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À partir d’avant-hierAnalyses, perspectives

Réfugiés syriens. Le pari hasardeux du retour au pays

Pas facile de décider de rentrer au pays quand on est réfugiés. Certains le paient de leur vie comme Alexeï Navalny en Russie. Les returnees, comme les appelle l'ONU, sont nombreux à repartir en Syrie. On ne salue jamais leur courage. Leur retour n'est pas toujours un choix. Mais tous font face à de nombreuses menaces, et ceux qui ne peuvent en ressortir y meurent dans le silence.

Depuis la mort d'Alexeï Navalny le 16 février 2024, on a lu dans les médias et sur les réseaux sociaux beaucoup de commentaires sur sa décision de retourner en Russie après son empoisonnement et sa convalescence en Allemagne. Quand on lui posait la question de son choix, il répondait : « C'est notre pays, nous n'en avons pas d'autre ». Son courage ou son sacrifice, c'est selon, ont fait couler beaucoup d'encre. Lui, assurait ne pas regretter. À l'annonce de son décès, tous les dirigeants occidentaux se sont fendus d'un discours nommant le responsable et réclamant une enquête. Navalny est rentré en Russie, il en est mort, son combat persiste et les médias continuent de le faire exister.

Mais ceux qui ont pris le chemin du retour, quand il mène à la Syrie, restent dans l'oubli.

Qui se souvient de Mazen Al-Hamada, de son retour et de sa disparition dès son arrivée à l'aéroport de Damas, dans un silence assourdissant ? Qui a applaudi et pleuré le courage de Bassel Shehadeh ? Qui s'est indigné du retour de Rifaat Al-Assad ? Qui s'est ému, après le tremblement de terre, que le poste frontière de Bab Al-Hawa s'ouvre pour laisser passer des sacs mortuaires avant l'aide humanitaire ? Qui s'inquiète du sort des Syriennes et des Syriens qui rentrent aujourd'hui dans leur pays ?

Triple échec

Bassel Shehadeh s'est engagé dès le début dans la révolution. Réalisateur prometteur, il obtient en août 2011 une bourse pour aller étudier le cinéma aux États-Unis. De retour en Syrie pour Noël, il décide de ne pas repartir. Il gagne alors Homs, où il forme les militants de la ville aux techniques audio-visuelles et continue de documenter les manifestations, les sièges, la résistance. Il incarne alors, avec tant d'autres, la détermination et la créativité de la jeunesse syrienne. Il est tué le 28 mai 2012, dans un bombardement des forces du régime. Il avait 28 ans. Son retour, son engagement, sa mort n'ont pas fait la une d'un seul média occidental1.

Mazen Al-Hamada a passé près de trois années dans les prisons syriennes. Exilé en 2014, il a témoigné dans le monde entier de la torture qu'il y a subie. Malade, hanté par les supplices, il incarnait dans toutes les auditions et les interviews l'espoir que son témoignage changerait quelque chose, la peur de ne pas être entendu, la violence du cri étouffé. Face au peu d'échos que suscitent ses témoignages et à l'inaction des institutions internationales, il enrage, s'isole. Précaire, épuisé, aigri, amer, il prend l'avion le 22 février 2020 pour retourner à Damas, où il disparaît dès son arrivée à l'aéroport. Ce retour, soudain et inexpliqué, est parfois mis sur le compte de ses troubles psychiques2.

Ces deux histoires de retour en Syrie sont emblématiques d'un triple échec : médiatique, politique et judiciaire. Elles incarnent le silence et l'inaction occidentale qui accompagnent les exactions du régime syrien, l'oubli, l'abandon ou la mise en danger de celles et ceux qui témoignent, la complaisance envers les dirigeants (lire l'encadré).

En Syrie comme à Gaza, les victimes meurent deux fois. Les bourreaux, eux, font de vieux os.

Un échec humanitaire

Celles et ceux qui retournent en Syrie y sont rarement accueillis en héros. Ils et elles ont fui la guerre, vers la Turquie ou le Liban principalement. lls et elles font le choix de rentrer, parce qu'ils y sont précaires et qu'ils y subissent les violences des autorités et des civils. Parce que, comme la Russie de Navalny, la Syrie est leur seul pays3. Ces returnees rapatriés »), du nom anglais par lequel l'organisation des Nations unies (ONU) les désigne, se réinstallent, suivant leurs trajectoires, dans des zones contrôlées par le régime ou par d'autres autorités locales. Beaucoup disparaissent. En 2019, un rapport de l'ONG Syrian Network for Human Rights (SNHR) fait état d'au moins 638 réfugiés disparus après leur retour. Quinze sont morts sous la torture4.

En 2021, Amnesty International publie un rapport qui documente les viols et les disparitions forcées dont sont victimes les personnes rentrant au pays. Son titre est évocateur : « Tu vas au-devant de la mort »5. Suspectées d'en être parties car hostiles au régime, elles sont dès lors exposées au désir de vengeance de ses agents.

La plupart de celles et ceux qui rentrent prennent pourtant cette décision en pensant qu'elle ne représente pas un danger, que le retour, au vu de leur profil, n'est pas risqué.

La réconciliation, une humiliation

Depuis 2016, l'agence des Nations unies pour les réfugiés (HCR) dénombre 388 679 returnees malgré des conditions économiques, sécuritaires et humanitaires catastrophiques. Le plus souvent, ils partent de la Turquie ou du Liban où ils n'ont pas de statut et sont les bouc-émissaires de politiques et de populations de plus en plus hostiles. Début février 2024, le Haut-Commissariat des droits de l'homme (HCDH) publie un rapport préoccupant sur les menaces auxquelles sont exposés ces Syriens6.

Ceux et celles qui veulent rentrer par la voie officielle afin d'éviter les risques de représailles doivent se soumettre au processus de « réconciliation ». Ce dispositif opaque et humiliant a été mis en place de manière non officielle par le régime, les demandeurs devant verser de l'argent à un intermédiaire de l'État afin de s'assurer qu'ils ne seront pas inquiétés par les services de renseignement. Ce processus n'a pas de cadre légal et les décisions sont arbitraires.

En rentrant, la plupart trouvent leurs biens détruits ou confisqués, et certains doivent désormais s'acquitter d'un loyer auprès des autorités locales pour vivre dans leurs propres maisons.

Sans papiers d'identité

La grande majorité ne dispose pas de papiers d'identité. De gré ou de force, ces Syriens ont souvent dû les abandonner en quittant le pays ou en y revenant. Ceux qui s'installent dans des zones non contrôlées par le régime obtiennent des documents édités par les autorités locales, qui n'ont aucune valeur en dehors du pays et qui les exposent à chaque vérification des forces progouvernementales. Inversement, le fait d'être en possession de documents délivrés par le régime peut entraîner des problèmes similaires dans les zones hors du contrôle gouvernemental.

En plus de constater la confiscation de leurs biens, de retrouver leur logement détruit ou occupé, de n'avoir pas accès à un état-civil, de ne pas pouvoir travailler, d'avoir peur de scolariser leurs enfants car ils redoutent un enlèvement sur le chemin de l'école, ceux qui retournent craignent en permanence une arrestation arbitraire, un interrogatoire, une disparition forcée. Ayant vécu à l'étranger, ils sont aisément soupçonnés d'être des militants anti régime ou d'avoir adopté le positionnement politique de leur ex pays d'accueil. Leurs relations sont davantage surveillées, leurs propos davantage contrôlés. Ils sont isolés. Ceux qui avaient fui pour raisons politiques se réinstallent dans des zones sous contrôle non gouvernemental, où ils subissent aussi harcèlements, extorsions et menaces de la part des groupes armés locaux.

Nombreux sont ceux qui décident de repartir. Peu le peuvent. La majorité n'a pas d'autre choix que de rester.

Les femmes, première ligne et double peine

Les femmes sont les premières à subir les affres du retour. Selon le rapport du HCDH, nombre d'entre elles sont contraintes par leur famille de rentrer avant tout le monde, en éclaireuses et contre leur gré, ou pour s'occuper d'un parent malade. Si elles ne sont effectivement pas concernées par les menaces liées au service militaire, elles sont néanmoins plus vulnérables, surtout quand elles rentrent seules. Violées, harcelées, intimidées, menacées, elles trouvent aussi moins facilement de moyens de subsistance, surtout quand leurs enfants les accompagnent. En l'absence du père, elles sont parfois obligées de les déclarer au nom de leurs parents ou de leur beau-père pour leur obtenir un état civil. Les viols et les sévices sexuels qu'elles subissent lors des arrestations et des interrogatoires les condamnent socialement. Les femmes qui rentrent sont, elles aussi, des héroïnes ordinaires dont ce monde fait des fantômes.

Rentrer n'est pas toujours affaire de courage, d'engagement ou de sacrifice. Alors que la normalisation du régime syrien avec un certain nombre de pays de la région fait craindre une hausse de ces retours, le rapport du HCDH se conclut par des « recommandations » au gouvernement de Bachar Al-Assad, l'enjoignant d'assurer sécurité et dignité aux returnees. Depuis 2015, les Syriens attendent des condamnations et la mise en œuvre de la résolution 2254 de l'ONU qui exhorte le pouvoir de cesser ses attaques contre les civils. Le HCDH se contente désormais de préconiser le respect du droit humanitaire international et des enquêtes indépendantes sur les violations des droits humains commises sur son territoire. Ou comment tuer, encore une fois, la mémoire de Mazen Al-Hamada, de Bassel Shehadeh et de toutes celles et ceux qui sont morts d'être rentrés.

Complicités françaises

Si Mazen Al-Hamada est rentré en Syrie en raison de ses désillusions sur la justice internationale, c'est pour échapper aux poursuites judiciaires que Rifaat Al-Assad a, lui, fui Paris pour Damas. Le retour symbolique d'une justice en échec face à l'enfer syrien.

Ancien vice-président syrien, Rifaat Al-Assad était responsable de l'armée lors des massacres de Hama en 1982. Depuis 1984, il coulait des jours tranquilles en exil en France où il a été décoré de la légion d'honneur par feu le président François Mitterrand pour « services rendus ». Il est finalement condamné par la justice française, en 2020, à quatre ans de prison pour blanchiment d'argent et détournement de fonds publics. Ses biens sont confisqués. Puis il est poursuivi par la justice suisse pour crimes contre l'humanité. Mais, en octobre 2021, le bourreau Rifaat Al-Assad rentre en Syrie depuis Paris : il était pourtant sous contrôle judiciaire. Son retour met en péril celles et ceux qui ont témoigné contre lui dans ces affaires. Il illustre l'échec politique et judiciaire vis-à-vis victimes civiles syriennes et, à tout le moins, une certaine complicité française envers les tortionnaires.


1Pour en savoir plus, lire Claire A. Poinsignon, « Polyphonies syriennes – Les artistes : Bassel Shehadeh et Abounaddara », nonfiction.fr, 4 mars 2016.

2Stéphane Bussard, « Mazen Al-Hamada, un tragique destin syrien », Le Temps, 5 mars 2021.

3Ne sont pas mentionnées ici les trajectoires des Syriens déportés, principalement de la Turquie et du Liban.

4« The Syrian Regime Continues to Pose a Violent Barbaric Threat and Syrian Refugees Should Never Return to Syria », Syrian Network for Human Rights, 15 août 2019.

5« Tu vas au-devant de la mort. Violations des droits humains à l'encontre des réfugiés syriens qui retournent en Syrie », Amnesty International, 7 septembre 2021.

6« Les rapatriés syriens victimes de ‘‘violations flagrantes des droits de l'homme et d'atteintes à ces droits'', selon un rapport de l'ONU », Haut-Commissariat aux droits de l'homme, 13 février 2024.

Le calvaire étouffé des Palestiniennes

Le 4 mars, l'ONU a publié un rapport sur les viols et agressions sexuelles commises le 7 octobre contre des Israéliennes. Si ce texte a rencontré un vaste écho médiatique, il n'en va pas de même pour un autre rapport des Nations unies qui concerne cette fois le traitement des Palestiniennes, en particulier les viols et les agressions sexuelles subies depuis le début de la guerre contre Gaza.

Huit expertes de l'ONU1 ont sonné l'alarme le 19 février. Dans un communiqué, elles expriment leurs « plus vives inquiétudes » à propos des informations obtenues de « différentes sources ». Elles dénoncent des exécutions sommaires, des viols, des agressions sexuelles, des passages à tabac et des humiliations sur les femmes et les jeunes filles palestiniennes de Gaza, comme de Cisjordanie. Elles évoquent « des allégations crédibles de violations flagrantes des droits humains », dont les femmes et les filles palestiniennes « sont et continuent d'être victimes »2.

Selon les témoignages, les informations et les images qu'elles ont pu recouper, des femmes et des filles « auraient été exécutées arbitrairement à Gaza, souvent avec des membres de leur famille, y compris leurs enfants ». « Nous sommes choquées par les informations faisant état du ciblage délibéré et de l'exécution extrajudiciaire de femmes et d'enfants palestiniens dans des lieux où ils ont cherché refuge ou alors qu'ils fuyaient »3, parfois en tenant, bien en évidence, des tissus blancs, en signe de paix. Une vidéo diffusée par Middle East Eye4 et ayant beaucoup circulé montre notamment une grand-mère palestinienne abattue par les forces israéliennes dans les rues du centre de la ville de Gaza, le 12 novembre, alors qu'elle et d'autres personnes tentaient d'évacuer la zone. Au moment de son exécution, cette femme, nommée Hala Khreis, tenait par la main son petit-fils qui brandissait un drapeau blanc.

Des centaines de femmes seraient également détenues arbitrairement depuis le 7 octobre, selon les expertes onusiennes. Parmi elles, on compte des militantes des droits humains, des journalistes et des travailleuses humanitaires. En tout, « 200 femmes et jeunes filles de Gaza, 147 femmes et 245 enfants de Cisjordanie », sont actuellement détenus par Israël, selon Reem Alsalem, rapporteuse spéciale sur les violences faites aux femmes auprès de l'ONU. Elle évoque des personnes « littéralement enlevées » de leurs maisons et qui vivent des circonstances de détention « atroces ». Nombre d'entre elles auraient été soumises à des « traitements inhumains et dégradants, privées de serviettes hygiéniques, de nourriture et de médicaments », détaille encore le communiqué de l'ONU. Des témoignages rapportent notamment que des femmes détenues à Gaza auraient été enfermées dans une cage sous la pluie et dans le froid, sans nourriture.

Viols et agressions sexuelles

Viennent ensuite les violences sexuelles. « Nous sommes particulièrement bouleversées par les informations selon lesquelles les femmes et les filles palestiniennes détenues ont également été soumises à de multiples formes d'agression sexuelle, comme le fait d'être déshabillées et fouillées par des officiers masculins de l'armée israélienne. Au moins deux détenues palestiniennes auraient été violées et d'autres auraient été menacées de viol et de violence sexuelle », alertent les expertes. Ces Palestiniennes seraient « sévèrement battues, humiliées, privées d'assistance médicale, dénudées puis prises en photos dans des situations dégradantes. Ces images sont ensuite partagées par les soldats », selon Reem Alsalem. « Des rapports inquiétants font état d'au moins un bébé de sexe féminin transféré de force par l'armée israélienne en Israël, et d'enfants séparés de leurs parents, dont on ne sait pas où ils se trouvent », dénonce le communiqué.

Tous ces faits présumés ayant été perpétrés « par l'armée israélienne ou des forces affiliées » (police, personnel de prison, etc.). Le groupe d'expertes exige une enquête israélienne ainsi qu'une enquête indépendante, impartiale, rapide, approfondie et efficace sur ces allégations dans laquelle Israël coopère. « Pris dans leur ensemble, ces actes présumés peuvent constituer de graves violations des droits humains et du droit international humanitaire, et équivalent à des crimes graves au regard du droit pénal international qui pourraient être poursuivis en vertu du Statut de Rome », préviennent-elles. « Les responsables de ces crimes présumés doivent répondre de leurs actes et les victimes et leurs familles ont droit à une réparation et à une justice complètes », ajoutent-elles.

Dans une interview à UN News5, Reem Alsalem déplore le mépris des autorités israéliennes face aux alertes.

Nous n'avons reçu aucune réponse, ce qui est malheureusement la norme de la part du gouvernement israélien qui ne s'engage pas de manière constructive avec les procédures spéciales ou les experts indépendants.

Elle précise ensuite que « la détention arbitraire de femmes et de filles palestiniennes de Cisjordanie et de Gaza n'est pas nouvelle ».

Ces allégations ont été fermement rejetées par la mission israélienne de l'ONU qui affirme qu'aucune plainte n'a été reçue par les autorités israéliennes et dénigre sur X un « groupe de soi-disant expertes de l'ONU ». « Il est clair que les cosignataires ne sont pas motivées par la vérité mais par leur haine envers Israël et son peuple », peut-on lire.

Pourtant un rapport de 41 pages de l'ONG israélienne Physicians for Human Rights Israel (PHRI), daté de février et intitulé « Violation systématique des droits de l'homme : les conditions d'incarcération des Palestiniens depuis le 7 octobre »6 corrobore les dénonciations de l'ONU. On peut y lire de nombreux témoignages décrivant des « traitements dégradants et des abus graves », y compris des cas non isolés de harcèlements et d'agressions sexuelles, de violence, de torture et d'humiliation. Selon PHRI, le nombre de Palestiniens détenus par le service pénitentiaire israélien (Israel Prison Service) est passé d'environ 5 500 avant le 7 octobre à près de 9 000 en janvier 2024, dont des dizaines de mineurs et de femmes. Près d'un tiers des personnes détenues sont placées en détention administrative sans inculpation ni procès : une prise d'otage, en somme. Le rapport de l'ONG confirme que l'armée israélienne a arrêté des centaines d'habitants de Gaza sans fournir aucune information, même quatre mois plus tard, sur leur bien-être, leur lieu de détention et leurs conditions d'incarcération.

Embrasser le drapeau israélien

Dans le rapport de l'ONG israélienne PHRI, des témoignages de Palestiniens attestent notamment que des gardes de l'Israel Prison Service (IPS) les ont forcés à embrasser le drapeau israélien et que ceux qui ont refusé ont été violemment agressés. C'est le cas de Nabila, dont le témoignage a été diffusé par Al-Jazeera7. Cette femme qui a passé 47 jours en détention arbitraire qualifie son expérience d'« effroyable ». Elle a été enlevée le 24 décembre 2023 dans une école de l'UNRWA de la ville de Gaza où elle avait trouvé refuge. Les femmes ont été emmenées dans une mosquée pour être fouillées à plusieurs reprises et interrogées sous la menace d'armes, si violemment qu'elle affirme avoir pensé qu'elles allaient être exécutées. Elles ont ensuite été détenues dans le froid dans des conditions équivalentes à de la torture.

Nous avons gelé, nous avions les pieds et les mains attachés, les yeux bandés et nous devions rester agenouillées […] Les soldats israéliens nous hurlaient dessus et nous frappaient à chaque fois que nous levions la tête ou prononcions un mot.

Nabila a ensuite été conduite au nord d'Israël, dans la prison de Damon, avec une centaine de Palestiniennes parmi lesquelles des femmes de Cisjordanie. Battue à plusieurs reprises, elle est arrivée à la prison le visage plein d'hématomes. Une fois au centre de détention, les choses ne se sont pas arrangées pour les otages palestiniennes. Lors de l'examen médical, il a été ordonné à Nabila d'embrasser le drapeau israélien. « Quand j'ai refusé, un soldat m'a attrapée par les cheveux et m'a cognée la tête contre le mur », raconte-t-elle.

L'ONG israélienne affirme que des avocats ont présenté des plaintes de violence aux tribunaux militaires. Les juges ont pu voir les signes d'abus sur les corps des détenus mais « à part prendre note des préoccupations et informer l'IPS, les juges n'ont pas ordonné de mesures pour prévenir la violence et protéger les droits des personnes détenues », précise l'ONG israélienne. Pourtant, « des preuves poignantes de violence et d'abus assimilables à de la torture ont été portées à l'attention de la Cour suprême par PHRI et d'autres [...] Cependant, cela n'a pas suscité de réaction substantielle de la part de la Cour », regrette encore l'organisation.

L'un des témoignages rapporté par PHRI fait état d'agressions sexuelles qui se sont produites le 15 octobre, lorsque des forces spéciales sont entrées dans les cellules de la prison de Ktzi'ot (au sud-ouest de Bersabée), et ont tout saccagé tout en insultant les détenus par des injures sexuelles explicites comme « vous êtes des putes », « nous allons tous vous baiser », « nous allons baiser vos sœurs et vos femmes », « nous allons pisser sur votre matelas ». « Les gardiens ont aligné les individus nus les uns contre les autres et ont inséré un dispositif de fouille en aluminium dans leurs fesses. Dans un cas, le garde a introduit une carte dans les fesses d'une personne. Cela s'est déroulé devant les autres détenus et devant les autres gardes qui ont exprimé leur joie », est-il rapporté. Il n'est toutefois pas précisé si ce témoignage concerne des hommes ou des femmes.

Sous-vêtements féminins et inconscient colonial

Les soldats israéliens se sont illustrés sur les réseaux sociaux posant avec des objets et des sous-vêtements féminins appartenant aux femmes palestiniennes dont ils ont pillé les maisons. Des images qui ont fait le tour du monde et provoqué l'indignation générale. Violation de l'intimité, dévoilement du corps, viol des femmes colonisées : la domination sexuelle a toujours été une arme majeure caractéristique des empires coloniaux. « Prendre le contrôle d'un territoire, la violence politique et militaire ne suffit pas. Il faut aussi s'approprier les corps, en particulier ceux des femmes, la colonisation étant par définition une entreprise masculine », explique l'historienne Christelle Taraud, codirectrice de l'ouvrage collectif Sexualités, identités & corps colonisés (CNRS éditions, 2019).

Les Palestiniennes payent un très lourd tribut au génocide en cours à Gaza. L'ONU évalue à 9 000 le nombre de femmes tuées depuis le 7 octobre 2023. Celles qui survivent ont souvent perdu leurs enfants, leur mari et des dizaines de membres de leur famille. Il faut évoquer la condition des femmes enceintes qui étaient plus de 50 000 au moment du déclenchement des hostilités et qui accouchent, depuis, sans anesthésie et, le plus souvent, sans assistance médicale. De nombreux nouveau-nés sont morts d'hypothermie au bout de quelques jours. Les femmes dénutries ont du mal à allaiter et le lait infantile est une denrée rare. Les chiffres évoluent chaque jour cependant au 5 mars, au moins 16 enfants et bébés sont morts de malnutrition et déshydratation8 à Gaza en raison du siège total et du blocage de l'aide humanitaire par Israël.


1Le groupe des huit expertes est composé de la rapporteuse spéciale sur la violence contre les femmes et les filles, ses causes et ses conséquences, Reem Alsalem, de la rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l'homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, Francesca Albanese, de la présidente du groupe de travail des Nations unies sur la discrimination à l'égard des femmes et des filles, Dorothy Estrada-Tanck et de ses membres, Claudia Flores, Ivana Krstić, Haina Lu, et Laura Nyirinkindi. Les expert.e.s des procédures spéciales travaillent sur une base de volontariat. Ils/elles ne font pas partie du personnel des Nations unies et ne reçoivent pas de salaire pour leur travail. Ils/elles sont indépendants de tout gouvernement ou organisation et travaillent à titre individuel.

2« UN experts appalled by reported human rights violations against Palestinian women and girls », Nations unies, 19 février 2024.

3Ibid.

Les derniers hommes de Guantanamo

Plus de deux décennies après leur arrivée, ils sont toujours là, abandonnés du monde entier ou presque. « Ils », ce sont les trente prisonniers à Cuba que les États-Unis laissent enfermés dans le camp d'emprisonnement et de torture qu'ils dirigent. Certains réussissent à en sortir, tels ces deux hommes envoyés à Oman, avant de rentrer en Afghanistan à la mi-février. Mais les autres croupissent.

Dès qu'il est prononcé, le nom Guantanamo sonne comme un sombre souvenir aux contours troubles. Dans la mémoire collective, c'est d'abord l'étrange orange des uniformes asphyxiants des prisonniers qui s'immisce. Lorsque les 20 premiers détenus font leur entrée dans le Camp X-Ray de la base navale américaine le 11 janvier 2002, peu d'observateurs se demandent qui ils sont vraiment. On se lave les mains de leurs souffrances. Des mâles musulmans, bestialement violents et colériques. Leur portrait fantasmé suffit amplement à les rendre coupables. Leurs traits incarnent un monde dont l'ordre libéral souhaite se venger. « The worst of the worst » les pires des pires »), martèlent les autorités américaines. À force d'intoxications déshumanisantes, l'empathie s'éteint, laissant libre champ au plus abject.

Déshumaniser les musulmans afin de les exclure du champ des droits humains, en faisant fi des exigences minimales de l'État de droit remplacé par le fait du prince absolu : ainsi se résume la stratégie islamophobe de la guerre contre la terreur, brutalement appliquée aux 780 prisonniers du camp. Avant tout regard sur la situation actuelle à Guantanamo, il faut donc rappeler l'évidence honteusement oubliée : les prisonniers étaient, sont et demeurent des hommes, des hommes innocents jusqu'à preuve du contraire, ne portant pas le sceau d'une culpabilité originelle. Il s'agit de briser le cycle déshumanisant, la racine narrative ayant donné naissance au camp, et les régimes kafkaïens auxquels sont toujours astreints ses trente derniers habitants.

Libérables, mais…

C'est sûrement l'une des absurdités les plus cruelles de « Gitmo », comme le nomment les Américains. Parmi ces 30 détenus, 19 sont libérables depuis plusieurs années. La « recommandation pour transfert »1 permet d'envisager une libération sur le sol d'un État tiers. Son obtention a déjà pris de longues années. Pour la grande majorité des prisonniers, le transfert sera recommandé seulement à partir de 2020, alors que le détenu le plus récent est arrivé en 2007, et les autres depuis 2002. Enfermés et torturés pendant près de deux décennies, ils sont restés suspendus aux appréciations arbitraires de plusieurs commissions censées se prononcer sur leur cas. L'attente ne pouvait qu'être interminable, car la matérialité de toute accusation doit reposer sur des preuves tangibles, ici constamment absentes.

Le contexte dans lequel les décisions ont été prises démontre leur caractère politique, indépendant de toute considération légale sérieuse. Après l'arrivée de Donald Trump au pouvoir en janvier 2017, le lent processus de libération établi sous l'administration de Barack Obama – incapable de fermer définitivement le camp – a été brutalement interrompu. Le républicain tenait à montrer sa main de fer en matière sécuritaire et islamophobe. Cinq ans plus tard, Joe Biden rétablit ce processus, non par humanisme mais par réalisme politique. Car le camp continue d'affaiblir la crédibilité américaine dans le monde. Et les promesses de nouvelles libérations visent à démontrer que les résultats trop lents de la précédente administration démocrate étaient dus à une mauvaise gestion. Le comité reprend la levée des derniers vétos. Pour 17 des 19 libérables, la recommandation est prononcée entre 2020 et 20222.

Dès lors, plus aucune digue administrative américaine n'empêche leur transfert. Mais trouver un État tiers nécessite de laborieuses négociations diplomatiques. Des années peuvent encore s'écouler avant qu'une solution ne soit trouvée. Par ailleurs, le transfert définitif n'est pas synonyme de liberté retrouvée. Hélas, la « libérabilité » reconnue est systématiquement mise en balance avec une suspicion éternelle qui entrave le retour à la normalité. Bien que n'ayant fait l'objet d'aucune accusation, innocents en fait et en droit, les libérés découvrent souvent un pays d'accueil auquel ils sont parfaitement étrangers et qui les maintient dans des situations administratives précaires, caractéristiques d'un enfermement à ciel ouvert. Tel Lotfi Ben Ali, transféré en 2014 à Semeï, une petite ville du Kazakhstan encore affectée par les conséquences sanitaires des tests nucléaires menés par l'URSS. Tunisien de nationalité, atteint d'un grave trouble cardiaque, Lotfi y vivra sans soins, sans accès à sa famille, sans réelle perspective de socialisation. Il affirmera, cinq ans plus tard, préférer son ancienne vie au camp, dépité par ce cruel exil3. Guantanamo ou ailleurs, d'une claustration à l'autre... Les transférés peuvent ainsi être assignés à résidence, perquisitionnés, étroitement surveillés par les services secrets. L'accès à un passeport est souvent impossible. Dans certains cas, on leur refuse même des cartes d'identité. Éloignés de leur famille, incapables de voyager, d'anciens détenus décriront leur nouvelle vie comme un « Guantanamo 2.0 »4.

Les transferts sont toujours difficiles, parfois impossibles. C'est par exemple le cas de Moujineddine Jamaleddine Abdel Foussal Abdel Sattar, dit Omar Al-Farouq, enfermé depuis 2002 et libérable depuis 2010. Né à Dubaï mais ne disposant pas de la nationalité émiratie, d'ethnie Rohingya, il demeure à ce jour officiellement apatride, ce qui rend sa libération concrètement impossible. Pour trois autres détenus libérables, le régime américain refuse d'ouvrir toute négociation permettant leur transfert, arguant que leur dangerosité suspectée — mais jamais prouvée — justifie leur maintien en détention. L'un d'entre eux, Abou Zoubaydah, a publié l'an dernier une série de 40 dessins décrivant les tortures subies dans un rapport historique5. Le groupe de travail sur la détention arbitraire des Nations unies a récemment exigé sa libération immédiate, en novembre 2022.

Moustafa Faraj et Mohammed Rahim demeurent eux aussi dans cette impasse. Les avocats du premier témoigneront en 2022 dans une lettre officielle qu'il ne constitue pas un danger et qu'« il ne conserve aucune rancœur envers les États-Unis malgré les traitement sévères subis » ayant entrainé la perte de son audition6. L'ancien avocat du second, le lieutenant commandant Kevin Bogucki, après avoir rappelé que Rahim n'avait commis aucun crime, expliquera être impressionné par son attitude positive malgré une santé désormais précaire7.

Accusés, mais …

Contrairement au premier groupe, 10 détenus ont fait l'objet d'une mise en accusation et demeurent dans l'attente d'un procès depuis plusieurs années. Si dans le cadre d'une procédure classique, la mise en accusation entraine l'ouverture d'une audience où chacun peut défendre ses arguments devant un juge, à Guantanamo le droit est sans cesse bafoué. L'écrivain J. M. Coetzee a décrit l'esprit sadique et paranoïaque du tortionnaire pour lequel « la souffrance, c'est la vérité : tout le reste est soumis au doute8 ». C'est bien cet esprit qui inspire les dossiers des accusés, lesquels se fondent exclusivement sur des éléments obtenus sous la torture. En application de l'État de droit le plus évident, la mise en accusation elle-même devrait être déclarée nulle, tout élément de preuve devant être obtenu de manière légale.

En d'autres termes la mécanique inhumaine du camp, se plaçant par nature en dehors du droit et de la justice, ne peut décemment faire l'objet d'une traduction judiciaire acceptable. Les tribunaux militaires spécialement créés pour juger ces dossiers, parfaitement conscients de cette impasse structurelle, ont la lourde tâche de traduire en justice des hommes qui, en temps normal, ne devraient faire l'objet d'aucune accusation. Plus encore, les graves traumatismes physiques et psychologiques subis peuvent rendre la tenue d'un procès inenvisageable.

Le cas d'Ammar Al-Balouchi représente sûrement l'une des affaires les plus emblématiques de ce groupe. L'homme a disparu au Pakistan en 2003, pour être torturé et interrogé dans de nombreuses prisons secrètes (black sites) de la CIA à travers le monde, sans contact avec sa famille ou ses avocats, avant d'être envoyé à Guantanamo trois ans plus tard. Il y est réinterrogé en 2007 et soumis aux terribles « techniques d'interrogations avancées ». Les tortures ont été si cruelles qu'elles ont entrainé des traumas neurologiques irréversibles9. Un neuropsychologue détaillera les sévices qui ont gravement diminué « le fonctionnement psychologique de Balouchi » et causé « une lésion cérébrale traumatique légère à modérée et une anxiété modérée à sévère, une dépression et un syndrome de stress post-traumatique »10. Ammar Al-Balouchi expliquera lui-même être désormais dans l'incapacité de lire, de se concentrer ou de suivre le cours normal d'une conversation. Les aveux prononcés en 2007 sous la torture constituent la principale preuve ayant justifié sa mise en accusation en 2012. En 2018, les Nations unies ont exigé sa libération immédiate et l'octroi de réparations11. Il demeure à ce jour enfermé.

Vingt-deux ans après l'ouverture de Guantanamo, seuls 10 accusés sur les 780 hommes ayant été injustement emprisonnés ont fait l'objet d'une condamnation, parfois à l'issue de négociations de peine où les accusés ont reconnu certains faits pour ne plus être soumis à la torture. Quatre condamnations ont été annulées en appel, révélant l'iniquité de ces procédures. Fin janvier 2024, James Connell, avocat de plusieurs détenus dont Ammar Al-Balouchi, résume ainsi la réalité du camp : « Guantanamo est un labyrinthe vieux de 22 ans dont les murs sont faits de la peur des musulmans et de l'abandon des principes démocratiques. Peu de prisonniers et aucun président n'ont réussi à en trouver la sortie ».


1Expression procédurale employée par le comité de révision périodique, le Periodic Review Board, statuant sur leur affaire

2« The Guantánamo Docket », New York Times, 12 février 2024.

3Voir sur YouTube le documentaire « Life After Guantanamo : Exiled In Kazakhstan », Vice News, 15 octobre 2015.

4« Rupture and Reckoning : Guantánamo Turns 20 », Special Publication, European Center for Constitutional and Human Rights, 2022.

5« The forever prisoner : Abu Zubaydah's drawings expose the US's depraved torture policy », Ed Pilkington, The Guardian, 11 mai 2023.

6Département de la défense, Washington DC, 23 et 27 juin 2022.

7« No charges, no justice : Why is this Afghan still in Guantanamo ? », Arnaud Mafille, TRT World, 2021.

8En attendant les barbares, Seuil, 2000.

9« This 9/11 suspect and ‘torture prop' has spent 20 years in Guantánamo. Is he nearing a deal with the US ? », Moustapha Bayoumi, The Guardian, 17 mai 2023.

10Ibid.

11« Guantanamo detention of Ammar Al-Baluchi breaches human rights law, UN experts say », ONU, 28 février 2018.

Données personnelles : comment nous avons peu à peu accepté d’en perdre le contrôle

L’auteur : Yoann Nabat est enseignant-chercheur en droit privé et sciences criminelles à l’Université de Bordeaux

Dans quelle mesure les différentes générations sont-elles plus ou moins sensibles à la notion de surveillance ? Un regard sur les personnes nées au tournant des années 1980 et 1990 montre que ces dernières abandonnent probablement plus facilement une part de contrôle sur les données personnelles, et n’ont sans doute pas eu totalement conscience de leur grande valeur.

Peut-être qu’à l’approche des Jeux olympiques de Paris, avez-vous vaguement protesté lors de la mise en place d’un fichier vidéo algorithmique ? Et puis avez-vous haussé les épaules : un fichier de plus. Peut-être par résignation ou par habitude ? Comme d’autres, vous avez peut-être aussi renseigné sans trop vous poser de questions votre profil MySpace ou donné votre « ASV » (âge, sexe, ville) sur les chats Caramail au tournant des années 1990-2000, et encore aujourd’hui vous cliquez quotidiennement sur « valider les CGU » (conditions générales d’utilisation) sans les lire ou sur « accepter les cookies » sans savoir précisément ce que c’est.

En effet, peut-être faites-vous partie de ce nombre important d’individus nés entre 1979 et 1994 et avez-vous saisi au vol le développement de l’informatique et des nouvelles technologies. Et ce, sans forcément vous attarder sur ce que cela impliquait sur le plan de la surveillance des données que vous avez accepté de partager avec le reste du monde…

 

World Wide Web

Pour se convaincre de l’existence de cette habitude rapidement acquise, il suffit d’avoir en tête les grandes dates de l’histoire récente de l’informatique et d’Internet : Apple met en 1983 sur le marché le premier ordinateur utilisant une souris et une interface graphique, c’est le Lisa.

Puis le World Wide Web est inventé par Tim Berners-Lee en 1989, 36 millions d’ordinateurs sont connectés à Internet en 1996, Google est fondé en 1998 et Facebook est lancé en 2004. L’accélération exponentielle, d’abord des machines elles-mêmes, puis des réseaux, et enfin du partage de données et de la mobilité a suivi de très près les millennials.

La génération précédente, plus âgée, a parfois moins l’habitude de ces outils ou s’est battue contre certaines dérives initiales, notamment sécuritaires. La suivante, qui a été plongée immédiatement dans un monde déjà régi par l’omniprésence d’Internet et des réseaux, en connaît plus spontanément les risques (même si elle n’est pas nécessairement plus prudente).

Comment habiter ce monde en crise, comment s’y définir, s’y engager, y faire famille ou société ?

Notre nouvelle série « Le monde qui vient » explore les aspirations et les interrogations de ceux que l’on appelle parfois les millennials. Cette génération, devenue adulte au tournant du XXIe siècle, compose avec un monde surconnecté, plus mobile, plus fluide mais aussi plus instable.

 

Un certain optimisme face à l’informatique

Probablement du fait de ce contexte, la génération née entre le début des années 1980 et le milieu des années 1990 est aussi celle qui est la plus optimiste face au développement des technologies.

Cet état de fait apparaît d’autant plus clairement que la « génération Z », plus jeune, est marquée généralement par une plus grande apathie, voire un certain pessimisme, notamment quant au devenir des données personnelles.

En effet, aujourd’hui, les plus jeunes, déjà très habitués à l’usage permanent des réseaux sociaux et aux surveillances de toute part, se trouvent très conscients de ses enjeux mais font montre d’une forme de résignation. Celle-ci se traduit notamment par le « privacy paradox » mis en lumière par certains sociologues et qui se traduit par une tendance paradoxale à se réclamer d’une défense de la vie privée tout en exposant très largement celle-ci volontairement par l’utilisation des réseaux sociaux.

A contrario, cette confiance en la technologie se manifeste spécialement par une forme de techno-optimisme, y compris lorsqu’il s’agit de l’usage de données personnelles. Cet état d’esprit se traduit dans de nombreux domaines : lorsqu’il s’agit de l’usage des données de santé, par exemple, ou plus généralement quant à l’utilisation des technologies pour régler des problèmes sociaux ou humains comme le réchauffement climatique.

 

La priorisation de valeurs différentes

Cet optimisme est aussi visible lorsqu’il s’agit d’évoquer les fichiers policiers ou administratifs.

S’il n’existe pas de données précises sur l’acceptation des bases de données sécuritaires par chaque tranche d’âge, il n’en demeure pas moins que la génération des 30-45 ans n’est plus celle de l’affaire Safari dont l’éclatement, après la révélation d’un projet de méga-fichier par le ministère de l’Intérieur, a permis la naissance de la CNIL.

Au contraire, cette génération a été marquée par des événements clés tels que les attentats du 11 septembre 2001 ou la crise économique de 2009.

 

La CNIL fête ses 40 ans

D’après les études d’opinion récentes, ces événements, et plus généralement le climat dans lequel cette génération a grandi et vit aujourd’hui, la conduisent à être plus sensible aux questions de sécurité que d’autres. Elle entretient ainsi un rapport différent à la sécurité, moins encline à subir des contrôles d’identité répétés (qui sont bien plus fréquents chez les plus jeunes), mais plus inquiète pour l’avenir et plus sensible aux arguments sécuritaires.

Cet état d’esprit favorise en conséquence une encore plus grande acceptation des fichiers et des dispositifs de sécurité qui sont perçus comme des outils nécessaires à l’adaptation aux nouvelles formes de délinquance et de criminalité, par exemple à l’occasion de l’organisation des futurs Jeux olympiques et paralympiques en France, ou rendus utiles pour permettre la gestion d’une pandémie comme celle du Covid-19.

 

De l’acceptation à l’accoutumance

Les deux phénomènes – optimisme face au développement des technologies et sensibilité à la question sécuritaire – sont d’autant plus inextricables qu’il existe un lien important entre usages individuels et commerciaux des technologies d’une part, et usages technosécuritaires d’autre part. En effet, les expériences en apparence inoffensives de l’utilisation récréative ou domestique des technologies de surveillance (caméras de surveillance, objets connectés, etc.) favorisent l’acceptabilité voire l’accoutumance à ces outils qui renforcent le sentiment de confort tant personnel que sécuritaire.

La génération actuelle des trentenaires et quadra, très habituée au développement des technologies dans tous les cadres (individuels, familiaux, professionnels, collectifs, etc.) et encore très empreinte du techno-optimisme de l’explosion des possibilités offertes par ces outils depuis les années 1990 est ainsi plus encline encore que d’autres à accepter leur présence dans un contexte de surveillance de masse.

Cet état d’esprit favorise en conséquence une encore plus grande acceptation des fichiers et aux dispositifs de sécurité qui sont perçus comme des outils nécessaires à l’adaptation aux nouvelles formes de délinquance et de criminalité.

La pénétration très importante de ces dispositifs dans notre quotidien est telle que le recours aux technologies même les plus débattues comme l’intelligence artificielle peut sembler à certains comme le cours normal du progrès technique. Comme pour toutes les autres générations, l’habituation est d’autant plus importante que l’effet cliquet conduit à ne jamais – ou presque – remettre en cause des dispositifs adoptés.

 

L’existence de facteurs explicatifs

Partant, la génération des 30-45 ans, sans doute bien davantage que celle qui la précède (encore marquée par certains excès ou trop peu familiarisée à ces questions) que celle qui la suit (davantage pessimiste) développe une forte acceptabilité des dispositifs de surveillance de tous horizons. En cela, elle abandonne aussi probablement une part de contrôle sur les données personnelles dont beaucoup n’ont sans doute pas totalement conscience de la grande valeur.

Au contraire, les réglementations (à l’image du Règlement général sur la protection des données adopté en 2016 et appliqué en 2018) tentant de limiter ces phénomènes sont parfois perçues comme une source d’agacement au quotidien voire comme un frein à l’innovation.

Sur le plan sécuritaire, l’acceptabilité de ces fichages, perçus comme nécessaires pour assurer la sécurité et la gestion efficace de la société, pose la question de la confiance accordée aux institutions. Or, là encore, il semble que la génération étudiée soit moins à même de présenter une défiance importante envers la sphère politique comme le fait la plus jeune génération.

Demeurent très probablement encore d’autres facteurs explicatifs qu’il reste à explorer au regard d’une génération dont l’état d’esprit relativement aux données personnelles est d’autant plus essentiel que cette génération est en partie celle qui construit le droit applicable aujourd’hui et demain en ces matières.

Vous pouvez retrouver cet article ici.

La tolérance au service de la liberté d’expression

Les libéraux s’accordent généralement sur la nécessité d’un minimum de restrictions à la liberté d’expression, pour condamner en particulier l’injure, la diffamation, la menace, etc. Mais en pratique, les défis sont immenses.

 

L’inviolabilité de la conscience

Il y a un quiproquo, un tour de passe-passe continuel chez les partisans de la législation contre la liberté d’expression : est-ce l’expression de la pensée, ou la pensée elle-même, qu’ils veulent atteindre ? Car la liberté de penser est directement fondée sur la nature humaine. La conscience est inviolable : ce que je pense n’est connu que de moi seul, et les hérétiques qu’on persécute conservent jusqu’au fond des geôles ou sur les bûchers le pouvoir de croire ce qu’on leur interdit de croire.

Ma conscience m’appartient : c’est le fondement de la propriété de soi, et de la propriété tout court. Je suis maître de mes réflexions, de mes résolutions, je peux adopter un plan de conduite, le suivre, l’abandonner. On peut atteindre l’expression, car c’est une matérialisation de la pensée, mais la pensée humaine est inviolable, insaisissable. On ne peut lui imposer un joug, du moins dans l’état des connaissances et des outils dont l’humanité dispose aujourd’hui.

 

Des abus hors d’atteinte ?

L’injure est vraisemblablement un abus fait de la liberté d’expression. Mais la combattre par les forces de la police et du droit est plus qu’intimidant.

Combien de publications faites chaque jour sur X-Twitter contiennent-elles des insultes ? Faudra-t-il les instruire, les punir toutes ? De plus, l’insulte n’est pas aussi aisée à déterminer qu’on peut se l’imaginer. Une femme qui a eu plusieurs amants, et qui enfin s’est mariée, peut-elle être légitimement appelée du nom d’une profession dite infamante ? Un homme qui s’est déjà livré ne serait-ce qu’une fois à des pratiques homosexuelles peut-il demander justice de celui qui l’appelle en argot ce qu’il est ? Faudra-t-il définir les obscénités ? Les historiens Rigord et Guillaume Le Breton se font les échos d’une condamnation à l’amende, pour certains, et à être noyé pour d’autres, à l’encontre de ceux qui prononçaient les mots ventrebleu, têtebleu, corbleu, sangbleu ; mais l’ordonnance date de 1181, sous Philippe Auguste : est-ce sous de telles lois, héritées de tels temps, que nous voulons vivre ?

C’est un affront pénible que d’entendre ou de lire quelqu’un nier des crimes contre l’humanité. Mais d’abord, personne ne peut être légitimement obligé de déclarer positivement qu’un fait qu’il n’a pas observé, dont il n’a pas été le témoin visuel, s’est passé. Les historiens sont-ils toujours fiables ? La destruction de tout un groupe humain peut avoir des causes lointaines inattendues, qu’on suppute, qu’on conjecture. Il y a des hommes au monde qui se suicident, qui organisent ou fabriquent de toutes pièces un faux attentat qui les emporte prétendument dans la tombe : pourquoi un groupe humain n’aurait jamais un comportement aussi bizarre ? L’esprit de secte, le délire, la vocation de sacrifice, ne pourraient-ils pas au besoin l’expliquer ? Et alors, c’est une question de vraisemblance, de vérité historique, et le débat doit être libre.

D’ailleurs, on empêcherait difficilement un peuple de nier un génocide qui se rapporte à lui-même, ou à ses ancêtres. La trace macabre qu’a laissée le passage des Anglo-Américains sur le Nouveau Monde, des Britanniques en Afrique du Sud, en Australie ou en Nouvelle-Zélande, ou encore des Français en Algérie, est niée par ceux qu’elle met mal à l’aise, ou qui n’ont pas le courage d’étudier les faits. Faudra-t-il organiser l’exposition de leur repentance ?

Faire l’apologie de crimes, défendre des criminels, est assez audacieux, quand les lois passent pour justes, et la justice pour impartiale. Mais les libéraux ont de tout temps fait l’apologie du contrebandier, et ils ne s’en excusent pas ; Voltaire a défendu Jean Callas, reconnu coupable. Qui poussera l’opinion à corriger les injustices, qui redressera les lois mauvaises, si l’on ne peut absoudre les coupables de faux crimes, et s’il faut baisser les yeux devant une injustice criminelle qui nous émeut ?

L’appel à la violence est lui-même curieusement compris et appliqué. Quand un chef d’État prononce un discours haineux et pour faire passer ses paroles en actes envoie des armées châtier un peuple ennemi, il y a appel à la violence, et plus encore ; mais il n’est pas inquiété. Les bombes atomiques lancées contre le Japon en 1945 ont eu, dans la presse et ailleurs, leurs apologistes, et ils ont vécu tranquilles.

Tous ces abus, que la morale privée réprouve, sont difficilement atteignables par les lois. Ils le sont plus difficilement encore, lorsque c’est un humoriste qui s’en rend l’organe. Car la plaisanterie est une circonstance qui annule presque entièrement la violence des idées : elle leur donne un caractère ridicule, grotesque, par un contexte qui doit rechercher l’effet plutôt que la profondeur. On est fou, et pas sage, de mettre en application les injonctions d’un humoriste de profession, qui les prononce dans le cadre de son travail, et de se prévaloir ensuite de sa responsabilité première.

 

Les mots blessent-ils ?

La blessure que font les mots à ceux qui les entendent ou les lisent, doit-elle être la mesure de leur criminalisation ?

C’est ce qu’on ne croit pas d’habitude. Lorsqu’à une femme que j’ai aimée, et que j’ai entretenue dans une forme de fascination de moi, je dis que je ne l’aime plus, je fais une blessure que le temps seul, peut-être, réparera ; je ne suis pas inquiété. Si elle se venge par la violence, elle paie seule le prix de son forfait. De même, l’hérétique, le renégat, blesse les yeux et les oreilles du croyant ; l’inculte et l’imbécile font outrage à l’homme de science ; mais aucun d’eux n’est fondé en droit à entamer un procès.

 

Que la tolérance doit être sans cesse plus grande dans les lois

À mesure qu’il devient plus civilisé, un peuple doit pouvoir se passer de plus en plus de l’État : c’est une règle générale.

Il y a un double mouvement dans l’histoire : d’abord, l’État s’accroît et protège un nombre de plus en plus complet de personnes. Les femmes, les enfants, les esclaves, les serfs, qu’on laissait à l’arbitraire de leurs soi-disant propriétaires, sont compris dans les protections de l’État de droit. Des crimes qu’on laissait impunis sont poursuivis, et leurs coupables châtiés. Mais aussi, plus tard, l’État doit se restreindre à ne protéger que la liberté et les propriétés légitimes. L’initiative privée ayant acquis plus de force, l’État peut reculer et abandonner des missions qu’il s’était arrogées.

Les peuples de l’Antiquité, du Moyen Âge, peuvent avoir encore besoin de direction, y compris dans l’expression de leur pensée. Mais un peuple sage et poli, bien éduqué, pratique la tolérance et n’a presque pas besoin de lois.

Ce phénomène aujourd’hui est ralenti, rendu inopérant, par diverses causes. Sous la coupe d’un monopole public débilisant, l’éducation française de la jeunesse régresse. Au surplus, l’immigration introduit des populations dont la culture n’est pas imprégnée de tolérance, et qu’il faut éclairer : c’est une tâche de plus.

Sans doute, les lois ne doivent pas désarmer, et certaines limitations se comprennent. Mais aussi ce n’est pas sur ce terrain qu’il faut placer le plus nos espérances ; mais dans la politesse, la bienveillance, l’humanisme, qui s’accroîtra en France aussi, si nous y consacrons toutes nos forces.

« Plan 15 000 » : un projet ambitieux mais inefficace pour les prisons françaises

Un article de l’IREF.

« Nous construirons 15 000 nouvelles places de prison ». La promesse de campagne d’Emmanuel Macron, en 2017, a débouché à l’automne 2018 sur un vaste plan de création de places en établissements pénitentiaires, le « Plan 15 000 » pour 2027. Un second plan est également lancé, prévoyant la construction de vingt centres éducatifs fermés (CEF) de deuxième génération pour les mineurs. Alors que la mi-parcours est passée, le rapporteur spécial des crédits de la mission « Justice », Antoine Lefèvre, dresse un bilan amer du projet.

La situation carcérale française est une épine dans le pied de chaque nouveau président : le nombre des détenus explose, la radicalisation en prison prospère, les injonctions et les condamnations internationales somment la France de prendre des mesures pour respecter les droits de l’homme. Au cours des dernières décennies, plusieurs plans avaient déjà été déployés mais aucun ne s’était révélé capable d’anticiper les besoins croissants de places en établissements pénitentiaires. Celui d’Emmanuel Macron se distinguait par son importance et pouvait laisser croire qu’une réforme du système pénitencier était imminente.

Un plan de construction insuffisant

Mais voilà, bien souvent les rapports du Sénat sonnent le glas des politiques hasardeuses, et c’est le cas en l’espèce. Le rapporteur est formel : « (…) En dépit de ses ambitions initiales, le Plan 15 000 ne permettra pas seul de remédier durablement à la dégradation des conditions de détention et de travail pour les personnels de l’administration pénitentiaire. Même si le plan venait à être achevé en 2027, ce qui apparait peu probable, les capacités du parc pénitencier seraient déjà saturées ». Et pour cause : la prévision de 75 000 détenus en 2027 s’est réalisée dès 2023 ! Pendant la période du Covid, un assez grand nombre de détenus ont été libérés mais une fois la crise sanitaire passée, les enfermements ont repris à un rythme encore plus soutenu, avec une hausse de près de 20% depuis 2020. En janvier 2022, le taux de densité carcérale était de 115%, plaçant la France au troisième rang européen derrière Chypre et la Roumanie. Avec une telle densité, il est quasi impossible de respecter le principe d’encellulement individuel ; l’objectif de 80% est ainsi repoussé de législation en législation, quelle que soit la couleur politique du garde des Sceaux. Les conséquences de la surpopulation carcérale sont pourtant connues : violences, manque d’hygiène, trafics facilités, radicalisation soutenue, réinsertion compromise… La contrôleuse générale des lieux de privation de liberté (CGLPL), Dominique Simonnot, dénonce dans son dernier rapport annuel « un abandon de l’Etat » : « On a laissé la prison se substituer aux asiles d’antan, enfermant dans ses murs plus de 30% de prisonniers atteints de troubles graves. Voilà comment, à leur corps défendant, surveillants et détenus ont, en quelque sorte, été contraints de se muer en infirmiers psychiatriques ». Les établissements pour peine respectant globalement ce principe, ce sont les maisons d’arrêt qui suscitent l’inquiétude, le taux d’encellulement individuel y évoluant autour de 20%[1].

Un budget intenable et des délais qui explosent

Face à ces défis, l’argent est le nerf de la guerre. Et d’argent, on ne manque pas, à tel point que le budget initial a pu être rehaussé de deux milliards d’euros sans que quiconque s’en émeuve. Les premières annonces ministérielles annonçaient 3,6 milliards, avant de grimper rapidement à 4,3 milliards ; et en juin 2022, la direction du budget a relevé encore la facture à 5,4 milliards d’euros. Un an après, le rapporteur estime que le coût du Plan 15 000 sera d’au moins 5,55 milliards d’euros, soit 30% de plus que le coût d’abord prévu. S’agissant des centres éducatifs fermés, on est passé de 30 millions d’euros à plus de 76 millions dans le dernier budget… avant que le rapporteur ne l’estime à au moins 110 millions d’euros ; et nous ne sommes qu’à mi-chemin. Plus le calendrier de livraison s’allonge, plus les coûts explosent. Moins de la moitié des places prévues a pu être livrée, avec (pour l’instant) un retard de deux ans sur le calendrier initial. La maison d’arrêt de Basse-Terre (Guadeloupe) sera par exemple livrée avec plus de sept ans de retard.

Le sénateur Antoine Lefèvre formule une douzaine de recommandations suivant trois principes : « Anticiper, s’adapter et évaluer ». Est-il possible que cette approche élémentaire n’ait pas été celle des politiques publiques ? La réponse est évidemment oui, et la précision des recommandations frise le ridicule, telle que celle d’équipes-test sur chacun des chantiers engagés. En effet, « il est difficilement admissible qu’un établissement pénitencier tout juste livré nécessite de lourds travaux d’aménagement pour remédier à des failles de sécurité ou de fonctionnement, telles que l’installation de fenêtre pouvant être ouvertes en moins de deux minutes à l’aide d’un coupe-ongle acheté au supermarché ». Coût du changement des châssis des fenêtres du centre pénitentiaire Mulhouse-Lutterbach : 600 000 euros. Et de citer d’autres « erreurs de conception » : par exemple, des boutons « sécurité incendie » ouvrant toutes les portes et accessibles à tous dans un centre éducatif fermé …

Le chantier des établissements pénitentiaires est donc colossal. Alors qu’un détenu coûte 100 euros par jour au contribuable, l’IREF appuie la proposition du député Eric Pauget (LR) de faire payer aux détenus une partie significative de leurs frais d’incarcération. Ajoutons qu’il n’y a rien de surprenant à ce que le suivi des chantiers soit négligé lorsque le futur gérant de la prison est une administration. La privatisation des prisons permettrait sans doute de réduire fortement les coûts de construction et de réduire les délais. Plusieurs pays s’y sont déjà essayés : le Royaume-Uni, l’Australie et les Etats-Unis. La gestion privée demeure « incontestablement plus simple que la gestion publique », ainsi que le relève la Cour des comptes.

Sur le web.

Israël et ses alliés au mépris du droit des peuples

Alors qu'Israël et ses alliés invoquent le droit international, y compris un soi-disant droit à se défendre, l'analyse des textes fondamentaux de l'ONU confirme le caractère mensonger de ces allégations. Les aspects juridiques de la situation dans le territoire palestinien occupé ne correspondent pas aux discours officiels tenus à Tel Aviv. Sont ici en jeu, principalement, le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, le maintien de la paix, et le droit régissant l'occupation militaire.

Aujourd'hui, je pense que la phase qui arrive va être désastreuse. Je ne vois pas au-delà. Il faudrait voir, si ce désastre survient, la forme qu'il prendra et, à ce moment-là, commencer à réfléchir sur l'après. Aujourd'hui, on ne peut pas aller plus loin que ça, sauf à spéculer1.

Le droit international public consacre sans aucun doute, depuis la période de la décolonisation, le « droit des peuples à disposer d'eux-mêmes ». Ce droit est issu de la pratique juridique de la Charte des Nations unies, de grandes résolutions de son assemblée générale, telle la résolution 1514 (1960), qui ont acquis une force obligatoire générale. Si le processus de décolonisation est pour l'essentiel achevé, cet ensemble normatif conserve son importance pour des « territoires non autonomes » dans lesquels des mouvements indépendantistes existent toujours, et contestent le pouvoir des « puissances administrantes ».

Ainsi le Comité de la décolonisation de l'ONU continue-t-il d'exister et d'examiner ces situations, comme en témoigne le travail que mène l'assemblée générale sur la situation actuelle en Nouvelle-Calédonie. Cet ensemble normatif conserve aussi toute son importance s'agissant de la Palestine puisque, en tant que peuple subissant une occupation militaire (et la bande de Gaza est aussi considérée en droit international comme un territoire occupé par l'État d'Israël), le peuple palestinien en relève sans contestation possible. La Cour internationale de justice (CIJ), qui est l'organe judiciaire principal de l'ONU et qui fait autorité en droit international public, l'a très clairement confirmé dans son avis du 9 juillet 2004 sur l'édification d'un mur dans le territoire palestinien occupé (§ 118).

Dans son principe, le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes pose des obligations pour l'État colonial, l'État occupant ou l'État gouvernant par l'apartheid, mais aussi des obligations pour les États tiers. Il reconnaît des droits aux peuples qui en relèvent. S'agissant de l'État colonial ou occupant, il est tenu de permettre l'autodétermination des peuples qu'il gouverne. Cette autodétermination prend la forme principale de l'indépendance et donc de l'accès à la qualité étatique, qui emporte pleine souveraineté économique et sur les ressources naturelles.

Mais, dès lors qu'il est régulièrement consulté, le peuple colonial/occupé peut aussi choisir une libre association avec l'État colonial/occupant, voire une intégration dans cet État (Assemblée générale, résolution 1541, 1961). De manière logique, pour permettre l'autodétermination, l'État colonial ou occupant a l'obligation de ne pas réprimer les mouvements d'émancipation du peuple qu'il administre, il a le « devoir de s'abstenir de recourir à toute mesure de coercition » qui priverait les peuples de leur droit à l'autodétermination (Assemblée, résolution 2625, 1970). Et de manière également logique, les peuples titulaires ont en principe le droit de résister à un État interdisant leur autodétermination, y compris par le moyen de la lutte armée (Assemblée générale, résolution 2621, 1970, évoquant les peuples coloniaux et les puissances coloniales).

Ceci trouve des prolongements dans le droit de la guerre puisque les guerres de libération nationale ont été assimilées à des conflits internationaux par le premier protocole additionnel aux Conventions de Genève de 1977, ce qui a pour conséquence que les combattants d'un mouvement de libération nationale sont considérés comme des combattants étatiques et doivent pouvoir jouir du statut de prisonnier de guerre s'ils sont mis hors de combat ; évidemment les combattants de tout type de conflit doivent respecter les règles humanitaires du droit de la guerre, fondées sur le principe de distinction entre objectifs militaires d'une part (qui peuvent être ciblés), personnes et biens civils d'autre part (qui ne doivent jamais l'être). Enfin, la CIJ a consacré depuis longtemps l'importance du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes en affirmant qu'il génère des obligations erga omnes, c'est-à-dire des obligations exceptionnelles pour tous les États qui sont tenus de ne pas reconnaître les situations de domination. L'avis de la CIJ de 2004 précité l'a rappelé s'agissant du peuple palestinien (§§ 155 et 156).

Les limites de la légitime défense

Aussi, l'État occupant, en présence d'une attaque émanant d'un territoire occupé, ne peut invoquer la légitime défense que consacre la Charte des Nations unies en son célèbre article 51. Le « droit naturel » de légitime défense de l'article 51 n'est accessible qu'à un État faisant l'objet d'une agression armée de la part d'un autre État ; dans ce cadre, l'État victime de l'agression armée peut être soutenu par d'autres États dans sa réaction en légitime défense puisque la Charte reconnaît la légitime défense collective. Il est vrai que la réaction en légitime défense à une attaque terroriste telle que celle du 11 Septembre a été discutée ; mais quoiqu'il en soit de ces discussions, elles n'ont jamais permis de penser qu'une attaque émanant d'un peuple vivant sous occupation justifiait l'invocation de la légitime défense de la Charte par l'État occupant.

C'est d'ailleurs ce qu'a affirmé la CIJ en 2004 : l'invocation de la légitime défense par Israël, s'agissant du territoire palestinien occupé, était « sans pertinence au cas particulier » (§ 139 de l'avis). Elle a aussi affirmé que si un État a le droit, et le devoir, de répondre à des actes de violence visant sa population civile, les mesures prises « n'en doivent pas moins demeurer conformes au droit international » (§ 141 de l'avis). S'agissant de précédentes opérations militaires d'Israël, l'Assemblée générale avait condamné en 2009 « le recours excessif à la force par les forces d'occupation israéliennes contre les civils palestiniens, en particulier récemment dans la bande de Gaza, qui ont fait un nombre considérable de morts et de blessés, y compris parmi les enfants, massivement endommagé et détruit des habitations, des biens, des éléments d'infrastructure vitaux et des édifices publics, y compris des hôpitaux, des écoles et des locaux des Nations Unies, et des terres agricoles, et entraîné des déplacements de civils » (résolution 64/94, 2009).

La récente résolution de l'Assemblée générale demandant une « trêve humanitaire immédiate, durable et soutenue, menant à la fin des hostilités » ne reprend pas explicitement cette condamnation d'un recours excessif à la force. Une seule demande explicite est formulée à l'intention d'Israël, puissance occupante, en l'occurrence « l'annulation de l'ordre donné (…) aux civils palestiniens et au personnel des Nations Unies, ainsi qu'aux travailleurs humanitaires et médicaux, d'évacuer toutes les zones de la bande de Gaza situées au nord de Wadi Gaza et de se réinstaller dans le sud de la bande de Gaza », selon la résolution A/ES-10/L.25 du 26 octobre 2023, point 5. L'Assemblée y insiste aussi sur le fait « qu'on ne pourra parvenir à un règlement durable du conflit israélo-palestinien que par des moyens pacifiques (…) ». Le soutien à la résistance armée du peuple occupé, parfois exprimé avant les accords d'Oslo a donc, à ce stade, largement disparu2.

Une éradication à des fins d'annexion

En réalité, nous sommes actuellement en présence d'une bataille pour le droit qui se déroule sur plusieurs fronts.

Le premier, le plus visible, est donc celui qui cherche à convoquer la figure de la légitime défense de la Charte dans une « guerre contre le terrorisme » afin de soutenir le principe des attaques militaires israéliennes à Gaza. Ce discours passe par la désignation du Hamas comme groupe terroriste dans le droit des États-Unis et de l'Union européenne3. Le recours à la caractérisation « terroriste » justifie l'adoption de sanctions économiques par les États-Unis et l'Union européenne contre Gaza. Relevant qu'elles sont soutenues par le Quartet, John Dugard conclut dans son rapport de 2007 qu'il s'agit du premier exemple de sanctions économiques adoptées à l'encontre d'un peuple occupé.

Il se rencontre dans la malheureuse idée du président français de rassembler, en faveur d'Israël, la coalition internationale établie pour lutter contre l'organisation de l'État islamique (OEI) en Syrie et en Irak, idée qui, il est vrai, a été rapidement écartée. Lors de sa visite en Israël le 24 octobre 2023 le président français a affirmé : « La France est prête à ce que la coalition internationale contre Daech, dans le cadre de laquelle nous sommes engagés pour notre opération en Irak et en Syrie, puisse aussi lutter contre le Hamas »4. Ce discours a aussi été expressément avancé dans le projet de résolution porté par les États-Unis au Conseil de sécurité le 25 octobre 2023, suscitant l'opposition claire de la Russie.

Mais il y a une limite dans le discours des États alliés d'Israël qui passe par la délégitimation de l'adversaire comme terroriste. C'est celle de l'inadmissibilité de l'acquisition de territoires par la guerre (annexion), soulignée, s'agissant d'Israël, dès la résolution 242 (1967) du Conseil de sécurité. Il ne sera donc certainement pas possible au Conseil de sécurité de soutenir « l'éradication d'un sanctuaire » créé par des groupes désignés comme terroristes sur un territoire, comme il l'avait fait s'agissant de l'OEI en 2015 (résolution 2249), de manière déjà très contestable. Une telle éradication à des fins d'annexion semble correspondre au projet du gouvernement israélien à Gaza.

Les interrogations sur le « régime militaire »

Le second front, plus discret, est celui qui tente de remettre en question la représentation, dominante en droit international, de l'occupation militaire du territoire palestinien contrôlé par Israël depuis 1967. Pour le droit international et l'ONU, ce territoire relève d'un régime d'occupation décrit dans la IVe Convention de Genève de 1949 sur le droit de la guerre. Or, cela fait plusieurs années que les rapporteurs spéciaux du Conseil des droits de l'homme de l'ONU sur les territoires palestiniens occupés depuis 1967 — parmi lesquels John Dugard, Richard Falk, Michael Lynk et Francesca Albanese, dont les rapports sont accessibles sur le site du Haut-Commissariat aux droits de l'homme des Nations unies — s'interrogent : se trouve-t-on encore en présence d'un régime d'occupation militaire ?

Cette interrogation se fonde sur la longue durée de l'occupation (alors que l'occupation est censée être provisoire), sur la description de pratiques d'annexion par l'édification du mur, par la colonisation, de punition collective (blocus de Gaza), et sur l'instauration d'un système de discrimination ayant les caractéristiques d'un régime d'apartheid, considéré comme gravement illicite par le droit international. En 2022, le rapporteur spécial Michael Lynk concluait :

Le système politique de gouvernement bien ancré dans le Territoire palestinien occupé, qui confère à un groupe racial, national et ethnique des droits, des avantages et des privilèges substantiels tout en contraignant intentionnellement un autre groupe à vivre derrière des murs et des points de contrôle et sous un régime militaire permanent, sans droits, sans égalité, sans dignité et sans liberté, satisfait aux normes de preuve généralement reconnues pour déterminer l'existence d'un apartheid5.

Cette autre bataille pour le droit pourrait trouver une issue judiciaire. Ainsi, la CIJ a été saisie, par la résolution 77/247 de l'Assemblée générale du 30 décembre 2022, d'une nouvelle demande d'avis qui semble bien relayer les interrogations relatives à la permanence du régime d'occupation. Les questions posées à la Cour sont en effet les suivantes :

a) Quelles sont les conséquences juridiques de la violation persistante par Israël du droit du peuple palestinien à l'autodétermination, de son occupation, de la colonisation et de son annexion prolongées du territoire palestinien occupé depuis 1967, notamment des mesures visant à modifier la composition démographique, le caractère et le statut de la ville sainte de Jérusalem, et de l'adoption par Israël des lois et mesures discriminatoires connexes ?

b) Quelle incidence les politiques et pratiques d'Israël visées au paragraphe (…) ci-dessus ont-elles sur le statut juridique de l'occupation et quelles sont les conséquences juridiques qui en découlent pour tous les États et l'Organisation des Nations Unies ?

Si la Cour venait à considérer que l'occupation des territoires palestiniens n'a plus de fondement juridique et que l'on se trouve en réalité en présence d'une pratique d'annexion accompagnée de l'instauration d'une forme d'apartheid, la représentation de la situation et son encadrement juridique, seraient bien différents. Par-delà l'effet symbolique extrêmement négatif de la caractérisation d'un gouvernement d'apartheid, la présence d'Israël sur ces territoires serait en elle-même gravement illégale, et les mesures collectives de nature sanctionnatrice de l'ONU visant à mettre un terme à un régime d'apartheid, observées dans le contexte de l'Afrique australe, pourraient être mises en place.

L'émergence d'un troisième front dans la bataille des qualifications juridiques, où les pratiques israéliennes sont rapportées à la figure du génocide ne sera pas évoquée ici6. Un crédit croissant et accordé à cette analyse, ce dont on ne peut pas se réjouir dès lors qu'elle semble correspondre à la condition actuelle du peuple palestinien à Gaza.


1Interview d'Élias Sanbar, L'Humanité Magazine, 26 octobre-1er novembre 2023.

2Voir, sur ce soutien, Assemblée générale, résolution 45/130, 1990, point 2, dans le contexte de la première intifada : « Réaffirme la légitimité de la lutte que les peuples mènent pour assurer leur indépendance, leur intégrité territoriale et leur unité nationale et pour se libérer de la domination coloniale, de l'apartheid et de l'occupation étrangère par tous les moyens à leur disposition, y compris la lutte armée ».

3Alain Gresh, « Barbares et civilisés », Le Monde diplomatique, novembre 2023.

4Le Monde, 25 octobre 2023.

5A/HRC/49/87, point 52

6Orient XXI publiera dans les prochains jours un article sur ce thème.

L’IA, une menace pour les élections qui arrivent ?

Au chapitre des “ingérences” et des “intox” qui perturbent le déroulement normal de l’élection, l’intelligence artificielle (rebaptisée IA pour faire chic) risque bien de jouer un rôle grandissant dans les mois à venir. Le phénomène est suffisamment inquiétant pour le chef des Droits de l’Homme de l’ONU s’en inquiète. Les opinions publiques sont-elles suffisamment mûres pour déjouer les pièges des montages en tous genres ?

L’intelligence artificielle est dans tous les esprits. Elle est suffisamment développée aujourd’hui pour produire des images réalistes sur commande, adaptées à n’importe quel contexte. On mesure tout de suite la puissance de l’outil : il est possible de manipuler librement les foules en forgeant de toutes pièces des mensonges plus crédibles que la réalité elle-même.

Face à cette puissance, le Haut-Commissaire aux Droits de l’Homme de l’ONU, Volker Türk, vient de lancer un avertissement, à l’aube d’une séquence où de nombreux pays entrent dans un processus électoral… et tout particulièrement les Etats-Unis. L’utilisation de l’intelligence artificielle pourrait perturber gravement la vie démocratique.

La pression autour d’une réélection de Donald Trump monte, donc.

Volker Türk propose la création d’une instance mondiale chargée de réguler l’IA… sans surprise, serait-on tenté de dire.

[Enquête II/II] Les victimes de Wagner au Mali souhaitent le retour de Barkhane

Cet article constitue la seconde partie de mon enquête sur le double ethnocide des Touareg et des Peuls au Mali, dont le premier volet a été publié le 20 novembre. Pour mieux comprendre l’effondrement sécuritaire et humanitaire que traversent les populations peules et touarègues du nord du Mali, j’ai interrogé les victimes de Wagner sur l’évolution de leurs conditions d’existence depuis le départ des Français.

Depuis deux ans, le régime putschiste installé à Bamako ne cesse d’accuser la France, tantôt de « néocolonialisme », tantôt d’« abandon », mettant en avant le slogan de la « souveraineté retrouvée du Mali ». Dans les faits, la junte de Bamako a transféré son autorité aux mains du groupe paramilitaire russe Wagner, et s’aligne publiquement sur les positions du Kremlin.

Au nord du Mali, les témoins Peuls et Touareg ont constaté une « amplification de l’insécurité » depuis le départ de Barkhane. Tous, à leur manière, m’ont confirmé que « les jihadistes ont repris du terrain » et que leurs attaques se sont « multipliées ». D’autre part, ils ont fait la connaissance des « monstres » de Wagner.

 

Les Forces Armées du Mali (FAMa) sous commandement russe ?

Sur le terrain en tout cas c’est limpide. Les témoins des crimes de Wagner ont pu observer à de nombreuses reprises la subordination des soldats maliens aux paramilitaires russes. Si les forces armées maliennes participent aux crimes de guerre des Wagner, il semble que les soldats maliens soient aussi victimes d’exactions de la part des paramilitaires russes.

Lorsque j’ai demandé aux victimes de Wagner de se souvenir comment ces derniers se comportaient avec les FAMa au moment des massacres et des pillages, j’ai entendu des réponses plus ou moins détaillées mais qui allaient toutes dans le même sens que celle donnée par ce berger peul : « les FAMa sont aux ordres des Wagner ».

Certains témoins ont décelé de la « frustration » parmi les militaires maliens tenus à l’écart lors des réunions de commandement ou forcés à obéir sous peine d’être torturés ou exécutés. Le 9 octobre 2023, à Anéfis, plusieurs civils ont vu 6 soldats maliens se faire égorger ou fusiller par des éléments de Wagner à la suite d’un désaccord sur le partage des biens pillés et sur le sort à réserver aux populations locales.

Le régime de Bamako n’a pas retrouvé sa souveraineté en rompant ses accords de coopération militaire avec la France. Il l’a transférée à une milice paramilitaire qui dirige, dans les faits, son armée régulière.

 

« Ne comparez pas Barkhane et Wagner. Ils sont comme l’eau et le lait » 

Les témoins Peuls et Touareg avec lesquels j’ai pu échanger ont vécu à proximité de bases militaires françaises qui ont été investies par le groupe Wagner et les Forces Armées Maliennes (les FAMa) à la fin de l’opération Barkhane. Ils décrivent l’arrivée de Wagner comme un changement de monde. Le professionnalisme de l’armée française a cédé la place à la barbarie des paramilitaires russes :

« La force Barkhane était respectueuse des gens, ils sont bien éduqués, polis. Barkhane aidait les gens. Wagner n’est comparable qu’avec l’armée malienne ou les terroristes. C’est des gens sans foi ni loi. »

« Barkhane ne s’attaque pas aux civils sans armes. Wagner attaque les civils et les animaux. Barkhane respect les droits de l’homme contrairement à Wagner à qui le gouvernement du Mali a donné carte blanche pour exterminer les touaregs et les arabes. »

« Wagner tue à sang froid, alors que barkhane au pire ils arrête et emmène les gens dans leur hélicoptère »

« Wagner et barkhane c’est ni le même comportement ni le même mode opératoire ni la même mission. Barkhane cherchais des terroristes. Tout ceux qui ont des liens avec les terroristes peuvent être arrêtés avec l’espoir de si aucune preuve irréfutable n’as été trouvé ils serrons remis en liberté mais Wagner c’est tout as fait le contraire. Tout ceux qu’elle croise en brousse sont des terroristes ou des rebelles qu’il faut abattre à tout prix. Tels sont les ordres qui leurs ont été donné par les militaires aux pouvoirs. »

« Barkhane donnait des médicaments et finançait des projets. Mais par contre Wagner brûlent, volent et torturent. »

 

Une armée régulière respectueuse des droits de l’Homme : avant son départ, l’armée française avait bâti des liens de confiance avec les populations locales

Au nord du Mali, le démantèlement de Barkhane a entraîné une hausse du chômage et de l’insécurité. Ceux qui ont côtoyé les soldats français témoignent de rapports respectueux et d’actions de solidarité qui contrastent considérablement avec les exécutions, les arrestations arbitraires et les pillages menés par le groupe Wagner :

« Barkhane respectait le DIH [Droit International Humanitaire] en t’arrêtant ils cherchaient d’abord les pièces d’identification, ils passaient tes doigts dans leurs machines ce qui permettait de t’identifier facilement, dès que cela est fait il te posait des questions de routines sur ton voyage, ta personne rien de compliqué. Mais c’est carrément tout le contraire avec Wagner qui est au service du gouvernement, il est en quelques sortes la Main de Guerre de ce gouvernement de Transition qui tue avec lâcheté les paisibles citoyens pour qui leurs seules crimes est l’appartenance au nord du Mali »

« Barkhane chez nous dans région Menaka et contribuait à la stabilite sociale. Elle faisait des patrouilles hors la ville et la ville était bien sécurisée. Ils organisaient des tournois entre eux et les quartiers et les quartiers entre eux même. Au faite l’idée de les chassés était une décision irréfléchie ils ont laissé un grand vide sur tout les plans »

« Les forces barkhane étaient présentes et avaient quelque interactions avec les populations en intervenant dans plusieurs domaine dont le principal était la sécurité mais aussi en faisant des programmes d’aide sociale. »

« Barkhane était dans notre zone. J’étais dans la zone de Bir Khan de 2014 à 2019, et je n’ai vu aucun mal de Barkhane envers les habitants. Au contraire, j’y vois un soulagement et une sécurité pour la zone. Par exemple, il a sécurisé la voie publique, et je ne l’ai jamais vu arrêter un innocent. Je les ai également vus effectuer des patrouilles d’infanterie à Birr presque la nuit. Il était 3 heures du matin, mais aucun d’eux ne m’a parlé. »

« Chez nous a douentza, barkhane finançait les projets, ils sont humains »

« Les forces barkhane nous soutenait, ils nous apportait les nourritures et médicaments »

 

La grande majorité des victimes de Wagner interrogées souhaitent le redéploiement de Barkhane au Mali

Les réponses des victimes de Wagner tranchent singulièrement avec la propagande anti-française de la Russie, et avec les mots durs de la junte bamakoise sur la coopération militaire entretenue ces dix dernières années avec la France.

À la question fermée « êtes-vous favorable à une intervention de l’armée française et des armées européennes pour neutraliser Wagner » je n’ai pas reçu une réponse négative. La grande majorité des témoins que j’ai interrogés m’ont répondu « oui » (« oui, que Dieu fasse », « Oui et dans le plus vite », « Oui, oui, oui, oui, oui », « oui, à 1000 % et je les soutiendrai de toutes mes forces », « totalement, oui »…) sans distinction d’ethnie ni de classe sociale. Qu’ils soient Peuls ou Touaregs, notables en exil, chômeurs, bergers, mères au foyer, les victimes de Wagner et de la junte bamakoise sont favorables au redéploiement de la mission anti-terroriste de Barkhane et ont vécu son retrait comme une « erreur » et un « abandon ». Sur l’ensemble des témoins que j’ai consultés sur cette question, je n’ai pas entendu une réponse négative. Un jeune commerçant et une mère au foyer Touareg ont apporté des nuances à l’élan d’enthousiasme que ma question suscitait chez leurs coreligionnaires. Le premier m’a confié douter que la France n’intervienne. Selon lui « Le problème est que Wagner représente la Russie et aucun pays du monde n’osera s’attaquer au Wagner car s’attaquer au Wagner c’est s’attaquer à la Russie « . La seconde m’a confié qu’elle était plus favorable à une solution diplomatique qu’à la « voie des armes et de la force ».

Il ne s’agit bien sûr que d’un symbole, leurs témoignages (rapportés, qui plus est) ne pouvant servir de mandat. Cependant leurs réponses permettent de nuancer la propagande anti-française déployée par les juntes sahéliennes, par les médias africains anciennement financés par la galaxie Prigogine et par les discours de Moscou présentant la France comme une puissance coloniale en Afrique.

Depuis 2016, la Russie a réinvesti le continent africain en se présentant comme une alternative à l’« impérialisme français » en Centrafrique, au Mali, au Burkina Faso… En instaurant un régime de terreur au nord du Mali, les paramilitaires de Wagner ont contribué à faire renaître un sentiment pro-français. La présence militaire française au Sahel n’a pas été sans bavures, mais contrairement à Wagner, les soldats français respectaient, soutenaient et protégeaient les populations locales. Et elles s’en souviennent.

[Enquête] Ethnocide des Touareg et des Peuls en cours au Mali : les victimes de Wagner témoignent

Le Mali du colonel Assimi Goïta est devenu une colonie de Moscou. Depuis bientôt deux ans, le groupe Wagner, bras armé de l’impérialisme russe en Afrique, y sème la terreur et ne cesse de monter en puissance. Ses actions destructrices ont des conséquences désastreuses pour la stabilité des pays du golfe de Guinée, du Maghreb et du sud de l’Europe.

Cet article représente le premier volet d’une enquête au long cours destinée à être publiée en 2024 sous une forme beaucoup plus exhaustive. L’actualité récente de la prise de Kidal par les terroristes de Wagner le 14 novembre dernier m’a conduit à bouleverser mon calendrier pour sensibiliser le grand public au sujet d’un double ethnocide qui a lieu en ce moment même au sud des frontières européennes, dans le grand voisinage de l’Europe.

 

Pourquoi enquêter sur les victimes de Wagner au Mali

Depuis le retrait de la force Barkhane, le régime putschiste installé à Bamako s’appuie sur le groupe paramilitaire russe Wagner pour se maintenir au pouvoir et régler des comptes historiques avec deux groupes ethniques : les Peuls et les Touareg.

Moura, Hombori, Logui, Tachilit, Ber, Ersane, Kidal, Tonka… ces noms de lieux sont devenus synonymes de carnages pour des milliers de civils issus de ces deux ethnies. Tout se passe exactement comme si le régime d’Assimi Goïta avait planifié et mis en œuvre le massacre systématique de tout individu targui et peul. Hommes, femmes et enfants sont ciblés sans distinction, pourvu qu’ils soient des Touaregs ou des Peuls.

Ces six derniers mois, j’ai pris contact avec des centaines de victimes de Wagner pour recueillir leurs témoignages. Ces témoins sont majoritairement des hommes originaires de Tessalit, Tombouctou, Gossi, Gao, Kidal et Ménaka, communes du nord du Mali qui étaient sécurisées par l’armée française jusqu’en 2021/2022. La plupart d’entre eux ont fui leurs villes et leurs villages pour se réfugier dans des pays limitrophes en Afrique de l’Ouest (Mauritanie, Niger), en Afrique du Nord (Tunisie, Algérie) et même en Europe du Sud (France). Ceux qui sont restés vivent dans l’épouvante au quotidien. Tous sont polytraumatisés. Leurs récits nous renseignent sur les méthodes sanguinaires de l’impérialisme russe en Afrique. Les citations rapportées sont directes, il n’y a aucune reformulation. J’ai aussi laissé les fautes d’orthographes, lorsqu’elles proviennent de témoignages écrits. Les prises de parole que j’ai retranscrites ou restituées ici émanent toutes d’individus qui ont pris des risques en dialoguant avec moi et en acceptant que leurs récits soient publiés. Il ne s’agit que d’une petite partie des témoignages que j’ai recueillis. Je n’ai volontairement donné aucune indication précise sur les identités et les lieux de vie des témoins, pour ne pas les exposer ni exposer leurs familles à des représailles certaines.

 

Exécutions sommaires, tortures, pillages, viols : récits des premiers actes commis par les Wagner à leur arrivée dans des communes peuplées de Peuls ou de Touareg

Les Wagner dominent par la terreur. Les témoignages de leurs arrivées dans une commune Peule ou Targui comportent de nombreuses récurrences sur leurs modes opératoires. De nuit ou de jour, ils commencent par épouvanter la population locale en tuant des innocents sous couvert de lutte contre le terrorisme. Ensuite, ils détruisent les ressources locales et procèdent à des pillages et à des viols :

« Le jour de leur arrivée ils ont commencé par exécuté 9 personnes dont 3 vieux et 2 enfants. Les autres jours ils entrent dans les maisons pillent les commerces , chaque [jour] ils abattent parmi nos animaux pour leur cuisine. »

« Ils sont venus avec les militaires maliens. Sans chercher à comprendre, ils ont tués des innocents. Ça a été tellement rapide ! Les hommes ont été envoyés loin du village, ensuite les femmes ont été choisies comme des mangues au marché, uniquement pour nous violer. J’ai été violée par 5 hommes pendant 2 h de temps . Mon époux était parmi les personnes tuées. »

« Ils sont venus chez nous après une attaque contre l’armée malienne. Suite aux interrogations, ils ont amenés 14 personnes, des peuls, Touaregs et arabes et jusqu’à présent personne d’entre eux n’est jamais revenu. Bientôt un an Sans aucune nouvelle d’eux. Ils ont des familles, des épouses et des enfants. C’est vraiment déplorable. »

« Ils sont rentrés dans mon village pendant le jour du foire hebdomadaire avec des hélicoptères et chasseurs de DJENNÉ sur les motos , ils ont cernés le village, commencé a tiré sur tout le monde au marché. Ceux qui ont fuit pour se réfugier dans la brousse ont croisés les chasseurs et Wagner et militaires, ils ont été tués immédiatement. Ceux qui se sont réfugiés au village ont été capturés vivants, brûlés vivants sans motif. Chez nous, l’état avait abandonné le lieu pendant 9 ans , tout le monde était sous Influences des djihadistes. Au lieu de nous protéger, ils ont tués des gens comme des animaux. Après avoir tués les gens, ils ont tout pillé et abandonnés les corps dans la brousse et dans les rues. C’était désastreux ! Ceux [Ce] qu’ils disent à la télé n’est que la moitié du nombre de personnes tuées. »

« Quand les wagner sont tombés dans une embuscade sur la route principale de niono , après qu’il y’a eu des morts parmi eux , un convoi s’est dirigé à Ségou pour amener les blessés à l’hôpital et dépose les cadavres a la morgue et le second convoi s’est dirigé dans notre village. Ils ont fait une descende musclée chez un marabout peul qui enseigne les élèves coraniques, après avoir rentré , ils n’ont parler à personne. Ils ont fait le tour de la maison , fouiller les chambres et finit par enlevé 4 élèves coraniques ,tous des peuls , j’ai grandi avec eux au village. Deux ont été amenés à Ségou jamais retourner, et les corps sans vies de deux autres abonnés à la sortie de la ville. C’était la PANIQUE au village. »

« Lorsqu’ils sont venus chez nous , ils disaient que notre communauté informait les djihadistes mais c’était faux. Tous les jeunes et vieux ont été ramenés a 3 km de la ville , pour poser des questions que nous n’avons pas eu de réponse . Ils demandaient pourquoi nous informait les djihadistes ? Nous avons répandu que nous ne connaissons pas de djihadistes. Ils ont tiré avec une arme sur les pieds de 3 personnes dont un a succombé après quelques jours, un à perdus son pied et le troisième n’est toujours pas guéri. Ils m’ont frappé avec un bâton, j’ai des cicatrices sur ma tête actuellement. Après leurs auditions, ils n’ont pas laissé un seul animal, ils ont tous pris ».

« Mon ami tamachec à été tué chez lui et sa femme à été violée par les hommes de Wagner. Il n’a rien fait, son seul tord est d’être né avec la peau blanche. Ils l’ont soupçonné d’être en contact avec les djihadistes. C’était faux. »

« Après avoir été attaqués par les djihadistes qui a causés des pertes de vies dans leur rang , ils sont venus pour se venger des peuls sans motif . Brûlés nos champs, nos maisons et emportés nos animaux. »

« Wagner est arrivé dans mon village, ils cherchaient quelqu’un qui avait été indiqué mais absent depuis 6mois. Après avoir finit de questionnés les Villageois, ils voulaient amenés les femmes dans une maison et les violés. Quand nous nous sommes opposés, ils ont abandonnés l’idée en s’attaquant aux jeunes pourqu’ils disent s’ils ont vues l’intéressés. Moi étant le fils du chef de village, ils m’ont amené en brousse, me torturé et me laisser pour mort et continue leur route. Trois jours plutard, nous avions appris qu’ils arrivent, nous avons fuit en laissant tout derrière nous. Ils sont rentrés au village avec les militaires maliens et brûlés le village. »

« Lorsqu’ils sont venus chez nous, ils nous ont d’abord demander de nous écarté des animaux. c’etait en brousse ! Lorsqu’ils ont commencés à poser des questions, l’un d’entre nous par peur à voulut s’enfuir, et sans hésiter, ils l’ont tirer à bout portant au dos. Il est mort sur place. Ensuite ils ont demandé à mon frère aîné Mohamed  [le prénom a été changé] de se déshabiller, lui voulait savoir pourquoi, ils ont mis une balle en tête. Je tremblait jusqu’à ce que j’ai pissé sur moi. Ils ont embarqué tous les animaux, et me mettre une balle au pied droit. Comme ce n’était pas loin de la ville, je me suis débrouillé Pour rentré en ville, mais j’avais perdu tellement de sang que je me suis évanoui et me réveiller à l’hôpital. Nos parents ont enterrés les corps. »

« Ma Femme à fait une fausse couche et elle a perdue notre bébé de 4 mois. Plusieurs personnes ont été blessés parce qu’elles voulaient au moins récupéré leurs bien dans les maisons qui étaient entrain d’être brûlés par les Wagner »

 

Vivre sous le joug de Wagner : « la peur est devenue notre quotidien »

Avant l’arrivée de Wagner, les témoins que j’ai interrogés avaient une profession ou étudiaient. Ils étaient bergers, commerçants, comptables, réparateurs de motos, vendeurs en boutique, transporteurs, gardiens, étudiants. Aujourd’hui ils ont perdu leurs emplois et leurs ressources. Les étudiants ne vont plus à l’université. Leurs familles sont détruites : ils ont vu des proches se faire assassiner, violer, torturer. Certains éduquent les « bébés Wagner », ces enfants qui sont nés après les viols.

Voici comment ils décrivent leur quotidien :

« Je n’ai plus de vie, je n’arrive pas à faire enlever les mauvais souvenirs en tête. J’ai vu mes parents et amis brûlés vivants par les hommes blancs, militaires maliens et chasseur. »

« Toujours dans la peur de se faire massacrer. Les Wagner tuent des gens partout où ils passent. »

« Les mercenaires ont changé notre train de vie, Tu ne peux plus penser à voyager à l’intérieur de la Région sans que tu ne crains pour ta vie, ils sont devenu les cauchemar des populations depuis leurs arrivés à Ber dans la région de tombouctou »

« Ma vi cest la dépression, des sentiments de nostalgie, la souffrance psychique »

« L’élément majeur c’est l’asile de tous mon village en Mauritanie. »

« Nous avons souffert de l’expulsion de nos familles vers des camps de réfugiés par peur de l’oppression financière et de l’oppression de Wagner. Nous avons perdu nos emplois, nos villes et nos vies auxquelles nous étions habitués, tout comme nos enfants ont perdu leur éducation. »

« A cause de wagner, notre communauté à été obligée de fuir. Nous sommes victimes de racisme sans nom par ce que nous sommes des Touaregs»

« L’image de la Scène est toujours devant mes yeux. Mon meilleur ami et collaborateur à été tué et sa femme violée. C’est terrible ! »

« Nous n’avons plus de travail, animaux et maisons à cause de Wagner. Ils ont bafoués notre dignité en Violant nos sœurs et épouses sous nos yeux »

« Ils m’ont pris des amis et à cause d’eux les peuls de notre village qui ont cohabiter avec nous pendant plusieurs générations ont fuit. Ce n’était pas des djihadistes. »

« Ils nous ont tout pris. Celui qui brûle ton village t’a humilié et détruit ta vie. »

« Ils m’ont rendus rancunier et fou»

« Wagner à détruit notre avenir. Jamais nous ne pardonnons »

 

Les victimes de Wagner accusent la Russie et la junte de Bamako

J’ai demandé à tous les témoins que j’ai consultés si pour eux, la Russie était responsable des actions de Wagner. Bien que les sociétés militaires privées soient interdites en Russie, le groupe Wagner a bien été créé pour servir les intérêts de Moscou de façon officieuse. Cette ambiguïté n’existe plus depuis que le président Poutine a signé un décret contraignant les groupes paramilitaires à jurer « fidélité » et « loyauté » à l’État russe, deux jours après la mort du chef du groupe Wagner Evgueni Prigojine. Il restait à savoir si elle subsistait sur le terrain. Elle n’existe pas. Les victimes de Wagner accusent la Russie et la junte de Bamako d’être responsables de la terreur qu’elles endurent. Certains témoins ont été informés du rattachement officiel du groupe Wagner à l’État russe publicisé en août 2023. D’autres n’ont tout simplement jamais fait la différence entre les deux :

« La Russie est le premier responsable mais surtout le gouvernement malien. »

« Oui le premier responsable c’est la Russie qui veut transférer sa guerre géopolitique contre l’Occident sur notre territoire, une guerre qui ne nous profite en aucun cas. Le kremlin influence beaucoup sur la gestion du pouvoir au mali »

« Bien sûr récemment avec l’actuel réorganisation de l’organisation après la mort de Prigojine. »

« malheureusement, Wagner est la main de la Russie en Afrique et en est responsable. »

« La politique étrangère de Moscou est lamentable et par ailleurs la Russie y sera toujours pour quelques choses »

« Oui parce que ce sont des russes »

 

« Pas d’avenir autre que la mort » : quel futur pour les Peuls et les Touareg au Mali ?

Pas une victime de Wagner ne pense que justice lui sera rendue. Les témoins ne font état d’aucun espoir et n’envisagent aucune issue à la situation actuelle, si ce n’est l’exil (lorsque c’est possible) :

« L’avenir est vraiment ambigu, très effrayant et sombre. Nous ne pouvons rien attendre de l’horreur de ce que nous voyons et de ce que nous voyons d’injustice et de tyrannie et du silence du monde sur ce qui se passe. »

« Un avenir incertain et plein d’embûches avec la volonté de la junte à faire la guerre utiliser ses drones contre le Peuple Touaregs et peulhs »

« Aujourd’hui l’avenir pour nous est incertain, il est presque sans issue. Je n’ai pas de travail. »

« Nous avons besoin d’assistance sur le plan sécuritaire car le Mali le Niger et le Burkina ce sont donner la main pour tuer tout ceux qui ne sont pas avec eux au sahel »

« L’avenir est incertain, nos maisons sont brûlés et nous n’avons plus de boeuf. »

« Je ne crois plus à l’avenir. J’ai besoin que mes enfants étudient et avoir une vie meilleure »

Droits de l’Homme : le double discours de Juan Branco

Les questions des droits de l’Homme et de la morale en matière de politique internationale ont été particulièrement instrumentalisées ces dernières années. Les commentateurs et acteurs de la vie politico-médiatique ne sont pas rares à s’être contredits sur ces questions, invoquant alternativement la morale universelle et la rhétorique réaliste des intérêts, fonction des belligérants d’un conflit.

Cas particulièrement exemplaire de cette disposition d’esprit fallacieuse, l’avocat Juan Branco s’est ainsi illustré par de constants et fréquents discours humanitaires concernant diverses situations de politique internationale, tout en s’affranchissant des principes qu’il professait pour d’autres cas.

 

Ukraine : l’angle mort de l’hypocrisie tiers-mondiste

Ainsi, en août 2022, dans un entretien accordé à VA+, il affirmait dans son style toujours grandiloquent que le soutien français à l’Ukraine allait contre nos intérêts nationaux, demandant aux spectateurs de s’interroger sur les raisons qui poussaient notre pays à aider Kiev à défendre sa souveraineté nationale face à l’invasion russe.

Sur son propre site, on peut aussi retrouver un texte de mars 2022 où il affirme la même chose :

« … La question qui se pose aujourd’hui, ce sont les intérêts de la France, la défense des intérêts de la population française et le rôle que l’État français doit jouer afin de protéger ses concitoyens, et que la zone dont nous parlons n’est pas une zone d’intérêt stratégique primordiale pour la France, contrairement à ce qui a été beaucoup affirmé et ne justifie pas du tout le dispositif qui a été mis en place face aux participants au conflit, avec une posture moralisante. »

Si l’objet de cet article n’est pas de démontrer que la France a intérêt à défendre les frontières légales d’un pays limitrophe de l’Union européenne ainsi que de divers États-membres de la zone OTAN, le problème du propos de Juan Branco est qu’il entre en contradiction totale avec la plupart de ses points de vue.

Aujourd’hui célèbre pour ses gesticulations sénégalaises, en tenue traditionnelle locale s’il-vous-plait, l’avocat germanopratin ne manque pas de fustiger l’État français quand il défend ses intérêts en Afrique, au Levant ou partout ailleurs.

Désormais avocat de l’opposant Ousmane Sonko, panafricaniste qui défendait d’ailleurs la junte malienne sous emprise russe en août 2022, au moment même où Juan Branco ne trouvait rien à redire aux bombardements visant des civils à Marioupol ou Bakhmut, il ne manque jamais une occasion de fustiger le Sénégal et la CEDEAO.

 

Les gesticulations sénégalaises de l’avocat Juan Branco

Serait-il dans notre intérêt que le pays le plus stable de la région, qui affiche selon le rapport 2022 de l’Economic Intelligence Institute un des meilleurs indices de démocratie des institutions parmi les pays francophones d’Afrique, tombe entre les mains d’un révolutionnaire ami des régimes sahéliens qui ont chassé l’armée française pour y installer la milice Wagner dont les exactions nombreuses sont parfaitement documentées, le tout pour satisfaire l’appétit d’une puissance prédatrice ?

Ou alors, faudrait-il considérer que la question des droits humains ne concerne que les pays occidentaux ?

De la même manière, on constate qu’Israël subit une attention toute particulière. Israël peut commettre des crimes de guerre et doit, comme tous les États du monde, se soumettre au droit international. Il est néanmoins permis de s’interroger sur le fait que ses actions suscitent bien plus de protestations que celles, par exemple, d’un Bachar Al Assad qui a employé des armes chimiques et même assiégé le camp palestinien de Yarmouk avec une brutalité sans pareille.

 

L’Ordre international est l’intérêt de la France

De tels crimes n’ont alors dérangé personne, et surtout par nos belles âmes plus promptes à salir la France, dont les intérêts semblent selon eux se limiter à s’aligner sur la Russie et ses alliés.

Disons-le donc tout net : ils ne s’intéressent pas plus aux intérêts de la France bien pensés qu’aux droits de l’Homme, mais ont un agenda qui colle étrangement aux obsessions anti-occidentales du « sud global » dont l’objectif final tient dans l’instauration d’une prétendue « multipolarité » qui mettra à bas un Ordre International patiemment construit, au service exclusif des Empires revanchistes et des irrédentismes.

Notre ordre est certes imparfait, mais il vaut mieux que l’anarchie et la multi-conflictualité. Les Juan Branco et autres agités sont donc des agents du désordre et des propagateurs de la guerre du tous contre tous, bien plus que des humanistes. Ce n’est pas être idéaliste que de vouloir défendre l’Ordre international contre ceux qui entendent le saccager. Ce n’est pas non plus contraire au devoir d’humanité qui est le nôtre.

Un haut responsable de l’ONU démissionne: “C’est un cas d’école de génocide”

Par : dev2

Craig Mokhiber n'est plus directeur du bureau de New York du Haut Commissariat aux droits humains. Il vient de démissionner pour protester contre l'inaction de l'ONU alors que le peuple […]

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Faut-il quitter la cour européenne des droits de l’Homme ?

Pour ne plus dépendre de la Cour européenne des droits de l’Homme, il faut dénoncer la Convention du même nom et en sortir.

Même si un protocole n°15 a été ajouté à la Convention, qui insiste sur la subsidiarité de la jurisprudence européenne, et prend mieux en compte la souveraineté des États, la Cour européenne des droits de l’Homme bride la souveraineté des peuples et des nations.

 

Un gouvernement des juges antidémocratique

La CEDH est l’illustration du gouvernement de juges européens qui se substituent au législateur français ou européen et qui, sans légitimité et sans débat public, imposent leur idéologie (cf l’étude du Centre européen pour le droit et la justice).

On s’attendrait à ce que ces juges émanent des plus hautes juridictions de leur pays. Il n’en est rien, une bonne partie des juges nommés ne sont pas des magistrats professionnels, mais des professeurs ou des fonctionnaires spécialisés dans les « droits humains », ou encore des activistes des ONG.

La Cour européenne des droits de l’Homme a un pouvoir exorbitant qui s’applique, sans aucun recours possible, à 800 millions de citoyens européens. Nommés dans des conditions opaques, inconnus du public, ces juges de Strasbourg sont devenus un pouvoir législatif qui prive les Parlements nationaux de leurs prérogatives. Les conséquences d’un arrêt de la CEDH condamnant un pays signataire s’appliquent directement en droit français, sans que le Parlement, le gouvernement ou les juridictions françaises ne disposent de la possibilité de le contester.

 

La CEDH, comment ça marche ?

Signée à Rome le 4 novembre 1950 par les États membres du Conseil de l’Europe, et ratifiée par la France en 1974, la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (plus connue sous le nom de Convention européenne des droits de l’Homme) s’inscrit dans le prolongement de la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948.

Depuis son entrée en vigueur le 3 septembre 1953, seize protocoles additionnels ont été adoptés.

L’originalité de la Convention européenne des droits de l’Homme tient au fait qu’elle garantit, non seulement des droits substantiels, comme la liberté d’expression ou le respect de la vie privée (article 8 de la Convention), mais encore des droits procéduraux, comme le droit au procès équitable prévu par l’article 6.

La Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH), créée par la Convention européenne des droits de l’Homme, a été mise en place en 1959.

Elle siège à Strasbourg et se compose de 46 juges (un par État membre) élus pour un mandat de neuf ans non renouvelable par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe – assemblée qui n’a pas de légitimité démocratique, car cooptée par les Parlements nationaux selon des règles qui leur sont propres. Toutefois, les juges siègent à titre individuel, et ne représentent pas les États.

 

Est-il possible de quitter la CEDH ?

La Convention européenne des droits de l’Homme prévoit deux cas :

  1. Soit une sortie définitive et un retour ensuite, sous conditions
  2. Soit une « suspension » de certains articles de la Convention pour des questions liées à un état d’urgence

 

Nous ne nous intéresserons, dans cet article, qu’à la première option.

L’article 58 de la Convention prévoit une clause de dénonciation.

C’est un schéma classique dans les traités internationaux : les États s’engagent, ils peuvent se désengager. La Convention européenne des droits de l’Homme indique qu’il faut pour cela attendre cinq ans après la ratification (ce qui est le cas pour la France), puis notifier un préavis de six mois. Bien que le Conseil de l’Europe ait pris l’habitude de conditionner l’adhésion de ses membres à la ratification de la Convention européenne des droits de l’Homme, il paraît peu probable que celui-ci exclut la France de cette organisation. Une dénonciation par la France de la Convention aurait un impact considérable et serait probablement suivie par d’autres pays. Mais l’adhésion de l’Union européenne à la Convention lierait à nouveau la France à celle-ci !

Autre possibilité, la France pourrait décider de ne pas appliquer les décisions de la CEDH. Mais alors, le gouvernement risque une condamnation par un juge français saisi par un particulier pour non-application de la décision de la CEDH.

D’un point de vue juridique, le plus sûr moyen consisterait à réviser par référendum l’article 55 de la Constitution qui garantit la primauté des traités sur les lois nationales.

 

Pourquoi quitter la CEDH ?

L’absence démocratique dans le sens libéral du terme des nominations devrait suffire à justifier ce départ.

Mais à mon sens, les dérives technocratiques et idéologiques sont également des causes toutes aussi importantes. Les attaques terroristes et/ou le non-respect des Obligations de quitter le territoire français, ainsi que l’impossibilité de conduire une politique de contrôle de l’immigration illégale doivent nous amener, à minima, à débattre de notre maintien au sein de la CEDH.

En effet, le dévoiement des articles 3 et 8 de la Convention empêche les États de mener une politique de lutte contre l’immigration illégale qui leur est propre. Les problèmes rencontrés par l’Italie ou l’Espagne dans cette lutte ne sont pas ceux des pays baltes.

Selon l’article 3 « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ».

Rien à redire à cela. Mais il est constamment invoqué pour s’opposer aux expulsions de clandestins, les rendant quasiment impossibles. Au fil du temps, les juges ont interprété cet article de façon de plus en plus extensive, en considérant le risque potentiel d’être soumis à de mauvais traitements, et pas seulement le fait d’y être soumis. La France devient directement responsable des violations qui pourraient avoir lieu dans un autre État si le migrant était renvoyé. Par exemple, la France ne peut plus extrader vers les États-Unis, une démocratie, un terroriste qui y risquerait la peine de mort.

Même logique pour l’article 8 qui énonce que « Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ». Il est devenu, par la magie de la jurisprudence, un droit au regroupement familial dans le pays d’accueil.

 

Une dérive idéologique qui s’étend à la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE)

Dans une brillante intervention, le député européen François-Xavier Bellamy s’inquiète d’un arrêt de la CJUE sur le contrôle des frontières qui, en pleine crise migratoire à Lampedusa, interdit à la France de refouler les personnes qui tentent d’entrer illégalement sur son sol. Et de constater que le seul droit qui nous reste, c’est de les prier de ne pas entrer. Le droit européen s’est retourné contre le droit.

Pour conclure, je choisirai les mots de Céline Pina qui, sur X déclarait :

« Mettre des limites au droit européen et sortir de certains traités est devenu indispensable. Cela ne signifie pas quitter l’Union européenne, mais simplement s’extraire des politiques néfastes tant à notre pays qu’à l’Europe toute entière. »

Suite à l’ignoble attentat d’Arras, Emmanuel Macron a demandé aux préfets de lister les fichés S expulsables. Louable intention qui se heurtera à la jurisprudence de la CJUE et de la CEDH. Le président de la République est-il prêt à aller jusqu’au bout ?

Chine : l’anthropologue ouïghoure Rahile Dawut emprisonnée secrètement

Le 21 septembre dernier, la Fondation Dui Hua a révélé que l’anthropologue ouïghoure Dr. Rahile Dawut (راھىلە داۋۇت, 热依拉 · 达吾提) a été condamnée en 2018 à une peine de réclusion à perpétuité par les autorités chinoises, pour des accusations de mise en danger de la sécurité de l’État. Depuis la disparition de Rahile Dawut en 2017, la Fondation Dui Hua a demandé 28 fois au gouvernement chinois des informations sur son cas, mais n’a reçu confirmation de son sort que très récemment.

La fille de Dawut, Akida Pulat, a déclaré au China Project qu’elle était « révoltée » que sa mère, une anthropologue dont le travail de toute une vie visait à préserver la culture ouïghoure soit traitée si sévèrement.

« Je veux dire au gouvernement chinois : Vous montrez au monde que vous n’avez aucune pitié en donnant à ma mère innocente une peine de réclusion à perpétuité, » a déclaré Akida Pulat depuis son domicile à Seattle. « Je vous demande de faire preuve de clémence ! »

 

Un procès secret caché pendant 5 ans

Ces informations ont été cachées à la famille de Rahile Dawut pendant cinq longues années. Le procès secret et la sentence secrète en disent long sur les crimes du gouvernement chinois.

Le secret même montre qu’il ne s’agit pas d’une procédure judiciaire ordinaire : il s’agit d’un crime contre les droits humains fondamentaux. Son seul crime était d’être une anthropologue étudiant la culture et l’héritage ouïghours.

Les hommages de collègues, d’anciens étudiants et d’amis ont envahi les réseaux sociaux après que la Fondation Dui Hua a rapporté qu’un tribunal chinois avait rejeté l’appel de Dawut concernant une condamnation de 2018 pour des accusations de « séparatisme » (分裂国家罪 fēnliè guójiā zuì), ou sécession. Comme le rappelle le China Project, l’article 103 du droit pénal chinois impose une peine de « pas moins de 10 ans » et jusqu’à la réclusion à perpétuité pour les personnes reconnues coupables.

Rahile Dawut est originaire du Xinjiang, une région du nord-ouest de la Chine trois fois plus grande que la France, qui subit une stricte répression d’État contre les Ouïghours et les autres peuples turciques principalement musulmans depuis 2016.

Dawut a été arrêtée en décembre 2017 par la police chinoise à l’aéroport Capital de Pékin, après avoir quitté le Xinjiang en route vers une conférence académique dans la ville. Sa disparition déclencha une recherche de 6 années par la Fondation Dui Hua parmi ses contacts en Chine.

Ce n’est qu’en juillet 2021 que ses anciens collègues ont confirmé sa détention. Mais sa famille et ses soutiens, y compris les nombreuses universités américaines où elle avait été chercheuse invitée, étaient toujours maintenus dans l’ignorance quant à l’issue de son procès et son bien-être.

 

Un engagement académique pour la préservation de la culture ouïghoure

Rahile Dawut, une érudite de renommée internationale spécialisée dans le folklore et les traditions ouïghoures, avait consacré sa vie à la préservation et à la diffusion de la culture ouïghoure. Son emprisonnement injuste est non seulement une tragédie pour elle et sa famille, mais aussi une grave perte pour la liberté académique, la préservation culturelle, et les droits humains.

Les contributions de Rahile Dawut à la connaissance ouïghoure et son excellence académique étaient largement reconnues. Elle était professeure associée à l’Institut des Sciences Humaines de l’Université du Xinjiang. En 2007, elle a fondé le Centre de Recherche sur le Folklore des Minorités à l’Université du Xinjiang, dans la capitale du Xinjiang, Ürümqi, où elle a continué à enseigner jusqu’en 2017.

Rahile Dawut était chercheuse invitée à Harvard, Cambridge, l’Université de Pennsylvanie et l’Université de Washington. Ses recherches et initiatives ont même reçu le parrainage et le soutien du gouvernement chinois. En 2018 elle était décrite dans le New York Times comme « l’une des universitaires les plus vénérées de la minorité ethnique ouïghoure dans l’extrême ouest de la Chine. »

Rahile Dawut a écrit de nombreux livres et articles de recherche au fil des ans, mais la publication qui l’a le plus rendue chère aux Ouïghours était son mince volume détaillant les histoires et les emplacements de centaines de mazars, les tombes de saints et de héros bien-aimés des Ouïghours, des sanctuaires parsemant le paysage désertique du Xinjiang.

 

Une destruction systématique de la culture et de l’identité ouïghoure

La confirmation de la sentence draconienne de Rahile est arrivée juste deux jours avant le neuvième anniversaire de la peine de réclusion à perpétuité infligée à un autre universitaire ouïghour éminent, le Dr. Ilham Tohti, professeur associé d’économie à la Central University of Nationalities à Pékin. Ce dernier a été emprisonné pour avoir plaidé en faveur des droits économiques, culturels, religieux et politiques fondamentaux pour les Ouïghours. Ces peines sévères pour les intellectuels ouïghours font partie d’un phénomène plus large de persécution et d’effacement culturel qui constitue un élément important de la campagne génocidaire du Parti communiste chinois dans la région du Xinjiang.

Parmi les personnes détenues figurent des leaders religieux et des centaines d’universitaires, auteurs et poètes. Beaucoup ont été envoyés dans des installations d’internement de masse pour subir une « rééducation. » Des milliers ont été condamnés à des décennies de prison, souvent de manière extrajudiciaire.

Selon le Uyghur Human Rights Project à Washington, D.C., environ 435 chercheurs et universitaires du Xinjiang ont été muselés, arrêtés, emprisonnés, ou ont tout simplement disparu, contribuant à la plus grande répression de la liberté académique en Chine depuis la révolution culturelle. La destruction de l’élite intellectuelle et culturelle ouïghoure relève d’une stratégie pour nuire à l’identité ouïghoure même.

La rhétorique étatique d’un Xinjiang ouvert et « harmonieux » est une propagande honteuse visant à blanchir les politiques d’effacement culturel et d’oppression systématique. Des universitaires innocents comme Rahile Dawut sont écrasés au service de la politique du PCC visant à effacer l’héritage et l’identité distincts des Ouïghours.

À titre d’illustration, en décembre 2017 (ce qui coïncide avec son arrestation à Pékin), le Parti communiste chinois s’attelait à détruire l’Ordam Mazar qui était au cœur de la recherche de Rahile Dawut. Comme expliqué dans un rapport du chercheur Nathan Ruser pour l’ASPI :

« Ordam Mazar (sanctuaire de la ville royale) était un petit village d’environ 50 structures dans le grand désert de Bughra. Situé à mi-chemin entre Kashgar et Yarkant, il était entouré de kilomètres de désert et était célébré comme le lieu d’où l’Islam s’est répandu dans la région.

Il marquait le site où, en 998 après J. -C., Ali Arslan Khan, le petit-fils du premier roi ouïghour musulman est mort lors d’une bataille pour conquérir le royaume bouddhiste de Hotan. Le martyre d’Ali Arslan était marqué par un festival chaque année, attirant des pèlerins ouïghours de tout le sud du Xinjiang au début du dixième mois islamique de Muharram. »

Nathan Ruser relate que des dizaines de milliers de personnes visitaient le site avant que le festival ne soit interdit en 1997. Depuis lors, la zone a été bouclée par le PCC. D’après l’analyse d’images satellites par l’ASPI, entre le 24 novembre et le 24 décembre 2017, l’intégralité du site d’Ordam Mazar a été rasée.

D’après Nathan Ruser, cet effort de destruction d’un site sacré « suggère que la démolition représente non seulement la restriction des libertés religieuses au Xinjiang, mais aussi la coupure délibérée des liens que les Ouïghours entretiennent avec leur patrimoine culturel, leur histoire, leur paysage et leur identité. »

En fin de compte, l’emprisonnement à vie de Rahile Dawut représente donc, non seulement une tragédie personnelle, mais aussi un n-ième élément de l’attaque plus large contre la culture et l’identité ouïghoures. Nous devons faire preuve de solidarité envers Rahile Dawut, sa famille et le peuple ouïghour, et exiger justice, liberté et respect des droits humains fondamentaux face à l’oppression et à la destruction culturelle du Parti communiste chinois.

Pourquoi le libéralisme n’est pas une idéologie

Les définitions du terme « idéologie » abondent. Mais plutôt que de vous en apporter une ici, il convient surtout de relever qu’entre le sens initial du mot et les sous-entendus qu’il recèle désormais, la prudence s’impose.

En effet, alors que ce terme avait une signification précise au départ, se référant à la science des idées, il a très vite subi les coups de boutoir de Napoléon, se moquant des intellectuels peu au fait de la politique concrète, puis surtout de Karl Marx, qui en marquera profondément le sens péjoratif aujourd’hui dominant, la présentant comme une « illusion idéaliste ».

 

Le libéralisme est-il une idéologie ?

Mais c’est surtout, aujourd’hui, sur son caractère prescriptif que l’on insiste lorsque l’idéologie est évoquée.

Raymond Aron opposait ainsi ceux qui prétendent vouloir « changer l’Homme », en poursuivant des utopies ou croyances illusoires toujours pleines de bonnes intentions, mais se heurtant au réel, à ceux qui se réfèrent aux faits et, à ce titre, peuvent apparaître comme des briseurs de rêves.

C’est pourquoi il considérait que le libéralisme, par essence, est anti-idéologique, car non-prescriptif.

 

En quoi le libéralisme n’est-il pas prescriptif ?

Le libéralisme n’a pas pour prétention de vouloir changer le monde ou de promouvoir un quelconque idéalisme. Il n’est pas là pour fantasmer la réalité, changer l’Homme ou faire rêver.

C’est pourquoi certains préfèrent parler de doctrine, d’autres de philosophie, ou encore d’humanisme (ou les trois à la fois). En ce sens, le libéralisme est avant tout une conception de l’être humain, basée sur des rapports de coopération volontaire, de solidarité spontanée, de respect, de tolérance. Et qui ne cherche pas à imposer ses idées, comme le font des idéologies totalitaires ou simplement étatistes, par nature.

 

Correspond-il à une forme d’extrémisme ?

Comme le nom l’indique, le libéralisme vise avant tout à défendre les libertés individuelles.

Ce qui passe par l’importance accordée au droit (nous y reviendrons), à la défense de la propriété (nous aurons certainement également l’occasion d’y revenir ; pas facile de ne pas déborder sur les prochains volets de cette série, ni de faire court) et implique de concevoir les libertés politiques et économiques comme un tout (idem).

Il ne s’agit donc pas d’un extrémisme, loin de là et bien au contraire. Plutôt de principes visant à garantir les libertés fondamentales, fragiles par nature.

 

Quelles sont ses prétentions ?

Contrairement à l’État-providence qui a quasiment comme prétention de prendre totalement en charge les individus de leur naissance à leur mort, de manière que l’on peut croire bienveillante, le libéralisme entend au contraire leur faire confiance et s’appuyer sur leur capacité d’initiative pour développer une société où vivre en harmonie, tout en se sentant responsable. Ce qui n’exclut pas, d’ailleurs, de venir en aide aux plus démunis, contrairement à ce que certains souhaitent laisser penser.

Dans le premier cas (État-providence), le risque de despotisme n’est pas loin. Voici ce qu’énonçait Alexis de Tocqueville à son sujet, se référant ici à ses citoyens :

« L’État travaille volontiers à leur bonheur ; mais il veut en être l’unique agent et le seul arbitre ; il pourvoit à leur sécurité, prévoit et assure leurs besoins, facilite leurs plaisirs, conduit leurs principales affaires, dirige leur industrie, règle leurs successions, divise leurs héritages, que ne peut-il leur ôter entièrement le trouble de penser et la peine de vivre ? […] il ne brise pas les volontés, mais il les amollit, les plie et les dirige […] il éteint, il hébète, et il réduit enfin chaque nation à n’être plus qu’un troupeau d’animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le berger. »

Le libéralisme défend donc une vision contraire à celle de planisme, qui mène à la route de la servitude. Et une philosophie optimiste, pleine de confiance en l’Homme, tout en étant consciente de ses limites, et profondément éthique. Loin de l’arbitraire des idéologies tendant à prendre en mains le destin des peuples.

 

Les Français sont-ils majoritairement contre le libéralisme ?

La falsification qui est faite de ce terme, notamment à travers les adjonctions de particule (néo, ultra), destinées à le décrédibiliser, peut laisser penser que oui.

Maintenant, et au vu de ce que nous avons pu amorcer à travers les éléments développés ci-dessus, on peut imaginer que les valeurs du libéralisme sont très probablement compatibles avec ce que pense profondément une grande partie de la population.

La crainte ou le rejet du libéralisme, à mon sens, résulte donc d’un grand malentendu, d’une ignorance entretenue par ses principaux ennemis et par ceux (très nombreux) qui jouent involontairement, du coup, la caisse de résonance de ces mensonges, de manière sincère, par ignorance réelle de ce qu’il est (même des personnes aussi sensées ou avisées qu’une Natacha Polony, véritablement obsédée et ennemie farouche depuis très longtemps de quelque chose qu’elle méconnaît et au sujet duquel elle se trompe de ce fait lourdement1).

Pour conforter l’idée, voici ce qu’en dit par exemple Jacques Garello dans son dernier livre (en reprenant la phrase complète de Francis Richard) :

« Les idées libérales ne sont pas celles qu’on croit : beaucoup de Français se croient et se disent libéraux, mais ne le sont pas en réalité. À l’inverse, sont encore plus nombreux les Français qui sont libéraux mais ne le savent pas. Rien d’étonnant à cela puisque le libéralisme n’a que très rarement été enseigné, et presque jamais appliqué. Le libéralisme est ignoré, donc caricaturé, diabolisé, ou dévié. »

 

Libéral ? Pas libéral ?

Car, en effet, au-delà de ceux qui se pensent antilibéraux par simple ignorance, il existe aussi tous ceux qui se disent ou se sont déjà dits un jour libéraux, mais ne le sont qu’à la carte (je ne pense pas à un Emmanuel Macron, auquel vous aurez peut-être pensé spontanément, mais plutôt ou aussi à des politiques du type Jean-Pierre Raffarin ou tant d’autres du même acabit, libéraux un jour, et plus le lendemain, ou libéraux mais pas ultra-libéraux ou encore libéraux en politique mais pas en économie. Autant de points qui mériteraient d’être discutés, mais je m’aperçois que mon article finit par être à rallonge, alors que je le voulais court).

Et nous revenons là à l’essence de notre sujet du jour (en attendant les volets suivants) : le libéralisme est-il une idéologie ?

C’est parce qu’il ne l’est pas que rien ne sert de se présenter comme libéral sur tel plan et pas sur tel autre. Cela peut d’ailleurs se discuter, mais le fait est que nous parlons bien d’une doctrine, d’une philosophie qui, si elle n’est pas fermée et stéréotypée mais bien vivante et ouverte, révèle une essence profonde difficilement divisible ou modulable en fonction de ce qui arrange.

Cette philosophie de la liberté s’oppose à tout ce qui assujettit d’une manière ou d’une autre des êtres ou des organisations, au risque de verser dans ce qui apparaît bien, si l’on fait référence au domaine économique, comme un capitalisme de connivence (là encore, nous aurons largement l’occasion d’y revenir, car il s’agit d’une source centrale du grand  malentendu).

Et c’est aussi parce que beaucoup ont été déçus et se sont sentis floués par certaines idéologies auxquelles ils ont plus ou moins adhéré un temps par une sorte d’idéalisme bien compréhensible et parfaitement humaine, que certains d’entre eux, parmi les esprits les plus brillants (Jean-François Revel, Jacques Marseille et d’autres encore, comme le rappelle un lecteur de l’article précédent) s’en sont détournés pour privilégier une approche plus philosophique (alors que les exemples inverses sont plus difficiles à trouver, comme ce lecteur le souligne).

 

La liberté ne se décrète pas

En conclusion de ce volet, et pour finir (même si je suis forcément très incomplet), on peut noter que la liberté que défend le libéralisme est quelque chose de spontané. Il ne s’agit pas d’un constructivisme, donc pas d’une idéologie. Ce qui n’exclut pas l’État, en tant que garant de ces mêmes libertés.

Un article publié initialement le 7 avril 2017.

À lire aussi :

 

 

 

  1. Je découvre d’ailleurs, au passage, moi qui ai failli lui écrire gentiment il y a quelques mois en y ayant finalement bêtement renoncé par manque de temps, que Nathalie MP a justement écrit un article à ce sujet, que je vais m’empresser de lire avec délectation, où il est manifestement question de « malentendu »

Blockchain : la nouvelle arme contre « l’or du sang » 

Si en 20 ans le Processus de Kimberley a permis d’assurer la traçabilité de 99 % des diamants et de mettre fin aux « Blood diamond », le secteur aurifère a été beaucoup plus lent à se réformer. Mais la blockchain a donné un coup d’accélérateur à la lutte contre les trafics illégaux, et désormais les centres mondiaux de négoce comptent sur les nouvelles technologies pour moraliser le marché de l’or.

En 2013, le scandale de la viande de cheval dans des lasagnes avait défrayé la chronique. Environ 750  tonnes de viande frauduleuse avaient ainsi été écoulées dans treize pays différents par l’entreprise agroalimentaire Spanghero, sous couvert de bœuf européen, grâce à un simple changement d’étiquettes. Cela aurait pu être évité grâce à la blockchain.

La blockchain est une technologie de stockage et de transmission de données sécurisée et décentralisée. Chaque information et chaque transaction sont copiées sur tous les nœuds de la chaine, de façon perpétuelle et avec l’accord de tous les participants. Pour pirater une telle base d’informations, il faudrait hacker au moins 51 % des nœuds de la blockchain, ce qui, aujourd’hui, est suffisamment difficile pour être présenté comme impossible la plupart du temps. Si l’usage le plus courant qui en est fait est celui de la cryptomonnaie, la blockchain peut également être utilisée pour les assurances, les banques, et même l’agroalimentaire.

C’est le pas qu’a franchi Carrefour en 2018, en se dotant d’une blockchain pour garantir la traçabilité de son poulet d’Auvergne. En amont, les partenaires du groupe disposent d’informations fiables sur les produits qu’ils vont proposer; en aval, les consommateurs peuvent suivre le parcours du produit étape par étape grâce à un QR code. Carrefour peut ainsi se vanter d’un « système innovant qui garantit aux consommateurs une traçabilité complète des produits et davantage de transparence vis-à-vis des consommateurs ».

 

Du poulet à l’or, il n’y a qu’un pas 

Beaucoup de consommateurs la partagent cette exigence, y compris dans le monde du luxe.

C’est encore plus le cas lorsque certains produits peuvent être issus de zones de guerre. Les Émirats Arabes Unis se trouvent justement confrontés à cette problématique : actuellement deuxième plaque tournante du commerce mondial de l’or, ils sont accusés de laisser vendre de l’or issu de la contrebande en provenance de zones de conflits africaines.

Afin de garantir la traçabilité du précieux minerai, le pays s’est lancé dans l’aventure blockchain. La société mixte Primera Gold DRC SA permet désormais de tracer toutes les transactions réalisées dans le cadre du marché RDC/Émirats sur l’or issu de l’exploitation artisanale, ce qui représente 15 tonnes d’or et un milliard de dollars.

Joseph Kazibaziba, son directeur, explique :

« Le fonds passera par notre système bancaire et mettra fin au brassage incontrôlé du cash dans la province du Sud-Kivu ».

Plus de 350 kg d’or équitable ont ainsi pu être exportés depuis son lancement en janvier dernier.

En cela, les Émirats suivent les recommandations de l’OCDE qui rappelle un « devoir de diligence concernant les chaînes d’approvisionnement en or provenant de zones de conflit et à haut risque », ceci « de manière à s’assurer que le commerce de stocks d’or préexistants ne contrevient pas aux sanctions internationales ni ne permet le blanchiment de capitaux découlant de la vente de réserves d’or dans des zones de conflits ou à haut risque, ou lié à cette activité ».

Ils ne sont d’ailleurs pas les seuls : la Suisse et la Grande-Bretagne utilisent également la blockchain pour lutter contre les trafics illégaux, garantir le respect des normes environnementales et les droits de l’Homme.

La London Bullion Market Association, l’association des professionnels du marché des métaux précieux à Londres, a ainsi lancé une procédure d’homologation d’entreprises afin d’assurer la traçabilité de l’or grâce à la technologie blockchain, et d’exclure le métal extrait illégalement. Des mines jusqu’à la joaillerie, ses 144 banques, courtiers et affineurs pourront contrôler l’authenticité des lingots grâce au Gold Bar Integrity Programme, « une avancée majeure dans la promotion de la transparence pour le bien commun de l’industrie aurifère ».

L’Association suisse des fabricants et commerçants de métaux précieux met quant à elle en avant son militantisme « pour des solutions de certification de type blockchain » avec la société suisse aXedras,  estimant que « la traçabilité est un élément clé du système de compliance qui garantit l’excellence de la filière ».

Près de 70 % de l’or mondial est transformé dans les raffineries suisses. Afin de réduire les impacts sociaux et environnementaux du marché du lingot d’or, l’Université de Lausanne réfléchit à plusieurs outils de traçages : la blockchain, bien sûr, mais aussi le marquage optique ou physique avec un sceau d’encre aussi sécurisé que celui des passeports, voire même sa composition chimique.

Depuis 2005, les différents acteurs aurifères peuvent se placer sous l’égide du Conseil pour les pratiques responsables en bijouterie-joaillerie, qui assure au niveau mondial une chaîne d’approvisionnement responsable :

« Dans l’industrie de la bijouterie, nous savons à quel point les perturbations technologiques dans des domaines tels que la blockchain et l’IA sont devenues cruciales pour favoriser des pratiques d’approvisionnement éthiques, des chaînes d’approvisionnement durables et la transparence ».

 

Coup d’arrêt à la fuite de capitaux  

La traçabilité de l’or n’est pas seulement un enjeu de consommateurs, c’est également un enjeu de taille pour les pays producteurs qui perdent chaque année des centaines millions de dollars à cause de la contrebande.

Au Mali, les douanes « estiment à au moins 20 tonnes la production d’or artisanale qui quitte le pays annuellement, majoritairement en fraude ».

L’OCDE confirme également que la seule production d’or issue de l’exploitation artisanale et à petite échelle (EAPE) dans les régions du Mali, du Burkina Faso et du Niger représenterait un volume allant de 15 à 85 tonnes, probablement 50 tonnes annuelles, et que « la très grande majorité de cette production est exportée illégalement ». Le manque à gagner pour les États est affolant : « Plus de 4 milliards de dollars d’or issu de zones de conflits ou à hauts risques en Afrique centrale et de l’Est sont acheminés chaque année vers les marchés internationaux ».

La blockchain ouvre donc des opportunités capitales, dont l’enrichissement des États africains n’est pas la moindre. « L’or du sang » vit peut-être ses derniers instants.

En France, les mensonges racistes se répandent sur le terrain médiatique

Coïncidence bienvenue, au lendemain des nuits de révolte, la Commission nationale consultative des droits de l'homme a publié son rapport annuel sur la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la xénophobie. S'en dégage un paradoxe : la « tolérance » est devenue largement majoritaire, mais les préjugés racistes se répandent, notamment dans des médias prompts à stigmatiser les étrangers. Cette haine de l'Autre cible prioritairement l'immigration.

Tel Sisyphe, la CNCDH ne cesse, depuis 1990, de monter et remonter son rocher. Seuls ceux qui ignorent ou négligent ses rapports s'étonnent des violences que vient de connaître la France. De 2005 à 2023, les mêmes causes produisent les mêmes effets, cette fois généralisés aux villes moyennes. Ces émeutes ont un même détonateur : le décès de Zied et Bouna il y a 18 ans, l'assassinat de Nahel cette année. Mais ces morts n'auraient pas produit un tel effet sans la poudrière qu'est devenue la société française, et notamment ses banlieues. Au-delà des « casseurs », des millions de jeunes partagent le sentiment d'être des citoyens de seconde zone.

Le terreau principal, c'est la situation économique et sociale précaire d'une majorité de jeunes, les discriminations concrètes dont ils sont victimes dans des quartiers ghettoïsés et les violences policières qu'ils subissent. Autant de facteurs essentiels dont on peut regretter qu'ils soient trop peu présents dans le rapport 2022 de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH). En revanche, ce dernier propose une analyse toujours plus fine de la contradiction que les enquêtes révèlent : l'essor de la tolérance et celui, simultané, des préjugés racistes, qu'alimentent de plus en plus ouvertement la classe politique et médiatique1.

Sur ce point, la dernière partie du rapport est claire :

Le bilan de l'année 2022, ainsi que la teneur des campagnes électorales qui l'ont ponctuée conduisent à s'interroger sur les évolutions de la scène politique et médiatique en matière de racisme, d'antisémitisme, de xénophobie. Au-delà du thème déjà ancien d'une identité nationale mise en péril par les migrations, on a assisté à une cristallisation et à un usage désinhibé de préjugés, mensonges, fake news et amalgames à l'encontre de l'étranger. Cette stigmatisation a opéré à visage découvert en réclamant qu'un principe d'inégalité devienne un élément structurant de notre vie sociale, politique, culturelle. Ainsi, l'idée de mettre en œuvre des politiques de « préférence nationale », longtemps portée par le seul Front/Rassemblement national dans la lignée des décrets discriminatoires du début des années 1930, semble maintenant acceptée et banalisée dans les débats politiques et médiatiques. De même, le fantasme d'un « grand remplacement » aura alimenté petits mots et petites phrases au sein de la classe politique.

Des progrès significatifs

Pourtant, plusieurs tableaux du rapport 2022 indiquent un recul des théories racistes. À commencer par l'Indice de tolérance cher au sociologue Vincent Tiberj :

Il en va de même de ce tableau témoignant de la marginalisation du « racisme biologique » :

L'autodéfinition des personnes sur l'échelle du racisme est également encourageante :

Enfin la perception de l'intégration des différentes communautés — à l'exception des Roms — s'améliore depuis le début du siècle :

Malgré ces signes positifs, écrit, dans son avant-propos, le président de la CNCDH, Jean-Marie Burguburu, « les idées racistes favorisant l'exclusion peuvent revenir rapidement dans le débat public quand elles sont endossées et légitimées par des responsables politiques et médiatiques. » Car, poursuit-il, « dans un contexte de crise politique, sociale, économique et identitaire, un certain nombre de personnalités politiques ont activement participé de la politisation du rejet de l'Autre2 figure mouvante aux visages multiples.  ».

Des évolutions négatives

La première évolution négative, c'est le nombre d'atteintes racistes aux biens et aux personnes que le rapport recense. D'autant que, malgré les lois antiracistes d'ailleurs remises en cause par l'extrême droite « une large majorité des victimes ignorent leurs droits ou sont réticentes à porter plainte ».

La principale source de la CNCDH, c'est le Service central du renseignement territorial (SCRT), du ministère de l'intérieur :

L'année 2022 a donc vu refluer les trois grandes catégories de faits racistes. Mais, comparée à 2019, avant le Covid, leur recul global est de 17 %, mais « le fait notable est ici une singularité des faits antimusulmans pour lesquels on enregistre une hausse de 22 % » , contre une baisse de 35 % pour les faits antisémites et de 11 % pour les « autres faits ».

Les faits antisémites ont plutôt tendance à reculer sur le long terme depuis le pic de 2004, ce qui n'empêche pas un fort sentiment d'insécurité chez nombre de juifs du fait de leur caractère meurtrier :

Sur le long terme également, les faits antimusulmans connaissent une baisse depuis le pic de 2015, mais restent à un niveau élevé :

Quant aux « autres faits racistes », leur tendance globale est à la hausse depuis 1992 :

Les autres sources utilisées par la CNCDH (SSMSI, police, gendarmerie, Signal Discri, Stro-Discri, Sivis, ministère de la justice, Teo, Tepp, Credoc Dares, Pharos, Défenseur des droits, etc.) confirment l'ampleur des faits racistes. La police et la gendarmerie ont enregistré en 2021 6 267 crimes ou délits. Et, selon le ministère de la justice, toujours en 2021, 7 812 personnes ont été mises en examen, dont la moitié classé sans suite…

Les auteurs d'infractions, précise le rapport, sont une population très mal connue, car, pour une part non négligeable de faits, ils ne sont tout simplement pas identifiés, ou bien, s'ils sont identifiés, ils ne sont pas forcément interpellés.

Le chiffre noir

C'est pourquoi le rapport évoque un « chiffre noir », l'ensemble « des actes délictueux qui échappent totalement au radar de la justice fausse en effet les contours du racisme en France […] L'état de sous-déclaration massive des actes racistes auprès des autorités judiciaires accentue la méconnaissance de ce phénomène ».

Et de préciser : « Au total, 1,2 million de personnes de 14 ans ou plus en France métropolitaine auraient été victimes d'au moins une atteinte à caractère raciste (injures, menaces, violences ou discriminations) », soit une personne sur 45. « Qu'il s'agisse d'injures, de menaces, de violences ou de discriminations “raciste”, les personnes immigrées et descendantes d'immigrés apparaissent largement surexposées. »

Des préjugés qui peuvent tuer

Le second signe négatif est celui des préjugés. Or l'affaire Halimi comme la multiplication des victimes maghrébines de la police3 nous rappellent qu'un préjugé peut tuer…

Le rapport conclut notamment à une montée des préjugés sur l'immigration. « Près d'un Français sur deux estime désormais qu'“aujourd'hui en France, “on ne se sent plus chez soi comme avant” (48 %) », soit + 5 % en un an. Ce sentiment est particulièrement présent « chez les personnes se disant “plutôt racistes” (98%) ou “un peu racistes'' (79 %) […] ou encore chez les sympathisants LR (69 %) et RN (94 %). » Il « semble donc étroitement lié au rejet d'une France perçue comme étant de plus en plus multiculturelle. » Ainsi observe-t-on « une progression de l'opinion selon laquelle “il y a trop d'immigrés en France” : 53 % des Français l'approuvent, en hausse de 4 points par rapport à l'an dernier. » 55 % soutiennent néanmoins le droit de vote des étrangers non européens résidant en France aux élections municipales : plus généralement, 57 % estiment que « les étrangers devraient avoir les mêmes droits que les Français ».

Autre glissement inquiétant :

Une nette majorité de l'opinion rend les immigrés en partie responsables de la situation économique et sociale actuelle du pays, leur arrivée supposément massive étant jugée difficilement supportable pour le modèle social. Ainsi, 60 % des Français pensent que “de nombreux immigrés viennent en France uniquement pour profiter de la protection sociale” un chiffre en nette hausse (+ 8 points).

Et, pour 42 %, + 7 points4, « l'immigration est la principale cause de l'insécurité ».

L'idée, agitée par la droite macroniste comme lepéniste, d'« un fort communautarisme de certaines minorités présentes en France est aussi globalement en hausse ». Ainsi les Roms sont perçus comme « formant un groupe à part dans la société » : 67 % (+ 6 %). Il en va de même, à un moindre degré, des Chinois » (38 %, + 2 %), des musulmans (32 %, + 3 %), des Asiatiques (30 %, + 2 %) et des Maghrébins (24 %, + 3 %).

Une vision négative de l'islam

Une majorité semble même penser que les problèmes d'intégration sont avant tout le fait de « personnes étrangères qui ne se donnent pas les moyens de s'intégrer » (49 %), seuls 35 % mettant en cause « la société française qui ne donne pas aux personnes d'origine étrangère les moyens de s'intégrer ». La première affirmation est plus fréquente chez les personnes se disant « plutôt racistes » (92 %), les sympathisants RN (90 %), les personnes « très à droite » (87%) et les électeurs LR (65 %). La seconde est majoritaire chez les sympathisants Europe Écologie Les Verts (EELV) (56 %) et La France insoumise (LFI° (67 %) ainsi que chez les personnes se disant « pas racistes du tout ». Toutefois, seule une petite minorité croit que « les enfants d'immigrés nés en France ne sont pas vraiment français » (22 %, + 2 %) ». Ce sentiment n'est majoritaire que « chez les personnes se considérant comme “très à droite” (54 %) et “plutôt racistes” (78 %) ».

Autre élément positif, l'ensemble des catégories politiques se réclame de la laïcité, mais elles n'en donnent pas toutes la même définition : 57 % y voient « la liberté de pratiquer la religion que l'on souhaite ou de n'en pratiquer aucune », 55 % le fait de « permettre à des gens de convictions différentes de vivre ensemble », 32 % « la séparation des Églises et de l'État » et 25 % « l'interdiction des signes et des manifestations religieuses dans l'espace public ». Pour 15 %, la laïcité équivaut à « la préservation de l'identité traditionnelle de la France » et pour 7 % au « rejet de toutes les religions et convictions religieuses ».

Pour 94 %, il est « grave » de « refuser l'embauche d'une personne noire qualifiée » et pour 92 % d'une personne « d'origine maghrébine ». Il est grave également, pour 80 % , d'être « contre le mariage d'un de ses enfants avec une personne noire » — 77 % dans le cas d'un mariage avec une personne « d'origine maghrébine ». Si 40 % pensent que les réactions racistes peuvent parfois être « justifiées par certains comportements », 56 % estiment que « rien ne peut les justifier ». Progresse toutefois l'opinion selon laquelle « il y a trop d'immigrés en France » : 53 %, soit + 4 %en un an.

Même contradiction sur l'islam. Seuls 32 % en ont une opinion « positive » contre 30 % « négative ». Ils sont même 42 % à considérer que « l'islam est une menace pour l'identité de la France » (+ 4 % en un an). Et de citer des pratiques considérées comme difficilement compatibles avec notre société : « le port du voile intégral » (75 %), le « port du voile » (49 %) et du « foulard » (42 %), « l'interdiction de montrer l'image du prophète Mahomet » (50 %). Mais ils sont 82 % à affirmer qu'«  il faut permettre aux musulmans de France d'exercer leur religion dans de bonnes conditions ». Et 85 % des sondés jugent que « les Français musulmans sont des Français comme les autres ».

Judaïsme, antisémitisme et Israël

Idem pour les juifs. Si 89 % voient en eux « des Français comme les autres », 18 % pensent qu'ils « ont trop de pouvoir en France », 38 % qu'ils « ont un rapport particulier à l'argent » et 36 % que, pour eux, « Israël compte plus que la France ». Ces préjugés sont surtout présents à l'extrême droite, alors que « les sympathisants des partis de gauche et du centre y sont relativement imperméables ».

L'image des juifs pâtit aussi de celle d'Israël, qui « s'est progressivement détériorée ». Depuis novembre 2022, « les jugements négatifs ont nettement pris le pas sur les jugements positifs (34 % vs 23 %) ». L'image de la Palestine s'est aussi dégradée : « 23 % d'évocations positives vs 34 % négatives ». Mais, poursuit le rapport,

le lien entre l'image de ces deux États et le positionnement politique des sondés est plus complexe que ne le suggère la thèse d'un nouvel antisémitisme à base d'antisionisme qui serait passé en bloc de l'extrême droite à l'extrême gauche du champ politique […] L'image d'Israël est toujours plus négative aux deux extrêmes du champ politique et ce rejet n'est pas le seul privilège de l'extrême gauche même s'il y est plus marqué qu'à l'extrême droite.

Selon le rapport, un point commun explique les préjugés racistes : l'ethnocentrisme, défini comme « la tendance à voir le monde au prisme des valeurs et des normes de sa société ou de son groupe, perçues comme supérieures à celles des autres groupes ». Le rejet des minorités relève « d'une même attitude qui consiste à valoriser son groupe d'appartenance (ingroup) et à dévaloriser les autres (outgroups) ». En outre, l'ethnocentrisme se conjugue avec une demande d'autorité :

Le degré d'antisémitisme, d'islamophobie et d'ethnocentrisme varie avec l'âge et le genre (les soixante-huitards et les femmes sont plus tolérants), mais surtout en fonction des options politiques. « L'intolérance s'élève à mesure qu'on se rapproche du pôle droit de l'échiquier politique, où prédomine une vision hiérarchique et autoritaire de la société, explique le rapport. Chez les personnes se situant à l'extrême droite, la proportion de scores élevés […] atteint des niveaux records (94 %, 71 % et 57 %) ».

N'en déplaise à Manuel Valls, expliquer n'est pas justifier. Si « casser » ne fait pas avancer la cause de la jeunesse issue de l'immigration, il serait absurde de ne pas prendre en compte, avec les discriminations dont elle est victime, le harcèlement politique et médiatique qu'elle subit. La lutte pour une véritable égalité des droits est inséparable du combat contre toutes les formes de racisme et de préjugés.


1Le rapport de la CNCDH comporte une enquête sur « le discours de haine sur YouTube » qui n'est pas traitée ici, faute de place.

2Un long chapitre du rapport est consacré à la manipulation de « la haine de l'Autre » : pp.255 à 281.

3Cette multiplication est incompréhensible si l'on oublie que la majorité des forces de l'ordre vote pour l'extrême droite.

4Sur Twitter, des comptes d'extrême droite, à l'instar de F_Desouche, se consacrent exclusivement aux faits divers… dans lesquels un étranger ou un immigré est soi-disant impliqué.

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