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Aujourd’hui — 27 avril 2024National Geographic
Hier — 26 avril 2024National Geographic

L'un des phénomènes les plus rares de l'Univers aurait frappé la Terre en 2023

Le 12 novembre 2023, le satellite INTEGRAL de l’Agence spatiale européenne a détecté une gigantesque émission de rayons gamma. Bien que cette dernière n’ait duré qu’un dixième de seconde, les astronomes du monde entier ont été immédiatement alertés et se sont empressés d’orienter leurs instruments vers l’espace lointain afin d’en trouver la source. C’est alors que la situation a pris une étrange tournure.

Les rayons gamma sont des jets d’énergie particulièrement brillants qui proviennent de l’espace lointain et peuvent occasionnellement frapper la Terre. Les astronomes connaissant bien ce phénomène observé depuis les années 1960, ils ont d’abord soupçonné que l’éruption de novembre était le résultat de la collision de deux lointaines étoiles à neutrons, de denses noyaux qui constituent les vestiges d’étoiles mortes ayant explosé en supernovas. En effet, lorsqu’ils entrent en collision, ces astres peuvent exploser et émettre de nombreux rayonnements, tels que des rayons gamma, suivis d’ondes gravitationnelles.

« S’il s’était agi d’un sursaut gamma classique, nous nous serions attendus à observer ce que l’on appelle sa rémanence », explique Sandro Mereghetti, chercheur à l’Istituto di astrofisica spaziale e fisica cosmica di Milano, en Italie. « Même les sursauts gamma les plus légers sont suivis d’une émission [rémanente] de rayonnements en rayons X, en optique et en radio pendant plusieurs heures, voire plusieurs jours. »

Toutefois, ce n’est pas du tout ce que les astronomes ont observé à la suite du flash de novembre dernier.

 

UN PHÉNOMÈNE RARE

Les rayons X étaient introuvables. Une équipe de scientifiques, dont Mereghetti faisait partie, a alors émis l’hypothèse que la source du rayonnement gamma pourrait en réalité être l’un des phénomènes les plus rares et les plus puissants de l’Univers : une éruption géante émise par un magnétar, un type d’étoile à neutrons extrêmement magnétique qui, malgré sa petite taille, comparable à celle d’une petite ville, présente la même masse que notre Soleil.

Comme toutes les étoiles à neutrons, les magnétars naissent de l’effondrement d’étoiles bien plus grandes. Pour des raisons qui sont encore mystérieuses pour les astronomes, ces astres possèdent cependant des champs magnétiques particulièrement intenses, qui sont des milliers de fois plus puissants que ceux des autres étoiles à neutrons.

« Les magnétars puisent leur énergie dans la désintégration du champ magnétique », révèle Mereghetti. « Ce processus génère beaucoup de chaleur, ces objets sont donc très chauds, ce qui provoque l’émission d’éruptions géantes. » Selon le chercheur, cela se produit lorsque les lignes des champs magnétiques de l’étoile finissent par se briser. Un processus similaire a lieu sur le Soleil, provoquant des éruptions d’énergie connues sous le nom d’éjections de masse coronale (EMC) qui, si elles atteignent la Terre, peuvent entraîner la formation d’aurores boréales.

Bien que très puissantes, car composées de milliards de tonnes de plasma, ces EMC paraissent toutefois inoffensives à côté d’une éruption géante de magnétar, qui peut émettre, en un centième de seconde seulement, autant d’énergie que le Soleil en émet en un million d’années.

« Les étoiles à neutrons constituent la matière la plus dense de l’Univers ; si l’on y ajoute encore plus de masse, elles finissent donc par s’effondrer en un trou noir, qui est une absence de matière », explique Eric Burns, professeur adjoint d’astrophysique à l’Université d’État de Louisiane, qui n’était pas impliqué dans ces nouveaux travaux. « Cette extrême densité permet à ces objets de posséder des champs magnétiques incroyablement puissants. S’ils n’étaient pas aussi denses, les champs magnétiques les désintègreraient. »

Du fait de ces conditions uniques, les magnétars sont des objets rares, et leurs éruptions le sont encore plus. Selon Mereghetti, tandis que des sursauts gamma sont détectés environ une fois par mois, au cours des cinquante dernières années, seules trois éruptions géantes de magnétars ont été repérées au milieu des 100 milliards d’étoiles de la Voie lactée. Et il est encore plus difficile de repérer de telles éruptions en dehors de notre galaxie, le détecteur devant être orienté dans la bonne direction et être capable de différencier leur rayonnement des autres sources d’explosions de rayons gamma.

C’est pourtant ce que Merenghetti et ses collègues sont parvenus à faire pour la toute première fois.

 

UN COUP DE CHANCE

Dans un nouvel article publié dans la revue Nature, Mereghetti et son équipe expliquent que l’éruption détectée en novembre 2023 est le résultat de l’éruption géante d’un magnétar situé dans la galaxie M82, qui se trouve à 12 000 années-lumière de nous.

« Quelques cas de découvertes d’éruptions géantes dans des galaxies étrangères ont déjà été rapportés par le passé, mais elles étaient incertaines. Celle-ci s’avère beaucoup plus convaincante, car elle est la mieux localisée et est le résultat d’une bien meilleure procédure. »

Les astronomes sont « exceptionnellement surexcités » par ces résultats, notamment car elle provient de la galaxie M82, admet Burns. En raison des effets de sa proximité avec une autre galaxie, M82 abrite de nombreuses étoiles massives, dix fois plus que notre Voie lactée. En outre, les étoiles y ont une vie rapide et y sont très brillantes, ce qui en fait un objet d’étude particulièrement intéressant. 

« Nous pensons que les magnétars sont assez nombreux dans M82. La découverte de cet événement dans cette galaxie plutôt que dans une autre n’est donc peut-être pas une coïncidence », suggère Mereghetti.

La découverte de son équipe a été purement fortuite : en effet, au moment de l’émission du rayon gamma, l’INTEGRAL était déjà orienté vers les alentours de M82. Le satellite lui-même devrait bientôt rentrer dans l’atmosphère terrestre, et aucun remplacement n’est encore prévu : d’ici là, la galaxie M82 fera donc l’objet d’une attention accrue dans l’espoir de repérer de nouvelles éruptions géantes, selon Mereghetti. Celles-ci pourraient fournir aux astronomes des données précieuses concernant les propriétés physiques des champs magnétiques intenses et le cycle de vie des étoiles.

« Les étoiles naissent, vivent, meurent, explosent et produisent d’autres étoiles », poursuit-il. « Il y a un cycle, une sorte de biologie dans l’Univers, et les magnétars constituent l’un des éléments de la structure évolutive de la vie des étoiles. »

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

La quarantaine, une étape différente pour les millenials

Si vous voulez vous faire une idée de l'évolution de la quarantaine, ne cherchez pas plus loin. La comédie « Le Père de la mariée », sortie en 1991 aux États-Unis est un exemple parfait : les acteurs Steve Martin et Diane Keaton jouent le rôle de parents quarantenaires dépassés qui apprennent que leur fille de vingt-deux ans va se marier. La manière dont le film représente les quarantenaires fait question, tant elle semble éloignée des personnes atteignant aujourd'hui ce cap de la quarantaine.

Oui, les quarantenaires des années 2020 ne ressemblent pas aux quarantenaires des années 1990, et ce quel que soit l'angle que l'on choisit d'adopter pour les comparer. La plupart du temps, puisque je n'ai ni enfant, ni mari, ni emprunt immobilier, je ne me considère pas comme une « vraie » adulte malgré mes trente-sept ans ou, du moins, pas de la trempe des parents joués par ces deux acteurs. Bien sûr, la majorité des gens de ma génération aura bientôt des enfants assez vieux pour se marier. Mais beaucoup viennent à peine d'avoir leur premier enfant, sachant que l'âge moyen des mères à l'accouchement en France est passé de vingt-quatre ans en 1967 à trente-et-un ans en 2023. Une autre partie, représentant un cinquième des adultes, ne prévoient pas du tout d'en avoir.

Lorsque les millennials arrivent à la quarantaine, les réalités financières et culturelles suscitent chez beaucoup d'entre eux le même sentiment de ne pas être à la hauteur des normes de l'âge adulte moderne. Cependant, la façon dont nous considérons le vieillissement influence notre comportement à la quarantaine de manière nouvelle, laissant plus de place à la vie professionnelle et à l'aventure.

 

LA PRESSION FINANCIÈRE REPOUSSE LA POSSIBILITÉ DE FONDER UNE FAMILLE ET DE DEVENIR PROPRIÉTAIRE

Réécrire les règles n'a rien de nouveau pour les millennials. Même au début des années 2000, les sociologues avaient remarqué que les premiers millennials (ceux nés aux alentours de 1981, bien que l'on débatte encore du seuil exact) n'atteignaient pas les objectifs habituels que sont la réussite des études, l'obtention d'un emploi, le mariage et la naissance d'un enfant, révèle Karen Fingerman, professeure dans le domaine du développement humain à l'UT Austin et directrice du Texas Aging and Longevity Consortium.

Vingt-quatre ans plus tard, on continue de repousser l'âge auquel l'on se marie ou l'on devient parent, souligne Carolina Aragão, qui étudie les tendances sociales et démographiques au Centre de Recherche Pew. Ses recherches démontrent que le pourcentage d'adultes ayant aujourd'hui entre trente et trente-quatre ans qui sont mariés n'a pas dépassé les 10 % durant ces deux dernières décennies. En France, l'âge moyen pour la première maternité en 2021 était de vingt-neuf ans, l'âge le plus élevé jamais atteint. Un autre sondage Pew récent explique que 44 % des adultes âgés de dix-huit à quarante-neuf ans n'ayant pas encore d'enfants ont prévu de ne pas en avoir.

Il apparaît par ailleurs que les pressions financières influent sur ces décisions. Entre les emprunts immobiliers, les frais de garde des enfants et la prise en charge des ascendants, la quarantaine a toujours été coûteuse mais pour les millenials, les coûts sont exhorbitants. Selon un article publié par des chercheurs du Center for Household Financial Stability, les économies moyennes des millennials en 2016 s'élevait à 23 200$ (environ 21 700€), soit 34 % de moins que les tendances historiques.

 

DES ATTENTES D'UNE ÉPOQUE RÉVOLUE

La théorie concernant la fameuse « crise de la quarantaine » a été discréditée il y a longtemps, explique Margie Lachman, professeure en psychologie à l'Université de Brandeis qui s'est spécialisée sur la quarantaine. En réalité, seulement un petit pourcentage de personnes a avoué avoir expérimenté cette crise, qui peut d'ailleurs arriver à n'importe quel âge. Au contraire, la quarantaine a toujours été une période où l'on se recentre sur les autres, où l'on trouve un sens à sa vie par le biais du mentorat ou de l'activisme.

Se recentrer sur les autres signifie aussi jongler avec les priorités et augmenter le stress, explique Margie Lachman. Pendant cette période, une personne est susceptible de jouer une multitude de rôles : parent, conjoint, frère ou sœur, collègue de travail ou patron, bénévole dans une association, ami, et parfois même grand-parent. « Les gens dépendent vraiment de vous et vous tirent parfois dans différentes directions. » 

Mais la double tendance des millennials à avoir des enfants plus tard et des parents qui vivent plus longtemps intensifie le phénomène de « génération sandwich ». Selon Margie Lachman, si le sentiment de contrôle de sa vie atteint généralement son apogée à la quarantaine, les générations nées plus récemment se sentent progressivement moins maîtresses de leur destin que les générations précédentes.

De plus, ajoute-t-elle, les millennials ne doivent pas seulement équilibrer ces rôles, ils doivent aussi gérer l'instabilité du monde du travail, les bouleversements géopolitiques, le coût de la vie et l'inflation, sans compter sur la place toujours plus grande des réseaux sociaux.

Comment se fait-il que les millennials continuent à mesurer notre croissance à l'aune de critères datant d'un autre siècle ? Karen Fingerman et d'autres sociologues appellent ça le « décalage culturel ». « Ce n'est pas que vous avez "échoué" ou n'avez pas saisi d'opportunité », explique-t-elle. « C'est juste que ces points de repère ont disparu et le monde est devenu moins structuré. »

Sans structure pour nous soutenir, en plus d'avoir ces normes décalées, de nombreux millennials ont le sentiment de vivre une adolescence prolongée. Prenons Anna Schumann. Elle a trente-huit ans et est frustrée car sa vie n'est pas assez stable pour, de son point de vue, avoir des enfants. Le fait de ne pas pouvoir atteindre des objectifs financiers « me donne l'impression que mon développement personnel s'est également arrêté », dit-elle. « À bien des égards, je me sens encore comme une enfant ; je me demande si cela changera un jour. »

 

CHANGER LES NORMES DE LA QUARANTAINE POURRAIT ÊTRE BÉNÉFIQUE

Cependant, avec le manque de structure vient aussi une flexibilité naissante. Certains millennials sont enthousiastes à l'idée de rester « jeunes » plus longtemps. Les progrès de la biotechnologie ont permis d'augmenter le taux de fécondité des mères âgées de quarante à quarante-cinq ans de 132 % entre 1990 et 2019, ce qui donne aux femmes plus de temps que jamais avant la maternité. Les récentes données nationales sur les tendances en matière de santé montrent que l'autonomie des personnes âgées est en hausse, avec moins d'adultes de plus de soixante-douze ans déclarant des besoins non satisfaits en matière d'autonomie et de mobilité et ayant une « capacité physique élevée » dans ce groupe d'âge pour atteindre près d'un tiers entre 2011 et 2019. Il en résulte un vaste paysage que les millennials remplissent d'une multitude de nouvelles manières.

L'une d'entre elles étant le voyage. Radha Vyas, PDG et cofondatrice de Flash Pack, une société de voyages en groupe pour les personnes quarantenaires et cinquantenaires, estime que la popularité de son entreprise s'explique en partie par le fait que les millennials utilisent l'argent qu'ils ont économisé pour se consacrer à de nouvelles priorités. Les Flash Packers sont souvent célibataires et sans enfants ; beaucoup voyagent après un licenciement. « La société est un peu décalée », déclare-t-elle. « Il n'y a plus d'emploi sûr ; peut-être ne voudront-ils jamais s'installer et peut-être ne voudront-ils jamais avoir d'enfants ». Ils se demandent alors : « Et maintenant ? »

En perdant les structures traditionnelles de l'âge adulte, les millennials ont également acquis une nouvelle liberté, explique Karen Fingerman. Ils laissent place à une version de l'âge adulte où « il n'est pas nécessaire de quitter le domicile parental pour être adulte ; il n'est pas nécessaire de se marier pour être adulte ». Prenons l'exemple de la popularité croissante de la colocation, des nouvelles tendances en matière de polyamour ou de l'essor du nomadisme numérique. « Si votre identité est moins contrainte par la nécessité d'atteindre un objectif sociétal spécifique, vous êtes plus libre de donner du sens à d'autres expériences », explique-t-elle.

Et si la maturité était synonyme de renouveau ? demande Karen Fingerman. Plutôt que de poursuivre des objectifs qui peuvent sembler impossibles à atteindre, il s'agit peut-être de « voir les contraintes qui pèsent sur notre vie et de s'y adapter », utiliser ces limites pour déclencher un processus d’auto-définition et d'exploration.

« Si le scénario n'est plus aussi clair qu'avant, autant en profiter, non ? » relève Margie Lachman. « Cela pourrait être excitant. C'est à vous de déterminer à quoi ressemblera votre quarantaine. »

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

Spiritisme à la Maison-Blanche : ces premières dames se sont tournées vers l’occultisme

La Maison-Blanche a accueilli son lot de personnalités : politiciens, écrivains, musiciens, scientifiques… et médiums.

Reflétant la croyance des Américains dans les esprits, certaines des familles des présidents américains tinrent des séances de spiritisme au 1600 Pennsylvania Avenue. Elles firent leur deuil avec l’aide de médiums, montrant ainsi que les séances destinées aux défunts s'adressaient aussi aux vivants.

 

DU SPIRITISME À LA MAISON-BLANCHE

Le 6 janvier 1853, Franklin Pierce, président nouvellement élu, et sa femme Jane vécurent le pire cauchemar de tous les parents. Le seul enfant qu'il leur restait, Bennie, 11 ans, périt dans un terrible accident de train dans le Massachusetts.

Jane Pierce s’efforça de s’adapter à la vie sans son enfant. Pourtant, recluse dans ses quartiers privés de la Maison-Blanche, elle continua de lui écrire des lettres.

Alors que Jane Pierce pleurait la mort de son fils, un nouveau mouvement religieux prenait racine dans tout le pays : le spiritisme, ou le fait de croire qu’il est possible de communiquer avec les morts. Comme l’écrit l’historienne Molly McGarry dans Ghosts of Futures Past, « la foi dans le spiritisme et l’expérience selon laquelle les morts continuaient à communiquer avec les vivants » ont trouvé un écho dans une Amérique où la culture du deuil était très répandue et « ont offert à certains Américains du 19e siècle une nouvelle façon d’être dans le monde ».

La popularité du spiritisme est à imputer en partie à Maggie et Katie Fox, deux sœurs de 15 et 11 ans originaires de Hydesville, dans l’État de New York. Même si elles menaient une vie relativement ordinaire au sein d’une famille nombreuse, les deux sœurs ne tardèrent pas à faire des déclarations peu communes. En 1848, elles prétendirent que les mystérieux bruits de pas entendus dans la maison familiale étaient le fait d’esprits. Les sœurs soutenaient fermement pouvoir communiquer avec eux, interprétant les bruits comme une forme spectrale de code Morse.

Les allégations des sœurs Fox électrisèrent les Américains désireux d’entrer en contact avec leurs proches décédés, et notamment Jane Pierce. Fascinée par leur récit, la première dame les invita à Washington.

(À lire : "J’entends parler les morts" : au 19e siècle, le spiritisme s’est emparé de l’Occident)

On ignore ce qu'il s'est réellement passé entre Jane Pierce et les sœurs Fox, mais il se pourrait que la séance à la Maison-Blanche se soit déroulée comme les autres séances des sœurs Fox : elles auraient probablement commencé par faire asseoir les invités en cercle, les faire se tenir par la main et réciter une prière, puis les sœurs auraient procédé aux évocations, en prétendant lever le voile sur le monde des esprits.

 

LES NOMBREUSES LARMES DES LINCOLN

En pleine guerre de SécessionAbraham et Mary Todd Lincoln vécurent une tragédie nationale et personnelle, car le couple dut enterrer l’un de ses enfants. Le 20 février 1862, Willie Lincoln, âgé de 11 ans, mourut à la Maison-Blanche après avoir combattu la fièvre typhoïde des semaines durant.

La mort du garçon fut dévastatrice pour ses deux parents, mais le chagrin de Mary Todd Lincoln fut particulièrement débilitant. Elle resta alitée pendant des semaines et ne put supporter l’idée d’assister aux funérailles. Même après avoir réintégré la société, Mary Todd Lincoln désirait ardemment retrouver son fils décédé.

Elle se tourna donc vers les médiums. En s’appuyant sur des documents d’archives, l’historien David Herbert Donald, lauréat du prix Pulitzer et biographe de Lincoln, a estimé que la première dame pourrait avoir tenu huit séances de spiritisme à la Maison-Blanche.

L’une d’entre elles se déroula en décembre 1862, lorsque Lincoln accueillit la médium Nettie Colburn pour une séance dans le « salon rouge ».

Colburn affirma plus tard que le président s’était joint à la séance alors qu'elle était en transe, et qu'elle ne s’était pas contentée de communiquer avec Willie Lincoln. Elle expliqua que les esprits avec lesquels elle était entrée en communication avaient incité le président à publier la Proclamation d’émancipation, et qu’ils l'auraient qualifiée de « point culminant de son administration et de sa vie ».

Les séances avec Colburn et d’autres médiums renforcèrent la foi de la première dame dans le fait que les âmes survivaient à la mort. Cette dernière aurait même vu Willie dans ses rêves. « Willie vit », aurait-elle dit à sa demi-sœur Emilie Todd Helm. « Il vient me voir chaque nuit et se tient au pied du lit avec le même sourire doux et adorable qu’il a toujours eu. »

 

LE DERNIER SOUFFLE DU SPIRITISME

La Maison-Blanche fut à nouveau en deuil pendant la présidence de Calvin Coolidge en 1924. Alors âgé de 16 ans, Calvin Junior, le fils de Coolidge, jouait au tennis sans porter de chaussettes dans ses chaussures, ce qui forma une ampoule sur l’orteil, qui suppura par la suite. L’infection se transforma en septicémie et il trouva la mort le 7 juillet.

Les Coolidge ont-ils eu recours à un médium pour entrer en contact avec leur fils ? C’est ce que pensait Harry Houdini, le célèbre illusionniste. Il réprouvait le spiritisme, ses séances et les médiums, qui avaient tous connu un regain d’intérêt à la suite de la Première Guerre mondiale et de la pandémie de grippe. Il cherchait à démasquer les médiums et les voyants, qu’il considérait comme des charlatans.

En 1926, il alla jusqu'à témoigner lors d’une audition au Congrès qui envisageait d’interdire la pratique de la voyance. Au cours de cette audition, Jane Coates, médium à Washington, D.C., aurait déclaré : « Je sais avec certitude que des séances de spiritisme ont eu lieu à la Maison-Blanche avec le président Coolidge et sa famille. »

(À lire : Le dernier acte improbable d’Harry Houdini : s’adonner à l’occultisme)

Les amis de Coolidge nièrent avec véhémence cette allégation, traçant une ligne claire entre ce qui était acceptable et ce qui ne l’était pas. Les séances de spiritisme semblaient avoir franchi la limite de la respectabilité dans une Amérique en pleine mutation.

Après la Seconde Guerre mondiale, le spiritisme n’avait plus rien d’attrayant pour ses anciens adeptes, et les séances de spiritisme à la Maison-Blanche devinrent une curieuse note de bas de page de l’histoire.

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

À partir d’avant-hierNational Geographic

Ni extraverti ni introverti : et si vous étiez ambiverti ?

Au fil des ans, quand on me demandait si j’étais introvertie ou extravertie, je ne savais quoi répondre car je ne me retrouvais ni vraiment dans l’un ni vraiment dans l’autre de ces types de personnalité. Car si je suis certes souvent réfléchie et dans l'introspection, si je préfère voir des amis en tête-à-tête ou en petits groupes et si j’ai souvent besoin d’être seule pour me ressourcer (autant de caractéristiques des introvertis), il m’arrive aussi d’être sociable et bavarde en soirée, ainsi qu’affirmée et proactive dans ma vie professionnelle, soit des qualités associées à l’extraversion. Or il se trouve que je suis loin d’être la seule dans ce cas.

Les types de personnalité « forment un continuum qui va de l’introversion à l’extraversion », explique Dan P. McAdams, professeur de psychologie à l’université Northwestern et coauteur, avec William Dunlop, de l’ouvrage The Person: A New Introduction to Personality Psychology. « C'est une sorte de courbe en forme de cloche, la plupart d'entre nous se situant vers le milieu. »

Il existerait d’ailleurs deux types de personnalité moins connus : l’ambiversion, introduite par le psychologue américain Edward S. Conklin en 1923, qui présente un mélange de traits introvertis et extravertis, et l'omniversion, qui oscille entre des comportements introvertis et extravertis.

« Le langage s’ajuste à la culture populaire », explique Luke Smillie, professeur de psychologie à l’école des sciences psychologiques de l’université de Melbourne, en Australie. « Les catégories "extraverti" et " introverti " ne sont pas très nuancées, c’est pourquoi nous en avons créé d’autres pour décrire les caractéristiques psychologiques intermédiaires. »

Alors que le concept d’ambiversion a été étudié et apparaît dans la littérature psychologique, celui d’omniversion semble être une construction de la psychologie populaire. Certains experts sont d’ailleurs sceptiques quant à sa validité.

« De mon expérience, l’omniversion n’existe pas ; je ne crois pas que quelqu’un puisse osciller entre deux extrêmes », soutient Richard Robins, professeur de psychologie à l’université de Californie, à Davis. « Il est tout à fait possible qu’une personne se montre très extravertie dans une situation donnée et très introvertie dans une autre. Ce que je ne crois pas, c’est qu’une personne puisse, au cours d’une centaine de situations différentes, se montrer soit toujours extrêmement extravertie, soit toujours extrêmement introvertie, sans jamais faire preuve de nuance dans son comportement. »

 

DES CONCEPTS CONTROVERSÉS

Au fil des ans, le test de personnalité Myers-Briggs Type Indicator (MBTI) a gagné en popularité dans le monde entier et est aujourd’hui considérablement utilisé dans le monde du travail et de l’enseignement. Ce test classe les personnes en différents types de personnalités sur la base de leurs scores sur des dimensions de traits telles que l’extraversion et l’introversion, les sentiments et la pensée, la sensation et l’intuition, et la perception et le jugement. Depuis sa première publication en 1975, le MBTI a popularisé le concept de « types de personnalités », même si c’est au psychiatre suisse Carl Jung que revient l’introduction des termes « extraversion » et « introversion » dans la psychologie au début du 20e siècle.

L’attrait du MBTI est indéniable : « Lorsque vous obtenez un certain type [de personnalité à l'issu du test], vous vous dites qu’il y a d’autres personnes comme vous ; vous avez l’impression de faire partie d’une équipe », explique McAdams. En même temps, le mélange de traits que vous êtes censé posséder peut aussi vous donner l’impression d’être unique ou différent des autres.

« Les gens cherchent désespérément à savoir qui ils sont », explique Scott Barry Kaufman, chercheur en sciences cognitives à l’université Columbia de New York et fondateur du Center for Human Potential. « Plus vous pouvez dire aux gens qui ils sont, plus vous leur offrez une certaine certitude dans notre monde incertain. »

Pourtant, détrompez-vous : le test Myers-Briggs n’a aucune validité scientifique, affirme McAdams. « La recherche en psychologie de la personnalité montre constamment que les variations psychologiques ne suivent pas ce type de logique binaire. Au contraire, des dimensions telles que l’extraversion et l’introversion forment un continuum sur lequel les gens sont placés différemment », ajoute McAdams qui considère l’introversion et l’extraversion comme des traits, et non comme des types de personnalités.

« Depuis les années 1980, de plus en plus de preuves scientifiques tendent à montrer que nous exprimons des degrés [de personnalités] », explique Smillie. Néanmoins, cette typologie continue de séduire de nombreuses personnes. « Nous sommes attirés par ces modes de pensée fondés sur des catégories parce qu’ils simplifient notre monde très complexe », ajoute-t-il.

La société Myers-Briggs ne reconnaît pas l’existence des ambivertis. À l’inverse de certains psychologues de la personnalité. « Ces traits [d’introversion et d’extraversion] existent sur un continuum or la plupart des gens se situent au milieu de ce continuum, d’où l’utilité du terme "ambiversion" », explique John Zelenski, professeur de psychologie à l’université Carleton d’Ottawa, qui ajoute : « Nous ne nous comportons pas toujours de la même manière en fonction des situations : la plupart des gens sont flexibles. Le fait d'être rigide est souvent le signe d’une maladie mentale. »

Bien que ces traits aient une prédisposition génétique, ils peuvent changer avec le temps, en particulier avec l’âge, explique McAdams. « C’est à la fois une question d’hérédité et d’éducation, mais c’est bien l’hérédité qui est à la base de tout. »

 

LE DANGER DES ÉTIQUETTES

Si chacun de ces traits de personnalité présente des avantages, des inconvénients et des particularités, ils ne sont pas nécessairement ce que l’on croit. Une étude suggère, par exemple, que les extravertis et les ambivertis ont tendance à mieux réguler leur humeur que les introvertis, et une autre étude a montré que si les introvertis et les extravertis préfèraient les échanges à haute voix aux sms, les ambivertis préfèraient eux discuter par message. En outre, une série d’études publiées dans un numéro de 2023 de la revue Personality and Social Psychology Bulletin a révélé que l’on considérait systématiquement les personnes plus extraverties comme moins à l’écoute des autres. 

Mais ces traits ont des nuances que nous avons souvent tendance à négliger ; en nous fiant uniquement à ces catégories, nous risqueons de mal interpréter les comportements des autres. « Les introvertis sont souvent considérés à tort comme des personnes distantes ou assez peu agréables, alors qu’ils n’ont simplement pas la volonté de s’investir socialement », explique Smillie. De même, « les extravertis sont souvent perçus à tort comme plus compétents parce qu’ils sont plus bavards et semblent avoir plus de choses à dire sur un sujet ».

Étonnamment, les recherches sur le sujet montrent que ce n’est pas la sociabilité en soi qui caractérise au mieux l’extraversion, mais la recherche de récompenses. Kaufman explique que les personnes très extraverties cherchent à s’engager dans des interactions sociales afin de gagner un statut social ou une attention sociale. L’extraversion semble être alimentée par la libération de dopamine dans les circuits de récompense du cerveau, explique-t-il, ce qui favorise l’exploration sociale et un engagement plus important. En comparaison, les introvertis ne tirent pas une si grande récompense de ces expériences sociales, explique Smillie.

L’on pense également à tort que les personnes très extraverties sont naturellement douées pour la vie sociale, or des études ont montré que si les personnes extraverties étaient plus à même d'établir des relations avec les autres, c’est parce qu’elles imitaient davantage leurs interlocuteurs que les personnes introverties.

« Parfois, l’extraversion est assimilée à de l’habileté sociale ; nous avons constaté que les extravertis se livrent davantage au mimétisme comportemental sans s’en rendre compte », explique Korrina Duffy, chercheuse au campus médical Anshutz de l’université du Colorado.

Par ailleurs, si les extravertis ont longtemps été considérés comme les leaders idéaux dans le monde du travail, des recherches plus récentes ont montré que d’autres types de personnalité apportaient leur lot d’atouts uniques. Une étude publiée dans un numéro de 2023 de la revue Frontiers in Psychology a révélé que l’extraversion et ses qualités associées (comme l’affirmation de soi et une certaine sociabilité) n’avaient pas de lien direct avec l’efficacité de nos supérieurs à réagir à divers défis. Ce qui faisait la différence, aux yeux des employés, c’est la capacité des dirigeants à susciter la stimulation intellectuelle et la proactivité de leurs collègues, des qualités qui peuvent être associées à des personnalités plus introverties, comme le notent les chercheurs.

« Les gens partent du principe que les personnes en position de pouvoir sont nécessairement extraverties », déclare Robins. Or ce n’est pas toujours le cas. En réalité, ajoute-t-il, « la réussite dans la vie a moins à voir avec l’extraversion qu'avec d’autres traits adaptatifs comme la conscience professionnelle ».

En effet, Adam Grant, psychologue organisationnel à l’université de Pennsylvanie, a découvert que les ambivertis « disposent d’une meilleure productivité commerciale que les extravertis ou les introvertis », en grande partie parce qu’ils « s’engagent naturellement dans un modèle flexible de conversation et d’écoute ». C’est ce qu’il appelle « l’avantage des ambivertis ».

 

DES POINTS COMMUNS ENTRE LES PERSONNALITÉS

D’une certaine manière, les personnes présentant ces différents traits de personnalité ont beaucoup de points commun. Selon une étude par exemple, même les personnes très extraverties ont leurs limites en matière de sociabilisation ; elles les atteignent simplement moins vite que les individus qui le sont moins.

« Nous avons tous vécu des situations qui ont fait ressortir notre côté sauvage et d’autres où nous avons eu envie de nous recroqueviller sur nous-mêmes et d’être seuls », explique Kaufman. « Il est dans notre nature humaine d’avoir des capacités introverties et extraverties. »

Parfois, se forcer à sortir de sa zone de confort peut avoir des avantages psychologiques. Les recherches menées par Zelenski et ses collègues ont montré que lorsque des personnes naturellement introverties agissaient intentionnellement de manière plus extravertie, leur humeur s’améliorait.

« Les personnes qui se disent introverties ressentent beaucoup d’émotions positives lorsqu’elles se comportent de manière extravertie », explique Zelenski. « La plupart d’entre elles déclarent également se sentir très authentiques, comme si elles exprimaient leur véritable personnalité. »

Quelles que soient les tendances naturelles de votre personnalité, cultiver un sens de la flexibilité et de l’adaptabilité (et donc être capable d’invoquer ou de taire certaines qualités pour répondre aux exigences de différentes situations, explique Smillie) peut être la meilleure façon de naviguer dans la vie.

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

Pétaouchnok, Perpète les oies, Bab el Oued : d’où viennent ces expressions pour désigner le bout du monde ?

Inutile de chercher « Pétaouchnok » sur une carte : ce lieu, convoqué maintes fois pour désigner un ailleurs lointain et un peu flou, n’existe pas. L’expression, qui sonne comme une bourgade russe, serait apparue au 19e siècle, avec un mélange de deux mots désuets. « Péta » dériverait de « perpète », autrefois synonyme de bagne. On partait à « perpète » au bagne de Cayenne. Le sens aurait progressivement glissé pour indiquer un « trou perdu » où l’on allait mourir. Et « Shnock » veut dire « Stupide » en alsacien. Partir pour « Pétaouchnok », ce serait donc prendre un aller simple pour un « trou paumé », imbécile… 

Ce n’est pas la seule interprétation possible des origines de l’expression - d’autres spécialistes affirment que « pétaouchnok » a été précédé par la formule « aller aux îles Pataoufnof ». Une expression raciste utilisée pour désigner un ailleurs « essentiellement peuplé de Noirs », selon le dictionnaire de l’argot du linguiste Gaston Enault. Les interprétations varient, une même idée demeure : « Pétaouchnok » est un endroit jugé finalement peu recommandable, inférieur, et difficile d’accès.

Voilà le point de départ des travaux de l’anthropologue Riccardo Ciavolella. Le chercheur s’est évertué à décortiquer quatre-vingt expressions qui désignent un ailleurs lointain dans son livre Pétaouchnok(s), du bout du monde au milieu de nulle part, et en a même fait une carte interactive. « Je voulais interroger le sens que l’on donne à ces endroits. Tous ces lieux désignent un espace flou, entre réel et imaginaire, et révèlent une opposition entre un centre et une périphérie » explique-t-il. Les exemples abondent. L’expression « Perpète les oies » ne raconte pas autre chose. On retrouve le « perpète » évocateur du bagne. « Les oies » rappellent les petits villages de campagne d’autrefois qui portaient des noms d’animaux. Allier bagne et milieu rural, ou comment créer l’image d’un lieu difficile d’accès chez les habitants des grandes villes...

Autre exemple : en France, quand on parle d’aller à « Bab El Oued », « Tataouine » ou « Tombouctou », c’est souvent pour dire que l’on va très loin, dans un endroit assez vague. Pourtant, ces lieux existent. 

Si on les retrouve parfois au détour d’une phrase, c’est à cause de notre histoire coloniale : « Bab el Oued est l’un des principaux quartiers d’Alger (100 000 habitants, au sein d’une ville qui en compte 3 millions), tourné vers la mer Méditerranée, au pied des montagnes de l’Atlas » souligne Riccardo Ciavolella. « Tataouine est une ville de Tunisie qui hébergeait autrefois un bagne militaire, devenue célèbre pour la dureté des conditions de vie et des punitions infligées aux bagnards. Aujourd’hui, le bagne n’est plus, et Tataouine compte près de 70 000 habitants. » Tombouctou est quant à elle une cité ancienne du Mali, classée au patrimoine mondial de l’humanité par l’UNESCO pour la richesse de son histoire

 

À CHAQUE PAYS SON PÉTAOUCHNOK

C’est dire que l’expression pour désigner l’ailleurs dépend de l’endroit d’où l’on parle. Évidemment, à Alger, personne ne dit « Bab El Oued » pour évoquer un lieu distant… À chaque pays son « Pétaouchnok ». En Italie, il s’appelle « Canicattì». « Ce nom évoque pour les Italiens un lieu éloigné et perdu. Nombre d’entre eux ignorent qu’une telle ville existe réellement, en Sicile, et qu’elle est peuplée par 35 000 habitants. L’endroit a hérité de cette réputation de bout du monde parce qu’il est le terminus d’une ancienne ligne ferroviaire qui traversait toute l’Italie, du nord jusqu’au sud. L’expression reflète l’imaginaire de type semi-colonial qui se développe dans les régions urbaines et riches du Nord italien, qui considèrent le Sud comme la terre des "culs-terreux". Elle s’est répandue dans le langage familier dans tout le pays – sauf à Canicattì » explique Riccardo Ciavolella. 

À Canicattì, on fait porter le chapeau du « trou perdu officiel» à une autre commune sicilienne : Carrapipi. « Nous sommes toujours le Pétaouchnok d’un autre » résume l’auteur. En langue fon du Bénin, le pays lointain et indéfini est Yovotomè, « le pays des Blancs ».

 

« MISSISSIPPI-LA-GALETTE »

Certains « Pétaouchnoks » sont passé de mode, relégués aux oubliettes de l’Histoire. Qui se rappelle de « Mississippi-la-Galette » ? Sans doute pas grand monde : l’expression était pourtante courante au 19e siècle. « Le Larousse de 1898 notait qu’il s’agissait d’une "déformation plaisante du mot Mississippi et qui désigne un lieu vague, très éloigné". Ici, on trouve une connotation positive :  la galette pouvait faire référence à l’argent, et le Mississippi était, pour les explorateurs français, l’un des emblèmes des terres fortunées d’Amérique » souligne Riccardo Ciavolella. L’époque où la France avait des territoires outre-Atlantique, autour du Mississippi, n’était alors pas si lointaine.

Quels seront les prochains « Pétaouchnoks » ? Difficile à dire, dans un monde où tout est de plus en plus proche, accessible en quelques heures d’avion – certaines étiquettes de « trou paumé » ont donc plutôt vocation à disparaître. Comme l’explique l’anthropologue, des offices du tourisme usent même de cette réputation à leur avantage, pour bâtir leur marketing territorial : « venez voir le bout du monde » clament-elles. 

Ushuaïa, ville argentine installée sur la pointe la plus méridionale de l’Amérique du Sud, offre un exemple parlant. Cette ancienne colonie pénitentiaire s’est auto-proclamée « Fin del mundo » en jouant avec l’idée d’extrémité, pour le plus grand bonheur des touristes du monde entier. L’heure de la revanche des « Pétaouchnoks » du monde entier a sonné, pour le meilleur comme pour le pire.

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La NASA dévoile sa stratégie contre les déchets orbitaux. Sera-t-elle suffisante ?

La NASA s'apprête à mettre l'écologie en orbite. L'administratrice adjointe de l'agence spatiale américaine, Pam Melroy, a récemment levé le voile sur la première phase du programme Space Sustainability Strategy. Au cours des prochains mois, la NASA dévoilera d'autres segments de cette stratégie dont l'objectif est de nettoyer le voisinage spatial de la Terre, mais également d'assurer un partage équitable et durable des ressources de l'espace.

« Il était grand temps », souligne Melroy. Différents départements de l'agence appliquent déjà le principe de durabilité à leur échelle avec une approche qui leur est propre ; la NASA souhaite désormais généraliser cet effort, explique l'ex-astronaute américaine.

La NASA a choisi d'axer le premier chapitre de cette stratégie sur les débris en orbite autour de la Terre. À vrai dire, le problème des déchets orbitaux est sans aucun doute la principale source de préoccupation spatiale à l'heure actuelle. Près de 10 000 satellites opérationnels survolent notre planète en permanence, mais notre voisinage est également encombré par un nombre encore plus grand de sondes désaffectées, de fusées abandonnées et de fragments divers filant autour de la Terre à près de 27 000 km/h. 

Les astronomes qui ont lancé l'alerte au sujet de l'encombrement de l'orbite terrestre applaudissent le nouveau programme, mais ils sont nombreux à trouver que les États-Unis sont à la traîne par rapport à d'autres pays et devraient s'attaquer au problème de pollution orbitale avec plus d'entrain.

« Je suis très heureux de voir que la NASA se lance. La question est de savoir si le Congrès leur accordera le budget nécessaire pour apporter un réel changement », déclare Darren McKnight, membre de la direction technique de LeoLabs, une société basée à Menlo Park, en Californie, spécialisée dans la localisation des engins et des débris spatiaux. 

 

MENACE EN ORBITE

Lorsqu'un satellite traverse une zone encombrée, il s'expose à un risque accru de collision avec un fragment de métal à la dérive, ce qui lui vaudrait d'être à son tour classé parmi les débris orbitaux. 

Ce qui inquiète particulièrement Melroy et ses collègues de la NASA, ce sont les risques pour la Station spatiale internationale et les astronautes qui l'occupent, des risques portés au grand écran en 2013 dans le film Gravity qui voit Sandra Bullock contrainte de fuir la station orbitale. Dans ce type de scénario catastrophe, les modules critiques de l'ISS seraient compromis et les astronautes n'auraient alors que deux options : embarquer sur une navette spatiale ou mourir.

Plus il y a de satellites, plus le danger est grand. Prenons le cas d'une collision entre un étage de fusée à l'abandon et un satellite à la retraite, cela produirait encore plus de débris, ce qui augmenterait le risque de collision et rendrait cette orbite inutilisable pendant des années voire des décennies. La situation s'apparente à un carambolage sur l'autoroute, sauf qu'il n'y a pas de services de secours dans l'espace et aucune façon de nettoyer la scène sans dépenser des millions, si ce n'est des milliards de dollars à travers plusieurs années de travaux.

Dans le nouveau rapport, la NASA présente la première partie de sa stratégie pour la durabilité dans l'espace. L'agence y évoque notamment la prolifération des satellites et l'encombrement de l'orbite terrestre basse, sans oublier la menace incarnée par ces débris spatiaux, quelle que soit leur taille. Le rapport mentionne par ailleurs la récente expansion des constellations artificielles dont les satellites se comptent par milliers. À ce jour, c'est le projet Starlink de SpaceX qui possède la plus grande flotte avec près de 5 800 satellites opérationnels et l'entreprise souhaite en lancer plus de 40 000 au total. Avec son projet Kuiper, Amazon prévoit de talonner ce chiffre.

 

L'ÎLE AUX DÉBRIS

Les modèles à long terme de la NASA sont utiles, indique McKnight, car ils nous montrent la façon dont les débris pourraient continuer à s'accumuler sur plusieurs décennies. Cependant, l'agence oublie un détail important : la situation pose d'ores et déjà problème et c'est maintenant qu'il faut apporter des solutions, insiste-t-il. 

Par exemple, le 28 février dernier, la sonde TIMED de la NASA, qui étudie le rayonnement solaire dans les hautes couches de l'atmosphère, a failli percuter un satellite russe de 32 ans à la retraite. Le satellite n'était plus opérationnel et n'aurait donc pas pu manœuvrer pour éviter l'impact. Si ces deux objets s'étaient trouvés sur une trajectoire de collision, personne n'aurait pu l'empêcher.

Du côté de la Station spatiale internationale, les enjeux sont encore plus importants, car elle abrite des astronautes. La station a été menacée à plusieurs reprises par ces débris orbitaux au cours des dernières années, une fois par un morceau de fusée russe et une autre fois à cause des éclats propulsés par un essai de missile antisatellite russe survenu en 2021, suite auquel la NASA avait dû reporter une sortie extravéhiculaire car les débris peuvent facilement transpercer les combinaisons spatiales. 

Les États-Unis, la Chine et l'Inde ont également procédé à des essais de missiles antisatellite sur leurs propres satellites, en créant au passage des débris spatiaux. En 2022, la gravité du sujet était telle que la vice-présidente des États-Unis, Kamala Harris, a appelé la communauté internationale à un moratoire sur ces essais d'armes qui polluent l'espace.

Pour l'explorateur National Geographic Moriba Jah, ingénieur en aérospatiale de l'université du Texas et cofondateur de Privateer Space avec Steve Wozniak d'Apple, la NASA et les autres agences ou entreprises spatiales doivent prendre conscience du fait que « le destin de tout ce que nous lançons dans l'espace est de devenir un débris, et cela doit changer. » 

 

PLAN D'ACTION

Certaines agences s'attellent déjà à faire ce que suggère Jah et la NASA essaie de les rattraper. L'Agence spatiale européenne a dévoilé sa Charte zéro débris il y a plus d'un an. Cette charte fixe des objectifs précis que l'agence s'engage à atteindre d'ici 2030 pour réduire les risques de collision satellite-débris en orbite. De son côté, l'agence spatiale du Royaume-Uni a annoncé faire de la durabilité dans l'espace sa priorité en 2023 et le Japon a commencé à investir dans les entreprises spatiales privées dédiées au problème des débris orbitaux. Le Japon collabore également avec l'Organisation des Nations unies (ONU) pour éveiller les consciences à travers le monde. 

Si la NASA a pris du retard, certains organismes américains de réglementation disposent déjà de leurs propres mesures contre la pollution orbitale, c'est notamment le cas de la Commission fédérale des communications (FCC). En 2022, la FCC a imposé de nouvelles règles obligeant les compagnies de télécommunications à éliminer leurs anciens satellites au lieu de les laisser dériver en orbite pendant des décennies. La Federal Aviation Administration a également proposé de contraindre les entreprises spatiales à débarrasser l'espace des étages supérieurs de fusées abandonnés en orbite. 

Malgré tout, la stratégie de la NASA pourrait entraîner de réels progrès, ajoute Jah, même si elle n'a pas su faire le lien avec les principes de gestion des déchets déjà mis en œuvre pour la pollution terrestre, océanique et atmosphérique. 

« La communauté spatiale essaie de réinventer la roue », déplore Jah. Contrairement à ses homologues européens, la NASA manque également d'un plan concret pour développer une économie spatiale circulaire, ce qui impliquerait de revoir la conception des engins spatiaux, de mettre à l'épreuve de nouveaux matériaux et de nouveaux carburants, mais aussi de réutiliser et de recycler des satellites au lieu de déployer un si grand nombre de satellites à usage unique. 

 

L'HEURE DU MÉNAGE

D'autres pays n'ont pas attendu la NASA pour commencer à nettoyer les débris. Au Japon, l'entreprise Astroscale-Japan, ou ADRAS-J, a lancé en février sa mission Active Debris Removal qui tente actuellement de s'approcher en toute sécurité d'un fragment de fusée abandonné en orbite il y a quinze ans. L'objectif de l'équipe est de photographier l'imposant déchet spatial, d'analyser son état et ses mouvements, puis de synchroniser la rotation de la sonde avec celle du débris de façon à préparer son retrait de l'orbite, ce qui pourrait être accompli par une future mission. 

En Europe, l'Agence spatiale européenne et une entreprise privée, appelée Clearspace, ont programmé pour 2026 le lancement d'un engin qui utilisera des bras robotisés pour capturer un morceau de fusée de 110 kg afin de le remorquer dans l'atmosphère où la sonde et son butin se consumeront sans représenter de danger. D'après l'United States Space Force, la fusée ciblée par l'agence semble avoir été frappée par un débris plus petit l'été dernier, ce qui démontre là encore le problème et la nécessité d'agir.

D'après Melroy, les Étas-Unis ne manqueront pas de mener leurs propres missions de nettoyage orbital, mais l'agence doit encore étoffer son plan pour la durabilité dans l'espace avant de prendre des décisions majeures. La scientifique n'est pas étrangère à la multitude de concepts imaginés pour désencombrer l'orbite terrestre, ayant elle-même travaillé pour DARPA, une agence qui explore les idées les plus farfelues allant du harpon au filet en passant par le gant de baseball orbital pour attraper les déchets en suspension dans l'espace. 

Au bout du compte, les budgets annuels de la NASA dépendent du Congrès des États-Unis, qui a déjà réduit de 2 % le budget de l'agence pour 2024, faisant ainsi perdre de précieux financements à la mission de retour d'échantillons martiens et à d'autres programmes. Une mission de nettoyage des débris constituerait un nouvel investissement majeur.

À en croire l'analyse coût-bénéfice réalisée par la NASA, le retrait des 50 objets les plus dangereux de l'orbite terrestre basse serait onéreux, certes, mais profitable au long terme. Pour la plupart, ces objets sont des fragments de fusée et d'autres objets à l'abandon dont l'orbite frôle des satellites critiques. Toujours selon cette analyse, il serait également intéressant, sur le plan financier, de développer des lasers et d'autres technologies nous permettant de pousser ces débris hors de leur trajectoire afin d'éviter les collisions imminentes.

Cela dit, il faudra des années pour concevoir et déployer ce genre de technologie et encore plus de temps pour les mettre à l'échelle.

 

FUTURS PROJETS

Au final, même s'il est important de se débarrasser des débris orbitaux dès maintenant, « le retrait actif des débris n'est pas une panacée », déclare Aaron Boley, planétologue à l'université de Colombie-Britannique et cofondateur de l'Outer Space Institute, un réseau d'experts de l'espace. 

« Je suis ravi qu'ils aient élaboré cette stratégie pour la durabilité dans l'espace. Il y a beaucoup de travail », dit-il. Il est également nécessaire de modifier notre comportement, par exemple, puisqu'il est impossible de remédier à ce désordre si d'autres personnes continuent de polluer en laissant toujours plus de débris en orbite. 

Par ailleurs, il soutient que la réflexion de la lumière sur les engins spatiaux qui altère le ciel nocturne devrait également être visée par cette stratégie. Boley et ses collègues ont écrit un article en mars sur la visibilité des satellites pendant l'éclipse solaire totale du 8 avril 2024, observée par des millions de personnes en Amérique du Nord. 

L'orbite terrestre marque le début de l'espace et la durabilité devra s'étendre au-delà de cette frontière. 

 

VERS LA LUNE ET AU-DELÀ

Le reste de la stratégie de la NASA inclura des mesures pour la Lune et son orbite, mais aussi pour l'espace lointain, notamment Mars et les astéroïdes. 

À travers le programme Artemis, la NASA est entrée dans la course au développement d'une station lunaire et d'une station spatiale, alors que la Chine, la Russie et les entreprises spatiales affichent également leurs propres ambitions pour la Lune. 

Cependant, notre satellite naturel dispose de ressources limitées. Pour exploiter les éventuelles réserves d'eau présentes sous forme de glace sur la Lune, la NASA devra tenir compte du besoin des autres pays et des générations futures. De telles considérations entreront également dans la stratégie de durabilité établie par l'agence américaine, indique Melroy. « Je pense que ces idées se préciseront à mesure que nos connaissances évoluent, mais notre objectif restera de préserver les zones d'intérêt scientifique, d'intérêt historique et de beauté naturelle. »

D'après Melroy, la stratégie de la NASA pour la durabilité dans l'espace s'apparente à son approche du changement climatique. L'agence spatiale étudie depuis des dizaines d'années le climat de la Terre comme un système holistique, en encourageant la durabilité sur notre propre planète. 

L'analogie avec le climat s'applique également d'une autre façon à la crise des déchets orbitaux, reprend McKnight. « C'est un peu comme le réchauffement climatique dans le sens où tout le monde le voit venir, mais personne ne veut agir tant que ça ne pose pas de problème », souligne-t-il. 

« On attend un événement grave qui nous force à réagir, mais il est toujours préférable de prévenir ou d'empêcher une menace plutôt que d'en réparer les dégâts. J'applaudis la NASA pour ce premier pas, mais j'espère que l'agence a conscience de l'urgence nécessaire. »

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

Dans l’Espagne du 17e siècle, il fallait vraiment souffrir pour être belle

Dans son Voyage en Espagne de 1679, Marie-Catherine Le Jumel de Barneville, femme de lettres connue sous le nom de Madame d’Aulnoy, consigna des impressions peu flatteuses concernant le teint des femmes espagnoles : « Jamais je n’ai vu écrevisses arborant si belles couleurs. »

La rougeur qui surprit tant Madame d’Aulnoy était due à l’application de quantités généreuses de fard rouge. Plus loin, Madame d’Aulnoy raconte comment une dame espagnole « se saisit d’une coupe remplie de rouge et, aidée d’un gros pinceau, s’en farda non seulement les joues, le menton, le dessous du nez, les paupières et le pourtour des oreilles, mais s’en macula aussi l’intérieur des mains, les doigts et les épaules ».

Madame d’Aulnoy se remémore dans cette œuvre son séjour dans l’Espagne de la fin des années 1670, au crépuscule de l’edad de oro, ainsi que les historiens aiment à nommer l’âge d’or espagnol. Cet âge d’or, qui débuta avec l’essor de l’Espagne en tant que superpuissance européenne et avec la colonisation de larges pans de l’Amérique Centrale et du Sud à partir de 1492, s’évanouit à la fin du 17e siècle à mesure que s’aggravaient les problèmes économiques rencontrés par le pays. Mais tant qu’il dura, on célébra abondamment de nombreux aspects de la culture espagnole, notamment sa littérature et son théâtre. Dans les récits de voyageurs, on se plaît à faire remarquer que l’apparence des femmes reflète la richesse et le pouvoir colossaux de l’Espagne. Richard Wynn, politicien ayant accompagné le prince Charles Ier d’Angleterre à l’occasion d’un voyage en Espagne en 1623, écrivit que « de toutes ces femmes, j’ose jurer que pas une n’était sans maquillage ; si flagrant qu’à s’y méprendre on eût dit qu’elles portaient des visières [des masques] plutôt que leur propre visage. »

 

GRIMAGES EXTRÊMES

Selon Amanda Wunder, historienne de la culture, autrice d'un livre sur la mode espagnole au temps de Vélasquez (Yale University Press), en matière de mode et de beauté, « l’Espagne prenait une autre direction » que le reste du continent européen. Alors que les Françaises et les Anglaises préféraient les teints naturels, les Espagnoles ne fondaient leurs critères de beauté que sur le fait d’être maquillées de la manière la plus extravagante et la plus sophistiquée qui soit, explique-t-elle.

La cour espagnole établissait la norme pour le reste de la société. Les riches étaient alors bien plus visibles dans l’espace public qu’au Moyen Âge. Nobles et membres de la famille royale s’affichaient régulièrement au théâtre ou faisaient accrocher leurs portraits dans les lieux publics lors de festivals. Les conceptions de la beauté qu’ils projetaient se répandaient dans les diverses couches de la société.

« Tout le monde se couvrait de couches de maquillage, et c’est la reine qui donnait le la. C’était un phénomène qui transcendait les classes », explique Amanda Wunder.

Pour atteindre l’apparence recherchée lors de l’âge d’or espagnol, les femmes se soumettaient à une routine de soin longue et complexe. Elles disposaient d’ailleurs d’une pièce dédiée, une sorte de boudoir que les Espagnols appellent tocador. Avant de désigner une pièce, ce terme désignait le couvre-chef qu’hommes et femmes portaient au lit. Le tocador était donc l’endroit où les femmes s’apprêtaient, se coiffaient et se pomponnaient. C’est là qu’elles rangeaient leurs soins pour la peau et pour les cheveux, leur maquillage et leurs accessoires de beauté. On en vint également à appeler tocador leurs nécessaires de beauté. Ces boîtes étaient pour certaines de facture magnifique. À l’intérieur, les cosmétiques étaient conservés dans des pots et des flacons, et au centre se trouvait un petit miroir. Selon la richesse d’une dame, ce miroir pouvait être orné d’un cadre somptueux d’ébène indien, de bois teinté, voire d’argent.

 

UNE PÂLEUR CADAVÉRIQUE

Dans l’Espagne du 17e siècle et d’après, idéal de beauté féminin rimait avec cheveux blonds et pâleur cadavérique. Il n’était pas rare que les femmes se blanchissent la peau. À cet effet, on s’oignait de Solimán, un cosmétique à base de mercure. Sa composition chimique pouvait causer des dégâts durables à la peau. En même temps, on utilisait des décolorants dilués à divers degrés pour éclaircir plus ou moins les cheveux.

Comme l’avait si mémorablement observé Madame d’Aulnoy, le produit incontournable du tocador espagnol de l’époque était le fard rouge. Désigné par le nom color de granada (couleur de grenade), on le vendait enveloppé dans des feuilles de papier placées dans des coupelles appelées salserillas. Le visage ainsi blêmi, les femmes se maquillaient ensuite les lèvres et les joues avec ce fard et se noircissaient les sourcils avec un mélange d’alcool et de minéraux noirs. Pour garder les mains blanches et douces, elles y appliquaient un onguent à base d’amandes, de moutarde et de miel.

Parmi les autres produits chimiques entrant dans la composition de ces produits, le soufre était probablement celui dont l’usage était le plus répandu. Certains de ces composants étaient nocifs. Les femmes se blanchissaient parfois le visage avec de l’oxychlorure de bismuth (qu’on appelle parfois blanc d’Espagne), produit qui irrite la peau et les yeux ; ou bien utilisaient des précipités de plomb, qui sont toxiques.

Si la composition du fard rouge a évolué au fil des siècles, à l’âge d’or espagnol, il était souvent fabriqué à partir de soufre carbonisé, de mercure, de plomb et de minium (un oxyde de plomb), entre autres substances.

Dans son livre El Día de Fiesta por la Mañana y por la Tarde, publié en 1654, le moraliste Juan de Zabaleta assène des arguments religieux pour dénoncer l’utilisation des produits cosmétiques. Il situe l’action de son tableau de mœurs dans le tocador d’une femme s’apprêtant un matin de fête religieuse : « Elle place à dextre l’écrin contenant ses potions de beauté et entreprend de se corriger le visage avec celles-ci. Il ne vient pas à l’esprit de cette femme que si Dieu la voulait telle qu’elle se maquille, Il l’aurait faite maquillée. Dieu l’a dotée du visage qui lui seyait et elle se pare du visage qui ne lui sied point. » L’œuvre de Juan de Zabaleta s’inscrit dans une tradition littéraire misogyne qui condamne les rituels de beauté des femmes et y voit un sabotage de la création divine.

Certaines femmes étaient de cet avis et trouvaient ces rituels sots, mais pour des raisons bien différentes : María de Zayas, femme de lettres de l’âge d’or espagnol considérée de nos jours comme proto-féministe, voyait dans les pressions sociales exercées sur les femmes pour qu’elles se maquillent un moyen de les empêcher de s’émanciper. Dans un roman des années 1630, elle fait dire à l’un de ses personnages que si les femmes se consacraient « au maniement des armes et à l’étude des sciences au lieu de se laisser pousser les cheveux et de se farder le visage, elles auraient déjà dépassé les hommes dans de nombreux domaines. »

À la fin du 17e siècle, alors que les fortunes impériales de l’Espagne étaient contrariées et que l’edad de oro touchait à sa fin, le recours effréné au maquillage diminua également. Dans le sillage de la Révolution française de 1789, une mode plus naturelle gagna l’Europe et l’on délaissa les manières contournées des perruques et du maquillage d’antan. 

Cependant, les attitudes envers le maquillage sont souvent cycliques. Des poudres à base d’oxyde de zinc remplacèrent les recettes toxiques à base de plomb, et l’utilisation de maquillage connut un regain de popularité en Europe. Au milieu du 19e siècle, le maquillage chargé passa de mode, car on l’associait aux actrices et aux prostituées. Les artifices faciaux revinrent cependant sur le devant de la scène avec l’avènement des cosmétiques utilisés au théâtre et furent largement commercialisés en Europe et en Amérique du Nord dans les années 1920. Depuis lors, l’utilisation du maquillage est tout aussi ardemment débattue lorsqu’il est question de féminité et de féminisme qu’elle ne l’était lors de l’âge d’or espagnol.

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

Lait de vache, de soja, d'araignée… Que peut-on réellement qualifier de "lait" ?

De l’entier à l’écrémé, en passant par les alternatives sans lactose, les différentes options de laits ne manquent pas dans les rayons de nos supermarchés.

Les laits de chèvre et de brebis sont également de plus en plus courants, tout comme les laits végétaux à base d’avoine, de soja, d’amande, de noix de cajou, de coco, de riz, de chanvre, ou encore de pois.

Du côté du monde naturel, des preuves indiqueraient même que certaines espèces d’araignées, d’amphibiens, de fourmis et d’oiseaux seraient capables de sécréter des liquides similaires au lait caractéristique des mammifères.

Ces boissons moins célèbres peuvent-elles néanmoins réellement être qualifiées de « lait » ? Et d’ailleurs, comment pouvons-nous définir le lait ?

« Nous pouvons mesurer presque tout ce qu’il y a dans le lait », explique Michael Power, spécialiste des sciences animales qui gère une collection au Smithsonian’s National Zoo and Conservation Biology Institute, qui regroupe environ 15 000 échantillons de lait provenant de pas moins de 200 espèces de mammifères.

« Nous pouvons mesurer tous les peptides et les microbes présents dans le lait, mais aussi en examiner tous les éléments génétiques », révèle Power, qui est également l’auteur de l’ouvrage Milk: The Biology of Lactation.

Voici ce que nous savons (et ce que nous ignorons encore) de cette boisson si essentielle à notre évolution.

 

AVANT LE LAIT, IL Y AVAIT DU POISON

Selon Power, pour mieux comprendre le lait, il nous faut remonter à une époque qui précède son existence.

Il y a 250 à 300 millions d’années vivaient les synapsides, de petites créatures à la peau recouverte d’écailles qui constituent une ancienne lignée qui a donné lieu à la naissance des mammifères. Les synapsides auraient été les premiers de nos ancêtres à développer la capacité de nourrir leurs petits par le biais de sécrétions provenant de glandes situées sur leur abdomen.

Bien entendu, il ne s’agissait cependant pas de l’allaitement que nous connaissons aujourd’hui. Les synapsides pondaient des œufs, puis les enduisaient de ces sécrétions.

« Nous pensons qu’à l’origine, l’objectif était surtout d’équilibrer l’eau », explique Power.

En plus de l’eau, les scientifiques supposent que les liquides des synapsides contenaient des minéraux essentiels, tels que le calcium, le phosphate et le sodium, mais aussi des poisons qui protégeaient les œufs délicats contre les bactéries et les champignons.

Quel que soit son contenu, ce breuvage maison semble avoir porté ses fruits, car les synapsides ont survécu à l’extinction Permien-Trias, qui a provoqué la disparition de 90 % de toutes les espèces végétales et animales de notre planète.

« Pour moi, cela indique que la lactation constitue une évolution et une adaptation incroyablement importantes », commente Power.

 

L’ALIMENTATION DES PETITS MAMMIFÈRES

Aujourd’hui, il existe autant de laits que d’espèces de mammifères, et chacun est unique.

Le lait de phoque à capuchon contient jusqu’à 60 % de matières grasses, tandis que le lait de rhinocéros noir n’en contient que 0,2 %. Le lait de baleine bleue, quant à lui, a une consistance similaire à celle d’un fromage blanc coulant, ce qui est idéal pour une transmission sous-marine du liquide de la mère à son baleineau.

Les ornithorynques et les échidnés ne disposent pas de mamelons apparents, mais émettent leur lait par des pores présents sur leur peau, un peu comme les glandes sudoripares, dont le rôle est de produire la transpiration.

Chaque espèce de mammifère a suivi sa propre voie évolutive qui lui a permis de survivre jusqu’ici, et qui a ainsi entraîné une évolution de la chimie, de la consistance et du mécanisme d’administration de son lait.

 

LE LAIT N’EXISTE-T-IL QUE CHEZ LES MAMMIFÈRES ?

Selon la communauté scientifique, certaines preuves commencent à suggérer que la production de ce liquide essentiel ne se limite pas aux mammifères.

« Servez-vous un bon verre glacé de lait de pigeon… ou peut-être pas », écrit Rosemary Mosco dans son ouvrage A Pocket Guide To Pigeon Watching.

Pendant les premiers jours de la vie d’un jeune pigeon, son père et sa mère des vomissent une sécrétion semblable à du lait caillé dans la bouche de leurs petits, un liquide qui partage le même objectif que l’allaitement dans les premiers jours des bébés humains. Les manchots, les flamants roses et plusieurs autres espèces d’oiseaux produisent également cette substance connue sous le nom de « lait de jabot ».

De même, les araignées sauteuses, les nématodes et les poissons discus produisent des sécrétions riches en nutriments destinées à nourrir leurs petits, et selon une récente découverte, au moins une espèce d’amphibiens vermiformes, connus sous le nom de cécilies, sécrèterait également du lait, mais à partir de leur oviducte, lorsque les petits sont encore à l’intérieur de la mère. Les grands requins blancs utiliseraient une méthode similaire en émettant un liquide utérin blanc laiteux destiné à nourrir leurs petits.

Ces substances peuvent-elles être qualifiées de « lait » ?

Carlos Jared et Marta Antoniazzi, les scientifiques à l’origine de la découverte du liquide produit par l’oviducte des cécilies, admettent avoir été surpris de constater que celui-ci contenait des protéines, des glucides et des lipides, tout comme le lait des mammifères.

« Les acides gras sont très similaires à ceux que l’on trouve dans le lait ordinaire », révèle Antoniazzi, qui travaille à l’Instituto Butantan, un centre de recherche biologique brésilien.

Power souligne toutefois que seul un nombre limité d’espèces d’amphibiens, d’arachnides, d’oiseaux ou de poissons sont capables de produire ces substances.

« Les mammifères sont entièrement définis par leur capacité à produire du lait », explique-t-il. Selon le spécialiste, le lait des mammifères est donc unique.

 

DÉFINIR LE TERME « LAIT »

Le marché laitier mondial devrait dépasser les 1 200 milliards de dollars d’ici 2028, c’est pourquoi il est important que les autorités réglementaires déterminent quels produits peuvent être qualifiés de « lait » dans nos épiceries et supermarchés.

En France, lorsqu’il est utilisé seul sans indication concernant l’espèce animale dont il provient, le terme « lait » est strictement réservé au lait de vache. Tout produit laitier provenant d’un autre animal, tel que le lait d’ânesse ou le lait de brebis, doit préciser le nom de l’espèce dans sa dénomination commerciale. Aux États-Unis, une règle similaire est appliquée, le lait étant défini comme « la sécrétion lactée, pratiquement exempte de colostrum, obtenue par la traite complète d’une ou de plusieurs vaches en bonne santé », avec quelques subtilités relatives aux niveaux de pasteurisation et de matières grasses du produit.

Se pose également la question de l’appellation des laits végétaux. Au sein de l’Union européenne, la loi interdit la dénomination commerciale « lait » pour la majorité des alternatives végétales au lait d’origine animale, comme les laits de soja ou d’avoine, cette appellation étant susceptible de créer de la confusion chez les consommateurs. C’est pourquoi, malgré l’usage, les emballages des produits végétaux présentés dans les rayons présentent désormais les appellations « boisson » et « jus », plutôt que « lait ».

Du côté des États-Unis, la situation est différente. Après avoir examiné plus de 13 000 commentaires provenant du public, la Food and Drug Administration (FDA) a conclu en 2018 que les consommateurs comprenaient généralement que les « laits » végétaux ne contenaient pas de lait de vache, et que ce terme ne prêtait donc pas à confusion. L’agence américaine recommande néanmoins que tout produit dont le nom comporte le mot « lait » présente des informations relatives à sa différence nutritionnelle avec le lait de vache.

D’un point de vue technique, les laits végétaux peuvent-ils réellement être qualifiés de laits ? « Pour moi, le lait est, par essence, un produit créé par des parents pour nourrir leur petit », commente Katie Hinde, bioanthropologue à l’Université d’État de l’Arizona et corédactrice de la publication Splash! Milk Science Update de l’International Milk Genomics Consortium. Selon Hinde, les laits de soja et d’avoine ne correspondent pas à cette définition.

 

UNE SOURCE D’INFORMATIONS

Les scientifiques le réalisent un peu plus chaque jour : le lait s’avère bien plus complexe que nous ne le pensions auparavant.

« Pour moi, le lait constitue une sorte de canal d’information entre une mère et son enfant », affirme Power.

Grâce à un équilibre de nutriments, d’hormones et même de microbes, le lait guide la croissance et le développement du bébé, mais reflète également l’état corporel de la mère : certains des ingrédients qui le composent, comme le calcium, proviennent littéralement des os de celle-ci.

Par ailleurs, « le lait peut se transformer avec le temps », ajoute Power. La structure biochimique du lait maternel n’est pas la même le matin et le soir, et peut même changer entre le début et la fin d’une tétée.

Hinde cite également le cas du wallaby de l’île d’Eugène, dont les organes internes ne sont que partiellement développés à la naissance. « Le lait des marsupiaux contient des protéines qui les aident à développer leurs poumons afin de leur permettre de commencer à respirer de l’air par les poumons, plutôt que par la peau. »

Les chercheurs s’efforcent d’identifier ces protéines afin de déterminer si elles pourraient contribuer à la conception de traitements pour les bébés humains prématurés, qui souffrent souvent d’un sous-développement pulmonaire et de pneumonies.

 

DES MYSTÈRES PERDURENT

Les humains n’existeraient pas sans le lait maternel qui, chaque jour, continue d’étonner les scientifiques par sa complexité, sa flexibilité et son potentiel médical. Pourtant, selon Power, ce liquide essentiel a lui aussi ses défauts.

« Certaines personnes affirment que le lait est l’aliment parfait. À cela, je réponds qu’aucun fruit de l’évolution n’est parfait. »

Le lait manque naturellement de fer et de vitamine D, souligne le spécialiste. Il constitue également un compromis entre ce dont le bébé a besoin et ce que la mère peut se permettre de produire. En d’autres termes, pour être « parfait », il faudrait que le lait contienne encore plus de ressources nutritionnelles, mais cela mettrait en danger la mère qui le produit. « On ne peut pas tuer la mère pour nourrir le bébé. »

Enfin, le lait se compose de nombreux éléments que nous demeurons bien incapables de comprendre.

« Parfois, lorsque nous trouvons de nouveaux éléments dans le lait, ces derniers peuvent nous laisser perplexes... Ont-ils une raison d’être ? »

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

Okinawa, le pays des immortels

Au Japon, un rapport du ministère de la Santé, du Travail et des Affaires sociales indique que le nombre de centenaires a atteint un nouveau record en 2022 : plus de 90 000 personnes auraient ainsi dépassé l’âge de 100 ans, soit environ 4 000 de plus qu’en 2021 ! Et c’est dans le sud-ouest du pays, dans l’archipel d’Okinawa, qu’on en compte le plus. Différentes études sur cette étonnante longévité ont montré que même les habitants d’un âge avancé – souvent surnommés « les immortels » – bénéficient d’un corps et d’un esprit fonctionnels et alertes. Ce qu’ils doivent en grande partie à la combinaison de plusieurs facteurs favorables : un environnement protégé, un mode de vie qui cultive le bien-être, et des habitudes alimentaires spécifiques.

Le positionnement de l’archipel – similaire à celui de pays situés sur le pourtour méditerranéen, caractérisés par un climat chaud et un environnement insulaire – est peut-être l’une des clefs de ce phénomène. Ainsi, la Grèce et la Sardaigne abritent deux des cinq zones bleues (régions du monde connues pour la longévité de leurs habitants) actuellement recensées. Ce positionnement pourrait notamment expliquer des similitudes dans les régimes alimentaires de ces différents pays.

À l’instar du régime okinawaïen, le régime crétois repose sur l’équilibre nutritionnel de ses principaux composants (fruits, légumes, céréales complètes…). Il favorise la consommation de végétaux, la diversité et la saisonnalité des aliments, mais limite la viande rouge, les sucres et les graisses saturées. 

Contrairement à une idée largement répandue, ce régime alimentaire ne vise pas spécifiquement la perte de poids – même s’il peut y contribuer. Scientifiquement reconnu pour favoriser l’amélioration de la qualité de la vie de ceux qui l’adoptent, il connaît le même retentissement positif sur la population qui développe moins de maladies chroniques, cardiovasculaires et dégénératives, et dont l’espérance de vie est bien supérieure à la moyenne mondiale. 

 

SANTÉ ET LONGÉVITÉ DANS L'ASSIETTE 

La santé et le bien-être des centenaires d’Okinawa peuvent être expliqués par des facteurs génétiques, psychosociaux et environnementaux, issus d’un mode de vie basé sur un concept philosophique : le nuchigusui, qui se traduit par « médecine de la vie ». 

Ce qu’ils apportent à leur corps – et à leur esprit – est une réelle préoccupation, ils s’alimentent avec modération et leur régime, hypocalorique, est pauvre en graisses et riche en nutriments.

Proche de la cuisine japonaise en général, celle d’Okinawa en diffère malgré tout par certains aspects. Rigoureusement basés sur l’équilibre alimentaire, la qualité nutritionnelle et la préservation du goût, de nombreux plats traditionnels à base de poissons et de fruits de mer sont préparés dans des bouillons de soupe (des dashis), réalisés avec des algues marines (konbu, wakame, mozuku…). Ingrédients essentiels de la cuisine japonaise, les algues marines sont fortement recommandées et utilisées pour leurs saveurs très prononcées et leur faible teneur en sel. Peu consommées, les viandes sont souvent réservées aux grandes occasions. Avec une préférence pour le porc, peu onéreux. Mais sa viande, très grasse, doit mijoter assez longtemps pour pouvoir en extraire la graisse et lui permettre d’atteindre une tendreté idéale sans perdre sa saveur. 

Le régime quotidien fait la part belle aux légumes, aux fruits et aux légumineuses, comme les graines de soja, et à la patate douce. Cette dernière est à l’habitant d’Okinawa ce que le pain est à la population française. Son indice glycémique est si bas qu’on peut la consommer sans restriction. Mais pas d’excès dans l’archipel, où l’on pratique le hara hachi bu, qui consiste à cesser de s’alimenter dès que le sentiment de satiété est atteint.

Autres aliments essentiels dans le régime quotidien de l’archipel nippon : les légumes verts, le soja et le tofu, qui participent à une bonne santé cardiaque et à l’équilibre de la flore intestinale ; sans oublier la salade qui éloigne les troubles cognitifs. On retrouve également des superaliments riches en fibres, en vitamine C, en fer, en calcium, en potassium, en polyphénols, en minéraux, et de puissants antioxydants. Ils sont produits et cultivés par les habitants d’Okinawa eux-mêmes, ce qui leur permet de bénéficier à la fois d’une alimentation saine et d’une activité physique quasi quotidienne au grand air. 

Dans les champs et les potagers, on retrouve donc le goya (concombre amer), le shikuwasa, un agrume local, le sucre de canne (la plus importante culture de l’archipel), l’acérola (fruit originaire des Caraïbes), le konjac, le curcuma d’Okinawa, appelé « curcuma de printemps », le moringa, petit arbre originaire de l’Inde, qualifié de « plante miraculeuse » pour les 90 nutriments qu’il contient, alliés des fonctions vitales du corps humain. 

Pour parfaire cette alimentation saine et équilibrée, le thé (noir, rouge ou vert, dont le matcha) – un excellent antioxydant – fait partie intégrante des repas et souvent consommé à la fin car doté d’importantes propriétés digestives.

 

BIEN-ÊTRE MORAL, SANTÉ PSYCHIQUE ET PHYSIQUE ESSENTIELS

De récentes études effectuées dans les cinq zones bleues répertoriées dans le monde indiquent que se donner un but, une raison de se lever chaque jour (une activité intellectuelle, artistique ou physique, un animal dont il faut prendre soin…) procure un sentiment de bien-être qui diminue le stress, aide à vivre plus longtemps et améliore la qualité de vie. Et c’est justement le ikigai, que l’on peut traduire par « raison d’être », que les habitants d’Okinawa pratiquent. 

À Okinawa, la réputée rigueur japonaise se vit de façon moins intransigeante : « Ce qui n’est pas réalisé maintenant le sera plus tard. » De plus, la bienveillance et l’attention portées aux autres font partie des valeurs fondamentales dans les familles, les cercles d’amis et le voisinage. Avoir un moai (groupe social permettant d’entretenir des liens avec autrui, amicaux, sociaux ou familiaux) est essentiel et contribue à l’équilibre et au bonheur de tous. Autant dire que quel que soit son âge, son état de santé et sa configuration familiale, un habitant est loin d’être isolé dans l’archipel ; en cas de besoin, il sera soutenu par sa communauté, comme lui la soutient en retour.

Une enquête sur le bien-être et la satisfaction des besoins menée en 2022 par le Brand Research Institute auprès d’environ 23 000 hommes et femmes habitants les 47 préfectures du Japon, révèle que c’est l’archipel d’Okinawa qui, pour la deuxième année consécutive, obtient le meilleur indice de bonheur. 

 

UNE APPROCHE SPIRITUELLE DE LA VIE

La spiritualité tient une place importante dans la vie des habitants d’Okinawa, dans la plus pure tradition japonaise de la religion Shintô, mais néanmoins empreinte de pratiques chamaniques locales. Celles-ci sont traditionnellement dirigées par des femmes prêtresses, qui ont hérité leur statut d’une autre femme, en ligne directe ou non. Leurs croyances intègrent le fait que la communication avec le surnaturel leur appartient. C’est donc à elles qu’il revient de communiquer avec les dieux, de prier et de méditer devant de petits autels rustiques édifiés en pleine nature, ici une cabane ou un tas de pierres au pied d’une colline, là au bord de l’eau.

De même, croyant en la continuité de la vie après la mort et en une énergie spirituelle qui interagit avec les deux plans d’existence, un lien étroit est entretenu avec les proches disparus, à qui il faut rendre visite et parler comme s’ils étaient présents. Ces moments participent au positivisme légendaire et au bonheur des habitant d’Okinawa. Une autre clef de leur extraordinaire longévité ? 

Au cœur de l’Amazonie, cette région immaculée témoigne de la résilience de la nature

Au milieu du brouhaha des récits dramatiques évoquant la dégradation de l’environnement en Amazonie, il existe d’autres histoires, moins bruyantes mais non moins convaincantes, qui témoignent du simple pouvoir de la nature à prospérer lorsqu’elle est laissée à l’état brut.  Celle du Rio Napo, rivière qui coule au nord du parc national Yasuni, en Équateur, en est l’exemple même. 

Selon Lucas Bustamante, biologiste, écologiste et photographe environnemental : « C’est un endroit où tous vos sens sont en ébullition. Vous ne voyez pas seulement la vie partout, vous entendez les cris des oiseaux, le coassement des grenouilles, le bruit du vent ; vous sentez le pollen des plantes, le sol, la pluie. C’est bouleversant. Pour toute personne amoureuse de la nature, c’est comme être un enfant dans un magasin de jouets. » 

Établi en 1979 dans le nord-ouest amazonien, le parc national Yasuni constitue la plus grande zone de conservation de l’Équateur. Il protège près de 1,1 million d’hectares de forêt amazonienne, soit une superficie équivalente à celle de la Croatie. Cette forêt est l’une des plus riches de la planète en termes de biodiversité. Le Rio Napo est, quant à lui, une des artères qui insuffle la vie en son cœur. 

Cette rivière prend naissance dans les hauts versants de la Cordillère des Andes, à l’est, et marque la frontière nord du parc. Puis, elle se jette dans l’Amazone, à l’ouest, après avoir traversé le Pérou. 

Lucas Bustamante est originaire de l’Équateur et organise des expéditions photographiques à Kichwa Anangu, un village situé au bord du Rio Napo et habité par des familles indigènes kichwas. Voici vingt ans, ces dernières ont décidé de remplacer l’exploitation forestière et la chasse par l’écotourisme en tant que principale source de revenus. Ce projet, couronné de succès, a permis à la nature de prospérer. 

« Il a fallu quelques années pour que les animaux se mettent à revenir et que la forêt commence à se repeupler », indique Lucas Bustamante. « Aujourd’hui, c’est comme un petit paradis, une oasis de biodiversité. »

 

LA « TOILE D’ARAIGNÉE AQUATIQUE »

Cet espace immaculé constituait l’endroit idéal pour le photographe Thomas Peschak qui souhaitait saisir les liens profonds entre les animaux de l’Amazonie et ses cours d’eau. Explorateur pour National Geographic, il travaille sur un projet à long terme visant à documenter la forêt équatoriale depuis l’eau en naviguant sur sa « toile d’araignée aquatique », un réseau hydrographique composé de vastes rivières aux centaines d’affluents et de milliers de ruisseaux. 

Lucas Bustamante et lui ont passé des semaines en canoë à pagayer sur ces derniers, autour du Rio Napo, à la recherche d’espèces endémiques telles que la loutre géante (Pteronura brasiliensis). Ces mammifères en danger font partie des cinq principaux prédateurs de l’Amazonie, engloutissant plus de trois kilogrammes de poissons en une seule journée. Leur présence constitue un indicateur très significatif de la « bonne santé » de l’écosystème aquatique

 

Thomas Peschak explique : « Dans toute l’Amazonie, nous assistons à une détérioration de la situation mais le Rio Napo va vraiment à contre-courant de cette tendance. Comme il n’y a ni braconnage ni exploitation forestière ou minière illégale, une grande partie de la faune présente autour de la rivière est incroyablement sereine vis-à-vis des Hommes. » 

Cette quiétude lui donne une occasion unique de capturer et de mettre en valeur le comportement de nombreux animaux dans la nature, comme un papillon buvant le liquide lacrymal des yeux d’une podocnémide de Cayenne, une loutre géante attrapant un poisson et des singes hurleurs roux (Alouatta seniculus) se nourrissant de feuilles au-dessus d’un ruisseau. 

Tout n’est cependant pas si simple. Dans les jours qui ont précédé l’expédition de Thomas Peschak, de fortes pluies ont gonflé les cours supérieurs andins. Le niveau du Rio Napo a augmenté de façon spectaculaire, faisant déborder les ruisseaux et les déversant dans la forêt. 

Bien que cette inondation ne soit pas inhabituelle pour la rivière et son écosystème, elle a rendu la recherche de loutres beaucoup plus difficile pour les explorateurs. Cela a en effet permis aux animaux de nager loin à l’intérieur de la forêt inondée, à l’écart des principaux cours d’eau. Thomas Peschak et Lucas Bustamante ont donc passé sept jours à pagayer sans aucune loutre en vue, jusqu’à ce que, le dernier jour, ils en aperçoivent un groupe en plein festin.  

« Dans ce métier, vous devez faire preuve d’une patience à toute épreuve », déclare l’explorateur. « Lorsque tout votre corps vous crie d’abandonner, c’est à ce moment-là qu’il faut continuer. La patience et la persévérance sont récompensées par la nature. »

 

L’AUTOROUTE DES GRAINES

L’incroyable biodiversité qui entoure le Rio Napo reflète le chemin qu’il parcourt, de sa descente depuis les contreforts de la Cordillère des Andes jusqu’au bassin amazonien. Ces écosystèmes se mélangent sur ses rives d’une manière unique, permettant ainsi au parc national Yasuni d’abriter en son sein un vaste éventail d’espèces. 

Le Rio Napo est également chargé de nutriments provenant des Andes, notamment des cendres volcaniques, matériaux très riches. Les cours de ces eaux vives transportent de grandes quantités de sédiments leur donnant une couleur boueuse. Il s’agit aussi d’un moyen efficace de dissémination des graines. « Le Rio Napo est comme une autoroute sur laquelle des millions de graines circulent depuis les Andes à travers la région, permettant aux espèces de se propager », explique le biologiste Gonzalo Rivas-Torres. 

Ce flux de graines constitue également une source de nourriture essentielle pour la grande diversité de poissons se trouvant dans ses eaux. Cela se répercute sur le reste de la forêt, bien au-delà des méandres de la rivière.

Il poursuit : « Les poissons dépendent de la quantité de nutriments, de fruits et de graines présents dans l’eau. Si les forêts riveraines ne sont pas en "bonne santé", les populations de poissons seront peu nombreuses et les loutres n’auront pas assez de nourriture. Tout est lié. »

Gonzalo Rivas-Torres est le directeur de la station biologique de Tiputini, une station de terrain gérée par l’Universidad San Francisco de Quito, en collaboration avec l’université de Boston, à des fins de recherche, d’enseignement et de préservation. 

Leur base se situe sur les rives de la rivière Tiputini, un affluent du Rio Napo. À cet endroit, Gonzalo Rivas-Torres se dit être toujours émerveillé de voir la faune et la flore si proches, tout autour d’eux. Ses étudiants ont par exemple pleuré en voyant pour la première fois un jaguar dans la nature ou en relâchant une podocnémide de Cayenne dans la rivière.

« Ils disent qu’ils ne s’attendaient pas à voir cela ou qu’ils ne savaient pas que l’Équateur c’était aussi cela », rapporte-t-il. « C’est une expérience qui change une vie. »

Cet article a été réalisé avec le soutien de Rolex, qui s’associe à la National Geographic Society dans le cadre d’expéditions scientifiques visant à explorer, étudier et documenter les changements dans des régions uniques de la planète.

Il a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

Une nuit au musée : il est possible de rester dormir dans ces sept musées

Qu'il s'agisse de dormir à côté d'un squelette de dinosaure à Londres ou bien d'observer les danseurs de rue dans la capitale maltaise, il existe de nombreuses façons pour les familles de prolonger l'initiation culturelle au-delà des heures de visite diurnes.

 

1. LE MUSÉE D'HISTOIRE NATURELLE DE LONDRES

Idéal pour : les amoureux des animaux
À deux pas du Science Museum, les billets pour les fameuses soirées pyjama « Dino Snores » sur le thème de la préhistoire destinées aux enfants de sept à onze ans se vendent rapidement. Les familles ont l'occasion d'explorer les galeries avec des lampes torches, de créer des t-shirt dinosaures et d'assister à un spectacle pour enfants présenté par un chercheur en résidence. Les bénéficiaires du titre VIP (Very Important Palaeontologists, ou « Paléontologues très importants » en français) ont également droit à un lit de camp à côté de Sophie le Stégosaure. Ils ont aussi accès à une présentation des animaux ainsi qu'à des encas pour les petits creux de fin de soirée.

 

2. LE CENTRE SPATIAL KENNEDY (KSC) EN FLORIDE

Idéal pour : les passionnés d'espace
Le centre d’accueil de la NASA situé au Cap Canaveral, depuis lequel de nombreux lancements spatiaux ont été réalisés, organise des soirées pyjama dans deux lieux différents mais tout aussi passionnants l'un que l'autre : la navette spatiale Atlantis, un véhicule orbital qui n'est plus utilisé, et le centre Apollo/Saturn V, où une fusée lunaire Saturn V est exposée. Ce programme s'adresse à des petits groupes d'enfants et adolescents âgés de dix à quatorze ans accompagnés d'un adulte. Il comporte des éléments éducatifs, notamment des défis et des chasses au trésor axés sur les sciences et technologies.

 

3. LE SCIENCE MUSEUM DE LONDRES

Idéal pour : les astronautes en herbe
Conçu pour les enfants de sept à onze ans, ce vaste musée dédié au génie humain propose des Astronights sur le thème de l'espace. Ce programme comprend des ateliers, ainsi que des expositions et séances dans la salle de cinéma IMAX du musée et dans son Wonderlab, dont les sept zones sont dédiées aux divers phénomènes scientifiques. Si vous choisissez l'expérience VIP, vous aurez accès à un matelas gonflable au lieu d'un tapis de sol, ainsi que des petites douceurs supplémentaires au petit-déjeuner.

 

4. LE BRITISH MUSEUM DE LONDRES

Idéal pour : les amateurs d'Histoire
Créées pour les enfants de huit à quinze ans, les expéditions nocturnes sont organisées dans ce grand musée, où sont entreposés des milliers d'artefacts venant du monde entier. Le thème historique de chacune de ces aventures change constamment. Les ateliers, les activités et les narrations permettent de faire revivre le passé de manière éclatante. Les familles couchent dans les galeries égyptiennes et assyriennes, entourées par des rois et des dieux de l'Antiquité. Le lendemain, après le petit-déjeuner, les visiteurs ont accès à une visite privée des galeries avant l'ouverture du musée au public.

 

5. LE MUSÉE NATIONAL DE CARDIFF

Idéal pour : les paléontologues en herbe
Comme alternative au fameux programme du Musée d'histoire naturelle de Londres, ce site gallois invite les enfants de six à douze ans à des soirées pyjama centrées sur les expositions permanentes de géologie et d'histoire naturelle. Ce programme comprend une marche aux flambeaux, des ateliers manuels inspirés par les fossiles de la collection et un film avant d'aller se coucher. L'expérience VIP comprend également la visite du « Ranger Chris » avec l'un de ses reptiles, puis celle d'un paléontologue et une visite privée de la collection d'ossements de dinosaures du musée.

 

6. LE GRAND THÉÂTRE DE GENÈVE

Idéal pour : les étudiants en théâtre
Institution suisse construite en 1879 et ayant conservé sa façade originale de style Beaux-Arts, cette maison d'opéra et de ballet organise des soirées pyjama ouvertes pour tous les âges. Les séjours comprennent une visite du bâtiment et de ses coulisses labyrinthiques sur fond de musique d'époque. Ensuite, vous vous coucherez sur votre matelas, avec votre sac de couchage ou votre couette, dans le grand foyer doté de lustres, fait de dorures, de fresques, de boiseries et de peintures somptueuses.

 

7. L'INTREPID MUSEUM DE NEW YORK

Idéal pour : les fans de Top Gun
Les voyageurs qui se rendent à New York peuvent dormir dans ce musée sur l'Hudson, installé à l'intérieur d'un porte-avions de la Seconde Guerre mondiale. Les expositions sont axées sur l'histoire militaire et maritime des États-Unis. L'opération Slumber permet aux familles ayant des enfants âgés de six à dix-sept ans de découvrir les consignes permettant de vivre, manger et dormir à bord d'un porte-avions. Ce programme comprend une visite guidée du pont d'envol avec des lampes torches, des simulateurs et l'accès à un planétarium.

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

Cette maman ourse attaque un tigre pour sauver son petit

Les tigres du Bengale sont des tueurs impitoyables, capables de pointes de vitesse à 55 km/h. Ce sont de puissants chasseurs nocturnes qui parcourent de nombreux kilomètres pour trouver des buffles, des cerfs, des cochons sauvages et d'autres grands mammifères, dont ils se nourrissent.

Le tigre que l'on peut voir dans la vidéo ci-dessous a repéré un jeune ours lippu égaré, âgé d'environ trois ans. Mais alors qu'il se préparait à attaquer, la mère du jeune ours s'interpose et défend sauvagement son petit. Le tigre vise sa gorge pour y planter ses crocs acérés. Se libérant de l'étreinte, l'ourse se grandit pour tenter d'impressionner ce fauve deux fois plus lourd qu'elle...

Il existe aujourd'hui six sous-espèces de tigres : le tigre de Chine méridionale, le tigre de Malaisie, le tigre d'Indochine, le tigre de Sumatra, le tigre de Sibérie et le tigre du Bengale. On peut retracer leur histoire évolutionnaire sur deux millions d'années environ, période à laquelle leur ancêtre a quitté l'Afrique pour explorer l'Asie. 

La population des tigres du Bengale est la plus nombreuse, elle représente environ 50 % de la population mondiale de tigres vivant à l'état sauvage.

Les tigres du Bengale vivent seuls et marquent agressivement de leur odeur de vastes territoires pour éloigner leurs rivaux. Les tigres utilisent leur pelage distinctif comme camouflage (il n'existe pas deux tigres ayant exactement les mêmes rayures). Ils se tiennent à l'affût et s'approchent suffisamment près pour attaquer leurs victimes d'un bond rapide et fatal. Un tigre affamé peut manger jusqu'à 30 kilogrammes en une nuit, bien qu'il mange généralement moins.

Malgré leur redoutable réputation, la plupart des tigres évitent les humains, mais certains d'entre eux deviennent de dangereux mangeurs d'Hommes. Ces animaux sont souvent malades et incapables de chasser normalement, ou vivent dans une région où leurs proies traditionnelles ont disparu.

Les femelles donnent naissance à des portées de deux à six petits, qu'elles élèvent avec peu ou pas d'aide de la part du mâle. Les petits ne peuvent pas chasser avant l'âge de dix-huit mois et restent avec leur mère pendant deux à trois ans, après quoi ils se dispersent pour trouver leur propre territoire.

Ces informations de référence ont initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

Sciences des rêves : les troubles du sommeil à l'heure de la lumière bleue

Ce grand reportage a paru dans le magazine National Geographic dans le numéro d'août 2018.

La nuit, nous nous métamorphosons. Notre cerveau change d’activité et de but.

Pendant quelques heures, nous sommes quasi paralysés. Mais, derrière nos paupières closes, nos yeux s’agitent comme s’ils voyaient encore, et les muscles de notre oreille moyenne remuent, comme percevant des sons en dépit du silence. Hommes ou femmes, nous sommes sexuellement stimulés à plusieurs reprises. Il nous arrive de croire que nous volons. Et d’approcher les frontières de la mort. Nous sommes endormis.

Vers 350 av. J.-C., dans son traité Du sommeil et de la veille, Aristote s’interrogeait: que faisons-nous quand nous dormons, et pourquoi ? Il a fallu attendre 2300 ans pour obtenir une réponse correcte. En 1924, le psychiatre allemand Hans Berger a inventé l’électroencéphalogramme, capable d’enregistrer les impulsions électriques du cerveau. Dès lors, la science a pris le relais de la philosophie dans l’étude du sommeil. Mais ce n’est qu’avec les récentes techniques d’imagerie médicale que nous avons pu étudier en profondeur les mécanismes cérébraux en jeu.

Tout ce que nous savons du sommeil prouve qu’il est essentiel à une bonne santé mentale et physique. Le cycle veille-sommeil est un trait central de la biologie humaine –une adaptation à une planète où alternent le jour et la nuit. Le prix Nobel de médecine 2017 a été remis à trois chercheurs qui, dans les années 1980-1990, ont identifié l’horloge moléculaire qui, dans nos cellules, nous règle sur le soleil. Des études récentes ont montré que la perturbation du rythme circadien augmente le risque de diabète, d’accident cardiovasculaire et de démence.

Cependant, le déséquilibre entre nos modes de vie et le cycle solaire prend les proportions d’une épidémie. «C’est à croire que le monde entier teste les conséquences néfastes d’une privation de sommeil », s’étonne Robert Stickgold, directeur du Département du sommeil et de la cognition à la faculté de médecine de Harvard.

Un Français dort en moyenne 7h05 par nuit en semaine et 8h10 le week-end (1h30 de moins qu’il y a cinquante ans). Et c’est encore pire aux États-Unis. En cause: la généralisation de l’éclairage électrique, puis la prolifération des écrans. Nous considérons souvent le sommeil comme un adversaire qui nous empêche de produire ou de nous divertir. « Le sommeil est une absurdité, une mauvaise habitude », affirmait Thomas Edison, l’inventeur de l’ampoule électrique.

Nous parons au plus pressé, luttons contre l’insomnie à coups de somnifères, avalons des litres de café, sans égards pour le voyage complexe que nous sommes programmés à faire tous les soirs. Dans de bonnes conditions, nous effectuons chaque nuit quatre à cinq cycles de sommeil, chacun divisé en plusieurs phases, différentes par leur qualité et leur fonction.

 

PHASES 1 ET 2

Quand nous nous endormons, le cerveau reste actif. Il traite l'information. Quels souvenirs conserver de la journée ? Et que faut-il mettre à la poubelle ?

La première transformation est rapide. Le corps humain n’aime pas stagner entre deux états. Nous éteignons la lumière, nous nous allongeons et fermons les yeux. Si notre rythme circadien est en phase avec le flux de la lumière du jour et de l’obscurité, si notre glande pinéale (à la base du cerveau) sécrète de la mélatonine, signe que la nuit est venue, sans compter d’autres facteurs, alors nos neurones vont prendre le relais.

Nos 86 milliards de neurones sont les cellules qui constituent l’Internet du cerveau. Ils communiquent entre eux par des signaux chimiques ou électriques. À l’état de veille, l’activité neuronale s’apparente à une foule en pleine cohue, à une tempête d’éclairs cellulaires. Mais, quand les neurones agissent en harmonie et en rythme (ce qui, sur un électroencéphalogramme, se traduit par des ondulations nettes), c’est que le cerveau se recentre sur lui-même. En parallèle, nos récepteurs sensoriels se déconnectent et, bientôt, nous dormons.

Cette phase 1, l’endormissement, dure environ cinq minutes. Puis, une série d’ondes électriques d’une demi-seconde, venues des couches profondes du cerveau, atteignent le cortex cérébral (la substance grise plissée qui recouvre la couche externe du cerveau), site du langage et de la conscience. C’est le début de la phase 2.

Le cerveau n’est pas moins actif quand nous dormons, mais il agit différemment. On estime que, dans la phase 2, le cortex est stimulé afin de préserver les informations récentes, et peut-être aussi de les relier au savoir déjà acquis de la mémoire à long terme. Lors d’expériences en laboratoire, les sujets ayant réalisé des exercices mentaux ou physiques auxquels ils n’étaient pas habitués voyaient la fréquence d’ondes cérébrales augmenter pendant la nuit suivante. Il semble que plus celles-ci sont nombreuses, plus les sujets se montrent performants le lendemain. Selon des spécialistes, la force des ces ondes nocturnes pourrait même fournir des indices sur l’intelligence générale d’un individu. Durant le sommeil s’établissent des connexions que l’on n’aurait peut-être jamais consciemment formées –ce dont nous avons tous fait l’expérience.

À l’état de veille, le cerveau excelle à collecter des stimuli externes. Durant le sommeil, il effectue le tri parmi les données recueillies. Ce changement peut se mesurer à l’échelle moléculaire. Quand nous dormons, le cerveau ne se contente pas de classer mécaniquement nos pensées ; il réalise un choix décisif entre ce qu’il garde en mémoire et ce qu’il rejette.

Mais les choix du cerveau ne sont pas forcément judicieux, tant le sommeil renforce la mémoire. Par exemple, explique Gina Poe, chercheuse en neurosciences à l’université de Californie à Los Angeles, des soldats qui reviennent tout juste d’une mission harassante auraient tout intérêt à attendre six à huit heures avant de se coucher, afin de prévenir un état de stress post-traumatique.

Un cycle de sommeil dure 90 min. Lors du premier, la phase 2 peut atteindre 50 min. Pendant un temps, des séries d’ondes peuvent survenir de façon rapprochée, espacées de quelques secondes. Puis, leur fréquence baisse, et notre rythme cardiaque aussi. La température du corps diminue. Toute conscience de l’environnement extérieur s’efface. Nous entamons alors la longue plongée dans les phases 3 et 4 –le sommeil profond.

 

PHASES 3 ET 4

Le sommeil profond est aussi essentiel au cerveau que la nourriture l'est au corps. C'est le moment du ménage physiologique, mais pas encore celui du rêve.

Tout animal, sans exception, connaît au moins une forme primaire de sommeil –dix heures par jour pour le paresseux tridactyle et jusqu’à vingt pour de petites chauves-souris frugivores, mais moins de cinq heures chez la girafe. Le cheval dort une partie de la nuit sur ses pattes, et une partie, allongé. Chez le dauphin, chaque hémisphère du cerveau s’endort à son tour, et il peut ainsi continuer à nager, tandis que la frégate du Pacifique peut dormir en plein vol.

Le sommeil (en tant que comportement caractérisé par une diminution des réflexes et une mobilité réduite dont on peut s’extraire rapidement, à la différence du coma ou de l’hibernation) existe même chez des créatures sans cerveau. La méduse dort, ralentissant fortement ses mouvements de propulsion; des organismes unicellulaires, comme le plancton et la levure, montrent des cycles d’activité et de repos parfaitement différenciés. Cela signifie que le sommeil est ancien, et que sa fonction originelle et universelle ne consiste pas à organiser notre mémoire ou à favoriser les fonctions cognitives. 

Il s’agit d’abord de préserver la vie elle-même. Nulle créature, peu importe sa taille, ne peut vivre vingt-quatre heures d’affilée sans faire une pause. « Vivre éveillé est exigeant, souligne Thomas Scammell, professeur de neurologie à Harvard. Vous êtes en concurrence pour la survie avec tous les autres organismes vivants. Résultat, vous avez besoin d’une période de repos pour aider vos cellules à récupérer. »

Chez les êtres humains, cette période correspond surtout au sommeil profond, lors des phases 3 et 4. Celles-ci se distinguent par la proportion de puissantes vagues d’ondes delta dans l’activité du cerveau – jusqu’à être présentes plus de la moitié du temps en phase 4. C’est lors du sommeil profond que nos cellules produisent le plus d’hormones de croissance, nécessaires à l’entretien des os et des muscles.

Le sommeil joue aussi un rôle crucial dans la santé du système immunitaire, le maintien de la température corporelle et la pression sanguine. Un manque de sommeil nuit à la régulation de l’humeur et à la capacité à guérir des blessures. Chez certains animaux, observe Steven Lockley, du Brigham and Women’s Hospital de Boston, la privation de sommeil entraîne la mort plus vite que la privation de nourriture.

Il semble aussi qu’un bon sommeil réduise les risques de démence. Une étude sur des souris menée par Maiken Nedergaard, de l’université de Rochester (New York), suggère que, à l’état de veille, les neurones restent étroitement regroupés. Mais, durant le sommeil, le volume de certaines cellules du cerveau diminue de 60 %. Ce qui accroît l’espace entre les neurones. Et ces espaces servent de décharge pour les déchets métaboliques des cellules –notamment pour la bêta-amyloïde, qui interrompt les connexions entre les neurones et est mise en cause dans la maladie d’Alzheimer. Or, pour balayer les bêta-amyloïdes, le liquide rachidien ne peut agir que lors du sommeil profond, dans les circuits alors élargis du cerveau.

Durant ces processus de nettoyage et de réparation, nos muscles sont totalement détendus. L’activité mentale est à son minimum. On rêve rarement. Parfois, on ne ressent pas la douleur.

« Il s’agit là d’un niveau de désactivation du cerveau plutôt intense, dit Michael Perlis, directeur du programme de médecine comportementale du sommeil à l’université de Pennsylvanie. La phase 4 n’est guère éloignée d’un état comateux ou de mort cérébrale. Si elle permet de récupérer et de se régénérer, il ne faudrait pas en abuser. »

Nous ne pouvons pas demeurer en phase 4 plus d’une demi-heure avant que le cerveau ne s’en extraie (chez les somnambules, ce renversement peut s’accompagner d’un raidissement du corps). Souvent, nous retraversons alors prestement les phases 3, 2 et 1, puis nous réveillons. Même les personnes qui ne soufrent pas de troubles du sommeil se réveillent plusieurs fois par nuit, bien que la plupart n’en aient pas conscience. Il suffit de quelques secondes pour se rendormir. Mais alors, plutôt que de réitérer les différentes phases, le cerveau se réinitialise pour aborder un épisode totalement différent –une plongée dans le monde du bizarre.

Seulement voilà, le manque de sommeil est fréquent. Un Français sur trois estime qu’il dort mal. Aux États-Unis, plus de 80 millions de personnes souffrent d’un déficit de sommeil chronique. La fatigue y est à l’origine de plus de 1 million d’accidents de la route par an. Elle engendre aussi des erreurs médicales.

Même des réajustements mineurs peuvent être un souci. Le lundi qui suit le passage à l’heure d’hiver ou d’été, le nombre d’infarctus augmente de 24 % aux États-Unis par rapport à un lundi ordinaire, et les accidents de la route font un bond. Au cours de sa vie, environ un Américain sur trois souffrira d’au moins un trouble du sommeil diagnosticable – insomnie chronique, apnée du sommeil, syndrome des jambes sans repos, voire des maux bien plus rares et étranges.

Le syndrome de la tête qui explose se caractérise par la perception de sons violents, qui semblent résonner dans votre cerveau alors que vous essayez de dormir. Selon une étude menée à Harvard, la paralysie du sommeil (l’incapacité à bouger quelques minutes après s’être réveillé d’un rêve) est à l’origine de bon nombre d’histoires d’enlèvements par des extraterrestres. Les épisodes de narcolepsie (soudaine et irrépressible envie de dormir) sont souvent l’effet de très fortes émotions positives –apprécier une blague, être chatouillé, goûter un mets délicieux. Le syndrome de Kleine-Levin est un cas d’hypersomnie: à des périodes parfois espacées de plusieurs années, des personnes dorment pendant une semaine ou deux sans interruption. Elles retrouvent le cycle normal veille-sommeil sans que l’on ne remarque aucun effet secondaire.

Le trouble du sommeil le plus répandu est –de loin– l’insomnie. Elle affecte 15 à 20 % des Français, de façon sévère pour la moitié d’entre eux. En général, les insomniaques mettent plus de temps à s’endormir, demeurent éveillés pendant de longues périodes au milieu de la nuit –ou les deux à la fois.

Si le sommeil est un phénomène commun à toutes les espèces, pourquoi sommes-nous si nombreux à mal dormir ? Est-ce la faute de l’évolution ? de la vie moderne ? ou d’un déséquilibre qui s’est instauré entre l’une et l’autre ?

L’évolution nous a dotés d’un sommeil dont la durée peut varier et qui peut s’interrompre en fonction des nécessités. Le cerveau possède un système de contournement, opérationnel à chaque phase du sommeil, qui peut nous réveiller quand il perçoit un danger (le cri d’un enfant, le bruit des pas d’un prédateur qui approche). Hélas, dans le monde actuel, ce très ancien système d’alarme est sans cesse déclenché par des situations qui ne constituent en rien un danger immédiat (anxiété à la veille d’un examen, soucis financiers, alarme de voiture au bas de chez nous). Avant la révolution industrielle, qui nous a offert le réveille-matin et l’emploi du temps fixe, nous contrecarrions simplement les effets de l’insomnie en continuant à dormir.

Cette époque est révolue. Et, si vous comptez parmi ces personnes fières de leur capacité à s’endormir à volonté rapidement et à peu près n’importe où, ne vous réjouissez pas trop : c’est le signe caractéristique – surtout si vous avez moins de 40 ans– que vous manquez terriblement de sommeil.

Siège de la décision et de la résolution des problèmes, le cortex préfrontal est le premier à flancher dans le cerveau en cas de déficit de sommeil. Les personnes qui ne dorment pas assez se montrent plus irritables, d’humeur lunatique, et ont un comportement irrationnel.«Dans une certaine mesure, chaque fonction cognitive semble être affectée par le manque de sommeil », souligne Chiara Cirelli, neuroscientifique à l’Institut du sommeil et de la veille du Wisconsin. Lors des interrogatoires policiers, on sait que les suspects empêchés de dormir sont prêts à avouer n’importe quoi en échange de quelques moments de repos.

Quiconque dort souvent moins de six heures par nuit augmente fortement le risque d’être victime de dépression, de psychose ou d’infarctus. Il existe aussi un lien direct entre le manque de sommeil et l’obésité : l’estomac et d’autres organes produisent alors un excès de ghréline, l’hormone qui fait naître la sensation de faim. Les siestes ne résolvent rien, pas plus que les produits pharmaceutiques. «Le sommeil n’est pas monolithique», décrit Jefrey Ellenbogen, spécialiste du sommeil à l’université Johns Hopkins. Il y dirige le Sound Sleep Project (« projet pour un sommeil sain »), qui conseille des entreprises sur la façon d’améliorer les performances de leurs employés grâce à un sommeil plus réparateur.

« Ce n’est pas un marathon, c’est plutôt un décathlon. C’est un millier de choses différentes, précise Ellenbogen. Il est tentant de vouloir tripatouiller le sommeil avec des médicaments ou des appareils, mais nous n’en comprenons pas encore assez bien les mécanismes pour prendre le risque d’en manipuler artificiellement les phases. »

Jefrey Ellenbogen et d’autres experts s’opposent à la tentation d’emprunter des raccourcis, et notamment à l’idée que nous pourrions vivre quasiment sans dormir. Une fameuse idée, certes ! Nous débarrasser des phases censément superflues du sommeil reviendrait à prolonger notre existence de plusieurs décennies. Dans les années 1930-1940, lorsque la science du sommeil était encore balbutiante, des chercheurs estimaient que la seconde moitié de la nuit était une zone de calme plat; certains avançaient même qu’elle était carrément inutile.

On le sait aujourd’hui : c’est tout le contraire. Ce moment de la nuit est propice à un sommeil totalement différent, mais tout aussi essentiel – en réalité, une autre forme de conscience.

 

LE RÊVE

Lors du sommeil paradoxal, nous rêvons, volons, tombons - même si nous ne nous en souvenons pas. Nous régulons notre humeur et consolidons notre mémoire.

C’est en 1953 que le sommeil paradoxal, ou sommeil à mouvements oculaires rapides (MOR), a été découvert par Eugene Aserinsky et Nathaniel Kleitman. Auparavant, ce stade était souvent perçu comme une variante peu significative de la phase 1. Rien de singulier n’apparaissait sur les premiers électroencéphalogrammes. Puis, on s’est rendu compte d’une caractéristique de cette phase : l’œil est très actif. Et, simultanément, les organes sexuels connaissent un afflux de sang. On a alors compris qu’à peu près tous les rêves les plus frappants se déroulent à ce stade. Un séisme dans l’étude du sommeil.

D’une façon générale, un bon sommeil débute par une spirale qui nous conduit à la phase 4, un réveil momentané, puis une période de cinq à vingt minutes de sommeil paradoxal. À chaque nouveau cycle, la durée du sommeil paradoxal double, ou peu s’en faut. Le sommeil paradoxal occupe donc environ un cinquième de la durée totale du sommeil chez les adultes. Les chercheurs avancent que chaque séquence de sommeil, paradoxal ou non, permet d’optimiser notre récupération mentale et physique, d’une façon ou d’une autre. Au niveau cellulaire, pendant une phase de sommeil paradoxal, la synthèse des protéines connaît un pic d’activité, ce qui assure le bon fonctionnement de notre organisme. Il serait aussi essentiel pour réguler nos humeurs et renforcer notre mémoire.

Hallucinations et délires caractérisent la psychose. Donc, lors du sommeil paradoxal, nous devenons littéralement fous. Le rêve est bien un état psychotique, selon des scientifiques, car nous sommes persuadés de voir ce qui n’est pas là, et acceptons que gens, temps et espace se métamorphosent sans crier gare.

De nos jours, nombre de spécialistes du sommeil ne s’intéressent pas aux images et aux événements propres aux rêves. Ils estiment que l’activité onirique est la conséquence d’une lutte chaotique au sein des neurones –une lutte vide de sens, malgré sa résonance émotionnelle. Ce que d’autres chercheurs contestent. «Le contenu des rêves, affirme Robert Stickgold, de l’université Harvard, fait partie d’un mécanisme évolué, qui aide à examiner la signification plus vaste des souvenirs nouveaux, et la façon dont ils pourraient nous être utiles dans l’avenir. »

Tout le monde rêve. Y compris ceux qui n’en gardent aucune image. L’oubli des rêves est même une caractéristique des dormeurs exempts de troubles du sommeil. Lorsque nous rêvons, l’action se déroule dans les profondeurs du cerveau. L’électroencéphalogramme ne peut pas l’enregistrer correctement.

Des rêves surviennent également en dehors du sommeil paradoxal, surtout lors de la phase 2 –mais on les considère plutôt comme de simples préludes. Notre folie nocturne n’exprime tout son potentiel que dans le sommeil paradoxal. On dit souvent, à tort, que les rêves sont de simples flashes. En réalité, ils occupent presque toute la phase du sommeil paradoxal (environ deux heures par nuit, en général). 

Cette durée a tendance à décroître avec l’âge. Les nourrissons dorment jusqu’à dix-sept heures par jour, dont la moitié dans un état de sommeil actif proche du sommeil paradoxal. Et, lors de la grossesse, à partir de la vingt-sixième semaine, il semble que le fœtus connaisse un état très similaire à celui du sommeil paradoxal pendant un mois de façon continue. Une hypothèse est que ce stade corresponde pour le cerveau à une sorte de test de son logiciel avant mise en ligne.

Lors du sommeil paradoxal, le processus de thermorégulation du corps est inactif. Notre température interne est au plus bas. Par rapport à d’autres phases du sommeil, le rythme cardiaque s’accélère. La respiration est irrégulière. Nos muscles, à quelques exceptions près (yeux, oreilles, cœur, diaphragme), sont immobiles. Hélas, cela n’empêche pas les ronflements. Ceux-ci surviennent lorsqu’un flux d’air mal contrôlé fait vibrer les tissus relâchés de la gorge ou du nez. Le phénomène est fréquent lors des phases 3 et 4. Mais, en sommeil paradoxal, que nous ronflions ou non, nous sommes incapables de la moindre réaction physique. Nos mâchoires sont relâchées, et nous ne pouvons même pas réguler notre pression sanguine. Pourtant, notre cerveau parvient à nous convaincre que nous sommes en train de voler au-dessus des nuages ou de combattre des dragons.

Pourquoi croyons-nous à l’invraisemblable lors du sommeil paradoxal? Parce que ce ne sont plus les centres des fonctions logiques et de contrôle des impulsions qui régissent le cerveau. La production de la sérotonine et de la norépinéphrine cesse. Or ces deux neurotransmetteurs sont essentiels, permettant aux cellules du cerveau de communiquer. Sans eux, notre capacité à apprendre et à nous souvenir est très affaiblie. Bref, nous sommes dans un état de conscience chimiquement modifié. Toutefois, à l’inverse de la phase 4, notre cerveau est tout à fait actif et consomme autant d’énergie qu’à l’état de veille.

Le sommeil paradoxal est contrôlé par le système limbique. Dans cette région profonde du cerveau se manifestent certains de nos instincts les plus sauvages et les plus bas. Freud a vu juste: les rêves font appel à nos émotions primitives. Le système limbique est le foyer de nos pulsions sexuelles, de la peur, de l’agressivité. Mais il nous donne aussi accès à des sentiments d’allégresse, de joie et d’amour. Nous avons parfois l’impression de vivre plus de cauchemars que de rêves plaisants, mais c’est sans doute faux. Simplement, les rêves effrayants ont plus de chances de déclencher notre système de contournement, ce qui nous réveille.

Dans le tronc cérébral, une petite protubérance annulaire, le pont, est suralimentée lors du sommeil paradoxal. Le pont envoie des impulsions électriques, souvent dirigées vers la partie du cerveau qui contrôle les muscles des yeux et des oreilles. En général, nos paupières restent closes. Mais nos globes oculaires roulent d’un côté à l’autre, sans doute en réponse à l’intensité d’un rêve. Nos oreilles internes sont aussi actives. Voilà pour les parties du cerveau qui provoquent le mouvement. Cela explique la fréquente sensation de voler ou de tomber dans les rêves. Nous rêvons également en couleur –sauf les aveugles de naissance, chez qui les rêves ne sus - citent pas d’images, mais demeurent intenses sur le plan émotionnel.

Un homme a une érection à chaque fois qu’il rêve –même si le contenu du rêve n’est pas de nature sexuelle. Chez les femmes, les vaisseaux sanguins du vagin sont très dilatés. Et, peu importe l’absurdité du rêve, nous sommes presque toujours persuadés d’être éveillés. Par bonheur, nous sommes paralysés quand nous rêvons. Le cerveau tente de déclencher des mouvements. Mais un système du tronc cérébral condamne la porte du moteur neuronal.

En cas de parasomnie, un trouble du sommeil affectant le système nerveux, la porte ne se ferme pas bien. Le dormeur traduit ce qu’il vit en rêve de façon spectaculaire. Il a les yeux fermés et dort profondément, mais peut boxer ou donner des coups de pied –et, parfois, se blesser ou blesser celui ou celle qui partage son lit.

En général, la fin de la phase de sommeil paradoxal, comme celle de la phase 4, se signale par un bref réveil. Faute de réveille-matin, notre nuit s’achève souvent avec notre dernier rêve.

La durée du sommeil est un facteur essentiel pour déterminer le bon moment de se réveiller. Toutefois, la lumière du jour déclenche aussitôt des alertes. Quand elle franchit nos paupières et atteint notre rétine, elle envoie un signal au noyau suprachiasmatique, une région profonde du cerveau. Pour beaucoup d’entre nous, c’est le moment où nos derniers rêves s’effilochent. Nous ouvrons les yeux et revenons à la réalité.

Est-ce bien sûr ? Car le plus remarquable, dans le sommeil paradoxal, est peut-être ceci : il nous prouve que le cerveau est capable de fonctionner indépendamment de toute stimulation sensorielle. Tel un artiste bien installé dans son atelier secret, notre esprit semble effectuer ses propres expériences, sans aucune inhibition.

Lorsque nous sommes éveillés, le cerveau est absorbé par les tâches routinières –contrôler nos mouvements, conduire, faire des courses, écrire, parler. Gagner sa vie. Éduquer les enfants. Mais, quand nous dormons, dès l’amorce de notre première phase de sommeil paradoxal, l’instrument le plus complexe et le plus pointu que nous connaissions, se sent libre d’agir à sa guise.

Alors, le cerveau s’active tout seul. Il rêve. On pourrait dire qu’il s’accorde des récréations. Selon des théoriciens du sommeil, c’est dans la phase paradoxale que nous nous montrons les plus intelligents, perspicaces, créatifs –et libres. C’est alors que nous vivons pour de bon.« Peut-être ne sommes-nous jamais aussi humains que dans le sommeil paradoxal, allègue Michael Perlis, à la fois par ce qu’il fait pour le cerveau et pour le corps, et aussi pour les authentiques expériences qu’il nous procure. » 

Dès lors, un doute surgit : ne nous tromperions-nous pas de question depuis Aristote ? Au lieu de nous demander pourquoi nous dormons, ne devrions-nous pas nous demander pourquoi nous nous donnons tant de mal pour demeurer éveillés? Et la réponse pourrait être : nous devons assurer les fondements de la vie –nous nourrir, nous reproduire, nous défendre– afin que notre corps soit fin prêt à dormir.

Michael Finkel est journaliste et auteur. Il a notamment écrit Le Dernier Ermite, publié en France en 2017. Le photographe suédois Magnus Wennman a conçu un livre et une exposition itinérante sur les enfants réfugiés : Where the Children Sleep.

Cette musique envoûtante retranscrit trente ans de changements climatiques

Avez-vous déjà pleuré en écoutant un morceau de musique particulièrement touchant ? Si oui, vous n’êtes pas seul. Grâce à ses mélodies, ses rythmes et ses nuances, la musique a la capacité exceptionnelle d’émouvoir, de détendre, mais aussi d’encourager à l’action, un pouvoir qu’un scientifique japonais tente aujourd’hui d’exploiter dans le but d’inciter à la lutte contre le changement climatique.

Son projet prend la forme d’un quatuor à cordes intitulé No. 1, Polar Energy Budget. À l’aide d’un processus connu sous le nom de sonification, le géoscientifique et musicien Hirota Nagai a transformé des données satellitaires recueillies dans l’Arctique et l’Antarctique en un morceau de six minutes destiné non pas à faire comprendre, mais à faire ressentir les effets de l’activité humaine sur notre planète et sa biodiversité.

« Je cherche à transmettre non seulement les questions environnementales, mais aussi les systèmes complexes qui composent la Terre et les 4,5 milliards d’années d’histoire qui ont mené à leur création », explique Nagai, qui est chercheur en géo-environnement à l’Université Rissho. Alors que la sensibilisation à la protection de l’environnement est de plus en plus urgente, le scientifique espère « attirer l’attention sur la complexité et le magnifique équilibre des mécanismes de la Terre ».

Le projet de recherche qui a abouti à cette composition a été publié ce 18 avril dans la revue iScience.

 

LE CHANGEMENT CLIMATIQUE EN MUSIQUE

Les mélodies qui composent le quatuor, conçu pour deux violons, un alto et un violoncelle, correspondent aux données recueillies entre 1982 et 2022 dans quatre lieux situés dans des zones polaires : un site d’observation sur la calotte glaciaire du Groenland, une installation de communication par satellite dans l’archipel du Svalbard et deux stations de recherche en Antarctique. Grâce à un programme informatique de sonification, le scientifique et compositeur a traduit les données relatives au rayonnement solaire, au rayonnement infrarouge de l’atmosphère, à la température de surface, à l’épaisseur des nuages et aux précipitations en différentes tonalités musicales afin de représenter les nombreuses transformations survenues au fil des années.

La composition est basée sur le concept de l’équilibre énergétique polaire, explique Nagai. Les régions polaires étant très sensibles aux effets du changement climatique, elles peuvent révéler les effets profonds de ce dernier, mais aussi de l’énergie solaire, sur l’ensemble de la planète.

« Nous portons généralement notre attention sur le réchauffement climatique. Pourtant, derrière celui-ci se cachent des mécanismes complexes d’échange d’énergie », affirme Nagai. « Lorsque cet équilibre se retrouve perturbé par l’augmentation des gaz à effet de serre, tout commence à dysfonctionner. »

Le morceau de six minutes a été interprété en direct pour la toute première fois en mars 2023 à l’Université Waseda de Tokyo. Une représentation filmée du quatuor japonais PRT Quartet a également été diffusée sur YouTube.

 

MOINS INTELLECTUALISER POUR MIEUX RESSENTIR

Ce n’est pas la première fois que la sonification des données ou, en d’autres termes, la conversion d’informations en sons, est utilisée dans le cadre scientifique. La NASA y a par exemple eu recours pour sonifier des éléments astronomiques, tels que des galaxies et des nébuleuses.

« On dit que la musique est un langage universel. Je pense qu’elle peut toucher un grand nombre de personnes d’une manière dont les outils utilisés habituellement par les climatologues sont le plus souvent incapables », affirme le climatologue Scott St. George. Avec le compositeur Daniel Crawford et une équipe de l’Université du Minnesota, St. George est à l’origine de deux des toutes premières compositions populaires basées sur des données climatiques, intitulées Song of Our Warming Planet et Planetary Bands, Warming Worlds.

« Nous avons essayé de sensibiliser au changement climatique en recourant à des méthodes traditionnelles et, bien que celles-ci fonctionnent dans une certaine mesure, leur efficacité ne s’est pas montrée à la hauteur de l’urgence », admet St. George.

« Bien souvent, nous réfléchissons au changement climatique. Nous en entendons parler. En transformant les données climatiques en sons ou en musique, nous pouvons désormais le ressentir. Ce type de projet est efficace grâce aux réactions viscérales qu’il provoque. »

Dans ce nouveau morceau, Nagai élargit le rôle et l’importance de l’interprétation artistique. Son processus de travail, qu’il qualifie de « musification », consiste à utiliser des stratégies classiques de composition, telles que la variation des nuances, l’allongement des tons, l’accentuation des lignes mélodiques et le développement des rythmes pour faire monter la tension et libérer les émotions de ses auditeurs.

« En réalité, l’atmosphère de la mélodie peut être grandement manipulée pour correspondre aux paramètres définis par le compositeur, sans pour autant altérer les données d’origine. »

Nagai espère que son travail inspirera d’autres personnes à convertir des données climatiques en œuvres artistiques.

« En proposant et en appliquant concrètement une méthode de création musicale basée sur des données, j’espère sensibiliser le public au potentiel inexploité des données fournies par les sciences de la Terre, qui constituent une source d’inspiration inépuisable pour les artistes », confie-t-il. « Je pense qu’il est essentiel de commencer à permettre aux non-scientifiques de manipuler librement les données des sciences de la Terre pour la conception de tout nouveaux types de projets. »

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

Pourquoi se parle-t-on à soi-même ?

En écrivant ces lignes, je me suis surprise à discuter… avec moi-même. Entre deux frappes sur mon clavier, je me suis rendu compte que j’étais en train d’avoir une conversation avec moi-même à propos d’une rencontre faite la nuit précédente. Pourquoi ai-je soudainement interrompu mon travail pour discuter intérieurement d’une chose visiblement sans importance ?

Si je posais cette question à des experts du « monologue intérieur », ou de ce qu’on appelle plus communément « le fait de se parler à soi-même », ils pourraient me dire qu’il ne s’agissait pas pour moi d’une façon de me dérober à la tâche, mais que j’étais (ce qui est bien plus intrigant) peut-être en train de faire l’expérience d’une rencontre étroite avec le vrai « moi » par le biais d’un dialogue interne profondément personnel.

Russell Hurlburt, psychologue à l’université du Nevada, à Las Vegas, dirait que les mots que j’ai employés lors de mon monologue pourraient avoir été un « parfait exemple d’expérience intérieure » qui m’aurait amenée, sur le moment, dans les « coulisses de [ma] propre conscience ». Je préparais le terrain pour une découverte de soi, comme si je passais un entretien professionnel.

« Les gens sont très intéressants, et je pense que les gens se trouvent eux-mêmes très intéressants », explique Hurlburt, qui se décrit comme un « chercheur d’expériences intérieures ».

« À quoi penses-tu ? » est probablement la question la plus intéressante au monde, selon lui.

Pour les comportementalistes, les conversations intérieures peuvent révéler des émotions refoulées, bonnes ou négatives, suscitées par un appel téléphonique ou déclenchées par un événement ou une rencontre. Prenons comme exemple l’auto-accusation : « Oh, j’ai eu l’air si stupide ! » Ou encore l’affirmation de soi : « Je me sens toujours valorisé lorsqu’elle et moi travaillons ensemble. »

Il n'y a rien d'étonnant à ce que le monologue intérieur soit un sujet de conversation sur les médias sociaux, où les gens se questionnent sur leur identité et demandent aux autres utilisateurs de ces plateformes si tout le monde possède un monologue intérieur.

Nous avons interrogé des experts sur ce curieux phénomène naturel et sur les raisons pour lesquelles vous pouviez ou non avoir ce genre de conversation intime. Bien que nos experts ne soient pas d’accord sur le caractère universel du monologue intérieur, ils sont unanimes sur le fait qu’il s’agisse d’un outil précieux pour la découverte de soi.

 

QUELLES SONT LES PERSONNES LES PLUS SUSCEPTIBLES DE SE PARLER À ELLES-MÊMES ?

Se parler à soi-même n’a rien de nouveau. Hamlet le fait sept fois, sous forme de soliloques, dans la célèbre pièce qui porte son nom, écrite il y a quatre siècles. Le fait de répondre à sa petite voix intérieure peut prêter à rire, pourtant être surpris à le faire à voix haute est socialement condamnable.

Ce n’est que dans les années 1970 que les psychologues ont commencé à considérer le monologue intérieur comme un réel domaine d’étude, en s’inspirant des travaux du psychiatre Aaron Beck, le père de la thérapie cognitivo-comportementale (TCC).

Des décennies plus tard, en 2009, le psychologue Thomas Brinthaupt a publié l’un des rares outils analytiques utilisés aujourd’hui pour mesurer le monologue intérieur chez ses patients. Baptisé Self-Talk Scale (STS), soit littéralement « échelle de dialogue intérieur », ce questionnaire en 22 points vise à identifier la fréquence du monologue intérieur et à refléter quatre catégories de bavardage mental : l’évaluation sociale, l’autocritique, l’auto-renforcement et l’autogestion.

La STS a été utilisée par des « dizaines de milliers » de personnes dans le cadre d’études menées dans le monde entier, explique Brinthaupt, qui se définit aujourd’hui comme un « psychologue de la personnalité » à la Middle Tennessee State University et qui travaille avec des chercheurs en TCC pour trouver la signification profonde de la santé mentale d’une personne selon sa voix intérieure. Son questionnaire permet d’obtenir des données et d’asseoir la crédibilité de la recherche sur un sujet aussi éphémère que la pensée.

(À lire : Neuf façons simples d’améliorer votre santé mentale)

De manière générale, il a constaté que les enfants se parlaient à eux-mêmes dans le cadre de leur processus d’apprentissage. Parmi les enfants les plus susceptibles de se parler à eux-mêmes, il cite les enfants introvertis, ceux qui n’ont pas de frères et sœurs (qui continuent à discuter avec eux-mêmes à l’âge adulte), et les enfants qui ont des amis « invisibles ».

En ce qui concerne les adultes, il explique que les personnes qui se retrouvent soudainement seules ou qui souffrent de la solitude sont plus susceptibles de se parler à elles-mêmes. Par ailleurs, même si cela n’a pas encore été étudié, Brinthaupt pense que les gens ont commencé à se parler davantage et plus souvent à haute voix lors des confinements mis en place pendant la pandémie de COVID-19.

En outre, les personnes souffrant de troubles obsessionnels compulsifs (TOC) se parlent à elles-mêmes d’une manière qui reflète leur maladie : encore et encore, et à maintes reprises. Par ailleurs, les sourds et les malentendants qui utilisent la langue des signes se serviraient de leurs mains pour se parler à eux-mêmes, explique Brinthaupt.

Autrement, des personnes ayant souffert d’une lésion cérébrale ou d’un accident vasculaire cérébral et qui rencontrent des difficultés à s’exprimer ont également déclaré « ne plus avoir de monologue intérieur » ; mais ce phénomène n’a pas encore fait l’objet d’études plus approfondies.

 

TOUT LE MONDE A-T-IL UN MONOLOGUE INTÉRIEUR ?

Mais alors, le monologue intérieur n’est-il que l’apanage des catégories de personnes citées plus haut, ou est-il commun à tous ? Sur ce point-là, les experts ont des avis différents.

Brinthaupt soutient que le monologue intérieur est universel et accessible à tous. « Nous nous parlons à nous-mêmes en réponse à des événements et à des stimuli spécifiques à notre environnement social ou à des événements imaginaires », explique-t-il, ajoutant que certaines personnes « ne savent pas qu’elles en ont la capacité ».

Hurlburt est d’un avis contraire. En 2020, le blogueur Ryan Langdon a écrit un article intitulé « Aujourd’hui, j’ai appris que tout le monde n’a pas de monologue intérieur et cela a gâché ma journée » en réponse à un tweet de Hurlburt sur ses recherches. L’article a généré plus d’un million de réponses en l’espace d’un mois, explique Hurlburt, qui a ensuite rencontré et interviewé Langdon.

« Les gens croient se parler à eux-mêmes », soutient Hurlburt, et « il arrive que certains individus se parlent en effet à eux-mêmes. Mais sur tous les échantillons que j’ai recueillis en cinquante ans, il y en a peut-être environ un quart qui impliquent des mots ou des paroles. »

Au lieu de se parler, certaines personnes se « voient ». L’une des patientes les plus mémorables de Hurlburt, qu’il appelle Fran, ne se parlait pas à elle-même. Aujourd’hui rétablie, Fran utilisait son imagination pour visualiser ce qui s’est avéré être un dialogue émotionnellement dévastateur, pris dans le temps : elle se repassait intérieurement la scène animée de son propre suicide, étape par étape.

 

LES IMPLICATIONS DU MONOLOGUE INTÉRIEUR

Les catégories de bavardage intérieur de Brinthaupt reflètent nos principales préoccupations intérieures. Par exemple, le monologue intérieur dit d’« évaluation sociale » (correspondant par exemple à la réflexion « je n’aurais vraiment pas dû l’interrompre comme je l’ai fait ») peut passer pour une critique de soi, mais peut aussi contribuer à améliorer les interactions sociales. Les orateurs se parlent souvent à eux-mêmes à des fins d’« auto-renforcement » et d’« autogestion » avant de prendre le micro.

Le monologue intérieur peut également être un outil : les psychologues qui pratiquent la célèbre TCC se servent du monologue intérieur comme d’un traitement pour inverser les pensées négatives qui découlent de maladies comme la dépression. Selon les praticiens de la TCC, la dépression est intensifiée par un monologue intérieur critique et négatif, ce qui implique qu’elle peut être atténuée par des pensées positives et encourageantes.

Hurlburt ne s’intéresse pas au monologue intérieur en tant qu’outil comportemental, mais en tant que lien direct avec notre moi intérieur ; un voyage mental qu’il effectue depuis 1971. À l’aide d’une méthode d’échantillonnage et d’un bipeur portable qu’il a conçu et breveté, Hurlburt demande à ses clients de noter ce à quoi ils pensent quand le signal sonore se déclenche, dans l’espoir de capter une pensée pure.

Selon Hurlburt, les enquêtes et les questionnaires classiques sont subjectifs et polluent ce qui devrait être une réponse personnelle absolue.

« Si vous voulez vraiment savoir ce qui se passe en vous, dit-il, vous devez utiliser une méthode qui ne soit pas invasive pour votre expérience intérieure. »

Mais si vous pensez ne pas avoir de monologue intérieur, ne vous inquiétez pas. « Il n’est pas inhérent à votre condition d’être humain », affirme-t-il. « Certaines personnes ne songent pas à la vie avec des mots et des phrases. »

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

Faut-il réellement faire 10 000 pas par jour ?

Marcher 9 000 à 10 000 pas par jour réduit de plus d'un tiers le risque de mortalité et d'au moins 20 % le risque de maladie cardiovasculaire, mais une légère augmentation même inférieure à ce seuil présente déjà des bénéfices, d'après une étude impliquant plus de 72 000 participants.

« Toute activité est bonne à prendre. Nous avons constaté que plus le nombre de pas augmente, plus le risque de mortalité et de maladie cardiovasculaire diminue », déclare Matthew Ahmadi, épidémiologiste à l'université de Sydney en Australie et coauteur de l'étude. « Le seuil des 10 000 pas est une excellente cible, mais même si vous n'êtes pas capable de l'atteindre, toute activité permettant d'augmenter votre nombre de pas quotidien peut avoir un impact considérable sur l'amélioration de votre santé et la diminution du risque de maladie. »

D'après Ashley Goodwin, spécialiste de l'activité physique au sein des Feinstein Institutes for Medical Research de Manhasset, aux États-Unis, cette étude confirme ce que nous savions déjà sur les bienfaits de la marche dans la réduction du risque de maladie cardiovasculaire et de mortalité.

Ce que Goodwin trouve particulièrement intéressant dans cette nouvelle étude, c'est la faible différence de bénéfices entre les personnes qui passent un long moment assises chaque jour et celles qui s'assoient moins.

« C'est vraiment génial, car cela montre qu'il suffit de marcher un peu plus que d'habitude pour obtenir des résultats bénéfiques sur la santé, peu importe le point de départ. »

De précédentes études avaient montré qu'un plus grand nombre de pas était associé à une meilleure condition cardiaque et à une vie plus longue, alors qu'un corpus de recherche distinct avait mis en évidence le risque accru de maladie cardiovasculaire et de mortalité en cas de sédentarité prolongée. L'étude qui nous intéresse a donc rassemblé ces deux corpus pour déterminer si un supplément de pas quotidien suffisait à contrebalancer les risques associés à la sédentarité, même chez les individus assis une grande partie de la journée.

L'équipe d'Ahmadi a fixé à 10,5 heures par jour le seuil caractérisant une « sédentarité élevée », car leurs données montraient que les risques associés au fait de s'asseoir plus longtemps chaque jour commençaient à croître de manière exponentielle. Ils ont comparé les risques de mortalité et de maladie cardiovasculaire associés à différents quotas de pas quotidiens par rapport à une référence de 2 200 pas par jour, le maximum pour 5 % de la population étudiée.

 

CHAQUE PAS COMPTE

D'après leurs résultats, les réductions de risque occasionnées par l'augmentation du nombre de pas étaient statistiquement similaires pour les sujets hautement sédentaires et les sujets moins sédentaires. Cependant, l'étude révèle également une relation proportionnelle : plus une personne effectuait de pas chaque jour, plus son risque de maladie cardiaque ou de décès chutait, et ce jusqu'au seuil de 9 000 à 9 700 pas quotidiens pour les sujets hautement sédentaires.

En réalité, l'étude a constaté des bienfaits pour le cœur chez les sujets hautement sédentaires dès 4 300 pas par jour, seuil à partir duquel le risque de maladie cardiaque diminuait de 10 %. En doublant ce quota pour atteindre 9 700 pas par jour, ces bienfaits étaient multipliés par deux.

De la même façon, les personnes hautement sédentaires présentaient une réduction de 20 % du risque de décès à partir de 4 100 pas par jour. Là encore, ce bénéfice était presque multiplié par deux (39 %) lorsque le nombre de pas augmentait pour atteindre 9 000. À partir de 6 000 pas par jour environ, les bienfaits sont identiques pour les individus hautement sédentaires et les individus plus actifs.

Le citoyen américain moyen effectue environ 4 000 pas par jour, indique Mario Garcia, cardiologue au Montefiore Medical Center de New York, ce qui laisse une belle marge de progression. En France, la moyenne nationale se situe autour de 7 000 pas par jour.

« À l'heure où le télétravail gagne du terrain dans le sillage de la pandémie, il est d'autant plus important de prendre conscience du temps que nous passons à ne pas être physiquement actifs pour essayer de compenser ce manque d'activité par une chose simple : la marche », déclare Garcia. Il précise que ceux qui ont le plus bénéficié de cette marche dans l'étude étaient les plus de 60 ans, probablement parce que la condition physique se perd très rapidement à cet âge.

 

OÙ TROUVER CES PAS ?

Pour Ahmadi, ce qu'il faut retenir de l'étude, c'est la possibilité pour les personnes qui ne peuvent pas réduire leur temps de sédentarité d'obtenir des bénéfices en augmentant simplement leur nombre de pas au quotidien.

« Avec la prolifération des appareils portables au sein de la population, il est devenu très facile de suivre son nombre de pas quotidien », indique Ahmadi.

Il n'est toutefois pas nécessaire de passer du jour au lendemain de 2 000 à 10 000 pas par jour, précise Goodwin. D'ailleurs, la scientifique mène actuellement une étude qui encourage les participants à augmenter de 1 000 pas leur moyenne quotidienne habituelle. D'après une analyse systématique de 17 études publiée en 2020, ce petit supplément de mille pas quotidiens suffirait à réduire le risque de maladie cardiaque et de mortalité, toutes causes fondues, pendant quatre à six ans.

Pour ceux qui n'aiment pas la marche, Goodwin suggère d'autres façons de glaner ces pas supplémentaires. « La meilleure activité physique, c'est celle que vous ferez », résume-t-elle.

Cela peut prendre la forme d'autres types d'activités ou de pas ajoutés au cours de la journée, par exemple en garant votre voiture plus loin sur le parking, en prenant les escaliers au lieu de l'ascenseur pour quelques étages ou en quittant les transports en commun un ou deux arrêts plus tôt pour finir votre trajet à pied. Finalement, comme le fait remarquer Goodwin, 1 000 pas supplémentaires ne représentent que 10 minutes de marche, ce qui peut facilement être intégré à la journée classique d'une personne mobile.

Une autre façon d'augmenter le nombre de pas est de les comptabiliser sur la semaine au lieu de la journée. Selon Evan Brittain, cardiologue au centre médical de l'université Vanderbilt qui étudie depuis des années les bienfaits de nos pas quotidiens, d'autres données issues de cette même étude de population montrent que « les "week-end warriors" rivalisent avec les sujets régulièrement actifs » en termes de bénéfices récoltés. Ces « guerriers du week-end » rassemblent les personnes qui condensent sur deux jours l'activité de la semaine.

Cependant, la persévérance est essentielle, ajoute-t-il, surtout après l'élan de motivation induit par l'utilisation nouvelle d'un podomètre, car nous avons tendance à modifier notre comportement lorsque nous nous savons observés. Les données issues d'une étude non publiée, ayant suivi pendant plusieurs années l'activité de ses participants, montrent que seule la moitié des « week-end warriors » parvenaient à maintenir un haut niveau d'activité le week-end à un stade ultérieur.

Par ailleurs, en raison de l'étendue limitée des données, Brittain reste sceptique quant à la légitimité de l'étude pour clore le débat sur la possibilité de compenser un comportement sédentaire en augmentant le nombre de pas effectués chaque jour.

« L'idée selon laquelle un suivi de trois à sept jours refléterait un comportement général sur des semaines, des mois ou des années me semble difficile à extrapoler », indique Brittain. « C'est peut-être vrai pour certains, probablement pas pour tout le monde. »

 

PROTOCOLE DE L'ÉTUDE

Dans le cadre d'une vaste étude réalisée au Royaume-Uni et toujours en cours, les chercheurs ont fourni à plus de 100 000 adultes un podomètre extrêmement précis à porter au poignet en permanence pendant une semaine. Ils ont ensuite analysé les données des 72 174 participants qui avaient porté l'appareil au moins trois jours, dont un jour de week-end, pendant au moins 16 heures par jour, y compris la nuit. La moyenne d'âge des participants était de 61 ans et les chercheurs ont évalué le critère de maladie cardiovasculaire et de décès pendant une moyenne de sept ans.

Ils ont ensuite ajusté leur analyse pour refléter les différences entre les participants, notamment l'âge, le sexe, l'origine ethnique, le niveau d'éducation, l'usage du tabac, la consommation d'alcool, la quantité de fruits et de légumes par jour, les antécédents familiaux de maladie cardiovasculaire ou de cancer, le nombre d'heures de sommeil par nuit, l'utilisation d'insuline pour les diabétiques et le recours à des médicaments contre l'excès de cholestérol ou l'hypertension artérielle.

« Parfois, on ne sait pas si une personne qui fait plus d'activité physique présente de meilleurs résultats grâce à cette activité physique ou uniquement parce qu'elle souffre moins de diabète, d'hypercholestérolémie, d'hypertension artérielle ou d'autres facteurs qui augmentent le risque d'événement cardiovasculaire », indique Garcia. Cette étude a tenu compte de ces variables, précise-t-il.

En revanche, les chercheurs n'ont pas pu tenir compte d'un potentiel changement du niveau d'activité des participants dans les années qui ont suivi, reconnaît Ahmadi. Ils ont tout de même examiné les données d'un sous-groupe de participants qui ont à nouveau porté les podomètres deux à quatre ans plus tard. Leur niveau d'activité était resté stable.

Cela ne signifie pas pour autant que les niveaux d'activité de l'ensemble de la population sont restés stables au fil du temps, indique Brittain. Malgré cette limitation, il rejoint Ahmadi sur le point fort de l'étude : « Plus on marche, mieux c'est ; et le seuil à dépasser pour en tirer des bénéfices est plus bas que beaucoup le pensent », conclut Brittain. « Et ça, c'est une source de motivation. »

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

Comment créer sa propre "zone bleue" (et vivre plus longtemps)

Ces six recommandations ont le pouvoir de créer un cycle vertueux qui allie la nourriture, des relations sociales viables, une grande liberté de mouvement, une vie spirituelle et, surtout, le bien-être. Les intégrer dans votre routine quotidienne pourrait vous aider à créer votre propre « zone bleue », où vous vivrez une vie longue et saine.

 

UN CARACTÈRE SACRÉ

Savoir quel genre de nourriture manger et en quelle quantité est le premier pas vers une alimentation qui vous permettrait d'atteindre les cent ans. Les habitants des zones bleues ont bien plus à nous apprendre en matière d'alimentation. Pour eux, cultiver, préparer, servir et manger sont des pratiques sacrées qui leur permettent de réunir leur famille, leur foyer, leur communauté, dans une harmonie et un rythme quotidiens. Après avoir vu la manière dont les principes des zones bleues prennent vie dans les communautés d'Amérique du Nord, je me suis concentré sur les six pratiques alimentaires les plus importantes de ce cycle vertueux. Les voici, accompagnées de quelques réflexions sur leur mise en pratique.

 

PETIT-DÉJEUNER COMME UN ROI

Un adage adventiste rappelait de « déjeuner comme un roi, dîner comme un prince, et souper comme un mendiant ». En d'autres termes, il faut que votre premier repas de la journée soit le plus conséquent et manger seulement trois repas par jour. C'est la même routine dans presque toutes les zones bleues. Leurs habitants petit-déjeunent copieusement avant le travail, déjeunent, puis terminent la journée par un souper léger. De temps à autres, ils mangent un fruit en milieu de matinée ou une poignée de noisettes en milieu d'après-midi. Mais la majorité d'entre eux ne grignote pas. Un repas normal contient environ 650 calories, alors avec seulement trois repas par jour et un petit encas, ils absorbent toutes les calories dont ils ont besoin dans la journée. Ajouter un quatrième repas, même léger, peut faire grimper votre apport calorique journalier. La plupart de ces aliments sont consommés avant midi. Les Nicoyens mangent souvent deux petit-déjeuners et un dîner léger. Le déjeuner a au contraire tendance à être le repas le plus important pour les Icariens et les Sardes. Les Okinawaïens aiment sauter le dîner. De nombreux Adventistes suivant la règle de « déjeuner comme un roi » ne mangent que deux repas par jour, un en milieu de matinée et un autre aux alentours de seize heures. Des recherches récentes confirment l'intérêt de concentrer la majorité des apports caloriques en début de journée.

 

CONTRÔLER SES ALIMENTS

Dans leur immense majorité, les résidents des zones bleues mangent chez eux. Manger à l'extérieur y est considéré comme un événement, une célébration, habituellement réservée pour un mariage ou quelque autre occasion festive. Quand on cuisine chez soi, on peut contrôler son alimentation. On peut choisir des ingrédients frais de qualité et éviter de consommer les aliments transformés bon marché qui finissent dans la majorité des plats servis au restaurant. Même les restaurants cinq étoiles ont pris l'habitude d'ajouter du beurre et du sel. Cuisiner encourage aussi à être actif puisque vous devez vous tenir debout, mélanger, mixer, pétrir, hacher... Toute cette activité physique compte plus que ce qu'on pourrait penser, surtout comparée au fait de rester assis dans un restaurant. Une étude a suivi les habitudes alimentaires et les apports caloriques de mille personnes pendant une semaine. Par cette étude, on a découvert que les personnes qui mangeaient à l'extérieur consommaient en moyenne 275 calories de plus par jour que celles qui mangeaient chez elles. Pourquoi ? Parce que les restaurants servent des plats qui contiennent plus de calories. Selon la plupart des estimations, 200 calories supplémentaires par jour peuvent représenter un gain de dix kilos au cours d'une année.

 

LE JEÛNE PARTIEL

Les catholiques fervents sardes et nicoyens jeûnent pendant le carême, c'est-à-dire les quarante jours qui précèdent Pâques, pendant lesquels ils s'abstiennent de manger de la viande. Des études montrent que jeûner une fois de temps en temps, même pour une journée, peut être bénéfique pour la santé. Cela peut rééquilibrer le taux d'insuline, ce qui permet au pancréas de faire une pause. Cela peut aussi réduire temporairement le taux de cholestérol et la pression sanguine. Il s'agit d'un moyen à court terme pour perdre du poids, pour rompre les cycles de dépendances alimentaires et peut-être même pour nettoyer le système digestif. Les jeûnes modérés sur des périodes plus longues peuvent créer une forme de restriction calorique et peuvent ralentir le vieillissement. Cela fait passer nos cellules en mode survie, ce qui présente au moins deux avantages. D'abord, les cellules produisent moins de radicaux libres, des agents oxydants qui font « rouiller » notre corps de l'intérieur. Des niveaux plus faibles de radicaux libres renforcent les artères, les cellules cérébrales et même la peau. Jeûner partiellement semble également réduire les niveaux des facteurs de croissance 1 ( IGF-1), une hormone importante pour la croissance des cellules mais potentiellement dangereuse après l'âge de vingt ans puisque des niveaux élevés peuvent favoriser le cancer de la prostate et le cancer du sein, entre autres.

 

SE FAIRE UN PEU PLAISIR

Aucun de ces rituels ne doit être une restriction, une limitation ou une privation. Ne vous méprenez pas. Faites-vous plaisir avec de bons petits plats et des fêtes occasionnelles. On mange environ 1 100 repas par an. Si on se fait plaisir quelques fois par semaine et qu'on mange ce qu'on aime, il nous reste quand même 1 000 repas par an à manger à la manière des zones bleues. « Ce que les personnes qui suivent un régime oublient, c'est que manger est l'un des plus grands plaisirs de la vie », déclare Antonia Trichopoulou, l'une des plus grandes expertes du régime méditerranéen. Si cela vous rend heureux, ne passez pas à côté de cette part de bûche à Noël, ou de cette part de gâteau d'anniversaire, ou même de ce steak-frites hebdomadaire. Cela ne semble pas forcément sain mais, comme nous l'ont démontré les résidents des zones bleues, le corps possède une certaine capacité à s'équilibrer après un petit plaisir occasionnel. L'astuce, c'est de trouver sans peine ce juste équilibre entre le fait de se faire plaisir et celui de se comporter de manière à préserver notre santé le plus longtemps possible. Dans notre monde, ces deux forces sont en conflit mais, dans les zones bleues, ces deux forces s'harmonisent. Alors, n'hésitez pas à faire la fête de temps en temps.

 

FAITES DES REPAS UN MOMENT DE PARTAGE

Les repas dans les zones bleues sont un moment de gratitude, de partage, de résolution de problèmes et de renforcement des liens familiaux. Voici la règle : personne ne mange seul, debout ou une main sur le volant. Comme l'a souligné Thea Parikos, ma guide icarienne, lorsque sa famille se met à table, elle laisse derrière elle le stress de la journée. Les Icariens, dit-elle, mangent lentement en conversant avec leur famille, un bon rituel pour renforcer les liens familiaux mais aussi pour des corps plus sains. Votre manière de manger peut s'avérer aussi importante que ce que vous mangez. Manger vite favorise la suralimentation et, comme le montrent les recherches, peut doubler le risque d'obésité. Une étude a démontré que les enfants et les adolescents qui prennent des repas en famille au moins trois fois par semaine ont plus de chances d'avoir un poids normal et des habitudes alimentaires saines. Un rapport du National Center on Addiction and Substance Abuse souligne également que les adolescents qui dînent en famille plus de trois fois par semaine sont moins susceptibles d'avoir de mauvais résultats scolaires. Assurez-vous d'avoir une table conviviale, ronde de préférence, assez petite pour encourager les conversations familiales.

Des parties de cet article sont précédemment apparues dans Blue Zones, The Science of Living Longer, de Dan Buettner. Copyright ©2021 National Geographic Partners, LLC. Disponible dans n'importe quelle bibliothèque et librairie anglophone.

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

La natation, une activité physique aux bienfaits incomparables

Bien que la plupart des gens soient conscients des avantages pour la santé que comporte la pratique de la course à pied, du cyclisme ou de la musculation, moins nombreux sont ceux qui comprennent les avantages que procure une bonne séance de natation : affermissement et renforcement musculaire, réduction des inflammations, dynamisation de la santé du cœur et des poumons et de la santé mentale.

Il s’avère que le fait de propulser sa propre masse corporelle dans l’eau active une multitude de systèmes à travers le corps et fait ainsi de ce sport par nature doux mais hautement efficace une activité à nulle autre pareille. 

« La natation offre une gamme de bienfaits spécifiques, par exemple une aptitude cardiovasculaire et respiratoire accrue, une plus grande force et endurance musculaire, une masse maigre plus optimale, une réduction du risque de lésions traumatiques telles que celles qui peuvent survenir lors d’activités à impact élevé, mais aussi une meilleure santé mentale et un accroissement du bien-être », explique Mitch Lomax, pneumologue et physiologiste du sport de l’Université de Portsmouth, au Royaume-Uni.

Il s’agit d’un sport qui présente également l’avantage de pouvoir être pratiqué par des personnes de tous âges pour qui la pratique d’activités comme la course à pied ou le cyclisme pourrait s’avérer plus difficile, même si elles souffrent de limitations physiques.

« La natation est une activité que l’on peut pratiquer au-delà des limites d’âge et de capacités qui existent dans d’autres sports », affirme Lori Sherlock, professeure de physiologie du sport, coureuse du triathlon Ironman et coordinatrice des thérapies aquatiques à la Faculté de médecine de l’Université de Virginie.

 

BON POUR LE CŒUR

Le principal bénéfice de la natation est probablement qu’elle favorise la santé cardiaque. Des recherches montrent que cette activité améliore également la circulation sanguine et l’efficacité cardiovasculaire et fait ainsi diminuer le risque de crises cardiaques et d’AVC.

« La natation est une activité rythmique et dynamique qui sollicite l’ensemble du corps, qui fait augmenter votre rythme cardiaque et qui fait baisser votre tension artérielle efficacement », indique Hirofumi Tanaka, co-auteur de plusieurs études sur la natation et directeur du Laboratoire de recherche sur le vieillissement cardiovasculaire de l’Université du Texas à Austin. Une autre étude montre que la natation fait baisser la tension artérielle, en partie en atténuant le durcissement ou le raidissement des vaisseaux sanguins et en réduisant le taux de stress oxydant et d’inflammation dans l’ensemble du corps.

La natation a également une influence sur la relation entre votre système cardiovasculaire et votre système respiratoire, car vos poumons travaillent davantage pour répondre aux exigences d’un rythme cardiaque en hausse.

« La pression hydrostatique qui s’exerce lorsque l’on nage dans l’eau, associée à l’augmentation du volume sanguin central, met le système respiratoire à l’épreuve et rend l’inhalation plus difficile qu’à terre », explique Lori Sherlock.

Ce processus accroît la capacité pulmonaire et renforce le muscle cardiaque, « et renforce de manière importante l’efficacité du système cardiovasculaire », selon John Whyte, médecin généraliste de Washington et directeur médical chez WebMD.

 

BON POUR TOUS LES MUSCLES DU CORPS

La natation a également un effet important sur le système musculosquelettique, car la viscosité et la densité de l’eau opposent une résistance à chaque mouvement de nage et exigent donc le recruteent et le renforcement des muscles.

« En natation, pour vous propulser vers l’avant, il faut utiliser la plupart des groupes musculaires importants du corps », note Heather Massey, maîtresse de conférences et scientifique spécialiste de l’exercice physique de l’Université de Portsmouth.

Parmi ceux-ci figurent les abdominaux, les fléchisseurs des hanches, les muscles du cou, des bras, des mains, des épaules, de la poitrine et du dos, mais aussi les fessiers et les muscles des jambes et des pieds. « On peut probablement affirmer sans prendre de risques que tout muscle que vous êtes capable de nommer intervient à un moment ou à un autre lors de la nage », déclare Mitch Lomax.

Selon John Whyte, cette résistance propre à l’eau a l’avantage supplémentaire de renforcer et d’affermir les muscles « sans l’usure associée à la musculation ». On considère aussi souvent que c’est un avantage que de pouvoir affermir ses muscles sans le désagrément de la transpiration, qui coule dans les vêtements ou sur le visage, « chose qui décourage vraiment certaines personnes de faire de l’exercice plus souvent », selon Christopher Travers, physiologiste du sport à la Cleveland Clinic, dans l’Ohio.

Des études montrent que la natation accroît également l’amplitude de mouvementréduit la douleur articulaire, augmente la flexibilitéaméliore la posture et ralentit le vieillissement. Il est également prouvé qu’elle aide les personnes souffrant de sclérose en plaques et d’arthrite et qu’elle a un effet positif sur la régulation de la glycémie.

« La natation facilite l’absorption et l’utilisation de glucose par les mécanismes insulino-dépendants et améliore la sensibilité à l’insuline », explique Heather Massey.

Une étude montre que la natation est également bonne pour stimuler son métabolisme et que chaque mouvement de nage peut brûler de grandes quantités de calories. Une analyse de santé publique a montré qu’une personne de 70 kg brûle 281 calories par heure en avançant ou en nageant à rythme modéré dans l’eau et qu’elle peut brûler jusqu’à 704 calories de l’heure en effectuant des longueurs en nage libre à un rythme soutenu. La nage papillon peut quant à elle permettre de brûler jusqu’à 774 calories par heure. Ainsi, et comme le fait remarquer Matthew Anastasi, médecin généraliste et spécialiste de médecine du sport à la Mayo Clinic, dans l’Arizona, la natation peut « contribuer favorablement aux objectifs de gestion du poids ».

Un inconvénient notable est toutefois que la natation en eau froide est connue pour refroidir le sang qui circule dans l’hypothalamus, région cérébrale qui contrôle l’appétit, ce qui rend les nageurs plus susceptibles de grignoter après leur séance que les pratiquants d’autres sports.

En plus de l’effet de l’eau froide sur l’hypothalamus, le corps doit également travailler davantage pour conserver sa température, « ce qui suscite une sensation de faim accrue », met en garde John Whyte. Selon lui, cette tendance est une chose dont vous pouvez devenir conscient pour apprendre à y résister si vous nagez pour perdre du poids.

 

BIENFAITS SOCIAUX ET MENTAUX

La natation affecte également le cerveau et les relations de façons parfois inattendues. Des études montrent que le fait de se déplacer dans l’eau accroît le flux sanguin vers le cerveau et entraîne la sécrétion de sérotonine et de dopamine, des hormones. La natation améliore ainsi les troubles de l’humeur et même, ainsi que le prouve une étude, la mémoire.

« Il est également prouvé que la natation réduit le stress, améliore les états émotionnels négatifs et même atténue les symptômes de l’anxiété et de la dépression grâce à la nature méditative de la respiration rythmique et à l’effet apaisant de l’eau », explique John Whyte. Elle aide certaines personnes à mieux dormir, probablement grâce à ses bienfaits anti-stress et à l’effort physique qu’elle demande.

Selon Matthew Anastasi, la natation est non seulement bonne pour votre santé mentale, mais c’est également un moyen formidable de créer du lien et d’aller vers les personnes de votre communauté. Elle peut également contribuer au renforcement de relations plus intimes. Hirofumi Tanaka mentionne une étude dont il est co-auteur, qui a consisté à analyser près de 200 nageurs et qui montre que les personnes qui nagent souvent ont une vie sexuelle plus active et satisfaisante et souffrent moins de problèmes liés à la performance sexuelle, comme la dysfonction érectile et la dyspareunie par exemple.

 

DES AVANTAGES ACCESSIBLES À TOUS

Selon les scientifiques du sport, le meilleur aspect de la natation est que ces bienfaits cardiovasculaires, neurologiques et musculosquelettiques ne sont pas réservés aux jeunes athlètes.

« La natation est une activité physique qui peut être pratiquée à n’importe quel âge », affirme Lori Sherlock. Une raison à cela est que la densité de l’eau réduit la tension exercée sur les joints des muscles et sur le tissu musculaire, ce qui en fait un exercice accessible au plus grand nombre. « La natation transcende les limites physiques si bien que même les individus présentant des troubles ou des maladies neurologiques, orthopédiques, cardiovasculaires, respiratoires ou musculosquelettiques peuvent y trouver leur compte », affirme-t-elle.

La densité de l’eau assure un certain maintien et annule le risque de chute qui existe dans des activités plus courantes telles que la course ou la pratique de sports prenant place sur la terre ferme.

« Étant donné que la natation se pratique dans un environnement hypogravitaire et qu’il s’agit d’une activité à impact faible, elle présente un moindre risque de fractures traumatiques par rapport aux activités à impact élevé », explique Mitch Lomax. Ainsi que le fait remarquer Christopher Travers, c’est une des raisons pour lesquelles la natation et l’hydrothérapie sont utilisées pour aider des patients à soigner une blessure ou à résoudre certains problèmes médicaux.

Selon lui, le maintien que procure l’eau fait également de la natation une solution plus aisément accessible aux personnes en surpoids ou obèses.

 

COMMENT S’Y METTRE

Aussi accessible soit-elle, la natation met du temps à s’apprendre, car les mouvements et les techniques appropriées doivent être répétés. Si vous ne savez pas nager, « un bon endroit pour démarrer est de suivre un programme de natation au sein d’une association ou d’un club local ou dans votre piscine municipale », conseille Matthews Anastasi. Selon lui, la plupart de ces lieux proposent des leçons de natation pour débutants et certains proposent même des programmes pour les personnes ayant déjà un bon niveau ou souhaitant faire de la compétition. Il est également tout à fait envisageable de s’attacher les services d’un coach si l’on souhaite bénéficier d’une aide plus personnalisée.

De nombreux établissement proposent également des cours d’aérobic à part qui ne nécessitent pas de savoir nager mais qui apportent néanmoins le soutien et de nombreux bienfaits propres au fait de faire de l’exercice dans l’eau. Certains experts recommandent de mélanger à la fois la natation et d’autres entraînements dans l’eau lorsque l’on débute. « Effectuer une ou deux longueurs puis aller marcher ou courir dans l’eau, et répéter cette séquence, peut sembler plus abordable pour les débutants », commente Lori Sherlock.

Parce que la natation peut être particulièrement éprouvante physiquement, Mitch Lomax recommande d’incorporer des jours de repos dans votre programme d’exercices une fois que vous vous êtes lancé afin de donner à vos muscles le temps de se reposer et de récupérer. « Une fois que vous serez plus en forme et que vous vous serez habitué aux exigences de la natation, le fait de faire des séances d’affilée posera bien moins problème », rassure-t-elle.

Surtout, comme pour toute forme d’exercice, il est crucial de faire en sorte que l’expérience soit agréable si vous souhaitez continuer à la pratiquer dans la durée. « La natation n’est pas qu’un exercice, c’est aussi une expérience agréable et rafraîchissante susceptible d’améliorer votre santé physique, votre bien-être mental et la qualité de votre vie, précise John Whyte. Plongez et lancez-vous dans ce voyage transformateur. »

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

Quels sont les cinq plus petits pays du monde ?

LE VATICAN - 0,43 km2

Le Vatican est le support territorial du Saint-Siège, enclavé dans la ville de Rome en Italie. Il est devenu indépendant le 11 février 1929. Sa superficie totale est de 0,439 km2, ce qui en fait le plus petit État au monde, ainsi que le moins peuplé. C’est aussi le seul État au monde où l’une des langues officielles est le latin.

Selon les informations du site de l’État du Vatican, les citoyens sont au nombre de 618. Parmi eux, seuls 246 vivent à l’intérieur des murs, et cela inclut 104 membres de la garde suisse, qui prennent la citoyenneté du Vatican pendant leur période de garde. Qui plus est, des femmes pourraient d’ailleurs rejoindre la garde Suisse, historiquement réservée aux hommes, à partir de 2027, d’après un article du journal suisse Le Temps. Plus de la moitié de la population du Vatican vit donc hors des murs de l’État, dans des nonciatures apostoliques, nom qui désigne les ambassades du Saint-Siège dans les pays avec lesquels il entretient des relations diplomatiques.

Le Vatican se compose de deux entités juridiques distinctes, une entité spirituelle, le Saint-Siège, et une entité temporelle, l'État de la Cité du Vatican. Le Pape fait le lien entre ces deux entités. Il est le chef du spirituel et du temporel, et dispose du pouvoir absolu (exécutif, législatif et judiciaire).

Depuis 2013, le Pape est le cardinal argentin Jorge Mario Bergoglio, qui a choisi le prénom de François en référence à Saint-François d’Assise. Il est le premier souverain pontife non-européen depuis plus de 1 200 ans, le premier Latino-Américain et le premier jésuite à accéder au pontificat.

 

MONACO – 2,02 km2 

Souvent surnommée « Le Rocher », la principauté de Monaco est une cité-État située au bord de la mer Méditerranée, sur la côte d’Azur et le long de la riviera française. Elle dispose d’un accès aux eaux internationales, elle n’est donc pas un territoire enclavé.

Le territoire appartenait à l'origine à la République de Gênes dont les Grimaldi étaient l'une des familles patriciennes. Relativement indépendante depuis le 8 janvier 1297, en la propriété de François Grimaldi, sa souveraineté est assurée par le traité franco-monégasque de 1861. Devenue monarchie constitutionnelle depuis 1911 après la révolution monégasque, la principauté est dirigée par le prince souverain Albert II depuis 2005. Ce dernier est un descendant de la famille des Grimaldi, l’une des plus anciennes dynasties régnantes au monde. 

Au 31 décembre 2022, la population estimée en Principauté était de 39 050 habitants, selon l’Institut Monégasque de la Statistique et des Études Économiques (IMSEE). Parmi eux, moins de 10 000 étaient Monégasques. Cela en fait l’un des pays les plus densément peuplés du monde

Le Rocher est également célèbre pour sa fortune. Le casino de Monte-Carlo ainsi que la société des bains de mer de Monaco, mis en place par Charles III de Monaco, ont largement contribué à cette richesse. Pour l’anecdote, les citoyens monégasques n’ont pas le droit de jouer dans le célèbre casino depuis son ouverture en 1863, une loi qui est toujours en vigueur aujourd’hui. 

 

NAURU – 21 km2

Petit État insulaire d’Océanie situé en Micronésie, Nauru est situé à 42 km au Sud de l’équateur. L’île est considérée comme la plus petite république du monde, alors même qu’elle est la plus densément peuplée d’Océanie. C’est également le seul pays à ne pas avoir de capitale officielle

Nauru a été successivement colonisée par l’Allemagne puis l’Australie. L’île est devenue célèbre sur le plan international pour son exportation massive de phosphate à partir des années 1900, une roche utilisée pour produire du phosphore, qui sert le plus souvent à la fabrication d'engrais ou d'explosifs. À partir de l’indépendance de l’île, le 31 janvier 1968, les Naruans veulent jouir eux-mêmes de leurs ressources naturelles. En trente ans, le pays devient l’un des plus riches du monde grâce à ses exportations, avec un record en 1974 avec un bénéfice de 225 millions d’euros et le deuxième PIB par habitant le plus élevé au monde, trois fois plus élevé qu’aux États-Unis. Dans le but de préparer l’avenir du pays une fois les réserves de phosphate épuisées, le gouvernement investit dans l’immobilier en Australie et aux États-Unis. 

Dans les années 1990, tout s’effondre. Les réserves de phosphate s’épuisent, les investissements immobiliers ont été infructueux, et les caisses de l'État ont été vidées par la corruption. Le pays est en faillite nationale. Avec la modification très rapide et drastique de l’hygiène de vie des habitants, de nouvelles maladies sont apparues. À ce jour, le pays a le plus important taux d’obésité et le deuxième taux de tabagisme au monde. Et la situation économique du pays est aussi très compliquée. Les habitants, qui n’avaient plus à travailler durant des années tant l’État pouvait subvenir à leur besoin, se retrouvent massivement au chômage. 

Aujourd’hui, Nauru sert de prison pour les migrants illégaux arrivés en Australie, en échange de quoi l’île reçoit 415 millions de dollars australiens par an, soit 284 millions d'euros. Cette mesure est appelée « solution du Pacifique. » 

 

TUVALU – 26 km2

Les Tuvalus sont un État et un archipel polynésien, situé dans l’ouest de l’Océan Pacifique au sud de l’équateur. Ils sont formés de neuf atolls, dont huit habités. Le nom même du pays fait d’ailleurs référence à cette géographie, « Tuvalu » signifiant « huit îles ensemble » en tuvaluan. L’île la plus peuplée est Fongafale, située sur l’atoll de Funafuti, qui habite notamment l’aéroport international. Ce dernier est l’un des lieux principaux de sociabilité du pays, qui s’y rejoignent pour pratiquer des activités sportives. Il est d’ailleurs le lieu d’entraînement de l’équipe de football de Tuvalu

L’île accède à l’indépendance sous forme de dominion en 1978, après avoir été une colonie britannique depuis 1892. Ainsi, l’île est un royaume du Commonwealth à part entière, sous l’égide du roi Charles III d’Angleterre. Ayant peu de ressources agricoles et économiques, le pays reste relativement dépendant à l’aide étrangère. En 2021, il avait le PIB le plus faible du monde, d’un total de 60 millions de dollars.

Au niveau économique, les Tuvalu possèdent d’ailleurs une source de revenu insolite. Le micro-État possède en effet 20 % du nom de domaine « .tv », qui synthétise le nom de l’archipel. Cette extension est très utilisée, car « TV » désigne la télévision dans de nombreuses langues. En 2016, le nom de domaine rapportait deux millions de dollars au gouvernement des Tuvalu.  

La population de Tuvalu était estimée à un peu plus de 11 000 habitants en 2020. Mais avec l’accroissement des effets du dérèglement climatique et notamment la montée du niveau des océans, l’archipel pourrait être totalement submergé d’ici à quatre-vingts ans. Selon un rapport du gouvernement australien datant de 2011, le niveau des eaux a augmenté d'environ 0,5 centimètre par an depuis 1993. En 2002 aussi, Koloa Talake, Premier ministre, a porté plainte devant la Cour internationale de Justice de La Haye contre les États-Unis et l'Australie pour avoir contribué au réchauffement climatique, mais sa non-réélection a effacé la procédure. Aujourd’hui, l’Australie et la Nouvelle-Zélande ont accepté d’offrir l’asile climatique aux habitants de Tuvalu

 

SAINT-MARIN – 61 km2

Perché au sommet du Mont Titano, Saint-Marin est la plus ancienne république du monde. Le micro-État est enclavé à l’intérieur de l’Italie, entre l’Emilie-Romagne et les Marches. En 2022, il comptait plus de 33 000 habitants, dont plus de 80 % de Saint-Marinais selon les données de The World Bank. Malgré ses deux millions de touristes annuels et le fait qu’une grande partie de son centre historique soit classé au patrimoine mondial de l’UNESCO, il reste le pays le moins visité d’Europe.

Selon la légende, un modeste tailleur de pierres nommé Marinus se serait réfugié sur le mont Titanos vers l’an 303 pour fuir les persécutions contre les chrétiens lancées par l’empereur romain Dioclétien. Il fut suivi par d’autres persécutés et fondèrent ensemble une communauté chrétienne. L’Édit de Milan de 313 mit fin aux persécutions et la communauté put s’établir définitivement en 366, année du décès de son fondateur. Sur son lit de mort, il aurait prononcé les mots suivants : « je vous laisse libre des deux hommes », soit l’Empereur et le Pape. Ces paroles sont le fondement de l’indépendance de la République de Saint-Marin.

Membre de la zone euro depuis 2002, le petit État ne fait pas partie pour autant de l’Union européenne. Cela a parfois pu poser quelques difficultés aux Saint-Marinais notamment durant la pandémie de Covid-19. « La majorité de la population a dû faire le vaccin russe Spoutnik, mais celui-ci n’a jamais été reconnu par l’Union européenne, donc un Saint-Marinais étudiant ou travaillant dans un pays appartenant à l’UE devait à chaque fois expliquer sa problématique », explique Ludovica Stefanelli, jeune étudiante Saint-Marinaise en littérature et langue française à l’Université de Bologne, en Italie.

Le sport national de Saint-Marin est l’arbalète. En effet, les arbalétriers étaient autrefois chargés de défendre les murs et la liberté de la République de Saint-Marin. Aujourd’hui, les neuf communes de Saint-Marin se rencontrent chaque année dans un tournoi national. À contrario, San Marin brille moins pour ses résultats sportifs en football. Le micro-État n’a gagné qu’un seul match depuis la création de son équipe en 1985 et est actuellement la dernière nation au classement FIA.

Io : cette lune de Jupiter est un enfer volcanique

Sous ses reflets argentés, notre Lune impressionne de bien des façons, mais elle est loin de rivaliser avec celles des géantes gazeuses de notre système solaire. Ces lunes sont des mondes à part entière. Certaines, comme Europe ou Encelade, possèdent des océans liquides spectaculaires et potentiellement habitables. Puis il y a Io, l'une des lunes de Jupiter.

Derrière ces deux lettres se cache l'objet le plus volcanique du système solaire à notre connaissance : un orbe aux nuances de rouille où les villes cèdent leur place aux mers de lave, où les nuages de fumée forment dans le ciel des ombrelles infernales. Depuis quand Io est-elle aussi éruptive ? Difficile à dire, car la surface de la lune se renouvelle tous les millions d'années sous l'effet de son volcanisme, ce qui explique également le peu d'informations dont disposent les scientifiques sur son histoire.

Tous les mondes sont dynamiques et ceux dont le cœur géologique bat encore changent parfois de manière radicale. Dans sa version primitive, la Terre ne ressemblait en rien à sa forme actuelle. Qu'en est-il d'Io ? La lune a-t-elle toujours été aussi infernale ?

Pour répondre à ces questions, les astronomes ont étudié l'atmosphère de la lune afin de déterminer la durée nécessaire à ces innombrables éruptions pour modifier sa composition chimique depuis un point de départ estimé. Selon leurs résultats publiés dans la revue Science, Io semble être agitée par ces éruptions depuis des milliards d'années, peut-être même 4,5 milliards d'années, l'âge de notre système solaire. En d'autres termes, Io présente une hyperactivité volcanique depuis que le Soleil brille.

« Nous voyons Io comme elle a toujours été ! » déclare Jani Radebaugh, astrogéologue à l'université Brigham Young, non impliqué dans la nouvelle étude. Io est donc une sorte de machine à voyager dans le temps dont l'inépuisable moteur thermique alimenté par la force de marée peut nous en apprendre plus sur les mondes d'ici et d'ailleurs.

« Ce processus anime l'ensemble du système solaire, mais également les exoplanètes », indique Katherine de Kleer, planétologue au sein du California Institute of Technology et auteure principale de l'étude. « Nous étudions Io pour mieux comprendre ce processus universel. »

 

PARADIS POUR VOLCANS

Du point de vue humain, le système solaire peut paraître peu enclin au changement, ce qui est loin d'être le cas à l'échelle des temps astronomiques. Par exemple, ces dernières années, les scientifiques ont découvert que les anneaux emblématiques de Saturne ne constituent pas un équipement permanent, mais plutôt une décoration récente : ils sont apparus il y a quelques centaines de millions d'années et disparaîtront dans un laps de temps similaire.

Ainsi, Io n'a peut-être pas toujours été le théâtre volcanique qu'elle est aujourd'hui. Pour le savoir, nous devons comprendre comment fonctionne son volcanisme et pourquoi il se montre aussi spectaculaire.

En 1979, deux événements scientifiques majeurs ont jeté les fondations : la sonde Voyager 1 de la NASA a survolé le système jovien en photographiant de titanesques nuages de matière volcanique s'élevant de la surface d'Io et une équipe indépendante de scientifiques a calculé que la lune possédait une source de chaleur puissante, mais inhabituelle.

Cette prédiction mathématique provient de l'étrange trajectoire d'Europe et de Ganymède, deux lunes voisines d'Io. Pour chaque révolution de Ganymède autour de Jupiter, Europe en réalise deux et Io quatre. Connu sous le nom de résonnance, ce rythme particulier altère l'orbite d'Io en lui donnant une forme plus elliptique que circulaire.

Lorsque Io se rapproche de Jupiter sur cette orbite oblongue, elle subit une attraction gravitationnelle plus forte ; lorsqu'elle s'éloigne, l'attraction gravitationnelle de Jupiter s'affaiblit. Cela provoque des marées semblables à celles infligées par la Lune aux océans terrestres, sauf que dans ce cas, les marées sont si puissantes que la surface d'Io s'élève et s'affaisse d'une centaine de mètres, soit la hauteur d'un petit gratte-ciel.

Tout ce mouvement entraîne énormément de friction, ce qui génère une formidable chaleur. Dans les entrailles d'Io, cette chaleur se traduit par la fusion d'un volume de roche considérable, allant peut-être jusqu'à créer un océan de magma. Cela alimente certaines éruptions particulièrement violentes en surface qui déversent des torrents de lave plus longs que la plupart des fleuves terrestres, expulsent des colonnes vertigineuses de confettis de lave riches en soufre et créent des chaudrons de roche liquide qui ouvrent autant de portails vers les profondeurs de la lune jovienne.

« C'est fabuleux », jubile Katherine de Kleer. « Ces volcans nous offrent une fenêtre sur l'intérieur de la lune, ce qui est plutôt rare. »

La nature extrême du volcanisme d'Io ne s'arrête pas à ces éruptions. En dehors des éjectas soufrés, la lune recrache des gaz composés de sodium et de chlorure de potassium. Sur Terre, nous utilisons ces éléments pour assaisonner nos plats. « C'est du sel de table qui jaillit de ces volcans », indique de Kleer.

La plupart des matières éjectées peuvent également être propulsées dans l'espace à travers la fine atmosphère d'Io. Ces matières se mêlent ensuite à la lumière du soleil et subissent une excitation électrique avant de retomber dans le ciel magnétisé de Jupiter et d'exploser sous la forme de puissantes aurores, la version jovienne des aurores boréales ou australes observées sur Terre.

 

LUNE EN FOLIE

Le coupable de cette sorcellerie planétaire n'est autre que la source de chaleur qui anime Io, connue sous le nom de réchauffement par effet de marée. Les scientifiques cherchaient à savoir si ce phénomène existait toujours à l'intérieur de la lune. Cependant, en raison de l'intense activité volcanique, les coulées de lave n'ont de cesse de recouvrir la surface de la lune, dissimulant au passage toute trace de processus géologique.

« Il est impossible d'obtenir des informations sur un événement survenu il y a un million d'années simplement en observant la surface d'Io », explique Katherine de Kleer. C'est pourquoi la scientifique a opté pour une approche différente avec son équipe en s'intéressant plutôt à l'atmosphère de la lune.

Chaque seconde, Io perd jusqu'à trois tonnes de matière dans l'espace à travers le dégazage volcanique et l'érosion atmosphérique. « Cette perte de masse pourrait être comparée à celle d'une comète », illustre Apurva Oza, astrophysicien spécialiste des exoplanètes pour le Jet Propulsion Laboratory de la NASA, non impliqué dans la nouvelle étude.

Les éléments qui composent ces gaz se déclinent en différentes versions, appelées isotopes, certaines étant plus lourdes que d'autres. Les isotopes légers ont tendance à évoluer dans les couches supérieures de l'atmosphère et peuvent donc s'échapper plus facilement dans l'espace. Quant aux isotopes lourds, ils restent plus proches de la surface et sont donc recyclés par l'activité volcanique. Par conséquent, les éruptions qui agitent Io de nos jours doivent être proportionnellement enrichies en isotopes lourds. Si l'équipe parvenait à mesurer le rapport entre les isotopes lourds et légers présents dans l'atmosphère, ils pourraient alors calculer la durée nécessaire à la lune pour atteindre cet état à partir d'un réservoir initial de matière souterraine éruptible.

C'est exactement l'expérience entreprise par Katherine de Kleer et son équipe de scientifiques qui ont fait appel à l'Atacama Large Millimeter/submillimeter Array (ALMA) du Chili pour analyser les gaz présents dans l'atmosphère d'Io, principalement composée de soufre. Afin d'estimer le réservoir initial d'isotopes lourds et légers, l'équipe s'est tournée, entre autres, vers des témoins de la composition chimique du système solaire primitif : les météorites.

Ils ont ainsi établi que le rapport isotopique actuel du soufre dans l'atmosphère ionienne suggère que la lune aurait perdu 94 à 99 % de son réservoir de soufre initial. En croisant ces données avec les modèles existants de l'évolution de Jupiter et de ses lunes intérieures, les chercheurs sont arrivés à la conclusion suivante : Io est en éruption depuis des milliards d'années, peut-être même 4,5 milliards d'années.

 

DANSE ORBITALE 

« Les dynamiques orbitales des satellites planétaires sont parfois très chaotiques », indique James Tuttle Keane, planétologue au sein du Jet Propulsion Laboratory de la NASA, non impliqué dans l'étude. Les lunes peuvent quitter une orbite stable et y revenir, entrer en collision avec d'autres objets ou même être entièrement éjectées du système solaire.

En ce qui concerne Io, Ganymède et Europe, il semblerait que la chorégraphie à laquelle participent ces trois-là n'ait connu aucune fausse note depuis des milliards d'années. « Au cours de son histoire, Io n'a donc pas vraiment changé », résume Keane.

À elle seule, cette immuabilité fait figure d'exception dans l'univers, mais elle a également des implications pour la voisine d'Io, Europe. Sous sa coquille de glace, cette autre lune jovienne dissimule un océan qui, selon nos connaissances actuelles, serait maintenu à l'état liquide grâce au réchauffement par effet de marée. Si Io est volcanique depuis des milliards d'années, alors l'océan d'Europe pourrait être tout aussi primitif.

« À long terme, cela peut avoir des implications pour l'habitabilité d'Europe », indique de Kleer. Si cet océan abrite la vie, ce qui reste une hypothèse, alors cette vie doit son existence à la même force gravitationnelle qui, non loin de là, plonge Io dans un véritable enfer volcanique.

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

Pélerinages : entre spiritualité et remise en forme

Les pèlerinages ne sont plus réservés qu’aux moines. Ces chemins épiques qui se faufilent dans des villages médiévaux et des paysages ruraux attirent de nouveaux adeptes.

Des sentiers bien connus ont récemment enregistré une fréquentation record, tandis que de nouveaux itinéraires ont été lancés aux États-Unis, en Irlande, au Bhoutan et au Sri Lanka. En 2023, près d’un demi-million de personnes ont parcouru le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle en Espagne, l’un des pèlerinages les plus célèbres. Pourtant, les données du Centre international d’accueil au pèlerin ont révélé que seuls 40 % des personnes empruntant ces sentiers marchaient pour des raisons purement religieuses. 

Alors que les cours de marche se multiplient dans les salles de sport, ainsi que sur les plateformes de streaming, et que les #softhiking et #hotgirlwalk embrasent TikTok, il n’est pas surprenant que ces longues promenades dans la nature aient attiré l’attention. La plateforme de courses à pied Spacebib a lancé une collection de tee-shirts qui évacuent l’humidité, nommée World Pilgrimage Trails, sur le thème des chemins de pèlerinage du monde entier. La plateforme The Conqueror, quant à elle, a lancé un défi virtuel autour du chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle permettant de suivre sa progression sur sa montre connectée. L’attrait pour le pèlerinage s’est tellement développé que le Global Wellness Summit, sommet mondial du marché du bien-être, l’a désigné comme l’une des tendances en la matière pour 2024. 

Si les pèlerinages sont de plus en plus populaires parmi les adeptes de fitness, ils restent une pratique intemporelle à la croisée de l’activité physique, de la spiritualité et de l’épanouissement personnel.

 

UN VOYAGE MÉDITATIF

Un pèlerinage est un voyage que l’on effectue à pied, à cheval ou à vélo vers un lieu sacré. Présents dans de nombreuses religions, ces longs périples permettent de prouver sa dévotion. 

Il existe des centaines de chemins de pèlerinage à travers le monde. Les pèlerins modernes peuvent encore emprunter les plus anciens, comme celui de Saint-Jacques-de-Compostelle, remontant au 9e siècle, et son pendant, le Kumano Kodo, au Japon, datant du 10e siècle, qui sont tous deux inscrits au patrimoine mondial de l’UNESCO. Une multitude de nouveaux chemins de pèlerinage ont toutefois été ouverts afin que cette nouvelle vague de marcheurs puisse mettre à l’épreuve corps, esprit et âme. 

En 2022, le Bhoutan a restauré le Trans Bhutan, un sentier du 16e siècle franchissant douze cols de montagne, autrefois emprunté par les bouddhistes pour traverser le pays et visiter ses sites les plus sacrés. Le Sri Lanka a inauguré le sentier Pekoe en 2023, un tronçon d’un peu moins de 300 kilomètres reliant les villes de Kandy et Nuwara Eliya. Il longe un ancien temple de pierre, des grottes et des chutes d’eau. En 2024, l’Irlande et le pays de Galles achèveront le Wexford-Pembrokeshire Pilgrim Way, un chemin de près de 138 kilomètres qui commence à Wexford, en Irlande, et se termine à Saint David’s, au pays de Galles. Il y est question de promenades au sommet des falaises, de plans d’eau sacrés et de criques isolées fréquentées par des phoques. Enfin, en Californie, il est possible de tenter le nouveau Camino de Sonoma, une randonnée approchant les 120 kilomètres au départ de la mission de Sonoma jusqu’à la chapelle orthodoxe russe de Fort Ross.

 

UN EXERCICE POUR LE CORPS ET L’ESPRIT

Selon Marc Massad, coach personnel basé au Royaume-Uni, enfiler ses chaussures de marche est bon pour le corps et l’esprit : cela contribue non seulement au bien-être physique, mais encourage également la résilience. 

« La marche stimule la santé cardiovasculaire, favorise la perte de poids, améliore l’équilibre et la coordination, et accroît l’endurance musculaire avec un minimum d’effort articulaire », explique-t-il. « La marche a aussi de profonds effets bénéfiques sur la santé mentale. C’est un moyen naturel de soulager le stress en libérant des endorphines qui peuvent réduire les symptômes de la dépression et de l’anxiété. »

Nicole Hu, vingt-sept ans, de Chicago, a parcouru les 120 kilomètres du chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle en juillet 2023, depuis la frontière portugaise jusqu’à la célèbre ville en Espagne. « Je voulais marcher, être dans la nature et avoir du temps pour moi, pour réfléchir », confie-t-elle.

Nicole, qui a déjà passé des vacances à faire de la plongée sous-marine en Égypte et de la randonnée au Pérou, a apprécié les règles claires de ce défi qui trouve son origine au Moyen Âge. Chaque pèlerin doit parcourir au moins 100 kilomètres, collecter des tampons chaque jour et terminer son voyage au Centre international d’accueil au pèlerin.  

Si elle n’a pas trouvé le terrain particulièrement éreintant, marcher jusqu’à 24 kilomètres par jour sous une chaleur atteignant 38 degrés Celsius s’est avéré être un véritable défi. « C’était exténuant mais très gratifiant », livre-t-elle. « C’est dur pour le corps mais c’est une très bonne expérience. Je crois que je le referais mais sur une plus longue durée, simplement parce que je pense que l’on en retire davantage. »

 

LE POUVOIR DES PÈLERINAGES

Paul Christie, PDG de Walk Japan, qui organise des randonnées pédestres hors des sentiers battus au Japon, explique qu’il a constaté une augmentation du nombre de touristes qui s’inscrivaient à des pèlerinages guidés. « Notre expérience suggère que l’intérêt pour les pèlerinages est issu d’une évolution naturelle de la demande croissante pour la marche en général, et ce, à travers un large éventail d’âges et de nationalités », explique-t-il. 

Guy Hayward, cofondateur de British Pilgrimage Trust, organisation caritative qui vise à promouvoir le pèlerinage, peu importe les croyances, explique toutefois que tout le monde n’accepte pas cette vision plus laïque de la pratique. « Il y a évidemment des personnes ferventes qui pensent qu’il n’y a qu’une seule façon de faire un pèlerinage et qu’elle se doit d’être hautement pieuse », déclare-t-il. « Mais j’espère qu’ils se rendront compte que les pèlerinages peuvent devenir une sorte d’opportunité sous-jacente permettant aux gens de découvrir des aspects plus profonds d’eux-mêmes. »

La marathonienne Kimberly Davies, trente-cinq ans, de Toronto, a décidé de parcourir les 770 kilomètres du Camino francés, de Saint-Jean-Pied-de-Port à la ville de Saint-Jacques-de-Compostelle, en Espagne, en passant par les Pyrénées françaises. 

« Vous vivez véritablement l’instant présent », affirme-t-elle. « C’est un havre de paix. Pas d’obligations, pas de planification, pas de recherche d’hôtels ou de restaurants, et j’ai adoré être à l’extérieur pendant six semaines, ce qui, je pense, est très sain ».

Si certaines personnes découvrent les pèlerinages, Rick Walsh, soixante-trois ans, originaire de San Francisco, a en revanche souvent parcouru les sentiers du Japon. Il a récemment suivi le circuit Shikoku Wayfarer, proposé par Walk Japan, d’une durée de six jours, qui fait partie du pèlerinage des quatre-vingt-huit temples de la nation insulaire. En traversant la campagne montagneuse jusqu’à la côte de l’océan Pacifique, il affirme que le pouvoir du pèlerinage ne lui a pas échappé. « Vous pouvez faire de l’exercice n’importe où mais c’est très spécial de le faire dans un endroit aussi unique que le Japon, tout en participant à un voyage culturel organisé. »

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

Ces villes japonaises pourraient bien inspirer votre prochain haïku

Sur le chemin qui sépare notre domicile de notre travail, certains d'entre nous dorment, tandis que d'autres consultent frénétiquement leur portable. Mais dans les tramways de la ville japonaise de Matsuyama, les passagers ont une autre option : écrire un haïku.

Matsuyama est la capitale autoproclamée de cette forme de poésie courte, vieille de plusieurs siècles, traditionnellement mais pas exclusivement composée de trois vers de cinq, sept et cinq syllabes. Montez dans les tramways de la ville et vous trouverez les boîtes à haïkus rectangulaires. Les passagers sont encouragés à rédiger un haïku sur une feuille de papier prévue à cet effet. Il suffit ensuite de la glisser dans la boîte pour le concours d'haïkus organisé par la ville. Si l'expérience vous a plu, vous pouvez, dans la soirée, vous arrêter dans l'un des bars à haïku de Matsuyama, pour rédiger un poème tout en sirotant une boisson.

Ce que nous appelons aujourd'hui haïku était à l'origine une strophe d'ouverture de poèmes plus longs. Du moins, jusqu'à ce que des poètes du 17e siècle tels que Matsuo Basho (1644-1694) popularisent leur existence propre en tant que poèmes courts, appelés alors hokku, ou comme accompagnement à la prose, un style connu sous le nom de haibun. Dans le cas de Basho, il intégrait souvent des haïkus dans ses carnets de voyage.

Plusieurs siècles plus tard, les haïkus sont étudiés dans les écoles japonaises, célébrés lors de compétitions nationales et promus à la télévision dans des émissions hebdomadaires.

Ce passe-temps traditionnel japonais a gagné en popularité dans le monde entier, et l'on trouve aujourd'hui des associations de haïku, en Europe (notamment en France, où existe l'Association francophone du Haïku) en Afrique et en Amérique du Nord. Il existe même une Journée internationale du haïku, célébrée le 17 avril, organisée par la Haïku Foundation, une organisation internationale.

Voici comment suivre la piste du haïku dans le pays qui l'a vu naître.

 

QU'EST-CE QU'UN HAÏKU ?

Comme l'écrit Julie Bloss Kelsey dans la rubrique New to Haiku de la Haiku Foundation, le haïku moderne s'est développé au-delà des limites traditionnelles.

« En Japonais, un haïku s'écrit en dix-sept on, ou unités de sons. Les On ne se traduisent pas directement en syllabes dans les autres langues, notamment en anglais. Certains érudits spécialistes du haïku avancent que cette fausse idée a conduit les haïkus anglais à être trop verbeux », explique-t-elle. « C'est pourquoi on voit souvent des haïku modernes avec moins de dix-sept syllabes. Les Haïku peuvent être écrits avec un, deux, trois ou quatre vers, voire plus. Bien que les haïkus de trois vers en anglais soient les plus courants, les haïkus composés d'un vers, aussi appelés monoku, deviennent de plus en plus populaires. »

Ce n'est pas la seule évolution depuis l'époque de Basho. Même si les haïkus contiennent habituellement des mots se rapportant aux saisons, ou kigo en japonais, ils ne doivent pas forcément parler des fleurs de cerisiers éphémères ou bien des feuilles d'automne. Les émotions humaines, les instants de vie, ou un chihuahua bien-aimé font de tout aussi bons sujets. De la même façon, un haïku peut canaliser de la mélancolie, de l'humour, et tous les sentiments que l'on souhaitera y mettre.

 

LES MEILLEURS ENDROITS POUR DECOUVRIR LE HAÏKU

Lorsque l'on voyage au Japon, il n'est pas rare de trouver des haïkus sous diverses formes. Plusieurs sites se vantent d'une connexion avec l'un des « quatre grands » poètes du monde des haïkus : Yosa Buson (1716-1784), Kobayashi Issa (1763-1828), Masaoka Shiki (1867-1902) et, le plus célèbre de tous, Basho.

Basho a parcouru la région de Tohoku, au nord de l'île principale du Japon, au cours d'un périple de cinq mois documenté dans le récit de voyage classique rédigé en haïku Oku no Hosomichi (La Sente étroite du Bout-du-Monde)On peut y suivre ses pas jusqu'au temple de Yamadera, situé à flanc de montagne, où le paisible sentier boisé inspira à Basho l'un de ses poèmes les plus célèbres :

immobilité
le chant des cigales
pénètre dans la roche

À Tohoku, il est également possible de visiter la ville de Hiraizumi, inspiration du poème morose de Basho, « herbes d'été / tout ce qui reste / des rêves des guerriers. » À Hiraizumi, on trouve cependant bien plus que des champs verts, notamment le temple Chusonji, classé au patrimoine mondial de l'UNESCO, et sa salle dorée de Konjikido.

Dans l'est de Tokyo, dans une ancienne région rurale dont Basho était originaire, on trouve aujourd'hui le musée Basho au sein d'une zone d'expansion urbaine des vingt-trois quartiers. Il existe au Japon d'autres musées Basho : l'un se trouve sur son lieu de naissance, à Iga Ueno, dans la préfecture de Mie ; et les autres dans plusieurs villes sur son itinéraire d'Oku no Hosomichi. 

Et puis, il y a Matsuyama, la capitale d'haïku du Japon. Située sur la plus petite des quatre îles principales du pays, Matsuyama est la ville natale de Masaoka Shiki, qui, avant de mourir de tuberculose à trente-quatre ans en 1902, a inventé le terme haïku (qui signifie « jeu de mots ») et insufflé un nouveau souffle à cet art en encourageant une plus grande diversité de sujets et l'utilisation d'un langage non traditionnel. Il a même écrit le premier haiku sur le baseball :

herbes d'été
des joueurs de baseball
au loin

Vous ne pouvez pas passer un jour à Matsuyama sans voir la connexion avec les haïkus. Comme dans les tramways, vous trouverez des boîtes à haïkus dans le château de Matsuyama, perché sur une colline et au Dogo Onsen Honkan, l'un des plus vieux établissements thermaux du Japon, au cas où un haïku vous vienne à l'esprit pendant la baignade. La municipalité de Matsuyama a également fait installer des boîtes à haïkus dans des villes jumelles à l'étranger, notamment à Bruxelles, en Belgique, à Fribourg, en Allemagne et à Taipei, à Taïwan. 

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

Cette étoile ne brille qu’une fois tous les 80 ans et il sera bientôt temps de l'observer

Une nouvelle étoile est en route pour venir peupler le ciel nocturne de l’hémisphère nord. Elle pourrait apparaître d’ici quelques jours, mais cela pourrait aussi bien prendre quelques mois ; les astronomes n’ont à ce sujet pas beaucoup de certitudes, bien qu’ils attendent le retour de sa lueur depuis quatre-vingts ans. Mais lorsqu’elle paraîtra enfin, elle brillera si intensément que l’on pourra la voir à l’œil nu une semaine durant.

Et ensuite, aussi abruptement qu’elle aura fait irruption dans le panorama céleste, elle s’en ira.

Derrière cette manifestation clinquante se cache T Coronae Borealis (ou T CrB), phénomène rare connu sous le nom de nova récurrente. Comme le suggère son nom, T CrB se situe dans une constellation en forme de fer à cheval nommée Corona Borealis (la Couronne Boréale), distante de 3 000 années-lumière environ.

À l’inverse des novas classiques qui sont créées lorsqu’une étoile explose à la fin de sa vie, les novas récurrentes, comme leur nom le suggère, percent dans le ciel bien plus fréquemment, mais elles sont également causées par des processus stellaires différents de ceux à l’origine des vraies novas. La dernière éruption de T Coronae Borealis s’est produite en 1946. Seules dix de ces novas sont répertoriées dans la Voie lactée.

 

QUELLE EST LA CAUSE DE L’ÉRUPTION DE CE CORPS CÉLESTE ?

La lumière de T Coronae Borealis n’est pas le produit de l’explosion d’un unique corps céleste mais plutôt d’une danse céleste entre deux étoiles orbitant l’une autour de l’autre. La plus grande des deux, une géante rouge dont la masse équivaut peu ou prou celle de notre système solaire tout entier, perd de sa matière, notamment de l’hydrogène et de l’hélium. Cet éjecta tombe en partie sur la naine blanche voisine qui, bien qu’elle fasse à peu près la taille de la Terre, contient près de 40 % de matière de plus que le Soleil, ce qui en fait un astre extraordinairement dense.

Alors que la naine blanche absorbe les rebuts de sa compagne de route, sa température ne cesse d’augmenter, et elle devient donc plus dense. Enfin, tous les quatre-vingts ans environ, elle atteint un point de bascule critique où des réactions de fusion nucléaire en série la font entrer en éruption.

« Nous la suivons dans le monde entier et elle a fait des choses amusantes », indique Sumner Starrfield, professeur de l’Université d’État d’Arizona qui a beaucoup étudié ce système solaire au cours de sa carrière. « Sa luminosité a augmenté pendant quelques années et aujourd’hui elle a diminué un peu. Il semble qu’elle fasse à peu près la même chose que juste avant d’exploser en 1946, raison pour laquelle nous faisons tout à coup preuve de beaucoup d’intérêt. »

 

QUAND SERA-T-ELLE VISIBLE ET COMMENT LA VOIR ?

On ne sait pas exactement quand l’éruption se produira. Selon la NASA, cela pourrait survenir à n’importe quel moment d’ici au mois de septembre. Mais Sumner Starrfield fait observer que ce n’est qu’une bonne estimation, et qu’il faudra peut-être attendre plusieurs années avant que nous ne puissions observer l’explosion dans le ciel. Toutefois, lorsqu’elle se produira, les astronomes amateurs n’auront pas le temps de cligner des yeux tant le phénomène est fugace.

« Le paroxysme sera atteint très rapidement », explique Bradley Schaefer, professeur émérite à l’Université d’État de Louisiane et l’un des plus grands spécialistes de T Coronae Borealis. « C’est bref, la luminosité maximale ne durera que quelques heures et elle commencera à faiblir vite. [Le phénomène] ne sera plus visible à l’œil nu après une semaine à peine. »

« Si vous êtes juste Monsieur ou Madame Tout-le-monde qui sort observer le ciel pour la voir, armé de rien d’autre que de vos simples yeux, vous n’avez qu’une ou deux nuits pour le faire », prévient-t-il.

Quand elle entrera effectivement en éruption, elle sera surveillée de près. L’équipe de Sumner Starrfield a réservé des créneaux sur le télescope spatial James-Webb (JWST) afin d’observer l’éruption et de déterminer exactement quelle quantité de masse est éjectée dans l’espace au cours du processus.

Mais certaines des observations les plus importantes de ce phénomène rare seront le fait d’un réseau d’astronomes amateurs qui utiliseront le télescope de leur jardin. Des membres de l’Association américaine des observateurs d’étoiles variables (AAVSO) et le site The Astronomer’s Telegram scrutent T CrB depuis un moment déjà. Au cours des années qui viennent de s’écouler, on a téléversé sur une plateforme centralisée un nouveau point de données toutes les dix minutes en moyenne, ce qui génère un flux constant de mises à jour sur la luminosité du système. Il ne fait aucun doute que l’un de ces amateurs s’arrogera le titre de premier à avoir aperçu l’éruption qui vient.

« La raison pour laquelle beaucoup de personnes l’observent est que les gens aiment ce qui fait boom », commente Brian Kloppenberg, directeur exécutif de l’AAVSO. Beaucoup d’astronomes amateurs ont une envie forte d’être la personne qui découvre quelque chose ou qui aperçoit une première manifestation. »

Mais Bradley Schaefer a son propre plan en place pour le moment où il recevra la nouvelle ; et il est bien déterminé à ne pas manquer l’événement. Non sans ironie, Leslie Peltier, l’astronome qui avait prédit l’éruption de 1946 avait manqué ce phénomène grandiose à cause d’un rhume inopportun. Au moment de l’éruption, T CrB devrait briller aussi intensément que l’Étoile polaire, point le plus brillant de la Petite Ourse.

« À n’en pas douter, je vais me ruer dehors dès qu’il fera nuit et que le ciel sera dégagé, car je souhaite que mes observations contribuent à la courbe de lumière, se réjouit d’ores et déjà Bradley Schaefer. Quand vous entendrez dire que T CrB se lève, vous n’aurez pas besoin de télescope, tout ce que vous avez à faire, c’est de sortir par une nuit claire et sans nuages et de lever les yeux au ciel. »

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

Ces restes humains révèlent un bouleversement politique majeur dans une cité maya

La mystérieuse découverte de restes humains brûlés et de milliers d’ornements précieux, qui auraient appartenu à des dirigeants royaux d’une cité maya, pourrait constituer une preuve archéologique rare et directe d’un changement de régime politique vieux de plus d’un millénaire, selon une nouvelle étude publiée dans la revue Antiquity.

L’étrange dépôt, mis au jour sur le site archéologique d’Ucanal, au Guatemala, autrefois connu sous le nom de K’anwitznal, suggère que la cité fut le théâtre, au début du 9e siècle de notre ère, d’une cérémonie publique au cours de laquelle la tombe de précédents souverains fut profanée, leurs cadavres brûlés et leurs restes déposés dans le remblai de construction d’une pyramide en cours d’agrandissement.

Cet événement coïncide avec l’avènement d’un nouveau souverain de K’anwitznal, Papmalil, qui semble avoir joui d’un règne prospère à une période à laquelle de nombreux autres royaumes du monde maya connaissaient un déclin important.

Cet effondrement maya ne fut toutefois pas total, révèle Christina Halperin, archéologue à l’Université de Montréal et directrice du projet archéologique d’Ucanal, qui étudie les ruines depuis dix ans.

« Un certain nombre de dynasties politiques [mayas] s’effondrèrent, mais pas toutes. Tandis que des bouleversements avaient lieu dans certaines régions et que certains sites étaient abandonnés, d’autres perdurèrent, voire connurent une période de prospérité par la suite. Ce fut le cas d’Ucanal. »

 

UN ACTE DE DESTRUCTION

La nouvelle étude, rédigée par Halperin et ses collègues, décrit la découverte de restes humains brûlés et de fragments d’ornements précieux, notamment un masque de jade similaire à ceux qui étaient habituellement placés dans les tombes royales mayas, au milieu des ruines de ce qui était autrefois un temple pyramidal à K’anwitznal.

Le site n’est aujourd’hui qu’un terrain plat, mais le dépôt a été découvert sous des blocs de calcaire enterrés qui furent utilisés pour la construction d’un niveau supérieur dans la pyramide qui, à l’époque, devait mesurer plus de 45 mètres de haut.

Contrairement aux dépôts rituels mayas retrouvés habituellement dans les restes de construction de pyramides, celui-ci ne semble pas avoir été laissé là par respect pour les défunts.

« Il ne fut ni placé dans une urne, ni déposé avec soin, et il fut endommagé par des blocs de pierre qui furent jetés par-dessus », explique Halperin. « Selon notre interprétation, il s’agit là d’un acte de destruction… tout semble indiquer que ce n’était en aucun cas révérencieux. »

 

MARQUER LA FIN D’UN RÉGIME

Le dépôt contenait les restes de quatre corps qui, selon les chercheurs, pourraient avoir appartenu aux membres d’une famille royale, tous enterrés dans la même tombe au cours d’au moins un siècle. Ont également été retrouvés plus de 1 500 fragments de pendentifs en jade, de plaques, de mosaïques et de morceaux d’obsidienne, ainsi que plus de 10 000 perles brûlées faites de coquillages marins, un trésor extraordinaire typique des joyaux qui étaient enterrés avec la royauté maya, explique Halperin. À ce jour, les équipes de recherche n’ont pas encore retrouvé la tombe originale dans laquelle les corps étaient enterrés avant d’être exhumés et déplacés.

Les preuves suggèrent que cette découverte est le fruit d’un « rite d’entrée de feu », ou och-i k'ak' t-u-muk-il en langue maya classique, ce qui signifie « le feu est entré dans sa tombe ». Selon Halperin, ces rites étaient communs dans le monde des Mayas, et étaient probablement dérivés de leur utilisation rituelle des flammes et de la fumée. « C’est comparable à la combustion d’encens », illustre l’archéologue. « Brûler est une manière de se transformer et d’atteindre le royaume surnaturel. C’est une sorte de procédé de purification. »

Certains de ces rites d’entrée de feu visaient à vénérer les morts, voire à consolider l’avènement d’un nouveau règne en l’associant à celui d’anciens souverains inhumés. Dans ce cas, le rite de K’anwitznal semble cependant avoir constitué un acte de profanation visant à déshonorer les anciens souverains et à célébrer le passage à un nouveau régime politique.

L’état des fragments d’os humains indique que certaines parties du feu dépassaient les 800 °C, ce qui suggère que le feu utilisé pour la crémation était très imposant et très public. En outre, des découvertes archéologiques ont révélé que d’autres sites mayas semblent avoir été le lieu d’actes de crémation similaires à la même époque ; selon Halperin, un tel événement « n’aurait donc pas été exceptionnel » pour les Mayas.

Comme l’indique l’emplacement des restes, vulgairement déposés au milieu du remblai de construction d’un bâtiment, la cérémonie avait probablement pour objectif de souligner la fin d’un régime et de célébrer l’avènement d’un nouveau. Il s’agit ainsi d’un rare exemple de traces visibles d’un changement de régime politique dans des vestiges archéologiques, selon la chercheuse.

 

L’AVÈNEMENT D’UN NOUVEAU SOUVERAIN

Malgré ce changement de régime spectaculaire et le chaos qui régna dans le monde maya du 9e siècle, Papmalil semble avoir été un souverain plutôt bienveillant. À la suite de son règne, de nombreux bâtiments publics furent rénovés et de nouveaux projets de construction, notamment de nouvelles maisons, d’un système de canaux et d’un immense terrain de jeu de balle, furent entrepris à K’anwitznal.

Papmalil ne régna pas en tant que roi maya, mais en tant que ochk'in kaloomte', un titre de chef militaire ou de membre de la noblesse. Le souverain parvint à établir de nouvelles alliances au sein du contexte politique en pleine évolution que connaissaient alors les cités mayas des Basses-Terres du sud, une région qui s’étendait sur ce qui est aujourd’hui le Belize et le nord du Guatemala. Les différentes représentations de Papmalil le montrent en train d’échanger des cadeaux avec les dirigeants d’États voisins, non pas en position de dominance comme c’était souvent le cas à l'époque, mais assis ou debout à côté de ces derniers.

« C’est un grand changement, car les souverains mayas étaient principalement représentés en hauteur, et avec une carrure bien plus imposante que celle de leurs interlocuteurs », explique Halperin. De son côté, Papmalil semble avoir traité les autres souverains comme ses égaux : « Dans un certain nombre d’images, il apparaît à la même taille et la même échelle… et ce type de représentation commence au 9e siècle et se poursuit », note-t-elle.

Pour Stephen Houston, anthropologue à l’Université Brown et spécialiste des Mayas, qui n’était pas impliqué dans cette étude, il est clair que ce mystérieux dépôt est en effet lié à la royauté.

« Cet article montre de quelle manière nous devrions interpréter les vestiges inhabituels », commente-t-il, en référence au lien établi par les chercheurs entre le dépôt retrouvé et la pratique de « l’entrée de feu » décrite par les Mayas et avec l’ascension d’un personnage glorifié, Papmalil, dans les archives historiques.

Thomas Garrison, archéologue à l’Université du Texas à Austin et explorateur National Geographic, qui n'a pas non plus pris part à ladite étude, ajoute lui aussi que la découverte du dépôt à Ucanal est remarquable.

« Le fait de reconnaître un tel dépôt mélangé à l’environnement complexe qu’est le remblai d’un bâtiment, plutôt que dans une sépulture formelle, constitue déjà une prouesse technique. Je pense que la théorie qu’ils proposent, selon laquelle celui-ci serait lié à ce changement spécifique de régime, est également très cohérente. »

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

Découverte d’un ichthyosaure géant de 25 mètres de long

Les premiers géants des mers de notre planète étaient des reptiles. Au Trias, il y a plus de 201 millions d’années, les ichthyosaures parcouraient les mers. Prédateurs hors pair, ils étaient les orques de leur époque. Aujourd’hui, des paléontologues ont identifié ce qui pourrait être le plus grand ichthyosaure jamais découvert : Ichthyotitan severensis, dont la longueur est estimée à près de 25 mètres, était un ichthyosaure absolument gigantesque.

Tout a commencé par la découverte d’un étrange fossile il y a plusieurs années. En 2018, le paléontologue Dean Lomax de l’université de Bristol et son équipe ont décrit un morceau d’os d’ichthyosaure découvert au Royaume-Uni ; il était tellement grand qu'il avait d'abord été pris pour un os de dinosaure. 

« Lorsque nous avons décrit le premier spécimen, j’espérais que d'autres allaient être découverts », explique Lomax. Son vœu a été exaucé. En 2020, Ruby et Justin Reynolds, deux passionnés de fossiles, ont trouvé un deuxième morceau de mâchoire d’ichthyosaure dans le Somerset, en Angleterre. Ils ont alors commencé à se documenter pour essayer de comprendre ce qu’ils avaient trouvé. Ce faisant, ils sont tombés sur l’article de 2018 de Lomax et, soupçonnant un lien entre leur fossile et celui de Lomax, ils ont alors contacté le chercheur. 

Mieux conservé que le premier spécimen, le second morceau de mâchoire a permis à Lomax et à son équipe de confirmer que les deux grands os appartenaient à la même espèce géante.

Depuis, Lomax et ses collègues ont décrit les fossiles dans un nouvel article publié mercredi dans la revue PLOS ONE. Le nom de la créature, Ichthyotitan severensis, fait à la fois référence à sa grande taille et à l’estuaire de la rivière Severn, où le second fragment de mâchoire a été découvert.

 

DES MÂCHOIRES GÉANTES

Les scientifiques auront besoin d’autres fossiles pour déterminer exactement ce qui différenciait Ichthyotitan des autres ichtyosaures. En attendant, la nouvelle espèce offre une nouvelle image de la vie à une époque et dans une région du monde où l’on n’avait jusqu’ici jamais découvert de tels géants.

« Le nouveau fossile date de la toute dernière partie de la période triasique, connue pour être une boîte noire pour les fossiles d’ichthyosaures », déclare Neil Kelley, paléontologue à l’université Vanderbilt, qui n’a pas participé à la nouvelle étude. Tous les autres ichthyosaures géants découverts auparavant ont été retrouvés dans des roches plus anciennes en Amérique du Nord et en Asie, ce qui augmente la probabilité qu’Ichthyotitan soit une toute nouvelle espèce.

Même s’il ne fait aucun doute que l’animal était de taille gigantesque à en croire les os de sa mâchoire longs de deux mètres, les paléontologues appellent à la prudence quant aux dimensions exactes d’Ichthyotitan. À ce jour, on ne dispose que de deux os du reptile : des os appelés « surangulaires » qui forment une partie de la mâchoire inférieure. Si Ichthyotitan avait des proportions similaires à celles d’autres ichthyosaures géants découverts ailleurs dans le monde comme Shonisaurus, découvert dans le sud-ouest des États-Unis, l’animal aurait dépassé les 25 mètres de long et aurait été d’une taille comparable à celle d’un rorqual commun.

Il peut paraître étrange qu’un animal aussi grand ne laisse derrière lui que des restes aussi dérisoires, mais il est difficile de découvrir des fossiles complets d’ichthyosaures géants. « Cela pourrait être dû à leur écologie et à l’endroit où ils vivaient en haute mer », explique Lomax, en fonction de quoi le corps de ces créatures pourrait avoir été exposé plus longtemps aux charognards. On trouve même sur l’une des mâchoires d'Ichtyotitan de petites traces de morsures antérieures à son ensevelissement.

Avec un peu de chance, de nouvelles découvertes nous donneront un jour une image complète d’Ichthyotitan. Ses dimensions exactes seront peut-être amenées à changer, mais il ne fait aucun doute que cet ichthyosaure faisait partie d’une longue lignée de géants. Il est de plus en plus évident que les ichthyosaures ont évolué vers des espèces géantes environ huit millions d’années après leur apparition au Trias. Nombre d’entre eux étaient des prédateurs monstrueux qui chassaient d’autres reptiles marins et toute autre proie plus petite qu’eux, un peu à la manière de nos orques actuelles.

 

UN GRAND APPÉTIT

Des reptiles d’une telle taille devaient avoir besoin d’une grande quantité de nourriture. L’existence de plusieurs ichthyosaures géants sur des dizaines de millions d’années donne des indications sur la nature des océans à l'époque du Trias.

« Leurs tailles gigantesques suggèrent qu’ils ont dû survivre tout au long du Trias grâce à des réseaux alimentaires productifs », déclare Lomax. De nouvelles formes de plancton ont émergé au cours du Trias. Étant donné que le plancton est à la base des réseaux alimentaires océaniques, son évolution pourrait avoir favorisé le développement d'écosystèmes capables de soutenir des espèces géantes, explique Kelly. Les deux chercheurs soulignent que des recherches supplémentaires seront nécessaires pour comprendre pourquoi les ichthyosaures ont évolué à plusieurs reprises pour atteindre des tailles gigantesques.

Aucun de ces géants n’a cependant survécu au Trias. Certains ichthyosaures ultérieurs du Jurassique étaient grands, certains atteignant plus de 9 mètres de long, mais aucun n’était aussi imposant que leurs prédécesseurs du Trias. Ichthyotitan était non seulement l’une des plus grandes mais aussi l’une des dernières espèces géantes du monde, jusqu’à l’extinction massive et dévastatrice ayant marqué la fin du Trias il y a 201 millions d’années. 

En fin de compte, cette découverte indique que les ichthyosaures n’étaient pas en déclin avant cette grande d’extinction, note Kelley, mais qu’ils étaient au contraire en plein essor.

L’extinction de la fin du Trias constitue l’une des cinq grandes extinctions de masse que les paléontologues ont identifiées dans les archives fossiles. D’incroyables épanchements volcaniques ont modifié le climat mondial, la chimie des mers, entre autres choses. Et si le groupe des ichthyosaures a survécu, les spécimens géants ont eux disparu. « Ces énormes ichthyosaures ont régné sur les mers jusqu’à la grande extinction du Trias-Jurassique », explique Lomax. L’océan n’a ensuite pas connu de créatures marines de cette taille jusqu’à l'apparition des grandes baleines, plus de 150 millions d’années plus tard. 

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

Les techniques de défense les plus insolites chez les insectes

Pour résister aux prédateurs, la nature a parfois des idées originales. Si moult agresseurs arrivent à détourner les techniques de défenses de leurs proies, certaines d’entre elles sont tellement surprenantes qu’elles s’avèrent redoutablement efficaces. 

Loin des stratégies d’évitement comme le mimétisme ou le camouflage, ces méthodes de défense sont souvent très agressives et laissent peu de chance au prédateur d’arriver à ses fins.

 

L’ATTAQUE À L’ACIDE DU COLÉOPTÈRE BOMBARDIER

Le coléoptère bombardier (pheropsophus jessoensis) de la famille des carabidés, déploie une méthode plutôt brutale. Celui-ci a la capacité de projeter un spray chimique chaud et nocif lorsqu’il est dérangé, généralement par des fourmis. Le spray est produit à partir d'une réaction entre plusieurs composés chimiques, l’hypergolique, l'hydroquinone et le peroxyde d'hydrogène. Ils sont stockés dans deux réservoirs situés dans l’abdomen du coléoptère. La chaleur de cette réaction amène le mélange près du point d’ébullition de l’eau et produit du gaz qui entraîne une éjection. Celle-ci avoisine les cent degrés, et est projetée à plus de dix mètres par seconde. Les dégâts provoqués peuvent être mortels pour les assaillants. 

L’attaque chimique du coléoptère bombardier est également très efficace dans des situations beaucoup plus périlleuses. Avalé par le crapaud Bufo japonicus, il peut projeter le liquide dans l'estomac de son prédateur, comme l’ont étudié des chercheurs de l'université de Kobe au Japon. L'insecte est régurgité dans 43 % des cas par le crapaud, qui peut s'en sortir sans dommages plus d'une heure après l'ingestion. 

 

LE REJET PAR MOUVEMENTS SYNCHRONISÉS

Certains insectes utilisent la force collective pour se défendre. C’est par exemple le cas des abeilles géantes (Apis Dorsata Binghami) qui vivent dans le sous-continent indien et que l’on trouve aussi en Chine et en Australie. Guy Theraulaz, Chercheur au CNRS au Centre de recherches sur la cognition animale, explique que « contrairement aux abeilles que l’on trouve en Europe, ces abeilles géantes construisent leurs nids principalement à l'air libre, dans des endroits très éloignés du sol, sur les branches d’arbres les plus hautes ou sous les surplombs des falaises. Et chaque colonie se compose d'un seul rayon vertical très grand, dont la surface peut parfois atteindre un mètre carré, et l’ensemble du rayon est généralement recouvert par une masse très dense d'abeilles sur plusieurs couches. »

Ces abeilles, en cas d’attaque de frelons, ont développé une technique de défense collective que l’on nomme « scintillement » ou encore « ondulation de défense ». « Lorsqu’elles détectent l’approche d’un frelon, les abeilles de la couche externe ramènent brusquement leur abdomen vers le haut et elles le secouent de manière synchronisée », explique Guy Theraulaz. Ce comportement « se propage ensuite aux ouvrières les plus proches qui adoptent également la même posture, ce qui crée une onde à la fois visuelle et sonore sur la surface du rayon, qui ressemble un peu au mouvement d’une ola comme on peut parfois les observer dans des stades. » Plus le frelon s’approche du nid, et plus les mouvements synchronisés deviennent importants et fréquents. Cela fait généralement fuir le prédateur. 

Certaines larves de tenthrèdes (Allantus cinctus et Endelomyia aethios), souvent appelées « fausses chenilles » car elles ne donnent pas de papillons et qu’elles appartiennent à la même famille que les guêpes (Hyménoptère), utilisent un mécanisme de défense similaire aux abeilles géantes. Vivant en colonies, elles se rassemblent généralement par douzaines sur une même branche ou sur le bord d'une même feuille. Lorsqu’elles se sentent menacées, elles effectuent des mouvements défensifs avec le ventre et produisent des vibrations. 

« Les larves peuvent également gratter la surface de la feuille sur laquelle elles se trouvent grâce à des protubérances situées sur leur segment caudal ce qui produit un son stridulatoire. Ces sons peuvent également maintenir la cohésion du groupe de larves et l’aider à découvrir des feuilles fraîches », décrit Guy Theraulaz. Du fait de leur grégarité, « les secousses d'un seul individu peuvent être imitées par d’autres, conduisant à des "vagues" de secousses au sein du groupe et des mouvements synchronisés. » La synchronisation est donc liée à des informations à la fois visuelles et acoustiques, conclut l’expert.

 

UNE DÉFENSE EXPLOSIVE

Dans certains cas, l’issue est sans appel pour l’insecte attaqué. Il doit alors, dans un ultime râle, se sacrifier pour le groupe en explosant ! C’est le cas de Camponotus saundersi, une espèce de fourmi que l’on trouve en Malaisie et au Brunei, dans la canopée de la forêt tropicale. Certaines ouvrières se donnent la mort en explosant, principalement pour se défendre lors de combats territoriaux contre d'autres espèces de fourmis, comme les fourmis tisserandes Oecophylla smaragdina, mais également pour éviter d'être dévorée par ces mêmes fourmis ou araignées.

Pour entreprendre cette attaque suicide, la fourmi possède deux glandes mandibulaires surdimensionnées et remplies de poison qui s'étendent sur tout son corps. Quand la bataille tourne mal, l’ouvrière contracte vigoureusement ses muscles abdominaux afin de rompre son abdomen au pli intersegmentaire et de briser les glandes mandibulaires. Elle émet ainsi une sécrétion collante dans toutes les directions, à partir de la partie antérieure de sa tête. Cette colle, corrosive et agissant comme un irritant chimique, a la capacité d'empêcher et de bloquer tous les assaillants qui se trouvent à proximité.

Nous avons remplacé les bains par des douches... mais est-ce meilleur pour notre santé ?

Pour la plupart d'entre nous, prendre une douche rythme nos journées. D'après une étude menée par l'Ifop en 2022, 76 % des Français prendraient une douche au moins une fois par jour, d'une durée moyenne de 9 minutes, selon un sondage réalisé par BVA-Doméo

Si elles semblent si ancrées dans les usages actuels, les douches restent une pratique relativement nouvelle. Les plus anciennes mentions de bains publics remontent à 3 000 avant notre ère, et ceux-ci semblaient jouer un rôle central dans la vie quotidienne. Des bains publics de la Grèce antique aux onsen japonais, toutes les classes sociales se réunissaient pour y faire de l'exercice, se baigner et socialiser. 

Aujourd'hui, on préfère de loin prendre des douches seul plutôt que socialiser dans les bains publics ; la priorité est donnée à l'efficacité plutôt qu'à la communication et à la détente. Si la douche est indiscutablement plus écologique et rapide que le bain, elle n'est pas nécessairement préférable du point de vue de notre santé.

 

UNE PRATIQUE MILLÉNAIRE

Les différentes manières de prendre des bains tout au long de l'histoire reflètent l'évolution des préconçus en matière d'hygiène et de santé. 

Dans les temps anciens, particulièrement sous l'Empire Romain, prendre un bain était une affaire publique. Seuls les plus fortunés disposaient de leurs propres bains privés, quand tous les autres prenaient part aux bains publics. On prenait le bain dans d'immenses établissements thermaux où l'on pouvait se faire masser, et dans lesquels on avait accès à des bibliothèques, de la nourriture et des boissons. 

« Il existe beaucoup d'illustrations artistiques qui montrent entre autres des fêtes qui se tenaient dans les bains publics et donnent à voir les personnes qui y dînaient », déclare Virginia Smith, historienne et autrice de Clean: A History of Personal Hygiene and Purity. (ndlr : Propre : Une histoire de l'hygiène et de la pureté). 

Pour les Grecs anciens, prendre un bain revenait à se purifier, un acte d'importance avant d'observer des rites religieux ou avant d'accueillir des hôtes, révèle Katherine Ashenburg, autrice d'un livre sur le sujet. Les établissements thermaux traditionnels japonais avaient des visées thérapeutiques et rituelles et, plus tard, sont devenus des lieux de rassemblement social. Les banias russes et les hammams turcs étaient également des endroits importants pour les activités sociales et religieuses.

« Dans l'esprit des gens, prendre un bain n'était pas toujours associé à la propreté », explique Katherine Ashenbrug. « Parfois, on pensait que le fait d'aller dans l'eau non seulement n'apportait rien en termes de propreté, mais était en fait dangereux pour la santé. »

Lorsque la peste noire s'abattit sur l'Europe médiévale, par exemple, les bains publics furent fermés car l'on était persuadé que l'ouverture des pores induite par l'eau chaude permettait à la peste de se frayer un chemin sous la peau.

Bien que cette croyance soit infondée, la problématique de l'hygiène dans les bains publics se posait, selon James Hamblin, physicien et maître de conférence à l'Université de Yale, et auteur d'un livre sur les connaissances scientifiques en termes de propreté et de routine beauté. « Certains récits concernant des bains anciens [...] décrivent des couches de boue à la surface de l'eau », dit-il. « Le cas échéant, vous vous exposiez à des agents pathogènes. » 

 

LA NOUVELLE ÈRE DES BAINS

Les grands bains publics tombèrent en désuétude, pour peu à peu disparaître au tournant du 20e siècle, du moins en Occident. La théorie microbienne précipita la fin des bains publics : « prendre un bain est devenu fortement associé à la propreté », explique James Hamblin. 

À partir de la moitié des années 1800, des villes du Royaume-Uni entamèrent la construction de bains publics et d'établissements thermaux, principalement destinés aux populations les plus pauvres. De la même manière, des politiques publiques furent mises en œuvre aux États-Unis, notamment à New York où l'eau courante était encore inaccessible au plus grand nombre, alors même que plusieurs vagues d'immigrés y avaient trouvé refuge. Avec le développement des « bains de pluie », premières douches utilisées d'abord par les militaires et les ouvriers européens, arriva une nouvelle vision de la santé publique et de l'hygiène.

Le temps des bains longs, luxueux et publics était révolu. Parce qu'il était peu coûteux, prenait peu de place, faisait faire des économies en eau et en chauffage, le bain de pluie gagna en popularité. Alors que l'on commençait à installer de la plomberie à l'intérieur des maisons, les baignoires et les douches personnelles furent de plus en plus communes et, à terme, devinrent la norme. 

Naomi Adiv, professeure adjointe en sciences politiques à l'université de Toronto Mississauga, attribue en grande partie cette évolution à la « montée du capitalisme industriel » en Amérique. « L'idée d'aller passer l'après-midi aux bains n'est pas compatible avec l'objectif de productivité des travailleurs. »

Il existe encore des bains publics dans le monde entier, notamment en Turquie, en Russie et au Japon. Mais nos rituels de nettoyage quotidiens ont été largement relégués aux bains individuels et aux cabines de douche, et ce ne serait pas nécessairement une bonne chose.

« Nous avons perdu l'aspect social du bain et, pour beaucoup d'entre nous, le sentiment de plaisir qu'il procure », estime James Hamblin.

 

FAUT-IL PRENDRE DES BAINS OU DES DOUCHES ?

D'un point de vue sanitaire, peu de recherches comparent les bienfaits du bain et de la douche. Avec une source d'eau propre, les deux sont efficaces pour l'hygiène personnelle, d'après Kelly Reynolds, professeure en Communauté, environnement et politique à l'Université d'Arizona, pour qui cela « semble vraiment être une question de choix personnel. » 

Pour celles et ceux qui s'inquiétaient de se baigner dans de l'eau rendu insalubre par notre propre saleté, Amy Huang, une dermatologue basée à Manhattan souligne qu'« à moins d'être vraiment très sale... il ne devrait y avoir aucun risque [à prendre un bain]. »

D'après James Hamblin, à l'instar du microbiote intestinal, le microbiome cutané contient des milliers d'espèces de microbes qui vivent sur la peau et contribuent à sa santé. Les bains comme les douches peuvent temporairement retirer ce microbiome ou endommager notre peau si l'eau est trop chaude, si l'on utilise trop de savon, ou si l'on frotte trop vigoureusement.

« L'idéal serait de prendre un savon doux... sans parfum, sans colorant, et de préférence qui ne mousse pas », recommande Amy Huang. « Vous n'avez même pas besoin de frotter partout. Concentrez-vous sur les aisselles, les parties génitales, les pieds et le cuir chevelu si vous vous lavez les cheveux », ajoute-t-elle. Katrina Abuabara, professeure adjointe en dermatologie à l'UCSF, ajoute qu'« utiliser des courges éponges ou des gants de toilette peut endommager la couche la plus externe de l'épiderme. Se laver avec ses mains est suffisant. »

Pour les personnes atteintes d'eczema ou d'autres maladies de peau, les bains peuvent constituer un élément efficace de leur schéma thérapeutique. « Le fait de rester plus longtemps dans les bains que sous la douche rend la peau plus douce, de sorte que lorsque vous appliquez une lotion... elle l'absorbe mieux », explique Huang. 

Prendre un bain chaud peut aussi améliorer votre forme physique et mentale, selon Justine Grosso, psychologue du corps et de l'esprit à New York et en Caroline du Nord. « Il a été démontré que plonger dans un bain, plus que de se doucheraméliore l'humeur chez les personnes atteintes de dépression, améliore la qualité du sommeil pour celles atteintes d'insomnie et a un effet positif sur le système cardiovasculaire », souligne-t-elle.

La façon dont les bains chauds agissent sur le corps fait encore l'objet d'études. « Il existe des signes qui montrent que ça fonctionne par vasodilatation. L'augmentation des vaisseaux sanguins permet le passage de plus d'oxygène et de nutriments dans la périphérie du corps », ajoute Justine Grosso.

« C'est une question de chaleur », explique Ashley Mason, psychologue clinicienne à l'UCSF Osher Center for Integrative Health. Des études préalables suggèrent que s'immerger dans un sauna, un hammam, un jaccuzi et dans une douche ou un bain chaud au moins une fois par jour peut être bénéfique. 

De manière générale, lorsqu'il s'agit de se laver, James Hamblin affirme qu'il vaut mieux en faire moins. Le secteur de l'hygiène a « médicalisé » une pratique qui n'a pas grand-chose à voir avec la prévention des maladies, d'après lui. Sans remettre en question la nécessité de l'usage du savon pour la santé publique, il accuse le marketing moderne de manipuler les consommateurs en leur faisant croire à l'importance d'un rituel quotidien en utilisant des produits coûteux. 

Il ajoute que, d'un point de vue médical, les bains publics n'ont jamais eu pour visée la bonne santé de ses utilisateurs. Cependant, « en termes de connexion sociale et de détente, je ne doute pas de l'existence de certains effets. »

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

La thériaque : ce remède antique vient d’être recréé en laboratoire

Pendant près de 2 000 ans, les habitants du Proche-Orient et de l’Europe confièrent leur sort à un remède miracle pour se protéger des poisons, des pestes et d’une multitude d’autres maux. Ce remède universel magique était connu sous le nom de thériaque : une substance noire et collante confectionnée à partir de dizaines d’ingrédients, dont du poivre noir, du pain, de l’opium et de la chair de vipère.

Avec l’avènement de la médecine moderne, la thériaque tomba en désuétude, mais une équipe de chercheurs polonais est parvenue à recréer de la thériaque à partir d’une recette d’apothicaire datant du 17e siècle afin d’étudier les propriétés miraculeuses qu’on prêtait autrefois à ce remède.

 

UN REMÈDE ANCIEN

Au 17e siècle, en Pologne, la thériaque a connu un succès prodigieux. Mais sa popularité et sa portée ne se limitèrent pas à l’Europe de l’Est, et l’idée d’un « antidote universel » remonte à l’Antiquité. Si l’on se fie à des sources antiques telles que Galien et Pline, des variantes de la thériaque furent utilisées dès le 2e siècle avant notre ère au moins, et leur popularité gagna vite les cercles élitaires.

Au banquet des plus célèbres expérimentateurs de panacées, Mithridate IV, empereur anatolien et opposant de marque à l’Empire romain qui régna de 120 à 63 avant notre ère, est assis en bonne place. En effet, ce dernier était obsédé par les poisons et par leurs antidotes.

« À l’époque, on appelait l’arsenic la poudre de succession », révèle Adrienne Mayor, chercheuse universitaire du département d’étude classiques de l’Université Stanford n’ayant pas pris part à l’étude dont il est question dans cet article. Dans la biographie qu’elle consacre à Mithridate, elle retrace la quête onéreuse d’un moyen d’échapper à l’empoisonnement déclenchée par cette obsession, une quête qui mena à l’élaboration d’une recette de thériaque durable.

Hanté par l’éventualité d’un empoisonnement et conseillé par des experts médicaux venus des quatre coins du monde connu, Mithridate se voua tout entier à l’étude de la capacité du corps humain à s’immuniser contre certains poisons lorsqu’on l’expose à de faibles quantités de toxines sur de longues périodes de temps, un phénomène que la médecine moderne appelle aujourd’hui mithridatisation.

« Tout est affaire de dosage », explique Adrienne Mayor. En effet, la dose quotidienne de thériaque imprégnée de poison absorbée par Mithridate semble avoir eu l’effet escompté : il se suicida à l’âge de 70 ans après avoir empoisonné ses filles et après avoir échoué à s’empoisonner lui-même. Bien que la recette qu’il employa ait été perdue, il semble qu’elle ait été transmise à d’autres nobles dont les médecins concoctèrent à leur tour de la thériaque et s’en servirent à des fins d’expérimentation. Bien que leurs recettes aient pu varier, et qu’ils aient essayé d’y ajouter une pléthore d’ingrédients coûteux, la composition élémentaire de la thériaque comprenait généralement du miel, des épices (cannelle et cardamome), et un chapelet d’herbes, d’écorces, d’huiles, et même du bois. À un moment donné après la mort de Mithridate, on ôta le poison de la longue liste des ingrédients de la thériaque.

Cela n’empêcha pas la thériaque de devenir un incontournable pour des monarques paranoïaques comme Néron, dont le médecin remplaça le venin de serpent de Mithridate par de la chair de vipère, ou encore Élisabeth Ire. Comme l’observe Adrienne Mayor, l’opium, qui devint plus tard indispensable dans ces mixtures, « garantissait en fait l’adhésion du patient ».

 

UN ANTIDOTE DE TOUS LES JOURS

La thériaque dut en partie son charme à ses racines royales et, quoique coûteuse, devint un remède accessible à la quasi-totalité des roturiers. Comme l’explique Jakub Węglorz, maître de conférences en Histoire à l’Université de Wrocław, un plébéien polonais du 17e siècle pouvait, pour le prix d’un poulet, se procurer un peu de cette substance auprès d’un apothicaire agréé et suffisamment formé pour en dispenser.

Selon cet universitaire spécialiste de l’histoire de la médecine et du début de l’ère moderne qui souhaitait savoir s’il était possible de fabriquer le type de thériaque vendu en Pologne voilà des siècles, il ne suffit pas d’avoir lu des manuels médicaux concernant cette préparation. Grâce à une bourse du Centre national des sciences de Pologne, il s’est associé à un autre historien ainsi qu’à deux pharmaciens pour tenter de recréer une thériaque vieille de 400 ans. C’était la première fois que des chercheurs contemporains ayant un bagage pharmaceutique tentaient de fabriquer de la thériaque, mais aussi la première reconstitution exhaustive et la première analyse complète du remède.

Pour cela, il se sont appuyés sur une recette de 1630 de Paul Guldenius, apothicaire de la ville qui devint l’actuelle Toruń, en Pologne. Ce dernier faisait partie d’un cercle restreint d’apothicaires autorisés à produire et à vendre de la thériaque, et comme ses collègues, il préparait son mélange en public avec « beaucoup de faste et de cérémonie », selon les chercheurs.

La fabrication de thériaque en public était une façon de garantir une transparence totale quant à ce qui entrait dans la composition du produit. C’était également un moyen de faire sa publicité auprès d’un public curieux. « Ils exposaient tous ces ingrédients précieux et chers » lors de leurs préparations publiques, commente Adrienne Mayor.

Rédigée en latin, la recette de Paul Guldenius répertorie les noms et les quantités de soixante-et-un ingrédients. Jakub Węglorz et son équipe se sont efforcés de décoder les noms latins et courants des composés utilisés en recoupant sa recette avec des livres contemporains et avec d’autres textes comme des journaux et des lettres.

Fort heureusement, Paul Guldenius était un rédacteur de recette scrupuleux : il a inclus le poids exact des ingrédients à ajouter. Cardamome, quatre-épices, bois, vin moelleux et pain de blé entraient dans la composition de la potion. Mais sa thériaque n’était pas qu’un fourre-tout. S’y trouvaient deux ingrédients essentiels à son efficacité et à son prestige : l’opium et la chair de vipère. L’opium avait un effet analgésique, tandis que la chair de vipère conférait, pensait-on, une immunité contre les morsures de serpents et avait censément un effet « asséchant » sur le corps. Selon la théorie des humeurs corporelles, largement acceptée en ce temps, les saveurs épicées et intenses avaient la capacité d’« assécher » les humeurs qui prédisposaient une personne à la maladie ou à l’infirmité.

 

RECRÉER LA THÉRIAQUE

Quatre années ont été nécessaires pour recueillir les ingrédients nécessaires à la recréation du mélange de Paul Guldenius. D’abord, les chercheurs se sont tournés vers des fournisseurs de matériaux bruts de classe pharmaceutique. Mais certaines herbes et épices n’étaient pas disponibles ou n’étaient pas cultivées dans l’Union européenne. Les chercheurs ont donc dû se mettre en quête de la plante elle-même ou d’avoir recours à des sites web spécialisés dans le jardinage pour se procurer des ingrédients.

« Même pour une chose simple, comme du safran ou de la menthe, nous nous procurions la plante nous-mêmes ou nous l’achetions auprès d’un fournisseur certifié, pas dans une épicerie », explique Jakub Węglorz.

Ensuite est venu le problème de la chair de vipère : les membres de l’équipe ne souhaitaient pas tuer des serpents eux-mêmes, et la Pologne n’est pas franchement réputée pour son abondance en reptiles. Mais les vipères vivent dans les régions montagneuses, et Jakub Węglorz a traversé la Pologne en voiture, suivant les conseils de forestiers qui l’alertaient lorsqu’ils découvraient une vipère morte de causes naturelles ou écrasée par un véhicule. Finalement, l’équipe a réuni près de 200 grammes de chair de vipère, qu’ils ont fait sécher avant de l’incorporer à la thériaque.

Il a été encore plus difficile de se procurer de l’opium. Les politiques polonaises de lutte contre le trafic de drogue sont strictes, mais les citoyens peuvent obtenir l’autorisation de cultiver du pavot à opium (Papaver somniferum). L’équipe est à l’heure actuelle encore en train d’essayer de se procurer légalement 100 grammes d’opium, composant pour l’instant exclu de leur préparation.

Après avoir étudié les effets potentiels des ingrédients de la thériaque, dont beaucoup sont connus pour leurs propriétés thérapeutiques, les chercheurs se sont mis au travail dans un laboratoire de l’Université de Wrocław ; ils ont fait bouillir, mélangé, fait sécher et enfin ajouté les composants. Deux jours ont été nécessaires pour que les experts pharmaceutiques combinent les ingrédients et les cuisinent à feu doux. Le résultat, une mélasse collante, aurait à l’époque été réparti dans plusieurs petites pilules que les patients auraient avalées avec de l’eau ou avec du vin, mais les chercheurs font observer que la thériaque était parfois utilisée sur la peau ou sur les yeux. Ils ont réussi à produire quatre kilogrammes de thériaque qu’ils ont ensuite mis de côté pour la laisser s’affiner pendant une année complète.

« Nous ne l’avons pas goûtée, prévient Jakub Węglorz. Mais si nous le faisions, nous pourrions dire que le goût réchauffe. C’est relevé. C’est épicé. Ça a le goût du goudron. » L’incorporation d’herbes et d’épices telles que la cannelle, le centranthe, la lavande et le poivre noir semble conférer à la concoction une sensation de brûlure semblable à celle du whisky, chose qui selon les hypothèses d’autres universitaires, faisait peut-être en partie le charme du remède.

Bien que la thériaque contienne des ingrédients qui ont bel et bien des propriétés pouvant être bénéfiques pour la santé des humains, les chercheurs sont convaincus que l’effet placebo, aidé par les influenceurs royaux qui en prenaient, est en grande partie derrière le pouvoir que l’on prête à la thériaque de combattre le poison et de maintenir une personne en bonne santé. Mais cela ne signifie pas qu’il ne vaut pas la peine d’essayer d’en recréer ; Adrienne Mayor et Jakub Węglorz font observer que la thériaque est un témoin important de l’étendue de la recherche scientifique et de l’utilisation de remèdes populaires à l’Antiquité et après.

Désormais, l’équipe de Jakub Węglorz s’intéresse à des variations de la thériaque qui incorporaient des substances populaires dont l’utilisation a fluctué au fil du temps. Comme nous, les humains du passé étaient sensibles aux modes médicales ; mêmes si celles-ci impliquaient de prendre de l’opium, de la chair de vipère et une substance épicée et noire qui, dit-on, aurait guéri les rois comme les manants.

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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