pays de se soustraire à la domination du dollar. Le contexte y semble propice pour plusieurs raisons.

En faisant usage du pouvoir d’extraterritorialité de leur loi, permise par le statut de monnaie internationale du dollar, pour pénaliser notamment des entreprises étrangères, les États-Unis ont en quelque sorte rompu le pacte implicite qui les liait au reste du monde. En sanctionnant les pays commerçant avec ses adversaires, Washington a généré une grande inquiétude dans de nombreux pays réticents à s’aligner sur les positions américaines. D’ailleurs, à partir de 2014, début des sanctions occidentales contre la Russie, même les entreprises françaises ont diminué leur usage du dollar.

Alors que le gel des avoirs de la Russie et son exclusion du système de paiements internationaux Swift à la suite de l’invasion de l’Ukraine a été très mal perçu par nombre de pays du sud, la Russie s’est par ailleurs tournée vers le système alternatif mis en place en 2015 par la Chine, nommé CIPS pour « China International Payment System ».

L’internationalisation du yuan progresse donc, assez lentement, mais son utilisation par les pays émergents et en développement est croissante. Il a été intégré aux Droits de tirage spéciaux du FMI en 2016. La banque centrale chinoise multiplie les accords de swaps qui facilitent les échanges de devises, et les prêts aux pays intégrés au projet des routes de la soie se poursuivent.

 

Le dollar, toujours monnaie de référence

En juillet 2023, le yuan ne représentait que 3,06 % des paiements en devise contre 46,46 % pour le dollar et 24,42 % pour l’euro, ce qui le place au 5e rang. La taille du pays, son poids dans l’économie mondiale, et particulièrement dans le commerce international pourrait soutenir la position du yuan comme monnaie internationale.

Si l’on observe une diversification dans l’utilisation des monnaies, l’évolution la plus probable est une poursuite de ce mouvement, avec une régionalisation permettant l’usage de monnaies locales et la poursuite d’un processus d’internationalisation du yuan, mais le dollar restant la monnaie internationale de référence. En effet, l’inconvertibilité du yuan, le contrôle des capitaux et la taille insuffisante des marchés de capitaux de la Chine l’empêchent encore de faire de sa monnaie une alternative au dollar. Celui-ci garde un rôle central dans le système monétaire international en raison du poids politique, militaire et économique des États-Unis qui, eux, présentent les garanties permettant d’avoir une monnaie internationale : un système financier de grande taille, une gouvernance de celui-ci transparente et fondée sur des règles et une faible distinction entre résidents nationaux et étrangers.

L’hétérogénéité des BRICS, la divergence de leurs intérêts rend difficile la coordination de leurs politiques. Comme ils ne souhaitent pas une rupture avec les États-Unis et l’Europe, ces rapprochements peuvent néanmoins leur permettre d’accroître leur pouvoir de négociation et de peser sur la gouvernance mondiale sur les sujets fondamentaux que sont la lutte contre la pauvreté ou la soutenabilité environnementale du développement.The Conversation

Mary-Françoise Renard, Professeur d’économie, Université Clermont Auvergne (UCA)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Affaiblir les dictatures

Par : Patrick Aulnas — 28 septembre 2023 à 05:15

L’espoir de voir l’État de droit et la démocratie se généraliser peu à peu sur notre planète s’est aujourd’hui évanoui.

Cet espoir était apparu après la chute de l’URSS et l’abandon du communisme par la Russie. Il avait été conforté par l’insertion progressive de la Chine dans le commerce international, qui conduisait à une relative libéralisation. Mais la dictature mafieuse de Poutine a stoppé cette évolution en Russie, et le repli vers l’omnipotence du parti communiste a commencé en Chine.

Le pouvoir politique sans limite relève donc la tête. Le danger est considérable, eu égard à la détention par les dictateurs d’armes de destruction massive. Les analyses anciennes doivent être révisées.

 

Dictatures de droite et dictatures de gauche ?

Au XXe siècle, la distinction entre les dictatures de droite (fascisme, nazisme) et de gauche (communisme) était admise par tous.

Le fascisme souhaitait idéologiquement instaurer une société inégalitaire glorifiant les chefs et asservissant les exécutants. Le communisme aspirait idéologiquement au contraire : une société sans classes. Mais l’idéologie n’a joué aucun rôle réel. Les communistes utilisaient d’ailleurs le concept de dictature du prolétariat pour justifier l’autocratie des dirigeants très privilégiés du Parti communiste. Ce concept de dictature du prolétariat, qui nous semble aujourd’hui une mauvaise plaisanterie, était parfaitement admis par les partis communistes occidentaux.

La distinction ancienne entre dictature de droite et de gauche n’a donc plus aucune valeur.

La Russie et la Corée du Nord démontrent clairement que le communisme ne fut qu’un prétexte idéologique pour refuser la liberté. Poutine rêve encore de la triste URSS d’antan et Kim Jong Un utilise le communisme pour maintenir sa tyrannie. Les régimes politiques actuels les plus sanglants, n’hésitant jamais à assassiner les opposants, sont issus du communisme.

Le seul critère politique robuste est donc la liberté.

Les démocraties fixent des limites au pouvoir politique et à sa violence consubstantielle. Les dictatures sont violentes par essence, puisque le pouvoir de leurs gouvernants provient de la force brutale. Elles exportent cette violence pour s’opposer aux démocraties.

 

L’impérialisme des dictatures, paravent de leur faiblesse

Les deux plus puissantes dictatures de la planète suivent aujourd’hui le même chemin réactionnaire.

La Chine s’était ouverte au commerce international au début du XXIe siècle (présidence de Hu Jintao) ce qui impliquait une certaine libéralisation.

La forte croissance économique (plus de 10 % par an parfois) était un indicateur de la réussite de cette politique puissamment exportatrice. Mais l’arrivée de Xi Jinping au pouvoir en 2013 a marqué un revirement. Pour ce dirigeant, la domination sans partage du Parti communiste ne peut être remise en cause. Il en résulte un repli économique et un durcissement politique conduisant inéluctablement à un recul du niveau de vie. Il est alors nécessaire d’instrumentaliser le politique pour proposer à la population des objectifs mobilisateurs. L’impérialisme chinois reprend donc ses droits avec l’absorption de Hong Kong et les menaces répétées sur Taïwan.

L’histoire récente de la Russie présente de nombreuses analogies.

La libéralisation progressive sous le dernier dirigeant soviétique (Mikhaïl Gorbatchev), puis sous le premier président de la Fédération de Russie (Boris Eltsine) a cédé la place à un repli autoritaire et nostalgique de la puissance soviétique. Les richesses naturelles de l’immense territoire russe permettraient une élévation rapide du niveau de vie de la population, si le pays acceptait de s’insérer dans les échanges internationaux, et s’il s’ouvrait à la coopération avec l’Occident.

Mais le clan quasi-mafieux qui gouverne ne songe qu’à son maintien au pouvoir.

Poutine a donc fait adopter une loi lui permettant de s’y maintenir jusqu’à 2036 (il aurait 84 ans). Que proposer alors à la population ? Le danger extérieur, évidemment, grand classique de la justification de l’impérialisme des dictatures. La guerre en Ukraine contre un pays souverain devient ainsi une guerre de libération, de dénazification. L’Occident devient globalement l’ennemi. Mais la population, hormis celle de quelques grandes villes, vit dans la pauvreté sous la férule des dirigeants.

 

Affaiblir les dictatures en les isolant

Si l’on admet comme prémisse que la liberté est la condition du progrès, et par suite de la puissance, les démocraties n’ont qu’une option à long terme : affaiblir les dictatures.

Les dictatures prêtent d’ailleurs involontairement le flanc à cette stratégie, puisqu’elles ont une propension à l’isolement, prodrome du déclin. Les rencontres de dirigeants (par exemple Poutine et Kim Jong Un) ne doivent pas faire illusion. Elles ne s’accompagnent évidemment pas d’échanges libres entre les populations. Il ne s’agit que de communication politique et, au mieux, de quelques contrats entre États.

La véritable puissance provient de la société elle-même, lorsqu’elle acquiert par la recherche et l’innovation libres une avance technologique importante. Les États-Unis ont ainsi distancé l’URSS au XXe siècle. La coopération étroite États-Unis/Europe (plan Marshall) avait permis le développement et l’enrichissement du vieux continent. Les innovations majeures de notre époque proviennent toutes d’Occident (énergie nucléaire, informatique et numérisation de l’information, biotechnologies, etc.).

Mais actuellement, des erreurs d’analyse majeures des gouvernants européens, en particulier dans le domaine de l’énergie, peuvent faire naître l’inquiétude. Il est évident que l’énergie nucléaire est l’une des plus grandes découvertes de l’histoire de l’humanité. L’être humain n’a jamais renoncé à une découverte majeure, et ne renoncera pas à celle-là. La politique de certains pays, comme l’Allemagne, qui ont abandonné le nucléaire civil pour des raisons purement électoralistes (les voix des partis écologistes) représente un grave danger. La fermeture de la centrale de Fessenheim en France fut une absurdité.

Les quantités d’énergie nécessaires pour maintenir notre puissance et distancer les dictatures seront gigantesques.

Avec le rationnement énergétique lié à l’idéologie écologiste, une véritable guerre de l’énergie risque de naître. Il est donc vital pour l’Occident de maintenir sa suprématie scientifique et technique, et de disposer d’une énergie abondante et décarbonée. Seule l’énergie nucléaire peut y pourvoir, ce qui ne signifie pas qu’il faille abandonner éoliennes et panneaux solaires. Mais ce ne sont que des appoints intermittents. Les autocraties russe et chinoise n’ont aucun scrupule dans ce domaine, et poursuivent activement la construction de centrales nucléaires.

Pour maintenir la liberté sur notre planète, le réalisme s’impose. La sidérante naïveté des Européens, abandonnant le nucléaire civil et ne disposant même pas d’une défense puissante et coordonnée, est observée avec ravissement de Moscou et de Pékin. Il est possible que nos dirigeants aient été des enfants de chœur dans leur jeunesse. Ils feraient bien de ne pas le rester en tant que gouvernants.

 

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Les conséquences économiques du tremblement de terre au Maroc

Par : The Conversation — 23 septembre 2023 à 04:45

Par Jean-Yves Moisseron.

 

Dans la nuit du 8 au 9 septembre 2023, le Maroc a connu sa plus grande catastrophe naturelle de l’époque moderne, un séisme de magnitude 7 sur l’échelle de Richter, d’un niveau supérieur au tremblement de terre d’Agadir de 1960. Toute la région du Haouz, la ville de Marrakech et l’arrière-pays montagneux ont été particulièrement affectés.

Dans l’état actuel des choses, le bilan humain s’élève à 3000 morts et plus du double de blessés. 50 000 habitations auraient été détruites, certains villages étant complètement réduits en ruines. De nombreuses routes sont impraticables. Une trentaine de monuments historiques – greniers villageois, ksours, mosquées – ont été détruits ou fortement endommagés. C’est le cas de la mosquée de Tinmel, à Talat N’Yaqoub, symbole de la dynastie des Almohades, qui était en restauration. C’est le cas aussi du grenier collectif du village d’Aït Ben Haddou, qui est à présent partiellement en ruines.

Les dégâts s’étendent sur un large territoire, constitué essentiellement de zones rurales pauvres. Ils sont estimés à l’heure actuelle à environ 10 milliards d’euros, soit 8 % du PIB du pays. Cela peut paraître considérable, mais il faut mettre ces chiffres en relation avec les transferts des Marocains de l’étranger, qui s’élèvent à une somme équivalente – 11 milliards en 2022.

Par ailleurs, le Maroc dispose de réserves de change d’un montant de 35 milliards d’euros. Les infrastructures essentielles, notamment l’aéroport et la gare de Marrakech, n’ont pas été impactés, et l’essentiel des activités industrielles, qui se situent dans des régions éloignées du séisme ont été épargnées.

Grace à son développement, le Maroc est donc en mesure de faire face à ce séisme, d’autant qu’il s’accompagne d’une très forte solidarité publique et privée.

 

Quel impact pour le tourisme ?

Après la période du covid, le Maroc a connu une nette augmentation des entrées touristiques, dans un mouvement de rattrapage de la situation antérieure à la pandémie. Au premier semestre 2023, ces entrées ont connu une augmentation spectaculaire de 92 %, ce qui était attendu après deux années particulièrement difficiles.

C’est d’autant plus important que la zone frappée dans la nuit du 8 au 9 septembre, à savoir la région du Haouz et la ville de Marrakech, est la plus touristique du pays. Si le tourisme représente 7 % du PIB marocain, ce ratio est largement supérieur dans la région de Marrakech, qui ne compte pas beaucoup d’industries, et qui vit essentiellement grâce aux recettes issues du tourisme. Nombre d’habitants de l’arrière-pays et de l’Atlas vivent aussi de l’artisanat que génère le tourisme, notamment la confection de tapis, paniers et autres.

Il est cependant probable que le séisme n’ait pas d’impact majeur sur le tourisme. Même s’il retarde quelque peu le rattrapage en cours, les dégâts dans la ville de Marrakech sont minimes et ont principalement touché une partie de la médina. Les bâtiments historiques et, notamment, le minaret de la Koutoubia ont été épargnés.

Certains hôtels ou riads déplorent des fissures et doivent mener des expertises pour garantir la sécurité des bâtiments, mais très peu seront contraints de se lancer dans des travaux de consolidation d’envergure. Pour l’essentiel, la capacité d’accueil des infrastructures de Marrakech est préservée, et la vie est normale dans la ville. De fait, le nombre d’annulations touristiques reste à ce jour très limité, même si le dernier trimestre 2023 sera moins bon que prévu.

 

Le difficile accès aux assurances

Dans l’arrière-pays, la situation est différente. Certains villages sont détruits et les infrastructures seront affectées pendant une longue période. Mais il s’agit de sites touristiques secondaires par leur fréquentation, même si les revenus générés sont substantiels pour les populations locales.

Cependant, un point mérite d’être souligné. Les conséquences pour les plus pauvres dans les zones rurales seront d’autant plus difficiles à supporter que les systèmes de couverture des risques sont pour l’instant assez peu adaptés à leurs situations. Il existe en effet un régime de couverture contre les conséquences d’évènements catastrophiques (EVCAT), qui vise à indemniser les victimes des dégâts corporels et/ou matériels résultant des catastrophes naturelles.

La loi 110-14 met en place un régime mixte d’indemnisation qui comporte un volet assurantiel et un volet allocataire. Ceux qui disposent d’un contrat d’assurance multirisque habitation, d’un contrat automobile ou d’assurance corporelle peuvent s’adresser à leur assurance. Mais encore faut-il que le contrat inclue effectivement la protection EVCAT. Or ce dispositif date de 2020 et, d’après le guide d’information de l’Autorité de Contrôle des Assurances et de la Prévoyance (ACAPS), « l’insertion de la garantie EVCAT concerne les contrats souscrits ou renouvelés depuis l’entrée en vigueur de ce régime ». EVCAT ne concerne donc qu’un nombre réduit de contrats. Par ailleurs, et c’est le point le plus essentiel, la plupart des victimes n’ont pas de contrat, notamment en milieu rural.

Pour ceux qui ne disposent pas de contrat d’assurance, il existe un fonds de solidarité contre les événements catastrophiques qui couvre les dommages corporels et la perte de résidence principale. Il est financé par une contribution sur les contrats d’assurance. Mais il faut un arrêté du chef du gouvernement, publié au Bulletin officiel dans un délai maximum de trois mois après la survenue de l’événement catastrophique, pour activer ce régime. Cet arrêté doit préciser la zone sinistrée, la date de l’événement, la durée de l’événement catastrophique.

En outre, l’activation du régime ne suffit pas. En effet, l’indemnité liée à un préjudice corporel est déterminée par l’incapacité ou le décès. La première doit être établie par un médecin exerçant dans le secteur public, et le second par la fourniture de l’acte de décès. Tout cela suppose que les victimes puissent aisément s’adresser aux administrations concernées, ce qui n’est pas le cas des zones rurales. Le capital de référence qui sert de base au calcul de l’indemnité dépend du salaire ou des revenus de la victime. Ces revenus doivent naturellement être documentés par des justificatifs. Or, la plupart des habitants dans les régions pauvres ne disposent pas de revenus et, s’ils en disposent, les documents sont probablement enfouis sous les décombres.

En ce qui concerne l’indemnité pour perte de résidence principale ou pour privation de jouissance, les choses sont aussi compliquées pour les plus pauvres. L’allocation pour privation de jouissance est fixée à six fois la valeur locative mensuelle, déterminée par un comité d’experts et encadrée par l’administration après avis de l’ACAPS. La demande d’indemnisation repose sur un rapport d’expertise rédigé par le comité d’expertise. Si le dossier est accepté, le fonds de solidarité notifie la proposition d’indemnisation au demandeur, par lettre recommandée avec accusé de réception ou par voie extrajudiciaire.

On mesure ici la difficulté des procédures pour les plus pauvres qui ne peuvent pas toujours comprendre, et même de lire des documents administratifs dans des villages complètement détruits, qui peuvent aussi n’avoir ni domicile ni même d’adresse.

 

Une note d’espoir

On le voit : les dispositifs mis en place pour indemniser les victimes risquent de s’adresser en priorité aux populations urbaines, titulaires de contrats d’assurance pour des dégâts partiels sur leur habitation ou leur véhicule. Les plus pauvres en zone rurale, qui sont aussi les plus impactés, risquent donc de demeurer en dehors des dispositifs mis en place. C’est pourquoi il faut espérer que le Fonds spécial créé sur instruction royale pourra s’adresser vraiment à eux, et que certaines organisations apporteront un accompagnement dans les démarches.

Finissons sur une note d’espoir. La crise peut avoir des effets positifs. En focalisant l’attention sur le patrimoine matériel très riche de la région et sur la situation précaire des populations, une reconstruction des infrastructures en milieu rural pourrait s’accompagner de nouvelles stratégies de tourisme durable, incluant des éléments culturels qui seraient de nature à diversifier l’offre touristique. Les conséquences dépendront finalement de la capacité du Maroc à transformer l’épreuve en opportunité.The Conversation

 

Jean-Yves Moisseron, Socio-économiste Directeur de Recherche IRD/HDR, Institut de recherche pour le développement (IRD)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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L’intervention des États dans l’économie nuit à la croissance et appauvrit le monde

Par : Jean-Philippe Delsol — 21 septembre 2023 à 04:45

Un article de l’Iref-Europe

 

La croissance baisse presque partout dans le monde, et notamment en Europe. Dans le même temps, la mondialisation est accusée de la perte de souveraineté des pays occidentaux, de la pénurie de puces ou de médicaments.

Dès lors, les États s’empressent d’intervenir pour subventionner leur industrie à tour de bras en dépit des règles de libre-échange qu’ils ont souscrites. Ce faisant, ils détruisent leur économie plus qu’ils ne la renforcent.

 

Un principe de non immixtion…

Depuis les années 1950, le commerce international s’est développé dans le cadre d’accords multilatéraux selon lesquels les droits de douane diminuent en contrepartie d’une interdiction des États parties aux accords de nuire à la concurrence en aidant leurs entreprises.

Ainsi, les grandes règles du commerce international acceptées par les 163 membres de l’Organisation mondiale du commerce, représentant 98 % du commerce mondial, limitent les subventions publiques aux producteurs qui faussent la libre concurrence internationale. Dans l’Union européenne, les articles 107 et 108 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne – TFUE – posent le principe de l’interdiction des « aides d’État ». Il s’agit notamment d’éviter que des subventions accordées à une entreprise par un État, ou avec les ressources d’un État, procurent à cette entreprise un avantage sélectif susceptible d’affecter les échanges entre États membres et la concurrence.

Cette libéralisation des échanges après la Première Guerre mondiale a fait que la valeur du commerce mondial est aujourd’hui presque 350 fois plus élevée qu’alors. Depuis 1995, le volume et la valeur des échanges mondiaux ont augmenté respectivement de 4 % et de 6 % en moyenne. Depuis 1990, le commerce a fait progresser les revenus de 24 % au niveau mondial, et de 50 % pour les 40 % les plus pauvres de la population.

 

… bafoué sans vergogne

Mais désormais, tous les prétextes sont bons pour déroger aux règles de l’OMC ou de l’Union européenne.

Déjà, en 2015, la Chine a lancé son plan massif d’aides Made in China 2025, tandis qu’aux États-Unis, Joe Biden a présenté successivement des plans massifs pour soutenir l’industrie verte, les semi-conducteurs et les infrastructures : son plan Inflation Reduction Act (IRA), adopté en août 2022, prévoit 369 milliards de dollars (presque autant d’euros) d’aides sur dix ans pour les entreprises qui développent des technologies concourant à la transition écologique. Et ce sera sans doute beaucoup plus.

L’Europe n’est pas en reste.

En 2020, le covid a justifié l’adoption d’un plan de relance de 750 milliards d’euros complété en 2022 au motif de guerre d’Ukraine (RePowerEU) pour aider notamment à la transition énergétique. Puis est venu le Chips Act en avril 2023. Les aides d’État, qui étaient exceptionnelles, sont devenues monnaie courante dans des domaines de plus en plus larges, définis comme stratégiques. Ainsi deux autres plans sont en négociation, notamment pour favoriser l’approvisionnement en matières premières stratégiques (lithium, terres rares, graphite…). Désormais, toutes les grandes implantations industrielles font monter les enchères entre les différents pays d’Europe pour obtenir le plus possible de subventions.

Les aides d’État qui se multiplient sont pourtant incompatibles avec le libre-échange puisqu’elles sont autant d’atteintes à une concurrence loyale. L’Europe en est bien consciente lorsqu’elle attaque la Chine qui a subventionné très largement la voiture électrique. Mais plutôt que d’élever des droits de douane à l’encontre des produits chinois à due proportion, elle se lance à son tour dans une compétition à celui qui offrira le plus d’aides pour implanter ArcelorMittal en Espagne (450 millions d’euros), le fabricant suédois de batteries Northvolt en Allemagne, ou pour accueillir la construction de deux usines de semi-conducteurs à Magdebourg par Intel (10 milliards d’euros)…

 

Les contribuables paieront

Lorsqu’il a été décidé de lancer un grand emprunt européen le 21 juillet 2020, Emmanuel Macron avait déclaré sur TF1 : « Ce n’est pas le contribuable français qui paiera cette dette ».

En effet, selon l’accord européen, le capital et les intérêts devaient être payés par de « nouvelles ressources propres ». L’idée était de faire payer par les importateurs des taxes à l’entrée de produits dans l’UE. Ainsi a été créée la taxe carbone aux frontières, mais elle ne devrait rapporter guère plus de deux milliards d’euros par an. Qui plus est, il est évident que cette taxe payée par l’importateur sera en grande partie répercutée dans le prix des biens de consommation. Si ce n’est pas en tant que contribuable que nous paierons cette dette, ce sera en tant que consommateur…

Dans le même temps, l’augmentation du coût de l’argent fait que les annuités de remboursement de cette dette évaluées initialement à une quinzaine de milliards devraient doubler ou tripler ! La Commission européenne se tourne donc maintenant vers les États pour leur prendre une partie de leurs ressources au titre notamment d’une contribution nationale, qui devrait générer environ 16 milliards d’euros (aux prix de 2018) par an à partir de 2024, versée à l’UE par les États membres sur la base de l’excédent brut d’exploitation des secteurs des entreprises financières et non financières.

De fait, ce sont les contribuables qui paieront ! Il n’y a pas d’argent magique et les politiques d’emprunt public sont presque toujours des leurres.

 

Et le monde en souffrira

Désormais, la croissance des échanges mondiaux faiblit et se polarise par blocs géopolitiques : Europe, Asie et Amérique du Nord.

Pour 2023, l’Organisation mondiale du commerce estime que le taux de croissance du commerce mondial tombera à un maigre 1 %, après 3,2 % en 2022. Le rétrécissement des marchés auquel on assiste affaiblira le monde entier. Parce que les échanges contribuent très largement à la création de richesse en permettant aux individus d’optimiser entre eux leurs talents, et de valoriser leurs ressources naturelles.

Des limitations au commerce international peuvent être justifiées pour tenter d’affaiblir des gouvernements totalitaires (Chine, Iran, Corée du Nord…). Mais sous cette seule réserve, elles sont une atteinte grave au bien-être des peuples.

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Les BRICS vont-ils détrôner le dollar américain ?

Par : Mises Institute — 16 septembre 2023 à 04:45

Le sommet des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) s’est achevé sur une invitation à rejoindre le groupe adressée aux Émirats, à l’Égypte, à l’Iran, à l’Arabie saoudite, à l’Argentine et à l’Éthiopie.

Le sommet a fait couler beaucoup d’encre quant à l’impact de ce vaste groupe de nations, y compris des spéculations sur la fin du dollar américain en tant que monnaie de réserve mondiale si ce groupe est perçu comme une menace pour les États-Unis, ou même pour le Fonds monétaire international.

Plusieurs points doivent être clarifiés.

 

De nombreux analystes politiques pensent que la Chine prête, investit ou soutient sans contrepartie. Elle est une grande puissance économique, mais elle n’a aucun intérêt à être une monnaie de réserve mondiale. Sa monnaie n’est actuellement utilisée que dans 5 % des transactions mondiales, selon la Banque des règlements internationaux.

La Chine et la Russie pratiquent le contrôle des capitaux. Il est impossible d’avoir une monnaie de réserve mondiale sans liberté de circulation des capitaux. Pour avoir une monnaie fiduciaire stable, il faut plus que de solides réserves d’or. Il est essentiel de garantir la liberté économique, l’investissement, la sécurité juridique et la libre circulation des capitaux, ainsi qu’un système financier ouvert, transparent et diversifié.

La Chine et la Russie sont des prêteurs beaucoup plus exigeants et rigoureux que ne le pensent de nombreux hommes politiques. Il semble que certains politiciens des marchés émergents pensent que l’adhésion à la Chine et à la Russie sera une sorte de panacée en matière d’argent gratuit.

Un autre problème lié à la création d’une monnaie des BRICS est que, logiquement, ni la Chine ni la Russie n’ont la moindre intention de perdre leur monnaie nationale pour la diluer aux côtés d’un groupe d’émetteurs dont le bilan en matière de maîtrise des déséquilibres monétaires est douteux.

Au cours des dix dernières années, les monnaies des pays invités par les BRICS se sont fortement dépréciées par rapport au dollar américain.

Selon Bloomberg : le peso argentin a chuté de 98 %, la livre égyptienne de 78 %, la roupie indienne de 35 %, le birr éthiopien de 68 %, le real brésilien de 55 % ; et selon The Economist, le rial iranien s’est effondré de 90 %.

Ce n’est pas en réunissant des monnaies faibles que l’on obtient une monnaie forte.

Il ne faut pas oublier que la performance du rouble russe (-68 % par rapport au dollar américain, selon Bloomberg) au cours de la dernière décennie a également été médiocre, malgré une banque centrale relativement prudente.

La meilleure monnaie des « BRICS et invités » par rapport au dollar américain au cours des dix dernières années est le yuan chinois, avec une dépréciation de seulement 14 %.

Pour qu’une monnaie fiduciaire soit stable, il est nécessaire que l’émetteur la défende en tant que réserve de valeur, méthode de paiement généralement acceptée et unité de mesure. La liberté des capitaux et des institutions indépendantes offrant une sécurité juridique aux investisseurs nationaux et internationaux est nécessaire. Une puissance militaire forte ne garantit pas une monnaie acceptée comme réserve de valeur, comme l’a démontré le désastreux kopek soviétique, malgré l’influence de l’URSS sur la moitié du monde.

L’union de pays dont les gouvernements prônent la monétisation des dépenses publiques incontrôlées et l’accroissement massif des déséquilibres monétaires ne peut créer une monnaie stable, sauf à suivre l’exemple de l’euro.

Dans l’euro, l’Allemagne, le pays dont la politique budgétaire est la plus prudente et la plus responsable, a dicté les grandes lignes des règles monétaires et budgétaires pour les autres. Malheureusement, en essayant de jouer le rôle des États-Unis et de la Réserve fédérale, la zone euro et la BCE ont perdu la plupart de leurs possibilités d’être une véritable alternative au dollar américain.

L’euro est le plus grand succès monétaire fiduciaire de l’ère post-Bretton Woods ; ne le privons pas de son mérite.

L’alternative BRICS commence par un talon d’Achille majeur.

La Chine et la Russie vont avoir de grandes difficultés à imposer des restrictions budgétaires et monétaires à leurs partenaires. N’oublions pas que plusieurs de ces partenaires ont rejoint le groupe, pensant qu’ils pourront désormais continuer à imprimer de l’argent et à dépenser sans contrôle, mais que leurs déséquilibres monétaires seront distribués à d’autres nations.

L’euro a été un succès parce que des démocraties libérales dotées d’institutions indépendantes, d’une grande liberté économique et d’une sécurité juridique ont accepté d’aligner leurs politiques pour le bien commun, créant ainsi une monnaie solide qui a évité la débâcle créée par les spirales inflationnistes qui ont été la norme en Europe au cours de l’histoire, lorsque les gouvernements se consacraient à transférer leurs déséquilibres sur les salaires et l’épargne des citoyens par la destruction monétaire.

Cela ne semble pas facilement reproductible avec les BRICS et les invités.

La Chine peut toutefois accroître son contrôle sur tous ces pays en mettant en œuvre des politiques monétaires et fiscales rigoureuses. Elle est le prêteur le plus puissant de tous les BRICS, mais il est peu probable qu’elle prenne le rôle de l’Allemagne de l’euro, prête à absorber les excès des autres en échange d’un projet commun.

La Chine va accroître son contrôle sur les pays du groupe, mais il est peu probable qu’elle mette en péril la stabilité et la sécurité de son énorme population en faisant baisser sa monnaie. Le gouvernement chinois est probablement en train d’analyser la perte de prudence monétaire de l’euro, et d’arriver à la conclusion qu’il ne peut pas prendre le même risque avec certains de ces nouveaux partenaires.

Toutefois, la Chine tirera probablement le meilleur parti de sa puissance financière pour accorder des prêts, accroître ses possibilités de croissance nationale et internationale et accéder à des matières premières abondantes et bon marché.

La Chine est la grande gagnante du sommet des BRICS.

Le gouvernement chinois sait probablement que nombre de ses partenaires vont continuer à accroître leurs déséquilibres, ce qui pourrait permettre à la Chine de renforcer sa position de leader. Toutefois, j’ai du mal à croire que la Chine acceptera la création d’une monnaie que d’autres pourront utiliser pour déclencher des déséquilibres inflationnistes.

Pendant ce temps, aux États-Unis, le gouvernement peut mettre en péril la crédibilité du dollar américain s’il continue à générer des déficits de deux mille milliards de dollars par an, plus d’un déficit estimé à 14 mille milliards de dollars d’ici 2030, et avec un nombre croissant de conseillers irresponsables affirmant qu’il peut créer tout l’argent qu’il veut sans risque. La crédibilité fiscale, l’indépendance institutionnelle et la liberté économique du dollar américain, la monnaie la plus utilisée dans le monde, consolident son leadership. Si le gouvernement affaiblit ces atouts, le dollar perdra son statut de réserve.

Si elle survient, la fin du dollar américain ne viendra pas de la concurrence d’une autre monnaie fiduciaire, car la tentation des gouvernements de détruire le pouvoir d’achat de la monnaie émise est trop forte. Elle viendra probablement de monnaies indépendantes.

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Les BRICS : une organisation disparate et liberticide

Par : Jean-Philippe Delsol — 14 septembre 2023 à 04:45

Un article de l’Iref-Europe

 

À l’origine, les BRICS avaient vocation à réunir des pays peu développés mais en forte ascension pour leur permettre de peser au niveau mondial.

Depuis 2011, cinq pays en étaient membres : le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud. Fin août, ils ont élargi leur organisation à l’Iran, l’Argentine, l’Égypte, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et l’Éthiopie. Comptant ainsi en leur sein trois des cinq pays les plus étendus du monde, et les deux pays les plus peuplés, les BRICS représentent 46 % de la population mondiale et 36 % du PIB.

Mais désormais cette alliance disparate apparaît surtout comme le camp des pays opposés aux valeurs occidentales. Il s’agit d’un rassemblement de pays totalitaires (Chine, Iran), despotiques (Russie, Égypte, Arabie saoudite) ou pour le moins intolérants (Inde) et étatistes, populistes sinon collectivistes. La corruption y règne, le public et le privé se mélangent volontiers pour le profit d’une minorité, la démocratie n’y a guère de droits, et les libertés essentielles n’y sont pas respectées.

Bien sûr, la Chine en témoigne le mieux avec sa répression sauvage du Xinjiang et son système méthodique de coercition mis en place par le gouvernement à l’encontre des minorités religieuses et de tous les adeptes de la liberté.

La Russie gouverne par la terreur, empoisonne ses opposants, tue les journalistes et préfère détruire ses anciens vassaux soviétiques (Géorgie, Ukraine…) plutôt que de les voir devenir plus développés qu’elle…

L’Inde pratique un nationalisme exacerbé, tandis que l’Iran et l’Arabie saoudite asservissent leurs populations à une loi de Dieu qui sert celle de leurs maîtres. Parmi bien d’autres, un enseignant retraité vient d’être condamné à mort au royaume des Saoud pour des tweets critiques du pouvoir ! Le général Sissi règne depuis 10 ans en dictateur sur l’Égypte, et si sa fermeté a l’avantage de réduire l’islamisme, elle s’étend à toute la société dans le pays dont l’économie vacille. L’Afrique du Sud se détruit dans la corruption et dans son racisme à l’envers qui fait fuir les blancs et l’appauvrit. Au Brésil, Lula s’est fait réélire alors que ses condamnations pour corruption n’ont été levées que pour vice de forme. Dans l’Argentine populiste des péronistes, l’ancienne présidente Cristina Kirchner a été condamnée pour « administration frauduleuse » au préjudice de l’État, mais elle parade encore. Enfin, l’Éthiopie et les Émirata arabes unis restent attachés à des autoritarismes respectivement ethnique et religieux.

Certains de ces pays sont plus riches que d’autres, surtout quand ils ont du pétrole, mais leur développement est toujours freiné par la domination de l’État et la limitation des libertés qui entravent la créativité personnelle et les échanges économiques autant que scientifiques et culturels dont le progrès est toujours le fruit. Plus encore que les autres BRICS, la Chine paye d’ailleurs aujourd’hui, dans une descente économique aux enfers, des années de contrôle, et donc d’abaissement de la société.

À cet égard, en s’enfermant dans une posture anti-occidentale, les BRICS resteront handicapés. Car jusqu’à présent il reste vrai que c’est la liberté et l’ouverture de la société autant que la concurrence des idées et des biens qui ont permis, en Occident d’abord, mais ensuite dans certains pays d’Asie ou d’Amérique du Sud, la sortie de la pauvreté. Ce sont tout en même temps, l’État de droit, la démocratie, sous des formes diverses, et le marché qui ont produit un incroyable essor intellectuel et moral autant qu’économique.

Cependant, il ne faut pas négliger la force des despotismes qui monopolisent les moyens de la société au profit de l’État et de ses ambitions fallacieuses. Le monde libre doit veiller à conserver ses constituants. À les perdre, il s’enlisera à son tour dans les marais des sociétés fermées. Le projet du Danemark d’interdire les autodafés du Coran, c’est-à-dire de criminaliser le blasphème ou le sacrilège, est le signe de cette soumission à un despotisme extérieur.

Les BRICS s’unissent pour déstabiliser notre civilisation et faire prévaloir leur mode de fonctionnement autoritaire.

C’est leur droit, comme c’est le nôtre de le refuser et de continuer de penser que, malgré tous les défauts des régimes libéraux, ils ne sont les pires qu’à l’exception de tous les autres. Ne serait-ce que parce qu’ils sont les seuls où le débat reste possible. Non seulement il ne faut pas ignorer le danger du projet des BRICS d’imposer des modèles mortifères de vie et de développement, encore moins s’y abandonner, mais il faut y résister en étant fiers de notre modèle de société ouverte, et en la fortifiant par le respect de ses règles constitutives de liberté, responsabilité, dignité et propriété.

 

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Turquie : dévaluation et spoliation, en raison des déficits

Par : Henry Bonner — 8 septembre 2023 à 05:00

Les politiques de hausse de taux des gouvernements peuvent en réalité masquer un assouplissement.

Par exemple, la banque centrale d’Argentine poursuit sans répit des hausses de taux.

Le taux de la banque centrale atteint 118 % après une augmentation en août. Pour l’année, elle a triplé le taux d’intérêt directeur, d’un niveau de 40 % en janvier.

Aux yeux de ses opposants, le candidat aux élections argentines, Javier Milei, porte la responsabilité d’un déclin du peso argentin. La banque centrale argentine a décidé une dévaluation du peso de 18 %, à la suite de la victoire du candidat d’opposition aux urnes, dans un référendum avant l’élection nationale. Le parti au pouvoir, celui des péronistes, arrive en troisième place.

La dévaluation attire l’attention de la presse. Cependant, elle ne change pas pour le moment la trajectoire du peso sur la durée.

Augusto Darget, économiste argentin, explique :

« Je ne vois rien de tragique, c’est seulement la chute du peso, qui perd 7 % par mois. Mais je ne vois rien de différent de ce qui s’est produit à d’autres moments de ces crises. »

En dépit des hausses de taux d’intérêt, la dévaluation de la devise ne prend pas fin. En fait, la chute du peso a lieu plus rapidement que le resserrement des conditions d’octroi du crédit. Avec un rythme de l’évolution des prix de 135 %, la banque centrale continue en réalité de soutenir la création d’argent.

En dépit d’un resserrement de taux, elle contribue aux hausses de prix !

Le taux de la banque centrale en Argentine, ajusté pour l’évolution des prix, arrive à moins de 0 % depuis plus d’une décennie (avec une exception de 2017 à 2019), selon la Banque mondiale. En somme, il encourage l’emprunt, et la création d’argent.

 

Échec de la banque centrale turque

De même, la banque centrale turque augmente les taux d’intérêt qui atteignent le niveau le plus élevé des dix dernières années.

La presse annonce un resserrement. La Tribune décrit une « hausse colossale des taux directeurs. » En réalité, après la hausse, le taux de la banque centrale atteint 25 %. Or, le rythme de progression des prix atteint 50 % par an.

Tout comme en Argentine, la banque centrale maintient l’incitation au crédit, et la création d’argent par les prêts bancaires.

Ainsi, la politique de la banque centrale revient à un assouplissement. Les hausses de taux sauvent les apparences, mais ne changent pas la donne.

La dévaluation de la livre turque continue en conséquence. Elle gagne en sévérité par rapport au mois précédent.

20 Minutes :

L’inflation a atteint 58,9 % sur un an en août en Turquie, au plus haut depuis décembre 2022, selon les données officielles publiées lundi. La hausse des prix à la consommation, alimentée par la dépréciation de la livre turque, s’est établie à 9,1 % sur un mois. L’inflation avait réaccéléré en juillet, à 47,8 % sur un an, après huit mois de tassement.

 

Risque de spoliation après la dévaluation

La dévaluation de la devise crée des ennuis pour les particuliers. Ils perdent la valeur de leur épargne. Les entreprises souffrent de l’effondrement des recettes, rapportées en devise étrangère. Elles font parfois faillite en raison de dettes en dollar ou en euro.

De plus, depuis des années, la banque centrale du pays rachète la livre turque sur les marchés de change, afin de soutenir la valeur de la monnaie. Elle espère réduire l’effondrement du taux de change.

Pour les opérations de rachat, les autorités ont besoin de devise étrangère. Ainsi, elles empruntent l’argent des particuliers et entreprises qui détiennent des euros ou des dollars.

En devise étrangère, la dette du pays atteint 476 milliards de dollars.

De plus, les chiffres récents sur la banque centrale suggèrent qu’elle a consommé l’ensemble des réserves étrangères des citoyens. À présent, elle emprunte directement à l’étranger via des contrats dérivés (currency swaps) avec des partenaires tels que le Qatar et les Émirats.

La banque centrale continue de dépenser 5 milliards de dollars par mois en rachats de livre turque, sans mettre fin à l’hémorragie de la valeur de la devise. Elle détient à présent environ 30 milliards de dollars de réserves, et a besoin de plus en plus de prêts en devise étrangère pour les rachats.

Au bout du compte, les particuliers risquent de payer les frais pour les opérations de la banque centrale.

Les autorités doivent en théorie environ 130 milliards de dollars aux citoyens et aux entreprises, en devise étrangère, soit environ quatre fois la taille des réserves dans le système.

Dans l’impasse, le gouvernement risque de dévaluer la devise afin de racheter plus d’euros et dollars sur les marchés de change, puis spolier les épargnants en remboursant les prêts en livre turque dévaluée (en dépit des promesses aux citoyens).

Malgré l’effet sur la devise, les autorités conservent des taux en dessous du rythme de progression des prix.

Comme en Argentine, elles fournissent un soutien à l’endettement et à la création d’argent.

Ainsi, la débâcle repose sur le choix des dirigeants.

En effet, la politique d’assouplissement sert avant tout les besoins du gouvernement. Il poursuit une politique de déficits, sans fin en vue. Statista prévoit des déficits de 5 % à 6 % par an, au moins jusqu’en 2028. En somme, il a besoin d’argent et du soutien de la banque centrale.

Le risque de la fuite devant la devise

Avec la fin de la hausse des prix d’électricité, et des effets du bouclier tarifaire sur l’indice des prix, la France rattrape le reste de la zone.

Capital :

Souvent présentée comme la plus faible d’Europe, l’inflation française est donc désormais supérieure à celle de la zone euro (qui s’est stabilisée à 5,3 % en août), et est devenue l’une des plus élevées d’Europe…

L’indice des prix retourne à la hausse en septembre, et surpasse à présent l’Allemagne :

« … l’inflation française du nouveau mois (qui, rappelons-le, constitue le glissement annuel des prix à la consommation) devrait avoisiner les 5,6 % aux normes Insee, et les 6,4 % aux normes européennes, contre environ 6,2 % en Allemagne. »

Pour le moment, les particuliers gardent foi dans la devise.

Cependant, les autorités poursuivent une politique d’assouplissement, comme en Argentine ou en Turquie. Les taux n’arrivent pas à hauteur de la progression des prix.

Ainsi, la banque centrale soutient la création d’argent et finance les déficits des gouvernements de la zone.

À terme, une politique d’assouplissement et de déficits crée un risque de fuite devant la monnaie, et un effondrement de la devise.

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BRICS + : ça va manquer de ciment

Par : Yves Bourdillon — 31 août 2023 à 05:30

En apparence, c’est un camouflet cinglant pour l’Occident. Les Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du sud) se sont élargis à six nouveaux membres (Iran, Argentine, Emirats arabes Unis, Arabie saoudite, Égypte, Éthiopie).

« Moment historique », « étape clé en faveur d’un monde multipolaire » face à « l’hégémonie occidentale », « formidable outil de rééquilibrage » ; les dirigeants des pays concernés n’ont pas lésiné sur les formules tonitruantes lors du sommet qui a acté, la semaine dernière à Johannesburg, la constitution de ce, en anglais, BRACISUIEE, on dira plutôt Brics +.

 

Une riposte à l’Occident

Et, effectivement, il s’agit d’un moment significatif dans la montée, qu’il ne faut pas négliger, d’un ressentiment envers l’Occident, ses pratiques commerciales, ses sanctions, et de tentatives du « Sud Global » (même s’il compte une Russie revendiquant le pôle nord) de s’organiser pour peser sur les affaires du monde. Il s’agirait de rebattre les cartes d’un ordre mondial dominé par l’Ouest depuis 1945 via notamment FMI, OMC et Banque mondiale, même si les pays du sud y ont droit au chapitre… Ironie du sort, cette riposte, ce défi à l’Occident part d’un sigle inventé en 2001 par l’archétype de la banque d’affaires américaine, Goldman Sachs.

Toutefois….

Toutefois, comme dans la pièce de Shakespeare, tout ceci représente peut-être « beaucoup de bruit pour rien », ou du moins beaucoup moins que claironné par les protagonistes.

Car la plupart des membres du groupe des Brics + demeurent formidablement dépendants des Occidentaux sur le plan économique, ou technologique. Et l’ensemble, dénué de toute intégration économique, est zébré de divergences, disparités et rivalités, voire inimitiés.

 

L’Ouest reste incontournable

La dépendance, tout d’abord.

L’Ouest (Union européenne, Royaume-Uni, Suisse, Amérique du Nord, Japon, Australie), qui pèse toujours 60 % du PIB nominal mondial, continue de fournir l’essentiel des investissements étrangers sur lesquels, à l’exception de ses deux membres du golfe Persique et de la Chine, ces pays comptent pour nourrir leur spectaculaire décollage, puisque leur épargne domestique est insuffisante. Indice révélateur du manque d’implication multilatérale, un seul des onze membres du groupe des Brics +, la Chine, investit substantiellement chez les autres membres, en sus d’une Inde fournissant parfois 2-3 % de leurs IDE (investissements directs étrangers). Les membres du club ont aussi besoin, y compris encore Pékin, des transferts de technologies des pays occidentaux. Aucun des onze membres des Brics + n’a un poids notable au niveau mondial en matière de dépôt de brevets, ou de recherche scientifique, sauf la Chine et, un peu l’Inde.

Quant au commerce international, les chiffres sont sans appel. Les principaux clients et fournisseurs des Brics + restent les pays industrialisés occidentaux. Hormis, encore une fois, Chine et Inde, les pays des Brics + n’apparaissent généralement pas parmi les dix principaux partenaires commerciaux des autres membres. Ce qui n’a rien de surprenant, puisque les économies des Brics + sont peu complémentaires, tous étant surtout exportateurs d’hydrocarbures, produits agricoles, métaux, hormis Chine et Inde. Ils ont même des intérêts antagonistes en matière de prix du baril, puisque l’Arabie saoudite est le premier exportateur mondial de pétrole, devant la Russie et, au cinquième rang, les Emirats arabes unis, alors que Chine et Inde sont les deux premiers importateurs.

 

Des disparités démographiques, économiques, politiques et militaires

Divergences qui se traduisent d’ailleurs par l’absence de toute dynamique d’intégration économique entre les Brics canal historique, sans parler des nouveaux adhérents dispersés sur trois continents.

Nulle baisse de tarifs douaniers à l’horizon, ou de marché commun. Seule est en route une banque commune du développement, NDB, vingt-cinq fois moins active que la Banque mondiale, et une ébauche de mise en place des lignes de swaps au profit de pays en pénurie de devises, le CRA (Contingent Reserve Arrangement).

Certains s’enflamment en y voyant déjà une ébauche d’alternative au dollar en oubliant qu’une unité de compte, et encore plus une monnaie commune, n’a aucune chance d’exister avec des pays dont les devises ne sont pas pleinement convertibles, dont certains ont fait banqueroute et dont les devises ne peuvent pas s’accumuler à l’étranger en « balances » pour constituer un instrument de réserve, puisque leur commerce extérieur est structurellement excédentaire (Chine, Russie, monarchies arabes).

S’y ajoutent de profondes disparités de tout ordre.

La Chine et l’Inde sont les pays les plus peuplés de la planète, quatre fois plus que le troisième, les États-Unis, et… cent cinquante fois plus que le plus petit membre du nouveau club, les Émirats arabes unis. Économiquement, la Chine est la deuxième économie de la planète, au point de peser 70 % du PIB des Brics +, et si l’Inde et la Russie figurent parmi les dix premières, les autres s’échelonnent de la 20e place à la… 62e (Éthiopie). Certes, les Brics, initialement club de pays à forte croissance, comptent, deux « tigres » mais aussi trois pays à croissance proche de 1 % par an depuis douze ans : Brésil, Russie et Afrique du Sud.

Enfin, sur le plan militaire, derrière Pékin qui se targue de la deuxième armée mondiale en effectifs et équipements, sans qu’on sache ce qu’il vaut sur le terrain depuis la piteuse campagne de 1979 au Vietnam, les autres n’ont aucune expérience du feu, ni équipements substantiels, hormis l’armée russe discréditée, voire détruite à moitié, en Ukraine. Peu ont donc les moyens militaires de défendre d’éventuels intérêts en commun, voire particuliers.

Et précisément, en matière d’intérêts en commun, ou de convergence politique…

Le groupe des Brics + rassemble des régimes autocratiques, voire dictatoriaux (Russie, Chine, Iran, Arabie saoudite, Égypte, Émirats arabes unis), et des démocraties (Inde, Brésil, Argentine), en sus de démocraties très imparfaites, Afrique du Sud et Éthiopie.

L’attelage Brics est aussi disparate sur le plan civilisationnel : aux côtés de deux pays d’Amérique latine, de l’Égypte, référence du monde arabe, et de l’Arabie saoudite, gardien des lieux saints, on liste l’Iran, perse et chiite, la Russie, slave et orthodoxe, l’Éthiopie, mi musulmane mi chrétienne engluée dans une guerre civile, l’Inde, saisie par le nationalisme hindou et la Chine, encore un autre monde.

 

Ça va être presque simple

Le caractère très hétéroclite de cet attelage, dénué au demeurant de charte, ou de critères transparents d’adhésion (18 pays avaient candidaté, et difficile de savoir pourquoi l’Indonésie, le Bangladesh, le Nigéria, ou l’Algérie sont restés sur le seuil), se reflète dans les alliances, rivalités et inimitiés géopolitiques. Visite guidée, accrochez-vous.

La Russie et son allié iranien sont ennemis des États-Unis, dont la Chine est un rival acrimonieux, tout en étant son premier client et fournisseur, alors que l’Égypte, partenaire militaire de Washington, tout comme les Émirats et Riyad, rétablit prudemment ses relations avec son ennemi, Téhéran.

Mais ces pays arabes, de même que l’Afrique du Sud et le Brésil, veulent avoir aussi de bonnes relations avec Pékin et Moscou, sans que cela ne les empêche de voter à l’ONU contre l’invasion russe de l’Ukraine, pendant que l’Inde mise à la fois sur la Russie et les États-Unis pour tenir tête à la Chine, avec qui ses soldats ouvrent parfois la boite à gifles dans les zones frontalières disputées, tandis que « l’amitié infinie » entre Pékin et Moscou tourne à la relation suzerain/vassal, l’Éthiopie se révélant parallèlement sous influence chinoise tout en étant un partenaire historique de Washington. L’Argentine, pour sa part, peut se demander ce qu’elle fait dans cette galère au point que sa probable future présidente a annoncé qu’elle retirerait son pays du club.

Et encore, on n’a pas encore sur les bras une crise à Taïwan…

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Pourquoi certains pays restent-ils pauvres ?

Par : Foundation for Economic Education — 29 août 2023 à 04:45

Par Peter Jacobsen.

 

Cette semaine, dans le cadre de la rubrique « Demandez à un économiste », j’ai reçu l’interrogation d’un lecteur nommé Mark :

« J’ai travaillé avec des immigrés qui se sont récemment installés aux États-Unis, ainsi qu’avec des travailleurs qui vivent encore dans leur pays d’origine, et qui travaillent pour moi à distance.

D’après mon expérience, ils sont en moyenne beaucoup plus travailleurs et plus qualifiés (même dans les domaines techniques) que mes collègues américains. Les étrangers travaillent dur, n’ont pas d’excuses, sont reconnaissants pour leur travail et saisissent toutes les occasions de s’améliorer. Les Américains, en revanche, exigent des salaires beaucoup plus élevés, se plaignent du travail et ne font guère d’efforts pour s’améliorer.

Puisque les habitants de bon nombre de ces pays pauvres sont de meilleurs travailleurs, pourquoi leur pays d’origine est-il si pauvre ? En moyenne, les immigrants créent plus d’entreprises et réussissent mieux aux États-Unis que les citoyens nés aux États-Unis. Avec toutes leurs compétences et leur ambition, il semble que leurs pays d’origine devraient être beaucoup plus riches que les villes américaines, mais ce n’est pas le cas. Quelle est la cause de la pauvreté de ces pays ? »

 

Mark pose peut-être la question la plus importante de l’histoire de la pensée économique. Pourquoi certains pays s’enrichissent-ils alors que d’autres restent pauvres ?

 

Une longue histoire de réponses

En 1776, le philosophe écossais Adam Smith a publié l’ouvrage peut-être le plus influent de l’histoire de l’économie politique : An Inquiry into the Nature and Causes of the Wealth of Nations (Enquête sur la nature et les causes de la richesse des nations).

Ce livre, généralement appelé La richesse des nations, tente de répondre à la question posée par Mark. Depuis lors, les pays riches se sont considérablement enrichis, certains pays pauvres se sont enrichis, mais un nombre important de pays restent à la traîne.

Avant de nous pencher sur la bonne réponse, nous devrions prendre le temps d’évoquer certaines mauvaises réponses populaires.

L’économiste Bill Easterly a fait un excellent travail en présentant certaines de ces mauvaises réponses dans son livre The Elusive Quest for Growth (La quête insaisissable de la croissance).

Le point de vue d’Easterly dans son livre est simple.

Tout au long de la fin du XXe siècle et au début du XXIe siècle, les États-Unis et d’autres pays ont tenté de stimuler la croissance économique dans les pays pauvres. Ces tentatives ont échoué.

Easterly évoque trois solutions qui ont échoué, et dont les experts pensaient qu’elles déclencheraient le développement :

  1. L’investissement
  2. Le contrôle de la population
  3. L’éducation

 

Avant d’examiner chacune de ces solutions, il convient de se pencher sur le thème unificateur qui les sous-tend. Les pays développés ont tendance à avoir des niveaux d’investissement plus élevés, des taux de natalité plus bas, et davantage d’éducation. Les experts ont tenté d’en déduire que si ces conditions étaient reproduites dans les pays pauvres, le développement s’ensuivrait.

Cette stratégie a échoué. Ces facteurs sont davantage une conséquence de la croissance qu’une cause. Examinons chaque solution qui a échoué.

 

L’investissement

Dans les années 1950, les experts ont commencé à croire que le simple fait de disposer de machines et de capital financier pour entreprendre de grands projets rendrait les pays riches.

Ironiquement, cette croyance était basée sur le (faux) succès de l’Union soviétique. Les chiffres de la production soviétique explosaient et, pendant des décennies, les économistes ont cru qu’ils dépasseraient les États-Unis. Pourquoi ?

L’Union soviétique s’industrialisait grâce à l’épargne forcée. En réaffectant les ressources privées à de gros investissements industriels, l’URSS semblait être en mesure d’amener l’économie à un stade précoce de l’industrialisation. Il s’est avéré que cette croissance était illusoire, comme l’avait prédit à juste titre l’économiste Murray Rothbard, ce qui a conduit à l’effondrement de l’Union soviétique.

Mais l’Union soviétique a dupé de nombreux économistes dans les années 1950, de sorte que le modèle de croissance planifiée par l’investissement a pris son essor. La croyance était que les pays pauvres étaient dans une situation si difficile que les citoyens n’avaient pas la capacité d’épargner. Or, sans épargne, il n’y a pas de croissance. Un cercle vicieux empêchait la croissance.

Les pays en développement pouvaient donc y remédier en réalisant les investissements nécessaires pour connaître une croissance soutenue. Ces investissements augmenteraient les revenus, ce qui accroîtrait l’épargne et stimulerait une croissance naturelle permanente. C’est ce qu’Easterly appelle l’approche du déficit de financement.

Mais l’approche a échoué. Les modèles n’ont pas tenu leurs promesses, et les pays pauvres ne se sont pas enrichis grâce aux investissements parachutés. La raison de cet échec est la même que celle relevée par Rothbard dans son analyse de l’économie soviétique. La production est un moyen de parvenir à la consommation. Si votre production n’est pas liée de manière significative au bien-être des consommateurs par la connaissance des prix, des profits et des pertes, elle ne conduira pas à une croissance soutenue.

Les planificateurs centraux ont tenté de créer la production pour elle-même, ce qui a conduit à une mauvaise répartition du capital et des ressources naturelles. L’investissement seul ne suffit pas – il faut les bons investissements.

 

L’éducation

Les experts en développement se sont naturellement tournés vers l’éducation. Si l’augmentation de la production par le biais du capital physique ne suffisait pas, peut-être que l’augmentation des connaissances ou du capital humain ferait l’affaire. Easterly raconte comment la politique de développement de l’éducation a dominé les années 1960 à 1990.

Les résultats n’ont pas non plus été à la hauteur.

Easterly explique comment, étude après étude, la corrélation entre l’éducation et la croissance économique est faible, voire inexistante. Une étude montre que l’explosion de l’éducation dans les pays pauvres s’est accompagnée d’une baisse du taux de croissance des revenus de ces pays. C’est exactement le contraire de ce à quoi on s’attendrait si les théories de l’éducation étaient exactes. Une autre étude a montré que pour les pays qui croissent 1 % plus vite que la moyenne, l’éducation ne peut expliquer que 0,06 % de cette croissance en termes de croissance du capital humain.

Easterly cite plusieurs autres types d’études qui aboutissent à un résultat simple et cohérent : l’éducation ne crée pas de croissance économique.

 

Politiques démographiques

La pire théorie à avoir été testée dans les pays en développement est sans doute l’idée néo-malthusienne selon laquelle les populations nombreuses sont la cause de la pauvreté. Là encore, ces théories reposaient sur une approche peu rigoureuse consistant simplement à essayer de reproduire les conditions des pays riches (faibles taux de natalité) dans les pays pauvres.

Malgré ce que suggèrent les penseurs anti-population, les gens ne sont pas seulement des consommateurs. Les humains sont aussi des producteurs. J’ai décrit l’échec des politiques démographiques dans plusieurs articles pour la FEE, mais le point essentiel est que les gens ont tendance à créer davantage de solutions que de problèmes. Les êtres humains ne sont pas un frein au développement. Au contraire, ils peuvent être l’une des causes de la croissance, comme l’a affirmé le regretté économiste Julian Simon.

Les faibles taux de natalité dans les pays riches ne prouvent pas qu’ils sont à l’origine de la croissance. C’est l’inverse. À mesure que les pays s’enrichissent, les enfants ont plus de chances de survivre. Les parents ne sont plus obligés d’avoir plus d’enfants qu’ils ne le souhaitent de peur d’en perdre. En outre, à mesure que les pays se développent, ils tendent à s’éloigner de la préférence culturelle pour les bébés de sexe masculin, qui pousse souvent les couples à avoir beaucoup d’enfants dans l’espoir d’avoir un premier fils.

Les agences de développement telles que l’ONU ont applaudi les politiques coercitives anti-population de l’Inde et de la Chine tout au long du XXe siècle. Les présidents Lyndon Johnson et Richard Nixon ont tous deux plaidé pour que l’aide alimentaire aux pays pauvres soit liée à leurs objectifs de lutte contre la pauvreté. Cette démarche a entraîné des dégâts considérables dans les pays en développement, sans pour autant favoriser la croissance.

 

Autres réponses

Il existe d’autres réponses populaires qu’Easterly n’aborde pas de manière aussi approfondie dans « Elusive quest for growth« .

Une réponse courante est la géographie. Il est certain que les ressources, le climat et les caractéristiques physiques d’un pays ont un impact sur son avenir économique, mais de nombreux exemples m’amènent à douter qu’il s’agisse là du principal facteur de croissance.

Par exemple, les États-Unis sont riches en ressources naturelles, et leurs citoyens sont riches. En revanche, Hong Kong ne dispose que de très peu de ressources naturelles, mais ses habitants sont également très riches. D’un autre côté, certains pays riches en ressources naturelles sont pauvres, tandis que d’autres, très pauvres en ressources naturelles, sont pauvres.

Il semble donc que la géographie ne soit pas une fatalité en matière de richesse.

 

La meilleure réponse

Si toutes ces réponses sont fausses, quelle est la bonne ?

Revenons à Adam Smith, et examinons sa célèbre conclusion. Selon Smith, pourquoi les pays deviennent-ils riches ?

Il ne faut pas grand-chose d’autre pour qu’un État passe de la plus basse barbarie au plus haut degré d’opulence, que la paix, des impôts faciles et une administration de la justice tolérable ; tout le reste vient par le cours naturel des choses.

Smith affirme que la cause ultime de la croissance d’un pays provient de ses institutions.

En d’autres termes, les règles qui régissent votre activité économique quotidienne sont à l’origine des différents résultats de croissance auxquels nous sommes confrontés dans notre monde.

Une autre façon de présenter les choses est de dire que pour que l’économie d’un pays se développe, les citoyens ont besoin de liberté économique ou d’accès aux droits de propriété privée.

Lorsque les gens ont des droits de propriété privée, ils peuvent utiliser, vendre ou louer leurs biens. Il en découle plusieurs résultats.

Tout d’abord, les individus sont incités à maximiser la valeur de leur propriété. Si vous êtes propriétaire d’une maison, vous souhaitez la maintenir en bon état, car si elle tombe en ruines, vous perdez de l’argent. La propriété privée incite à la responsabilité.

Ensuite, lorsque les individus sont en mesure de vendre leurs biens, des prix se forment pour ces biens. qui reflètent la valeur d’un bien ou d’un service par rapport à d’autres choses. Ils incarnent le savoir de la société sur ce bien. Lorsqu’une plateforme pétrolière tombe en panne dans l’océan, le pétrole devient plus rare. Il n’est pas nécessaire qu’on nous dise que le pétrole est plus rare pour que nous réduisions notre consommation. La hausse des prix nous incite à réduire notre consommation, que nous le sachions ou non.

Les prix permettent également aux entreprises de faire de la comptabilité pour déterminer leurs profits ou leurs pertes. Si une entreprise réalise un bénéfice sur une vente, cela signifie que les consommateurs ont accordé au produit final une valeur supérieure à celle des intrants utilisés pour le créer. Ce processus de transformation d’intrants de moindre valeur en extrants de plus grande valeur est au cœur de la croissance économique. Pour paraphraser l’économiste Peter Boettke, sans la propriété des divers biens utilisés dans la production, il ne peut y avoir de marchés pour ces biens. Sans marchés pour ces biens, il n’y a pas de prix. Sans prix, il n’y a pas de calcul économique.

 

Les institutions économiquement libres sont donc à l’origine de la croissance économique. Les données le confirment.

Les économistes James Gwartney et Robert Lawson, coauteur de l’étude, ont mis au point l’indice de liberté économique du monde de l’Institut Fraser. Cet indice mesure le degré de liberté des économies des différents pays et utilise ces informations pour examiner le lien entre liberté et prospérité. Les résultats obtenus correspondent parfaitement à la théorie exposée ici. Les pays économiquement libres sont plus riches et en meilleure santé que les pays non libres.

L’économiste Peter Leeson examine également ces données dans un article intitulé « Two Cheers for Capitalism ? » (Deux acclamations pour le capitalisme).

Sa conclusion ?

Selon un point de vue populaire que j’appelle « deux acclamations pour le capitalisme », l’effet du capitalisme sur le développement est ambigu et mitigé. Cet article étudie empiriquement ce point de vue. Je constate qu’elle est erronée. Les citoyens des pays qui sont devenus plus capitalistes au cours du dernier quart de siècle sont devenus plus riches, en meilleure santé, plus éduqués et politiquement plus libres. Les citoyens des pays qui sont devenus nettement moins capitalistes au cours de cette période ont vu leurs revenus stagner, leur espérance de vie diminuer, leurs progrès en matière d’éducation se réduire et leurs régimes politiques devenir de plus en plus oppressifs. Ces données démontrent sans équivoque la supériorité du capitalisme en matière de développement. Les applaudissements nourris en faveur du capitalisme sont bien mérités et trois applaudissements s’imposent au lieu de deux ».

Dans The Elusive Quest for Growth (La quête insaisissable de la croissance), Easterly apporte un autre éclairage qui mérite notre attention sur cette question. Il souligne qu’une grande partie de l’attention portée par le gouvernement américain au développement à la fin du XXe siècle était en réalité une tentative de gagner des alliés contre l’Union soviétique.

C’est extrêmement ironique, étant donné que le gouvernement américain incorporait essentiellement une planification centrale de type soviétique pour tenter d’assurer la croissance dans ces pays en développement.

Au lieu de cela, il aurait été préférable de suivre une recherche de croissance économique à l’américaine. Les institutions qui permettent la croissance économique sont le véritable moteur de la création de richesse. Une fois que l’on permet aux individus de se concurrencer et de coopérer librement, le pouvoir de l’ingéniosité humaine fait le reste.

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La Suède a une longue histoire de pionnier du capitalisme

Par : Rainer Zitelmann — 28 août 2023 à 05:30

Une enquête internationale menée dans 34 pays par l’institut de sondage Ipsos Mori, pour mon livre In Defense of Capitalism sur les perceptions populaires de l’économie de marché et du capitalisme, a révélé que la Suède faisait partie du groupe de pays où le soutien à l’économie de marché est le plus fort.

 

On a présenté aux Suédois six affirmations sur une « bonne économie » : trois qui soutenaient une forte influence de l’État, et trois qui soutenaient une économie de marché libre.

Une analyse des réponses aux affirmations en faveur de l’État et du marché révèle que celles en faveur d’un renforcement du rôle du gouvernement recueillent 21 % d’approbation, contre 26 % pour celles en faveur d’une réduction du rôle du gouvernement. En divisant la moyenne des déclarations positives par la moyenne des déclarations négatives, on obtient un coefficient de 1,21. Un coefficient supérieur à 1,0 signifie que les attitudes pro-liberté économique dominent, un coefficient inférieur à 1,0 signifie que les opinions anti-liberté économique dominent.

Dans seulement six des 34 pays où l’enquête a été menée, le soutien à l’économie de marché était encore plus important qu’en Suède. Le soutien a quelque peu diminué lorsque le mot « capitalisme » a été utilisé, mais même dans ce cas, le soutien au capitalisme était significativement plus élevé en Suède que dans tous les autres pays européens, à l’exception des anciens pays socialistes que sont la Pologne et la République tchèque. Dans notre enquête, seuls neuf pays affichent des tendances davantage pro-capitalistes que la Suède, contre 24 pays où les attitudes à l’égard du capitalisme sont négatives. Les attitudes les plus positives à l’égard du capitalisme sont celles des Polonais, des Américains et des Sud-Coréens.

Aujourd’hui, de nombreuses personnes associent – à tort – la Suède au terme « socialisme démocratique ». Mais la période socialiste en Suède n’a pas duré très longtemps, environ de 1970 à 1990. La période précédente, de 1870 à 1970, était caractérisée par la décentralisation et un gouvernement limité, et pendant ces années, le système économique de la Suède était l’un des moins réglementés d’Europe, comme l’a montré le célèbre économiste suédois Assar Lindbeck.

 

La Suède pionnière

Le livre d’Adam Smith, La richesse des nations, publié en 1776, est devenu célèbre dans le monde entier. Mais onze ans plus tôt (1765), l’économiste finno-suédois Anders Chydenius avait publié une brochure, Den nationella vinsten (The National Gain), qui présentait des idées très similaires à celles contenues dans le livre de Smith. Le livre suédois est très mince (36 pages), et n’est pas comparable à l’œuvre monumentale de Smith, mais les thèses centrales sont identiques.

Chydenius explique que les hommes politiques n’ont pas les connaissances nécessaires pour reconnaître les entreprises ayant les meilleures chances de réussite. Selon lui, lorsque les décisions gouvernementales favorisent une entreprise particulière, elles attirent des personnes qui, autrement, s’engageraient dans des activités plus productives ailleurs. Il souligne que les régions de Suède aux politiques économiques davantage axées sur l’économie de marché étaient également plus prospères à l’époque. Comme Smith, Anders Chydenius prône le libre-échange, et s’oppose à une réglementation gouvernementale excessive.

Dans un récent article intitulé « L’évolution du modèle de marché suédois », les économistes Nima Sanandaji, Victor Ström, Mouna Esmaeilzadeh et Saeid Esmaeilzadeh montrent que « la Suède a été historiquement pionnière dans de nombreux aspects d’une économie de marché moderne ».

Un exemple : la Suède a accueilli la première entreprise publique au monde, qui a financé la mine de cuivre de Falun, laquelle a fourni les deux tiers de la production mondiale de cuivre au XVIIe siècle. Cette mine est à l’origine de la première entreprise publique au monde. La première action connue de la mine de Falun a été attribuée en 1288. Les sociétés par actions sont la pierre angulaire de l’économie de marché capitaliste moderne, « et il est pertinent, dans le cadre de l’évolution du modèle de marché suédois, de souligner que la plus ancienne société par actions connue au monde a ses racines dans le pays », expliquent les quatre auteurs.

La première banque à émettre des billets de crédit, et la première banque centrale ont également été créées en Suède. Il s’agit là encore d’un exemple de la manière dont le modèle de marché suédois a influencé le développement de l’économie mondiale. La Suède a également été le premier pays à permettre aux femmes d’exercer une profession et de posséder une entreprise.

 

Qu’en est-il aujourd’hui ?

Après les aberrations socialistes des années 1970 et 1980, la Suède a repris le chemin du capitalisme.

Dans le dernier indice de liberté économique de la Heritage Foundation, la Suède figure parmi les dix économies les plus orientées vers le marché dans le monde.

En 10e position dans l’indice 2023, la Suède devance largement les États-Unis (25e). Ce qui est particulièrement remarquable, c’est l’augmentation du score de la Suède. Elle a gagné 16 points au total au cours des 28 dernières années, passant de 61,4 points en 1995 à 77,5 points en 2023.

Seule une poignée de pays, dont le Viêt Nam et la Pologne, ont connu une augmentation un peu plus importante de la liberté économique. En comparaison, les États-Unis ont perdu six points au cours de la même période et, avec un score de 70,6 points, ils sont désormais loin derrière la Suède.

 

Rainer Zitelmann est l’auteur du livre In Defense of Capitalism

 

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Chine : véritable déflation ou simple passage à vide ?

Par : Pierre Robert — 17 août 2023 à 05:30

L’économie chinoise émet aujourd’hui des signaux qui inquiètent les observateurs, même s’ils sont encore difficiles à interpréter.

 

Des signaux qui interrogent

Selon le bureau national des statistiques de ce pays, l’indice des prix à la consommation enregistre une baisse de 0,3 % en juillet, pour la première fois depuis février 2021.

Plus alarmant, l’indice des prix à la production, qui mesure le coût des marchandises sorties d’usines, s’est le même mois contracté de - 4,4  % pour la dixième fois consécutive.

Toujours en juillet dernier, les exportations ont reculé de près de 15 %, leur plus fort repli depuis trois ans, alors que l’appareil productif était paralysé par la pandémie.

En outre, un jeune Chinois sur cinq (16-24 ans) est au chômage selon les chiffres publiés en mai, soit un taux de 20,8 % et un nouveau record dans le pays asiatique.

 

Des pressions manifestes à la baisse des prix et de l’activité

De fait, les principaux moteurs de la croissance chinoise sont aujourd’hui en voie d’essoufflement.

La production manufacturière tourne au ralenti, en lien avec l’apathie de la consommation des ménages et avec l’affaiblissement de la demande internationale pour les produits chinois. Elle est de fait affectée par la menace de récession aux États-Unis et en Europe, combinée à l’inflation dans ces régions et aux tensions commerciales entre Washington et Pékin.

De surcroît, le secteur immobilier est en plein marasme dans l’Empire du milieu.

Peut-on d’ores et déjà en conclure que le pays est en proie à la déflation ?

 

Déflation, le mot qui fait peur

À ce stade, cela semble prématuré dans la mesure où la déflation n’est pas un simple épisode de baisse momentanée des prix.

Elle est un processus cumulatif, durable et auto-entretenu de contraction du niveau général constatée sur une période longue.

Une fois qu’elle s’est installée, elle affecte durement tous les agents économiques.

En effet, elle incite les ménages à différer leur consommation de biens durables et leurs investissements en logement avec l’espoir de profiter demain de prix plus bas qu’aujourd’hui (mais avec demain un risque de chômage bien plus élevé qu’aujourd’hui).

Pour les entreprises, elle est synonyme de baisse de leur marge, car elles ne peuvent réduire leurs coûts aussi vite que la baisse de l’activité, ce qui les pousse à réduire leurs investissements.

Pour l’économie en général, la déflation entraîne la chute de l’activité et l’augmentation du chômage comme la crise des années 1930 en a fait la triste démonstration.

Quant aux agents économiques endettés (entreprises, États, particuliers), elle les pénalise tous car ils voient la valeur de leur dette, restée constante en valeur nominale, augmenter en valeur réelle. Les plus fragiles risquent de ce fait la faillite.

Une fois le processus en route il est très difficile d’en sortir comme le confirme le cas du Japon. Lorsqu’à la fin des années 1980 l’énorme bulle spéculative qui s’y était formée a éclaté, son économie a traversé une longue phase d’atonie et de baisse des prix contre laquelle les politiques économiques mises en œuvre sont restées longtemps inopérantes.

 

L’immobilier chinois dans la tourmente

Parler de déflation suppose donc que se constitue un cercle vicieux faisant interagir de multiples éléments, ce qui ne semble pas être aujourd’hui le cas en Chine.

Si toutefois, au-delà du choc déflationniste que son économie subit actuellement, une telle spirale cumulative devait apparaître, le principal responsable de cette mutation serait la crise profonde que traverse son secteur immobilier.

Alors qu’il représente environ le quart du PIB du pays, il est aujourd’hui aux abois en raison du marasme du marché et des déboires financiers de ses principaux opérateurs. En juillet, les ventes ont chuté de près de 40 % par rapport à ce qu’elles étaient un an auparavant, ce qui génère une très forte pression de déstockage et de chute des prix.

Dans un tel contexte, Evergrande, le plus gros promoteur, est écrasé par une dette obligataire de 300 milliards d’euros. Mis en défaut de paiement, il a été incapable de présenter à la fin du mois dernier le plan de restructuration promis à ses créanciers.

Country Garden, un autre mastodonte, a enregistré en 2022 une perte record de 800 millions d’euros. En 2023, on s’attend pour le premier semestre à une perte nette de l’ordre de 6 à 7 milliards d’euros.

Selon Bloomberg, son endettement global s’élève à 176 milliards d’euros. Or, le 7 août, le groupe n’a pas eu les moyens de verser les intérêts dus sur deux emprunts contractés sur les marchés internationaux. Un délai de 30 jours lui a été accordé, mais le risque d’un défaut de paiement en septembre est élevé.

Si cela se confirmait, la crédibilité des entreprises chinoises en serait fortement affectée sur les marchés internationaux de capitaux à un moment où les flux d’IDE ont déjà tendance à se réduire. Depuis la mi-juin, de nombreux analystes doutent en effet que la Chine retrouve des taux de croissance comparables à ceux d’avant l’épidémie. L’effondrement du secteur immobilier chinois aggraverait durablement cette tendance et on pourrait alors voir se mettre en place les ingrédients d’une véritable déflation.

 

Conséquences prévisibles de ce choc déflationniste

Par le canal des échanges internationaux de biens, l’impulsion déflationniste venant de Chine devrait à court terme exercer une influence modératrice sur l’inflation qui sévit dans les pays occidentaux.

Cela devrait inciter la Fed et la BCE à mettre plus vite un terme à leur cycle de hausse des taux, procurant ainsi une bouffée d’oxygène aux agents qui dépendent de leurs politiques monétaires. Cela peut aussi favoriser une certaine détente sur les cours du pétrole qui oscillent sous l’influence de deux forces contradictoires : le ralentissement de l’économie chinoise et la réduction de l’offre par l’action combinée des Russes et des Saoudiens.

À horizon un peu moins rapproché, il n’y a toutefois pas lieu de se réjouir. Si la Chine entre vraiment en déflation, il en résultera un effet dépressif majeur sur l’ensemble de l’économie mondiale, et en particulier sur les pays occidentaux qui seront confrontés à une très probable montée du chômage.

 

Relance en vue ?

Deux éléments majeurs permettent toutefois de penser que le scénario de la déflation et du marasme sera invalidé.

D’une part, ces trois dernières années, le gouvernement de Xi Jinping a surtout cherché à contrôler le virus avec une politique zéro covid  drastique. Pour contrer le ralentissement de l’activité, il s’est pour le moment limité à réduire certains taux d’intérêt et à offrir des incitations fiscales aux entreprises en s’abstenant de toute mesure de relance majeure. Les mauvais chiffres récents devraient le pousser à mettre en place des mesures beaucoup plus énergiques de stimulation de l’économie, tout en veillant à ne pas réveiller la spéculation immobilière dont le pays paie aujourd’hui les conséquences.

D’autre part, l’imbrication des circuits de l’économie mondiale, leur extrême interdépendance opposent des freins puissants aux velléités de « découplage » que certains aux États-Unis voudraient instituer en coupant les liens économiques, technologiques et financiers qui unissent la Chine au reste du monde. Un tel fractionnement du monde favoriserait sûrement un processus très négatif d’inflation chez les uns, de déflation chez les autres, mais de marasme pour tous.

Dans ces conditions, personne n’a vraiment intérêt à ce que l’économie chinoise plonge dans la déflation et entre dans une phase de stagnation durable de son économie. Si tel devait être le cas, on peut légitimement craindre que Pékin soit encouragé à mener une politique toujours plus massive de réarmement.

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L’abaissement de la note de crédit des États-Unis : un dysfonctionnement de l’État

Par : Reason — 11 août 2023 à 04:45

Par Eric Boehm.

 

Des perspectives budgétaires de plus en plus instables et un gouvernement élu qui ne veut rien faire pour y remédier ont déclenché la deuxième dégradation de la note de crédit des États-Unis.

L’agence de notation Fitch Ratings a abaissé la note de crédit de l’État américain de AAA à AA+ mardi après-midi, signalant ainsi aux investisseurs que les obligations du Trésor américain constituent un achat qualitativement moins idéal. Dans son annonce, Fitch a déclaré que l’abaissement de la note reflétait la montagne croissante de dettes de l’État fédéral et la dynamique politique tendue du pays, dont la preuve la plus récente a été le bras de fer sur le plafond de la dette qui a failli déclencher un défaut de paiement de la dette nationale.

« Les impasses politiques répétées sur le plafond de la dette et les résolutions de dernière minute ont érodé la confiance dans la gestion budgétaire », a déclaré Fitch dans son communiqué. Ce changement reflète également une « détérioration budgétaire attendue » au cours des prochaines années, car le déficit fédéral devrait se creuser, venant s’ajouter à la dette nationale américaine, qui s’élève déjà au total à 32 000 milliards de dollars.

Le service de notation a également souligné l’écart croissant entre les recettes fiscales et les dépenses de l’État fédéral, ainsi que les « progrès limités » réalisés pour résoudre des problèmes imminents tels que l’insolvabilité prévue de la sécurité sociale au début des années 2030.

Si la note AA+ indique que la dette américaine reste un investissement digne de confiance, l’abaissement de la note par Fitch est un signal d’alarme concernant la trajectoire budgétaire de l’État fédéral.

Maya MacGuineas, présidente du Committee for a Responsible Federal Budget (Comité pour un budget fédéral responsable), une organisation à but non lucratif qui milite en faveur de la réduction des déficits, a déclaré dans un communiqué que la dégradation de la note « devrait être une sonnette d’alarme […] Nous devons mettre de l’ordre dans les finances et la politique de notre pays. L’économie américaine reste forte, mais nous sommes sur une trajectoire insoutenable ».

La dette nationale est en passe de doubler par rapport à la taille de l’économie américaine au cours des 30 prochaines années, et à mesure qu’elle augmente, le coût des paiements d’intérêts augmente lui aussi. Le Congressional Budget Office (CBO) estime que les intérêts de la dette nationale absorberont un tiers du budget fédéral d’ici à 2050. Cela signifie que plus de 30 cents de chaque dollar prélevé sur l’économie seront consacrés aux coûts permanents des dépenses déficitaires passées, au lieu d’être utilisés pour couvrir les services publics.

« Une dette élevée et croissante aurait des conséquences économiques et financières significatives », a averti le CBO en juin, se faisant l’écho de préoccupations similaires exprimées récemment par le Government Accountability Office et des groupes non gouvernementaux. La montagne de dettes « ralentira la croissance économique, augmentera les paiements d’intérêts aux détenteurs étrangers de la dette américaine, accroîtra le risque d’une crise budgétaire, augmentera la probabilité d’autres effets négatifs qui pourraient se produire plus graduellement et rendra la situation budgétaire de la nation plus vulnérable à une augmentation des taux d’intérêt », a déclaré le CBO.

Fitch est la deuxième des trois grandes agences de notation à rétrograder l’État fédéral de la catégorie la plus élevée à la deuxième catégorie la plus élevée. En 2011, Standard and Poor’s (S&P) a abaissé la note de la dette américaine de AAA à AA+, où elle se trouve encore aujourd’hui.

Ce changement faisait également suite à une impasse politique tendue sur le plafond de la dette, bien que le gouvernement fédéral ait eu une dette de 14 000 milliards de dollars à l’époque, ce qui est désormais familier. Le total actuel s’élève à plus de 32 600 milliards de dollars.

Doubler sa dette en un peu plus d’une décennie est un bon moyen d’effrayer ceux qui pourraient vous prêter plus d’argent à l’avenir. Compte tenu des tendances budgétaires et politiques actuelles à Washington, la question était de savoir quand, et non pas si, les États-Unis verraient leur note de crédit abaissée à nouveau.

À moins d’un changement radical, il est peu probable que ce soit la dernière.

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PIB français : derrière une bonne nouvelle, se cache une situation préoccupante

Par : Benoit Perrin — 4 août 2023 à 05:15

Par Benoît Perrin1.

Le 28 juillet dernier, l’INSEE a publié les chiffres de la croissance française sur le deuxième trimestre 2023. À la grande surprise des observateurs, tablant sur une croissance d’environ 0,1 %, notre institut national des statistiques a dévoilé une croissance de 0,5 % de notre PIB.

Explications

La romancière Amélie Nothomb publie en 1999 un roman récompensé par le grand prix du roman de l’Académie française. Dans son ouvrage, elle décrit le fonctionnement très hiérarchique des entreprises japonaises et le manque de liberté laissé aux employés. Son titre Stupeur et Tremblements fait référence à l’attitude que doivent manifester les Japonais devant l’empereur. Si le ministre de l’Économie et des Finances Bruno Le Maire est tenté de nous imposer le même protocole, il devra inverser son ordre : tremblements puis stupeur.

En effet, c’est un monde économique tout tremblant qui attendait vendredi dernier le taux de croissance des mois d’avril, mai et juin 2023. Ce dernier était de 0,1 % pour le premier trimestre, et rien ne laissait présager un résultat supérieur, tant les données économiques françaises ne sont guère rassurantes. Rappelons d’ailleurs que le gouvernement reste très optimiste et prévoit une croissance en 2023 de 1 %, projection bien supérieure à celles, plus raisonnables, de la Banque de France (0,7 %) et de l’INSEE (0,6 %).

Stupeur : le 28 juillet dernier, à l’annonce du chiffre fourni par l’INSEE, soit 0,5 % ! Excellent dans son rôle, Bruno Le Maire a immédiatement réagi en qualifiant la croissance de « performance remarquable » pour l’économie française. De quoi se réjouir ? Malheureusement non, si l’on examine en détail ce que traduit cette croissance de notre PIB.

Schématiquement, le PIB résulte de l’addition de la somme des demandes :

  • consommation des ménages,
  • investissement des entreprises et des particuliers dans le logement,
  • consommation de l’État,
  • exportations moins les importations.

 

Si l’on regroupe ces données en deux catégories, on distingue la demande extérieure de la demande intérieure.

Et c’est là que le bât blesse : ce résultat remarquable (+0,5 % de croissance au deuxième trimestre 2023) est en réalité principalement boosté par nos exportations (+ 2,6 %), c’est-à-dire nos produits fabriqués en France, mais consommés à l’étranger. Avec la prudence qu’on lui connait, l’INSEE précise que « la demande intérieure finale (hors stocks) contribue de nouveau négativement à la croissance (-0,1 point au deuxième trimestre 2023, comme au trimestre précédent), du fait de la baisse de la consommation des ménages (-0,4 %) ».

 

Dire la vérité aux Français

Traduction : hors commerce extérieur, nous sommes donc purement et simplement en récession !

Nos gouvernants doivent dire la vérité aux Français : l’économie française va mal. Sans réformes profondes, notamment baisser drastiquement les dépenses publiques, les Français vont poursuivre leur longue agonie. Rappelons à nos lecteurs qu’un indicateur pertinent pour mesurer la croissance économique d’un pays, mais aussi le niveau de vie de ses habitants est le PIB par habitant.

Selon le FMI, la France se classe 25e rang au dernier classement 2023 (elle était 13e en 1980). Il faut agir vite monsieur le ministre. L’heure du déclassement français doit prendre fin.

  1. Benoît Perrin est Directeur de Contribuables Associés
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Macron à Nouméa : quelle place pour la France dans le Pacifique ?

Par : Finn Andreen — 4 août 2023 à 04:50

L’entretien du président Macron à TFI le 24 juillet 2023, à l’occasion de son déplacement en Nouvelle Calédonie, est l’occasion de jeter un coup d’œil libéral sur la géopolitique du Pacifique.

 

Macron parle ouvertement de la « projection de la France » dans le Pacifique. Or, d’habitude, les dirigeants politiques ne le font pas en ces termes et à juste raison : ils savent que ce n’est pas démocratique, que les intérêts géopolitiques d’un État sont différents des intérêts des citoyens.

Pour ne pas nuire au libre marché, le rôle d’un État devrait être de « laisser faire, laisser passer », c’est-à-dire de permettre la liberté du commerce national et international aux entreprises et aux individus, dans un environnement de droit. Parler de projection de pouvoir de l’État, comme le fait Macron, ne fait rien pour faciliter le commerce des îles françaises du Pacifique, ce qui aurait été le rôle d’un État au moins théoriquement au service de la société.

Pour le gouvernement français, il ne s’agit pas du tout de commerce mais de géopolitique, de contrer l’influence de la Chine, car celle-ci est maintenant considérée officiellement comme un rival stratégique par l’Union européenne, qui s’aligne ainsi avec Washington. Ce n’est évidemment pas un hasard si la visite de Macron en Nouvelle Calédonie a eu lieu en même temps que la tournée du Pacifique du secrétaire d’État américain Anthony Blinken. Il est alors difficile pour Macron de prétendre que la France « mène des opérations de souveraineté » dans le Pacifique.

Macron dit que la zone indopacifique est « un espace soumis à toutes les tensions » et alerte sur les « nouveaux impérialismes », sans explications ultérieures. Ce manque de clarté en s’adressant à ses élus reflète à nouveau le fait que pour les dirigeants politiques, les affaires internationales ne concernent pas le peuple.

Il faut supposer que ces « impérialismes » proviennent de la Chine et de la Russie. Mais est-ce sage, pour la bonne entente entre les pays, d’évoquer des actions « impérialistes », et publiquement qui plus est ? Ce mot est fort, plein de résonances historiques, surtout pour les Chinois. Non seulement son utilisation est une accusation à peine voilée à l’encontre de ces deux pays, mais il n’a pas un grand fond de vérité.

En quoi la Russie et la Chine sont-elles « impérialistes » dans le Pacifique ?

Il faut au contraire rappeler que ce sont les États-Unis qui contrôlent une grande partie du Pacifique, y possédant de nombreux territoires, et que beaucoup d’îles juridiquement indépendantes de cet océan ne le sont pas de facto. Les États-Unis se sont longtemps considérés les maîtres du Pacifique, depuis leur prise de contrôle du royaume indépendant de Hawaï en 1893, et surtout après la victoire sur les Japonais en 1945.

Un objectif important aujourd’hui des États-Unis est de tenter de maintenir leur primauté sur cette région indopacifique.

En effet, avec les possessions françaises de leur allié, le Pacifique est une zone contrôlée géopolitiquement par les États-Unis, et quelque atteinte réelle ou perçue à ce contrôle provoque des réactions très exagérées à Washington.

Par exemple, après l’accord de sécurité signé en 2022 entre les Îles Solomon et la Chine, la Maison Blanche a déclaré « qu’il y avait des implications potentielles de l’accord sur la sécurité régionale, y compris pour les États-Unis et leurs alliés et partenaires […] Si des mesures sont prises pour établir une présence militaire permanente de facto, des capacités de projection de puissance ou une installation militaire […] les États-Unis auraient alors des préoccupations importantes et réagiraient en conséquence. ».

Pour mettre les choses en perspective, il faut noter que les îles Solomon sont un pays indépendant à presque 10 000 km de la côte Ouest des États-Unis… De plus, le président Biden n’avait-il pas dit que « les nations ont droit à la souveraineté et à l’intégrité territoriale. Ils ont la liberté de tracer leur propre chemin et de choisir avec qui ils s’associeront. » ?

Mais qui connaît la politique étrangère américaine, sait que cela n’a aucun ancrage dans la réalité.

L’État fédéral des USA est traditionnellement incapable et peu intéressé à permettre des investissements américains dans les infrastructures de ces États pacifiques. Il investit plutôt des millions de dollars par an par le biais d’organisations telles que le National Endowment for Democracy (NED) pour manipuler sa politique interne, son espace médiatique et même son système éducatif. C’est exactement ce qui s’est passé en Ukraine par exemple, et dans bien d’autres pays, avec le plus souvent des résultats désastreux.

En revanche, la Chine offre des opportunités économiques et de développement évidentes pour ces petits pays pacifiques qui pourraient donc facilement la choisir comme partenaire commercial principal, si les Occidentaux, dont la France, étaient simplement fidèles à leurs propres déclarations de non-ingérence. De plus, dans l’esprit de la politique officielle de multipolarité adoptée très publiquement par la Chine, les gouvernements de ces petits pays n’ont pas besoin d’un alignement politique ou idéologique avec Pékin, les accords économiques suffisent. C’est par exemple la même logique pour les nombreux pays impliqués dans le projet chinois de « Nouvelle Route de la Soie » et dans des projets d’investissement chinois en Afrique.

De la même manière, les îles françaises du Pacifique pourraient donc certainement aussi bénéficier de relations économiques plus proches avec la Chine. Il n’y a aucune raison que l’influence commerciale chinoise ne soit pas permise (sic) d’augmenter en Nouvelle Calédonie et en Polynésie française, pour le bien de la société locale.

D’un point de vue libéral, Macron ferait donc mieux de soutenir une indépendance accrue de la France envers les États-Unis, et de se préoccuper davantage du bien-être de la société française, aussi bien en métropole que dans le Pacifique. Ce n’est pas dans l’intérêt de la France d’avoir un chef d’État qui joue à l’apprenti géopoliticien contre la Chine, tout en se cachant derrière les jupons des États-Unis. Le commerce français ne doit pas être artificiellement entravé, et doit avoir le droit de se développer avec la Chine si elle le souhaite – bien sûr, tout en veillant au droit et à la sécurité.

Il en va de la souveraineté et du succès économique futur de la France dans tous ses territoires.

 

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La relance des relations France-Inde : le retour de l’histoire

Par : Yves Montenay — 3 août 2023 à 04:50

Le Premier ministre indien a été invité en grande pompe à la cérémonie du 14 juillet, réveillant un intérêt pour ce grand pays qui a toujours intrigué une partie des Français, et fondant un « partenariat » ambitieux.

 

Le passé lointain

Les Indes fascinent les Occidentaux depuis la plus haute Antiquité.

Même Alexandre le Grand s’y est risqué. Un symbole de l’importance culturelle de l’Inde est à mon avis l’invention du chiffre zéro pendant le Moyen Âge européen, qui ringardisera les chiffres romains et permettra les calculs qui sont à la base des connaissances scientifiques d’aujourd’hui. Ceux qui ont essayé de faire une division en utilisant des nombres romains me comprendront.

L’arrivée des Européens

Puis l’Empire Ottoman a coupé les routes terrestres jusqu’à ce que les progrès de la navigation permettent aux Portugais d’y arriver au XVIe siècle en faisant le tour de l’Afrique.

La faiblesse militaire indienne par rapport aux armées occidentales n’a fait que s’accentuer par la suite, et le XVIIIe siècle y voit la rivalité entre Français et Anglais pour le contrôle de cet immense pays.

C’est l’aventure de la Compagnie française des Indes orientales, pâle copie de son homologue britannique, puis la tentative de protectorat du sous-continent par Dupleix entre 1742 et 1750, qui tenta de rallier sous la bannière française les mahradjahs face aux Anglais.

La défaite française

En 1763, la « Guerre de 7 ans » perdue par Louis XV nous coûte les plus grandes de nos colonies, dont l’Inde et la plus grande partie de l’Amérique du Nord, à la demande des Anglais. Aux demandes de secours d’Outre-mer, Versailles répond par la bouche de Nicolas-René Berryer, ministre de la Marine : « quand il y a le feu à la maison, on ne s’occupe pas des écuries ».

Finalement, il n’est resté à la France en Inde que les cinq comptoirs que chantait Guy Béart, les fameux et très fantasmés par les poètes, Pondichéry, avec le palais de Dupleix et le lycée français, ainsi que Karikal, Yanaon, Mahé et Chandernagor.

Nous avons rendu à l’Inde ces implantations minuscules lorsqu’elle est devenue indépendante en 1947, mais une poignée de fidèles y fêtent toujours le 14 juillet, apprennent le français et s’installent en France.

 

L’Inde nous a toujours culturellement fascinés

Beaucoup d’Occidentaux ont toujours eu confusément l’idée que l’Inde et l’Europe étaient des civilisations cousines.

Le centre et le nord de l’Inde d’une part, l’Iran et l’Europe d’autre part, se partagent (avec quelques autres) les langues indo-européennes, et les spécialistes trouvent mille autres éléments civilisationnels communs.

Reprenant une idée répandue, Voltaire y voit une source de notre culture, et notamment des connaissances scientifiques transmises par les Grecs, puis les Arabes : « tout nous vient des bords du Gange, astronomie, astrologie, métempsycose » (Lettre de Voltaire à Jean-Sylvain Bailly du 15 décembre 1775).

La curiosité continue au XIXe siècle avec le développement des études indiennes dans l’enseignement supérieur, notamment du sanskrit, qui est un peu l’équivalent du latin pour les Indiens, en tant que langue d’origine et support de la religion.

Une partie des Français est restée admirative de certains aspects de la religion hindoue, de sa réputation de sagesse, de sa maîtrise du corps. J’ai un proche qui a ainsi appris à contrôler les mouvements de son cœur et de son estomac, un autre qui s’est plongé dans les textes en sanskrit toute sa vie.

Mais une autre partie des Français est restée sceptique, relevant notamment la saleté et le manque d’hygiène du pays (confirmée par mon expérience personnelle et de nombreux journalistes) ainsi que les ravages des castes en Inde et autres interdits religieux : on peut ainsi noter l’action de la Fondation Bill Gates contre l’un de ces interdits, avec le lancement d’une action sur la nécessité hygiénique des toilettes, action qui a été enfin promue par les autorités indiennes.

 

La première démocratie du monde ?

Un autre facteur de proximité avec la France et l’Occident est le fait que l’Inde soit réputée être la première démocratie du monde.

Ainsi, dans ses pires périodes de pauvreté, l’Inde a connu des disettes, mais pas de famine. En effet, l’information est toujours restée possible et les secours ont pu être envoyés, contrairement à la Chine où l’opacité du régime a généré des dizaines de millions de morts de faim : « Pas de journalistes, pas de famine » disait Mao.

Est-ce toujours vrai ?

Il y a actuellement de nombreuses atteintes aux droits humains et à la liberté d’expression, qui visent les musulmans et les chrétiens, mais aussi les partis d’opposition, dont Rahul Gandhi, chef du plus important, le parti laïque du Congrès, alors que le parti au pouvoir est expressément national–hindou.

Toutefois, la comparaison avec la Chine et d’autres régimes autoritaires reste massivement à l’avantage de l’Inde.

 

L’économie indienne

Longtemps sous-estimée par l’élite économique et géopolitique mondiale, l’Inde lui parait aujourd’hui incontournable.

Avec un taux de croissance d’environ 7 % d’après la Banque Mondiale, et des prévisions autour de 6,5%, elle peut grignoter son retard sur la Chine. Cette dernière est encore cinq à six fois plus importante qu’elle, mais la croissance chinoise devrait descendre à 5 %, voire beaucoup moins à mon avis.

L’Inde est maintenant le pays le plus peuplé du monde, avec 1,4 milliard d’habitants, soit un sixième de l’humanité, et est plus jeune qu’une Chine maintenant vieillissante.

L’Inde n’a pas pour autant une démographie galopante, puisque le taux de fécondité est tombé à deux enfants par femme, et elle était déjà depuis longtemps largement en dessous dans les parties les plus développées au sud du pays.

Il est souvent exposé que l’Inde pourrait prendre un raccourci lui permettant de se développer plus rapidement du fait de son appétence pour le numérique.

On cite alors Bengalore, un des centres mondiaux des nouvelles technologies. Guy Sorman, dans son ouvrage très documenté Le génie de l’Inde (Fayard 2000), en donne une explication simple que je résume par « ce n’est pas parce que les Indiens auraient ethniquement des dispositions à l’informatique que s’explique leur succès, mais simplement parce que la caste des brahmanes, dont les informaticiens sont souvent issus, a une bonne formation en mathématiques. Comme ils sont très nombreux, la sélection professionnelle a fait le reste. ».

Remarquons que cette appétence est plus que jamais valable aujourd’hui, et pas seulement à Bengalore, mais aussi dans la Silicon Valley américaine.

Sur le plan de la lutte contre le réchauffement climatique, la situation est ambivalente : l’Inde a très fortement développé ses énergies renouvelables (100 gigawatts de solaire, éolien et biomasse, et 50 d’hydraulique en 2022), tout en étant de plus en plus polluante, notamment du fait de la multiplication de ses centrales électriques au charbon.

 

L’Inde dans la géopolitique mondiale

L’Inde n’est pas ressentie comme une rivale de l’Occident, et balance entre une fière indépendance, et une parenté intellectuelle, doublée de la nécessité stratégique de faire contrepoids à la Chine. Cette dernière maintient la pression pour récupérer les territoires himalayens indiens de peuplement tibétain, et en a déjà récupéré une partie par la force en 1962. Il y a encore eu récemment des escarmouches.

Un éloignement progressif de Moscou

Rappelons que l’armée indienne se fournit en URSS, qui a poussé aux indépendances, pensant précipiter ainsi la chute de l’Occident. Aujourd’hui, la Russie est restée l’alliée (et donc le fournisseur d’armement) des pays naguère socialistes, comme l’Algérie et l’Inde, même s’ils sont devenus relativement libéraux à la fin du XXe siècle.

Mais voilà que la Russie a montré sa faiblesse face à la petite Ukraine, qui a révélé notamment le retard technique d’une partie de ses armements.

D’où l’effort actuel de diversification, illustré par l’achat à la France de 26 Rafales et trois sous-marins Scopène, proclamé le 14 juillet 2023. Et New Delhi et Paris pratiquent des exercices aéronavals communs dans l’océan Indien depuis plus de 23 ans.

Certes, New Delhi n’a jamais voulu condamner Moscou. L’Inde a même multiplié par dix ses importations de pétrole russe pour profiter des rabais importants que Moscou est obligé d’accorder. Elle semble même le revendre une fois raffiné à certains membres de l’UE. Mais ça n’implique pas pour autant une alliance avec la Russie.

D’autant que cette dernière est peut-être en train de devenir vassale de la Chine, et pourrait donc se retrouver en face de l’Inde.

 

Des relations Inde-France encore modestes

Après l’indépendance indienne en 1947, la France ne peut se rapprocher de la nouvelle république, du fait de son statut de puissance coloniale, notamment en Indochine.

D’abord l’armement

Il a fallu attendre l’attaque brutale de la Chine en 1962, et la perte de territoire qui en est résulté, pour voir l’Inde se chercher des alliés autres que Moscou, et se fournir en armes auprès de Paris, évolution confirmée lors du second conflit indo-pakistanais de 1965.

Dans ce contexte, Thalès, anciennement Thomson-CSF, célébrait ses 70 ans de présence en Inde en 2023. Et j’ai recueilli des témoignages d’une multinationale française décrivant à quel point les contacts quotidiens avec les Chinois étaient difficiles du fait de la différence culturelle, alors qu’il n’y a pas de problème particulier avec les Indiens.

Vers un partenariat plus étendu

Sur le plan économique, la France, septième puissance mondiale, n’est aujourd’hui que le onzième investisseur en Inde.

Pour progresser, Paris propose un partenariat à New Delhi qui devrait être développé et étendu aux domaines scientifique, culturel, économique et commercial, pour notamment diminuer notre déficit commercial avec l’Inde.

Les principales entreprises concernées aujourd’hui sont de grands groupes industriels français et indiens.

Pour ce qui est des échanges universitaires, nous partons d’assez bas. Mais, lors de la visite de Narendra Modi le 14 juillet, il a été décidé de faciliter l’obtention de visas aux étudiants indiens.

De même, la présence des Français en Inde est faible, dépassant à peine les 7000 individus, ce qui est très peu comparé à la Chine, où résident plus de 24 000 Français.

Toutefois, le français est la première langue étrangère étudiée en Inde, avec plus de 700 000 apprenants, et le réseau de l’Institut français, Alliances françaises comprises, est le plus important d’Asie.

Aux entreprises françaises d’en profiter !

Le poids de l’anglais

Le Français est bien la « première langue étrangère » en Inde, car ce n’est pas le cas de l’anglais, qui a été décrété langue commune dans l’administration. Cela à la demande des 60 % de la population ne parlant pas hindi, qui craignait que l’adoption dans l’administration de cette langue la plus parlée ne leur donne moins de chance dans les concours.

Aujourd’hui, l’Inde est massivement anglophone à partir d’un certain niveau social, en langue seconde, voire familiale dans les couches supérieures. Et de toute façon comme langue commune ou de travail, situation assez analogue à celle du français en Afrique subsaharienne francophone.

Cette anglophonie fait que les entreprises indiennes, et particulièrement celles qui traitent avec le monde anglophone développé (centres d’appels, sous-traitance administrative et comptable, médecine meilleur marché qu’au nord…) ne sont pas tournées vers la France.

Et les échanges intellectuels se font eux aussi d’abord avec le monde anglophone.

 

En conclusion

Le rééquilibrage indien se fait avec l’Occident en général. Vue de New Dehli, la France n’est qu’une partie de l’Occident, loin derrière les États-Unis, ou encore de l’Angleterre, pour des raisons historiques.

Tout cela limite les relations entre la France et l’Inde, mais laisse néanmoins une grande marge d’amélioration par rapport au « pas grand-chose » actuel. La carte à jouer avec une Inde fière de son indépendance et de son nouveau poids géopolitique est celle de la diversification militaire, bien commencée, mais aussi industrielle, et peut-être culturelle.

Il faudrait notamment réfléchir à une plus grande implication de la diaspora indienne en terre francophone : France, mais aussi île Maurice et La Réunion.

L’État est bien maladroit dans ce domaine, aux entreprises de jouer !

Sur le web

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Guerre en Ukraine : Moscou menace la sécurité alimentaire mondiale

Par : Pierre Robert — 2 août 2023 à 05:15

Le conflit entre les deux belligérants se décline sur de multiples terrains.

Celui qui fait rage sur le plan économique s’est déclenché bien avant que ne débute « l’opération spéciale » le 24 février 2022. Il prend une nouvelle tournure depuis que Moscou a décidé de suspendre l’accord qui permettait à l’Ukraine de poursuivre ses exportations par la voie maritime.

 

La Russie déterminée à éradiquer la concurrence ukrainienne

En quelques années, alors même que la Crimée était passée sous le contrôle de la Russie, l’Ukraine est parvenue à se hisser au rang d’une grande puissance agricole faisant de l’ombre à son encombrant voisin de l’Est. Exportatrice d’engrais azotés, de blé, de céréales et d’oléagineux indispensables à l’alimentation humaine et animale, son poids sur les marchés internationaux de ces produits n’a cessé de s’accroître de 2010 à 2021.

À la veille du conflit, les deux frères ennemis représentaient ensemble près d’un tiers des échanges mondiaux de blé, avec pour clients de nombreux pays africains et du Moyen-Orient. L’Ukraine était alors le premier exportateur pour l’huile de tournesol, le quatrième pour le blé et le maïs. Avec la Russie, elle occupait une place déterminante dans la fourniture des engrais indispensables à l’obtention de rendements agricoles élevés.

En moins de deux ans, le conflit a ruiné tous ces efforts avec pour résultat de diminuer par près de deux ses capacités d’exportation.

 

Un accord providentiel mais très fragile 

Dans un premier temps, la Russie n’en a pas moins accepté le 22 juillet 2022 que soit ouvert en mer Noire un corridor maritime sécurisé permettant à l’Ukraine d’exporter au total 33 millions de tonnes de céréales depuis ses ports d’Odessa, de Tchernomorsk et de Yuzni. En échange, elle avait obtenu un relatif desserrement de l’étau des sanctions, avec des garanties pour que ses propres exportations de céréales et d’engrais ne subissent pas de blocages d’ordre logistique ou financier.

Jugeant toutefois insuffisants les progrès sur ce volet, à chaque échéance (de 120 puis 60 jours) les Russes ont menacé de ne pas accepter le renouvellement de l’accord.

En outre, en juin dernier, la donne a changé : le même jour, un pipeline essentiel à l’exportation d’ammoniac russe a été saboté, et le barrage de Kahkovka a été détruit. Son explosion le 6 juin a provoqué une gigantesque inondation affectant 10 000 hectares de terres agricoles dans la région de Kherson.

C’est dans ce contexte que le 17 juillet dernier le Kremlin a décidé de mettre unilatéralement un terme à « l’initiative de la mer Noire » négociée un an plus tôt. Dans la foulée, le ministère russe de la Défense a annoncé que tout bateau se rendant dans les ports ukrainiens serait considéré comme une cible militaire potentielle.

Cette décision fait entrer dans une nouvelle phase la lutte à mort que se livrent les deux pays, avec de multiples conséquences pour les marchés internationaux, pour l’Ukraine et ses clients, ainsi que pour l’Union européenne.

 

Une rupture qui intensifie le conflit

L’accord permettait aux deux parties d’échanger à minima. Cet unique espace de discussion a disparu. Odessa est depuis lors systématiquement bombardée, alors que jusqu’ à récemment, la ville et sa région étaient relativement épargnées. La Russie s’acharne à détruire les infrastructures portuaires ukrainiennes permettant de stocker et d’exporter des denrées alimentaires, et mène des exercices visant à saisir des navires en mer Noire.

Moscou a expliqué que ces attaques portuaires étaient une riposte à l’attaque ukrainienne du pont de Crimée, une voie essentielle d’approvisionnement pour les forces russes dans le Donbass.

Du fait des combats qui stérilisent à l’Est de son territoire des dizaines de milliers d’hectares de terres agricoles, l’Ukraine, qui jouait encore récemment un rôle clé dans l’alimentation des pays les plus pauvres et la stabilité du marché mondial des céréales, devrait en outre voir sa production de blé reculer d’environ 35 % cette année.

 

Une incidence encore limitée sur les cours

Immédiatement après la suspension de l’accord, les cours des céréales ont connu un coup de chaud, mais cette flambée n’a pas duré.  Plusieurs éléments tempèrent en effet la remontée des prix à court terme, soit dans les semaines à venir.

Depuis le 16 mai, date de la dernière reconduction de l’accord, le corridor maritime était de fait beaucoup moins emprunté. Le jour de sa fermeture, un seul navire restait dans le couloir – le TQ Samsun – qui avait quitté le port d’Odessa pour gagner Istanbul.

Cela tient à des raisons liées au calendrier des campagnes céréalières et au développement d’alternatives terrestres et fluviales du fait de la mise en place de security lanes permettant à l’Ukraine d’écouler une partie de sa production via l’Union européenne. Avec le soutien logistique de cette dernière, elle peut désormais exporter un peu moins de 4 millions de tonnes de grains tous les mois par le rail, par le Danube et même par camion, ce qui est presque suffisant pour couvrir une production en baisse en raison de la guerre.

Les marchés ont donc faiblement réagi à la nouvelle, d’autant plus que les moissons s’annoncent favorables en Europe et en Russie. En France, la production de blé est estimée à plus de 35 millions de tonnes, un niveau supérieur à la moyenne décennale. Quant à la Russie, elle devrait engranger 85 millions de tonnes de blé qui vont s’ajouter à son stock, considérable, de 17 millions de tonnes.

 

À terme, le risque d’une surchauffe des prix  

Mais les perspectives pourraient fortement se dégrader à la fin de l’été.

Les États Unis et le Canada ont en effet été affectés par des épisodes de sécheresse, alors que l’hémisphère sud subit l’impact d’El Nino.

Ce n’est qu’à la fin des moissons qu’on pourra précisément évaluer les disponibilités et les confronter aux besoins à venir. En outre, les exportations russes sont toujours entravées par les sanctions occidentales.

Ces incertitudes alimentent une probable reprise des tensions inflationnistes sur les prix alimentaires, avec même un risque d’emballement si la spéculation s’en mêle.

 

Une menace sur la sécurité alimentaire mondiale

C’est le point de vue de l’ONU. Selon son secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires, la hausse des prix « fait planer le risque de voir des millions de personnes touchées par la faim, voire pire ».

Tirant la sonnette d’alarme, il rappelle que 362 millions de personnes dans 69 pays ont besoin d’une aide humanitaire : « certaines personnes souffriront de la faim, d’autres subiront la famine et beaucoup risquent de mourir à cause de ces décisions ».

Or, l’Ukraine est un important fournisseur du programme alimentaire mondial (PAM) dont les subsides sont indispensables à des pays au bord du chaos comme l’Afghanistan, le Yemen ou la Somalie.

D’autre pays, tels Madagascar ou la République démocratique du Congo déjà fortement déstabilisée sont totalement tributaires de leurs importations de céréales pour nourrir leur population. La dépendance de pays comme l’Égypte, le Maroc, la Mauritanie ou la Tunisie grosse consommatrice de blé est également forte. En Afrique subsaharienne, si le blé est moins présent dans la base alimentaire des habitants des campagnes, ceux des grandes métropoles sont concernés.

Autre source de préoccupation pour le continent africain, l’agriculture y est déjà soumise au triplement des prix des engrais en l’espace de deux ans.

Dans un tel contexte, la suspension de l’accord sur les céréales ukrainiennes ravive les craintes qui entourent la sécurité alimentaire mondiale, alors que la Russie dispose d’atouts non négligeables pour renforcer et fidéliser sa clientèle.

 

L’alimentation, une arme devenue redoutable aux mains des Russes

L’essentiel du blé exportable est désormais en Russie qui a mis l’Ukraine hors-jeu en fermant le corridor. Elle bénéficie d’une récolte abondante, dispose de stocks très élevés et garantit les prix les plus bas du marché. Cela met entre les mains de Moscou une formidable arme alimentaire qui lui permet d’accroître son influence sur le continent africain.

Il se confirme que depuis le début du conflit la place de la Russie sur les marchés agricoles – dont les engrais – a continué à progresser. De ce fait, sa capacité d’influence sur les prix augmente, ce qui sur le moyen et long terme ne peut manquer de jouer.

Dans un contexte de tensions sur la sécurité alimentaire, de hausse de la vulnérabilité des plus faibles, de dégradation de la situation de pays déjà déstabilisés (Égypte, Madagascar, RDC), la Russie a accueilli à Saint-Pétersbourg les représentants de 49 pays d’Afrique, dont 17 chefs d’État, jeudi 27 et vendredi 28 juillet. Ce sommet lui a permis de renforcer sa relation avec ses alliés africains, alors que le pays est isolé face au reste du monde. L’arme alimentaire a joué un rôle clef dans ce rapprochement, la Russie se posant en garant de l’approvisionnement de ses amis sur le continent. Moscou s’est même engagé à livrer gratuitement jusqu’à 50 000 tonnes de céréales à la Somalie, à l’Erythrée, à la Centrafrique, au Mali, au Zimbabwe et au Burkina Faso.

Commentant les résultats obtenus, le président égyptien al-Sissi, dont le pays est en proie à une importante crise économique et alimentaire, a exprimé son souhait de « parvenir à une solution consensuelle sur l’accord d’exportation de céréales, en tenant compte des demandes et intérêts de toutes les parties, pour mettre fin à la flambée des prix ».

On peut n’y voir qu’une manière de ménager la chèvre et le chou, tellement la reprise de l’accord paraît improbable.

 

L’Europe toujours face à ses contradictions

Depuis près d’un an, les voisins européens de l’Ukraine – la Pologne, la Hongrie et la Slovaquie notamment – voient affluer des millions de tonnes de blé et de maïs.

Selon une publication réalisée par la Fondation FARM, 50 % du blé ukrainien a été exporté vers l’Union européenne depuis 2022, dont plus de la moitié à destination de la Pologne, de la Hongrie et de la Roumanie. Le problème est que les silos finissent par déborder. Et la Pologne, elle-même importante productrice, fait face à un surplus de plus de huit millions de tonnes de céréales. Les agriculteurs constatent de fait un effondrement des prix, celui de la tonne de blé au niveau national ayant été divisé par plus de deux.

Pour apaiser les tensions, le gouvernement polonais a donc fermé ses frontières aux céréales ukrainiennes le 15 avril dernier. Confrontées aux mêmes difficultés, la Slovaquie, la Hongrie et la Bulgarie lui ont emboité le pas. Ces mesures ont été jugées inacceptables par la Commission européenne.

Mais dans le même temps, elle a procédé au déblocage d’un paquet d’aides supplémentaires de 100 millions pour les agriculteurs des pays concernés. La Pologne a alors accepté d’autoriser le transit de cargaisons de céréales ukrainiennes sur son territoire, des cargaisons « scellées et surveillées », et elle a obtenu à cet effet l’octroi d’une dérogation temporaire prolongée jusqu’au 15 septembre prochain.

De cela découle une grande interrogation : si ces pays d’Europe de l’Est ne réussissent pas à réexporter tous ces volumes, ceux de l’Europe de l’Ouest peuvent-ils prendre la relève ? Mais quel pays va s’en charger, compte tenu des enjeux économiques et logistiques que cela représente ?

 

Le creusement des lignes de fracture internes à l’UE

Cette question est devenue encore plus aiguë depuis que la Russie a fermé le corridor maritime et que l’Union européenne met tout en œuvre pour accroître les capacités des voies terrestres et fluviales de sorties des céréales ukrainiennes qui circulent désormais sans quota au sein du marché européen.

Bruxelles a en effet promis que la quasi-totalité des exportations ukrainiennes pourrait être acheminée par les corridors de solidarité (ou « solidarity lanes »), alternatives à la mer Noire. Lorsque les pays riverains de l’Ukraine ont récemment fait part de leur intention de maintenir les restrictions d’importation pour protéger leurs marchés, ils se sont heurtés à l’opposition résolue de leurs partenaires.

Selon le ministre allemand de l’Agriculture :

« La Commission doit maintenant dire clairement que ce n’est pas possible. Ces mesures sont limitées dans le temps, il est inacceptable que certains États membres passent outre les traités en vigueur ».

Trois jours après la fermeture du corridor maritime, le président Zelensky a aussi fait part de sa réprobation :

« Toute extension des restrictions est absolument inacceptable et franchement antieuropéenne. »

Or, les élections de novembre s’annoncent très serrées pour le pouvoir en place à Varsovie qui a besoin du soutien de l’électorat rural et agricole, mécontenté par la baisse des cours des denrées agricoles. Les cinq pays voisins de l’Ukraine qui ont touché des aides se montant désormais à 156 millions d’euros ne sont d’ailleurs pas les seuls à en subir les conséquences.

En France, la concurrence des œufs et poulets ukrainiens crée aussi des difficultés et, comme dans d’autres États membres, la pression monte pour obtenir de la commission un soutien financier du secteur agricole.

 

Un nouveau palier dans la stratégie de la tension

De ce rapide survol il résulte que la décision de suspendre l’accord du 22 juillet 2022 s’inscrit dans la stratégie de la tension que déploient les autorités russes avec pour but d’affaiblir méthodiquement toujours plus le potentiel productif ukrainien, de mettre à genoux son économie et de détruire ses avantages comparatifs. Le but explicite du Kremlin est ici d’anéantir ce qu’il ne peut contrôler.

En même temps, cela permet à Moscou de renforcer son emprise sur l’Afrique et de semer la zizanie au sein de l’Union européenne.

Les dernières orientations impulsées par Mme Von der Layen proposant que l’Union européenne comble 45 % des besoins de financement non couverts de l’Ukraine jusqu’en 2027 (soit une dépense de 50 milliards d’euros) pourraient encore accroître les lignes de fracture au sein de l’Union.

Plus globalement, les menées du Kremlin ont aussi pour effet de désorganiser et de fragmenter encore un peu plus les échanges internationaux de produits agricoles. Replacée dans son contexte, la rupture de l’accord de la mer Noire agit bien comme une sorte de bombe à fragmentation lente.

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Banque centrale européenne : vers la fin du resserrement

Par : Henry Bonner — 31 juillet 2023 à 05:30

Lors de la réunion de la BCE à Francfort, la directrice du comité de direction, Christine Lagarde, a suggéré l’interruption du resserrement.

Lors de la conférence de presse suite à la réunion, elle explique :

« Les perspectives économiques à court terme de la zone euro se sont détériorées, principalement en raison de l’affaiblissement de la demande intérieure. La forte inflation et le durcissement des conditions de financement freinent les dépenses. La production manufacturière, qui est aussi ralentie par l’atonie de la demande extérieure, en subit particulièrement les conséquences. L’investissement dans l’immobilier résidentiel et l’investissement des entreprises montrent également des signes de faiblesse. »

Les autorités souhaitent mener une lutte contre l’inflation, du moins en apparence.

En pratique, elles ne veulent pas de restrictions à la quantité de dette et de crédits pour le paiement de subventions, ni au ralentissement des investissements dans les rénovations, les achats de véhicules électriques, ou l’installation d’éolien et de solaire.

En effet, le gouvernement français compte obtenir une hausse de 60 milliards des dépenses en rapport au climat en 2024. Or, il prévoit seulement 7 milliards en subventions. Le restant provient d’investissements ou de dépenses de particuliers et d’entreprises, en grande partie grâce au crédit.

Selon Sud-Ouest :

« En zone euro […] la demande de crédit, provenant en particulier des entreprises, a atteint son niveau le plus bas depuis 20 ans lors du deuxième trimestre, avait indiqué la BCE mardi. Problème : cela intervient au moment où les entreprises doivent investir en masse pour verdir leur activité et accentuer le virage numérique ».

Ainsi, la BCE ouvre la porte au retour de l’assouplissement, au prétexte des besoins de l’économie.

Ils écrivent dans le communiqué de jeudi :

« [Nos] décisions relatives aux taux directeurs resteront fondées sur son évaluation des perspectives d’inflation compte tenu des données économiques et financières, de la dynamique de l’inflation sous-jacente et de la force de la transmission de la politique monétaire. »

 

Le PMI à l’encontre du resserrement

Le PMI, l’indice de l’activité de l’industrie, montre une baisse de l’activité dans le secteur.

La Tribune rapporte :

« L’indice PMI publié ce lundi par S&P Global indique que l’activité du secteur privé en zone euro s’est nettement repliée en juillet. Après avoir stagné le mois précédent, cet indice a atteint 48,9, soit un point de pourcentage de moins qu’en juin. »

Les chiffres pour l’Allemagne, le noyau de l’industrie dans la zone, plongent aux pires niveaux depuis l’été 2020.

La contraction de l’activité a lieu en dépit du coup de pouce des prix de l’énergie – en chute depuis l’an dernier.

En août de l’année dernière, le prix de l’électricité atteignait 700 euros le MWh en Allemagne sur le marché du gros. Aujourd’hui, il atteint 104 euros. Le prix du gaz naturel a chuté de 83 % sur un an, selon l’indice d’Amsterdam.

La contraction de l’activité crée des doutes sur la lutte des banques centrales contre l’inflation.

Elle incite les gouvernements à davantage de déficits pour soutenir les salariés ou les entreprises en détresse.

La Chine montre sans doute la voie : elle réagit à la mollesse de l’économie avec la promesse de soutiens.

 

Regonflement de bulle

Un article du Council on Foreign Relations indique que le secteur de l’immobilier en Chine manque de moteur, en l’absence de soutien gouvernemental. En somme, le pays a un excès de constructions, et un manque d’acheteurs :

« La demande fondamentale pour les logements, dans les villes de second ou troisième tiers, est en érosion à travers la Chine pour deux raisons démographiques. D’abord, le rythme d’urbanisation en Chine a dépassé le pic, et entre à présent en déclin.

Le ratio de nouveaux résidents urbains en proportion de la population totale tend à baisser chaque année depuis 2017. En 2022, le nombre de nouveaux habitants des villes a baissé au point le plus faible depuis 42 ans.

En second point, la formation de ménages en Chine est en déclin depuis 2013, de pair avec une baisse du nombre de mariages, qui est le résultat de plusieurs décennies de la politique de l’enfant unique. »

En dépit du manque de demande, le gouvernement chinois souhaite mettre plus d’air dans la bulle de l’immobilier.

De même, les autorités européennes risquent de perdre foi dans le resserrement, et tenter de regonfler la bulle.

La contraction du PMI et des chiffres décevants pour la demande risquent de mener à la fin de la lutte, et l’enlisement de l’inflation.

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