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L’Espagne reconnaît ses torts : victoire pour Ali Aarrass

Une victoire éclatante : la Cour constitutionnelle espagnole reconnaît que l’Espagne n’a pas protégé Ali Aarrass contre la torture au Maroc et qu’elle doit lui rendre justice et réparation. Le […]

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Le projet de tunnel sous le détroit de Gibraltar : un défi pour l'Afrique du Nord -- Mustapha STAMBOULI

Le projet de tunnel ferroviaire sous-marin de 38 km dont 28 sous la mer entre le Maroc et l'Espagne est remis sur les rails depuis que les relations entre Madrid et Rabat se sont réchauffées. Ce projet offre des avantages économiques, sociaux et de stabilité régionale importants, mais fait face à des défis techniques, environnementaux et politiques. Les tensions entre le Maroc et l'Algérie pourraient limiter l'accès au tunnel, excluant la Tunisie des bénéfices potentiels. La Tunisie doit agir (...)

Nos lecteurs proposent / , ,

L’avenir sombre de l’Europe

par Carlos X. Blanco. Tous les discours qui étaient autrefois l'apanage des sociaux-démocrates ont été mis à la poubelle, et le prestige de mille et une fondations et ONG «pacifistes» a été jeté aux oubliettes.

Le gouvernement Sánchez touché par un scandale de corruption concernant l’achat de masques COVID

En Espagne, le gouvernement de Pédro Sánchez se trouve au cœur  d’un scandale de corruption. Elle concerne les contrats d’achat de masques pendant la pandémie. Mercredi, un haut fonctionnaire a été relevé de ses fonctions.

Le gouvernement espagnol, dirigé par le Parti socialiste et Pedro Sánchez, est secoué par un scandale de corruption lié à l’achat de masques pendant la pandémie de Covid-19. Ce scandale a entraîné la mise à pied d’un haut fonctionnaire du ministère des Transports, qui supervisait l’entité en charge des ports.

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L’Espagne annonce poursuivre son soutien à l’UNRWA

Albares a qualifié l’agence des Nations unies d’«indispensable», affirmant que le financement contribue à «atténuer la terrible situation humanitaire dans la bande de Gaza».

Espagne: le retour du masque suscite la polémique

Face à une présupposée hausse des cas covid et des cas de grippe, le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC) demande aux citoyens du continent qui se sentent malades de rester chez eux. Il recommande aussi le port de masques dans les endroits hautement fréquentés et les établissements de santé. Face à l’évolution de la situation sanitaire en Europe, le gouvernement espagnol compte mettre en vigueur un mandat de port de masque. Alors que l’impact positif de cette mesure durant la crise Covid n’a jamais été démontré, cette nouvelle mesure a déclenché nombreuses réactions négatives.

Face à une présupposée hausse des cas maladies respiratoires, pour limiter la transmission des infections, le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies sonne l’alarme, préconisant le port du masque dans les établissements de santé. L’Europe se débat avec des décisions cruciales sur le port du masque, laissant entrevoir des divergences et des tensions. L’Italie et l’Espagne seraient confrontés à un dilemme entre la protection de la santé publique et la résistance aux mesures restrictives.  Néanmoins, dans le passé, une étude Cochrane, au Royaume-Uni (revue d’articles destinée à l’organisation et au partage de l’information dans la recherche médicale) avait déjà révélé que le port des masques faciaux n’offrait pas une protection contre les infections respiratoires comme le Covid-19.

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La guerre américano-espagnole de 1898 ou l’avènement de l’empire des États-Unis

Peu connue, la guerre américano-espagnole de 1898 marque pourtant le début d’un empire américain sur deux océans qui permet à la jeune république de s’insérer dans le jeu géopolitique du XIXe siècle puis de s’imposer comme puissance hégémonique à la fin du siècle suivant.

D’élection en élection, on observe une croissance des pays dirigés par des non-élus, par Vladimir Smirnov

La souveraineté de l’État dans le monde moderne fait référence à l’indépendance de l’État dans les affaires étrangères, ainsi qu’à la suprématie du pouvoir d’État à l’intérieur du pays. Mais quel est l’avenir de cette idée ? Aux États-Unis, on voit que la démocratie se transforme en fiction, et le nationalisme en est réduit à une compétition entre supporters de football … Nous publions ici un point de vue russe sur la démocratie, d’autant plus intéressant qu’il n’y a pas si longtemps, la Russie était un régime communiste.


Cet article initialement publié sur le site svpressa.ru n’engage pas la ligne éditoriale du Courrier.

Historiquement, en Europe, la souveraineté appartenait aux rois et aux empereurs. On croyait que la terre appartenait au roi et que tous les habitants étaient ses sujets. Ils lui payaient des impôts et lui obéissaient en tout point. Et quiconque pensait le contraire était frappé à la tête. Une forte armée royale, composée de mercenaires, permettait au roi d’appuyer son pouvoir. C’était clair pour tout le monde. Y compris le fait que si un nouveau roi envahissait le royaume et s’emparait des terres, alors il supplantait le roi précédent et c’était désormais à lui qu’il convenait de payer les impôts. Et chacun devait appliquer ses lois à lui.

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Espagne : Pedro Sanchez liquide l’État de droit

« L’amnistie serait inconstitutionnelle, et ce faisant illégale », Pedro Sanchez, président du gouvernement espagnol, 21 juillet 2023 (deux jours avant les élections législatives).

« Contrairement à l’amnistie, qui est clairement inconstitutionnelle, la grâce n’efface pas l’existence du crime commis », Juan Carlos Campo, ministre de la Justice, juin 2021.

« L’amnistie n’est pas reconnue par notre ordre juridique. Toutes les revendications formalisées doivent être compatibles avec la Constitution et la loi », Fernando Grande Marlaska, ministre de l’Intérieur, novembre 2019.

 

Le 16 novembre 2023, le Congrès des députés a investi Pedro Sanchez pour un mandat de quatre années supplémentaires, malgré la défaite socialiste aux élections du 23 juillet. Afin d’attirer les 7 voix des nationalistes catalans de Junts per Catalunya qui lui manquaient pour atteindre la majorité absolue, le socialiste a dû consentir à amnistier les participants aux tentatives de sédition en Catalogne.

 

Un accord qui liquide l’État de droit

Le 9 novembre, l’émissaire socialiste chargé des négociations à Bruxelles avec Carles Puigdemont annonçait que les socialistes et Junts per Catalunya étaient parvenus à un accord scellant l’investiture de Pedro Sanchez.

Cet accord s’est révélé pire que pressenti. Tout d’abord, les condamnés pour des crimes et délits commis au nom de l’indépendantisme catalan entre 2012 et 2023 seront amnistiés. Cela affecterait ainsi près de 400 personnes coupables de crimes et délits variés : sédition, détournement de fonds publics, usurpation de fonctions, etc. Auparavant reconnue comme illégale et inconstitutionnelle par les socialistes, l’amnistie balaie d’un revers de main l’État de droit, brise l’égalité des citoyens face à la justice, met fin au caractère impératif de la loi et désavoue l’action de la justice espagnole.

Les socialistes ont également consenti aux régionalistes catalans l’effacement de 20 % de la dette de la Communauté autonome de Catalogne : 15 000 millions d’euros seront payés par le reste des Communautés autonomes pour financer la désastreuse gestion fiscale des nationalistes.

L’accord prévoit également la supervision du dialogue avec la formation de Carles Puigdemont par un « vérificateur international », qui surveillera la bonne tenue des engagements socialistes. Ainsi, les négociations politiques centrales pour le futur de l’Espagne se dérouleront en dehors du Parlement espagnol, siège de la souveraineté nationale, au profit de réunions informelles en Suisse. Il y a une semaine, on a appris que ce « vérificateur international » serait Francisco Galindo Vélez. Ce responsable politique de la gauche salvadorienne est actuellement en fuite après avoir été condamné à 14 ans de prison par la justice de son pays pour avoir mené des négociations politiques avec les maras, gangs armés coupables de plus de 5000 assassinats en Amérique centrale.

C’est la Fondation Henry Dunant, grassement financée par l’Open Society de Georges Soros, qui a désigné ce médiateur. Cette association était déjà intervenue dans le cadre des négociations entre le Gouvernement socialiste et l’ETA durant les années 2000, qui avaient abouti à la réhabilitation politique de l’organisation terroriste marxiste.

 

L’indépendance de la justice dans le viseur

Désavouée par l’amnistie, la justice espagnole est également attaquée frontalement par l’accord.

En effet, le texte prévoit la création de commissions parlementaires qui permettront d’enquêter sur un prétendu lawfare des juges espagnols. Répandue par la gauche latino-américaine afin de décrédibiliser les juges ayant mis en examen ou jugé des responsables politiques corrompus (Cristina Kirchner, Rafael Correa, Lula da Silva ou encore Dilma Roussef), l’invocation du lawfare permet d’accuser les juges d’exercer leurs fonctions selon des intérêts politiques. En permettant aux nationalistes d’enquêter sur un lawfare en Espagne, les socialistes acceptent la criminalisation de juges indépendants et confirment leur mépris à l’égard de la séparation des pouvoirs.

De telles commissions d’enquête existent déjà au sein du Parlement autonomique catalan, permettant aux élus régionaux d’intimider les magistrats espagnols. Dans le cadre de l’une d’entre elles, la présidence du Parlement catalan a enjoint à deux reprises Pablo Lucas, magistrat du Tribunal suprême espagnol en charge de l’instruction de l’affaire d’espionnage Pegasus, à s’y présenter pour révéler des informations secrètes. Après avoir logiquement refusé l’invitation, le magistrat a été menacé de poursuites pénales pour désobéissance par la vice-présidente du Parlement catalan.

Ces méthodes communisantes de criminalisation de la justice ont été également adoptées par les socialistes.

Le 5 décembre, lors d’une conférence de presse, la porte-parole du gouvernement a ouvertement critiqué l’annulation par le Tribunal suprême de la nomination à la présidence du Conseil d’État d’une apparatchik socialiste, Madgalena Valerio, car celle-ci ne possédait pas l’expérience juridique requise pour occuper ce poste.

Un autre symbole du mépris des socialistes pour l’indépendance de la justice transparait dans le portefeuille ministériel du bras droit de Pedro Sanchez au gouvernement, Félix Bolaños, qui verrait Montesquieu se retourner dans sa tombe : ministre de la Présidence (exécutif), de la Justice (judiciaire) et des Relations avec le Parlement (législatif).

 

La guerre civile comme objectif ? 

En plus d’être manifestement illégal, l’accord parachève la stratégie guerre-civiliste adoptée par la gauche espagnole depuis l’arrivée à la présidence du gouvernement du socialiste José-Luis Rodriguez Zapatero (2004-2011).

En 2003, une coalition de gauche, rassemblant le Parti socialiste catalan (PSC), Esquerra Republicana de Catalunya (ERC, gauche ethno-régionaliste) et un parti écologiste, s’est formée afin de rompre l’hégémonie de la droite nationaliste catalane sur le gouvernement régional catalan. Cet accord, appelé le Pacte du Tinell, prévoyait le transfert des compétences sur la justice et œuvrait pour l’élimination politique du Parti populaire puisque les trois formations s’engageaient formellement à ne plus former de coalition avec le Parti populaire , en Catalogne comme à l’échelle nationale.

Dans la continuité de cet accord, un long travail de diabolisation de la droite espagnole a été engagé par le Parti socialiste espagnol. En vingt ans, deux lois mémorielles ont été approuvées afin de censurer les travaux d’historiens contraires au récit gauchiste entourant la guerre civile espagnole. Bien évidemment, les débats autour de ces deux projets de loi furent l’occasion de réduire le Parti populaire, qui s’y était légitimement opposé, à une formation héritière du franquisme.

José-Luis Rodriguez Zapatero ouvrit également des négociations entre l’ETA et le gouvernement, alors même que l’efficacité de la répression policière et judiciaire des précédents gouvernements du Parti populaire augurait une reddition de l’organisation terroriste. Le rejet de cette méthode par le Parti populaire fut encore l’occasion de dépeindre la droite comme une formation belliqueuse, préférant le conflit entre Espagnols à la prétendue recherche du consensus et du dialogue incarné par le PSOE.

Enfin, un coup majeur fut porté à partir de 2010, date à laquelle le Tribunal constitutionnel espagnol déclara inconstitutionnel le statut d’autonomie catalan. Promis par les socialistes aux nationalistes catalans dans le cadre du Pacte du Tinell, le texte fut censuré à la suite d’un recours du Parti populaire . Bien que manifestement inconstitutionnel, il fut l’occasion de présenter le Parti populaire en initiateur du conflit en Catalogne.

Le contenu de l’accord et l’exposé des motifs de la loi d’amnistie reprennent dans leur intégralité ce récit fictif, savamment construit par les socialistes, et répété à l’unisson par les nationalistes afin d’isoler politiquement la droite espagnole. Durant son débat d’investiture, Pedro Sanchez s’est engagé à « lever un mur » afin d’isoler le Parti populaire et Vox, deux formations représentant pourtant plus de 11 millions de voix, soit près de la moitié des électeurs.

En scellant une alliance manifestement illégale avec les séparatistes, les socialistes placent une fois de plus leurs intérêts personnels par-dessus la Constitution, affichant au grand jour la rentabilité politique du ressentiment guerre-civiliste. Les électeurs socialistes devront trancher : ratifieront-ils l’échiquier fratricide aménagé par le PSOE ? La loi d’amnistie sera-t-elle la couleuvre de trop à avaler ? Les résultats des élections européennes de juin prochain seront scrutés avec attention.

 

La complicité de la Commission européenne

La loi d’amnistie a été mise à l’honneur lors d’un débat en séance plénière du Parlement européen sur l’état de droit en Espagne, convoqué fin novembre par le Parti Populaire européen (PPE). L’intervention de Didier Reynders, commissaire de Justice, était très attendue par les constitutionnalistes espagnols.

En effet, l’article 2 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne dispose que l’Union européenne est fondée sur les valeurs de l’État de droit. Dans une interview donnée au journal Le Monde le 30 septembre 2020, Didier Reynders avait insisté sur l’importance du respect de l’État de droit dans l’Union européenne :

« Il faut bien comprendre que, si on abaisse l’État de droit en Europe, on met en danger la construction européenne, dont le ciment est la confiance entre les États membres, les citoyens ou encore les acteurs économiques ».

Depuis quelques années, la Pologne et la Hongrie sont régulièrement rappelées à l’ordre pour leurs réformes de la justice. En effet, la Commission européenne a lancé à leur encontre, sur le fondement de l’article 7 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, une procédure visant à sanctionner les États-membres coupables d’entorses aux valeurs de l’Union européenne (article 2 du Traité). À titre de sanction pour leurs réformes contraires à l’état de droit, la Commission a ainsi suspendu la délivrance des fonds européens NextGenerationEu aux deux États du groupe de Visegrad.

Mais lors du débat en plénière, Didier Reynders s’est montré moins féroce qu’à l’égard de la Hongrie et de la Pologne : la Commission étudiera la question, notamment dans le cadre des rapports annuels établis par la Commission sur l’état de droit dans l’Union européenne. Aucune menace de sanction n’a été évoquée par le Commissaire européen, bien plus timide qu’à son habitude. Dans un précédent article, j’avais déjà évoqué cette suspicieuse différence de traitement par les institutions européennes des cas polonais, hongrois et espagnol.

Ce que je suspectais semble désormais établi : violer l’État de droit est un privilège réservé à la gauche !

Dénoncer les crimes d’Israël: pourquoi l’Espagne est plus libre que la France

Alors que le gouvernement d'Emmanuel Macron cherche à criminaliser toute forme de soutien aux droits des Palestiniens, en Espagne, on compte de nombreuses manifestations. Est-on plus libre au pays de […]

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22 – Le rejet de l'oppression

Quelle part revient à l'oppression ou au sentiment d'oppression dans la crise ou le conflit ? Voici des outils pour étudier de manière géopolitique l'oppression subie ou ressentie par les/des habitants du territoire sur lequel se déroule la crise ou le conflit. Quelles informations recueillir et mettre en relation ? Réponse à partir d'un extrait d'un ouvrage de référence de Patrice Gourdin : "Manuel de géopolitique", éd. Diploweb.

- Manuel de géopolitique / , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

L’alliance du wokisme et du sécessionnisme mènent l’Espagne à l’implosion

Le Parti populaire espagnol, avec son allié Vox, était le grand favori des élections générales en Espagne. Il a certes progressé (pendant que Vox perdait des sièges), mais sans prétendre pouvoir former un gouvernement. L’heure est à l’incertitude. L’Espagne est travaillée par un ensemble de forces nihilistes et sécessionnistes. Elle est peut-être avec la France l’homme malade de l’Europe. Une tribune de Javier Portella.

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Espagne : les électeurs sanctionnent le mauvais bilan socialiste

À l’occasion des élections municipales et autonomiques du dimanche 28 mai 2023, le Parti socialiste espagnol (PSOE) et la gauche ont subi un revers important.

En effet, les socialistes ont perdu le gouvernement de quatre communautés autonomes, dont les îles Baléares et Valence, laboratoires des alliances entre la gauche espagnole et les nationalismes périphériques. À Madrid, Isabel Diaz Ayuso a obtenu une écrasante majorité absolue, consacrant ainsi le succès de sa stratégie d’opposition frontale à Pedro Sanchez.

 

La première défaite socialiste aux élections municipales et autonomiques de mai

À l’échelle municipale, le Parti populaire (PP) l’a emporté dans 42 des 79 capitales de provinces et obtenu une majorité absolue dans près de 460 municipalités, y compris des capitales de provinces comme Madrid, Málaga, Santander, Logroño, Cadiz ou Córdoba. Seules les capitales de Catalogne, du Pays basque et de Galice, où la nouvelle alliance entre gauche et séparatistes s’est consolidée, ont fait exception.

Prétextant « assumer en première personne les résultats » du 28 mai, Pedro Sanchez s’est empressé de dissoudre le Parlement et d’avancer au 23 juillet les élections législatives, initialement prévues en décembre. En prenant de court l’ensemble du paysage politique, il espérait sans doute :

  • Éviter d’exhiber le pourrissement de sa coalition gouvernementale ;
  • S’épargner une trahison pré-électorale des partis nationalistes sur lesquels les socialistes se sont reposés pour gouverner durant ces dernières années, et qui doivent feindre la dissidence pour contenter leur électorat ;
  • Favoriser la démobilisation électorale de la droite en organisant des élections en pleines vacances d’été, fait inédit en Espagne, sous une chaleur de plomb : à ce titre, il est important de rappeler qu’en Andalousie, plus grande région d’Espagne, il est interdit d’organiser des élections autonomiques entre le 1er juillet et le 31 août en raison de la chaleur ;
  • Un gain d’influence internationale : comme Emmanuel Macron en avril 2022, Pedro Sanchez battra campagne au début de la présidence espagnole de l’Union européenne et s’assurera un regain d’influence internationale.

 

Malgré ses calculs, Pedro Sanchez ne devrait pas parvenir à contenir la sanction électorale qu’il mérite, tant il a exaspéré nombre d’Espagnols, sur la forme comme sur le fond.

 

La forme : le mensonge comme méthode de gouvernement

Durant ces cinq ans passées à la tête du Gouvernement, Sanchez a fait du mensonge son identité politique. Voici une liste non-exhaustive des mensonges proférés par Pedro Sanchez qui ne fait aucun doute sur le cynisme du personnage :

  1. En septembre 2019, durant la campagne électorale, Pedro Sanchez nie l’éventualité d’une alliance gouvernementale entre socialistes et Podemos : « Comme des milliers d’Espagnols, je ne pourrais fermer les yeux la nuit si cela arrivait ».  Le 30 décembre, un accord de coalition gouvernementale est signé entre les socialistes et Podemos.
  2. En 2014, Pedro Sanchez affirme qu’il a honte de « voir des politiciens qui gracient d’autres politiciens » et s’oppose aux grâces pour des motifs politiques. Durant la campagne électorale pour les élections législatives de 2015, il promet de durcir les peines pour corruption et détournement de fonds publics. Durant la campagne électorale de 2019, il promet de ramener Carles Puigdemont en Espagne afin que ce dernier y soit jugé et se montre favorable à ce que les séditieux catalans condamnés pour l’organisation d’un référendum d’indépendance de la Catalogne en 2017 purgent l’entièreté de leur peine. Le 22 juin 2021, défendant une mesure de « réconciliation » et de « concorde », il gracie les neufs dirigeants politiques condamnés en 2019 à des peines allant de 9 à 13 ans de rétention. En décembre 2022, il supprime du Code pénal le délit de sédition, pour lequel avaient été condamnés les indépendantistes catalans, qu’il remplace par un délit aux peines moins lourdes, et allège le délit de détournement de fonds publics, pour lequel ils avaient été ausi condamnés.
  3. En 2015, Pedro Sanchez déclare que les socialistes ne négocieront rien avec le parti Bildu, formation politique héritière de l’organisation terroriste ETA : « Si vous voulez, je vous le répète vingt fois », insiste-t-il auprès d’un journaliste. En 2015, il s’engage à ne pas laisser la clé de la gouvernabilité de l’Espagne dans les mains de partis indépendantistes. En 2019, à l’approche des élections législatives, il persiste et signe : « Il n’y pas d’accord à avoir avec Bildu », souligne-t-il. En 2021, le gouvernement socialo-communiste obtient le soutien des nationalistes catalans et des héritiers politiques de l’ETA pour son projet de loi de finances.

 

Le mois dernier, l’excellent journaliste Carlos Alsina (Onda Cero) interrogeait Pedro Sanchez sur ses mensonges récurrents : « Monsieur le Président, pourquoi mentez-vous autant ? ». Avec beaucoup de culot, Pedro Sanchez réfutait cette appellation : « Je n’ai pas menti, j’ai eu des changements d’opinions politiques sur certains sujets ».

Pourtant, à la lecture d’une telle liste de mensonges éhontés, n’importe quel électeur socialiste doté d’un minimum d’honnêteté intellectuelle admettrait volontiers que son vote s’est davantage transformé en un vote pour Podemos que pour un parti social-démocrate. D’autant plus que sur les 7 réformes « transpartisanes » du programme électoral de Pedro Sanchez en 2019 (santé, sciences, industrie, culture, lutte contre la dépopulation, transports, etc.), aucune n’a été lancée en quatre ans de gouvernement.

 

Sur le fond : la colonisation socialiste des institutions

Sur le fond, Pedro Sanchez et ses alliés ont travaillé à substituer au pacte constitutionnel démocratique de 1978 une Espagne aux institutions balkanisées, dans laquelle la droite se retrouverait sans possibilités d’incarner une alternative politique.

Tout d’abord, le gouvernement n’a eu de cesse d’éroder délibérément l’indépendance, la crédibilité et la légitimité de grand nombre d’institutions. En voici quelques exemples frappants :

  • 2020 : nomination de Dolores Delgado, ministre de la Justice et députée socialiste, à la fonction de Procureur général de l’État espagnol, qui requiert pourtant un profil indépendant et moins politique.
  • 2020 : destitution par le ministre de l’Intérieur, Fernando Grande-Marlaska, du lieutenant-colonel de la Garde Civile, Diego Pérez de los Cobos. Ce dernier avait refusé d’obéir à un ordre illégal du ministre de l’Intérieur ;
  • 2022 : nomination comme juges au Tribunal Constitutionnel de magistrats aux profils particulièrement politisés à gauche ;
  • Refus réitéré de réformer la loi sur l’indépendance du Conseil Général du Pouvoir Judiciaire encouragée par le commissaire à la justice de l’Union européenne, afin de mettre fin à 5 ans de blocages politiques dans la nomination de ses membres.

 

Cet affaiblissement de l’indépendance des institutions s’est accompagné d’un affaiblissement de la force de l’État sur l’ensemble du territoire national :

  • Réduction significative des effectifs de la Garde civile et de la Police nationale au Pays basque, en Catalogne et Navarre ;
  • Affaiblissement de l’arsenal juridique sanctionnant des comportements attentant à l’unité de l’État par la suppression, en 2022, des délits de sédition et de détournement de fonds publics, pour lesquels avaient été condamnés plusieurs hommes politiques catalans après avoir organisé le référendum illégal en 2017.
  • Multiplication des critiques à l’encontre de la Couronne comme institution garante de l’unité nationale par les ministres de Podemos.

 

En parallèle de ce processus d’affaiblissement de l’État de droit, Pedro Sanchez s’est inscrit dans la continuité de la politiques d’alliances avec les partis nationalistes ouverte par l’ancien président du gouvernement José-Luis Rodriguez Zapatero (2004-2011). En plus d’avoir entamé des négociations injustifiables avec une ETA de plus en plus en difficulté face à la répression de l’État, les socialistes avaient souscrit en 2003 au pacte du Tinell, qui consistait en une coalition gouvernementale en Catalogne entre la gauche nationaliste (Esquerra Republicana de Catalunya), les socialistes et les écologistes, à condition que ces partis s’engagent à ne jamais parvenir à un quelconque accord avec le PP, tant au niveau national que local, afin d’éloigner la droite espagnole du pouvoir.

En cinq années, le gouvernement de Pedro Sanchez a également procédé à d’innombrables concessions aux partis nationalistes : grâces accordées aux politiciens catalans, suppression ou allègement des délits de sédition et de détournement de fonds publics du Code pénal, diminution de la présence policière nationale en Catalogne, au Pays basque et en Navarre, concession d’aménagements de peines par l’administration carcérale pour les terroristes de l’ETA, etc. Un tabou a même été rompu avec les nombreux accords trouvés entre les socialistes et la formation Bildu, héritière politique du terrorisme de l’ETA, qui compte dans ses files de nombreuses personnes condamnées pour des crimes de sang.

En parallèle, la gauche a poursuivi sa stratégie de démonisation de la droite par l’intensification de la guerre mémorielle, ouverte en son temps par Zapatero avec la loi de mémoire historique. La promulgation de la loi de mémoire démocratique, que j’avais évoquée dans un précédent article, en est un exemple parfait.

En agitant ainsi l’épouvantail du retour du franquisme, les socialistes parviennent à stimuler la participation électorale et à contraindre le PP, parti taraudé par son complexe d’infériorité morale vis-à-vis de la gauche, à se distancier de son partenaire naturel : Vox.

 

La droite n’a plus qu’à se montrer à la hauteur

Face à ce sordide bilan, la victoire de la droite est plus que probable, comme semblent le montrer les sondages, qui donnent à une éventuelle coalition entre le PP et Vox la majorité absolue. Pourtant, les stratégies électorales des deux partis divergent et créent des frictions dans une élection qui pourrait sembler gagnée d’avance.

Le candidat du PP, Alberto Nunez Feijóo, cherche à recentrer son parti afin d’aspirer la frange constitutionnaliste des socialistes et récupérer l’électorat centriste de Ciudadanos, formation désormais disparue. S’il assumait sa proximité avec Vox, le PP d’Alberto Nunez Feijóo aurait plus de mal à capter ces voix et risquerait de surmobiliser un électorat de gauche toujours prompt à jouer son petit numéro d’alerte antifasciste. Le PP se retrouve ainsi dans une situation d’équilibriste, où il doit se distancier suffisamment d’un électorat qui pourrait très bien être le sien sans pour autant décevoir ses électeurs.

Pour Vox, l’enjeu est de conforter sa place au Parlement national et de s’imposer comme une force politique essentielle à la gouvernabilité, comme c’est désormais le cas dans plusieurs communautés autonomes (Valence, Baléares, Castille-et-Léon, Extrémadure). Faisant fi de toute subtilité afin de faciliter une entrée future dans un gouvernement, ses dirigeants préfèrent multiplier les outrances sur les sujets de société qui mobiliseront la gauche (avortement, idéologie de genre, violences domestiques) et purger le parti de ses éléments les plus libéraux, au profit de la frange la plus réactionnaire de la formation. C’est ainsi que les membres du Yunque, une organisation secrète ultra catholique dont l’objectif est de « faire triompher le règne du Christ sur Terre », se sont imposés au sein de Vox.

A l’échelle autonomique, les accords de gouvernement entre le PP et Vox sont de très bon augure sur des questions relatives au respect de la Constitution, comme les politiques linguistique et éducative.

Le 23 juillet, les résultats nous diront si Alberto Nunez Feijóo a réussi son pari de recentrer le PP afin d’apaiser l    e climat politique tendu créé par les politiques clivantes de Sanchez, et si les outrances de Vox n’ont pas fait le jeu de la gauche. Si tel est le cas, la droite n’aura plus qu’à être à la hauteur du rendez-vous pour en finir avec Pedro Sanchez et garantir le respect de la Constitution et des institutions démocratiques.

Espagne : l'UJCE en conflit ouvert avec le PCE. La crise de l'Eurocommunisme en phase terminale ? -- JRCF

Par : JRCF

Rédigé par JRCF et publié depuis Overblog
La guerre est déclarée entre l'Union de la Jeunesse Communiste d'Espagne (UJCE) et le Parti Communiste d'Espagne (PCE). L'exclusion de la Direction nationale de l'UJCE, décidée lors du Comité central du PCE du 3 juin, révèle une profonde crise interne au Parti communiste.
La coalition Sumar, dirigée de Yolanda Díaz, ministre du gouvernement de Sanchez, a provoqué une quasi-scission au sein du Parti Communiste d'Espagne (PCE). L'Union de la jeunesse communiste (...)

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Entre le Maroc et l'Algérie, les paris perdus de l'Espagne

La réconciliation avec Rabat ne donne pas les résultats escomptés par Madrid. Le Maroc ne tient pas ses engagements, et l'Algérie applique des sanctions qui ont réduit à néant le commerce avec l'Espagne. Les élections générales dans ce pays le 23 juillet, avec la montée en puissance de l'extrême droite, changeront-elles la donne ?

Enrique Alcoba se plaint amèrement. « Même une paire de chaussures neuves, même une bouteille d'eau minérale fermée, ils vous la confisquent », s'indigne-t-il. Alcoba est le président de la confédération patronale de Melilla et il dénonce à tue-tête que les agents marocains à la frontière de Beni Enzar, entre sa ville et le Maroc, n'appliquent pas le régime douanier des voyageurs en vigueur, par exemple, dans les aéroports de Marrakech ou de Casablanca.

Impossible donc, pour les quelques rares touristes marocains qui visitent sa ville, de rapporter avec eux des souvenirs. Impossible surtout pour les Espagnols musulmans de Melilla, qui sont majoritaires dans la ville, selon l'enquête de l'Observatorio Andalusi1, un organisme rattaché à la Conférence islamique d'Espagne, de traverser la frontière avec des cadeaux pour leurs parents qui habitent le Maroc. À l'envers, dans le sens Maroc-Espagne, ces restrictions ne s'appliquent pas. Dans un sens ou dans l'autre, traverser ces frontières, rouvertes en mai 2022 après la pandémie, est un véritable chemin de croix à cause des contrôles lents et tatillons du côté marocain.

Renoncer à la neutralité

Quatorze mois après la réconciliation entre le Maroc et l'Espagne, scellée à Rabat le 7 avril 2022 lors d'un iftar entre le roi Mohamed VI et le chef du gouvernement Pedro Sánchez, celle-ci est loin d'avoir eu les effets escomptés du côté espagnol. Pour mettre un terme à la crise bilatérale déclenchée par Rabat le 10 décembre 2020, Sánchez avait fait une concession majeure dans une lettre adressée au souverain le 14 mars 2022. Le plan d'autonomie que propose le Maroc est « la base la plus sérieuse, réaliste et crédible pour la résolution du contentieux » du Sahara occidental, écrivait-il au souverain dans une lettre que le gouvernement espagnol n'a pas voulu rendre publique. C'est un communiqué du cabinet royal marocain qui en a dévoilé des extraits le 18 mars 2022. L'Espagne, ancienne puissance coloniale, se départit ainsi d'une approche théoriquement équidistante, mais qui en sous-main inclinait, depuis presque vingt ans, du côté du Maroc.

La formulation de Sánchez est celle qui satisfait le plus à Rabat parmi les formules utilisées par divers pays de l'Union européenne (UE). Du coup, la diplomatie marocaine a commencé, au printemps 2022 à faire pression sur la France pour qu'elle aille au moins aussi loin que l'Espagne dans son soutien. C'est là l'une des raisons — pas la seule — qui a aggravé la crise entre Paris et Rabat qui remonte à l'été 2021 et à l'affaire du logiciel Pegasus. L'Espagne aussi a eu son lot de portables piratés avec ce logiciel d'espionnage israélien employé par les services marocains, à commencer par celui du chef du gouvernement, mais elle a préféré passer l'éponge pour ne pas compromettre les retrouvailles avec le Maroc.

De la conférence de presse qu'a donné Sánchez après l'iftar, les médias espagnols ont surtout retenu qu'un poste de douane allait être ouvert entre Ceuta et le Maroc et que celui de Melilla, que Rabat avait fermé le 1er août 2018 sans même en informer officiellement les autorités espagnoles, serait rouvert. Il avait été inauguré au milieu du XIXe siècle et avait continué à fonctionner après l'indépendance du Maroc en 1956. Le ministre des affaires étrangères, José Manuel Albares, a même avancé une date pour cette double ouverture : au tout début février 2023, coïncidant avec la tenue du sommet à Rabat entre les deux gouvernements. L'Espagne et l'Europe allaient donc pouvoir exporter au Maroc, et même au-delà, à travers ces deux douanes.

Des promesses non tenues

Quatorze mois après l'annonce du Pedro Sánchez, il n'y a toujours pas de douanes. Un échange de correspondance entre les directions générales des douanes espagnole et marocaine dévoilé par le journal El País le 12 juin 2023 illustre les réticences, en apparence techniques, de Rabat. En fait, le Maroc ne veut pas de ces douanes pour deux raisons : il cherche toujours à asphyxier économiquement les deux villes, et accepter l'ouverture de ces postes pourrait être interprété comme un premier pas vers la reconnaissance de la souveraineté espagnole sur ces « présides occupés », comme les décrit souvent la presse marocaine.

La déclaration conjointe souscrite par les deux parties après l'iftar contenait quinze autres points mis à part celui sur les douanes2. Sur bon nombre d'entre eux, il n'y a eu aucune avancée. Les conversations sur la délimitation des eaux territoriales entre l'archipel des Canaries et le Maroc n'ont pas avancé d'un iota, car Rabat veut y inclure celles du Sahara occidental. Celles concernant une meilleure coordination de la gestion de l'espace aérien non plus. Celle-ci se fait, du moins pour les vols civils, depuis la tour de contrôle de l'aéroport de Las Palmas, mais Rabat demande à ce qu'elle lui soit entièrement transférée. Quand la relation se tend, ses pilotes ignorent parfois les instructions des contrôleurs aériens espagnols.

Difficile pour l'Espagne de céder alors qu'on attend, en principe pour la fin de l'année, les deux arrêts de la Cour européenne de justice (CEJ) qui devraient confirmer ceux prononcés par le tribunal, l'instance inférieure, en septembre 2021. Ils avaient annulé les accords de pêche et d'association avec le Maroc, car ils incluaient le Sahara occidental et ses eaux sans que la population sahraouie, représentée par le Front Polisario, ait donné son accord. La Commission européenne, le Conseil européen, les services juridiques du Quai d'Orsay et les avocats de l'État espagnol avaient fait appel à l'automne 2021.

Réduction des flux migratoires

En fait, le seul chapitre de la déclaration conjointe mis en œuvre à ce jour est celui de la coopération en matière migratoire. Depuis avril 2022, les autorités marocaines font un effort pour endiguer les arrivées. Dans les trois premiers de cette année, elles ont chuté de 51 % sur l'ensemble de l'Espagne par rapport à la même période de 2022, quand le Maroc fermait les yeux sur les départs.

C'est surtout aux Canaries, là où elle est plus difficile à gérer, que la réduction (— 63,3 %) a été plus accentuée, selon le ministère de l'intérieur espagnol3. Seuls 2 178 harraga y ont débarqué au premier trimestre de cette année au lieu de 5 940 pour la même période de 2022. La première quinzaine du mois de juin, avec 1 508 arrivées, semble marquer un infléchissement de la tendance, et plus encore la seconde avec des pointes de 227 immigrés secourus en mer le dimanche 19 et le jeudi 22. Pourtant, le gouvernement espagnol exhibe fièrement ces statistiques qui prouvent, en réalité, que le voisin marocain a utilisé jusqu'au mois de mars 2022 l'immigration pour faire plier Madrid. Et sans se soucier du coût humain.

Lors du sommet de Rabat, le 2 février, Sánchez, qui n'a pas été reçu par le roi — celui-ci séjournait au Gabon et n'est pas rentré pour l'occasion — a rajouté, de son cru, un autre accord, « l'engagement à nous respecter mutuellement et éviter, dans notre discours et dans notre pratique politique, tout ce qui peut offenser l'autre partie, en particulier lorsque cela concerne nos sphères de souveraineté respectives »4. En clair, Madrid n'allait pas évoquer le Sahara occidental en de termes qui pourraient déplaire à Rabat et les responsables marocains n'allaient pas, de leur côté, répéter à tout bout de champ que Ceuta et Melilla étaient « occupées ».

Pourtant, le côté marocain ne s'est pas senti tenu par cet engagement. Le président de la chambre des conseillers (Sénat) marocaine, Enaam Mayara, ou le ministre de l'intérieur Abdelouafi Laftit n'ont eu de cesse ce printemps de les décrire comme « occupées ». Le ministère des affaires étrangères dirigé par Nasser Bourita a même remis, le 17 mai, une note verbale à la délégation de l'Union européenne à Rabat protestant contre les « déclarations hostiles » de Margaritis Shinas, vice-président de la Commission européenne en charge de l'immigration, qui répétait que les villes de Ceuta et Melilla étaient espagnoles.

Malgré ces déconvenues, les socialistes espagnols ont continué à ferrailler pour défendre les intérêts du Maroc. Un exemple parmi tant d'autres : les eurodéputés socialistes espagnols ont été les seuls, avec ceux du Rassemblement national (RN) français, à voter, le 19 janvier 2021, contre la première résolution du Parlement européen, en un quart de siècle, sur les droits humains au Maroc. Elle demandait, entre autres, la libération et un procès juste pour des journalistes marocains emprisonnés. Elle a été approuvée par une large majorité. En Espagne, une fois de plus, les critiques ont fusé contre les socialistes qui n'ont pas expliqué leur vote sauf l'un d'entre eux, Juan Fernando López Aguilar, ancien ministre de la justice. Dans la relation avec le Maroc, a-t-il reconnu à la surprise générale, « il est parfois nécessaire d'avaler des couleuvres ».

Jorge Dezcallar, ancien ambassadeur d'Espagne à Rabat puis patron du Centro Nacional de Inteligencia (CNI), le principal service secret, n'est pas de cet avis. « Je ne comprends pas ce que ce gouvernement a fait en changeant notre position sur le Sahara », s'indignait-il, le 21 juin, lors d'une conférence à Barcelone. « Je ne vois pas quels avantages nous avons obtenus […] ; je pense que c'est une erreur très grave », ajoutait-il. « Je constate surtout que l'initiative de Sánchez nous a mis en plein milieu de la guerre algéro-marocaine et que l'on nous jette des pierres de tous côtés ».

Rappel de l'ambassadeur algérien

L'Espagne a payé un prix élevé pour son alignement sur la position marocaine, une quasi-rupture avec l'Algérie. Ses autorités ont appris, à travers le communiqué royal, la volte-face de la diplomatie espagnole. Le lendemain, le 19 avril 2022, son ambassadeur à Madrid Saïd Moussi a été rappelé en consultation et son poste reste vacant depuis. Moussi a été peu après nommé à Paris. Un mois plus tard, Alger a donné un autre tout de vis. Il a mis fin au rapatriement des immigrés algériens arrivés irrégulièrement en Espagne et les vols réguliers entre les deux pays ont aussi été réduits au strict minimum. Puis, le 8 juin 2022, le président Abdelmajid Tebboune a suspendu le traité d'amitié et de coopération entre les deux pays en vigueur depuis 2002.

Immédiatement après, l'Association professionnelle des banques et des établissements financiers (APBEF), un organisme semi-public algérien, a ordonné à ses membres de geler « les domiciliations bancaires des opérations de commerce extérieur de produits et services de et vers l'Espagne ». Cela revenait, en fait, à interdire le commerce avec l'Espagne. Trois semaines après, l'APBEF a abrogé cette circulaire, mais dans la pratique le commerce reste interdit avec le voisin espagnol. Les exportations espagnoles ont chuté de plus de 90 %, et les entreprises espagnoles ont perdu plus de 1,5 milliard d'euros en ventes en dix mois. Qui plus est, les sociétés espagnoles sont exclues de tous les appels d'offres publics en Algérie. Elles n'ont même pas pu disposer d'un stand lors des différentes foires commerciales et agricoles qui se tiennent à Alger.

Faible solidarité de l'Union européenne

Juste après la publication de la circulaire de l'APBEF, le ministre espagnol des affaires étrangères s'est rendu à Bruxelles pour essayer d'activer la solidarité européenne. Josep Borrell, haut représentant pour les affaires étrangères et Valdis Dombrovskis, vice-président responsable du commerce ont alors signé un communiqué conjoint dénonçant ce qui « semblait être la discrimination » à l'égard d'un État membre et donc une violation de l'accord d'association de 2005 entre l'UE et l'Algérie. En févier, Denis Redonnet, directeur général adjoint du commerce à la Commission, a visité la province de Castellón, dans la région de Valence, la plus touchée par les sanctions algériennes. Il y a dénoncé la « coercition économique » de l'Algérie et s'est engagé à faire lever ces mesures discriminatoires, sans résultat pour l'instant.

En fait, la solidarité européenne avec l'Espagne n'a été que verbale. Madrid aurait pu dénoncer le boycott et, en invoquant l'article 104.2 de l'accord d'association avec l'Algérie, demander un arbitrage. Au cas où celui-ci aurait donné raison à la plainte espagnole, Madrid aurait alors pu solliciter à la Commission de prendre des mesures de rétorsion après avoir obtenu l'aval du Conseil européen. Cela ne s'est pas fait pour deux raisons. En abrogeant la circulaire de l'APBEF, Alger a bien pris soin d'empêcher que la partie espagnole puisse brandir un document légal sur lequel fonder sa plainte. La Commission aurait, certes, pu ouvrir une enquête pour démontrer cette discrimination, mais il y avait peu de chances qu'elle ait suffi pour convaincre le Conseil européen soucieux des relations avec l'Algérie. « Ses hydrocarbures sont une alternative à ceux de la Russie et bon nombre d'États membres, à commencer par ceux qui en profitent le plus, comme l'Italie et la France, ne veulent surtout pas se fâcher avec elle », explique un haut fonctionnaire de la Commission qui préfère garder l'anonymat.

Madrid s'est donc contenté en 2022 de mettre son veto à la tenue du Conseil annuel d'association entre l'UE et l'Algérie alors que celle-ci souhaitait y introduire quelques modifications. Elle fera de même cette année. Dans un souci d'atténuer les critiques de l'opposition parlementaire, José Manuel Albares a aussi fait circuler le bruit que Moscou a poussé Alger à s'en prendre à l'Espagne pour affaiblir le flanc sud de l'OTAN, mais la ficelle était trop grosse.

L'ambiguïté de l'extrême droite à la veille des élections

Le gouvernement espagnol ne s'attendait pas à une réaction algérienne aussi virulente ; tout comme il espérait que le Maroc tiendrait ses engagements. Quelle naïveté de la présidence du gouvernement ! Plus chevronnées, les affaires étrangères ont été complètement tenues à l'écart par souci de discrétion. En revanche, d'anciens ministres socialistes ayant des accointances avec les autorités du Maroc, comme Miguel Ángel Moratinos, y ont été associés.

Des élections législatives auront lieu en Espagne le 23 juillet, et presque tous les sondages donnent gagnant le Parti populaire (conservateur), mais il aura besoin pour gouverner de l'appoint de l'extrême droite de Vox, une formation hostile au voisin marocain. L'Espagne va-t-elle rectifier et revenir à une position équidistante et rétablir ainsi les relations avec l'Algérie ? À Alger et plus encore à Rabat, on suit de près la campagne électorale. Toutes les interventions concernant le Maghreb d'Alberto Nuñez Feijóo, le leader de la droite, circulent sur les réseaux en traduction arabe. Elles sont, en général, ambiguës.

Les conseillers du leader conservateur en matière de politique étrangère divergent sur la marche à suivre. Nuñez Feijóo manque d'expérience internationale. Il est probable que s'il arrive aux affaires, il essaiera de ne pas commencer sa législature par une crise avec le voisin marocain. Rabat n'hésiterait pas à la déclencher s'il déviait de la voie tracée par son prédécesseur socialiste.

Les périodes de détente dans les relations entre le Maroc et l'Espagne ne sont que des parenthèses, parfois assez longues. Le CNI, le principal service secret espagnol, le répète dans ses rapports, dont un daté du 18 mai 2021, juste pendant l'irruption de plus de 10 000 migrants marocains, dont 20 % de mineurs, dans la ville de Ceuta. Aux yeux des autorités marocaines, l'Espagne reste un obstacle pour achever le retour à l'« intégrité territoriale », dit, en substance, le rapport qui fut publié par El País. Aussi bien vers le sud en gardant le contrôle de l'espace aérien du Sahara que vers le nord en continuant à occuper Ceuta et Mellila, ainsi que quelques îles et îlots minuscules le long de la côte marocaine.


21 – Les contentieux historiques

Quel rôle joue(nt) le(s) différend(s) hérité(s) dans la crise ou le conflit ?
Quid des litiges territoriaux, rivalités dans la recherche d'hégémonie,
contentieux mémoriels, souvenirs de guerres civiles, sentiments de frustration ? Avec de nombreux exemples localisés et datés, P. Gourdin nous offre des cas concrets pour mieux comprendre cette clé géopolitique. P. Gourdin démontre que les contentieux historiques sont à prendre en considération dans une analyse géopolitique. Brillant.

- Manuel de géopolitique / , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Espagne, loi mémorielle liberticide : après Franco, la dépouille de José Antonio va être exhumée et déplacée

Le gouvernement de gauche espagnol, qui a exhumé en 2019 la dépouille de Franco de la valle de los Caidos située près de Madrid, a décidé de faire de même avec celle de José Antonio Primo de Rivera, fondateur du parti d’inspiration fasciste de la Phalange, enterré dans le même mausolée. Cette exhumation, véritable profanation du corps, aura lieu lundi prochain.

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Ramadan à Barcelone. L'iftar dans la rue affiche sa bonne volonté

Organisés dans les quartiers par les communautés musulmanes, soutenus par la municipalité de Barcelone, des iftars publics s'adressent à tous. Ces moments conviviaux lors de la rupture du jeûne pendant le ramadan témoignent d'une plus grande tolérance, au moins affichée. Car la capitale catalane n'a pas de mosquée, et aucun projet en cours.

Samedi 1er avril vers 19 h, plusieurs hommes installent tables et chaises devant une petite scène sur la rambla del Raval, non loin du cœur historique de Barcelone. Autour, les terrasses des bars de ce boulevard aménagé au début des années 2 000 sont bondées de Barcelonais et de touristes qui profitent du printemps méditerranéen.

Ces hommes font partie de la communauté islamique Minhaj Al-Quran, qui compte deux lieux de culte dans ce quartier. Comme chaque année à l'occasion du mois de ramadan, la communauté organise un iftar public — la rupture du jeûne les jours du ramadan au coucher du soleil — rassemblant une centaine de fidèles proches de cette association religieuse, pour la plupart d'origine pakistanaise. Des riverains et des acteurs locaux répondent à l'appel à rompre le jeûne de manière collective au centre du quartier. Parmi eux, une conseillère municipale d'opposition ou l'ancienne adjointe à la maire chargée de l'immigration et l'interculturalité entre 2015 et 2019.

Peu avant le coucher du soleil qui marque la rupture du jeûne, de courtes prises de parole des autorités et des responsables de la communauté se succèdent sur la scène, ponctuées de pauses musicales précédant une courte récitation. Puis la nourriture est distribuée gracieusement aux participants. L'événement est bref ; peu après 21 h les organisateurs ramassent les déchets et débarrassent tables et chaises.

La transformation du paysage religieux

Cet iftar public et populaire renverse ponctuellement les usages d'un boulevard central de la ville. Il permet également de saisir les changements sociaux et urbains de la capitale catalane. Barcelone a connu ces dernières années une profonde transformation de son paysage religieux. Des cultes perçus, jusqu'à il y a très peu, comme lointains et étrangers se sont rendus visibles dans l'espace public de la ville. Leurs pratiques contestent l'hégémonie du catholicisme et mettent à mal les théories sur une sécularisation rampante des sociétés urbaines occidentales. Parmi ces religions, l'islam occupe une place centrale.

SI l'islam barcelonais connait des infrastructures et des lieux de culte précaires, il demeure visible à travers certaines manifestations sur la voie publique, dont le mois de ramadan offre une occasion propice. Depuis quelques années, les communautés et associations islamiques organisent des iftars aux alentours de leurs lieux de culte. L'iftar sort ainsi des mosquées, des appartements et des restaurants pour occuper l'espace public.

Une quinzaine d'iftars publics en 2023

Si les membres des communautés y participent activement, ces iftars semblent d'abord s'adresser aux non-musulmans. Riverains, responsables politiques et acteurs locaux y sont invités. En 2023, le bureau des cultes de la mairie répertorie sur son site Internet au moins quinze iftars publics répartis tout au long du mois.

La mairie prête des tables et des chaises, et parfois une petite scène et une équipe de sonorisation. Ce soutien se traduit également par la présence d'élus locaux. Leurs prises de parole sont l'occasion de saluer la « diversité » du quartier, la « convivencia », dans une ville qui se veut multiculturelle et cosmopolite. Les mots des membres de la communauté qui suivent se font en catalan ou en espagnol et visent à raconter aux non-musulmans le sens du ramadan, les « bienfaits » du jeûne et les apports positifs d'un mois où sont censées prévaloir l'harmonie et la solidarité.

Le rôle clé du partage de la nourriture

Les iftars barcelonais montrent en outre un islam civique acceptable par la société avec un événement évoquant les fêtes de quartier ou les repas populaires. D'ailleurs, l'iftar s'articule autour de la nourriture, offerte à tous les participants. Révélateur de cette volonté d'ouverture et de quête de reconnaissance publique, la nourriture n'est pas servie d'abord aux musulmans qui ont jeûné pendant la journée. Au contraire, « les riverains du quartier » ont la primeur des dattes, de la soupe harira et des douceurs salées et sucrées qui caractérisent l'iftar. La liturgie n'est pas écartée, mais renvoyée à une place secondaire dans le déroulement de la soirée. Le public non musulman découvre l'islam sous une tonalité festive et conviviale, mais aussi contrôlée et délimitée.

Chaque iftar s'inscrit dans le contexte particulier de son quartier. Certains prennent une tournure politique, tandis que d'autres s'inscrivent dans des expériences concrètes de gestion urbaine. Par exemple, en 2017 et 2018, la communauté islamique de l'arrondissement de Nou Barris a organisé son iftar place Angel Pestaña, au cœur du quartier de Prosperitat et à quelques mètres du local qu'elle utilisait comme lieu de culte.

Des riverains étaient alors mobilisés contre la présence de cet oratoire, tenant des propos islamophobes avec le soutien de groupes d'extrême droite. L'iftar est devenu un événement revendicatif de la liberté de culte et du droit à la ville des minorités religieuses. Dans d'autres quartiers, comme les plus populaires Trinitat Vella ou le Besós, l'organisation d'iftars publics a été incluse dans le répertoire d'actions de la politique de la ville, afin de donner de la place aux collectifs minoritaires, voire d'apaiser ou de prévenir des tensions entre groupes sociaux.

Au Raval, dans le centre ancien de la ville, la Fondation Tot Raval, une coordination d'une cinquantaine d'associations du quartier, promeut un « iftar interreligieux » avec la participation de différents groupes religieux, mais aussi l'implication de structure comme le musée d'art contemporain, situé dans le quartier. Dans le même secteur, une structure associant un centre social autogéré et un espace de coworking, située dans une ancienne usine a accueilli entre 2017 et 2019 les iftars organisés par une association de femmes marocaines.

Le « catholicisme banal », élément identitaire

Les iftars barcelonais illustrent la voie de normalisation de la pluralité religieuse et traduisent une politique publique censée l'accompagner. Cela tranche avec d'autres contextes nationaux comme en France, où la visibilité publique du religieux, et de l'islam en particulier, suscite de grandes controverses. Néanmoins, la facilité, voire l'enthousiasme, avec lesquels sont organisés les iftars à Barcelone ne doit pas masquer des formes de rejet qui persistent vis-à-vis de l'islam et d'autres minorités religieuses ni un certain « catholicisme banal » qui place désormais la religion majoritaire comme un élément identitaire, patrimonial de la ville.

D'ailleurs, les iftars publics ne peuvent masquer la persistance de lieux de cultes précaires et peu visibles. L'islam barcelonais est structuré autour de 32 communautés, notamment dans le centre et les secteurs populaires de l'agglomération comme Nou Barris, Sant Andreu et Sant Martí. Leurs lieux de culte occupent des locaux en rez-de-chaussée, souvent d'anciens commerces ou des garages. À Barcelone, à la différence d'autres villes espagnoles, il n'y a aucune mosquée spécifique pour le moment. Bien que la municipalité soit censée accompagner les minorités religieuses, l'ouverture de lieux de culte se heurte parfois à l'opposition de riverains, comme à Prosperitat, mais aussi au manque de disponibilité du foncier et à la flambée des prix de l'immobilier qui touche les grandes villes.

Malgré tout, il n'y a pas, pour le moment, de projets de construction de mosquées en ville. De plus, quand certains groupes et entrepreneurs islamiques ont proposé la construction d'une grande mosquée, cela a suscité des réactions négatives d'une bonne partie des acteurs civiques et politiques locaux. Y compris ceux, situés à gauche, qui prônent pourtant une approche « interculturelle » et inclusive de la diversité religieuse.

Pour aller plus loin

➞ Victor Albert-Blanco, « Valoriser le quartier par la diversité religieuse. Regards croisés entre la Goutte d'Or (Paris) et le Raval (Barcelone) », Cahiers de géographie du Québec, vol. 63, no. 178, 2019 ;

➞ Anna Clot-Garrell, Victor Albert-Blanco, Rosa Martínez Cuadros, Carolina Esteso, « Religious Tastes in a Gentrified Neighbourhood : Food, Diversification and Urban Transformation in Barcelona », Journal of Religion in Europe, 15(1-4), 2022 ;

➞ Julia Martínez-Ariño, Mar Griera, « Adapter la religion : négocier les limites de la religion minoritaire dans les espaces urbains », Social Compass 67/2, 2020.

Après le massacre de Melilla, le silence et la traque

Le 24 juin 2022, au moins 23 migrants ont trouvé la mort en tentant de franchir la barrière séparant le Maroc de l'enclave espagnole de Melilla. Depuis, Rabat mène la vie dure aux personnes exilées. Plusieurs dizaines de survivants du massacre ont même été emprisonnés.

Les 37 personnes tuées à Melilla sont les victimes de la politique criminelle de l’Europe

Le 24 juin dernier, la police marocaine a assassiné au moins 37 migrants à la frontière avec l’Espagne. Ce massacre montre à quel point l’Union européenne s’appuie sur des régimes autoritaires pour surveiller ses frontières — et démontre le caractère superficiel de l’image « progressiste » du gouvernement espagnol.

Source : Jacobin Mag, Eoghan Gilmartin
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Un membre des forces de sécurité marocaines devant la clôture frontalière séparant le Maroc de l’enclave nord-africaine espagnole de Melilla, près de Nador au Maroc, le 26 juin 2022. (Fadel Senna / AFP via Getty Images)

« La police marocaine nous a battus et a tué nos amis », raconte Amir, un des survivants du massacre de vendredi dernier le long de la frontière de l’enclave nord-africaine espagnole de Melilla. Le bilan des victimes reste contesté, mais selon les ONG internationales, au moins trente-sept personnes ont été tuées lorsque les forces de sécurité marocaines ont frappé, lapidé et aspergé de gaz lacrymogène les quelque 1 500 immigrants qui se précipitaient vers la clôture frontalière – une des seules frontières terrestres de l’Union européenne avec une nation africaine. Certains ont été tués lors d’une bousculade dans le périmètre frontalier, la police ayant utilisé une stratégie de tenaille qui a piégé des centaines de personnes dans une tranchée. Des images vidéo montrent des dizaines d’autres personnes tombant de la clôture de six mètres de haut alors que la police marocaine aspergeait de gaz lacrymogène et tirait des balles en caoutchouc sur ceux qui y grimpaient.

Selon l’Association locale des droits humains de Nador, un certain nombre d’autres décès sont survenus parce que des personnes gravement blessées ont été laissées jusqu’à dix heures de temps au soleil et à la chaleur sans soins médicaux. Une vidéo choquante publiée sur les plateformes de médias sociaux de l’organisation montre des centaines de corps entassés les uns contre les autres et entourés par la police anti-émeute, dans laquelle il est difficile de distinguer les personnes blessées et les épuisées de celles qui sont mortes. Certaines sont menottées, d’autres restent immobiles, tandis que dans une autre vidéo, la police frappe à plusieurs reprises celles qui sont allongées sur le sol.

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Maroc. À Nador, les morts sont africains, l'argent européen

Le 24 juin 2022, au moins 23 migrants sont morts à la frontière entre le Maroc et l'Espagne, et il y a eu plus d'une centaine de blessés des deux côtés. L'ONU et l'Union africaine exigent une enquête indépendante. La coopération migratoire entre le Maroc et l'Espagne est de nouveau pointée du doigt. Reportage à Nador.

Il est 14 h à Nador, nous sommes le samedi 25 juin 2022, le lendemain des tragiques incidents sur la frontière entre le Maroc et Melilla, enclave sous occupation espagnole. Un silence de mort règne dans cette ville rifaine. Chez les officiels locaux, l'omerta règne. Les portes sont closes. « Revenez lundi », nous dit-on sur place. Aucune information ne filtre sur le nombre exact des morts, des blessés et des personnes refoulées vers d'autres villes marocaines. Un homme s'active pour informer le monde sur ce qui se passe ; il s'appelle Omar Naji.

L'odeur de la mort

Ce militant de l'Association marocaine des droits de l'homme (AMDH) à Nador alerte l'opinion publique et les autorités sur ce drame écrit d'avance depuis une décennie. « Les acteurs de ce drame sont les politiques européennes d'externalisation des frontières, le Maroc qui agit en tant qu'exécutant et des organisations internationales faiblement impliquées pour protéger les migrants et les réfugiés », accuse-t-il, sans détour. Faute d'une enquête judiciaire, Omar Naji tente dès les premières heures de la tragédie de récolter quelques pièces à conviction.

Nous rencontrons Omar à la sortie de la morgue de Nador où se trouvent les corps des migrants morts sur la frontière. Ce militant sent l'odeur de la mort. « Les scènes que je viens de voir sont insoutenables. Des corps jonchent le sol depuis 24 heures. Les dépouilles baignent dans leur sang. Les installations de la morgue sont débordées », lâche-t-il, encore sous le coup de l'émotion.

Deuxième étape dans cette quête d'indices pour reconstituer le puzzle de drame du 24 juin. À la permanence, les policiers ont passé une nuit blanche à réaliser les procès-verbaux des 68 migrants qui allaient être présentés le lundi 27 juin au parquet. La police a rassemblé les bâtons et les quelques objets tranchants utilisés par les migrants lors de la tentative de franchissement de la barrière. Pour la police judiciaire, ce sont les « pièces à conviction » qui ont permis au procureur de demander des poursuites judiciaires contre les migrants aujourd'hui en détention provisoire.

Troisième étape dans cette contre-enquête de Omar Naji, la récolte de témoignages de personnes en migration. Nous nous rendons sur le mont Gourougou, où les migrants sont dans des campements de fortune. La voiture du militant démarre, nous sommes pris en filature par des membres de services de sécurité. Sur la route de la rocade méditerranéenne, nous passons devant les murs de Nador-Melilla. Ce dispositif est composé de 3 clôtures de 6 mètres de haut et 12 kilomètres de long. Les lames tranchantes, responsables de graves blessures parmi les migrants durant des années, ont été remplacées par des obstacles anti-grimpe et une haute technologie de surveillance, le tout financé par l'Union européenne (UE). « Le Maroc creuse une deuxième tranchée pour compliquer le passage des migrants. Le pays joue son rôle de gendarme, surtout depuis la reprise de la coopération sécuritaire et migratoire avec l'Espagne en mars 2022 », estime Naji. Une semaine avant les incidents, les ministères de l'intérieur des deux pays se sont engagés à « poursuivre leur coopération sécuritaire ». Le 6 mai dernier, le groupe migratoire mixte permanent maroco-espagnol avait fixé l'agenda sécuritaire de coopération entre les deux pays.

Chasse aux migrants ou lutte contre « les réseaux » ?

À Barrio Chino, point frontalier où s'est déroulée une partie des événements, des vêtements de migrants sont encore accrochés aux grillages. Canon à eau et forces d'intervention sont stationnés sur place pour faire face à de nouveaux assauts. Nous continuons notre chemin à la recherche de campements de migrants. Tout au long de l'année, les forces de l'ordre marocaines mènent des opérations pour chasser les migrants sous l'argument du « démantèlement de réseaux de trafic des êtres humains ». Pour Ali Zoubeidi, chercheur spécialiste en migrations, « il y a des réseaux de trafic présents dans d'autres endroits du Maroc, mais pas vers Melilla », observe-t-il, dans une déclaration à Infomigrants. La Boza par Melilla est gratuite, c'est la route empruntée par les migrants sans moyens. Dans les faits, les ratissages visent à disperser les migrants le plus loin possible de la frontière avec Melilla.

Dans un communiqué, 102 organisations africaines et européennes dénoncent les violations systématiques des droits humains à Nador : « Depuis plus d'un an et demi, les personnes en migration sont privées d'accès aux médicaments, aux soins, voient leurs campements brûlés et leurs biens spoliés ».

En 2021, l'AMDH Nador avait recensé 37 opérations de ratissage. Un chiffre en nette baisse en raison du Covid-19 et du confinement. En 2019, les opérations avaient atteint le chiffre record de 134 interventions. « Cette route a été réalisée spécialement pour permettre aux engins des forces de l'ordre d'accéder à la forêt », rappelle Naji, dont le téléphone ne cesse de recevoir des appels de journalistes d'un peu partout dans le monde. En pleine forêt, nous passons devant un campement des Forces auxiliaires, corps de sécurité géré directement par le ministère de l'intérieur. Ce camp, avec ses bâtisses en dur et plusieurs tentes, a été construit spécialement pour permettre des interventions rapides dans les campements.

Après une heure de route, Naji arrive à la conclusion suivante : « Les opérations menées par les forces de l'ordre ont poussé les migrants à fuir la forêt et toute la ville de Nador ». Nous quittons la forêt et nous croisons sur notre chemin les hauts responsables sécuritaires de la région, venus à bord de deux véhicules militaires, des Humvee, pour inspecter les lieux. Les seuls migrants présents dans cette ville sont soit morts, soit à l'hôpital, soit emprisonnés. Les migrants ont été dispersés vers plusieurs villes du centre du Maroc (Béni Mellal et Kelaat Sraghna). Cette situation dramatique, au retentissement international, est la conséquence d'une coopération sécuritaire entre le Maroc et l'Espagne, avec un financement européen.

L'UE, cynique bailleur de fonds

Depuis 2007, l'UE a versé au Maroc 270 millions d'euros pour financer les différents volets sécuritaires de la politique migratoire marocaine. Ce financement se fait directement ou via des instances européennes et espagnoles (Fondation internationale et ibéro-américaine pour l'administration et les politiques publiques, International, Center for Migration Policy Development, etc.). Des montants que le Maroc considère « insuffisants au regard des efforts déployés par le pays pour la gestion des frontières ».

Depuis 2013, cette coopération s'inscrit dans le cadre du Partenariat pour la mobilité. Le financement européen en matière d'immigration aussi passe par le Fonds fiduciaire d'urgence de l'Union européenne pour l'Afrique ou des agences souvent espagnoles chargées d'acquérir des équipements sécuritaires pour le royaume chérifien (drones, radars, quads, bus, véhicules tout-terrain…). La Commission européenne (CE) présente ce financement avec des éléments de langage connus : « développer le système marocain de gestion des frontières, et de lutter de manière plus efficace contre le trafic d'êtres humains ». L'UE soutient aussi la Stratégie nationale pour l'immigration et l'asile adoptée par le Maroc en 2014. Cette politique est désormais en stand-by, avec un retour en force d'une vision sécuritaire.

Dans ses négociations avec la CE, le Maroc compte un allié de taille, l'Espagne. Le royaume fait valoir de son côté « une reprise de la pression migratoire sur le Maroc », comme aime le rappeler Khalid Zerouali, directeur de l'immigration et de la surveillance des frontières au ministère de l'intérieur marocain, dans ses sorties médiatiques adressées à ses partenaires européens. Le Maroc se positionne comme partenaire fiable de l'UE et invite son partenaire européen à « la responsabilité partagée ». Les routes migratoires marocaines sont les premières portes d'entrée vers l'Europe depuis 2019. L'Intérieur brandit ses chiffres de 2021 : 63 121 migrants arrêtés, 256 réseaux criminels démantelés et 14 000 migrants secourus en mer, en majorité des Marocains.

Chantages et pressions

Dans ce contexte, un chantage est exercé de part et d'autre. L'UE veut amener le Maroc à héberger des centres de débarquement de migrants (hotspots) et signer avec le royaume un accord de réadmission globale Maroc-UE. Sur ces deux sujets, Rabat continue d'afficher une fin de non-recevoir à ces demandes. Sur le plan bilatéral, la France fait un chantage aux visas pour pousser le Maroc à rapatrier ses immigrants irréguliers. De son côté, le Maroc a fait de la gestion de l'immigration irrégulière une carte diplomatique, comme l'ont montré les évènements de Ceuta en mai 2021.

La migration devient ainsi un moyen de pression pour obtenir des gains sur le dossier du Sahara. Un sujet sensible qui a été le cœur d'un gel diplomatique entre le Maroc et l'Espagne durant plus d'un an. La reprise des relations entre les deux pays en mars 2022 a réactivé la coopération sécuritaire entre les deux pays voisins. Pour les 102 organisations des deux continents, ce retour de la coopération est à la source du drame de Nador. « La mort de ces jeunes Africains sur les frontières alerte sur la nature mortifère de la coopération sécuritaire en matière d'immigration entre le Maroc et l'Espagne », peut-on lire dans ce document.

Mehdi Alioua, sociologue et professeur à l'Université internationale de Rabat, accuse en premier l'UE et sa politique migratoire : « Ces frontières sont celles de la honte parce qu'elles sont totalement absurdes et hypocrites. Ces frontières sont incohérentes, elles sont là pour mettre en scène la “frontiérisation”. […] La responsabilité des Européens est directe. La responsabilité du Maroc de ce point de vue est indirecte », déclare-t-il dans une interview pour Medias241.

Des migrants criminalisés et des corps à la morgue

Nador, avec ses deux frontières maritime et terrestre avec l'Europe, est pris au piège de ces frontières. Les migrants payent le prix fort. L'an dernier 81 personnes sont mortes à Nador, noyées ou sur les grillages. Face au tollé mondial suscité par ces événements, le gouvernement marocain est sur la défensive. L'exécutif tente de présenter sa version des faits. Signe des temps, cette stratégie de damage control a été sous-traitée par des universitaires, des ONG ou des médias proches de l'État. Ils accusent tous… l'Algérie. Le chef du gouvernement espagnol accuse les “mafias” qui seraient responsables de ce drame tout en “saluant le Maroc pour son professionnalisme”.

Loin de cette bataille des récits, les militants sur le terrain continuent à panser les blessures des migrants, rechercher les noms des disparus et leurs nationalités, tenter de mobiliser les avocats pour la défense des migrants poursuivis à Nador. Ce procès, qui a démarré le 27 juin, s'annonce comme le plus grand procès des personnes en migration au Maroc. Vingt-huit migrants sont poursuivis avec de lourdes charges pénales. Un deuxième groupe de 37 migrants, dont un mineur, est poursuivi pour des délits. Pendant ce temps, les corps des migrants morts sont toujours à la morgue, sans autopsie ni enquête judiciaire pour établir les circonstances de leurs décès.


Sahara occidental. L'Espagne s'aligne sur le Maroc et se fâche avec l'Algérie

Rabat a obtenu gain de cause. Après quinze mois de crise avec Madrid, le chef du gouvernement espagnol Pedro Sánchez a fini par soutenir publiquement le plan d'autonomie marocain pour le Sahara occidental. Il vise à mettre un terme à ce conflit sans le référendum d'autodétermination réclamé par le Front Polisario soutenu par l'Algérie.

Dans une lettre adressée au roi Mohamed VI le 14 mars 2022, le chef du gouvernement espagnol Pedro Sánchez écrit en français que « l'Espagne considère l'initiative marocaine d'autonomie comme la base la plus sérieuse, réaliste et crédible pour la résolution du différend » au Sahara occidental. Les Espagnols, y compris les membres du gouvernement, ont appris ce changement de position quatre jours plus tard, quand le souverain marocain a rendu publique cette lettre. Sánchez va avec ce courrier un peu plus loin que l'Allemagne et la France. Le Quai d'Orsay rappelait encore le 23 mars que le plan marocain est « une base », et non pas « la base la plus sérieuse », à partir de laquelle tenir des discussions « sérieuses et crédibles ». La nuance est de taille. Parmi les démocraties occidentales, les États-Unis se sont le plus engagés aux côtés du Maroc en reconnaissant, le 10 décembre 2020, sa souveraineté sur le Sahara occidental.

L'Espagne, comme la France, a toujours soutenu le Maroc dans le contentieux du Sahara, mais la diplomatie espagnole ne l'a jamais reconnu ouvertement, affichant une neutralité de façade. Preuve de cet appui en catimini, les avocats de l'État espagnol ont fait cause commune avec ceux des associations marocaines pour plaider la légalité des accords d'association et de pêche entre la Commission européenne et le Maroc auprès du Tribunal général de l'Union européenne. Peine perdue, le tribunal les a invalidés fin septembre 2021.

Pour le Maroc, cet appui espagnol n'était pas suffisant. Il fallait que Madrid l'explicite à haute voix. Le soutien de l'Espagne revêt d'autant plus d'importance qu'il s'agit de l'ancienne puissance coloniale de ce territoire grand comme le Royaume-Uni. Très écoutée sur le sujet, elle pourrait être suivie par d'autres pays d'Europe et d'Amérique latine, espère-t-on à Rabat.

Pour forcer la main de l'Espagne, le Maroc n'a pas lésiné sur les moyens depuis ce 10 décembre 2020, jour où le président américain Donald Trump a reconnu la « marocanité » du Sahara. Ce jour-là, Rabat annulait le sommet entre les deux gouvernements prévu le 17 décembre. La liste des misères subies par l'Espagne ne faisait alors que commencer.

Pression sur les flux migratoires

La plus importante fut le déferlement sur la ville de Ceuta, les 17 et 18 mai 2021, de plus de 10 000 immigrés irréguliers, dont 20 % de mineurs, la plupart rejoignant l'enclave espagnole à la nage. Deux d'entre eux périrent noyés. Il y a eu bien d'autres signaux, comme la fermeture prolongée du trafic passagers à travers le détroit de Gibraltar alors que les ferries partaient de Marseille, Sète ou Gênes vers les ports du Maroc. Les trois millions d'immigrés marocains qui, chaque année, traversaient l'Espagne pour rentrer au pays ont été les victimes collatérales de cette décision de Rabat.

En matière d'immigration il y a eu également l'arrivée constante de harragas aux îles Canaries. Dans les deux premiers mois de cette année, elle a battu un record avec une augmentation de + 135 % par rapport à la même période de 2021. Tous les rafiots qui sont alors arrivés dans l'archipel, sauf un, sont partis du sud du Maroc ou du Sahara occidental, d'après des rapports confidentiels du ministère de l'intérieur espagnol. Rabat avait par ailleurs suspendu le rapatriement d'immigrés depuis mars 2021. Auparavant elle ne les acceptait qu'au compte-gouttes, à raison de 80 par semaine en avion, et uniquement depuis Las Palmas (Canaries) vers Laâyoune, la capitale du Sahara occidental.

Début mars, le pic de la pression migratoire a été atteint à Melilla qui a subi deux assauts massifs et violents de subsahariens qui ont blessé 53 gardes civils (gendarmes). Environ 2 500 d'entre eux ont participé à celui du 2 mars, du jamais vu dans l'histoire de la ville. En tout près de 900 migrants ont réussi à sauter le grillage et à entrer dans cette ville de 85 000 habitants, à majorité musulmane. Les subsahariens ne recourent à la violence que quand il s'agit de forcer le grillage ; une fois à l'intérieur, ils ne posent aucun problème d'ordre public.

Négociations secrètes

Les négociations secrètes que menait le ministre des affaires étrangères espagnol José Manuel Albares avec son homologue marocain Nasser Bourita se sont accélérées après ces assauts migratoires. Miguel Ángel Moratinos, haut représentant de l'ONU pour l'Alliance des civilisations, y a joué un rôle important en sous-main. Du temps où il était ministre des affaires étrangères d'Espagne, il avait encouragé le Maroc à présenter un plan d'autonomie, d'après des dépêches diplomatiques américaines publiées par Wikileaks en décembre 2010. Quand Rabat accoucha en 2007 de ce plan, Moratinos fut cependant déçu, car il n'était pas suffisamment « généreux » envers les Sahraouis, selon la même source.

Les contreparties de ce retournement espagnol ont commencé à être entrevues le 7 avril 2022. Pedro Sánchez se rend à Rabat partager un iftar avec le roi. À l'issue de cette soirée, les deux parties ont publié un communiqué qui, comme la lettre de Sánchez, exprime l'appui de l'Espagne à l'autonomie. Les 16 points du texte constituent une feuille de route présentant la mise en place de groupes de travail pour résoudre les contentieux, à commencer par les eaux territoriales ou l'espace aérien.

Des concessions sur Ceuta et Melilla

De l'article 3 du communiqué et des déclarations postérieures du chef du gouvernement espagnol — pas des responsables marocains —, la presse espagnole a déduit que Rabat faisait, à son tour, une concession : rouvrir le bureau de douane de Melilla, fermé sans avertir Madrid le 1er août 2018, et en inaugurer un autre à Ceuta qui n'en a jamais disposé depuis l'indépendance du Maroc en 1956. Ce double consentement, s'il se confirme, ne signifie nullement la reconnaissance de la souveraineté espagnole sur ces deux villes enclavées sur la cote nord-africaine, ni même « le respect de l'intégrité territoriale » évoqué par le gouvernement espagnol dans ses communiqués. Le Maroc semble néanmoins vouloir cesser de les asphyxier économiquement comme il le fait depuis une demi-douzaine d'années.

Les frontières terrestres de Ceuta et Melilla avec le Maroc, fermées depuis mars 2020, d'abord pour cause de pandémie, puis pour des raisons plus politiques, vont aussi être rouvertes sous peu, mais dans des conditions différentes. L'Espagne veut à tout prix éviter de replonger dans le chaos qui y régnait il y a encore deux ans. C'étaient les frontières les plus fréquentées d'Afrique parce que les résidents des provinces adjacentes de Tétouan et Nador pouvaient y entrer avec une simple carte d'identité. Bon nombre d'immigrés irréguliers se glissaient dans les deux villes, demandaient l'asile et, une fois leur requête présentée, pouvaient voyager légalement vers la péninsule. « C'était des villes-passoires » pour l'immigration, explique un inspecteur de police qui y a travaillé.

Aux craintes du ministère de l'intérieur s'ajoutent celle des maires des deux villes. « Nos hôpitaux sont conçus pour des petites villes. On ne peut plus revenir à la situation antérieure, quand les urgences et les salles d'accouchement étaient remplies de Marocains », insiste au téléphone Eduardo de Castro, le maire de Melilla élu grâce au soutien d'un parti local musulman. « Il y a encore trois ans, certains services de notre hôpital de Melilla travaillaient au même rythme que le principal hôpital de Saragosse », ville de 667 000 habitants, affirme un ancien conseiller municipal.

Le sentiment qui prévaut parmi certains diplomates espagnols ayant une longue expérience du Maroc, c'est que l'Espagne a obtenu une trêve, mais pas la paix éternelle. D'ici quelques mois, peut-être après les élections législatives de 2023, Rabat reviendra à la charge avec d'autres revendications. Après tout, Nasser Bourita l'a dit à mots couverts, il veut que l'Europe « sorte de sa zone de confort » pour suivre l'exemple américain, c'est-à-dire la pleine reconnaissance de sa souveraineté sur le Sahara occidental.

Crise ouverte avec Alger

La diplomatie espagnole a certes mis un point final à la crise avec le Maroc, mais il en a ouvert une autre avec l'Algérie. Le lendemain de la publication de la lettre de Sánchez au roi, Alger a rappelé en consultation Saïd Moussi, son ambassadeur à Madrid. Dans les colonnes du journal TSA, Amar Belani, ambassadeur chargé du suivi du Sahara occidental au ministère des affaires étrangères, exprime son mécontentement. « L'Espagne de Pedro Sanchez a perdu son âme pour un plat de lentilles », affirme-t-il.

Les autorités algériennes ont aussi fait comprendre, par voie de presse, qu'elles allaient durcir leurs exigences dans les négociations sur l'augmentation du prix du gaz que l'Algérie délivre à l'Espagne, à travers le gazoduc Medgaz. Le ministère des transports a par ailleurs refusé la demande de la compagnie aérienne Iberia d'augmenter ses fréquences sur Alger.

Pour apaiser Alger, le ministère de l'intérieur espagnol a expulsé le 24 mars, par vol spécial vers Chief, Mohamed Benhlima, un caporal exilé en Espagne depuis 2019 dont la justice algérienne réclamait l'extradition après l'avoir condamné à dix ans de prison pour terrorisme. Proche du mouvement islamiste Rachad, Benhlima dénonçait sur YouTube la corruption au sein des forces armées algériennes. Il n'a pas obtenu l'asile en Espagne et est le premier Algérien déporté par avion pour montrer la bonne volonté de Madrid. Les rapatriements sur l'Algérie se faisaient exclusivement par bateau. Aucun autre pays européen n'a expulsé vers l'Algérie des militants de Rachad.

Une motion parlementaire désavoue Sánchez

Sur le plan intérieur, Sánchez paye un lourd tribut pour cet alignement sur le Maroc. Sur proposition de Podemos, le mouvement de gauche qui fait pourtant partie de sa coalition gouvernementale, et de deux formations nationalistes basque et catalane, les députés ont voté jeudi 7 avril, alors qu'il s'envolait pour Rabat, une motion soutenant les résolutions des Nations unies et ne mentionnant pas le plan d'autonomie. Interprétée comme un désaveu du chef du gouvernement, la motion a obtenu 168 voix, dont celles du Parti populaire de droite. L'extrême droite de Vox (51 voix) s'est abstenue et le parti socialiste de Sánchez s'est retrouvé seul à s'y opposer avec ses 118 députés. Certains d'entre eux ont d'ailleurs avoué devant les caméras qu'ils n'avaient eu d'autre choix que de respecter la discipline de vote.

Ce résultat n'augure nullement d'un retournement de situation au cas où le nouveau leader du Parti populaire Alberto Nuñez Feijoo arriverait au pouvoir après les élections législatives de 2023. Il est probable que, pour éviter une nouvelle crise avec Rabat, la diplomatie espagnole continuera à soutenir l'initiative marocaine d'autonomie.

Le Maroc à l'offensive pour faire plier l'Espagne sur le Sahara occidental

Pour le pouvoir marocain, tous les moyens de pression sont bons pour amener le gouvernement espagnol à soutenir la solution prônée par Rabat dans le conflit qui l'oppose au Front Polisario.

Les 25 et 26 mai 2021, trois avocats ont porté plainte à Logroño, la capitale de la région espagnole de La Rioja, contre celle qui était à l'époque la ministre des affaires étrangères d'Espagne, Arancha González Laya et son chef de cabinet, Camilo Villarino. À la demande de l'Algérie, la ministre avait autorisé l'hospitalisation en Espagne de Brahim Ghali, leader du Front Polisario qui revendique l'indépendance du Sahara occidental sous contrôle marocain. Son chef de cabinet l'avait organisée. Ghali, âgé de 72 ans, était gravement malade de la Covid-19. Le 18 avril 2021, il a été admis en soins intensifs à San Pedro, un établissement public de la petite ville de Logroño.

Les plaignants étaient Mourad Elajouti, porte-parole du Club des avocats marocains ; le syndicat d'extrême droite espagnol Manos Limpias (Mains propres) dont le leader, Miguel Bernald a été condamné à quatre ans de prison pour extorsion et blanchiment d'argent ; et Juan Carlos Navarro, bâtonnier de Valence. Ce dernier avait deux clients résidents à Valence, Rachad Andaloussi Ouriaghli, un homme d'affaires hispano-marocain, et Juan Vicente Pérez Aras, un ancien député du Parti populaire (PP, droite) qui depuis des années chantent les louanges de la monarchie alaouite dans la presse locale. Navarro défend de longue date les présumées victimes saharaouies du Polisario, mais aucune de ses plaintes n'a jamais abouti.

Le juge d'instruction de Logroño a considéré qu'il n'y avait ni prévarication, ni recel ni faux et usage de faux, car si Brahim Ghali avait bel et bien été enregistré à l'hôpital de Logroño sous une fausse identité, la ministre n'en était nullement responsable. Bien qu'ayant acquis la nationalité espagnole en 2006, Ghali était arrivé en Espagne via la base aérienne de Saragosse, à bord d'un avion officiel algérien et portant un passeport diplomatique de ce pays, mais à son nom.

La ministre des affaires étrangères perd son poste

Le 26 mai, un quatrième avocat, Antonio Urdiales, résident à Torremolinos (Malaga), s'en est allé à Saragosse porter plainte pour les mêmes motifs auprès du juge d'instruction Rafael Lasala du tribunal judiciaire numéro 7. Plus réceptif, celui-ci a entamé des poursuites. En septembre, il a mis en examen pour prévarication, faux et usage de faux et recel Arancha González Laya et son chef de cabinet, un diplomate de carrière. Vu le succès de son collègue le bâtonnier de Valence, Juan Carlos Navarro s'est également déplacé à Saragosse pour l'épauler.

Urdiales, qui a réussi à faire interroger par le magistrat de nombreux fonctionnaires civils et militaires de la base aérienne, de l'hôpital, de l'administration régionale de la santé de La Rioja, n'a pour sa part aucun client. « Je suis mon propre client », répète-t-il à la presse, se considérant comme lésé par la crise entre l'Espagne et le Maroc. Marié à une Marocaine et ayant de la famille au Maroc, il pâtit, se plaint-il, de l'interruption du trafic maritime de passagers à travers le détroit de Gibraltar qui l'empêche de voyager en ferry jusqu'à Tanger. Ce trafic est suspendu pour des raisons sanitaires depuis mars 2020, donc bien avant que n'éclate la crise. Il se défend pourtant et répète qu'il n'est pas à la solde du makhzen.

Les avocats de l'État espagnol, qui défendent l'ex-ministre et son directeur de cabinet, argumentent que Brahim Ghali est espagnol depuis seize ans et que l'Espagne ne peut refuser l'accès de son territoire à ses citoyens. Certes, il est arrivé à Saragosse avec un passeport diplomatique algérien, mais le règlement de Schengen prévoit que les autorités des pays membres peuvent accorder des exemptions de visas et même de contrôle de la documentation, ce qui a été le cas pour Ghali. Elles viennent d'ailleurs de demander au magistrat de classer l'affaire. Des professeurs de droit, des juges à la retraite ont estimé que González Laya et Villarino ne s'assoiront pas sur le banc des accusés, car pénalement on ne peut rien leur reprocher. L'affaire risque cependant de traîner, l'avocat Urdiales ayant sollicité du juge l'audition de Brahim Ghali qui, s'il est convoqué, se refusera à revenir en Espagne.

Les avocats Urdiales et Navarro et les clients de ce dernier ont tous des liens étroits, familiaux ou d'affaires, avec le Maroc. Il suffirait sans doute que les autorités marocaines leur conseillent de retirer leurs plaintes pour que les poursuites prennent fin. Elles n'en ont rien fait et la presse marocaine — surtout celle proche du pouvoir — prend un malin plaisir à décrire en détail les déboires judiciaires de l'ancienne ministre des affaires étrangères.

Ce n'est pourtant pas elle qui a pris la décision d'accueillir Ghali pour des « raisons humanitaires », mais après l'avoir écouté, le chef du gouvernement Pedro Sánchez. Après tout il n'était pas le premier dirigeant du Polisario à être traité dans un hôpital espagnol. Devenue alors la bête noire des autorités marocaines, Sánchez éjecta González Laya de son gouvernement lors du remaniement ministériel de juillet 2021. Il le fit sans doute pour apaiser le Maroc et faciliter la réconciliation. Peine perdue.

Une guérilla médiatique

Les représailles contre González Laya rappellent celles que la Direction générale d'études et de la documentation (DGED), les services secrets marocains, exercèrent directement en 2008 contre José María Aznar, l'ancien chef du gouvernement, qui avait pourtant quitté le pouvoir quatre ans auparavant. Il avait infligé une cuisante défaite au Maroc en juillet 2002 en expulsant de l'îlot de Persil (Peregil en espagnol) les fusiliers-marins marocains qui s'y étaient installés.

« Rachida Dati enceinte d'Aznar » : tel est le titre qui fit la une de l'hebdomadaire L'Observateur du Maroc appartenant au groupe de presse Global Media Holding d'Ahmed Charai. Pour donner du crédit à cette fausse nouvelle, l'hebdomadaire d'investigation espagnol Interviu reçut au même moment un lot de photos où l'on voyait Aznar embrasser Dati sur la joue à la sortie d'un restaurant parisien. Aznar porta plainte pour diffamation et Ahmed Charai fut condamné en Espagne, en 2011, à 90 000 euros d'indemnités. Une série de documents publiés sur Twitter en 2014 dévoilèrent que Charai était un étroit collaborateur de la DGED, ce que confirma un an plus tard l'arrêt d'un tribunal madrilène.

L'accueil de Ghali par l'Espagne en avril 2021 a marqué l'apogée de la crise entre Madrid et Rabat, mais celle-ci avait commencé bien avant, le 10 décembre 2020. Ce jour-là, le président Donald Trump reconnaissait la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental. Ce 10 décembre, les autorités marocaines invoquèrent la Covid-19 pour ajourner sine die le sommet prévu avec le gouvernement espagnol pour le 17 décembre. L'exécutif espagnol venait pourtant de tenir deux sommets, avec le Portugal et l'Italie, sans que personne n'ait été infecté.

L'arme des immigrés clandestins

Depuis, Rabat n'a cessé de harceler son voisin du nord. Le pic a été atteint les 17 et 18 mai 2021, quand 10 000 immigrés, marocains dans une large majorité (dont un cinquième de mineurs), déferlèrent sur la ville de Ceuta (85 000 habitants). Ils furent encouragés par les forces de l'ordre marocaines à la rejoindre à la nage depuis la plage de Fnideq, selon de nombreux témoignages. Le bruit courut parmi les adolescents que dans la ville espagnole ils pourraient voir les grands du football, à commencer par Lionel Messi. Deux immigrés se noyèrent en faisant la traversée et un troisième mourut en tombant d'un mur.

D'autres épisodes, avant et après l'afflux migratoire, ont marqué les relations bilatérales. En mai 2021 l'ambassadrice du Maroc à Madrid, Karima Benyaich, a été rappelée en consultation, et neuf mois après elle n'a toujours pas rejoint son poste. Les cinq ports andalous par où transitent 3 millions d'immigrés marocains qui rentrent dans leur pays pendant leurs vacances ont été boycottés l'été 2021 par les autorités du Maroc. « Une perte énorme pour les ports espagnols exclus de l'opération », titrait en juin le journal marocain numérique Le 360.

Depuis mars 2021, les rapatriements d'immigrés irréguliers, qui se déroulaient pourtant au compte-gouttes, sont pratiquement suspendus, et le flux migratoire submerge toujours les îles Canaries. Plus de 22 000 sans-papiers y ont débarqué en 2021 et, dans les 45 premiers jours de cette année, ce chiffre est en hausse de 116 % par rapport à la même période de l'année dernière, selon le ministère de l'intérieur. Les 340 rafiots qui ont transporté, entre le 1er janvier et le 15 février, 4 753 harraga — dont 8 % de mineurs — ont tous pris la mer à partir du Sahara occidental et du sud du Maroc, sauf un qui est parti du Sénégal, d'après l'enquête de la police espagnole. Les autorités de l'archipel ont déjà sous leur tutelle 3 000 mineurs d'origine marocaine. Cinq jours avant que ces chiffres ne soient dévoilés, le nouveau ministre des affaires étrangères José Manuel Albares faisait encore l'éloge de la coopération marocaine en matière migratoire.

La dernière pique marocaine remonte à fin décembre 2021, quand le ministère de la santé s'est fendu d'un communiqué accusant l'Espagne d'envoyer au Maroc des passagers infectés, car elle n'exerçait pas correctement les contrôles sanitaires dans les aéroports espagnols. Aucun autre pays ne s'est plaint du supposé laxisme des vérifications sanitaires espagnoles.

Le ton conciliant de Madrid

Patient et résigné à la fois, le gouvernement espagnol n'a cessé de tendre la main au Maroc, sauf pendant les semaines qui ont suivi l'« invasion » pacifique de Ceuta. Pedro Sánchez décrit ce pays comme un « partenaire stratégique » avec lequel il veut développer les meilleures relations. Il a même fait intervenir le roi Felipe VI. Dans son discours de janvier adressé au corps diplomatique, le monarque a invité solennellement le Maroc à « marcher ensemble pour concrétiser une nouvelle relation ».

Ces paroles bienveillantes ont été accompagnées de gestes concrets. L'Espagne a été, en octobre, le premier État membre à annoncer qu'il fallait faire appel aux deux arrêts du Tribunal général de l'Union européenne qui invalidaient les accords d'association et de pêche entre Bruxelles et le Maroc, car ils incluaient le Sahara occidental. La Commission européenne et le Conseil des ministres de l'UE présentèrent en novembre leur recours auprès de la Cour de Justice, l'instance juridique supérieure.

Plus important, Madrid a accepté de combler le déficit énergétique dont pâtit le Maroc depuis que le président algérien Abdelmajid Tebboune a ordonné fin octobre 2021 la fin du contrat gazier qui passait par le gazoduc via le Maroc pour relier l'Algérie à l'Espagne. Le Maroc touchait des droits de transit (entre 50 et 200 millions d'euros/an) et il achetait du gaz algérien, soit au total environ 1 milliard de m3 destiné à une centrale électrique de l'Oriental. Depuis novembre, Espagnols et Marocains se sont accordés en secret pour exploiter le gazoduc dans le sens nord-sud, ce qui nécessite quelques changements techniques. Le Maroc, dépourvu de terminal méthanier, achètera du gaz naturel liquéfié (GNL) venu sans doute des États-Unis, qui sera dégazéifié en Espagne avant d'emprunter le gazoduc, selon la ministre marocaine de la transition énergétique, Leila Benali.

L'enjeu européen

Que cherche donc Rabat en faisant constamment pression sur son voisin espagnol ? Le ministre marocain des affaires étrangères Nasser Bourita l'avait laissé entendre en janvier 2021, quand il avait appelé l'Europe à « sortir de sa zone de confort » et suivre l'exemple du président américain Trump. Le roi Mohamed VI a été plus explicite dans son discours du 6 novembre dernier à l'occasion de la commémoration de la Marche verte qui permit au Maroc de s'approprier le Sahara en 1975. « Aujourd'hui, nous sommes tout à fait fondés à attendre de nos partenaires qu'ils formulent des positions autrement plus audacieuses et plus nettes au sujet de l'intégrité territoriale du Royaume. (…) Aujourd'hui comme par le passé, la marocanité du Sahara ne sera jamais à l'ordre du jour d'une quelconque tractation ». Autrement dit le Maroc ne fera pas affaire avec ceux qui ne reconnaissent pas que le Sahara lui appartient. Il leur cherchera même noise, à en juger par la façon dont il traite l'Espagne.

Ce forcing de Rabat a donné ses fruits avec l'Allemagne, contre laquelle le Maroc déclencha aussi une crise en mars 2021 avec, en arrière-fond, le Sahara. Il est vrai que l'ambassadeur allemand auprès des Nations unies Christoph Heugen avait déclaré en décembre 2020, juste après l'annonce de Trump, que le Sahara occidental était un territoire « occupé », ce que n'oserait jamais dire un diplomate espagnol. Après maints va-et-vient, Berlin a finalement reconnu en décembre, dans un texte affiché sur le site web de son ministère des affaires étrangères, que l'offre d'autonomie marocaine était une « importante contribution » pour résoudre le conflit. Rabat a alors renoué la relation suspendue avec Berlin.

Pour le Maroc il est bien plus important que l'Espagne franchisse ce pas, car il s'agit de l'ancienne puissance coloniale et qu'elle est écoutée sur ce sujet. La diplomatie marocaine pense que si Madrid venait à épauler ouvertement sa thèse de la « marocanité », l'Union européenne suivrait. Mais le gouvernement espagnol n'a pas modifié d'un iota sa position sur la question. Dans son discours aux Nations unies, en septembre 2021, Pedro Sánchez a prôné une « solution mutuellement acceptable » sans faire de concession au Maroc.

En sous-main cependant, l'Espagne aide le Maroc et pas seulement en soutenant les recours contre les arrêts du Tribunal de Luxembourg. Quand les autorités marocaines présentèrent, en 2007, leur offre d'autonomie pour le Sahara, l'ambassadeur espagnol au Maroc, Luis Planas, leur proposa de l'étoffer avec l'aide de prestigieux juristes espagnols. Six ans plus tard, l'Espagne et la France firent cause commune à New York pour empêcher que John Kerry, alors secrétaire d'État américain, ne modifie le mandat de la Mission des Nations unies pour l'organisation d'un référendum au Sahara occidental (Minurso). Il voulait lui octroyer des compétences en matière de surveillance des droits humains, ce à quoi s'opposait Rabat.

Cette aide discrète ne suffit pas aux autorités marocaines. Malgré la pression migratoire qui terrifie les gouvernements espagnols successifs, Madrid tient bon sur le Sahara. Ce n'est pas que l'Espagne soit fidèle à ses principes, c'est surtout qu'elle a une crainte : quand le Maroc en aura terminé avec le Sahara, il se tournera vers Ceuta et Melilla, les deux villes espagnoles enclavées sur la côte nord-africaine.

D'Oran à Almería, le périple à haut risque de Reda et Karim

Originaires de Kabylie, ces deux jeunes Algériens ont tenté de franchir clandestinement la Méditerranée vers l'Espagne, comme des milliers d'autres harraga en 2021. Reda a réussi son passage et est désormais en France, mais Karim a échoué. Témoignages.

L'Algérie connaît depuis la mi-septembre une vague d'émigration clandestine d'une ampleur inédite. Selon des données publiées par la presse espagnole, pas moins de 1 400 Algériens auraient ainsi embarqué pour l'Espagne à partir de la côte ouest du pays en une semaine, entre le 27 septembre et le 3 octobre 2021. Et selon le chef de la délégation de l'Union européenne (UE) en Algérie Thomas Eckert, 14 000 personnes, en majorité des Algériens ont rejoint l'Espagne de janvier à septembre 2021, à partir de la côte ouest algérienne et du Maroc. Quant au nombre des disparus en mer, il n'a pas été révélé. Le 21 décembre, une embarcation a encore chaviré au large d'Arzew, faisant sept victimes.

Si le pays tout entier est touché par cette recrudescence de la harga (émigration clandestine), on constate cependant que la wilaya de Bejaïa, en Kabylie, fournit un contingent particulièrement important de candidats au départ. Après quelques tentatives infructueuses menées à partir du littoral kabyle, long de 120 km, les candidats à l'émigration ont compris la difficulté de l'opération. La côte espagnole y étant très éloignée, il faut payer très cher une traversée qui s'avère particulièrement risquée. Depuis la disparition de 23 personnes, il y a bientôt un an, ils se tournent plutôt vers Oran, Mostaganem ou Aïn Temouchent, sur la côte ouest.

Reda et Karim, tous deux originaires d'Akfadou, dans la wilaya de Bejaïa, se sont jetés dans l'aventure depuis la côte oranaise au début du mois d'octobre. Tentative réussie pour le premier, parvenu en France après avoir traversé la Méditerranée et échappé aux traques policières sur le territoire espagnol. Échec pour Karim, en revanche, dont l'embarcation a été arraisonnée par les garde-côtes une heure seulement après le départ.

« Que ta mère pleure, mais pas la mienne »

Reda, 24 ans, a encore du mal à réaliser ce qui lui est arrivé depuis ce fameux 1er octobre où, avec douze autres candidats au départ, il a pris place à bord du Al-Sarii (L'Express) qui allait le conduire sur l'autre rive. Doté de moteurs ultrapuissants, ce bateau tire son nom de son extrême rapidité, qui serait bien supérieure à celle des vedettes des garde-côtes. Pour embarquer sur ce tapis volant, il lui a d'abord fallu payer 95 millions de dinars (6 000 euros). S'agit-il d'un prix fixe ? « Non, explique le jeune homme, il dépend du poids des passagers ! » Le tarif minimum est de 85 millions (5 300 euros), mais quelqu'un pesant plus de 100 kilos doit débourser 110 millions — les passeurs évaluent le poids à l'œil nu et n'ont pas besoin d'une balance ! Le montant doit être versé dans son intégralité une semaine ou deux à l'avance. Les migrants passent la nuit précédant leur départ dans des cabanes montées spécialement à cet effet près du point d'embarquement.

« L'heure du départ avait été fixée à 17 h, trente minutes environ après le départ du convoi précédent, raconte Reda. On était quinze à bord : treize harraga, le pilote et un marin. Après avoir tourné en rond durant une heure à quelques centaines de mètres du rivage, le bateau est parti à toute vitesse. Les gendarmes et les garde-côtes, qui nous observaient de loin, n'ont pas essayé de nous rattraper, sachant que c'était peine perdue. Tout s'est bien passé, même si on avait très peur, autant de la météo que des passeurs. Ce sont des gens sans pitié, arrogants et brutaux. Et d'ailleurs, lorsqu'on a rencontré un bateau naufragé en mer, ils sont descendus tous les deux sur l'épave pour s'emparer du matériel restant ».

Le jeune homme n'a pas non plus oublié ce qu'on raconte au sujet des barques de la mort : en cas de tempête, c'est la loi de la jungle qui s'applique. C'est-à-dire que dès que le bateau menace de chavirer, les passeurs jettent la « cargaison » en trop par-dessus bord… « Que ta mère pleure, mais pas la mienne », comme on dit.

Une fois à proximité des côtes espagnoles après trois heures et demie de traversée, les passeurs ont dit aux migrants de finir à la nage. Ce qui ne s'est pas fait finalement, parce qu'il y avait des femmes et des enfants. Tout le monde est descendu sur la plage de Josso (province d'Almería), dans un endroit sombre et reculé, connu des réseaux liés à l'émigration clandestine. Des Marocains, notamment, viennent y monnayer leurs services pour traverser le territoire espagnol, à la manière des taxis clandestins qu'on trouve aux abords des gares en Algérie ou au Maroc. Chose curieuse, il existe près de là un hôtel nommé Argelia (Algérie en espagnol).

Relâchement aux frontières

C'est ici que commence la seconde étape du périple de Reda. À quelques centaines de mètres de là, il est rattrapé par des garde-frontières. Mais au moment où ceux-ci s'apprêtaient à le conduire au poste où des dizaines de migrants de toutes nationalités étaient en attente d'expulsion, il a réussi à s'échapper, profitant de l'arrivée d'un autre groupe de harraga sur la plage. Il a alors couru le plus loin possible, et a ensuite passé la nuit sous un pont, à bout de forces et complètement trempé par l'eau de mer. « J'avais l'impression de n'être plus moi-même, raconte-t-il, j'étais comme drogué, dans un état second, et je me suis mis à marcher devant moi au hasard. Mais ensuite, je me suis ressaisi et grâce au petit peu d'argent que j'avais apporté avec moi, j'ai acheté de nouveaux vêtements. Je ne tenais pas à me faire repérer par la police ».

D'Almería, il s'est rendu à Alicante, puis à Barcelone, étape obligée de tous les clandestins. Là, d'autres passeurs attendent les harraga pour leur faire franchir la frontière française. On les contacte en général via une application Internet. Reda le savait, mais il a préféré appeler l'un de ses amis en France pour qu'il vienne le chercher en voiture. Ils n'ont rencontré aucune difficulté pour traverser la frontière grâce selon lui au manque de vigilance des gardes espagnols. Contrairement à ce qui se passe de l'autre côté, où les contrôles sont très stricts. La loi française punit les passeurs de trois ans de prison et 50 000 euros d'amende, tandis que les clandestins sont privés de leurs papiers.

À son arrivée en France, le jeune homme a été pris en charge par des amis qui l'avaient précédé. S'il se sent soulagé et rassuré, il garde toutefois le souvenir de tout ce qu'il a dû endurer et jure que si c'était à refaire, il ne recommencerait pour rien au monde. Parce qu'il risquait la mort à tout moment, et aussi parce qu'il pensait à sa mère bien-aimée, anéantie par son départ. Il ne regrette pas pour autant d'avoir quitté le pays, car il ne se voyait pas rester là-bas, malgré sa bonne situation. Grâce à des affaires commerciales et immobilières qui marchaient plutôt bien, il menait en effet une vie confortable. Le problème est, selon lui, dans un « mode de vie » qui n'a rien à voir avec les aspirations de la jeunesse.

« Parole d'honneur »

Karim, 28 ans, n'a pas eu la même chance que son compatriote. Il se console en pensant qu'il a échappé à la prison et est sorti sain et sauf d'une aventure périlleuse. Ce titulaire d'un master 1 en automatique et systèmes a emprunté le même bateau que Reda, pour le même prix. C'était le 5 octobre 2021, sur la plage de Laâyoune près d'Oran. Six autres migrants ont embarqué avec lui, parmi lesquels une femme et ses trois enfants — dont un âgé de 4 ans seulement. Il était 8 heures du soir et le temps était calme. Mais environ une heure plus tard, le moteur est brusquement tombé en panne, à quelque 80 km de la côte. La panique s'est emparée des passagers : peur de se noyer ou d'être arrêtés par les navires de la marine.

« En voyant arriver les garde-côtes, on a compris que c'était fini pour nous, raconte Karim. Ils ont transféré tout le monde à bord de leur bateau après avoir pris nos portables, mais ils nous ont bien traités et n'ont pas usé de violence, comme ils font souvent avec les harraga. Ils nous ont même donné à manger, un morceau de pain avec un peu de pommes de terre. On est arrivés au poste de Bousfour une heure et demie plus tard, ce qui prouve bien que l'Al-Sarii est plus rapide que les bateaux de la marine. On a passé la nuit sur place et le lendemain, on nous a remis à la gendarmerie nationale, qui nous a interrogés pendant cinq heures d'affilée. Puis on a été conduits au tribunal d'Oran pour comparaître devant le procureur de la République, après une nuit passée en cellule sans boire ni manger — à part les restes de la nourriture fournie à la femme ». C'est en bavardant avec celle-ci que le jeune homme a appris les raisons qui l'avaient poussée à risquer sa vie et celle de ses enfants : après une dispute avec son mari, la malheureuse s'est retrouvée sans soutien et sans abri et a décidé de quitter à tout prix la banlieue d'Oran pour rejoindre l'un de ses frères installé en Espagne.

« On s'était tous mis d'accord pour ne pas révéler l'identité des deux passeurs devant le procureur de la République, parce qu'on savait qu'ils seraient lourdement condamnés, poursuit Karim. Mais ils ont finalement été identifiés — c'étaient les seuls du groupe à être originaires d'Oran — et ils ont écopé de trois ans de prison ferme et d'une amende de 100 millions (6 238 euros). Les sept passagers s'en sont sortis avec une peine symbolique (une amende de 3 millions de centimes). En quittant le tribunal vers 7 heures du soir, on a trouvé les proches des accusés rassemblés devant la porte, et certains ont failli s'en prendre à nous parce qu'ils nous soupçonnaient de les avoir dénoncés ».

Karim essaie maintenant d'oublier sa douloureuse mésaventure. Il mesure l'affolement des siens, restés sans nouvelles de lui durant plusieurs jours. Pourtant, il ne regrette rien, ayant vu toutes les portes se fermer devant lui lorsque ses demandes successives de visa pour la France (pour études ou pour tourisme) ont été rejetées. Les barques de la mort représentaient la seule issue pour lui.

Si l'occasion se présentait, serait-il prêt à recommencer ? « Je peux reprendre un bateau pour l'Espagne, j'ai le droit », affirme le jeune homme. C'est du moins ce que lui a assuré l'intermédiaire avec lequel il s'était entendu. Parmi les clauses de « l'accord », il est en effet stipulé qu'en cas d'échec de la traversée, le passager ne sera pas indemnisé, mais pourra soit faire une nouvelle tentative, soit laisser sa place à quelqu'un d'autre. Et quelle garantie a-t-il de ce « droit » ? La parole d'honneur, rien de plus…

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Traduit de l'arabe par Brigitte Trégaro.

La mémoire oubliée du Madrid musulman

L'histoire de Madrid a commencé au IXe siècle, lorsque les Omeyyades ont décidé de construire au centre de la péninsule ibérique une ligne de fortifications pour défendre les frontières d'Al-Andalus. En ces temps d'islamophobie, la redécouverte de cet héritage occulté que renferme la capitale espagnole est devenue une nécessité.

Parmi les villas de luxe d'un quartier résidentiel du nord de Madrid se trouve une petite place au nom mystérieux de Maslama. C'est en réalité le seul mémorial de la ville en hommage à celui qui fut pourtant, à une autre époque, le plus célèbre de ses fils : Abou Al-Qassim Maslama « Al-Madjriti », autrement dit « le Madrilène ». Abou Al-Qassim Maslama était un mathématicien, astronome et astrologue, né à Madrid en l'an 338 de l'Hégire (950 de l'ère chrétienne) et mort à Cordoue en 398 (1007). Il était, selon ses contemporains, le scientifique le plus important de son temps. Sa renommée dépassa les frontières d'Al-Andalus pour se répandre également dans l'Europe chrétienne ; pas tant pour sa contribution à la science que pour un manuel de magie qui lui fut attribué à tort, intitulé en arabe Ghayat al-hakim (Le but du sage) et en latin Picatrix.

Dans le Madrid d'aujourd'hui, il est un parfait inconnu, et cela même pour les habitants de la place qui porte son nom. Il est en réalité difficile de trouver de nos jours un répertoire d'illustres Madrilènes antérieurs au saint patron chrétien de la ville, San Isidro (Isidore le Laboureur), né selon la légende à la fin du XIe siècle.

Une place forte omeyyade

Et pourtant, l'histoire de Madrid commence bien plus tôt, au milieu du IXe siècle, lorsque les émirs omeyyades décidèrent de construire au pied des montagnes qui traversent le centre de la péninsule ibérique une ligne de fortifications pour défendre les frontières d'Al-Andalus et peupler la région. L'une de ces places fortes fut Madrid, appelée Madjrit en arabe, un nom à l'étymologie incertaine et peut-être hybride, comme l'étaient alors la population et la culture d'Al-Andalus.

Madrid fut fondée comme un hisn (château fort), mais très vite les sources historiques ont commencé à s'y référer comme une madina, une ville. Elle devint alors un centre d'attraction pour la population civile, ainsi que la capitale d'une petite région. Le géographe maghrébin Al-Idrissi écrivaitt au XIIe siècle : « Parmi les villes dotées de minbars au pied de ces montagnes se trouve Madjrit, une petite ville et une forteresse puissante et prospère. Elle possédait, à l'époque islamique, une grande mosquée où des sermons étaient régulièrement prononcés ».

Il existe en effet de nombreuses sources arabes mentionnant l'existence et le développement du Madrid islamique. Certaines d'entre elles, comme les écrits d'Al-Idrissi, le font à une époque où la ville n'appartenait plus à Al-Andalus, car conquise et annexée au royaume de Castille à la fin du XIe siècle. Tandis que d'autres sont contemporaines de l'existence de Madjrit l'Andalouse et nous fournissent de nombreuses informations sur la ville : ses territoires, ses gouverneurs, ses oulémas, ses illustres habitants, mais aussi ses enfants qui ont prospéré ailleurs, en Al-Andalus ou même en Orient, et qui étaient alors connus sous le même surnom : « le Madrilène », comme l'astronome Maslama.

En revanche, la seule source chrétienne mentionnant Madrid avant la conquête castillane au XIe siècle est une chronique de l'évêque Sampiro de León dans laquelle il raconte comment le roi Ramiro II des Asturies, dans l'une de ses expéditions contre le pays des « Chaldéens » (une façon de désigner les musulmans) attaqua et détruisit les murs de « la ville qu'ils appellent Magerit ». « Magerit » était la manière latine et castillane médiévale de transcrire l'arabe « Madjrit », origine du nom actuel de la ville.

Madrid est donc la seule capitale européenne dont l'origine est musulmane. En fait, elle est même encore plus ancienne que de nombreuses et importantes villes arabes actuelles. Pendant les deux premiers siècles et demi de son existence, elle était située à l'extrême nord du monde musulman classique, qui s'étendait à cette période du fleuve Duero au désert du Sahara et de l'Atlantique jusqu'aux frontières de la Chine.

La conquête chrétienne de la ville

Après sa conquête par le roi Alphonse VI de León et de Castille vers l'an 1085, la ville conserva pendant plus de 400 ans une minorité musulmane qui dominait la forge et les travaux publics et entretenait de bonnes relations avec les autorités et la majorité chrétienne. Ce furent les « Rois catholiques » Isabelle de Castille et Ferdinand d'Aragon qui décidèrent de mettre fin à la diversité religieuse qui avait caractérisé la péninsule ibérique au cours des siècles médiévaux. Cette diversité était étrangère à l'État moderne qu'ils s'apprêtaient à construire ainsi qu'à leurs nouveaux alliés européens.

Antoine de Lalaing, qui accompagna leur gendre Philippe de Habsbourg lors de son premier voyage en Castille, raconte que le prince fut ébahi « de la multitude de blancs maures habitant les Espagnes »1Maure (moro) étant la façon traditionnelle espagnole de désigner les musulmans — et qu'il conseilla à la reine Isabelle de mettre fin à cette monstruosité, ce qu'elle fit pour lui complaire.

Les musulmans de Madrid, comme ceux de toute la Castille, ont ainsi dû se convertir au christianisme en 1502 et changer leurs noms à consonance arabe en noms castillans. Malgré cela, ils continuèrent à survivre pendant l'Inquisition et lorsque la Couronne décida finalement un siècle plus tard d'expulser tous les « Morisques » — descendants de ces musulmans convertis — de ses royaumes, elle ne put le faire à Madrid, car il n'y avait aucun moyen de les trouver. « Ils ont beaucoup de gens pour les aider et les couvrir », déplorèrent les responsables de cette expulsion, qui cherchaient à extirper les derniers vestiges d'Al-Andalus.

Un héritage historique falsifié

Pour comprendre pourquoi aujourd'hui la plupart des Madrilènes ignorent presque tout du passé musulman de la ville, il faut remonter à l'empereur Philippe II, petit-fils de celui qui méprisait les « Maures », et qui décida en 1561 de faire de Madrid la capitale de son empire.

À cette époque, Madrid était une petite ville qui bénéficiait certes de sa position centrale dans la péninsule ibérique, mais ne possédait pas l'héritage historique monumental que l'on pouvait attendre de la résidence d'un empereur dont les dominations s'étendaient sur quatre continents. Ils décidèrent alors d'inventer et de reconstruire l'histoire de toutes pièces pour faire de Madrid une ville plus illustre et plus ancienne que Rome, siège du pouvoir spirituel catholique, et que Constantinople-Istanbul, capitale rivale de l'empire ottoman et aussi ancienne capitale de l'empire byzantin et siège du christianisme orthodoxe.

L'empereur et ses successeurs rasèrent donc pratiquement tous les bâtiments médiévaux de la ville, en particulier ceux qui trahissaient son passé musulman. Ils manquèrent ensuite d'argent pour construire la ville monumentale dont ils rêvaient, mais réinventèrent l'histoire en faisant remonter les origines de Madrid à la mythologie grecque et à la présence des Celtes, des Romains et des Goths. Dans ce récit, les « Maures » jouaient un rôle mineur, ils n'étaient plus les fondateurs, mais simplement des conquérants qui avaient brièvement occupé la ville avant d'en être finalement expulsés.

L'histoire de Madrid s'aligne donc avec l'idée que la plupart des Espagnols ont reçue sur Al-Andalus, et qui est encore transmise aujourd'hui dans les écoles et dans la culture populaire, par exemple à travers des séries télévisées historiques à succès. Depuis l'époque des Habsbourg, qui se sont présentés comme les grands défenseurs du catholicisme contre les protestants et l'islam, l'État espagnol a été construit comme essentiellement catholique et européen. L'émergence du nationalisme moderne au XIXe siècle a fini par consacrer l'identité espagnole par opposition à la figure du Maure. En effet, le grand mythe fondateur de la nation espagnole reste la « Reconquête », c'est-à-dire la lutte médiévale des rois chrétiens contre l'islam, jusqu'à son éradication définitive du territoire péninsulaire. De nos jours, les discours politiques qui brandissent la figure de Don Pelayo ou du Cid — personnages liés à la Reconquête — comme un drapeau contre l'immigration, contre le multiculturalisme ou tout autre sujet perçu comme une menace pour l'intégrité nationale, sont encore fréquents.

Une si longue « domination étrangère »

Contrairement à ce qui se passe avec les deux autres grandes influences d'origine étrangère dans l'histoire espagnole que sont la conquête romaine et les invasions germaniques, les huit siècles d'existence d'Al-Andalus tendent toujours à ne pas être considérés comme une partie intégrante du patrimoine espagnol, mais comme une longue domination étrangère, une parenthèse malheureuse dans l'histoire qui s'est définitivement refermée avec la conquête de Grenade en 1492 et l'expulsion des derniers musulmans en 1609. Il y a évidemment eu des positions plus ouvertes envers cette influence andalouse — étendue et évidente — sur la culture espagnole, mais elles ont toujours été minoritaires, l'idée hégémonique restant toujours celle de la Reconquête.

Pour cette raison, il n'est pas étrange que parmi les presque dix mille noms figurant sur le plan des rues de Madrid, seuls trois rappellent les 800 ans d'histoire et de civilisation andalouses : la très discrète place de Maslama en l'honneur de l'astronome au prénom duquel on a très récemment ajouté le surnom Al-Madjriti  ; une petite rue dédiée au philosophe Averroès (Ibn Rochd), sûrement plus pour son influence sur la scolastique chrétienne que pour ses propres mérites ; et, enfin, un parc portant le nom de l'émir Mohamed I, le fondateur de la ville. Cette dernière reconnaissance est totalement inhabituelle et elle est en grande partie due aux circonstances politiques de la fin des années 1980 et à l'existence d'une période de relative sympathie à l'égard de l'islam, avant que la logique du « choc des civilisations » ne s'enracine. Les grandes plaques en espagnol et en arabe qui avaient été placées dans le parc pour expliquer l'origine de la ville et qui, dit-on, étaient orientées vers La Mecque, ont fini par disparaitre quelques années plus tard, car elles s'adaptaient mal à l'esprit de notre époque.

Redécouvrir le patrimoine occulté

Tout au long du siècle dernier, de nombreux vestiges du Madrid andalou sont réapparus avec obstination, même s'ils n'ont pas toujours été bien traités : restes de la muraille millénaire, vestiges dans le tracé urbain, matériaux archéologiques liés à la vie quotidienne… Jusqu'à un immense cimetière musulman dont les locataires sont toujours là, regardant vers La Mecque depuis les fondations des maisons construites sur les tombes lorsque l'islam et ses espaces sacrés ont formellement disparu au XVIe siècle. Il n'est pas signalé et peu de gens connaissent son existence, bien qu'il s'agisse du plus ancien cimetière de la ville.

Aux côtés des vestiges matériels, il existe aussi un patrimoine immatériel parfois surprenant. Le nom de la patronne catholique de Madrid, la Vierge de l'Almudena, vient du nom arabe de la citadelle qui a donné naissance à Madrid : al-mudayna, « la petite ville » ou « la citadelle ». Plus étonnant encore, des recherches récentes suggèrent que le saint patron, Isidore, personnage légendaire dont l'origine remonte à l'époque de la conquête chrétienne, serait en réalité un personnage syncrétique créé à partir de la mémoire d'un murshid soufi, Yunus Al-Azdi, ayant vécu dans les années précédant la conquête.

Cependant, tout cela reste très peu connu, car les initiatives visant à rendre visible et à interpréter ce patrimoine ont été très peu nombreuses et généralement privées d'aides. Cela est d'autant plus vrai dans une perspective large et globale qui cherche à donner une cohérence à des matériaux dispersés de nature différente (archéologique, documentaire, historique, anthropologique). Il y a quatre ans, le Centre d'études sur le Madrid islamique (CEMI) a justement été créé dans le but de récupérer et de faire connaître cet héritage, ainsi que de promouvoir sa protection par les pouvoirs publics, en particulier auprès de la mairie de Madrid, qui s'est engagée à valoriser le patrimoine historique, artistique et culturel de la ville. Le CEMI dépend d'une institution chevronnée, la Fondation de la culture islamique (FUNCI), créée il y a plus de vingt ans par le célèbre anthropologue Julio Caro Baroja et le penseur marocain Cherif Abderrahman Jah dans le but de préserver et de diffuser le patrimoine vivant de la civilisation andalouse.

En ce sens, la récupération de l'héritage musulman de Madrid remplit une double fonction. D'une part, préserver et faire connaître un élément essentiel de l'histoire de la ville. Et d'autre part, chose de si nécessaire en ces temps d'islamophobie et de rejet de la différence, de contribuer à la perception de la diversité comme un élément constitutif de Madrid depuis sa fondation, et que ce n'est ni un phénomène importé, ni une tendance récente.

Madrid, qui s'est ouverte tardivement au cosmopolitisme dont les autres capitales européennes bénéficient depuis plus longtemps, possède donc la richesse paradoxale de ses origines métisses. Le Madrid multiculturel du XXIe siècle a tout intérêt à le redécouvrir.


1« Monsigneur, estant à Toulette avoecq le roy et la royne, fu adverti de la multitude des blans Mores habitant ès Espaignes » in » Antoine de Lalaing, Collection des voyages des souverains des Pays-Bas, ed. M. Gachard, t. I, Bruxelles, 1876.

En Espagne, des réfugiés syriens lancent un journal

Ils ont vécu les premières heures du soulèvement en Syrie, puis l'horreur de la guerre et la douleur de l'exil. Aujourd'hui réfugiés en Espagne, quatre Syriens se sont lancés dans une aventure singulière : créer un média indépendant, afin de raconter la vie de celles et ceux qui n'ont que trop peu souvent voix au chapitre.

C'est une petite révolution qui secoue le paysage médiatique espagnol : depuis le 7 avril, un nouveau journal en ligne, Baynana (Entre nous) a vu le jour, conçu et dirigé par des réfugiés en Espagne.

Les premiers articles n'ont pas tardé à fleurir sur le site bilingue (arabe-espagnol) du magazine : la solidarité de familles envers les migrants dans l'enclave espagnole de Ceuta, le récent interrogatoire d'un journaliste palestinien par le Mossad en Espagne, les changements en cours dans la narration de la question israélo-palestinienne, ou encore le combat d'un jeune influenceur d'origine marocaine contre l'islamophobie en font partie. Mais le sujet le plus lu jusqu'à ce jour reste celui qui rapporte l'histoire de réfugiés syriens en passe d'être jetés à la rue à Tarragone, faute d'hébergement ; à la suite de très nombreux partages de l'article de Baynana, ils finiront par trouver une solution temporaire.

Ce projet, Moussa Al-Jamaat, Mohammad Shubat, Ayham Gareeb et Mohammad Okba qui ont entre 22 et 39 ans, le portent à bout de bras. La ligne éditoriale de Baynana est explicite, et figure en bonne place sur le site : « Offrir des informations utiles à la communauté arabophone d'Espagne et, en même temps, tendre des ponts entre les migrants, les réfugiés, les Espagnols d'origine étrangère, et le reste de la société. »

Après la naissance en 2017 d'Amal Berlin, créé en Allemagne par des journalistes iraniens, afghans, syriens et égyptiens, et en 2019 de Guiti News1 en France, c'est donc au tour de l'Espagne de voir des journalistes étrangers récupérer la voix qu'ils avaient perdue en quittant leur pays.

Journalistes par obligation

Pourtant, avant le début du soulèvement syrien, aucun des quatre hommes n'était journaliste. Ils expliquent qu'ils le sont devenus presque par obligation, aux pires heures de la guerre. « J'étudiais l'informatique avant la révolution. Jamais je n'aurais imaginé travailler dans le domaine journalistique. J'y ai été contraint. Je devais faire quelque chose, et j'ai voulu rapporter la réalité de ce qu'il se passait dans mon pays et sous mes yeux », explique Moussa Al-Jamaat, 29 ans.

Mohammad Okba, lui, n'avait que 12 ans lorsque la révolte syrienne a débuté dans les rues de Deraa, soit à peu près l'âge des jeunes qui dessineront les premiers contours de la révolution sur les murs de la ville, avant d'être jetés au cachot par les moukhabarat (membres des services de renseignement). Cinq ans plus tard, Mohammad Okba embrassait sans vraiment s'en rendre compte une carrière de journaliste : « Deraa était une zone de combat intense, je voulais faire quelque chose. J'ai commencé à rapporter ce que je voyais sur les réseaux sociaux, puis à faire des photographies de ma ville meurtrie par la guerre. »

Moussa, qui a été blessé pendant des bombardements imputés à l'armée syrienne et aux forces russes, l'assure : le métier de journaliste était sur place des plus périlleux. « Nos vies étaient tout le temps en danger. Lorsque le régime et la Russie ont pris le contrôle total de la région, je n'ai pas eu d'autre choix que de partir. En restant, je n'aurais eu que deux options : la mort ou la prison », rapporte-t-il.

En 2018, les quatre compères, qui ne se connaissaient alors que virtuellement, quittent Deraa à la suite d'un accord passé entre l'Armée syrienne libre (ASL), la Russie et le régime syrien. Éparpillés un temps dans le nord-ouest du pays, ils finissent par franchir la frontière turque, avant d'être pris en charge par le Comité international pour la protection des journalistes (CPJ), une structure new-yorkaise qui organise l'accueil des reporters en exil. Ils se rencontrent pour la première fois à l'ambassade espagnole d'Ankara. « Les quelque 45 journalistes venus comme nous du sud de la Syrie ont été répartis par le CPJ en trois groupes : la France, l'Allemagne, et dans une moindre mesure l'Espagne, où 12 d'entre nous ont trouvé refuge », explique Mohammad Okba. Il faut dire que la péninsule ibérique demeure une destination d'exil marginale : sur le million de Syriens accueillis en Europe, environ 20 000 y ont demandé l'asile depuis 2011, selon les chiffres communiqués par la Commission espagnole d'aide aux réfugiés (Comisión Española de Ayuda al Refugiado, CEAR).

La voix des oubliés

Une fois installés en Espagne, les quatre hommes se trouvent confrontés aux mêmes difficultés que les milliers d'autres qui arrivent chaque année, principalement du Maroc et du Sahara occidental, mais également d'Afrique subsaharienne : un accès au logement et au monde du travail complexe, et des discriminations qui compliquent leur intégration. « Ici, les migrants et les réfugiés rencontrent beaucoup de problèmes avec le système de santé, le programme d'asile. Beaucoup de gens ne veulent pas leur louer de maison ou d'appartement », explique Mousa Al-Jamaat. « Ça a été une surprise pour nous : nous ne pensions pas qu'il y avait tant de réfugiés et de migrants en Espagne, reprend Mohammad Okba. C'est une réalité qui nous a frappés, nous nous sommes rendu compte de la situation très difficile dans laquelle se trouvaient de nombreuses personnes en Espagne, qui font face à un déficit d'informations. Nous nous sommes dit qu'il manquait quelque chose. Baynana est né de ce constat. »

La population arabophone d'Espagne est en constante croissance : en décembre 2020, le pays comptabilisait 5 800 000 étrangers, dont 811 530 Marocains, selon des chiffres du ministère de l'inclusion, de la sécurité sociale et des migrations. Les quatre journalistes décident de lancer un magazine en ligne accessible à celles et ceux qui ne parlent pas encore correctement l'espagnol. Si aucun média n'accepte de les accueillir au sein de leur rédaction, la fondation Por Causa, qui rassemble des experts et des journalistes engagés va les soutenir inconditionnellement sur le plan logistique.

Avec l'aide précieuse de plusieurs journalistes, ils lancent une campagne de financement participatif qui va se voir concrétisée par un magnifique élan de solidarité, et 36 000 euros plus tard, Baynana voit le jour : « En Espagne, on parle souvent des migrants et des réfugiés de manière dramatique ou négative. Il fallait que nous racontions d'autres histoires, celles qui ne sont jamais narrées », explique Mohammad Okba. Le jeune journaliste va signer plusieurs papiers, résolument axés autour des conséquences humaines des conflits politiques : « Je souhaitais soulever des questions essentielles. Pourquoi tous ces gens tentent-ils d'entrer à Ceuta ? Que pensent-ils, que veulent-ils ? Il faut humaniser ces migrations pour les expliquer, et surtout, donner la parole aux personnes concernées. »

Un défi pour la société espagnole

Une initiative d'autant plus singulière que le panorama journalistique espagnol demeure très polarisé : si certains médias se démarquent par leur caractère progressiste, la majorité présente toujours une tendance idéologique forte, où la surenchère d'opinions radicales et la recherche de la confrontation sont devenues, comme en France, un fonds de commerce.

Et si le projet de ces quatre hommes est courageux, c'est bien que les migrants et les réfugiés figurent parmi les premières victimes des déferlements de haine. Une évolution en lien direct avec l'essor de l'extrême droite espagnole sur le plan politique : si pendant des années, l'aile la plus réactionnaire du spectre espagnol était contenue à l'intérieur même du Parti populaire, la création de Vox en 2013 et son entrée au Parlement en 2019 ont changé la donne.

La banalisation des paroles stigmatisantes dans la sphère médiatique est spectaculaire, comme l'explique la journaliste Andrea Olea, qui fut par ailleurs coordinatrice de Baynana durant le lancement du média : « Auparavant, nous nous pensions à l'abri. Et si les problèmes de racisme et d'intolérance ne sont pas nouveaux en Espagne, depuis que l'extrême droite est arrivée à un niveau politique important, il y a eu une normalisation des discours haineux, et un sensationnalisme émergent qui tient particulièrement à décrire les migrants comme une menace. » Le tout sous l'œil d'une justice pour le moins complaisante, puisque le porte-parole de Vox au Congrès des députés, Iván Espinosa de la Monteros, n'a pas été inquiété outre mesure après avoir déclaré sur Antena 3 que « un étranger est trois fois plus susceptible de violer qu'un Espagnol ».

Rien de nouveau dans une Europe hantée par de vieux démons, où les questions migratoires sont parasitées par les fake news et la haine. Mais ces dernières semaines, en Espagne peut-être plus qu'ailleurs, ces thématiques ont un retentissement important, notamment à cause de la très difficile situation humanitaire aux alentours de l'enclave de Ceuta, qui cristallise le racisme d'une partie de la société espagnole. « Il est important de dire que le racisme ne se limite pas aux choses de la rue, il est surtout structurel et institutionnel. Même si la situation en Espagne est meilleure qu'en France, il faut le souligner », tranche Mohammad Okba. « Cette culture du spectacle, si elle est également présente en France et en Italie, nous avons encore bien du mal à l'analyser en Espagne, poursuit Andrea Olea. Nous manquons de voix critiques, notamment si l'on se compare à la France, où les personnes racialisées et issues de l'immigration occupent davantage de place dans l'espace médiatique. Ce sont des discours qui nous manquent, nous avons un besoin urgent d'autres voix. »

Forts de leur campagne de financement qui leur permettra de « tenir au moins une année », Moussa Al-Jamaat, Mohammad Shubat, Ayham Gareeb et Mohammad Okba s'en sont fait la promesse. Ils feront entendre la voix de celles et ceux dont tout le monde parle, mais que personne ne semble vouloir écouter.


1Un média en ligne, une rédaction composée de journalistes français et réfugiés, et un réseau européen en formation « pour parler de migration autrement ».

Le Maroc isolé par le Parlement européen

La crise entre le Maroc et l'Espagne qui dure depuis un mois est la plus grave depuis l'accession du roi Mohamed VI au pouvoir en 1999. Elle cristallise l'importance des enjeux entre les deux pays et entre le royaume chérifien et l'Union européenne. Elle a également levé le voile sur la crise sociale, dont les conséquences sont imprévisibles.

Elle était très attendue, mais les diplomates marocains ne se faisaient pas d'illusion sur son contenu. Elle, c'est la résolution du Parlement européen, votée le 10 juin à une majorité écrasante1 : 397 voix pour, 85 contre et 196 abstentions — même si les élus français s'y sont opposés dans leur grande majorité. Son contenu ? Accablant pour le royaume, pourtant un allié stratégique de l'Union européenne (UE). Le Maroc est en effet accusé par les eurodéputés d'« utiliser » ses mineurs dans sa crise avec l'Espagne : «  [le Parlement européen] rejette l'utilisation par le Maroc des contrôles aux frontières et de la migration, notamment des mineurs non accompagnés, comme moyen de pression politique sur un État membre de l'Union », précise la résolution européenne [qui] déplore en particulier que des enfants, des mineurs non accompagnés et des familles aient franchi massivement la frontière entre le Maroc et la ville espagnole de Ceuta, mettant ainsi leur vie et leur sécurité clairement en péril.

Comment en est-on arrivé à une issue aussi embarrassante pour la diplomatie marocaine dans ses rapports avec l'Union européenne, un partenaire économique et sécuritaire privilégié du Maroc ?

« Vive l'Espagne ! »

Tout a commencé le 17 mai 2021, deux jours après la fin du ramadan, lorsque des groupes de jeunes Marocains ont commencé à déferler sur Ceuta, une ville au nord du Maroc sous souveraineté espagnole depuis le XVe siècle. Puis au fil des heures et des jours, les dizaines deviennent des centaines, puis des milliers de jeunes déterminés à rejoindre l'enclave espagnole depuis la petite ville frontalière de Fnideq, haut lieu du commerce informel. La marée humaine (entre 8 000 et 10 000 personnes) est composée surtout de jeunes, mais il y a également des familles et beaucoup de mineurs (plus de 2 000). Le pic est atteint le 20 mai avec un relâchement délibéré du contrôle jusque là exercé par les autorités marocaines, dopant ainsi le flux, y compris en provenance des villes du centre.

Bien que le Marocain lambda soit habitué aux images de jeunes embarquant dans des pateras2 pour rejoindre l'Eldorado européen, les innombrables vidéos postées sur les réseaux sociaux montrant des milliers d'adolescents, de femmes et d'enfants se jetant dans une Méditerranée en furie pour atteindre une ville considérée comme « occupée », étaient insoutenables. Plus insupportable — elle a fait le tour du monde — a été l'image d'un membre de la Guardia civil sauvant in extremis un bébé qui avait glissé du dos de sa mère bravant les vagues. Des centaines de vidéos montraient également des jeunes et des enfants exprimer une envie folle de quitter leur pays, d'autres criant « vive l'Espagne ! »

Près de vingt ans plus tôt (juillet 2002), les images aussi dures de deux gendarmes marocains arrêtés et conduits par l'armée espagnole au même poste frontalier de Ceuta après que Mohamed VI eut décidé d'occuper l'îlot dit du Persil, avaient eu un effet aussi dévastateur sur les Marocains. C'était la première crise d'ampleur entre les deux royaumes voisins, la première grande bourde, à l'époque, du jeune roi Mohamed VI, les deux pays ayant été à un doigt du conflit armé.

« Nous n'avons plus rien à manger »

Mais l'actuelle crise est autrement plus profonde : d'un côté, elle implique non seulement l'Espagne dans ses rapports avec le Maroc, mais aussi l'UE dont elle est un membre important ; de l'autre, elle a dévoilé l'ampleur de la crise sociale qui sévit dans le royaume chérifien et dont les conséquences sont aussi imprévisibles qu'inconnues. Petit rappel : la fermeture par le Maroc de sa frontière avec Fnideq en février 2020 a porté un coup fatal à la population de toute cette région, et pour cause : la contrebande et le commerce détaxé avec l'enclave espagnole est sa principale source de revenus. Une telle situation ne pouvait durer, et le 13 février 2021, soit un an après le verrouillage du passage avec Ceuta, d'importantes manifestations ont eu lieu à Fnideq pour réclamer la réouverture de cette frontière : « Nous n'avons plus rien à manger ! », criaient les manifestants.

La décision du président Trump sur le Sahara occidental

C'est dans ce contexte de tension sociale exacerbée qu'interviendra ce que les observateurs qualifient aujourd'hui de « crise hispano-marocaine » la plus grave depuis l'arrivée au pouvoir du roi Mohamed VI en juillet 1999. Qu'est-ce qui a poussé le roi et son entourage à opter pour une décision aussi impulsive pour faire pression contre l'Espagne, pourtant son plus grand avocat (avec la France), non seulement auprès de l'UE, mais aussi dans les instances internationales où la diplomatie marocaine se mobilise chaque année pour promouvoir l'affaire du Sahara occidental ?

Officiellement, c'est l'hospitalisation en Espagne sous une fausse identité de Brahim Ghali, le chef du mouvement indépendantiste sahraoui qui a déclenché la crise. Mais en réalité, il ne s'agit là que d'un prétexte : les autorités marocaines veulent tout simplement que le gouvernement socialiste de Pedro Sánchez suive l'exemple de l'ancien président américain et reconnaisse la marocanité du Sahara occidental. Même la France, connue pour sa connivence avec la monarchie alaouite, n'avait pas subi une telle exigence. Mais pour l'Espagne, la pilule est cette fois difficile à avaler, encore moins à digérer pour un gouvernement socialiste dont les bases ont des sympathies quasi traditionnelles avec le mouvement indépendantiste.

Européaniser la crise

Face à la détermination du Maroc, mais aussi à une certaine ambigüité des arguments souvent avancés par ses diplomates, l'Espagne décide rapidement « d'européaniser » la crise : « Il s'agit d'une agression à l'égard des frontières espagnoles, mais aussi des frontières de l'Union européenne », déclara la ministre espagnole de la défense, Margarita Robles. La réaction du palais, à travers le chef de sa diplomatie Nasser Bourita, ne se fait pas attendre. Elle est conciliante, mais assez curieuse : la vague de migration vers Ceuta est due « à un contexte de fatigue dans la police marocaine après les festivités de fin de ramadan », dit-il le 20 mai 2021.

Pour autant, « l'européanisation » de la crise ne s'est pas arrêtée. Elle a pris la forme d'un processus politico-juridique qui aboutira, le 10 juin, à une résolution du Parlement européen dont le Maroc aurait pu largement se passer. Son impact n'est pas seulement moral, puisque le royaume est présenté comme un État qui utilise ses enfants pour régler ses comptes avec ses voisins ; il est également juridique : l'instance européenne a tenu à affirmer le caractère à la fois espagnol et européen de la ville de Ceuta, que revendique de temps en temps le Maroc : « La protection et la sécurité de Ceuta concernent l'ensemble de l'Union européenne, précise la résolution européenne, car la ville autonome fait partie de ses frontières extérieures. » Et concernant l'affaire du Sahara occidental, considérée comme une « cause sacrée » par beaucoup de Marocains, la position des eurodéputés est tout aussi implacable puisqu'ils affirment explicitement « la position consolidée de l'Union sur le Sahara occidental, fondée sur le plein respect du droit international, des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies et du processus politique conduit par les Nations unies pour parvenir à une solution négociée juste, durable, pacifique et acceptable par les deux parties ».


2NDLR. La patera est à la base une embarcation espagnole à fond plat. Mais ce terme concerne aujourd'hui tout type de bateau utilisé par des groupes d'immigrants clandestins.

Ceuta, un confetti d'Europe en Afrique

L'afflux de 8 000 migrants à Ceuta le 17 mai dernier a fait la une de l'actualité. Cette ville espagnole, confetti résiduel des empires coloniaux encastrée dans le territoire marocain reste un enjeu majeur des relations entre Madrid et Rabat.

Ceuta qui vient de faire la une de l'actualité est, comme sa voisine Melilla, une ville totalement à part en Espagne, un vestige de l'empire colonial. Toutes deux se situent au milieu des villes du nord du Maroc dont le revenu par habitant est six fois inférieur à celui des villes espagnoles. Attractives au plan économique, elles ont vu se développer un commerce frontalier qui a oxygéné cette région, moins bien nantie que le reste du Maroc.

Revendiquées par le Maroc en 1961, elles continuent de faire partie du territoire espagnol, comme l'atteste la Constitution espagnole de 1978. Elles constituent le seul point d'entrée terrestre de l'Union européenne (UE) depuis l'Afrique.

Anciens postes avancés

Leur passé de territoires espagnols remonte au XVe siècle. L'Espagne et le Portugal tentent alors d'achever la reconquête de la péninsule ibérique, envahie par les musulmans à partir du VIIIe siècle. C'est en 1415 que les Portugais s'emparent de Ceuta. En 1492, les Rois catholiques d'Espagne, Ferdinand II d'Aragon et Isabelle de Castille mettent fin au royaume musulman d'Al-Andalus par la prise de Grenade. Ils veulent protéger les villes de la côte des incursions des pirates barbaresques, en installant des postes militaires sur la côte nord de l'Afrique. Ils parviennent à conquérir Melilla en 1497, et en 1580 c'est au tour de Ceuta de passer sous la domination espagnole.

Ceuta et Melilla deviennent ce qu'on appelle alors des « présides », ou possessions espagnoles sur la côte marocaine. Madrid y installera des bagnes. En 1906, sous l'égide des États-Unis, la conférence d'Algésiras réunit les puissances européennes pour décider du sort du Maroc, l'un des rares pays du continent africain à ne pas avoir été colonisé. Alors qu'il est question d'aider ce pays à se moderniser, une vraie tutelle se met en place avec l'instauration du protectorat franco-espagnol en 1912. Ceuta et Melilla servent alors de tête de pont à l'installation des Espagnols sur le continent africain. C'est par leurs ports qu'arrive du matériel, mais aussi des hommes et des femmes, paysans et ouvriers venus principalement d'Andalousie, et qui coexisteront dans un premier temps avec les militaires qui étaient déjà sur place. Ils seront suivis par des juifs venus de Tétouan et de Tanger, et par des musulmans venus de plusieurs villes du Maroc, tous ayant été attirés par les avantages qu'offrait le nouveau statut de ces deux villes espagnoles.

En 1956, au moment de l'indépendance, le Maroc se libère du protectorat français, mais les deux enclaves restent espagnoles en vertu de leur appartenance antérieure à l'Espagne. Rabat exprime sa volonté de récupérer tous les territoires de son espace géographique. Tarfaya est récupérée en 1958 et Ifni en 1969. En 1961 le Maroc revendiquera en vain Ceuta et Melilla devant l'Assemblée générale des Nations unies. Alors que pour Rabat, Ceuta et Melilla ne sont qu'une survivance anachronique du colonialisme en Afrique, Madrid continue de revendiquer l'hispanité de ces deux villes et en 2007, le roi Juan Carlos y effectue une visite, au cours de laquelle il réaffirme la ferme volonté de l'Espagne de conserver Ceuta et Melilla sous la souveraineté espagnole, y compris au prix d'une intervention militaire.

Un régime spécial au sein de l'UE

Avec l'adhésion de l'Espagne à la Communauté économique européenne (CEE) en 1986, ces « territoires de souveraineté espagnole » sont naturellement intégrés à l'ensemble de la communauté, même s'il est nécessaire d'ajuster le régime spécial des ports francs au règlement européen. De la sorte, Ceuta et Melilla n'ont pas été concernées par l'Union douanière et par la politique agricole commune (PAC), et ont été exemptées de l'application de la TVA. Elles bénéficient pourtant des fonds européens qui ont été essentiels à leur développement. L'adhésion de l'Espagne aux accords de Schengen en 1991 donnera un caractère encore plus particulier à ces deux villes. En effet, pour une relation harmonieuse entre elles et leurs voisines marocaines, une dérogation a été accordée aux ressortissants marocains de Nador ou de Tétouan de s'y rendre sans visa. Deux conséquences majeures de ces mesures spéciales : d'une part, un commerce de contrebande transfrontalier entre ces deux villes espagnoles et les villes du Maroc du nord ; d'autre part, à partir de la fin des années 1990, une immigration marocaine, rapidement suivie par celle des populations subsahariennes.

Une ville frontalière

Jusqu'au début des années 2000, Ceuta et aussi Melilla, intégrées à l'espace Schengen étaient perçues comme une porte d'entrée facile à l'Europe : pas de mer à traverser, seulement des grillages à escalader pour passer de l'Afrique à l'Europe. Mais face à l'ampleur des arrivées, le gouvernement espagnol a renforcé le dispositif de sécurité de manière drastique. À partir de 2001, l'Espagne a construit une barrière qui a coûté 30 millions d'euros, partiellement financée par l'UE. Tout au long des 8 km qui séparent Ceuta du Maroc, des clôtures parallèles ont été installées, couronnées de barbelés. Des postes de surveillance ou miradors permettent une vision quasi parfaite de jour comme de nuit. Un éclairage puissant et des caméras vidéo facilitant le repérage de migrants tentant d'escalader la barrière. Entre les clôtures des routes étroites permettent le passage des véhicules de la guardia civil espagnole. À ce dispositif s'ajoutent des câbles souterrains reliés à des capteurs électroniques pour détecter les bruits et les mouvements.

Malgré cela, en septembre 2005, plusieurs centaines de migrants tentent de franchir cette barrière, munis d'échelles de fortune. La garde civile espagnole n'hésite pas à tirer sur ceux qui s'accrochent à la clôture, faisant onze morts. Et en juillet 2018, plus de 600 migrants subsahariens pénètrent dans Ceuta à partir du Maroc, en lançant de la chaux vive à la face des agents de sécurité espagnole.

Face à ces tensions récurrentes entre autorités espagnoles et migrants pour l'accès à Ceuta, le Maroc se trouve en porte-à-faux. En effet, dans le cadre de l'externalisation des contrôles migratoires à des pays du sud de la Méditerranée, le Maroc perçoit une subvention par l'UE pour empêcher les migrants de sortir de son territoire et d'accéder à l'Europe. Mais il ne peut accepter la construction de ces barrières et clôtures censées couper l'Europe du Maroc, alors qu'il considère Ceuta comme une partie de son territoire occupé par l'Espagne.

Comme le montre un rapport de la Cimade de décembre 20151, le Maroc revendique ces deux villes, tout en tirant profit de la situation existante. Ce qui explique qu'il collabore volontiers avec l'Espagne dans la lutte contre l'immigration irrégulière vers l'Europe. Mais il revendique également ces deux villes, alors que le nord du Maroc est de plus en plus affecté par la pauvreté. Les quinze derniers mois durant lesquels les frontières ont été fermées ont contribué à appauvrir considérablement les ressortissants des villes de cette région qui vivaient des échanges économiques formels et surtout informels. La fermeture du poste-frontière a provoqué un net déclin du commerce entre Fnideq (Castillejos en espagnol) et Ceuta. De longues années durant, des femmes y passaient quotidiennement, chargées de marchandises espagnoles hors taxes. Ces pratiques d'une contrebande tolérée généraient une activité commerçante qui oxygénait le nord du Maroc.

Aussi, quels que soient les dispositifs de sécurité mis en place, le fossé économique qui se creuse entre l'Espagne et le Maroc incitera de plus en plus les Marocains à s'installer à Ceuta, avec l'idée de rejoindre la péninsule ibérique. En outre, l'externalisation des contrôles migratoires en Méditerranée donne au Maroc les moyens d'instrumentaliser le phénomène migratoire. Aujourd'hui, Rabat reproche à l'Espagne l'accueil et l'hospitalisation de Brahim Ghali, le chef du Front Polisario. Mais par-delà cet accueil, Rabat fait pression sur l'Espagne pour emboîter le pas aux États-Unis qui, en décembre 2020 reconnaissaient que le Sahara occidental était marocain.

Or, l'Espagne est l'ancienne puissance coloniale au Sahara occidental. Elle a quitté ce territoire en 1975 sans y avoir organisé de référendum d'autodétermination. Il y a une culpabilité espagnole à avoir bâclé cette décolonisation, ayant ainsi ouvert la voie à l'installation du Maroc sur un « territoire non autonome » selon la terminologie onusienne. Cette décolonisation inachevée explique l'existence, en Espagne, d'une opinion publique très sensible au règlement du conflit saharien qui ne peut se faire, selon elle, que dans le cadre du droit international et par le biais d'une consultation référendaire des populations concernées. Premier partenaire économique du Maroc, l'Espagne ne peut ni ignorer son opinion ni passer outre un processus de règlement qu'elle a voulu et qu'elle a signé. Aussi, par-delà l'aspect humanitaire mis en avant pour expliquer les soins médicaux prodigués au chef du Front Polisario, l'Espagne, pays démocratique, est également liée par le respect du droit international.


Espagne : les élections du 10 novembre compliquent encore le casse-tête politique

Par : pierre

Nouvelle progression du parti d’extrême droite Vox, chute des ultra-libéraux de Ciudadanos : le premier ministre sortant, le socialiste Pedro Sanchez, est plus que jamais dans l’impasse pour former une majorité

L’approche des élections générales espagnoles du 10 novembre faisait figure de chronique d’une impasse annoncée. A l’issue du scrutin, cette dernière apparaît plus inextricable encore que prévu. Non seulement aucune alliance au sein des cinq formations principales ne semble se dessiner, mais le nouveau parlement compte désormais nombre de petits partis, souvent régionaux, représentés par quelques élus, voire un seul. Cet éclatement du congrès des députés complique encore un peu plus la formation d’un gouvernement soutenu par une majorité stable.

C’était la quatrième fois en quatre ans que les 37 millions d’électeurs espagnols étaient appelés à élire leurs députés – cette fois avec une participation de 69,9%, soit une baisse de 1,9 point par rapport au dernier scrutin, qui ne remonte qu’au 12 avril de cette année. Le parlement qui en était issu n’avait jamais pu trouver une majorité en son sein pour investir le premier ministre socialiste (PSOE) sortant, Pedro Sanchez.

En 2015-2016, le paysage politique a connu la fin du bipartisme (PP, PSOE)

Celui-ci était arrivé au pouvoir en juin 2018, à la faveur d’une motion de censure surprise qui avait mis en minorité son prédécesseur, Mariano Rajoy (Parti populaire, droite conservatrice). Ce dernier gouvernait depuis décembre 2011, et avait réussi à se maintenir sans majorité stable depuis les scrutins successifs de décembre 2015 puis de juin 2016. A ce moment, le paysage politique a connu la fin du bipartisme (PP, PSOE) qui avait caractérisé la période post-franquiste.

Deux formations avaient en effet émergé : Podemos, un parti issu du mouvement des Indignés et classé gauche « radicale » ; et Ciudadanos, une formation ultralibérale sur le plan économique, mais aussi connue pour son intransigeance contre l’indépendantisme catalan. Puis, en décembre 2018, Vox, un parti dissident du PP par la droite, avait fait irruption à l’occasion des élections régionales d’Andalousie. Il avait alors soutenu le PP et Ciudadanos, avec pour résultat d’envoyer dans l’opposition les socialistes dans ce qui était pourtant leur fief régional emblématique.

Heure de vérité

Dans ce paysage fragmenté, le chef du gouvernement a chuté en février 2019 lorsque les députés ont refusé son budget, ce qui a provoqué les élections d’avril. A l’issue de celles-ci, Pedro Sanchez, victorieux, aurait souhaité bénéficier du soutien parlementaire de Podemos sans que celui-ci participe à son gouvernement. Avant de proposer finalement à ce dernier quelques postes ministériels que la formation dirigée par Pablo Iglesias a jugé très insuffisants. Mais M. Sanchez n’a pas voulu faire plus de concessions. De même qu’il a rejeté les ultimes offres de service de Ciudadanos.

Le scrutin du 10 novembre était donc l’heure de vérité pour le dirigeant socialiste. Pari perdu : le PSOE passe de 28,7% à 28%, un recul certes minime, mais loin du renforcement qui lui aurait donné le surcroît de légitimité qu’il espérait. Les socialistes comptent désormais 120 députés contre 123 précédemment. Ils restent la première force électorale du pays, même s’ils sont très loin de renouer avec les près de 44% qu’ils obtenaient encore en 2009.

Pour sa part, Podemos, avec 12,8% des suffrages, connaît un nouveau recul (- 1,5 points), après la chute de 6,8 points déjà encaissée en avril. Elle compte désormais 35 députés, soit sept de moins, même s’il faut ajouter à ce total les 3 sièges obtenus par une formation dissidente, Mas Pais, de même orientation politique mais défendant une stratégie plus « transversale » – certains diraient « populiste ». La gauche dite radicale continue à payer son ancrage plus urbain et aisé que tourné vers les classes populaires.

De son côté, le jeune dirigeant du Parti populaire, Pablo Casado, voit son parti remonter la pente avec 20,8% des suffrages (+ 4,8 points), il est vrai par rapport au résultat catastrophique d’avril.

Il a manifestement pris des voix à Ciudadanos, dont la ligne stratégique a désorienté beaucoup d’électeurs. C’est l’un des deux traits marquants du scrutin : la formation anti-indépendantiste née à l’origine en Catalogne s’effondre à 6,8% contre 15,9% six mois plus tôt. Elle ne compte plus que 10 députés, alors qu’elle en avait 57. Cette dégringolade fait s’envoler les espoirs de former une coalition de droite l’associant au PP avec le soutien de Vox, selon le modèle andalou.

Cette fois encore, Vox doit son succès à ses plus farouches adversaires : les indépendantistes catalans

Même attendue, l’ascension de ce dernier parti est la seconde caractéristique du vote du 10 novembre. En avril, ce parti qui peut être qualifié d’extrême droite puisqu’il ne cache guère sa nostalgie du franquisme, était passé de quasiment rien à 10,3%. Cette fois, il fait un nouveau bond de 4,8 points, et récolte 52 députés (contre 24 précédemment). Sa progression d’avril, consécutive à sa percée en Andalousie, était liée notamment aux arrivées de migrants. Cette fois, plus encore que précédemment, Vox doit son succès à ses plus farouches adversaires : les indépendantistes catalans.

Car il a choisi de se positionner en plus virulent défenseur de l’unité de l’Espagne. Or le calendrier électoral a coïncidé avec la condamnation, le 14 octobre, de neuf dirigeants indépendantistes par la Cour suprême. Ceux-ci étaient accusés de sédition pour avoir organisé le référendum illégal d’octobre 2017 portant sur l’indépendance de la Catalogne. Les peines de prison ont été sévères, ce qui a déclenché de violents heurts notamment à Barcelone. Vox, autoproclamé parti de l’ordre et de l’Espagne unitaire, a manifestement profité des images d’affrontement.

Pour leur part, les résultats des indépendantistes progressent très légèrement en Catalogne à 42,5%, loin d’atteindre les 50%, cependant. En leur sein, la gauche républicaine (ERC) perd deux sièges, Ensemble pour la Catalogne (dirigée par l’ex-président régional aujourd’hui en fuite à Bruxelles, Carles Puigdemont, droite) en gagne un, et la formation dite « de gauche radicale et anti-UE », la CUP, qui se présentait pour la première fois, obtient deux élus.

Si l’on raisonne en termes nationaux, le « bloc de gauche » et le « bloc de droite » rassemblent chacun environ 10,3 millions d’électeurs, là où le premier disposait encore de 100 000 petites voix d’avance en avril dernier.

Comment en finir avec le blocage ?

Pedro Sanchez a immédiatement promis que « cette fois, sans faute, nous allons former un gouvernement progressiste et en finir avec le blocage politique dans ce pays », et annoncé des consultations avec tous les partis, sauf Vox. Il estime en effet que de nouvelles élections dans six mois achèveraient d’exaspérer les citoyens, et qu’il s’en verrait attribuer la faute.

Mais comment ? Même s’il réussissait à trouver un accord avec Podemos, une telle coalition n’atteindrait pas la majorité absolue de 176 sièges. Il lui faudrait en plus rallier quatre ou cinq petits partis (autonomistes basques, galiciens, voire certains indépendantistes catalans), ce qui relève sans doute de la quadrature du cercle.

Autre configuration : la mise sur pied d’un gouvernement minoritaire faisant adopter des mesures par des majorités à géométrie variable. Mais cela supposerait au départ de décrocher un vote d’investiture, moyennant (au deuxième tour) l’abstention du PP. Une abstention « technique » avait-il supplié avant même le jour des élections.

Mais si les amis de M. Casado s’engageaient dans cette voie, ils seraient probablement accusés de faiblesse par Vox, avec le risque de se faire ultérieurement tailler des croupières par cette formation.

Reste l’hypothèse d’une « grande coalition » associant PSOE et PP. Cela trancherait avec les habitudes politiques hispaniques, et laisserait le champ libre à Vox d’un côté, et Podemos de l’autre.

Aucun parti n’a remis en cause si peu que ce soit l’appartenance du pays à l’UE, ce qui a évacué l’Europe de la campagne électorale

Mais il est possible que certains dirigeants européens pèsent discrètement dans ce sens. Car l’instabilité persistante à Madrid préoccupe Bruxelles. En particulier, l’absence de gouvernement de plein exercice complique la « maîtrise » des finances publiques et le suivi de l’austérité budgétaire.

Aucun parti n’a remis en cause si peu que ce soit l’appartenance du pays à l’UE, ce qui a évacué l’Europe de la campagne électorale. Mais le chef du gouvernement et ses amis entendent bien que l’Espagne tienne son rang à Bruxelles. Il a du reste réussi à faire désigner l’actuel chef de la diplomatie comme futur Haut représentant de l’UE pour les affaires extérieures. Et veut continuer à jouer les « bons élèves » de l’Union.

Pour l’heure, l’Espagne reste donc dans le club des pays en attente de gouvernement, avec la Belgique et l’Autriche, voire disposant d’une majorité branlante, comme aux Pays-Bas et en Roumanie. Un signe d’une crise politique multiforme qui se manifeste de plus en plus fréquemment au sein des Vingt-sept.

 

Analyse issue notamment d’un entretien avec Nicolas Klein

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Les Espagnols retourneront une nouvelle fois aux urnes

Par : pierre

C’était devenu de plus en plus probable. C’est désormais officiel : les Espagnols retourneront aux urnes, en l’occurrence le 10 novembre. Deux mois se sont en effet écoulés depuis le 23 juillet dernier, date à laquelle le premier ministre socialiste, Pedro Sanchez, avait initialement tenté d’obtenir, sans succès, l’investiture parlementaire. Passé ce délai, faute de vote majoritaire des députés, la constitution impose de nouvelles élections.

Ce sera donc… le quatrième scrutin législatif depuis quatre ans. Pour comprendre ce blocage répétitif, il faut remonter aux élections de décembre 2015. Le paysage politique espagnol connaît alors un bouleversement : la domination écrasante des deux grands partis traditionnels, le Parti socialiste (PSOE) et le Parti populaire (PP, droite) est battue en brèche par l’émergence de deux nouvelles formations : Podemos, étiqueté gauche radicale, issu du mouvement social des Indignés ; et Ciudadanos, une formation initialement issue de la Catalogne mais radicalement opposée à l’indépendance de celle-ci, et qui s’est étendue à l’ensemble du pays, mettant en avant la lutte contre la corruption ainsi que le libéralisme, voire l’ultralibéralisme.

Cette quadripartition avait alors empêché la formation d’une majorité parlementaire, et provoqué un nouveau scrutin, en juin 2016. Mariano Rajoy (PP) s’était finalement maintenu à son poste en obtenant des majorités au coup par coup. Et ce n’est qu’en juin 2018 qu’il avait été renversé, de manière inattendue, par une motion de défiance parlementaire présentée par le chef des socialistes, Pedro Sanchez.

Le gouvernement minoritaire de Pedro Sanchez a tenu jusqu’à février 2019, date à laquelle son budget a été rejeté

Ce dernier a alors accédé à la présidence du gouvernement. Mais il ne disposait que sur 84 députés (sur 350). Son gouvernement minoritaire a tenu jusqu’à février 2019, date à laquelle son budget a été rejeté. De nouvelles élections, devenues inévitables, se sont alors tenues, le 28 avril dernier. Mais une nouvelle fois, la formation d’une majorité stable s’est avérée un casse-tête.

Le PSOE était certes apparu comme vainqueur du scrutin avec 28,7% des suffrages (+ 6,1 points), mais ses 123 députés étaient loin de représenter une majorité. De son côté, Podemos (avec quelques alliés) devait se contenter de 14,3% (- 6,8 points).

Ces élections avaient par ailleurs vu une chute du PP (16,7%, soit – 16,3 points), qui s’était fait plumer par ses deux partenaires potentiels de coalition : Ciudadanos (15,8%, + 2,8 points), et une nouvelle formation, nostalgique du franquisme, Vox. Cette dernière, qui surfait sur un soudain afflux de migrants et sur le rejet des indépendantismes, notamment catalan, obtenait 10,3% des suffrages.

Tractations entre le PSOE et Podemos

L’hypothèse d’une coalition de droite étant arithmétiquement écartée, les mois qui ont suivi le verdict électoral d’avril ont été marqués par des tractations entre le PSOE et Podemos. Ce dernier s’affichait prêt à constituer une coalition, mais exigeait une participation significative au gouvernement. Pedro Sanchez n’a jamais caché sa préférence pour un cabinet formé exclusivement par des ministres de son parti qui se serait appuyé sur les députés Podemos. Au cœur de l’été, il a cependant proposé trois ministères à cette formation – un geste que le leader de cette formation a jugé très insuffisant.

Pablo Iglesias, peut-être conscient qu’il a ainsi laissé passer une occasion, est revenu in extremis, mi-septembre, sur son refus. Trop tard, « la confiance a été rompue », a fait valoir M. Sanchez. Ce dernier était d’autant moins enclin à sauver la perspective d’un gouvernement avec Podemos que les deux groupes parlementaires ne suffisent pas à atteindre la majorité absolue. Pour gagner son investiture, le dirigeant socialiste devait aussi obtenir le soutien de députés autonomistes, dont les élus séparatistes de la Gauche républicaine catalane (ERC).

Or ce sont ces derniers qui l’avaient fait chuter, en février dernier, en refusant de soutenir son budget. Qui plus est, un tel soutien aurait pu fâcher une partie des électeurs socialistes hostiles à toute entente avec des séparatistes catalans. Et ce, à un moment où ce thème va refaire surface : plusieurs des dirigeants indépendantistes sont passés en procès pour avoir tenté de forcer l’indépendance de manière unilatérale (notamment avec le référendum jugé illégal d’octobre 2017). Les verdicts sont attendus prochainement.

Aux yeux des électeurs, Pedro Sanchez a probablement réussi à rejeter la responsabilité de ce nouveau retour aux urnes sur Podemos, mais aussi sur Ciudadanos

Aux yeux des électeurs, Pedro Sanchez a probablement réussi à rejeter la responsabilité du blocage, et donc de ce nouveau retour aux urnes, sur Podemos, mais aussi sur Ciudadanos : ce parti dit « centriste » avait, lui, assez de parlementaires pour former une coalition stable avec le PSOE. Et aucune divergence majeure ne sépare en réalité les deux formations. Une alliance qui aurait eu tout pour satisfaire les milieux d’affaires.

Mais le chef de Ciudadanos est resté ferme dans sa stratégie : tenter de devancer le PP, pour prendre ensuite la tête d’une coalition dite de centre-droit. Cet entêtement a provoqué une crise au sein de Ciudadanos, et pourrait bien lui coûter des voix. Le PP pourrait en revanche amorcer une remontée. Les sondages (qui n’ont pas toujours été de bons indicateurs dans le passé) prédisent par ailleurs une nouvelle chute de Podemos.

Plébiscite pour ou contre Pedro Sanchez

A ce stade, les élections du 10 novembre, dont la campagne officielle ne démarre que le 1er novembre, apparaissent comme une sorte de plébiscite pour ou contre Pedro Sanchez. Et ce dernier a quelques raisons d’espérer un résultat en sa faveur.

Certes il est improbable que les socialistes gagnent une majorité absolue. Mais, en cas de nouveau progrès, M. Sanchez pourrait se sentir légitime à diriger un gouvernement minoritaire : quel parti oserait provoquer un cinquième scrutin ?

Déjà, il est vraisemblable que les citoyens expriment un certain ras-le-bol de l’impasse actuelle en s’abstenant davantage qu’en avril. D’autant qu’aucun enjeu majeur n’oppose frontalement les forces en présence. En particulier, aucun parti ne remet en cause ni même ne critique vraiment l’Union européenne. De ce fait, la politique qui sera menée sera conforme au cadre communautaire, en particulier en matière économique et sociale.

Certes, avant le scrutin d’avril, le gouvernement minoritaire de M. Sanchez avait pris quelques mesures telles que l’augmentation du SMIC à 900 euros (+22%), l’indexation des retraites, ou la hausse des bourses étudiantes – autant de dispositions critiquées par ses adversaires comme électoralistes.

Dès lors qu’un gouvernement de plein exercice sera investi, Bruxelles ne devrait pas tarder à rappeler les règles et les contraintes budgétaires

Mais dès lors qu’un gouvernement de plein exercice sera investi, Bruxelles ne devrait pas tarder à rappeler les règles et les contraintes budgétaires. Ce ne sera du reste probablement pas nécessaire, tant les socialistes espagnols affichent fièrement leur « foi européenne ». Du reste, Josep Borrell qui détenait le portefeuille des affaires étrangères a rendu ce dernier pour intégrer la nouvelle Commission européenne qui prendra ses fonctions le 1er novembre, avec le titre de haut représentant de l’UE pour la politique extérieure. Et c’est une Espagnole qui préside désormais le groupe social-démocrate à l’europarlement (un poste traditionnellement détenu par le SPD).

Ces succès européens de M. Sanchez ne feront probablement pas oublier aux Espagnols, en particulier aux classes populaires, que le pays est loin d’avoir effacé la crise majeure des années 2010. Certes, les statistiques officielles du chômage ont diminué depuis cette période, mais elles recensent toujours 14% des privés d’emplois. Un chiffre qui sous-estime largement une réalité marquée par la précarité, la pauvreté et l’économie souterraine notamment dans les régions les plus défavorisées.

Quant à la conjoncture, elle s’annonce mauvaise dans l’Union européenne pour les mois qui viennent. Quels que soient les résultats du scrutin…

 

– L’édition de Ruptures de septembre vient de paraître (voir son sommaire). Une page est consacrée aux dernières nouvelles du Brexit. Pour recevoir cette édition et les suivantes, il n’est pas trop tard pour s’abonner.

–  Voir aussi les derniers développements politiques avec la décision de la Cour suprême britannique : article tout récemment mis en ligne sur ce site

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Les Chrétiens dans Al-Andalus (R. Sanchez Saus)

Cet ouvrage est étonnant : j'avais commencé à le feuilleter et je suis tombé dedans, tant il ouvre beaucoup d'horizons et remet des pendules à l'heure. Disons tout de suite que je connais bien mal la géopolitique et l'histoire de l'Espagne et que simultanément, je méfie de beaucoup de propos sur l'islam, tant la plupart me paraissent biaisés : cela fait partie des sujets que l'on peut très difficilement aborder sereinement sans verser dans une approche idéologique.

Ce préambule est nécessaire car il précise d'où je pars : comme beaucoup, j'en étais resté à une vision un peu idyllique de l'al-Andalus musulmane. Bien sûr, les palais de l’Alhambra à Grenade font partie de ce récit mirifique et il est vrai que cette acropole méridionale, tout comme la grande mosquée de Cordoue, manifestent une civilisation raffinée et digne d'estime. C'est pourquoi j'écoutais aussi le discours sur la chrétienté mozarabe, qui aurait été le modèle d'une coexistence harmonieuse entre musulmans et chrétiens dans un régime médiéval : cela démentissait beaucoup de discours sur l'oppression islamique.

Or, ce discours répandu et partagé constitue probablement une construction géopolitique récente car les choses ne se sont pas passées comme cela : c'est tout l'intérêt de ce livre de nous en dresser minutieusement la chronique, avec beaucoup d'érudition. On apprend ainsi que les conquérants étaient beaucoup moins unifiés qu'on se le représente (avec notamment de profondes hostilités entre les Berbères et les Arabes), que le statut de Dhimmi est allé en s'aggravant et que du coup, l'opression sous ses formes les plus diverses aidant, il y a eu un double processus d'assimilation des populations chrétiennes prévalentes, soit par conversion directe, soit par acculturation des Mozarabes.

De même, la chrétienté wisigothique paraît avoir été très divisée ce qui explique probablement non seulement la défaite face au conquérants mais aussi, peut-être, le manque de solidité par éloignement du reste de l'Eglise. On notera d'ailleurs, à la lecture du livre, que les Musulmans d'al-Andalus se sentent eux-mêmes sur une île, à l'autre bout du monde et très éloignés des centres de pouvoir musulmans de l'époque. Au fond, la péninsule est loin des uns et des autres. Comme le dit l'auteur (p. 469), Al Andalus a été tout le temps pétrie de contradictions, entre une soi-disant origine arabe magnifiée et une réalité berbère méprisée et pourtant nécessaire, renforçant le sentiment d'insularité.

D'ailleurs, la reconquête n'interviendra que quand les royaumes du Nord auront rebâti une structure idéologique avec l'appui notamment des clunisiens et des Français, à partir du XIè siècle.. Au fond, ils réussiront à créer une alternative idéologique (réforme grégorienne, féodalité et croisades) nouvelle et non pas à tenter de reprendre une rénovation wisigothique. C'est sous ces conditions qu'ils pourront reprendre la totalité de l'Hispanie.

Au passage, voyons l'évolution des noms : nous avions une Ibérie romaine, puis une Al-Andalus (déformation du mot Atlantide !) et enfin une Hispanie qui donnera notre Espagne.

Mais au-delà de ces précisions historiques qui permettent de mieux comprendre ce qui s'est passé, l'enjeu consiste bien évidemment à déterminer l'identité espagnole. Je sais qu'il faut faire attention à ce mot mais le débat a pris de nos jours une acuité importante à travers l'Europe, puisqu'il s'agit du rapport à l'Autre et des notions associées et contradictoires de multiculturalisme, d'assimilation, de métissage, etc. Dans le cas de l'Espagne, la question a deux traits particuliers : la virulence de l'expression mais aussi l'ancienneté de ce processus. Car au fond, le débat consiste à fixer de quand date l’Espagne ? Du tournant de ce siècle (monarchies constitutionnelles du XIXé s.) ou du fin fond du Moyen-Âge ? Autre risque sous-jacent : critiquer al-Andalus reviendrait à critiquer l'islam... Ce n'est pas anodin puisqu'une partie de l'université espagnole refuse de parler de Reconquista.

Ainsi, il y a beaucoup de mythes et d'idéologies portés par cette question d'al-Andalus et de sa soi-disant tolérance. Constatons qu'elle n'a pas eu lieu, ce qui n'empêche pas qu'elle a des trésors architecturaux qui enchantent encore aujourd’hui le visiteur. Ce n'est pas le premier régime tyrannique qui a laissé de beaux bâtiments. Relever la tyrannie ne signifie pas que "tout était mal" ni non plus que "tout était bien" chez ceux qui ont remplacé les califes de Cordoue. Simplement qu'il est temps de faire oeuvre d'historien en se dégageant des subjectivités idéologiques du temps.

Ce livre y contribue.

Rafael Sanchez Saus, Les Chrétiens dans al-Andalus, de la soumission à l’anéantissement, éditions du Rocher, 527 pages, 24 €.

O. Kempf

Espagne : quelle majorité après le scrutin du 28 avril ?

Par : pierre

En Espagne, les élections législatives du 28 avril ont connu une participation record : 75,8% des 37 millions d’électeurs se sont rendus aux urnes, soit 9,3 points de plus qu’en juin 2016. Il s’agissait du troisième scrutin de ce type depuis décembre 2015.

Ce dernier avait marqué un tournant majeur. Le traditionnel face-à-face entre le Parti populaire (PP, droite conservatrice) et le Parti socialiste (PSOE) avait été bouleversé par l’émergence de deux nouvelles formations : Podemos, étiqueté gauche radicale, issu du mouvement social des Indignés (apparu dès 2011 en pleine crise économique et sociale) ; et Ciudadanos, une formation initialement issue de la Catalogne mais radicalement opposée à l’indépendance de celle-ci, et qui s’est étendue à l’ensemble du pays, mettant en avant la lutte contre la corruption ainsi que le libéralisme, voire l’ultralibéralisme.

Cette quadripartition avait alors empêché la formation d’une majorité parlementaire, et provoqué un nouveau scrutin en juin 2016. Mariano Rajoy (PP), premier ministre depuis décembre 2011, s’était finalement maintenu à son poste en obtenant des majorités au coup par coup. Et ce n’est qu’en juin 2018 qu’il avait été renversé, de manière inattendue, par une motion de défiance parlementaire présentée par le chef des socialistes, Pedro Sanchez.

Ce dernier a profité d’un énorme scandale de corruption où le PP était impliqué pour réunir ponctuellement une majorité de députés, et accéder ainsi à la présidence du gouvernement. Il ne disposait cependant que sur 84 députés (sur 350). Son gouvernement minoritaire a tenu jusqu’à février 2019, date à laquelle son budget a été rejeté. Des élections anticipées sont alors devenues inévitables.

Pedro Sanchez apparaît comme l’un des vainqueurs du scrutin du 28 avril. Avec 28,7% des suffrages, il gagne 6,1 points, arrive largement en tête, et compte désormais 123 députés (et même 123 sénateurs, soit la majorité de la Chambre haute).

En revanche, Unidas Podemos (qui regroupait Podemos et des petits alliés comme la Gauche unie) doit se contenter de 14,3% des suffrages, soit une chute de 6,8 points. En 2016, ses dirigeants rêvaient de doubler le PSOE (il s’en est fallu de 1,5 point) et de prendre la tête du gouvernement. Aujourd’hui, son premier dirigeant, Pablo Iglesias, n’a même pas attendu la fin du dépouillement pour proposer à M. Sanchez de devenir un partenaire junior de gouvernement.

De nombreuses querelles internes expliquent en partie cette déconfiture. Plusieurs dirigeants, dont le numéro deux, Inigo Errejon, sont partis. Ce dernier plaidait pour que Podemos redevienne un mouvement transversal populaire transcendant le clivage droite-gauche. La campagne de Podemos a balayé de nombreux thèmes (jusqu’au bien-être animal) plus à même de répondre aux souhaits d’un électorat urbain plutôt aisé qu’aux préoccupations ouvrières. Ses pertes sont moins sévères dans les régions géographiquement « périphériques » (dont la Catalogne), mais il dégringole dans les régions centrales.

Pour sa part, le PSOE a mis en avant des mesures prises en quelques mois de gouvernement minoritaire en vue des élections : augmentation du SMIC à 900 euros (+22%), indexation des retraites, hausse des bourses étudiantes, et annonce de création de postes de fonctionnaires. Le transfert de la dépouille de l’ex-dictateur Francisco Franco a symboliquement complété le tableau. Les socialistes ont en outre bénéficié d’un « vote utile » face à l’émergence annoncée de Vox, une force d’extrême droite ne cachant guère sa nostalgie du franquisme.

Deux thèmes

Vox avait fait une entrée fracassante au parlement d’Andalousie en décembre 2018 (cf. Ruptures du 31/01/19), passant d’un groupuscule marginal dissident du PP en 2013 à un parti réunissant 11% des électeurs. Il a ainsi permis à une coalition PP-Ciudadanos de conquérir la majorité régionale, détrônant le PSOE dans son fief historique.

Deux thèmes en particulier avaient permis à cette jeune formation, très active sur les réseaux sociaux, de créer la surprise : la dénonciation de l’immigration qui s’est considérablement accrue dans la dernière période ; et l’opposition aux indépendantismes, notamment catalan. La mise en avant des traditions et de l’unité espagnoles est ainsi apparue dans le débat public. Elle a ensuite imprégné la campagne pour les élections générales.

Avec 10,3% et 24 députés, Vox réussit sa spectaculaire arrivée, même si ses dirigeants et sympathisants espéraient un score encore plus élevé, susceptible de reproduire au niveau national la nouvelle configuration andalouse. Tel n’est pas le cas, du fait de la défaite historique du PP.

Avec 16,7%, ce dernier divise son résultat par deux (- 16,3 points) et obtient ainsi le pire score de son histoire. Les retombées des scandales de corruption ont manifestement pesé. En outre, la stratégie déployée par son jeune leader, Pablo Casado, consistait à radicaliser son discours pour tenter de contenir l’hémorragie de ses électeurs vers Vox. Cela n’a pas fonctionné, et lui a en outre fait perdre des voix plus « centristes » au bénéfice de Ciudadanos.

Ce parti s’en sort bien puisqu’avec 15,8%, il améliore de 2,8 points son résultat de 2016. Son chef, Albert Rivera, a souligné que 200 000 voix seulement le séparaient du PP. Mais l’hypothèse d’une coalition majoritaire des trois partis de droite est désormais exclue : ensemble, ils ne totalisent que 147 députés. Le « bloc de gauche » en compte, lui, 165. Insuffisant, cependant, pour atteindre la majorité absolue de 176 sièges. Une barre qui ne serait pas atteinte même avec le soutien des six élus du Parti nationaliste basque.

Le triomphe du PSOE au soir du scrutin (conforté par de bons résultats aux élections régionales à Valence), doit donc être relativisé. En 2008, à l’aube de la crise, ce parti obtenait encore 43,9% des suffrages – il est vrai que Podemos n’existait pas encore. Par ailleurs, l’actuel écart entre le « bloc de gauche » et celui de droite est inférieur à 100 000 voix. Enfin et surtout, M. Sanchez reste confronté à un choix délicat.

Soutien des indépendantistes ?

S’il écoute une large part de sa base, favorable à un accord avec Podemos, il lui faudra aller chercher le soutien complémentaire des indépendantistes catalans, au moins ceux de la gauche républicaine catalane (ERC) qui juge tactiquement plus adroit de composer avec Madrid. A noter que la droite indépendantiste – Ensemble pour la Catalogne (JxC), dont le chef est exilé à Bruxelles – prône en revanche l’intransigeance. Mais l’ERC (dont plusieurs dirigeants élus députés sont en prison après l’organisation du référendum illégal d’indépendance en octobre 2017) a largement battu ses alliés et rivaux de JxC.

M. Sanchez n’est guère enthousiaste quant à cette alliance avec des séparatistes catalans : ce sont ces derniers qui ont refusé de voter son budget. En outre, un tel soutien pourrait donner des armes à ses adversaires de droite prompts à l’accuser de défaire l’unité de l’Espagne.

Quant à une alliance PSOE-Ciudadanos, elle a été exclue par M. Rivera pendant sa campagne. Certes, un retournement n’est jamais à exclure, mais elle ne semble pas être dans l’intérêt tactique de Ciudadanos qui veut devenir le premier parti d’opposition, et mise sur un échec à court terme de M. Sanchez.

Pourtant, cette coalition entre deux formations qu’aucune grave divergence idéologique ne sépare assurerait arithmétiquement une majorité parlementaire stable – ce serait une première depuis 2015. Un avantage qui a probablement la sympathie des milieux d’affaires, comme en témoignent les récents commentaires du Financial Times et de The Economist.

A moins que M. Sanchez ne préfère constituer un gouvernement homogène minoritaire ? Dans ce cas, la question de sa longévité serait à nouveau posée. Quoiqu’il en soit, le 26 mai, les électeurs retourneront aux urnes pour les élections européennes, mais aussi régionales et locales. Aucune alliance ne devrait être constituée d’ici là.

Pedro Sanchez, à peine les résultats connus, a annoncé qu’il souhaitait « former un gouvernement pro-européen pour renforcer et non affaiblir l’Europe ». Une allusion implicite au fait que ce scrutin espagnol est bien le premier depuis longtemps au sein de l’UE qui n’a pas provoqué de sueurs froides à Bruxelles. Car tous les partis, Vox compris, sont des partisans déclarés de l’intégration européenne.

Pas sûr cependant que cela traduise un enthousiasme populaire unanime : le thème a été, prudemment, totalement absent de la campagne électorale…

Analyse issue notamment d’un entretien avec Nicolas Klein

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« Nous sommes le peuple ! » (éditorial paru dans l’édition du 19/12/2018)

Par : pierre

Londres, Berlin, Rome, Madrid, Bruxelles, Stockholm. Et Paris. Si un européiste s’était éclipsé de l’UE il y a quelques années et ré-atterrissait aujourd’hui, il serait atterré, éberlué, anéanti. Où qu’il porte le regard, il ne découvrirait que ruines et cataclysmes. A commencer par ce fait de portée littéralement historique : pour la première fois, un pays va quitter l’Union européenne après en avoir démocratiquement décidé. Certes, les soubresauts ne sont pas terminés. Mais, d’une manière ou d’une autre, fût-ce à une échéance un peu plus éloignée qu’espéré par certains, le Royaume-Uni va reprendre le contrôle de ses lois, de ses deniers, de ses frontières.

L’Allemagne connaît une instabilité politique durable. A Rome, le cauchemar de la Commission européenne s’est réalisé. La Belgique vient de plonger dans une crise gouvernementale. La Suède n’a toujours pas de gouvernement.

L’Allemagne est, quant à elle, plongée depuis les élections de septembre 2017 dans une instabilité politique durable. Elections régionales calamiteuses, coalition chancelante et démission forcée de la patronne des chrétiens-démocrates : nul ne se risque à pronostiquer la fin de ce chaos qui paralyse Berlin sur la scène européenne.

A Rome, le cauchemar de la Commission européenne s’est réalisé : la coalition baroque des « populistes » et de l’« extrême droite » est au pouvoir et ne s’estime pas tenue par les règles sacrées de l’euro. Certes, des signes de compromis sont envoyés vers Bruxelles. Mais le fait est là : l’un des pays réputés les plus euro-enthousiastes durant des décennies a tourné casaque.

L’Espagne était il y a quelques mois encore décrite comme l’un des derniers pays immunisé contre ladite extrême droite. Or le parti Vox, jusqu’à présent marginal, vient d’entrer de manière fracassante dans le parlement régional d’Andalousie, et nourrit des espoirs réalistes de s’allier avec le Parti populaire (conservateur) en vue d’être associé au pouvoir à Madrid, peut-être dès 2019. La Belgique vient de plonger dans une crise gouvernementale. La Suède n’a toujours pas de gouvernement, près de quatre mois après les élections.

Et si notre néo-huron tentait de se consoler en se tournant vers l’Est, le spectacle achèverait de le désespérer. La Pologne et plus encore la Hongrie sont en conflit avec l’Union qui a entamé contre elles des procédures pour « grave atteinte à l’Etat de droit ». Quant à la Roumanie, elle est en passe de rejoindre le camp des moutons noirs « illibéraux », mais là avec un gouvernement social-démocrate. Comble de malheur : Bucarest prend au 1er janvier la présidence semestrielle du Conseil de l’UE.

Champ de ruines et de mines

Dans ce qui représente pour les fans de l’Europe un champ de ruines et de mines, on ne saurait oublier la France. On peut même penser que le mouvement des Gilets jaunes constitue, parmi les Vingt-huit et hors Brexit, la crise la plus ample, la plus profonde, et la plus dangereuse pour l’intégration européenne.

Parti d’un rejet ô combien légitime d’une taxe supplémentaire sur le carburant visant officiellement à imposer la « sobriété » énergétique « pour éviter la fin du monde », cette mobilisation allie dans une même dynamique l’irruption de la question sociale, à travers la révélation que la pauvreté et le mal-vivre ne sont pas le lot des seuls « exclus », mais bien de millions de ménages qui forment le monde du travail ; et la prégnance de la question nationale, comme en témoigne l’omniprésence du drapeau tricolore et de la Marseillaise. Deux mots sont revenus comme un leitmotive : pouvoir d’achat pour vivre décemment ; et souveraineté populaire, pour décider ensemble. Une auto-politisation accélérée résumée en une formule : « nous sommes le peuple ». Explosif et ravageur pour un président de la République symbolisant la richesse éhontée et l’arrogance assumée.

« Notre seule bataille, c’est pour la France » : la proclamation d’Emmanuel Macron relève de l’escroquerie, mais révèle la force d’un mouvement qui l’a contraint à passer ce soir-là l’Europe par pertes et profits

Ce dernier n’est pas seulement démonétisé dans l’Hexagone. Il a largement perdu son crédit au sein des élites de l’UE, qui, il y encore un an, voyaient en lui le jeune et brillant sauveur de l’Europe. La presse allemande, en particulier, ne lui pardonne pas d’être tombé de son piédestal jupitérien. C’en est fini des espoirs de réformes « audacieuses » et des ambitions européennes déclamées dans le discours de la Sorbonne.

Concluant son intervention solennelle du 10 décembre, le maître de l’Elysée a usé notamment de deux formules : « mon seul souci, c’est vous » ; « notre seule bataille, c’est pour la France ». La première est un aveu involontairement humoristique ; la seconde relève évidemment de l’escroquerie, mais révèle la force d’un mouvement qui a contraint le chantre de la « souveraineté européenne » à passer ce soir-là l’Europe par pertes et profits.

Rien ne sera plus jamais comme avant.

Pierre Lévy

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