Lateo.net - Flux RSS en pagaille (pour en ajouter : @ moi)

🔒
❌ À propos de FreshRSS
Il y a de nouveaux articles disponibles, cliquez pour rafraîchir la page.
À partir d’avant-hierContrepoints

Les vrais chiffres de la balance commerciale 2023 

Comme chaque année, les chiffres de la balance commerciale sont minorés et présentés en retirant les frais de transport du montant de nos importations.

Les frais de transport sont pourtant une partie intégrante du coût de revient et sont répercutés sur le prix de vente au consommateur. Mais pourtant, ils sont retraités afin de les comparer aux chiffres des exportations qui, eux, n’intègrent pas les frais de transport. L’opération semble contestable…

Les « vrais » chiffres de la balance commerciale de 2022 avaient ainsi frôlé les 200 milliards d’euros de déficit pour se « rétablir » en 2023 à -135 milliards d’euros.

Rappelons qu’en 2019, c’est-à-dire avant la crise sanitaire et avant la guerre déclenchée par la Russie contre l’Ukraine, la balance commerciale s’établissait à un déficit de 77 milliards (quand l’Allemagne dépassait les 200 milliards d’excédent commercial).

Pour résumer, en l’espace de deux ans : 2019 à 2022, notre déficit commercial a quasiment triplé et le déficit de 2023 est maintenant équivalent au double de celui de 2019.

 

Une lueur d’espoir ? L’éternelle marotte de la solution par les exportations 

Face à des résultats accablants, l’idée selon laquelle la progression de nos exportations viendrait redresser la balance commerciale continue de perdurer et d’être promue comme la solution de reconquête de notre souveraineté. Est-ce bien réaliste ? Avec des exportations qui progressent mollement (+3 % en un an) et dont la hausse intègre nécessairement l’inflation, peut-on vraiment penser qu’elles seront à même de compenser notre dépendance structurelle aux importations sur la quasi-totalité des secteurs industriels ?

Pour comprendre la réalité de la balance commerciale, reprenons chaque secteur en distinguant les secteurs déficitaires des rares secteurs excédentaires.

 

Les secteurs déficitaires… Toujours plus déficitaires

Énergie : un déficit de 75 milliards, ou comment la France fait passer les intérêts de ses partenaires commerciaux avant les siens

Rappelons que dans les années 2000, date à laquelle la balance commerciale passe dans le rouge, le déficit énergétique s’affiche déjà à près de 25 milliards. En vingt ans, il double pour atteindre les 50 milliards en 2019. Puis de 2019 à 2022, il double à nouveau (quasiment 120 milliards !) et se redresse en 2023 à près de 75 milliards soit 50 % de plus qu’en 2019…

Si l’on entre dans les détails, on comprend bien la folie de notre politique énergétique qui nous place en position de dépendance vis-à-vis du gaz naturel que nous importons à des prix toujours plus élevés, sans pouvoir tirer profit de l’électricité que nous vendons… Au prix auquel nous la produisons !

Prenons notre premier poste d’importations énergétiques : les hydrocarbures naturels (gaz dont gaz de schiste et huiles brutes de pétrole) qui affichent à eux seuls un déficit de 56 milliards d’euros.

La guerre en Ukraine a lourdement marqué notre balance en matière d’hydrocarbures naturels avec une flambée des prix et un recours aux États-Unis très marqué et coûteux : le coût de nos importations a ainsi quasiment triplé de 2019 à 2022 avec un déficit atteignant les 75 milliards en 2022. Déficit qui s’est redressé à plus de 56 milliards en 2023. La situation est donc loin d’être rétablie.

Second poste du déficit énergétique, les produits pétroliers, a quant à lui doublé sur la période 2019-2022 passant de 15 à 30 milliards pour se rétablir à 20 milliards en 2023.

Si notre dépendance en hydrocarbures et produits pétroliers a toujours été avérée, notre force nucléaire, en revanche a toujours constitué un atout majeur.

Malheureusement, pour ce qui est de l’électricité, troisième grand poste de nos dépenses énergétiques, il est clair que nous ne tirons absolument pas avantage de notre force nucléaire dans laquelle nous avons tant investi. En 2022, le mécanisme de l’ARENH nous a fait atteindre une situation ubuesque de déficit commercial en électricité (8 milliards) en devant acheter plus cher à des fournisseurs étrangers un produit que nous devons leur vendre au prix coûtant. En 2023, les choses se rétablissent avec un excédent de 3 milliards qui, on le comprend bien, si nous n’étions pas entrés dans l’ARENH, devrait être nettement supérieur.

En synthèse, l’énergie que nous vendons et achetons se traduit par un solde déficitaire de 50 milliards. Notre position de leader nucléaire historique ne permet en rien de redresser ces résultats du fait des mécanismes de prix fixés par l’ARENH.

 

Le textile et l’habillement

Un redressement en demi-teinte porté par la croissance des exportations de produits de luxe.

Le déficit avait atteint les 12 milliards en 2019, frôlé les 13 milliards en 2022 et s’est contracté à 8 milliards en 2023. Ce rétablissement est entièrement porté par la progression des exportations sur le seul secteur du cuir/bagages/chaussures. En revanche, pour le reste de l’habillement, le montant des importations est en progression avec l’apparition marquée d’acteurs étrangers intervenant en vente directe, sans intermédiation, comme l’emblématique Shein.

 

Le déficit ancré de l’agro-alimentaire : une perte de souveraineté confirmée

Les résultats sont chaque année présentés comme positifs… À tort. En effet, les boissons (vins et spiritueux) viennent corriger ce qui est devenu un déficit structurel de la balance commerciale sur la totalité des produits à l’exception des produits laitiers. Corrigés des seuls chiffres des boissons les résultats sont alarmants : la dépendance aux produits étrangers, pour ce qui est de notre consommation de viande, de conserves, de fruits et légumes, et d’huiles est bel et bien confirmée. Tous ces secteurs sont déficitaires, entre 2 et 4 milliards chacun.

La balance commerciale du secteur agro-alimentaire marque donc, en réalité, un déficit de 10 milliards d’euros (soit 3 milliards de déficit supplémentaire par rapport à 2019).

Ce déficit n’est pas corrigé par la balance commerciale agricole, qui, après une progression en 2022 enregistre un excédent de 1,4 milliard. On peut donc dire que le secteur agricole, hors spiritueux, enregistre des déficits records, proches de 9 milliards !

 

Métallurgie, électronique, machines… : la chute libre

De nombreux autres secteurs historiquement déficitaires continuent leur plongée respective comme l’industrie métallurgique (doublement du déficit de 2019 à 2023 pour atteindre 15 milliards d’euros), les produits en plastique (-10 milliards), les produits informatiques (+50 % de déficit soit -10 milliards), la fabrication d’équipements électriques et de machines (-21 milliards).

 

Les rares secteurs excédentaires… En très fort recul

De façon encore plus inquiétante, on voit également se contracter des secteurs qui avait su rester excédentaires.

Premier concerné : l’industrie du transport (automobile, aérospatiale, navire) qui est passé de 15 milliards d’excédent en 2019 à… 6 milliards ! Cet effondrement est principalement corrélé à l’effondrement du secteur automobile dont le déficit passe de 15 à 25 milliards d’euros et dont les résultats de l’aérospatiale ne parviennent pas à compenser.

Deuxième secteur historiquement fort : l’industrie pharmaceutique qui voit un effondrement dans la balance commerciale que toute personne ayant besoin de se soigner peut constater. L’excédent de 6 milliards de 2019 s’est amoindri à moins d’un milliard en 2023.

Enfin l’industrie chimique, toujours présentée en bonne santé, doit à l’instar du secteur agro-alimentaire et des boissons, être retraitée de la cosmétique. Le solde le plus excédentaire de la balance commerciale, 20 milliards en 2023, se réduit à la peau de chagrin de 2,5 milliards une fois les cosmétiques retirés…

Globalement, sur 2023, en dépit de la contraction du déficit, les tendances lourdes se confirment et semblent ancrées de façon indélébiles dans les chiffres de la balance commerciale et dans la réalité de notre consommation quotidienne.

Au-delà des aides, des subventions, et des « encouragements », il est temps que l’industrie redevienne réellement une priorité nationale. La France doit revoir les normes et dispositifs dans lesquelles elle s’est enfermée au profit de ses partenaires et au détriment de ses propres intérêts commerciaux.

Une balance commerciale impossible à redresser ?

Le service des douanes vient de faire connaître le résultat de notre commerce extérieur pour 2023 : à nouveau un solde négatif important de 99,6 milliards d’euros. Certes, c’est mieux que l’année précédente où le déficit avait été supérieur à cause de l’envolée des prix de l’énergie causée par la guerre en Ukraine, mais le solde est négatif, une fois de plus.

La balance du commerce extérieur français est donc régulièrement déficitaire depuis 2005, c’est-à-dire depuis maintenant une vingtaine d’années. Ce solde négatif a plutôt tendance à s’aggraver, comme le montre le tableau ci-dessous :

Selon le journal La Tribune du 7 février dernier, annonçant les résultats de notre commerce extérieur pour l’année 2023 :

« Les années se suivent et se ressemblent pour la balance commerciale française : le déficit commercial de 99,6 milliards est le deuxième plus élevé de l’histoire ».

On ne peut évidemment que s’inquiéter d’une telle évolution, d’autant que les autres pays de l’Union européenne dont les balances commerciales étaient également déficitaires dans les années 1970-80, sont parvenus à redresser la barre, comme le montre le tableau suivant :

Autre constat : c’est la balance des biens qui est particulièrement dégradée, les services étant là pour rattraper quelque peu le grave déséquilibre des biens :

 

Le rôle déterminant du secteur industriel

Longtemps, les commentateurs de notre vie économique ont expliqué le déficit du commerce extérieur par des éléments conjoncturels, généralement des variations des prix de l’énergie, la France étant un gros importateur d’hydrocarbures. Mais, à présent, chacun a bien compris que le déficit de la balance du commerce provient du déclin industriel français. En effet, l’industrie joue un rôle déterminant dans la balance commerciale des pays développés, intervenant pour environ 75 % dans les échanges commerciaux.

Aussi, si l’on examine la relation existant dans les pays développés entre l’importance de leur production industrielle et le résultat de leur balance commerciale, on voit que les pays à production industrielle faible ont des balances commerciales déficitaires, alors que les pays à production industrielle élevée présentent des balances commerciales positives.

C’est ce que montre le tableau ci-dessous où figurent, dans la première colonne, les productions industrielles des pays comptées en valeur ajoutée par habitant, comme le font les comptabilités nationales des pays, et selon les données de la BIRD, qui incorpore la construction dans la définition de l’industrie :

Le graphique ci-dessous indique la corrélation existant entre ces données :

L’équation de la droite de corrélation indique que pour avoir une balance commerciale équilibrée il faut que la production industrielle s’élève à 11 265 dollars par habitant. C’est une probabilité statistique qui peut souffrir chaque année des écarts par rapport à la moyenne.

Or, la France ne dispose que de 7200 dollars de production industrielle par personne. Il faudrait donc l’accroître de 56 % pour que la balance commerciale soit à l’équilibre. En se basant sur les ratios d’intensité capitalistique des entreprises industrielles existant déjà en France, cela signifie un effectif industriel passant de 2,7 millions de personnes à 4,2 millions : soit 1,5 million d’emplois industriels à créer pour que, demain, la balance commerciale soit régulièrement en équilibre. Les effectifs industriels de l’Allemagne étant bien plus élevés, de l’ordre de 7 millions de personnes, sa balance commerciale est régulièrement excédentaire. En fait, avec la quatrième révolution industrielle en cours, baptisée industrie 4.0, les intensités capitalistiques sont devenues extrêmement élevées : il va plutôt s’agir de la création de seulement environ un million d’emplois.

La corrélation mise en évidence permet de comprendre que le solde déficitaire de notre balance commerciale, rappelé plus haut, se soit régulièrement dégradé à mesure que notre secteur industriel faiblissait : entre la fin des Trente Glorieuses et aujourd’hui, l’industrie qui intervenait pour 24 % à 25% dans la formation du PIB n’intervient plus que pour 10 % seulement. La France est devenue le pays européen qui est le plus désindustrialisé, la Grèce mise à part. Avec la crise du covid, nos dirigeants ont finalement compris qu’il était nécessaire de réindustrialiser le pays, et Emmanuel Macron a lancé le Plan France 2030. Mais il sera extrêmement difficile de remonter la pente.

Dans le Figaro-économie du 12 février dernier, Anne de Guigné énonce :

« Après des années de délitement, l’industrie française a cessé de dépérir. Mais crier victoire paraît très exagéré quand les deux indicateurs les plus robustes du secteur, l‘évolution de la production manufacturière et celle de la valeur ajoutée de l’industrie demeurent en zone grise ».

Le Plan France 2030 est très insuffisant, car les moyens financiers manquent pour épauler le redressement de notre industrie, comme le font si bien maintenant les Américains avec l’IRA, un dispositif d’aide à l’investissement qui dispose d’un budget de 369 milliards de dollars.

 

Les PME appelées à la rescousse

Pour redresser rapidement notre commerce extérieur, le gouvernement a appelé les PME à la rescousse afin qu’elles exportent. Il veut faire passer le nombre d’entreprises exportatrices de 145 700 à 200 000. Dans son discours de Roubaix le 23 février 2018, Édouard Philippe avait annoncé la création de Team France Export, afin d’encourager les PME  à « chercher des aventures à l’étranger ». Team France Export est un dispositif au service des entreprises qui regroupe les services de l’État s’occupant d’exportation, Business France, Bpifrance, et les diverses CCI existant en France. Cet organisme dispose de 13 guichets régionaux, disséminés sur tout le territoire, et un réseau de 750 conseillers installés à l’étranger dans 65 pays. Précédemment, avait été créée en 2015, « Business France », une agence nationale ayant pour mission d’« aider les PME et les ETI à se projeter à l’international ». Nos entreprises ne sont donc pas dépourvues de conseillers pour les aider à exporter, et elles peuvent bénéficier de divers soutiens financiers pour prospecter à l’étranger et exporter.

Cette ambition de faire de nos petites PME industrielles, des entreprises exportatrices, n’est en fait pas très raisonnable : c’est leur faire courir beaucoup de risques et les détourner de leur tâche principale qui est, à ce stade de leur croissance, de développer et renforcer leurs avantages compétitifs. Hors les grandes entreprises, qui, elles, disposent du personnel voulu pour exporter, et dont les reins sont assez solides pour faire face aux aléas des opérations à mener dans des pays lointains que l’on connait mal, seules les ETI, (250 à 500 employés), sont capables d’avoir une politique suivie à l’exportation.

En matière d’exportation, le drame de la France est qu’elle dispose de relativement peu d’ETI, à la différence de l’Allemagne ou de la Grande-Bretagne : elles sont 5760 en France, contre 12 500 en Allemagne et 10 000 en Grande-Bretagne, et ne sont pas toutes dans le secteur industriel, loin de là. Pour exporter des biens industriels, il faut généralement avoir à l’étranger des accords avec des entreprises locales qui aideront les consommateurs à utiliser ces équipements et assureront l’après- vente, car faire de l’après-vente à partir de la France est une gageure. Ces partenaires étrangers exigeront que l’entreprise avec laquelle ils vont collaborer ait une certaine dimension : s’il s’agit d’une PME de taille modeste, ils ne seront pas partants et auront tendance à aller chercher ailleurs un exportateur plus solide avec lequel s’allier. Une PME peut exporter aisément, sans risque, des produits ne nécessitant aucune collaboration avec l’acheteur, et notamment pas d’après-vente, comme par exemple, la cristallerie ou les articles de porcelaine.

Augmenter les exportations et avoir une balance commerciale à l’équilibre sont donc des missions extrêmement ardues :

  • le secteur industriel s’est considérablement amenuisé, l’industrie manufacturière ne représente plus que 10 % du PIB, contre 23 % ou 24 % pour l’Allemagne.
  • le pays manque d’entreprises de taille intermédiaire, soit deux fois moins que l’Allemagne.

 

Rééquilibrer notre balance du commerce extérieur, mission qui est confiée au ministre chargé du Commerce extérieur, est une tâche de très longue haleine qui va demander de très nombreuses années, c’est-à-dire le temps que nos dirigeants mettront pour accroître de 56 % la production du secteur industriel.

Pourquoi le débat sur le droit du sol devrait être étendu à l’ensemble du territoire

La fin du droit du sol à Mayotte, annoncée par le ministre de l’Intérieur est une réponse qui va dans la bonne direction. N’est-ce pas l’occasion de s’interroger sur le droit à la nationalité française ?

 

La fin du droit du sol à Mayotte

En arrivant sur l’île de Mayotte, dimanche 11 février 2024, Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur et des Outre-mer, a annoncé :

« Il ne sera plus possible de devenir Français si on n’est pas soi-même enfant de parent Français, nous couperons l’attractivité qu’il y a dans l’archipel mahorais […] Nous allons prendre une décision radicale, qui est l’inscription de la fin du droit du sol à Mayotte dans une révision constitutionnelle que choisira le président de la République ».

Ce n’est pas une surprise. Jeudi 1er février, en marge d’un évènement consacré aux Outre-mer, Gérald Darmanin avait affirmé « que le droit du sol et du sang » n’était « pas le même à Mayotte que sur le reste du territoire national », et qu’un changement constitutionnel pourrait « donner à Mayotte un sujet, de façon sécurisée, d’extraterritorialité » :

« C’est une mesure extrêmement forte, nette, radicale, qui évidemment sera circonscrite à l’archipel de Mayotte ».

Il a ajouté qu’il n’y « aura plus la possibilité d’être Français lorsqu’on vient à Mayotte de façon régulière ou irrégulière [et que] (les visas territorialisés) n’ont plus lieu d’être ».

Ces dispositifs empêchent les détenteurs d’un titre de séjour à Mayotte de venir dans l’Hexagone. Cette suppression est une des revendications des collectifs citoyens constitués pour protester contre l’insécurité et l’immigration incontrôlée.

Un projet de loi Mayotte sera étudié à l’Assemblée nationale « dans les semaines qui viennent ».

Depuis la loi asile et immigration de 2018, le droit du sol est déjà durci à Mayotte pour faire face à la très forte immigration clandestine en provenance des Comores voisines. Il est exigé pour les enfants nés à Mayotte qu’au jour de sa naissance, l’un de ses parents ait été présent de manière régulière sur le territoire national, et depuis plus de trois mois. Ailleurs en France, aucun délai de résidence n’est exigé.

 

Mais comment devient-on Français ?

La nationalité française peut être obtenue :

  • Par attribution, c’est-à-dire de façon automatique, dès la naissance ou au moment de la majorité.
  • Par acquisition, c’est-à-dire après le dépôt d’une demande évaluée par l’autorité publique.

 

Plusieurs conditions sont nécessaires à l’obtention de la nationalité (durée de résidence sur le sol français, preuves d’assimilation à la société française, etc.).

La nationalité française est attribuée à tout enfant né en France ou à l’étranger, dont au moins un des parents est Français. C’est ce que l’on appelle le « droit du sang ».

Le droit du sol permet à un enfant né en France de parents étrangers d’acquérir la nationalité française à sa majorité. Pour cela, plusieurs conditions doivent être respectées : résider en France à la date de ses 18 ans et avoir sa résidence habituelle en France pendant une période continue ou discontinue d’au moins cinq ans depuis l’âge de 11 ans. Avant sa majorité, il peut acquérir la nationalité sur demande de ses parents (entre 13 et 16 ans), ou sur demande personnelle (entre 16 et 18 ans), assortie des conditions de durée de résidence en France. Dans ce cas, c’est une acquisition de la nationalité par déclaration.

Si un parent étranger, mais né en France, a un enfant sur le sol français, celui-ci bénéficie du droit du sol et donc de la nationalité française à sa naissance. C’est le double droit du sol.

La naturalisation est un mode d’acquisition de la nationalité française qui se fait par décision de l’autorité publique (décret) et est accordée sous certaines conditions. Tout étranger majeur, résidant habituellement sur le sol français depuis au moins cinq ans, peut demander à être naturalisé. La décision est prise de façon discrétionnaire par l’administration qui peut refuser la naturalisation, même si les conditions sont réunies.

Depuis 2006, un étranger uni à un conjoint français depuis quatre ans et justifiant d’une communauté de vie affective et matérielle réelle peut réclamer la nationalité française par mariage.

 

Une annonce de bon sens qui ouvre le débat sur le droit du sol

Cette annonce soulève plusieurs questions : que faire pour lutter contre les fausses déclarations de paternité ? Pourquoi le gouvernement n’a pas également annoncé une restriction du droit du sol en Guyane, confrontée à un phénomène analogue, avec notamment une immigration importante en provenance du Suriname ? Pourquoi limiter le débat à ce département ? Pourquoi, quand les enfants nés en France de parents étrangers accèdent à la nationalité française à 13 ou 16 ans, ne vérifie-t-on pas qu’ils remplissent les conditions d’assimilation ?

Le droit français de la nationalité mériterait d’être revisité, notamment en généralisant la condition d’assimilation (et à renforcer pour les modes d’acquisition, à savoir la naturalisation et le mariage). Juridiquement possible, il ne paraît pas souhaitable de supprimer le droit du sol au risque de remettre en cause le contrat social entre la Nation et le ressortissant étranger.

La question de l’immigration et des droits est différente, beaucoup d’immigrés résident en France via un titre de séjour, et ils ne demandent pas la nationalité française. Les problèmes liés à l’immigration clandestine et le travail dissimulé nécessitent d’autres réponses. Il ne faut pas tout mélanger !

Comment la Russie et l’Iran se servent de l’Afrique pour déstabiliser l’Europe

Ces deux dernières années ont été marquées par des agissements coordonnés de la Russie dans la bande saharo-sahélienne, au Mali, au Burkina Faso et au Niger. Mais ces avancées politiques, militaires et économiques russes, au détriment de la France, ne sont pas isolées. Elles sont accompagnées par une démarche géographiquement identique de la République islamique d’Iran. Une troisième stratégie est également à l’œuvre, à travers l’apparition de candidats populistes aux élections dans d’autres pays francophones. La France et l’Union européenne accepteront-elles cette attaque stratégique sur le flanc sud du continent européen ?

Nous assistons depuis deux ans au développement de l’activité du groupe paramilitaire russe Wagner dans trois pays de la bande saharo-sahélienne, au détriment de la présence française dans les domaines politiques et militaires.

 

Un stratégie russe globale et planifiée

Les activités de Wagner, visant à la prise du pouvoir civil par des éléments militaires, constituent la partie très visible de la stratégie russe. Cette dernière s’accompagne d’une action informationnelle au sens large, orientée directement vers la population. Elle repose sur la mise en place de leaders et de relais d’opinion, à l’exemple de Nathalie Yamb (surnommée la Dame de Sotchi) et Kémi Seba. Leur action repose sur l’utilisation intensive des réseaux sociaux, dans lesquels sont diffusées des informations spécialement formatées. Cette stratégie de communication s’appuie également sur une capacité organisationnelle et financière de mobilisation des foules, avec slogans et pancartes ciblant la présence française, dont on a vu la mise en œuvre dans les trois pays du Sahel.

[Enquête I/II] Ethnocide des Touareg et des Peuls en cours au Mali : les victimes de Wagner témoignent

Ce dispositif apparaît donc global, et en conséquence particulièrement organisé. Cela implique l’élaboration d’un véritable plan, avec le temps nécessaire à la préparation de l’ensemble du processus. Ce que nous avons vu au cours de ces deux dernières années a donc été préparé très en amont. Le premier sommet Russie-Afrique de Sotchi en octobre 2019 a constitué le lancement visible de la stratégie du retour vers l’Afrique, élargie à l’ouest du continent. Depuis 2016, le Centre pour les Études Internationales et Stratégiques (CSIS), basé à Washington, avait identifié les activités de sociétés militaires privées (SMP) russes en Centrafrique, au Soudan, au Mozambique et Madagascar. L’établissement du plan global remonte donc très probablement au début des années 2010.

Dans l’ensemble de ce plan vers le Sahel, la Russie n’agit pas seule, elle est en plus accompagnée de son allié, la République islamique d’Iran.

 

Une stratégie iranienne silencieuse

L’Iran a commencé, depuis plusieurs années également, à mettre en œuvre une stratégie politique, économique, et d’influence dans la région Sahélienne.

L’action diplomatique la plus récente vient de se dérouler en ce début d’année avec le Mali, où le Conseil National de Transition (CNT) vient d’annoncer l’ouverture dès cette année de deux facultés de l’Université d’Iran « une technique et professionnelle, l’autre, un centre d’innovation informatique ». Cette annonce a été faite après une rencontre entre le président du CNT et l’ambassadeur d’Iran, M. Salehani. Ce dernier avait été reçu il y a trois mois par le ministre de la Défense, le colonel Sadio Camara, un des hommes forts de l’équipe au pouvoir.

À cette même période, le ministre des Affaires étrangères iranien, Hossein Amir Abdollahian, recevait à Téhéran le chef de la diplomatie du Niger, Bakary Yaou Sangaré. Ce dernier a rencontré le président iranien Raïssi qui a décrit « la résistance du peuple nigérien contre les politiques hégémoniques européennes comme étant le témoignage du refus du colonialisme par l’Afrique », selon les termes du communiqué de la présidence iranienne. Le positionnement politico-diplomatique anti-français, à l’image de la stratégie du Kremlin, est clair.

En ce qui concerne le Burkina Faso, la République islamique d’Iran a signé, à Ouagadougou, toujours à l’automne dernier, huit accords de coopération. Parmi ceux-ci figure un mémorandum d’entente dans les domaines de la coopération énergétique et minière, la coopération scientifique et technique dans le domaine de l’industrie pharmaceutique, et le développement de l’enseignement supérieur.

Dans la défense et la sécurité, Ouagadougou et Téhéran ont exprimé « leur volonté de coopérer dans ces domaines et décident de poursuivre les concertations à travers des canaux plus appropriés », a expliqué, dans un communiqué, le ministère des Affaires étrangères du Burkina Faso. La prochaine commission mixte de coopération entre les deux pays se tiendra à Téhéran en 2025. La coopération est globale et s’inscrit dans une volonté de continuité.

La diplomatie africaine de Téhéran apparaît donc comme un effet miroir de la politique africaine russe. La stratégie globale de déstabilisation de l’Afrique francophone s’inscrit également dans un troisième volet, celui de la mise en avant de candidat populiste à l’image d’Ousmane Sonko au Sénégal.

 

La perturbation populiste au Sénégal

Le populisme se définit selon Jean-Pierre Rioux, historien de la France contemporaine, comme « l’instrumentalisation de l’opinion du peuple par des personnalités politiques, et des partis, qui s’en prétendent des porte-parole, alors qu’ils appartiennent le plus souvent aux classes sociales supérieures ».

Tel apparaît Ousmane Sonko, opposant au président sortant Macky Sall. Ancien inspecteur principal à l’Inspection générale des impôts et domaines, ancien député, et actuellement maire d’une ville de plus de 200 000 habitants, Ziguinchor.

Homme de rupture, radié de son poste dans l’administration en 2016, pour manquement au devoir de réserve, il s’est politiquement positionné comme « antisystème » alors qu’il en est issu. Dans la ligne de ce positionnement, il n’apparaît pas porteur d’un programme précis, mais se concentre sur une critique systématique du président et du gouvernement.

Dans son discours, le populiste se caractérise par une stratégie d’attaque et de polémique. Telle fut son option lors de la précédente campagne électorale en 2019. Il n’a pas lésiné sur les moyens verbaux pour attaquer directement la personne de Macky Sall, le décrivant comme « un homme malhonnête, un partisan du népotisme et un dictateur qui ôte à son peuple la liberté d’expression » (Étude lexicologique de la campagne – BA Ibrahima Enseignant-chercheur, Dakar). Le président était présenté comme favorisant les intérêts français au détriment des « enfants du pays ». Utilisation, hélas trop connue, de l’argument de la France, exploiteuse des richesses au détriment des habitants. Argument russe, argument iranien…

Les tentatives de déstabilisation de l’Afrique francophone apparaissent donc au confluent de plusieurs stratégies et de plusieurs États, depuis des années. Ne faut-il pas s’interroger sur l’aveuglement et la surdité des services français qui n’ont détecté aucune de ces vibrations, et qui n’ont pu, en conséquence, ni lancer les alertes préalables, ni mettre en place les contre-feux nécessaires.

Avant son remplacement par Stéphane Séjourné, Catherine Colonna, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, a sommé l’Iran d’arrêter ses ingérences au Moyen-Orient. Ne conviendrait-il pas d’élargir le champ d’observation au continent africain ?

Article publié par La Tribune le 16 Janvier 2024, offert par l’auteur à Contrepoints.

NB : le ministre français des Affaires Etrangères Stéphane Séjourné vient de rencontrer le ministre iranien des Affaires Etrangères à New York le 23 janvier. Leur poignée de main était chaleureuse et le ministre s’est abstenu de mettre en garde son homologue iranien.

Crise du logement : problème insoluble pour le marché ? Avec Vincent Benard

Épisode #46

Vincent Bénard est économiste et ingénieur en aménagement du territoire. Il écrit régulièrement des articles remettant en cause la logique des politiques publiques. Spécialiste du logement, il a également consacré de nombreux textes à la problématique du changement climatique.

Dans cet entretien nous revenons sur les différentes causes de la grande difficulté d’accès au logement ces dernières années. Si vous ne serez pas surpris de découvrir que l’action de l’État a créé bien plus de problèmes qu’il n’a apporté de solutions, la cause principale de l’envolée des prix depuis une quinzaine d’années pourrait vous surprendre. Si comme nous, vous êtes convaincu de la responsabilité écrasante de l’État dans ce problème qui touche durement les jeunes générations, pensez à signer notre pétition. Enregistré fin décembre 2023 à Machecoul. 

Pour écouter l’épisode, utilisez le lecteur ci-dessous. Si rien ne s’affiche, rechargez la page ou cliquez directement ici.

Programme :

0:00 Introduction

1:07 Parcours et formation d’ingénieur

4:59 Pourquoi se loger est-il devenu si cher ?

6:33 La création monétaire peut-elle expliquer la hausse des prix ?

11:33 Pourquoi l’offre ne parvient pas à s’ajuster

15:10 Deux philosophies du droit des sols

20:21 La lutte contre « l’étalement urbain »

22:48 Les acheteurs ont-ils conscience du rapport foncier/bâti ?

26:15 Construire plus haut pour limiter l’étalement urbain ?

30:10 Les logements sont-ils les pires ennemis de la biodiversité ?

46:53 Le contrôle des loyers : fausse bonne idée

 

Pour aller plus loin : 

Articles de Vincent Benard dans Contrepoints 

Logement : crise publique, remèdes privés (Livre de Vincent Benard, 2006 )

Rapport sur la crise du logement (Vincent Benard, pour l’IREF)

Travaux de l’économiste Joseph Comby 

Order without Design: How Markets Shape Cities (livre d’Alain Bertaud)

« Une révolution fiscale pour sauver le logement » (Pétition lancée par Contrepoints)

https://www.contrepoints.org/2024/01/20/469878-petition-une-revolution-fiscale-pour-sauver-le-logement

Suivez-nous sur le web :

https://twitter.com/vbenard 

⁠https://twitter.com/contrepoints⁠

⁠https://fr.linkedin.com/company/contrepoints⁠

⁠https://www.facebook.com/Contrepoints

L’islamisation de l’Europe : qu’en est-il vraiment ?

À New York comme au Parlement belge, je rencontre de plus en plus d’interlocuteurs qui se disent convaincus que l’islamisation de Bruxelles — et de Londres, ajoutent-ils fréquemment — est désormais inéluctable et n’est plus qu’une question de temps. C’est un pronostic qui paraît audible, mais qui mérite plus que des nuances.

Commençons par relever, sans nous perdre dans les chiffres, que la progression de la population musulmane, à Bruxelles, est aussi massive que fulgurante. Depuis cinquante ans, le nombre de musulmans ne cesse de croître, et vu l’abaissement des frontières européennes, en fait quand ce n’est pas en droit, le mouvement ne semble pas prêt de s’enrayer.

 

Les chiffres

Toutefois, les chiffres ne sont pas aisés à établir. Si l’on veut rester scientifique et factuel, ce n’est pas en constatant la popularité du prénom Mohamed que l’on avancera. C’est là une fallace statistique classique — dénoncée à juste titre par Nassim Nicholas Taleb : la popularité du prénom Mohamed reste très élevée parmi les musulmans, donc à populations égales il y aura plus de Mohamed que de Pierre, Jan et Eric. Ce qui ne « prouve » strictement rien.

La dernière étude fiable sur le sujet date malheureusement de 2015/2016. C’est l’étude du Pr. Jan Hertogen, généralement considérée comme fiable et reprise par le Département d’État américain. Selon cette étude, le pourcentage de musulmans à Bruxelles était en 2015 de 24 %. Des chiffres plus récents sont fournis par le Pew Research Center, mais seulement pour la Belgique dans son ensemble, sans détail par ville. En 2016, 29 % des Bruxellois se revendiquaient musulmans. Si l’on contemple la courbe de progression, on peut estimer que le pourcentage de musulmans à Bruxelles se situe très probablement aujourd’hui en 2023 au début des 30 %.

Les chiffres n’attestent donc en rien une majorité musulmane à Bruxelles — ni sa réalité ni son imminence. Contrairement aux fantasmes d’une certaine droite qui réfléchit aussi mal que la gauche, en Europe, le taux de fécondité des femmes musulmanes s’est effondré, suivant en cela la courbe générale (même s’il reste plus élevé que chez les « natifs » : la faute à qui ?). Le fantasme d’une fécondité musulmane explosive en Europe est un pur mythe. Les préventions légitimes à l’égard de l’islam comme doctrine politique ne doivent pas nous éloigner des catégories élémentaires du raisonnement.

 

L’immigration

Bruxelles n’est pas majoritairement musulmane, et rien ne permet d’affirmer avec certitude qu’elle le deviendra. Car l’immigration n’est pas une donnée invariable, à l’instar de la gravitation universelle. Force est de constater que, dans l’ensemble de l’Europe sauf la Wallonie, nous assistons à l’ascension au pouvoir de partis et personnalités qui tendent vers l’immigration zéro, à tout le moins un moratoire sur l’immigration. Qu’on approuve ou pas cette tendance, c’est un fait.

Car, en dépit des allégations de la gauche, qui présente l’immigration vers l’Europe comme inéluctable, l’immigration n’a strictement rien d’inéluctable. C’est la jurisprudence de la CEDH qui a créé le chaos migratoire actuel, en combinaison avec le Wir Shaffen Das de Angela Merkel.

L’immigration n’est pas une sorte de catastrophe naturelle qui s’abattrait sur l’Europe, inévitablement, à l’instar d’une invasion de sauterelles ou d’un orage d’été. Le chaos migratoire que nous connaissons, en Europe, est un phénomène purement humain, causé par des politiques et des juges.

Or, ce qui a été fait peut être défait. L’afflux de migrants que nous connaissons actuellement peut s’interrompre — après-demain, en neutralisant la CEDH. De ce point de vue, il sera intéressant d’observer ce que fera aux Pays-Bas Geert Wilders, qui a certes mis de l’eau dans son vin, mais qui souhaite mordicus mettre un terme au déferlement migratoire que connaît son joli pays. Sortir de la CEDH est une option — parmi d’autres.

 

La tentation de l’essentialisation

L’implantation massive de populations musulmanes en Europe — 50 millions de personnes en 2030, selon le Pew Research Center — est vécue de façon douloureuse et même dramatique quand dans le même temps une fraction notable de ces populations se radicalise. Par exemple, à la faveur du conflit israélo-palestinien. En France, l’écrasante majorité des actes et agressions antisémites est le fait de musulmans. En Belgique, les préjugés antisémites sont nettement plus répandus parmi les musulmans. Les défilés propalestiniens depuis le 7 octobre sont, trop souvent, le prétexte de slogans antisémites haineux comme nos rues n’en ont plus connu depuis les meetings du NSDAP dans les années trente et quarante du XXe siècle.

Pour autant, il faut se garder de la tentation de cette essentialisation tellement répandue à gauche : l’islam n’est pas une race, ni une fatalité. L’islam est une doctrine politique. On en sort comme on sort du socialisme, de l’écologisme, ou de la religion catholique. Je ne prétends pas que la majorité des musulmans d’Europe reniera l’islam — rien ne permet de le présager — ni que l’islam en Europe se pliera aux normes et valeurs de la civilisation occidentale : là encore, rien ne l’annonce.

Mais considérer que l’islam est une sorte de bloc infrangible, de Sphinx face au temps, qui se maintiendra immuable dans la courbe des siècles, abrogeant tout autre facteur, écrasant toute autre considération, revient à raisonner comme un islamiste, pour qui l’Univers se réduit à l’islam et selon lequel sortir de l’islam est un crime indicible.

Dis autrement, considérer dès à présent que Bruxelles — Paris, Londres — deviendra immanquablement islamique a fortiori islamiste revient à commettre une erreur de fait, et offrir par avance la victoire aux pires extrémistes parmi les musulmans. C’est le type par excellence de cette pensée défaitiste, dont Churchill enseignait dans sa somme magistrale Second World War qu’elle était, dès 1939, plus menaçante que l’ensemble des divisions nazies.

La culture en péril (16) – Philippe Nemo, « Crise de la culture ? »

La question devient de plus en plus fondamentale, face aux assauts de violence vécus ces derniers mois, ces dernières années, dans notre pays et ailleurs. Des conflits géopolitiques aux émeutes des banlieues, les incompréhensions semblent aller croissant. Le sentiment domine que tous ne parlons plus le même langage, ne partageons plus les mêmes valeurs, n’avons plus les mêmes aptitudes au dialogue. Constat d’autant plus inquiétant que, comme le remarque Philippe Nemo, de plus en plus de pays non-occidentaux (Russie, Chine, Turquie, parmi d’autres) considèrent notre civilisation comme décadente, rêvant ainsi de nous supplanter.

Si les valeurs humanistes ne sont plus même partagées, comment concevoir encore ce dialogue ? Si la philosophie des droits de l’Homme qui avait prévalu lors de la création de l’ONU est désormais vécue comme un repoussoir pour ces pays, alors comment envisager l’avenir du monde ? Et si la culture est vraiment en crise, interroge le philosophe, l’Occident pourra-t-il survivre ?

 

Des maux inquiétants

Face à toutes ces questions, Philippe Nemo – qui a traduit et préfacé récemment un ouvrage majeur d’Enzo Di Nuoscio abordant directement la question – nous fait partager ses premières réflexions.

Il commence par s’interroger sur ce que l’on appelle la culture. Et pour cela, il prend appui sur les émeutes de juin 2023 en France, qui ont véritablement stupéfié une grande partie des Français. Par leur nature avant tout, dans la mesure où elles se sont attaquées à tous les symboles de l’État et de notre civilisation, jusque des écoles, des bibliothèques, ou des médiathèques. Clairement, ces émeutiers ne se représentaient pas le monde comme nous, et se sont comportés en « ennemis ». Ces émeutes furent un symptôme révélateur de ce que la culture – conçue comme « une réalité consubstantielle à la société » – n’est plus partagée par tous les résidents de ce pays, remettant en cause la viabilité d’une vie sociale commune.

Autrement dit, la culture démocratique et libérale, qui était le ciment de notre société depuis au moins deux siècles, et résultante de tous les mouvements de migration précédents au cours de l’histoire, s’est étiolée dangereusement, l’idée de société multiculturelle étant antinomique, « une contradiction dans les termes ». En ce sens qu’il ne s’agit plus de pluralisme, mais d’un refus de s’intégrer – lié à la fois au flux incontrôlé d’arrivées massives et à un manque de convictions quant à notre propre culture.

 

Une crise profonde ?

L’Occident a, certes, déjà connu des crises de valeurs, qui ont débouché sur des évolutions majeures, fruits de son histoire. S’appuyant à chaque fois sur une « résilience » de la culture, nous relate Philippe Nemo. Mais que penser de celle-ci ?

 

… il se produit ces années-ci un grand nombre de changements objectifs qui touchent aux structures mêmes de nos sociétés et dont personne ne peut discerner précisément où ils nous mènent. Ce sont la mondialisation, les mouvements migratoires d’une ampleur inédite, les problèmes d’environnement et de climat, les changements drastiques affectant cette structure sociale de base qu’est la famille, les métamorphoses apportées par l’informatique qui redistribue les compétences et modifie notre rapport à l’espace et aux frontières. Ces évolutions font que certaines mœurs et coutumes traditionnelles deviennent obsolètes, que d’autres apparaissent, mais sans se dessiner encore clairement, ce qui suscite un sentiment de flou.

 

Mai 68, ajoute-t-il, pourrait avoir joué un rôle pervers majeur « en répandant largement les thèses des philosophes « déconstructeurs » et en fragilisant donc, chez nombre d’intellectuels français (et américains à leur suite), les fondements philosophiques mêmes d’une société humaniste de liberté et de droit ».

Néanmoins, Philippe Nemo se veut optimiste et dit avoir le sentiment que cette crise sera surmontée, comme les autres auparavant.

 

De réelles sources d’espoir

C’est en observateur attentif et avisé qu’il dresse le constat que nos idéaux demeurent pour l’essentiel intacts, partagés par la majeure partie de la population.

 

Si on lit les essais philosophiques et la littérature qui paraissent, si l’on regarde films et séries, si l’on prend en compte le fonctionnement des institutions politiques, sociales et économiques de base, il apparaît que les idéaux qui gouvernent la pensée profonde et les comportements de la majeure partie de la population des pays occidentaux restent ceux de l’humanisme, du progrès scientifique et technique, de la démocratie politique, de l’État de droit, de la volonté de promouvoir prospérité économique et justice sociale […]

Les populations occidentales continuent à trouver indispensable que les gouvernements respectent la personne humaine individuelle, la liberté d’opinion et d’expression, et même la propriété privée et les contrats. Il est vrai qu’on ne vante pas trop ces valeurs économiques sur l’espace public politique et médiatique, mais on s’y conforme encore grosso modo en pratique, et les tribunaux les font respecter dans l’ensemble.

 

Rien n’est donc perdu. Et nous aurions tort de baisser les bras en nous avouant vaincus. Bien au contraire, à l’instar de beaucoup, Philippe Nemo est convaincu que les extrémismes et les assauts de la cancel culture notamment, qui relève selon lui davantage d’un effet de mode que d’une révolution qui vaincra, ne parviendront pas à déstabiliser notre société et notre civilisation. Car c’est justement la force d’une société libre que de faire preuve d’esprit critique et de savoir corriger ses propres erreurs. Nous avons surmonté d’autres formes d’utopies, et nous saurons de nouveau faire face à celle que tentent de développer ces déconstructeurs. D’autant mieux qu’aucun contre-modèle autre que minoritaire ne parvient à se distinguer aujourd’hui comme avait pu le faire le marxisme auparavant.

En conclusion, il n’y a pas de crise véritablement profonde au point de mettre en péril l’avenir de notre civilisation. Simplement une crise de transmission, indéniable, sur laquelle Philippe Nemo pose un diagnostic clair (recul du christianisme, déstructuration de la famille, quasi-ruine de l’école) et face à laquelle il convient impérativement de réagir. En mobilisant les hommes de culture et en particulier l’école. Car c’est par la transmission que nos valeurs perdureront. Tous les outils sont en place pour cela (patrimoine littéraire et scientifique, auteurs érudits, politiques culturelles publiques et privées, édition de livres, Internet). Une culture millénaire de disparaît pas en si peu de temps, nous rassure-t-il.

 

… je reviens néanmoins à mon intuition, qui tient aux capacités de critique et de renouvellement que procurent incontestablement nos institutions libérales. Je crois que nos sociétés sont et resteront longtemps capables de corriger leurs erreurs, de rebondir, et même de faire surgir, le moment venu, des formules sociales résolvant nombre de problèmes qui nous paraissent aujourd’hui insurmontables.

 

Philippe Némo, Crise de la culture ?, Journal des libertés, automne 2023, 14 pages.

_________

À lire aussi :

Les maires français demandent plus de décentralisation

Être maire en France est de plus en plus difficile. Depuis juin 2020, on estime le nombre de démissions à environ 1300, soit plus encore que pendant la mandature précédente qui avait déjà atteint un record.

La récente sortie de la dernière vague de l’enquête de l’Observatoire de la démocratie de proximité de l’Association des maires de France, et du CEVIPOF sur les maires de France offre quelques informations utiles pour comprendre ce qu’il se passe.

Pourtant, les éléments qui ressortent semblent à première vue contradictoires.

 

Les maires veulent plus de décentralisation ?

D’un côté, trois maires sur quatre pensent qu’il faut « aller plus loin dans la décentralisation » et, parmi eux, 59 % pensent même qu’il faut « aller beaucoup plus loin vers plus de libertés (ou compétences) locales ». Ils sont 84 % à penser que les communes doivent pouvoir choisir librement les compétences qu’elles transfèrent à l’intercommunalité.

Aussi, placés face au dilemme entre différencier les décisions politiques locales au nom l’efficacité, et les uniformiser au nom de l’égalité, 86 % des maires choisissent la première option. Clairement, la décentralisation plaît aux maires, et ils sont prêts à assumer davantage de responsabilités.

D’ailleurs, ils voient les contraintes posées par l’État central comme un obstacle majeur.

Les relations de plus en plus complexes avec les services de l’État sont mentionnées en deuxième position (par 12,3 % d’entre eux) pour expliquer la démission massive qui a touché les maires ces dernières années. Cette complexité de la relation peut en partie s’apprécier par le fait que 64 % d’entre eux pensent qu’il y a trop de doublons entre les services de l’État et ceux des collectivités territoriales.

 

Un divorce entre les maires et leurs administrés ?

De l’autre côté, beaucoup de problèmes des maires viennent des administrés.

D’après 71,7 % d’entre eux, le niveau d’exigence des citoyens est trop élevé. Depuis 2020, ce score n’a pas cessé d’augmenter. Ce qui est d’ailleurs la principale raison (selon 13,6 % d’entre eux) pour laquelle ils tendent à massivement démissionner.

Mis côte à côte, ces deux constats affichent une information paradoxale : d’un côté, les maires désirent avoir davantage d’autonomie et de liberté dans leur fonction ; et de l’autre côté, ils désirent être moins tenus pour responsables par leurs administrés, qu’ils considèrent trop exigeants.

Un esprit malintentionné pourrait les soupçonner de vouloir la liberté sans responsabilité, et en faire, en fin de compte, des irresponsables. En réalité, pour ceux qui connaissent la réalité dans laquelle évoluent les maires, ces réponses sont tout à fait logiques, et il n’y a pas lieu d’être soupçonneux.

 

Des maires submergés par l’administratif…

Les réformes territoriales qui ont commencé sous le quinquennat de François Hollande et qui se sont poursuivies jusqu’à aujourd’hui ont modifié par le haut l’organisation et les compétences territoriales. Les communes ont perdu toute marge de manœuvre financière, avec les suppressions successives des taxes qui bénéficiaient aux communes, comme la taxe professionnelle ou la taxe d’habitation. Cette dépendance accrue des revenus de l’État a été associée à la perte d’un grand nombre de compétences qui ont été transférées aux intercommunalités ou à d’autres échelons territoriaux.

Dans l’ensemble, le travail d’un maire n’a pas diminué, mais sa partie purement administrative a augmenté au détriment de sa dimension politique. Avant toute action, un maire doit étudier les milliers de lois, décrets et circulaires qui encadrent l’action des communes, il doit demander l’autorisation de l’État, et parfois des régions et de l’intercommunalité, il doit siéger non seulement au conseil municipal, mais aussi au conseil communautaire.

Pour autant, ces réformes territoriales n’ont pas été suivies par des réformes électorales. Les citoyens votent toujours directement aux élections municipales, et non aux élections intercommunautaires, car ce sont les élus municipaux qui siègent aux conseils communautaires. Or, les citoyens demandent des comptes à ceux qui ont été élus par eux, non aux autres. C’est le principe même de l’élection : rendre les élus responsables devant les électeurs.

 

L’insoutenabilité de la dépendance des maires à l’égard de l’État

Que se passe-t-il quand les élus ne peuvent plus rendre des comptes aux citoyens, simplement parce qu’ils sont privés des compétences pour pouvoir choisir leur politique ?

Tout d’abord, ils souhaitent retrouver les responsabilités suffisantes pour pouvoir rendre des comptes à leurs électeurs. Ou alors, ils souhaitent que l’attribution des responsabilités soit plus claire aux yeux des citoyens, afin qu’ils puissent adresser leurs demandes aux personnes réellement responsables.

Aujourd’hui, il est impossible de prédire l’organisation territoriale française à partir des élections. Du fait de leur invisibilité électorale, certains corps prennent des décisions importantes sans faire face à la sanction électorale – parmi lesquels les conseils communautaires, et plus traditionnellement les préfets. À l’inverse, les maires sont tenus responsables de ce que l’État ne leur permet pas de faire. Il est évident que cette situation est intenable.

 

Vers une décentralisation basée sur le principe de subsidiarité ascendante ?

Concentrons-nous, alors, sur la demande la plus massive qui ressort de cette enquête.

Pas moins de 84 % des maires souhaitent que les communes doivent pouvoir choisir librement les compétences qu’elles transfèrent à l’intercommunalité, en assumant la différenciation entre communes qui s’ensuivrait. Cette demande appelle au principe de la subsidiarité ascendante, qui consiste à initier les transferts de compétences par le bas, plutôt que par l’État central. Ces choix – qui est compétent et pour quoi – sont cruciaux, et les laisser aux maires – qui sont surveillés de près par leurs conseils municipaux, et sanctionnés par leurs électeurs – serait une garantie de bon sens et de transparence dans leur gestion.

Une évolution vers ce type de décentralisation basée sur le principe de subsidiarité ascendante n’est pas seulement une demande des maires, mais aussi des citoyens.

D’après un sondage du CSA mené il y a trois ans, au début de la pandémie du covid, les mêmes questions posées aux maires l’ont été à un échantillon représentatif de Français. Si 74 % des maires veulent davantage de décentralisation, parmi les citoyens cette opinion identique est partagée par 75 % d’entre eux. Pour une fois qu’aucune fracture est observée dans les opinions des élus et les citoyens, il faut s’en féliciter, et se mettre au travail pour décentraliser la France de façon plus consensuelle.

Ne sacrifions pas l’Occident pour combattre l’islamisme : réponse à Marion Maréchal

Samedi soir, un terroriste islamiste a semé la mort au pied de la Tour Eiffel. Armand Rajabpour-Miyandoab avait déjà été condamné en 2018 pour association de malfaiteurs terroristes, condamnation qui lui a valu d’être fiché S.

Ce n’est pas le premier terroriste à être passé à l’acte en France alors qu’il était déjà suivi pour ses accointances avec l’islamisme et l’entreprise terroriste. Cette répétition doit évidemment nous interroger sur l’efficacité de notre système de surveillance des individus dangereux, et en particulier des islamistes. S’engouffrant dans la brèche, Marion Maréchal a appelé dans les colonnes du journal Le Figaro à ce que tous les islamistes fichés S soient arrêtés et incarcérés immédiatement. 

 

On ne peut défendre l’Occident en détruisant son génie

S’il est vrai que la grande majorité des terroristes étaient fichés S, tous les fichés S ne sont pas des terroristes.

Marion Maréchal le sait, et ce n’est pas une erreur de logique qu’elle commet. Mais elle propose ni plus ni moins d’abandonner le droit à la sûreté, c’est-à-dire la protection contre les arrestations arbitraires, consacrée aux articles 2 et 7 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen, inspiré de l’Habeas Corpus anglais qui fut la première pierre de la tradition juridique libérale qui caractérise l’Occident. Cette pensée juridique originale née en Occident a illuminé le monde et continue de rayonner auprès de tous les peuples opprimés, y compris par l’islamisme. 

Nous ne défendrons pas l’Occident contre ses ennemis en détruisant son génie. Abandonner la démocratie libérale qu’abhorrent les islamistes et autres illibéraux à la culture viriliste et adulescente qui voient la culture humaniste, non comme une sagesse mais une faiblesse, c’est leur donner la victoire.

En ne protégeant que les clochers, Reconquête! s’enferme dans une vision folklorique de la civilisation occidentale. À l’inverse, dans son chemin vers la « dédiabolisation », le Rassemblement national semble avoir intégré à son discours la défense des minorités sexuelles et des femmes comme partie intégrante de la tradition occidentale. On ne peut d’ailleurs que déplorer que la gauche abandonne de plus en plus cette défense inconditionnelle du droit à la différence à l’extrême droite, comme elle a abandonné l’hymne et le drapeau, cédant devant la culture intolérante ce qu’elle voit comme les nouveaux damnés de la Terre. 

Par ailleurs, nous ne rappellerons jamais assez que toutes les lois d’exception ont fini par être détournées de leur objectif initial.

 

Les risques de dérives d’une telle mesure

Combien de fois les lois antiterroristes ont-elles été instrumentalisées pour intimider des individus qui n’avaient rien en commun avec le terrorisme islamisme, comme les militants de la ZAD de Notre-Dame des-Landes ? Réprimer les manifestations ? Peut-être devrait-on rappeler à Marion Maréchal que parmi les manifestants de l’ultra-droite descendus dans les rues pour protester contre la mort du jeune Thomas à Crépol, on comptait probablement des fichés S ? Combien de sympathisants de Reconquête! pourraient être inquiétés à la veille d’une élection au simple motif qu’ils ont pu approcher de près ou de loin une idéologie radicale ?

Rappelons que le simple fait de côtoyer sans le savoir un fiché S peut faire de vous un fiché S. Dès lors, la mécanique d’enfermement généralisé pourrait très facilement s’emballer, ou être instrumentalisée par le politique qui n’aurait alors plus aucune limite dans son pouvoir. Consentir à l’arbitraire, même dans l’objectif noble de lutter contre le terrorisme, est la voie la plus sûre vers la tyrannie.

Ce serait d’autant plus une trahison envers notre civilisation que ce serait une solution simpliste adoptée au détriment d’une autre facette du génie occidental : sa capacité de séduction.

 

La plus belle arme de l’Occident : sa capacité de séduction

Notre démocratie libérale, longtemps considérée comme un horizon indépassable de la modernité, ne séduit plus. Non seulement l’Occident n’est plus le phare du monde, mais il est remis en cause en son sein, que ce soit par les descendants d’immigrés qui adoptent l’islamisme que leurs parents ont fui, ou les tenants d’un Occident fantasmé qui voient dans Poutine le « salut de la blanchitude ».

Notre démocratie libérale, qui permet à chaque individu de s’émanciper et de se déterminer, peine à produire une métaphysique commune qui soit accessible au plus grand nombre, qui se tourne alors vers les prêts-à-penser que constituent les idéologies radicales, que ce soit au sein de l’islam politique, de l’extrême droite ou de l’extrême gauche.

Pour se défendre, la démocratie libérale doit se réarmer intellectuellement. Le refus de la radicalité et du populisme, s’il n’est pas justifié pour soi, ne sera jamais à même de peser face aux idées faciles. Mais elle doit aussi être cohérente et défendre cet idéal occidental à chaque fois qu’il est attaqué, comme en Ukraine, et non pas comme en Arménie qui, malgré quelques prises de paroles sentencieuses, a été abandonnée au profit de nos intérêts gaziers.

Enfin, il faut rappeler que si la première mission de l’État doit être d’assurer la sécurité des citoyens et qu’il est indispensable que nous perfectionnions sans cesse notre appareil sécuritaire, seul un régime tyrannique pourrait approcher le risque zéro. Personne ne doute que la Corée du Nord connaît un taux d’homicides (non gouvernementaux) plus faible que le nôtre. En définitive, nous devons assumer que dans une société libre, le risque zéro n’existe pas, et que nous aurions bien davantage à perdre en sacrifiant notre État de droit.

Tensions sociales en France : l’étatisme à l’origine du chaos

Alors que la France est aujourd’hui confrontée à des tensions sociales et ethniques d’une ampleur inédite dans son histoire contemporaine, la principale réponse politique consiste à réclamer un renforcement du rôle de l’État. Cet automatisme étatiste est pourtant ce qui a conduit le pays dans son impasse actuelle.

 

Depuis la fin des années 1960, l’État a construit un arsenal sans précédent de politiques sociales censées corriger les inégalités et prévenir les conflits supposément inhérents à la société française. Las, non seulement ces politiques n’ont pas empêché la montée des tensions, mais elles les ont largement alimentées.

Tout d’abord, l’augmentation significative du salaire minimum en France, initiée en juin 1968 et poursuivie au cours des quatorze années suivantes, a eu des répercussions notables sur l’accès des jeunes issus de l’immigration au marché du travail légal. Dès les années 1970, le niveau élevé du SMIC a rendu coûteuse leur embauche pour les employeurs, poussant ainsi ces jeunes vers l’économie souterraine et ses divers trafics.

Après un certain âge, les jeunes des quartiers qui parvenaient finalement à accéder à l’emploi bénéficiaient de contrats subventionnés, financés par des milliards alloués aux réductions de charges sociales. Cette stratégie visait à atténuer le risque d’un chômage de masse, conséquence directe du niveau élevé du salaire minimum.

 

Parallèlement, les politiques de logement de masse en faveur des immigrés, amorcées elles aussi au cours des années 1960, ont créé une incitation puissante à la venue et au maintien sur le territoire français de nouveau immigrés, surtout d’Afrique du Nord. L’État s’est trouvé pris au piège de ces politiques dès les années 1970, étant donné l’impossibilité de procéder à des expulsions massives face à des grèves de loyers généralisées dans les logements sociaux.

Pire, l’État a, involontairement, encouragé les activités illicites et la violence en dirigeant des financements vers les quartiers sensibles. Ces fonds, alloués à travers diverses allocations et programmes sociaux, tels que des salles de sport, des maisons de jeunes et des programmes d’éducation prioritaire, ont représenté des milliards de francs, puis d’euros. Autrement dit, plus un quartier générait de désordres et de violences, plus il recevait de subsides de la part de l’État.

Difficile dans ces conditions de s’étonner que la délinquance et les comportements violents soient enracinés au sein de communautés vivant depuis des décennies, non pas de l’échange marchand librement consenti, mais de trafics illicites et de l’extorsion des subventions étatiques.

 

Certes, diront certains, l’État a largement échoué dans ses politiques sociales.

Mais maintenant qu’il est question d’insécurité croissante, ne revient-il pas à ce même État d’intervenir énergiquement ? Là encore, le bilan des dernières décennies devrait inciter à la prudence. Même dans le domaine de la sécurité, l’État a failli à assurer un degré élevé de protection des personnes et des biens, et a parfois même aggravé la situation.

Ainsi l’État s’est-il lancé dans les années 1970 dans une politique migratoire visant à restreindre les mouvements de personnes, que rendaient pourtant inéluctables les révolutions dans les transports et les communications à l’échelle mondiale, sans parler des incitations créées par les politiques sociales elles-mêmes. Cette politique migratoire restrictive a surtout eu pour effet de grossir les rangs des migrants clandestins.

Ces derniers, ayant souvent dépensé toutes leurs économies pour payer les réseaux criminels facilitant leur passage irrégulier, se retrouvaient endettés et parfois contraints à la criminalité par ces mêmes réseaux. Face à cette situation, l’État a opté pour des régularisations périodiques des clandestins, tentant ainsi de les intégrer, de les éloigner de la marginalité et de la criminalité, mais consolidant paradoxalement un circuit d’immigration irrégulière.

En opposition à la criminalité ainsi alimentée par les politiques publiques, n’oublions pas que la majorité des services de sécurité est assumée par des acteurs privés, via les installations anti-intrusion, les sociétés de surveillance, ou les instruments de défense personnelle. Autant de preuves que le marché libre est souvent plus efficace que l’État pour répondre à ce type de besoins.

Ces observations conduisent à un constat clair : les politiques étatiques des dernières décennies ont échoué à atténuer les tensions sociales et ethniques ainsi que l’insécurité. Loin de réduire les inégalités, ces politiques n’ont fait que renforcer la spirale de la violence dans les quartiers en confortant indirectement les comportements délinquants.

Il est urgent de tirer les leçons de l’échec manifeste des politiques actuelles et de rompre avec l’illusion étatiste. Cela implique, à terme, de renoncer à des politiques migratoires inefficaces et contreproductives. Mais plus immédiatement cela nécessite de mettre fin à l’excès de réglementations, d’allocations et de programmes sociaux qui, sous couvert de justice sociale, ont mené à l’exclusion et à la mauvaise utilisation des fonds publics.

Seul un changement de paradigme, avec un désengagement de l’État au profit du marché libre, permettra de restaurer les incitations positives à la responsabilité individuelle et de renforcer le lien social. C’est de cette manière que la France retrouvera cohésion, stabilité et prospérité.

Pénurie de médicaments : la faillite d’une économie surrégulée

Par Romain Delisle.

Durant la crise sanitaire, la pénurie de masques de protection, dont les stocks avaient été détruits sur ordre de Marisol Touraine, ministre de la Santé sous le mandat de François Hollande, avait mis en lumière le risque accru de pénurie de produits de santé en cas de crise majeure. En réalité, la pandémie n’a fait que révéler au grand jour les déséquilibres structurels d’une économie surrégulée du médicament : selon l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé), le nombre de ruptures et de risques de ruptures a atteint 3761 en 2022 contre 700 en 2018, et 200 en 2012.

En dix ans, la consommation de médicaments a augmenté de 36 % dans le monde, mettant le secteur en état de tension permanente, d’autant que la production de principes actifs les plus anciens a été délocalisée en Asie. En effet, ceux-ci sont bien moins rentables que les produits innovants et sont victimes de l’effet ciseau d’une importante fiscalité, combinée à un faible prix du médicament, imposé par le CEPS (Comité économique des produits de santé), bras armé de l’État en la matière.

Au mois de juillet, la commission d’enquête du Sénat, qui avait diligenté une enquête sur la question, a rendu un rapport très éclairant qui permet de mieux comprendre les tenants et les aboutissants de ce qu’il faut bien appeler une économie administrée.

 

Dans le sillage du reste de l’industrie, des pans entiers de la production de médicaments ont été délocalisés en Asie

Jusqu’en 2018, le nombre de ruptures annuelles de médicaments enregistrées par l’ANSM, était demeuré stable, aux alentours de 400. Puis, ce chiffre a augmenté pour avoisiner les 1200 en 2019 et les 1600 en 2022.

Face à cette situation, l’industrie pharmaceutique française est confrontée à un double problème :

  1. 80 % des principes actifs des médicaments matures sont produits en Inde ou en Chine, et sont dans les mains de quelques grands groupes qui peuvent très bien choisir de prioriser leur propre pays en cas de crise.
  2. La France ne produit que peu de médicaments innovants, et son industrie est majoritairement tournée vers des produits vieillissants, peu rentables, et sensibles aux baisses de prix.

 

Il y a seulement quinze ans, la France disposait pourtant du plus beau secteur pharmaceutique d’Europe avec des champions nationaux comme Sanofi. Le pays de Pasteur est désormais relégué à une misérable cinquième place européenne en termes d’ampleur de la production pharmaceutique.

Le nombre d’entreprises du secteur a d’ailleurs baissé de 26 %, passant de 349 à 265 sous l’effet des fusions, des rachats, mais aussi des fermetures. Or, les principaux facteurs de pénuries invoqués par les sociétés elles-mêmes, des capacités de production insuffisantes, des variations immaîtrisées du volume des ventes et des problèmes d’approvisionnement en matières premières, sont liées à l’éloignement des chaines de valeurs.

Comme d’autre fleurons de notre industrie, le secteur a naturellement été soumis à une fiscalité galopante, des coûts du travail importants et une pression normative constante. Mais en la matière, l’État est allé plus loin en administrant plus intensément ce domaine de l’économie via la maîtrise du prix du médicament.

 

Le prix négocié du médicament incite les entreprises à délaisser les produits classiques pour les molécules les plus innovantes et augmente les risques de rupture

Si 50 % des médicaments consommés en France et autorisés avant les années 1990 sont produits sur le sol national, ce chiffre tombe à 9 % pour ceux autorisés entre 2016 et 2021.

Or, 70 % des ruptures concernent les produits anciens, âgés de plus de dix ans, alors que les thérapies innovantes n’en font pratiquement jamais l’objet. À titre d’exemple, 30 % des génériques consommés dans notre pays y sont produits, contre seulement 3 % des anticorps monoclonaux. Nos entreprises produisent ce qui est ancien et peu rentable, et laissent à leurs confrères étrangers les produits innovants à forte marge.

Conséquence majeure : la rentabilité des entreprises françaises du secteur (8,5 %) est bien inférieure à celles de ses consœurs italiennes (16 %), espagnoles (17 %) ou britanniques (19 %).

Plutôt que de tenter de sortir efficacement le secteur de l’ornière, l’État, via le CEPS, a préféré, par facilité et sans tenir compte des intérêts économiques, faire pression sur le prix des médicaments matures. Chaque année, des campagnes de baisses de prix, dont les objectifs sont fixés en loi de financement de la sécurité sociale, sont chargés de s’y employer et y parviennent assez bien : 960 millions d’euros ont été économisés en 2019, 750 millions en 2020 et 640 millions en 2021.

Le CEPS négocie également des remises, c’est-à-dire des rabais sur certains produits qui ont atteint 4,5 milliards d’euros en 2022 contre seulement 460 millions dix ans plus tôt, et applique systématiquement une clause de sauvegarde qui lui permet de prélever une part du chiffre d’affaires des acteurs de la filière, lorsque celui-ci dépasse un montant déterminé en loi de financement de la sécurité sociale. Conçue pour être extraordinaire, la clause est désormais appliquée systématiquement. D’une manière générale, les tarifs trop bas du médicament découragent les entreprises nationales d’en produire, et les entreprises étrangères de venir en vendre en France.

En effet, sous la pression des molécules innovantes, les dépenses hors taxes sur le médicament en ville et à l’hôpital sont en constante augmentation : 32,1 milliards d’euros en 2022 contre 24,5 milliards en 2014, mettant en danger les comptes de l’Assurance maladie.

Ce modèle de surrégulation peut toutefois conduire à une perte de rentabilité pour les acteurs de la filière, voire à ce qu’un produit soit vendu à perte, les motivant assez peu pour continuer à intervenir sur le marché hexagonal. Selon l’Académie de médecine, 71 % seraient prêts ou ont déjà arrêté la commercialisation de certains produits, trop âgés et peu rentables. Sanofi, par exemple, confirme vouloir cesser la production de sept principes actifs en France sur les quarante-cinq qu’elle détient pour se concentrer notamment sur l’immuno-inflammation, l’hématologie, les vaccins et la cancérologie.

La combinaison de l’ensemble des contraintes publiques brisant la rationalité du marché a conduit la filière de production du médicament en France à se tourner majoritairement vers l’exportation et à délaisser l’innovation au détriment de sa propre compétitivité.

Contrainte de tous les côtés, l’industrie pharmaceutique française n’a eu d’autre choix que de délocaliser ou d’accepter de sombrer petit à petit, facilitant d’autant les pénuries que les médicaments ne sont plus produits sur le territoire national. Outre un choc de compétitivité salvateur que nous pouvons recommander pour l’ensemble de l’industrie, il est nécessaire de libéraliser progressivement le prix du médicament, ce qui permettrait au fabricant de retrouver un minimum de rentabilité et, pour l’assurance maladie, de s’adosser au secteur privé pour prendre en charge l’inflation de ses coûts.

Sur le web.

La culture en péril (13) – Joseph Roth, « L’autodafé de l’esprit »

Joseph Roth est un écrivain et journaliste austro-hongrois du début du XXe siècle. Témoin de la Première Guerre mondiale, puis de la montée du nazisme, il assiste à la destruction des livres, dont les siens, à l’arrivée des nazis au pouvoir en 1933. Il s’exile alors à Paris, où il meurt prématurément six ans plus tard à 44 ans, malade, alcoolique et sans argent.

Dans ce très court fascicule qui est la reproduction de l’un de ses articles, il se penche sur le péril représenté par les autodafés, une forme extrême de censure qui préfigure des destructions plus vastes et des massacres d’individus.

 

L’origine de « L’autodafé de l’esprit »

Le contexte de cet écrit est présenté à la fin du recueil. Son origine se situe à la suite immédiate de l’autodafé géant du 10 mai 1933 sur la place de l’Opéra de Berlin, réalisé avec l’appui des Sections d’Assaut, sous l’impulsion du ministre de la Propagande et de l’Instruction publique Joseph Goebbels. Vingt mille livres d’écrivains juifs furent brûlés, tandis que la même chose se produisait simultanément dans vingt autres villes allemandes, suivie par d’autres encore le 21 juin.

Depuis son exil parisien, Joseph Roth réagit aussitôt, se lançant sous pseudonyme dans la contre-propagande, en écrivant ce texte en français, afin d’éviter la censure et les menaces sur son intégrité. Il entend défendre la culture allemande mais aussi européenne contre cette purge.

Mais il n’avait pas attendu ce jour pour mettre en garde, dès les années 1920, contre un monde en train de disparaître. Notamment à partir de 1925, où il devient envoyé spécial du journal libéral Frankfurter Zeitung.

 

La destruction de l’esprit

L’écrivain évoque dès le début de son écrit la « capitulation honteuse » dont a fait preuve l’Europe spirituelle de l’époque, « par faiblesse, par paresse, par indifférence, par inconscience… ». Car « peu d’observateurs dans le monde semblent [alors] se rendre compte de ce que signifient l’auto-da-fé des livres, l’expulsion des juifs et toutes les autres tentatives forcenées du Troisième Reich pour détruire l’esprit ». Toujours cet aveuglement et cette peur qui gouverne tout, à différentes époques.

Joseph Roth analyse – en prenant le recul du passé – comment on sentait poindre depuis longtemps déjà, sous le Reich prussien de Bismarck, ce sentiment moral d’exil des écrivains allemands (tout au moins de ceux qui demeuraient « libres et indépendants ») face à la prédominance de l’autorité physique, matérialiste et militaire sur la vie spirituelle.

Qui préfigurait, par son hostilité à l’esprit, à l’humanisme et aux religions juives et chrétiennes, ce qui allait advenir aux livres. Il s’en prend ainsi à ceux qu’il nomme les « Juifs de l’Empereur Guillaume », qui se sont selon lui fourvoyés en se soumettant à Bismarck plutôt que de s’allier « au véritable esprit allemand ». Allant jusqu’à dominer depuis 1900 la vie artistique de l’Allemagne.

 

Le simple commencement de la destruction

Au moment où Joseph Roth écrit, l’Europe n’est pas encore à feu et à sang. Pourtant, par son évocation de l’antisémitisme et de tous ceux – pas seulement juifs – qui représentent l’esprit européen, la littérature allemande et le fleuron du monde intellectuel de l’époque, il montre que c’est non seulement la civilisation européenne qui court vers la destruction avec l’arrivée d’Hitler au pouvoir, mais au-delà ce sont le droit, la justice, puis l’Europe entière qui menacent d’être ravagés par la barbarie, puis la destruction totale. Jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien du monde d’hier. Il ne se trompait pas… Même s’il n’a pas vu se produire ce qu’il avait prophétisé.

Cet écrit est, en définitive, la mémoire d’une époque révolue, de ce que des écrivains et intellectuels – en particulier juifs allemands – ont apporté à la culture, à la civilisation, à l’esprit européen le plus évolué, avant que l’Europe et le monde ne soient mis à feu et à sang. En remontant aux autodafés, il montre comment la destruction de la culture, bastion de la civilisation, est toujours le point de départ de l’offensive destructrice contre celle-ci, remplacée par les pires totalitarismes.

La culture qui – à l’instar de ce que montrera Milan Kundera plus tard dans un autre contexte – peut aussi constituer un îlot de résistance salvateur

 

Joseph Roth, L’autodafé de l’esprit, Editions Allia, mai 2019, 48 pages.

_________

À lire aussi :

L’Occident : menacé de l’extérieur et rongé de l’intérieur

La civilisation occidentale est désormais considérée comme l’adversaire par de nombreux pays, mais aussi par des formations politiques de gauche ou de droite implantées dans les pays occidentaux.

Le dernier exemple est récent : l’alliance objective entre le fondamentalisme islamique et la gauche anti-occidentale européenne et américaine, apparue au grand jour avec la nouvelle guerre israélo-palestinienne. Certains évoquent une guerre des civilisations, mais peu importe la terminologie.

La civilisation occidentale et ses valeurs sont rejetées plus clairement aujourd’hui que naguère. Ses adversaires ne se cachent plus sous le masque du communisme libérateur, ils s’affichent comme ennemis acharnés de la liberté.

 

Relations internationales : les prétendants à la succession de l’Occident se bousculent

Rien de surprenant à cet égard dans le cadre des relations internationales, qui sont essentiellement des joutes de puissances. Pour employer la terminologie actuelle, floue mais évocatrice, le Sud global s’oppose à l’Occident global. La domination occidentale sur le monde ayant été remplacée depuis un demi-siècle par une compétition dans tous les domaines, il est tout à fait logique que l’ancien dominant soit la cible des nouveaux prétendants à la domination.

L’Occident conserve une puissance économique et militaire considérable, mais sous l’égide en particulier de la Chine, de la Russie, de la Turquie, de l’Iran, de l’Arabie Saoudite, des alliances sont envisagées pour prendre position face à l’avenir. Le multilatéralisme patine, l’impuissance de l’ONU et de l’OMC étant l’élément emblématique de cet échec dans les domaines politique et économique. L’ONU devient tout simplement une SDN bis. Il en résulte que le monde du XXIe siècle est un monde instable dans lequel chaque puissance tente sa chance.

L’Occident représente le noyau dur de la démocratie libérale. Les nouveaux prétendants au leadership mondial sont des autocraties, voire des théocraties comme l’Iran. L’enjeu est donc considérable, puisqu’il s’agit ni plus ni moins de savoir si le principe majeur de la civilisation occidentale, l’autonomie de l’individu, persistera dans l’avenir à long terme. Il n’existe dans aucun des États précités, où la liberté individuelle est un mal à combattre. Retournerons-nous vers un monde de l’hétéronomie ? Les Lumières vont-elles s’éteindre ?

 

Les ennemis de l’intérieur

La question mérite d’autant plus d’être posée que la civilisation occidentale doute désormais d’elle-même.

Au monde d’hier, celui de la rareté et de la servitude, l’ingéniosité occidentale a substitué un monde de l’abondance matérielle et de la liberté individuelle. Toute l’humanité ne profite pas encore des bienfaits de cette évolution, mais tous les hommes y aspirent. C’est à ce moment de notre histoire que des doutes apparaissent en Occident. Avons-nous surexploité et dégradé la nature ? Notre liberté n’est-elle que le paravent commode masquant notre soif de puissance ?

Ces questions méritent d’être posées. Mais dans nos démocraties, la liberté d’expression permet de les instrumentaliser en vue d’une exploitation purement politicienne. L’objectif est d’accéder au pouvoir en discréditant l’adversaire par tous les moyens. Le catastrophisme écologiste, le racialisme woke, le féminisme radical, le nationalisme passéiste, l’antisionisme et l’antisémitisme haineux reposent de toute évidence sur des affects négatifs manipulés sans vergogne par quelques leaders. Trop heureux de disposer de réseaux sociaux permettant de diffuser le mensonge à la vitesse de la lumière, ces derniers ne pensent qu’à la conquête du pouvoir.

La gauche de la gauche et la droite de la droite se rejoignent à cet égard dans leur hostilité à la démocratie. Démagogie et autoritarisme les caractérisent, ce qui n’a rien de nouveau historiquement. La France insoumise, Alternative für Deutschland, le Parti du Travail de Belgique, le Lega italienne, Podemos en Espagne, parmi bien d’autres, représentent ce « populisme » dangereux, haineux et antisémite. Il faut y ajouter les tendances extrémistes des partis américains : le trumpisme chez les conservateurs, le wokisme chez les démocrates. L’ennemi de l’intérieur est donc bien implanté dans tout le monde occidental. Le ver est dans le fruit.

 

Le destin des Hommes est dans la transmission

Depuis le XVIIIe siècle et l’avènement de la liberté, les modérés ont accepté le dialogue et les compromis nécessaires à la gouvernance des sociétés complexes. Les extrémistes ont toujours tablé sur le radicalisme et les promesses révolutionnaires pour tromper les naïfs et accaparer le pouvoir. Mais on ne bâtit qu’à partir de ce que les générations antérieures nous transmettent. Il n’y a ni table rase ni société nouvelle dans l’histoire de l’humanité. Ce ne sont là que des affabulations de leaders politiques assoiffés de pouvoir. Les sociétés humaines se transforment en profondeur dans la continuité.

Il est donc important de bien comprendre ce qu’est l’Occident : la civilisation qui a inventé au XVIIIe siècle l’autonomie de l’individu, et par suite la liberté politique, la liberté d’entreprendre et la démocratie.

Si nous laissons cet héritage inestimable dépérir, nous retomberons dans la servitude ancestrale. Le lot de chaque homme sera alors l’hétéronomie, la dépendance complète à l’égard du pouvoir politique et d’une religion ou d’une idéologie officielle. Voulons-nous devenir des Iraniens soumis aux ayatollahs, des Russes résignés devant la dictature mafieuse de Poutine, des Chinois asservis au Parti communiste ?

Les Occidentaux répondent négativement à cette question dans leur écrasante majorité.

Mais tous n’ont pas conscience qu’en votant pour le radicalisme politique de droite ou de gauche, ils précarisent la démocratie. Certes, il n’existe pas de société démocratique sans radicalisme politique. Les révolutionnaires ou les nostalgiques d’un passé révolu ont toujours existé. S’ils représentent seulement une marge d’extrême gauche ou d’extrême droite, les partis politiques de ce type jouent d’ailleurs un rôle positif en encadrant les insatisfaits pathologiques et en les empêchant parfois de dériver vers le terrorisme. Mais aujourd’hui, en Occident, ces partis sont à la porte du pouvoir et l’ont parfois conquis. La présidence de Donald Trump fut à cet égard un coup de semonce terrifiant.

Si notre belle civilisation occidentale doit se poser des questions fondamentales concernant l’écologie et la démocratie, elle doit le faire avec la raison et le dialogue. Notre savoir-faire productif, notre État de droit, nos libertés représentent le legs de nos ancêtres, auxquels nous devons un immense respect. Ils n’avaient que leurs mains et leur courage, et ils ont pourtant bâti notre monde. Ils n’avaient que nous-mêmes comme ultime espoir, car ils regardaient l’avenir avec les yeux des enfants heureux. Ne les trahissons pas.

Le complexe de l’industrie (8/8) – 12 recommandations pour enrayer la décomposition

Une traduction d’un article du Risk-Monger.

Pour lire les parties précédentes : partie 1, partie 2, partie 3, partie 4, partie 5, partie 6, partie 7.

Au cours de ma vie, les sociétés occidentales ont bénéficié d’innovations qui ont immensément amélioré la santé publique et la qualité de la vie ainsi que le progrès économique et social, la sécurité alimentaire et énergétique ; et aussi de technologies qui ont assuré une aisance bien au-delà de celle dont nos grands-parents auraient jamais rêvé. Et en dehors de l’Occident, le commerce mondial et les transferts de technologie ont amené des opportunités économiques et le développement social à des nations autrefois pauvres. Et pourtant, les entreprises et les individus qui ont pris des risques et réalisé ces avancées sont largement méprisés par un grand nombre d’influenceurs militants, de parties prenantes, de discoureurs et de décideurs politiques.

Il y a presque un an, j’ai commencé cette série d’articles sur la manière dont l’industrie paye un lourd tribut en termes de confiance du public et d’équité réglementaire en raison d’une stratégie de campagne agressive coordonnée ONG / militants / politiques. Je l’ai appelée « le complexe de l’industrie » parce que je n’arrivais pas comprendre pourquoi l’industrie ne réagissait pas à ces absurdités, et que tous les remèdes à la perte de la confiance du public devenaient plus complexes de jour en jour.

Le « complexe de l’industrie » comportait sept chapitres qui ont posé des questions qui fâchent.

Pourquoi les dirigeants de l’industrie n’ont-ils pas réagi, mais se sont-ils contentés de rester assis, comme le zèbre pas-tout-à-fait-le-plus-lent, alors que les militants anti-industrie appliquaient la même stratégie de tabassage à chaque industrie ?

Pourquoi ont-ils toléré qu’une industrie de la haine anticapitaliste contrôle le discours (qui s’est transformé en un massacre de communication bien coordonné) et détruise la confiance du public envers les entreprises ?

Pourquoi ont-ils permis à une idéologie post-industrielle naïve de se répandre dans le cadre des médias, de la politique et de la réglementation, à un point tel que l’industrie a été vilipendée et n’est plus en mesure de fonctionner dans les limites irréalistes que les gouvernements occidentaux ont créées ?

L’industrie est maintenant dans une cage bien verrouillée par un petit groupe de militants idéalistes anti-entreprises. Comment sortir de la cage ? Après sept chapitres de questions, cette conclusion tentera de fournir quelques recommandations.

 

Musclez votre discours

Au fond, le complexe de l’industrie est une crise narrative.

Les campagnes de communication réussissent si elles suivent sans faillir le discours principal. Un discours est un panier largement accepté de valeurs partagées, d’idéaux et de croyances qui façonnent les histoires que nous racontons. Les discours évoluent souvent après des générations de narration, mais peuvent parfois changer soudainement lors d’un événement extrême (une guerre, un effondrement du marché, un accident nucléaire…).

Les discours n’ont pas besoin de refléter des faits, mais ils doivent accorder les valeurs avec les perceptions. Parmi les discours dominants que les sociétés occidentales partagent actuellement on trouve le changement climatique catastrophique, l’effondrement de la biodiversité et le déclin de la santé publique. Les histoires racontées avec ces discours désignent toutes l’industrie comme la cause de ces crises. La confiance du public est étroitement associée aux héros de ces discours (les chevaliers blancs) qui combattent les méchants dissimulés sous leurs masques (l’industrie et le capitalisme).

Les discours des militants sont dirigés par la peur et la crise : selon eux, ce que l’industrie et le capitalisme ont fait à l’humanité et à l’environnement est tout simplement catastrophique.

Les histoires qui soutiennent ces discours portent généralement sur la façon dont la pollution industrielle et l’exploitation technocratique sont responsables de cette dégradation de l’environnement, de la santé humaine et des valeurs. Dans tout dialogue sociétal, il existe des discours concurrents, mais ceux qui prévalent, au fil du temps, dominent les politiques et les décisions des consommateurs.

Pourquoi les consommateurs pensent-ils que les aliments bios sont meilleurs, que l’énergie nucléaire est dangereuse, et que les produits chimiques sont mauvais ? Les histoires basées sur un discours d’innovation et de technologie résolvant des problèmes mondiaux ne parlent pas à un public qui a été amené à ne pas faire confiance aux institutions de recherche qui ont toujours le rôle des méchants et des pervers. Le message tombe dans l’oreille d’un sourd s’il ne colle pas avec les discours dominants.

Les ONG et les militants de la justice sociale ont consacré une énergie énorme à développer et à renforcer leurs discours tout en contrant activement les discours concurrents. C’est un processus long et patient, et leur coordination intensive a fini par payer. Les ONG travaillent maintenant avec des avocats américains en responsabilité civile et un petit groupe de scientifiques militants pour remodeler les histoires sur la façon dont la recherche et l’innovation devraient être menées. J’ai récemment montré comment quelques avocats spécialisés en responsabilité civile ont financé un film sur la façon dont ils sont les gentils qui se battent pour sauver l’humanité d’une industrie maléfique.

Les discours, comme les paradigmes, ne sont pas logiques mais composent le canevas (la toile) sur lequel nos histoires peuvent être brodées et nos valeurs acceptées. Les croyances façonnées par les discours des militants nous assurent que nous pouvons très bien nous passer du capitalisme, des technologies, des innovations et du commerce international. L’humanité n’aurait aucun problème à prospérer sans l’agriculture moderne ou les combustibles fossiles. Le naturel est toujours bon et le synthétique est a priori mauvais… un point c’est tout ! Les scientifiques et les acteurs industriels sont les forces du mal dans ce discours anticapitaliste avec des malédictions inattendues qui s’échappent de leurs laboratoires.

Les décideurs politiques, les journalistes et les acteurs sociaux qui ne respectent pas ces discours sociétaux dominants ont des carrières courtes. Et donc ils ignorent les solutions technologiques prometteuses à des problèmes comme le changement climatique, choisissant de renforcer les histoires sur la manière dont nous devons cesser de compter sur les innovations, freiner la croissance et le développement, et prendre des mesures de précaution.

Mais les discours évoluent avec les événements.

Après deux ans de confinements liés au coronavirus, la promotion des nouvelles technologies de vaccins à ARNm a été largement acceptée. Le discours antivax était faible pour une population prête à accepter n’importe quel risque si cela signifiait qu’elle pouvait retourner au bistrot (les taux de vaccination ont donc été très élevés). Près de 18 mois après l’invasion russe de l’Ukraine, avec l’inflation nuisant à la plupart des pays européens, le public occidental, autrefois aisé, s’est montré assez ouvert à l’augmentation de la production d’énergie nucléaire et à combustible fossile, adoptant une position plus rationnelle envers une transition énergétique plus graduelle et moins coûteuse.

 

Le pendule des technologies de communication

Je garde également espoir que les récentes révolutions des technologies de la communication (Internet, médias sociaux, IA) et les bouleversements sociétaux qu’elles apportent finiront par rétablir un équilibre à mesure que les gens se rendront compte que les déclarations de leurs chambres d’écho peuvent être ni factuelles ni dignes de confiance.

J’ai écrit par ailleurs comment chaque révolution des technologies de communication a entraîné des tensions importantes sur les institutions dominantes de l’époque (l’imprimerie menant à la Réforme protestante ; le cinéma et la radio permettant l’extrémisme politique et la propagande dans les années 1930 ; le consumérisme de masse émergeant de l’ère de la télévision des années 1950). Il n’y a jamais eu de révolution des technologies de la communication aussi importante que la numérisation et la mise en réseaux sociaux de toutes les informations.

À un moment donné, ces silos d’intolérance sur les réseaux sociaux cesseront de défier les institutions démocratiques et disparaîtront dans le bruit de fond. Mais nous devrons peut-être endurer quelques décennies d’extrémisme politique lorsque des robots d’IA personnifiés prendront le contrôle des prochains cycles électoraux dans les pays démocratiques.

Nous ne pouvons pas compter sur le hasard des événements pour sauver les innovateurs et les scientifiques des conséquences des discours hostiles et de l’extrémisme détruisant la confiance du public. Et s’appuyer sur les conséquences négatives du fascisme, des famines et des crises énergétiques pour (en fin de compte) libérer l’humanité d’une telle irrationalité est, eh bien, affreux. Les scientifiques et les innovateurs doivent apprendre de cette époque militante et jouer à long terme, comme les ONG l’ont fait, en accordant leurs messages sur plusieurs fronts pour composer un discours public plus fort sur ce que la recherche et la technologie ont fait et continueront de faire pour l’humanité. La confiance repose sur des valeurs, les scientifiques doivent donc exprimer leurs valeurs dans leurs histoires.

Il y a beaucoup d’histoires à raconter sur la manière dont la science, la technologie et le capitalisme ont rendu notre monde tellement meilleur. Mais si le récit public ne permet pas à ces histoires d’être entendues plus largement, alors les militants anti-technologie gagneront.

Est-il temps de contre-attaquer ? Cette série plutôt longue sur le complexe de l’industrie se terminera par 12 recommandations à l’industrie pour reconquérir le discours, arrêter la perte constante de confiance du public et remettre l’innovation et la technologie au cœur de ce que signifie être humain. Tous ces points ne s’appliqueront pas à toutes les industries en difficulté mais il y aura, espérons-le, de quoi relever le niveau afin que les industries aient ce débat en interne.

Voici 12 recommandations pour stopper le complexe de l’industrie.

 

1. Serrez-vous les coudes

L’un des principaux succès de communication du lobbying militant des ONG est de toujours parler d’une seule voix. Ils se joignent à eux lorsque d’autres groupes mènent des campagnes (même si elles ne sont pas liées à leurs propres objectifs), ne critiquent jamais publiquement d’autres points de vue (aussi atroces soient-ils) et amplifient leur nombre pour donner l’impression d’un front large et fort. L’industrie ne le fait pas, et même lorsqu’une industrie (ou, généralement, une entreprise) est attaquée sans relâche, les autres restent silencieuses plutôt que de rester unies pour riposter.

Attaquer l’industrie, répandre la peur et créer la méfiance sont des cibles faciles pour les groupes d’ONG qui profitent de la crainte et de l’indignation. Ils ne peuvent pas attaquer un produit sur des faits scientifiques, sa qualité ou son efficacité, alors ils l’attaquent comme un produit qui vient gonfler les bénéfices de Big Pharma, Big Oil, le cartel de l’industrie chimique… et le public gobe ça (en même temps que les produits de ces entreprises).

Et lorsque les militants pointent leurs armes vers une cible, toutes les autres entreprises, comme le zèbre pas-tout-à-fait-le-plus-lent, gardent la tête baissée, reconnaissantes de ne pas être au menu du jour des militants. Sans une réponse coordonnée contre ces artistes du dénigrement, le public se laisse convaincre par leur rhétorique. L’industrie doit retirer une des armes de la panoplie des militants et se tenir unie, s’exprimer lorsque (la plupart) des affirmations sont infondées et laisser les hypocrites se vautrer dans la fange de leurs mensonges.

Tant que l’industrie ne sera pas unie pour défendre toutes les entreprises, tant qu’elle ne luttera pas d’une seule voix contre toute accusation infondée, elle sera une proie facile pour les vautours de la confiance qui lui tournent autour.

 

2. Parlez haut et fort

L’industrie peut revendiquer certaines réalisations exceptionnelles au cours du siècle dernier, créant des produits et des procédés qui ont amélioré notre qualité de vie, notre bien-être, notre sécurité, notre santé publique, notre richesse économique et les plaisirs de la détente. Nous vivons mieux et plus longtemps grâce aux innovations et aux technologies qui sont en amélioration continue. Sans l’ingéniosité, l’efficacité et la capacité de l’industrie, nous souffririons encore des confinements liés au covid, et de nombreux autres êtres chers seraient morts.

Pourtant, nous n’entendons parler que des (très rares) revers ou des inégalités que toute technologie disruptive crée à ses débuts. Il est facile pour les critiques de donner une image biaisée de la réalité lorsque les groupes industriels ne répondent pas ou ne font pas face, et ne promeuvent pas leurs réalisations (sauf en interne). L’industrie doit parler haut et fort des avantages quotidiens dont les sociétés ont pu bénéficier grâce à leurs développements entrepreneuriaux et innovants continus.

Surtout après que tant d’entreprises se soient engagées pendant la pandémie pour trouver des solutions et des soulagements, n’est-il pas temps pour l’industrie de de dresser pour revendiquer le mérite de tout ce qu’elle a accompli ?

 

3. Luttez contre l’hypocrisie

Les acteurs de l’industrie sont tellement habitués à être critiqués au quotidien qu’ils restent silencieux, même face à la pure hypocrisie.

De grandes ONG internationales comme Greenpeace ou les Amis de la Terre ne sont pas transparentes, mentent ouvertement et se financent auprès d’acteurs peu scrupuleux, mais de tels comportements restent sans réponse comme si les règles ne s’appliquaient pas à elles. Et apparemment c’est le cas. Les groupes militants ont tellement harcelé la Commission européenne à propos de la consultation des acteurs de l’industrie que l’UE a effectivement imposé une interdiction à ses fonctionnaires de rencontrer des acteurs de l’industrie en dehors des associations professionnelles (mais cela ne s’applique pas aux rencontres avec des représentants d’ONG).

Pendant ce temps, le Parti vert européen utilise les fonds des contribuables pour que les ONG mènent des campagnes à partir du Parlement européen (et seul le Risk-Monger essaie de les interpeller pour cela). Dans le cas du dérisoire document du Pesticide Action Network sur le glyphosate, il ne s’agit pas tant de la mauvaise qualité de la recherche ou du fait qu’ils ont fait venir tant de militants à Bruxelles pour une semaine de campagnes et d’auditions au Parlement européen, mais qu’ils l’ont fait aux frais des contribuables européens grâce aux fonctionnaires du Parti vert européen. Si l’industrie tentait un tel numéro, l’enfer se déchaînerait.

L’industrie devrait s’exprimer pour exiger les mêmes règles et restrictions pour tout le monde, plutôt que de laisser les ONG avoir le champ libre dans l’arène politique. Au lieu de cela, ces petits putois rusés tentent d’interdire aux acteurs de l’industrie d’être juste présents au Parlement européen. Ils ont fait ça aux compagnies de produits chimiques et de tabac, alors pourquoi pas les autres ? Big Oil est le prochain zèbre le plus lent. Quand donc l’industrie se réveillera-t-elle toute et comprendra que cette stratégie s’applique à tous. L’industrie n’est pas la bienvenue.

 

4. Exigez de tous les acteurs des codes de bonne conduite

Lorsque j’ai rejoint Solvay, à l’époque une entreprise chimique et pharmaceutique belge, l’une des premières choses que j’ai faites a été de signer un code de bonne conduite. Compte tenu de ma formation universitaire, j’ai trouvé beaucoup d’intérêt à ce document, et j’ai été très impressionné. Les entreprises ne peuvent pas se permettre que leurs employés se comportent mal, non seulement pour des raisons de relations publiques mais aussi pour des raisons juridiques, et elles appliquent régulièrement, sinon discrètement, ces codes. Je n’ai jamais signé de code de bonne conduite dans mon université, et il est clair que ce que j’ai vu mon patron faire à des étudiantes a été une raison suffisante pour que je parte.

La plupart des ONG n’ont pas de code de bonne conduite – en fait, elles se réjouissent lorsque leurs militants enfreignent les lois, attaquent les autres ou induisent le public en erreur. Il y a une dizaine d’années, j’ai mis Greenpeace au défi d’arrêter leur hypocrisie et de développer un code, et finalement ils l’ont fait ! Mais même là il s’agit d’un vague ensemble de pontifications plutôt que de règles pour guider les actions de leurs équipes. Peu d’autres ONG se sont souciées d’en faire autant et beaucoup, comme Extinction Rebellion ou Just Stop Oil, se félicitent lorsque leurs militants enfreignent la loi.

 

5.  Reprenez le contrôle du discours

De nombreux partis de gauche en Occident ont utilisé la crise climatique comme une opportunité pour appeler à une désindustrialisation, abandonner le capitalisme, faire reculer la croissance économique et redéfinir la prospérité. « Pas de temps à perdre ! » C’est quelque chose qu’ils ne peuvent revendiquer qu’en raison de la richesse que l’industrie, le commerce international et le capitalisme ont apporté aux sociétés occidentales. Des points de vues comme cellui de Naomi Klein, selon laquelle nous ne pouvons pas avoir à la fois le capitalisme et lutter contre le changement climatique (par conséquent, pour sauver la planète, nous devons virer fortement vers la gauche). D’autres, du WEF à la Commission européenne, parlent de la remise à zéro du capitalisme ou de la décroissance comme si c’était la seule alternative.

C’est de la folie. L’atténuation du changement climatique ne peut être obtenue efficacement par une solution militante de précaution et la réduction de toute activité humaine. Comme pour d’autres crises observées dans le passé, nous devons trouver des solutions technologiques et des innovations, et pour ce faire nous avons besoin de l’industrie, d’entrepreneurs et d’investissements en capital. Ce discours est rarement entendu (à moins qu’il y ait une pandémie ou une crise sanitaire où l’on voit ces mêmes acteurs sociaux critiques implorer l’industrie de trouver une solution).

 

6. Refusez de participer à la guerre culturelle

L’industrie et le capitalisme ont été dépeints comme une malédiction de mâles blancs d’âge moyen envers l’humanité, créant une souffrance mondiale au profit de quelques-uns.

De nombreux groupes d’activistes, des Amis de la Terre à Greenpeace, ont endossé des causes de justice sociale allant des droits des femmes à la diversité raciale dans le cadre de leur lutte contre l’industrie et le capitalisme ; les agro-écologistes ont transformé le développement rural en une lutte de petits paysans contre des grandes entreprises ; Big Pharma est considérée comme négligeant les maladies des femmes et ne cherchant que des solutions rentables pour l’establishment médical occidental…

L’industrie doit raconter de nouveau son histoire, comment elle a trouvé des solutions pour les plus vulnérables, et comment elle a innové en tant que leader de la justice sociale. Des entreprises privées comme Solvay et J&J ont été les premières à garantir des pensions de retraite à leurs travailleurs, des semaines de travail plus courtes, des congés de maternité… Les entreprises figurent parmi les principaux donateurs d’aide, que ce soit via des médicaments aux pays en développement, des paiements monétaires, des écoles ou des projets d’infrastructure. Les ONG anti-industrie qui parlent beaucoup de justice sociale font peu en comparaison (au contraire, beaucoup d’entre elles pompent des finances publiques pour leurs salaires).

Pourquoi l’industrie a-t-elle permis à ces mécontents de leur voler la justice et de draper leur intolérance dans la vertu ?

 

7. Défendez la bonne science

Les entreprises industrielles dépensent des milliards pour investir dans les nouvelles technologies. Leurs travaux scientifiques doivent être corrects, ne serait-ce que pour des raisons existentielles. Leur engagement envers les bonnes pratiques de laboratoire (BPL) et la recherche responsable sont des éléments clés de leur stratégie d’innovation. Aujourd’hui, je ne peux pas imaginer une entreprise ou une industrie qui ne pratique pas la conception durable dans son approche de la recherche (une évolution de la culture de gestion de produits qui a façonné la RSE dans les années 1990).

Cinq ans de travail dans un campus de recherche d’entreprise attestent que les entreprises paient le prix fort pour faire venir les meilleurs scientifiques des programmes d’études supérieures et s’efforcent de leur fournir les moyens de développer une recherche de pointe. L’enjeu d’une bonne méthodologie est tel que l’intégrité de la recherche est gravée dans leurs codes de bonne conduite. Alors pourquoi est-ce que j’entends constamment dire que les résultats de la recherche ne sont pas fiables parce qu’ils sont soit basés sur l’industrie, soit financés par l’industrie ? Ces chercheurs de second ordre sont-ils toujours aussi aigris que leurs anciens camarades de classe aient obtenu de bons emplois et pas eux ?

 

8. Dénoncez la science militante

De leur côté, les scientifiques militants n’existent que pour essayer de créer le doute et la méfiance envers l’innovation.

Il n’y a aucune conséquence si ces tumeurs malignes de la communauté de la recherche font du picorage ou induisent le public en erreur — elles sont payées pour le faire et dans une nette majorité des cas, leurs affirmations sont fausses et finalement réfutées (non sans créer d’abord l’inquiétude et une perte de confiance dans les innovations de la recherche). Lorsque les militants essaient d’ignorer les résultats de la recherche industrielle simplement parce qu’elle est financée par l’industrie, ou lorsqu’ils essaient de discréditer des chercheurs distingués pour avoir travaillé avec l’industrie, il est temps que la communauté scientifique se dresse pour remette les pendules à l’heure.

Mais les dirigeants industriels ne dénoncent pas les pires scientifiques les plus corrompus. Ce blog a récemment montré comment un groupe de scientifiques de la réglementation anti-industrie à la retraite s’est réuni autour d’un organisme à but non lucratif axé sur les relations publiques appelé Collège Ramazzini, prenant de l’argent de dommages-intérêts des cabinets d’avocats américains en responsabilité civile poursuivant des entreprises sur la base d’allégations trompeuses qu’ils font via des canaux malléables d’influence comme le CIRC. Au lieu de cela, les entreprises transigent à l’amiable avec ces avocats prédateurs, fournissant plus de fonds pour plus de fabrication de preuves par ces lamentables scientifiques militants.

Avec le succès des ONG qui ont fait supprimer le poste de conseiller scientifique en chef auprès de l’Union européenne, il n’y a pas de voix forte pour la science dans le processus réglementaire de l’UE, de sorte que nous voyons des politiques basées sur des idéologies ambitieuses plutôt que sur la science. L’industrie doit s’exprimer en faveur d’un retour à des politiques fondées sur des données probantes appuyées sur les meilleures données scientifiques disponibles.

J’ai, avec d’autres, appelé à la création d’une sorte d’organisation scientifique bruxelloise qui puisse défendre la culture scientifique et les preuves issues de la recherche dans le cadre du processus réglementaire.

 

9. Adoptez la politique de la chaise vide

L’industrie s’en tient toujours à sa stratégie RSE des années 1990, selon laquelle le dialogue avec les parties prenantes est le meilleur moyen de gagner la confiance du public.

Écoutez et dialoguez avec ceux qui ont d’autres points de vue, et ils prendront également en compte vos points de vue, créant ainsi une atmosphère propice à un meilleur dialogue dans la démarche réglementaire. Quel tombereau de baratin cela s’est révélé être. En laissant les militants s’asseoir à table, la première chose qu’ils ont fait a été de s’efforcer d’exclure l’industrie de la salle avant de manger leur repas.

À Bruxelles dans les années 2000, les militants des ONG ont menacé de se retirer des processus participatifs tels que les plateformes technologiques européennes (ETP) à moins qu’on les écoute plus, qu’on leur donne plus d’argent et que l’industrie soit moins impliquée. L’industrie a rapidement perdu sa voix dans la démarche réglementaire, alors que les militants continuaient de discréditer les entreprises, leur interdisant souvent de rencontrer les décideurs politiques, ou même d’être autorisés à pénétrer dans des institutions comme le Parlement européen. Et personne dans l’industrie ne s’exprime lorsque d’autres industries sont attaquées ou interdites. C’est honteux.

L’industrie doit cesser de se laisser malmener par la Commission européenne et les ONG. Comme la menace des ONG de quitter les ETP, l’industrie devrait être prête à se retirer de la démarche réglementaire de l’UE jusqu’à ce que sa voix soit également prise en compte, jusqu’à ce que les règles de lobbying soient appliquées équitablement à toutes les parties, et jusqu’à ce que les ONG soient également tenues responsables de leurs mensonges et de leurs campagnes de peur. La démarche réglementaire de Bruxelles repose sur une procédure de consultation des parties prenantes ; si l’industrie refuse de jouer le jeu lorsque les règles sont contre elle, Bruxelles risque de se délégitimer (encore plus). Si l’industrie se retire, les acteurs de la réglementation seront obligés d’être équitables.

Bien sûr, les associations professionnelles européennes existent pour être cette voix à Bruxelles, donc l’initiative ne viendra jamais de ceux qui vendent encore le mantra « l’engagement est la clé ». Les leaders de l’industrie doivent se demander d’où vient la cause profonde de ce problème.

 

10. Soyez exigeant envers les acteurs de la réglementation

La démarche réglementaire (en particulier à Bruxelles) doit changer.

Le simple recours au principe de précaution et à une approche basée sur les dangers a conduit à l’incapacité des décideurs à gérer les risques. La précaution est un outil qui doit être appliqué lorsque la démarche de gestion des risques a échoué, et non à la place de l’ensemble de la démarche. L’industrie devrait abandonner la démarche réglementaire de l’UE jusqu’à ce que la Commission publie un livre blanc sur la gestion des risques. Il faut également une délimitation claire de quand et comment des approches basées sur les dangers doivent ou ne doivent pas être utilisées.

Les 7 étapes de la gestion des risques :

  1. Élaboration de scénarios. Envisager et dérouler toutes les options.
  2. Évaluation des risques. Collecter et affiner les données et les observations.
  3. Analyse des risques. Évaluer les données en termes d’avantages et de conséquences.
  4. Réduction des risques. Identifier les groupes vulnérables et réduire leur exposition.
  5. Publication des risques. Informer le public sur les risques et les moyens de protection : construire la confiance, donner au public les moyens d’agir.
  6. Aussi bas que raisonnablement atteignable. Réduire l’exposition autant que possible dans le respect du bien-être sociétal.
  7. Amélioration continue. Réduire continuellement les niveaux d’exposition afin de bénéficier des avantages avec un meilleur niveau de sûreté.

 

En dernier recours, principe de précaution. Renoncer à tous les avantages ; cette solution ne doit être envisagée que lorsque tout le reste a échoué, et elle devrait être temporaire.

La précaution, interdire toute incertitude et promettre de garder les populations « en sûreté » est en fait assez irresponsable. Il s’agit d’un échec institutionnalisé lorsque l’inaction par précaution met en péril les biens sociétaux, prive les sociétés des avantages, des innovations et des technologies dont elles ont besoin pour bien vivre, prospérer et s’assurer que les générations futures disposent des outils nécessaires pour continuer à trouver des solutions à tous les défis.

Ceux qui plaident pour la précaution plaident aussi pour amener les sociétés « au-delà de la croissance ». Ces gens sont bien nourris, jouissent d’une aisance sans précédent dans l’histoire, et ne se soucient pas de leur avenir économique. Ils sont trop égocentriques pour se rendre compte que la majeure partie de l’humanité ne peut que rêver de la bonne fortune que ces fanatiques ont reçue. L’industrie a fourni d’énormes biens sociétaux, mais il y a encore tant de manques et de besoins, et les voix du monde en développement doivent être amplifiées.

 

11. Félicitez les leaders

Il y a très peu de vrais leaders aujourd’hui dans les administrations.

La plupart prétendent pratiquer la politique de la vertu, l’inclusion et la recherche de consensus, ce qui, ironiquement, crée une société plus clivante, intolérante et inégale. Les leaders dirigent en gagnant la confiance, en inspirant et en étant des modèles. Les chefs d’entreprise ont gravi les échelons en présentant ces traits (… à moins d’être des sociopathes impitoyables et performants). Lorsque les leaders de l’industrie se mettent la tête dans le sable ou transmettent le leadership public à leurs gratte-papier ESG, le public n’identifie pas les chefs d’entreprise comme des Titans de l’industrie, créant de la valeur et changeant le monde.

L’histoire des Titans de l’entreprise – qui capturent les rêves et suscitent la confiance – est rarement racontée aujourd’hui. Lorsque Jamie Dimon de JP Morgan a un jour laissé entendre à un journaliste qu’il « ne serait pas réticent » à occuper des fonctions publiques, le lendemain, il a reçu des appels de hauts placés pour qu’il se présente à la présidence. (mais où sont les neiges d’antan ???) Il est facile de dépeindre les PDG comme des milliardaires déconnectés et avides s’ils ne montrent pas leurs talents inspirants et ne célèbrent pas leurs réussites.

Le complexe de l’industrie pourrait être traité si les chefs d’entreprise avaient le courage de se dresser pour monter en première ligne. Pour chaque Steve Jobs ou Jeff Bezos qui quitte la scène, nous trouvons des fonctionnaires et des ombres qui ne parviennent pas à être des meneurs. Sans chef d’entreprise à l’avant-plan, les jeunes se laissent inspirer par des influenceurs et des professeurs militants (dont aucun n’est là six mois plus tard).

 

12. Revenez à la realpolitik

La politique ne consiste pas à donner à chacun ce qu’il veut, mais à trouver des solutions pratiques pour que chacun puisse obtenir ce dont il a besoin.

Des décennies d’abondance post-guerre froide en Occident ont créé une forme de gouvernance de luxe et simplifié l’élaboration de la réglementation : toute incertitude ou tout risque pourrait simplement être « évacué par précaution » (nous pourrions simplement importer ce dont nous avons besoin pour l’alimentation et l’énergie, et faire un chèque à quelqu’un d’autre). Mais ce n’est pas le but de la politique et, comme nous avons dilapidé notre prospérité, nous devons revenir à des décisions difficiles, à des solutions pragmatiques et trouver des moyens de minimiser les besoins et les pénuries. Dans les années 1970 et 1980, cela s’appelait realpolitik et le concept doit revenir dans notre discours politique.

Les idéologues militants qui ne supportent pas le risque devront reconnaître que nous avons besoin de technologies innovantes, d’une énergie accessible et d’un certain niveau d’acceptation du risque social. Nous ne pouvons pas faire fonctionner des usines uniquement avec des panneaux solaires sur un toit, ou nourrir le monde avec des haricots bios cultivés sur le rebord de la fenêtre.

L’industrie doit promouvoir cette réalité politique et continuer à proposer des solutions pour réduire l’impact des sacrifices socio-économiques nécessaires.

 

Conclusion

Ces 12 recommandations ne résolvent peut-être pas tous les problèmes de confiance auxquels l’industrie est confrontée aujourd’hui, mais elles offrent un moyen potentiel d’au moins enrayer la décomposition.

Ce sont de bien meilleures réponses que la stratégie de l’autruche que nous voyons actuellement et qui n’a fait qu’aggraver le complexe de l’industrie. Il faut de la force pour essayer d’être raisonnable avec des irrationnels sans scrupule. Il faut du courage pour tenir tête à une bande d’idéologues bien financés communiquant via des campagnes astucieuses et coordonnées et des attaques personnelles.

Mais sans un tel leadership, quel avenir aura l’industrie ? Quel avenir auront les sociétés occidentales développées ?

Plaidoyer pour une décentralisation du quotidien : le cas de la Promenade des Anglais

La Promenade des Anglais à Nice est l’une des avenues les plus célèbres au monde, une des promenades les plus fréquentées par les touristes, mais également l’avenue la plus empruntée par les poids lourds de toute la Métropole (jusqu’à 1800 par jour d’après la mairie). En février dernier, un convoi exceptionnel immobilisé sur la Promenade avait totalement bloqué la circulation pendant plus de douze heures. Imagine-t-on l’avenue Montaigne à Paris sous l’assaut incessant de ces mastodontes de la route ? Les impératifs touristiques auraient rapidement amené les autorités publiques à trouver des voies de délestage et à soulager les riverains des nuisances.

Mais les Parisiens ont la chance d’avoir le gouvernement à portée d’engueulade, pas les Niçois. Car ce n’est pas le manque de volontarisme de la ville de Nice qui est en cause, elle a décidé de n’autoriser que les poids lourds Crit’air 1 et 2, mais l’opposition, ou l’indifférence, du ministère des Transports à déclasser la Promenade de la catégorie « route à grande circulation », qui d’après le Code des transports, « quelle que soit leur appartenance domaniale, sont les routes qui permettent d’assurer la continuité des itinéraires principaux ». Nous comprenons bien ici l’opposition des intérêts entre d’une part les riverains niçois mobilisés sur le sujet qui aimeraient préserver leur quotidien de ces nuisances, et l’État qui doit garantir un niveau d’infrastructures satisfaisant pour les besoins de l’activité économique nationale. Pourtant, il est totalement aberrant que ce qui relève d’une particularité hyper locale relève directement du ministre des Transports, occupé par des sujets d’enjeux nationaux par ailleurs.

Le débat local, source de compromis

Voici l’enjeu majeur de la décentralisation : rapprocher le citoyen des décisions qui touchent son quotidien, et elles sont nombreuses, ou plutôt rapprocher le décideur du citoyen, le mettre à portée d’engueulade, pour que le plus grand nombre de citoyens en France bénéficie d’une gestion collective qui corresponde à ses aspirations.

En l’occurrence, les Niçois sont fondés à ne pas être les victimes des externalités négatives du commerce transfrontalier. De plus, en s’éloignant des grands débats idéologiques qui divisent et radicalisent la société, le débat local est une source de compromis. La décentralisation, ce n’est pas l’indépendance, mais c’est tout au moins une forme de liberté des collectivités. Or, cette liberté des collectivités n’existe pas en France en dépit des prétendues lois décentralisatrices.

En premier lieu parce qu’aucune matière n’appartient entièrement aux collectivités territoriales à qui l’État s’est contenté de donner des compétences résiduelles qu’il ne voulait plus voir apparaître à son budget (comme le RSA). Mais surtout parce que les collectivités ne disposent d’aucune ressource fiscale en propre, ce qui réduit d’autant plus leur capacité à prendre des mesures adaptées à leur territoire et la lisibilité des enjeux budgétaires locaux pour le citoyen.

La solution ne réside pas seulement dans une répartition plus claire des compétences.

Les communes, dont les maires ont la confiance des citoyens, devraient être en mesure d’agir en toutes matières, sauf domaine régalien, dès lors qu’elles estiment qu’elles sont plus à même de le faire. Il s’agirait alors d’élargir la clause de compétence générale qui exclut les compétences exclusives des autres échelons (dont l’État) mais qui seraient alors recevable à saisir la justice administrative si elles jugent que la décision locale porte atteinte à l’ordre public ou à un intérêt supérieur.

Ainsi, pour protéger leurs décisions, les communes seraient encouragées à prendre en compte les enjeux qui dépassent leur commune et à trouver des compromis.

Pour revenir à la Promenade des Anglais, la Ville de Nice pourrait alors librement réguler le passage de poids lourds de passage sur la promenade, y compris les convois exceptionnels. Si l’État estimait que la mesure est disproportionnée au regard du but poursuivi, et qu’un intérêt national se voit remis en cause, il pourrait saisir la justice administrative.

Cette proposition est radicale, mais c’est ce dont les Français sont en mal, et qu’ils confondent trop souvent avec le populisme. Pour recréer de l’appétence pour le consensus, revitalisons la démocratie locale !

La France face au défi de la réindustrialisation

Le pays est secoué régulièrement par des spasmes révolutionnaires violents. Son économie réalise depuis une quarantaine d’années des performances inférieures à celles des autres pays européens. Sa balance commerciale est en permanence déficitaire, et sa dette extérieure croît régulièrement, d’année en année. La dette est maintenant supérieure au montant du PIB.

Tous ces phénomènes ne peuvent manquer d’être inquiétants.

Aussi les pouvoirs publics attendent-ils avec angoisse le verdict de l’Agence Standard and Poor’s qui doit se prononcer le 1er décembre prochain. Fitch, qui avait rétrogradé par deux fois la note de la France, a maintenu tout récemment notre pays à AA-, Moody’s s’est prononcée le 20 octobre, et maintient la note à Aa2.

Ces notations sont encore relativement flatteuses : les agences jugent simplement la capacité des pays à rembourser leur dette. Elles font confiance aux capacités du fisc français en la matière, ne doutent pas de son efficacité.

Le FMI émet des doutes sur les prévisions de réduction du déficit annoncées par Bruno Le Maire : Pierre Olivier Gourinchas, son chef économiste, a déclaré : « Il faudra en faire un peu plus, malheureusement ».

En octobre 2018, les Gilets jaunes se plaignaient de la faiblesse de leur pouvoir d’achat et de la désertification du territoire. Cette crise a fortement secoué le pays pendant deux années, avec des épisodes extrêmement violents.

Un peu plus tard, le pays a de nouveau été fortement ébranlé par le projet de réforme du régime des retraites. Les Français s’y sont opposés avec la plus extrême vigueur, par un déchaînement de violence dans les rues. Tout récemment, des opposants ont manifesté devant le siège du Parti Renaissance, menés par un conseiller régional d’Île-de-France. La foule scandait à l’unisson : « Louis XVI, on l’a décapité, Macron on peut recommencer ».

Début février, un député LFI de Seine-Saint-Denis a paradé sur Twitter, le pied posé sur un ballon de football figurant la tête du ministre du Travail.

Fin juin dernier, les émeutes dans toutes les villes de France ont été bien plus violentes encore que les précédentes, consécutives à la mort d’un jeune adolescent tué par des policiers lors d’un contrôle de police : mairies attaquées, commissariats, écoles, casernes de pompiers incendiés… et très nombreux pillages. 

Le mécontentement est donc général. La population n’a plus confiance en ses élites. La cote de popularité du président de la République a fortement baissé, et le gouvernement a du mal à gouverner. Le peuple réclame l’organisation de referendums populaires, refusés régulièrement.

 

L’économie du pays est en perte de vitesse

Les Français ont le sentiment que le pays est en pleine décadence, et ils sont inquiets.

Ils accusent leurs dirigeants d’incompétence. L’éloignement est croissant entre les élites et la population. La cause fondamentale du désarroi est que l’économie française va mal depuis des décennies. Ce n’est sans doute pas l’unique raison, mais ce manque de dynamisme économique constitue le fond du tableau sur lequel s’inscrivent tous ces mécontentements qui se manifestent à la moindre occasion.

Depuis la fin des Trente Glorieuses l’économie accuse de très mauvaises performances démontrées par une étude publiée en 2018 par le service des statistiques des Nations unies qui a examiné l’évolution des économies de certains pays sur une longue période :

 

PIB/tête en dollars courants
1980                                     2000 2017 2021 Multiplicateur
Israël   6 393     2 199  42 452  5 2.17       8,0
Espagne   6 141   14 556  28356  30103      4,9
Suisse 18 879   37 937  80 101 91.991      4,9
Danemark 13 881   30 734  57 533 68.007      4,9
Allemagne 12 091   23 929  44 976 51.203      4,2
Pays-Bas 13 794   20 148  48 754 57.767      4,2
France 12 669   22 161  38415 43.659      3,4

(Source : ONU, Statistics Division)

Depuis une quarantaine d’années, les performances économiques de la France ont été très inférieures à celles des autres pays européens. Tous les clignotants de l’économie sont au rouge. L’Agence de notation Fitch a donc rétrogradé tout récemment la France d’un cran, la passant à AA-.

Il y a déjà quelques années, Fitch avait fait passer la France de AAA à seulement AA. Le pays s’achemine sur la voie de la Grèce.

 

Les remèdes proposés pour remédier aux difficultés de notre économie

Les remèdes proposés pour remédier à la situation varient selon le niveau d’instruction de la population.

Pour les classes populaires, la solution est toute simple : il faut prendre l’argent là où il est, c’est-à-dire chez les riches, qu’il faut taxer plus fortement. Elles perçoivent le président comme étant celui des riches. La réforme de l’impôt sur la fortune n’a pas été comprise. Pour faire face au mécontentement, il faut multiplier les contrôles fiscaux, et renforcer les sanctions en cas de fraude.

Pour les classes bourgeoises, le mal provient de l’excès de dépenses publiques ayant conduit à une  fiscalité qui est la plus lourde de tous les pays européens. Elle asphyxie l’économie. La solution est toute simple : elle consiste à les réduire.

Qu’en est-il réellement ? Pour cela, il convient de rapporter ces dépenses au nombre d’habitants, et en dollar.

Danemark

  • dépenses publiques…… 26 980
  • dépenses sociales………. 17 070

Pays-Bas

  • dépenses publiques……  25 038
  • dépenses sociales………. 10 152

Suède

  • dépenses publiques…… 21 123
  • dépenses sociales……… 14 402

France

  • dépenses publiques……  22 642
  • dépenses sociales………. 13 796

 

Les dépenses publiques ou sociales de la France ne sont pas véritablement « anormales ». Ce sont celles de pays économiquement très avancés, au PIB/capita 50 % plus élevés que le nôtre. C’est le PIB français qui n’a pas augmenté au rythme voulu. Le pays ne produisant pas assez de richesse, il est contraint de recourir chaque année à l’endettement.

La dette extérieure du pays ne cesse donc pas de croître :

  • 1974…….  20 %
  • 2000……  60 %
  • 2016…….  96 %
  • 2022……. 111,6 %

 

Dans le Figaro Économie du 29 mars 2023, Anne de Guigné rappelle les accroissements de dette imputables aux différents gouvernements :

Accroissement de la dette
(milliards d’euros)
Jacques Chirac 323
Nicolas Sarkozy 635
François Hollande 397
Emmanuel Macron 647

 

Chacun a eu recours à la dette comme si elle était un instrument normal de gouvernement. Mais ce mécanisme ne peut plus durer, d’autant que nos partenaires européens exigent que nous respections dorénavant les règles de la zone euro.

 

La véritable cause du mal : une forte dégradation du secteur industriel

Taxer davantage les riches comme le demandent les classes populaires n’est pas la bonne solution, compte tenu des niveaux de fiscalité records. Réduire les dépenses publiques est politiquement impossible : elles résultent de notre modèle social très protecteur de la population. Les Français n’admettraient certainement pas qu’on y touche. La seule solution consiste donc à redresser le plus vite possible le niveau du PIB. Ce sera le rôle de notre industrie.

La liaison est très forte entre la production industrielle et le PIB/capita des habitants.

Avec une production industrielle faible de 6432 dollars par habitant a un PIB/capita de la France est de 39 030 dollars ; avec un ratio de 12 279 dollars le PIB/capita de l’Allemagne s’èlève à 46 208 dollars ;  avec un chiffre record de 22 209 dollars celui de la Suisse est de 87 097 dollars, le plus  fort d’Europe.

Le secteur industriel français (industrie,hors construction) ne concourt plus que pour 10 % à la formation du PIB, alors que ce taux devrait se situer pour le moins à 18 % ; l’Allemagne ou la Suisse en sont à 23 % ou 24 %.

 

Deux graves erreurs de nos gouvernants

Nos dirigeants ont commis deux graves erreurs :

Première erreur : ils n’ont pas cherché à comprendre les raisons pour lesquelles notre PIB augmentait moins vite que celui des pays voisins. En somme, quarante ans de cécité économique : c’est beaucoup !

Deuxième erreur : ils n’ont pas expliqué à la population que notre économie ne se développait pas à un rythme satisfaisant, et qu’il fallait par conséquent qu’elle modère ses exigences en attendant de redresser la situation.

On a masqué la réalité aux Français. Le peuple a donc continué à manifester ses revendications.

Nos dirigeants ont malinterprété les travaux de Jean Fourastié qui a publié, en 1949 Le grand espoir du XXe siècle. Ils se sont laissés bercer par l’idée qu’une société moderne est une société post-industrielle, selon la formule lancée imprudemment par le sociologue Alain Tourraine, en 1969.

Du fait du progrès technique, les effectifs du secteur secondaire s’amenuisent, mais la valeur ajoutée par travailleur augmentant fortement, ce secteur est toujours présent, représentant 20 % à 25 % du PIB. Nos dirigeants ont donc laissé filer notre industrie sans broncher.

Les Français, de leur côté, ont continué à présenter assidument leurs revendications : « Toujours plus », pour reprendre la formule de François de Closets. Toujours plus pour davantage de pouvoir d’achat, pour une retraite à 60 ans, pour davantage de policiers et de gendarmes, pour de meilleurs services d’urgence dans les hôpitaux, d’infirmières, dejuges et de greffiers, etc.

 

Pour un programme volontariste de redressement

Emmanuel Macron a finalement pris conscience de la nécessité de procéder à la réindustrialisation du pays, par le hasard de la crise du Covid-19.

Le 11 mai dernier, à l’Élysée, devant un parterre de ministres et d’industriels, il a présenté sa feuille de route pour la réindustrialisation du pays. Il a annoncé des aides de l’État sous forme de crédits d’impôts pour l’implantation d’« industries vertes », la réduction de moitié des délais pour les procédures administratives concernant la création de nouvelles usines, l’aménagement de nombreux sites industriels « clés en mains », une pause de Bruxelles dans le domaine des normes environnementales, et le renforcement de nos moyens de formation professionnelle.

Il a débuté sa conférence en annoncant que « La bataille de la réindustrialisation est clé sur le plan politique et géopolitique ». Il paraît donc maintenant convaincu de la nécessité de réindustrialiser la France, mais il aura fallu attendre son deuxième quinquennat pour qu’il découvre le mal dont souffre notre économie, alors qu’il avait précédemment été ministre de l’Économie.

Il est donc grand temps de redresser notre économie pour redonner aux Français l’espoir d’un avenir meilleur, et cela passe par la reconstitution du secteur industriel.

Mais les mesures annoncées sont loin d’être suffisantes. Nous avons montré, dans d’autres articles, que la reconstruction de ce secteur va nécessiter environ 350 milliards d’euros d’investissement, en une dizaine d’années, soit 35 milliards par an. Pour y parvenir, une forte contribution d’investissements étrangers (IDE) sera nécessaire car les entreprises françaises n’y suffiront pas. Et pour soutenir un tel rythme des aides gouvernementales bien plus importantes que celles annoncées vont être nécessaires. On doit s’attendre à ce que la Commission de Bruxelles s’y oppose. Il faudra démontrer qu’elles sont indispensables, faute de quoi le pays continuera à augmenter un peu plus sa dette, chaque année, ce qui l’acheminera sur la voie de la Grèce.

L’exemple de l’inflation réduction act du président Joe Biden devrait aider les fonctionnaires européens à être plus réalistes. Le président américain avait prévu, initialement, de le nommer Build Back Better Act car dans son esprit, il s’agit bien de reconstruire le pays.

Nous avons prévu qu’il faudra que les aides de l’État se montent à environ 150 milliards d’euros, des aides que l’on accorderait au prorata des emplois créés. De leur côté, les États-Unis en sont à la somme de 370 milliards de dollars.

De même, en France, il est grand temps d’avoir une loi pour « Reconstruire mieux notre économie ».

Il est urgent de reconstruire le secteur industriel français en ne se limitant pas aux seules industries vertes, comme prévu actuellement dans le Plan France 2030. Faisons donc du back better build à la française ! Nous en avons bien besoin.

Cinq ans plus tard, quel bilan pour la légalisation du cannabis au Canada ?

Un article de Michael J. Armstrong

Avant que le Canada ne légalise le cannabis récréatif en octobre 2018, ses effets potentiels faisaient, comme cela est toujours le cas ailleurs dans le monde, l’objet de nombreux débats.

Aux États-Unis, le gouverneur du Nebraska, Pete Ricketts, a déclaré que le cannabis était une « drogue dangereuse » qui tuerait les enfants. L’homme politique allemand Markus Söder a exprimé des préoccupations similaires alors que le gouvernement s’est accordé au mois d’août autour d’un projet de loi qui ferait de l’Allemagne le deuxième pays de l’Union européenne à légaliser la possession de cannabis. Le candidat à la présidence du Kenya, George Wajackoyah, a même proposé la légalisation et la commercialisation du cannabis comme moyen d’éliminer la dette publique de son pays.

En France le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a émis au mois de janvier dernier un avis favorable quant à sa légalisation. Une proposition de loi sur le sujet a été déposée au Sénat au mois de juin par le député socialiste Gilbert-Luc Devinaz.

Certains prédisent une « ruée vers l’or  » grâce à la légalisation d’un nouveau marché, tandis que d’autres craignent des « tragédies  » en matière de santé publique.

Mes recherches se sont depuis penchés sur ses effets réels au Canada. Elles mettent en évidence que certaines tendances étaient déjà à l’œuvre avant la légalisation, et se sont simplement poursuivies par la suite. D’autres changements ne sont en revanche pas intervenus comme prévu.

 

Une consommation déjà en hausse

Nombreux sont ceux qui craignaient que la légalisation du cannabis n’entraîne une augmentation considérable de la consommation, avec pour conséquence des « hordes d’adolescents défoncés ». Pour les opposants à la légalisation, toute augmentation de la consommation prouverait l’échec de la mesure.

Au Canada, le pourcentage d’adultes consommant du cannabis augmentait déjà avant 2018. Sans surprise, le mouvement s’est poursuivi après la légalisation. Selon des enquêtes gouvernementales, le taux de consommation était de 9 % en 2011, de 15 % en 2017 et de 20 % en 2019. La légalisation a donné un coup de fouet qui va au-delà de la tendance actuelle. Mais il se peut que cela soit en partie dû au fait que les gens parlent plus ouvertement de leur consommation de cannabis.

Par ailleurs, la consommation de cannabis des adolescents n’a pratiquement pas évolué après 2018. Cela suggère que ceux qui voulaient du cannabis pouvaient déjà en acheter facilement auprès de revendeurs.

 

Conséquences néfastes sur les enfants

Les effets sur la santé avaient également été une préoccupation importante lorsque le Canada débattait de la légalisation du cannabis. Stephen Harper, Premier ministre entre 2006 et 2015, affirmait que le cannabis était « infiniment pire » que le tabac. Son successeur, Justin Trudeau, a au contraire déclaré que la légalisation serait « protectrice ».

Dans les faits, le nombre de visites d’adultes à l’hôpital liées au cannabis était, lui aussi, déjà en augmentation avant 2018, et a continué de croître par la suite. Par rapport au début de 2011, le taux dans l’Ontario, par exemple, était environ trois fois plus élevé en 2018, et cinq fois plus élevé en 2021. La croissance après 2018 était, une fois de plus, en partie liée à la légalisation et en partie une tendance qui se poursuivait.

Certains effets sur la santé ont toutefois été plus graves. Le nombre de visites d’enfants à l’hôpital dues à une consommation accidentelle de cannabis a augmenté de manière significative. Chez les enfants de moins de 10 ans, le nombre de visites aux urgences a été multiplié par neuf, et le nombre d’hospitalisations par six.

 

Et sur la route ?

Les forces de l’ordre craignaient en outre que la légalisation du cannabis n’entraîne une augmentation de la conduite sous l’emprise de stupéfiants. Les policiers se sont de plus plaints de ne pas disposer de l’équipement nécessaire pour détecter la consommation.

Les recherches visant à déterminer si la légalisation a effectivement entraîné ou non une augmentation de la conduite sous l’influence du cannabis ne sont pas concluantes. Malheureusement, les rapports gouvernementaux ne précisent pas toujours quelles substances sont à l’origine de l’affaiblissement des facultés des conducteurs.

Cependant, nous savons que la conduite sous l’influence de drogues – toute substance à l’exception de l’alcool – a augmenté avant et après 2018. Par rapport à 2011, les arrestations pour conduite sous l’emprise de drogues ont pratiquement doublé en 2017 et quadruplé en 2020. Le nombre de blessés lors d’accidents de la route impliquant du cannabis n’a, lui, cessé d’augmenter. Par rapport à 2011, dans l’Ontario, ils étaient environ deux fois plus nombreux en 2017, et trois fois plus en 2020.

 

Un gain de temps pour les forces de l’ordre ?

La légalisation a également suscité des inquiétudes en matière de criminalité et de justice sociale. Le gouvernement fédéral s’attendait à ce que la légalisation réduise le temps que la police consacre à la lutte contre les trafics de cannabis. Les partisans de la légalisation espéraient également voir diminuer le nombre d’arrestations parmi les groupes marginalisés.

La baisse du nombre d’arrestations provoquées par la légalisation n’a, en fait, pas été très importante. Les arrestations pour possession illégale de cannabis avaient déjà diminué au Canada bien avant la légalisation. En 2018, le taux d’arrestation était déjà inférieur de 71 % à son niveau de 2011. Les arrestations pour des infractions liées à la distribution illégale de cannabis, comme la culture et le trafic, ont chuté de 67 % entre 2011 et 2018. Cette tendance s’est largement poursuivie après 2018.

 

Un marché qui s’équilibre

Les entreprises espéraient que la légalisation entraînerait une ruée vers l’or. Des investisseurs étrangers ont ainsi aidé à financer les entreprises canadiennes de cannabis. Les gouvernements ont également débattu de la manière de répartir les nouvelles recettes fiscales.

Après la légalisation, le commerce du cannabis a connu un certain essor. Alors que la plupart des provinces n’avaient pas assez de magasins dans les premiers temps pour répondre à la demande, il y en a aujourd’hui plus de 3600 au Canada. Les ventes ont bondi de 42 millions de dollars en octobre 2018 à 446 millions de dollars en juillet 2023. Ces valeurs sont désormais à peine deux fois moins importantes que les ventes de bière.

Cependant, certaines régions ont désormais trop de magasins de cannabis, et de nombreuses entreprises luttent pour se maintenir à flot. En conséquence, certaines sociétés et leurs actionnaires ont réalisé de grosses pertes. Seules les agences publiques semblent être constamment rentables.

 

Des leçons pour ailleurs

En somme, trois leçons peuvent être tirées de l’expérience canadienne.

La première est que la recherche sur la légalisation du cannabis doit tenir compte des tendances existantes. Elle ne peut pas s’appuyer sur de simples comparaisons avant/après. Les gouvernements peuvent y contribuer en publiant davantage de données sur le cannabis.

La deuxième leçon est que les décideurs publics dans les États qui ont légalisé le cannabis devraient moins se préoccuper de savoir si la légalisation a causé des problèmes spécifiques mais plutôt s’attacher à les résoudre.

La troisième leçon concerne les autres pays qui envisagent la mesure. Les décideurs politiques devraient examiner leurs propres tendances avant de légaliser, car les résultats ultérieurs ne seront peut-être pas aussi différents qu’ils l’espèrent.

Sur le web.

Réforme des retraites : la capitalisation est la seule solution

Un article de la Nouvelle Lettre. 

 

Aujourd’hui, discussion sur la revalorisation des retraites pour maintenir le pouvoir d’achat des salariés en activité : il faudrait faire main basse sur les fonds détenus par Agirc-Arrco. Cette spoliation a été tentée à plusieurs reprises, mais jusqu’à présent elle a été rejetée, et même déclarée anticonstitutionnelle.

Aujourd’hui on connaît le projet de loi de finances de la Sécurité sociale.

Il ferait apparaître la nécessité pour le budget de l’État de financer le déficit de 20 milliards déjà enregistré. Mais ce déficit ne tient compte que du régime général des salariés du secteur privé. Le vrai trou à combler par le budget n’est pas de 20 milliards, mais de 70 milliards.

Ainsi, le système de retraite actuel coûte à l’État la moitié de son déficit annuel.

 

« Sauver les retraites par répartition »

On a beau masquer les chiffres, la logique du système par répartition suffit à le condamner pour deux raisons.

La première est qu’il consiste à demander aux salariés actifs actuellement employés de cotiser pour payer les pensions des retraités actuels. En 1970, il y avait environ 4 cotisants pour un retraité. Aujourd’hui, il y a moins de 1,2 cotisant. Dans une population vieillissante l’explosion ne fait aucun doute, d’autant que les jeunes entrent de plus en plus tard dans la vie active, et que les pensionnés se font de plus en plus vieux.

La deuxième raison n’est pas souvent évoquée, elle est pourtant déterminante : l’argent des retraites est gaspillé, puisque les cotisations ne sont pas sitôt entrées dans les caisses de l’URSSAF qu’elles en ressortent pour payer les pensions. Les caisses de retraite sont de simples tiroirs-caisses, qui sont vidés entre le 1er et le 9 de chaque mois. Il faut attendre les cotisations du mois précédent pour les remplir à nouveau. La plupart des Français pensent que leur argent a été mis de côté afin qu’ils le retrouvent le jour de leur départ en retraite. C’est évidemment pure illusion.

 

Donc, non seulement le système est déficitaire, mais il le sera de plus en plus, et ce déficit viendra gonfler une dette publique déjà bien trop lourde, au point que notre pays a été déclassé par les agences de notation, ce qui signifie que le taux auquel les prêteurs rachèteront la dette française sera de plus en plus élevé.

Contrairement à une farce bien répandue, la dette publique sera remboursée tôt ou tard, et plus douloureusement. Avec le niveau actuel de taux, le service annuel de la dette française (les intérêts payés) représente environ 50 milliards, c’est le poste le plus lourd de la dépense publique, avant celui du ministère de l’Éducation nationale.

 

Mensonges sur le système par répartition

Les chiffres ne tiennent pas lieu de vérité aux yeux de beaucoup de personnes.

Qu’on se réfère alors à un certain nombre de mensonges qui tentent d’embellir le système par répartition :

C’est une conquête sociale, arrachée par les syndicats et les salariés après de belles luttes  

C’est en réalité un système mis en place par Vichy en 1941, par un ministre ancien secrétaire général de la CGT (il ne manquait pas de gens de gauche aux côtés de Pétain). Comme il était normal, cette loi de Vichy a été reprise par le Conseil National de la Résistance dominé par les communistes au moment de la Libération.

C’est un déficit qui peut facilement se rattraper avec le retour de la croissance

Cet espoir permet aussi de se rassurer sur la dette publique. Les performances modestes de la France seraient dues à la crise du covid, à la guerre en Ukraine, au protectionnisme américain et à la concurrence chinoise déloyale. Ce serait bien la première fois qu’une croissance pourrait revenir et s’accélérer dans une économie qui manque d’investissements privés et de main-d’œuvre compétente.

Variante du mensonge précédent : l’inflation efface la dette

Ce n’est pas vrai du point de vue nominal, si les membres de la zone euro tolèrent les déficits français qui menacent la qualité de leur monnaie. Et ce n’est pas vrai dans la réalité, parce que l’inflation détruit les économies au lieu de les stimuler.

 

Mensonges sur le système par capitalisation

L’aveuglement volontaire ou non sur l’inévitable explosion du système par répartition se marie très bien avec la démolition systématique de la capitalisation, dont les méfaits seraient évidents.

Les placements financiers sont périlleux, cf les crises boursières comme celles de 1929, 2001 ou 2008. Or, il est prouvé que la certitude de retrouver son capital placé est acquise après 45 années.

Les taux de rapport sont insuffisants à garantir une plus-value financière. Or, il est prouvé que le taux de rentabilité aura été en moyenne de 4 % en termes réels depuis plusieurs décennies.

De nombreux gestionnaires de retraites en capitalisation ont volé les souscripteurs et les pensionnés, tels Murdock, Enron, et autres. Ces scandales relèvent de la malhonnêteté, et ont été châtiés, les entreprises n’ont pas pour vocation de gérer des caisses de retraites.

Enfin, et couronnant le tout, la capitalisation est le fleuron du capitalisme, un système économique fondé sur l’exploitation des travailleurs.

 

Ce qu’est la capitalisation

Il y a eu, et il y a de sombres heures dans l’histoire économique.

À certains moments, des populations en sont réduites à vivre au jour le jour, sans pouvoir faire le moindre projet pour le lendemain. Capitaliser, c’est au contraire pouvoir se projeter dans l’avenir. Ce n’était pas possible en Europe dans ce qu’on appelle le haut Moyen Âge : la chute de l’Empire romain avait conduit les peuples à quitter les plaines, et les échanges étaient devenus impossibles ou dangereux. Aujourd’hui, il n’y a pas de retraite ni de capitalisation pour la plupart des habitants des pays africains.

On ne comprend pas la capitalisation parce que, paradoxalement, dans nos pays réputés riches et libres on a perdu le sens profond de la retraite : épargner pour préparer ses vieux jours, être propriétaire, transmettre un patrimoine. La retraite pousse les êtres humains à développer leurs capacités, à travailler, à entreprendre, à investir. Cette dimension humaine a été oubliée.

Le plus extraordinaire de l’affaire est que l’on ignore aussi la dimension mondiale des retraites.

Au prétexte d’avoir « le meilleur système social du monde » on ne sait pas que la plupart des pays libres ont réformé leurs systèmes depuis des décennies, et qu’ils en récoltent aujourd’hui les bienfaits, non seulement sous forme de pensions améliorées, mais aussi et surtout par soutien de la croissance et diminution des dépenses publiques et des impôts.

Alors, pourquoi ne pas capitaliser, et comment la réforme s’est-elle faite à l’étranger ?

 

Moins de cotisations, pour de meilleures retraites

On peut illustrer globalement la différence entre répartition et capitalisation.

Pour un smicard français au salaire net de 1400 euros, les cotisations à verser à l’URSSAF (parts salariales et patronales cumulées) sont en principe de 320 euros. Pour capitaliser sur un compte d’épargne retraite assurant une pension équivalente, il suffit de verser 110 euros par mois. Un à trois, c’est le chiffre habituellement évoqué pour comparer les coûts respectifs : la répartition coûte trois fois plus cher.

On peut affiner le tableau : quel sera le taux de recouvrement, combien de son dernier salaire celui qui va partir à la retraite percevra désormais en pension ?

Ici on peut comparer le sort d’un Français et d’un Européen moyen (pays de l’OCDE) :

51 % contre 59 %, et en réalité seuls l’Allemagne, le Royaume-Uni et l’Irlande font moins bien que la France, tandis que des pays à forte capitalisation comme les Pays-Bas, le Luxembourg, l’Autriche et la Hongrie arrivent à plus de 70 %.

Donc, des retraites qui coûtent moins cher et qui rapportent plus.

S’agit-il d’un miracle ? Non, mais d’une arithmétique élémentaire : une somme placée à 5 % l’an doublera de valeur en 15 ans. C’est ce qu’on appelle la loi des intérêts composés, jadis enseignée en classe de huitième. Et, comme cela est évident en calcul financier, plus le taux est élevé et plus le placement est long, est plus le rapport est élevé et le risque diminué.

Il va de soi que la qualité du gestionnaire du placement est déterminante. Cela apparaît nettement dans le tableau de ce que représentent les fonds de pension dans les divers pays.

Ici la France est réellement dernière, avec seulement 8 % du PIB, alors que plusieurs pays sont à plus de 100 % !

 

La réforme en trois piliers

Les études précises sur les systèmes de retraites ont distingué ce qu’on appelle trois piliers :

  1. Le premier pilier en répartition, il est obligatoire.
  2. Le deuxième pilier en capitalisation, il peut être obligatoire ou facultatif, on peut parler de « retraite complémentaire ».
  3. Le troisième pilier en capitalisation volontaire.

 

Le premier pilier correspond à ce qu’on peut appeler un « filet social » : nulle personne ne peut être laissée sans moyen de survivre. Elle participe de la solidarité, elle n’a donc pas à être financée par des cotisations, mais par des impôts (nationaux ou locaux suivant les pays).

Le deuxième pilier est présent dans la plupart des pays, il donne à l’assuré la possibilité de préparer sa propre retraite par capitalisation, et des exemptions fiscales peuvent être reconnues pour ces retraites complémentaires obligatoires.

Le troisième pilier est dans une logique purement assurancielle.

Si l’on observe les réformes réalisées depuis cinquante ans, on voit qu’elles se font par glissements de piliers successifs – les modalités de la transition pouvant varier.

Le fait est que la France est coincée dans le premier pilier. Peut-être la transition y est-elle plus difficile à organiser.

 

La transition

C’est réellement le seul problème épineux de la réforme des retraites : comment passer d’une situation où tous les assurés sans exception sont en répartition en une vraie et bénéfique révolution, celle de la capitalisation ?

Remarquons d’abord que si le premier pilier est écrasant, il existe aussi un deuxième pilier non négligeable.

Certaines professions ont eu le droit de s’organiser en capitalisation, la profession des pharmaciens en particulier, et tout pharmacien installé s’en réjouit, preuve que la capitalisation, ça marche.

Une masse considérable de personnes ont la possibilité d’une retraite complémentaire par capitalisation, comme les fonctionnaires avec la Préfon ; eux aussi ne veulent pas perdre cette ouverture.

Enfin, et surtout, il y a les comptes d’épargne qui ont été créés par le législateur. Ils s’inscrivent le plus souvent dans le cadre de la « participation », qui s’inscrit à son tour dans une logique du partage des résultats des entreprises. La doctrine gaulliste a favorisé ce type de disposition.

En dépit de leurs différences, ces trois types de retraites sont dénommés « capitalisation collective » pour les distinguer de ce qu’est un deuxième pilier dans certains pays, et encore plus de ce qu’est le troisième pilier : la capitalisation individuelle, chaque personne gérant elle-même sa retraite auprès de l’assureur librement choisi, compagnie d’assurance ou fonds de pension.

La capitalisation collective a un inconvénient majeur : elle lie la retraite au sort de la profession ou de l’entreprise, les changements en cours de carrière font problème, même si on peut prévoir cette éventualité.

La vraie difficulté est la transition au sens strict : comment abandonner les droits acquis par la quasi-totalité de la population ?

Deux solutions sont exclues :

  1. Effacer ces droits acquis alors que des personnes auront cotisé pendant la période de leur activité dans la retraite par répartition.
  2. Rembourser tous ces droits instantanément. La somme globale à payer serait en France actuellement de 4 PIB.

 

La plus célèbre des transitions aura été celle réalisée par José Pineira au Chili, mais d’une part le niveau des pensions chiliennes était très faible, d’autre part le ministre du Travail a vendu les bijoux de famille, c’est-à-dire tout le patrimoine de l’État chilien, à commencer par les mines de cuivre et les moyens de transport. Cette heureuse conjoncture n’est pas réalisée en France, le patrimoine public étant composé essentiellement de dettes !

Il faut alors s’orienter vers un remboursement étalé dans le temps.

La meilleure proposition a été faite par Martin Feldstein, et Nicolas Marquès lui a consacré un article très détaillé. On peut qualifier cette démarche comme celle des petits pas : sur une période globale de 70 ans environ, chaque année prélève un taux de cotisation pour amorcer une capitalisation totale à la fin de la période. Le taux de transition augmente chaque année, les efforts demandés aux cotisants et futurs retraités sont ainsi moins violents et mieux acceptés, puisqu’on voit sans cesse le bout du tunnel.

J’ai fait une autre proposition consistant à demander aux actifs de continuer à abonder la répartition pendant toute la période nécessaire à éponger les droits acquis.

Cette demande n’est pas audacieuse, puisqu’elle sera faite aux intéressés par les gouvernements dans l’obligation de faire face à l’explosion de la répartition – ce qui pourrait bien se produire avant 2030. Mais cette demande vaut aussi autorisation pour le cotisant de disposer d’un compte d’épargne sur lequel l’administration n’aurait aucun droit, et ne pourrait prélever aucun impôt.

Progressivement, l’épargnant s’approchera d’une pleine capitalisation parce que les droits acquis auront été progressivement épongés. Je pense qu’une idée de Pinera mérite d’être retenue : proposer la transition de façon variable suivant les tranches d’âge :

  • Les personnes à la retraite ou sur le point de l’être demeurent dans la répartition pour le restant de leur vie, leurs pensions sont assurées par les cotisations des autres tranches d’âge
  • Les personnes qui démarrent dans la vie active savent qu’elles perdent leurs droits à répartition mais elles auront ensuite, grâce à la capitalisation, la possibilité d’avoir une liberté totale. Elles auront en quelque sorte payé une rançon pour être libérées de la répartition
  • Les personnes en âge intermédiaire peuvent choisir l’une ou l’autre de cette transition, compte tenu du fait qu’en 15 ans on a le temps de reconstituer en capitalisation une retraite au moins égale à celle qu’on aurait touché en répartition.

 

Prévisions

Elles dépendent largement du contexte mondial.

Nous pouvons faire le bilan actuel, pays par pays, et constater que le premier pilier ne concernera qu’une minorité de pays, et une minorité de gens. Les pays émergents éviteront sans doute les pièges de la répartition, les pauvres ont souvent appris à capitaliser, c’est la grande découverte faite par Muhammad Yunus. Les pays « riches » s’en remettront aux techniques sans cesse améliorées de la finance assurancielle.

Le problème du système de retraite français, et plus généralement de notre système dit social est plus difficile à régler.

Il faut d’abord déchirer le voile d’ignorance, et limiter l’accès au débat à des personnes responsables. Or, toutes les réformes précédentes ont été portées ou contrôlées par le Centre d’Orientation des Retraites, qui n’a aucune connaissance même approximative du problème, ce qui est un comble !

Il y a aussi des marchands d’illusion, qui veulent garder la répartition en remplaçant les euros par des points, soit « la retraite par points » : oui, mais quelle sera la valeur du point quand ma retraite sera liquidée ? Des haricots.

Il faut ensuite avoir le courage politique de mettre fin à des privilèges n’ayant aucune justification, comme les privilèges des salariés du secteur public en particulier. Voilà qui me semble plus improbable dans les prochaines années. On peut reprendre à propos des retraites l’image de la bureaucratie française : il s’agit de couper la tête de l’hydre de Lerne, sachant que chaque fois qu’une tête est coupée, il en repousse deux. Quel Hercule ferait-il le travail ?

Je voudrais conclure par un point qui me tient à cœur, j’y ai souvent fait allusion.

Le passage à la capitalisation est un vrai choix de société.

C’est ce qu’avait souligné Gary Becker, prix Nobel d’Économie, venu à Paris en 1996 tenir conférence à mon invitation et à celle de Gérard Maudrux, gestionnaire de la Caisse des Retraites des Médecins.

Voici le choix de société lié à la capitalisation :

« C’est un retour au travail, plus de gens seront actifs et le seront plus longtemps.

C’est un retour à l’épargne, alors que la répartition dilapide l’argent gagné et la richesse nationale. C’est un retour à la responsabilité personnelle ; la répartition contient tous les germes de la collectivisation et aboutit à faire disparaître toute idée de progrès personnel ».

Alors, pourquoi retarder depuis des décennies la transition à la capitalisation, partielle ou totale ?

Sur le web.

Punaises de lit : le nouveau reflet de l’addiction française à l’État

Une nouvelle psychose collective s’est emparée des Français. Le réchauffement climatique ? Un nouveau variant de la covid ? La menace d’un conflit nucléaire ? Non ! Les punaises de lit !

Cela pourrait prêter à sourire si la séquence politique et médiatique que nous traversons ne mettait pas en lumière ce que la culture politique française fait de pire : l’addiction à l’État et le délitement de la responsabilité individuelle.

Certes, ces insectes ont un pouvoir de nuisance non négligeable. Mais était-il nécessaire de faire de l’invasion des punaises de lit un sujet d’ampleur nationale ?

 

Un « service public de la désinsectisation » ?

En effet, depuis le début de la semaine, chaque camp politique s’est approprié le sujet.

Chez Renaissance, on annonçait ce mardi 3 octobre 2023 un texte transpartisan prévu pour décembre, appelant à tous les groupes de « l’arc républicain » de se joindre à eux. Car c’est bien connu, c’est à la République que s’attaquent ces petites créatures hématophiles !

Du côté de La France Insoumise, la réponse apportée par la majorité est insuffisante et Mathilde Panot, qui a senti que le sujet était propice au (bad) buzz, ne manque pas une occasion de se faire remarquer. Quand elle ne se rend pas à l’Assemblée nationale avec une fiole remplie de punaises de lit mortes, elle propose, sans ironie aucune, un « service public de la désinsectisation », évidemment « gratuit » et destiné à tous les Français qui pourraient s’en « saisir immédiatement ». « Oui, la puissance publique a quelque chose à faire sur cette question » a affirmé celle qui s’est manifestement transformée en quelques jours en spécialiste de la désinsectisation, dissertant sur les bonnes et mauvaises techniques pour combattre les punaises de lit, afin de convaincre son auditoire que l’État est évidemment mieux placé que les entreprises privées pour lutter contre ce fléau.

On pourrait se contenter de désespérer de l’atonie du débat public français, tant cette séquence politique donne une image pathétique de notre vie parlementaire.

 

Les Français et le réflexe étatique

Malheureusement, elle dit aussi beaucoup du réflexe étatique qui caractérise notre culture politique et dont tout le monde est, à différentes échelles, complice.

Que ce soit les politiques, les journalistes, les intellectuels, les artistes, ou simplement les citoyens, tous semblent avoir intégré l’idée selon laquelle chaque problème appelle une réponse de l’État. C’est ce que montre un sondage réalisé par YouGov pour Le HuffPost, dans lequel 55 % des sondés estiment que le gouvernement devrait lancer un plan national contre les punaises de lit.

En résulte une extension ininterrompue du cadre de ce qui relève de l’action publique. On pourrait ironiquement prédire l’annonce prochaine d’un « grand plan anti-punaises de lit », d’une « grande consultation citoyenne pour combattre les punaises de lit », d’un « ISF anti-punaises de lit » afin de financer des « chèques punaises de lit », mais on l’a vu avec les annonces de madame Panot, la réalité a déjà dépassé la fiction. Cela appelle donc une réponse sérieuse et argumentée.

Pour beaucoup, l’extension du domaine d’intervention de l’État est, intuitivement, une bonne chose. Il va prendre la responsabilité de résoudre les problèmes que les citoyens n’arrivent pas à résoudre eux-mêmes. N’est-il pas rassurant de se dire que si demain mon habitation est infestée de punaises de lit, je n’aurais pas à payer une entreprise de désinsectisation car l’État s’occupera de tout ?

C’est cette promesse qui est une illusion. D’abord, parce que contrairement à ce qu’affirme madame Panot, la gratuité de l’action publique est un mythe. Tout ce que l’État donne au citoyen, le citoyen le paye à un moment ou à un autre. Mais surtout, l’extension du domaine d’intervention de l’État réduit drastiquement son efficacité, alors même qu’elle augmente la pression fiscale.

C’est presque devenu un lieu commun de parler de « l’hôpital en crise », de « l’école en crise », de « la justice en crise », de la « police en crise »…

On touche ici aux limites de l’État providence qui, au-delà d’un certain niveau d’engagement, ne parvient plus à remplir correctement les fonctions dans lesquelles il est pourtant le plus légitime. En filigrane, se pose aussi la question du délitement de la responsabilité individuelle que cause nécessairement l’État-providence. Peut-on raisonnablement « vivre-ensemble » si « tout le monde s’efforce de vivre aux dépens de tout le monde » ? (Frédéric Bastiat, Harmonies économiques, 1850)

Ne serait-il pas temps de prendre du recul et d’évaluer les domaines pour lesquels l’intervention étatique est légitime, et ceux où elle entrave l’efficacité et la responsabilité individuelle ?

Et de ne jamais oublier qu’à chaque fois que l’État décharge un individu de ses responsabilités, c’est autant de libertés qu’il lui confisque.

Retraites : la psychologie des Français est-elle en train de changer ?

84 % des Français sont désormais favorables à la capitalisation pour financer leurs retraites !

Et cette tendance est particulièrement marquée chez les jeunes… Ces mêmes jeunes qui étaient très nombreux dans les cortèges de manifestants opposés à la réforme des retraites.

Ce constat factuel peut sembler paradoxal au premier abord… La préoccupation pour la retraite n’est- elle pas une question déplacée pour ces jeunes gens ? Manifester contre la réforme, n’est-ce pas un soutien implicite à la répartition ? Leur présence massive dans les manifestations contre la réforme a souvent été mal interprétée par les médias, ou analysée comme un refus de s’engager pleinement dans le monde du travail.

 

Nos jeunes sont-ils devenus fainéants ?

Non, les jeunes Français qui entrent sur le marché du travail, et qui sont opposés à la réforme des retraites ne sont pas des fainéants. Ils sont lucides tout simplement. Ils ont parfaitement conscience que l’on va leur demander de verser tout de suite des cotisations très importantes pour fournir des pensions aux retraités actuels, alors qu’ils n’auront pas droit aux mêmes pensions quand leur tour viendra… Pour des raisons démographiques évidentes.

Le refus des jeunes d’accepter la réforme des retraites proposée par le gouvernemet de monsieur Macron est une question d’égalité dans le temps, d’équité intergénérationnelle.

En 1959, il y avait 0,24 retraité par cotisant contre 0,73 aujourd’hui… Et ce déséquilibre ne fera que s’accentuer.

Le système actuel est intenable, et les jeunes le savent.

Leur participation aux manifestations contre la réforme des retraites n’était absolument pas un soutien au système actuel basé à 100 % sur la répartition, ou un désintérêt pour le travail, mais bien une volonté de changer le système actuel, comme le démontre ce sondage.

Qui peut leur donner tort ?

Personne de bonne foi assurément : quand en 1959 les dépenses de retraites représentaient 5 % du PIB, en 2020 elles sont montées à 15,9 % du PIB !

Ces dépenses sont essentiellement prélevées sur le travail… Des jeunes justement.

 

La psychologie de la foule est en train de changer

L’information modifie lentement la psychologie de la foule française.

Les comparaisons entre les différents systèmes de retraites et leurs coûts respectifs à l’intérieur de l’UE sont, à l’ère d’internet, faciles à obtenir pour les jeunes Français.

Les excellentes performances en matière de retraites des pays ordolibéraux sont désormais bien connues : les Pays-Bas consacrent 12,8 % de leur PIB pour leurs retraites, le Danemark 12,9 %, l’Allemagne 12,6 %… Alors que la France dépense 15,9 % soit 3 % du PIB en plus.

C’est une différence considérable de coût, sans que le service rendu soit meilleur.

En 1895, dans son ouvrage majeur Psychologie des foules, Gustave Le Bon nous dit :

S’il faut longtemps aux idées pour s’établir dans l’âme des foules, un temps non moins considérable leur est nécéssaire pour en sortir. Aussi les foules sont-elles toujours, au point de vue des idées, en retard de plusieurs générations sur les savants et les philosophes. Tous les hommes d’État savent aujourd’hui ce que contiennent d’erroné les idées fondamentales citées à l’instant, mais leur influence étant très puissante encore, ils sont obligés de gouverner suivant des principes à la vérité desquels ils ont cessés de croire.

La psychologie de la foule évolue très lentement, et quand elle le fait, ces évolutions perdurent pendant plusieurs générations.

Aucun politicien ne peut gouverner contre la psychologie de la foule. Tous les professionnels de la politique le savent.

Nous sommes actuellement en train de vivre un mouvement souterrain mais puissant de modification de la psychologie de la foule. Ce mouvement, qui affecte de nombreux États providence, peut être résumé par une formule lapidaire : la perte de confiance dans l’État.

Ou plutôt, le déplacement de la confiance des services publics vers les services privés.

Le chiffre de 84 % de la population ne faisant plus confiance à la seule répartition (et donc à l’État) est éloquent… Un autre indice de la perte de confiance des Français dans le service public est visible dans une étude montrant la perte quasi totale de confiance dans les médias publics. Seuls 18 % des Français ont encore confiance dans les médias du service public.

Les signaux faibles sont partout.

La lente modification de la psychologie de la foule est bien engagée désormais… Pour Gustave Le Bon, ce type de mouvements est durable, et entraîne systématiquement l’adaptation des politiques, car c’est elle qui commande aux politiques, et non l’inverse.

Il est donc très probable que le système de retraite des Français évolue prochainement ainsi que, plus généralement, tout le modèle français d’État providence, pour se rapprocher des systèmes des pays ordolibéraux qui nous entourent.

Le changement actuellement constaté est très prometteur, et constitue une excellente nouvelle pour nos libertés.

Un exemple de capitalisation réussie mais menacée : le fonds de réserve des retraites

Par Romain Delisle.
Un article de l’IREF

 

Depuis les années soixante, le taux de fécondité des Français s’est effondré, passant de 2,8 à 1,84 enfants par femme en 2020.

Les générations nées pendant la période du baby-boom ont donc commencé à prendre leur retraite au moment même où décroissait la part d’individus en âge de travailler. Selon un rapport du Sénat, la proportion de plus de 65 ans dans la population a augmenté de 4,7 % entre 2000 et 2020 quand celle des 20-59 ans a diminué de 4,4 %. Conséquence majeure, durant la même période : le ratio entre le nombre de cotisants et celui des retraités a baissé de 2,1 à 1,7, et devrait continuer sa lente décrue jusqu’en 2070, date à laquelle il s’élèvera à 1,3.

C’est cet inquiétant constat qui a motivé la création du Fonds de réserve pour les retraites (FRR) par Lionel Jospin dans la Loi de financement de la sécurité sociale pour 1999. Au départ conçu comme une section du Fonds de solidarité vieillesse, le FRR a pris son indépendance en 2001 pour devenir un établissement public administratif, dirigé notamment par le directeur de la Caisse des dépôts et consignations, mais qui confie la gestion de ses actifs à des prestataires privés, via un système d’appel d’offre classique.

L’objectif qui lui est assigné est clair : préserver l’équilibre financier du régime général de retraite entre 2020 et 2040, au moment où les effets de la « bosse démographique » commenceront à se faire sentir.

 

Un fonds aux performances dynamiques qui investit dans l’économie nationale

À l’origine, le Fonds était censé percevoir 1000 milliards de francs pour mener à bien sa mission, une somme qui, par la suite, s’est réduite comme peau de chagrin pour atteindre 31,3 milliards d’euros tirés notamment des privatisations d’entreprises, de la vente des licences de téléphonie mobile et de taxes affectées.

Dès 2011, le patrimoine du FRR s’élevait déjà à 37 milliards d’euros, dont 5,6 milliards de gains réalisés grâce à l’argent de son « capital » fourni par l’État.

Ces actifs sont divisés en deux catégories principales : une « poche de couverture », composée d’obligations de pays développés, en euros ou en dollars, et une « poche de performance » composée d’actions, d’OPCVM (organismes de placement collectif en valeurs mobilières, des fonds destinés à mutualiser les risques d’investissement dans les actions), et d’investissements dans des PME non cotées.

À la fin de l’année 2021, comme le décrit son rapport annuel, le portefeuille du fonds se composait de 38,6 % d’actions cotées, de 37,4 % d’obligations dites de qualité, notamment venant de pays sûrs et de 7,4 % de parts d’entreprises non cotées.

En outre, 32,5 % de ces investissements étaient destinés à alimenter l’économie nationale, dont 1,1 milliard d’euros en capital-risque fléchés vers des start-ups hexagonales en déshérence de financements comparées à leurs consœurs britanniques.

 

Le détournement progressif des objectifs du FRR par l’État

En 2010, sous le premier mandat de Nicolas Sarkozy, et suite à la crise financière de 2008, l’État aux abois cherchait de toute urgence de nouveaux moyens de financement de la dette sociale.

Il a donc introduit une mesure en loi de financement de la sécurité sociale pour obliger le FRR à verser chaque année 2,1 milliards d’euros à la CADES (Caisse d’amortissement de la dette sociale), afin d’éponger un minimum des déficits du régime général des retraites, et ce jusqu’en 2025, date à laquelle cette somme sera réduite à 1,45 milliard.

En 2021, le FRR avait donc été ponctionné au total de 27 milliards d’euros au profit de la CADES et, de manière plus marginale, de la CNAV (Caisse nationale d’assurance vieillesse), alors que dans le même temps, ses investissements lui avaient rapportés 16 milliards.

Comme le montre le graphique suivant, la performance du FRR a toujours été supérieure aux taux d’intérêts souverains depuis 2012, sauf en 2018 :

Depuis 2010, la performance annuelle du fonds a donc été de 4,7 %, contre un coût annuel de 0,9 % pour la dette de la CADES.

Toujours selon les calculs du Sénat, l’argent placé par le fonds a donc rapporté 12,3 milliards d’euros de plus que si celui-ci avait été affecté au remboursement de la dette. Selon le FRR, ses réserves s’élèveraient aujourd’hui à 56 milliards d’euros, s’il n’avait pas été mis à contribution par l’État, et même à 74 milliards si celui-ci avait continué de le financer après 2011.

Cette mise à contribution pose deux principaux problèmes pour l’avenir : elle obère la rationalité des choix financiers du FRR qui doit privilégier les actifs de sa poche de couverture plus sécurisés, mais dont le rendement est faible ; et elle assèche ses réserves en le ponctionnant plus que les gains qu’il réalise.

À horizon 2033, le patrimoine de l’établissement public devrait donc s’effondrer pour atteindre entre 6,8 et 14,6 milliards d’euros selon le taux de rendement de ses actifs (entre 1 et 4 %). En tout état cause, il n’est plus à même de remplir sa mission initiale, dépecé comme il l’a été par les gouvernants successifs.

Dans la mesure où il est décemment possible de considérer que le régime général des retraites par répartition est insoutenable, dans les conditions démographiques et d’essoufflement de la productivité des travailleurs français, le FRR pourrait constituer un embryon de système par capitalisation, amené à se développer progressivement, à condition qu’il ne subisse plus de prélèvement de la part de l’État.

À terme, ce modèle de capitalisation sous-traité au secteur privé pourrait même être mis en concurrence avec des fonds de pension plus classiques via, par exemple, la création d’un compte personnel de retraite.

Sur le web

[PODCAST] Les clés de la réussite économique dans un monde qui change, avec Richard Détente

Épisode #39

 

Écoutez le podcast à l’aide du lecteur ci-dessous. Si rien ne s’affiche, rechargez la page dans votre navigateur, ou cliquez directement sur ce lien

Richard Détente est entrepreneur dans des domaines divers, tels que les médias en ligne, la formation économique, l’information financière, et le minage de cryptomonnaies.

Il a notamment fondé les célèbres chaînes Youtube Grand Angle et Grand Angle Crypto. Avec son parcours professionnel original, et son apprentissage « accidentel » de l’économie, il propose avec ses invités une vision peu conventionnelle de l’actualité économique, mais qui s’impose la réussite financière des investissements qui en découlent comme critère de validation.

Dans cet entretien, il est question de son parcours personnel, ainsi que de son regard sur les grandes tendances économiques du monde actuel, notamment du point de vue géopolitique : ambitions des BRICS, impérialismes économiques, déclin de l’Union européenne, etc.

Cet entretien a été enregistré à Biarritz le 25 août 2023 en marge de la conférence Surfin’ Bitcoin. Ce grand rendez-vous annuel de l’écosystème Bitcoin est l’occasion d’échanger avec des intervenants et participants venus de toute l’Europe.

Cette année, j’ai eu le plaisir de représenter Contrepoints en animant une keynote que je partagerai prochainement avec vous au travers d’un article, et en participant à un débat sur la place de Bitcoin sur le spectre écologique, face à Alexandre Stachtchenko (vidéo prochainement disponible).

Si vous souhaitez entendre Richard dans un futur épisode, ou que vous avez des suggestions d’invités, n’hésitez pas à nous en faire part dans les commentaires.

 Programme :

Introduction – 00:00

Présentation de l’invité – 2:42

Rencontre avec Charles Gave – 6:28

De la pédagogie économique à l’investissement : évolution de la chaîne Grand Angle – 10:25

L’origine de Cleansat Mining – 12:17

Scepticisme initial face au Bitcoin et virage à 180° – 13:15

Comment te positionnes-tu sur le « spectre politique » ? – 19:10

Apogée d’une civilisation et tentation de la dette – 22:22

La désindustrialisation d’un pays est-elle intrinsèquement mauvaise  ? – 24:25

Le marché obligataire : outil d’endettement ou de pilotage de l’économie ? – 28:52

La Chine : miracle économique ou tigre de papier surendetté ? – 36:29.171

Les BRICS sont-ils prêts à dépasser l’Occident ? – 42:36

Russie : plus influente malgré les sanctions économiques ? – 49:03

Problèmes monétaires africains – 52:03.618

Turquie : une économie prospère malgré le naufrage monétaire ? – 55:59

Une monnaie commune pour les BRICS : un projet crédible ? – 1:01:56

Réflexions sur la dette chinoise – 1:04:23

 

Pour aller plus loin :

 

Economic Principles for a Changing World Order (livre de Ray Dalio, gratuitement accessible)

Notice Wikibéral de Knut Wicksell

Grand Angle Crypto sur Youtube

Grand Angle Éco sur Youtube

Site web Grand Angle Éco

Richard Détente sur Twitter

Retraites : cachez ce vieillissement que je ne saurais voir

Baisse de la croissance, tensions sur le pouvoir d’achat, déficits structurels des finances publiques, opposition épidermique aux réformes des retraites, la France se crispe à répétition sans voir le point commun à tous ces sujets, le vieillissement d’une société mal préparée.

 

Quelques dates

Rétrospectivement, plus le vieillissement s’installe, plus son impact est occulté, comme le nez au milieu du visage que l’on ne voit plus.

Au moment où il généralisait la répartition pour financer les retraites, le législateur de 1945 n’hésitait pas à souligner qu’elle était plus onéreuse que la capitalisation, et que si on n’y prenait pas garde, le vieillissement lent et progressif de la population « ferait peser sur la population active une charge insupportable ».

En 1965, le cinquième plan de développement économique et social invitait à accroître le montant des réserves des régimes de retraites.

En 1978, le Premier ministre Raymond Barre soulignait qu’« on ne pourra pas dans ce pays continuer à concevoir un système d’avantages sociaux [seulement] à partir du mécanisme de répartition, et il faudra bien, comme dans d’autres pays, arriver à des mécanismes de capitalisation. »

Mais près d’un demi-siècle après la fin du baby-boom, la France n’a pas tenu compte de ces mises en garde et de ces appels à l’action.

En 1991, dans un Livre blanc sur les retraites, le Premier ministre Michel Rocard identifiait tous les dangers liés au statu quo (hausse des prélèvements, réduction du pouvoir d’achat et de l’épargne, perte de compétitivité, chômage…) mais refusait le recul de l’âge de la retraite, comme la généralisation de la capitalisation.

En 1999, après des années d’attentisme, le gouvernement français mettait en place un Fonds de réserve pour les retraites (FRR) sous la houlette de Lionel Jospin. Mais ce fonds a été rapidement pillé sans vergogne par différents gouvernements à la recherche d’argent facile pour résorber les déficits, sans comprendre que ces derniers étaient la conséquence d’un vieillissement mal anticipé.

En 2003 et 2017, les gouvernements de François Fillon et d’Emmanuel Macron relançaient les plans d’épargne retraite, mais ils n’attirèrent que 5,8 % des cotisations retraite en 2021.

En 2020, une réforme mal pensée proposait de fermer l’Établissement de retraite de la fonction publique (ERAFP), le plus gros fonds de pension français avec 38 milliards d’euros d’actifs placés.

En 2023, une réforme des retraites présentée comme comptable ferme un des régimes de retraite le mieux provisionné de France, celui de la Banque de France, avec à la clef des surcoûts à venir pour le contribuable.

 

Le déni du vieillissement

La situation française s’apparente à celle d’un déni durable de réalité et d’un refus d’obstacle.

Comme l’expliquait Alfred Sauvy :

« Nous sommes tous plus ou moins enclins à ne pas voir ce qui nous déplaît ».

Et parmi les sujets que l’on refuse d’assumer collectivement, le vieillissement occupe une place clef.

Le créateur de l’Institut national d’études démographiques soulignait :

« Il suscite un extraordinaire refus de voir, alors que c’est le phénomène le plus sûr, le plus ancien (il a déjà deux siècles en France), le plus facile à mesurer, sans qu’il soit besoin d’aller à une quatrième décimale, le plus facile à prévoir dans une large mesure. »

Pourquoi le vieillissement est un problème dans un pays qui s’appuie quasi exclusivement sur la répartition ?

En raison du déséquilibre croissant entre le nombre d’actifs cotisants et celui des retraités. Avec le contre-choc du baby-boom, le fameux théorème de Alfred Sauvy – « ce sont les enfants d’aujourd’hui qui feront les retraites de demain » – s’est retourné contre nous.

De 1950 à aujourd’hui, la fécondité a chuté de 3 à 1,8 enfant par femme. Moins d’enfants, c’est moins d’actifs, moins de cotisants, moins de moyens pour financer les retraites comme toutes les autres politiques publiques. De même, la bascule vers le vieillissement rime avec charges supplémentaires. Les dépenses publiques pour les plus de soixante ans sont trois fois plus élevées que celles en faveur d’une personne entre 25-59 ans et 2,6 fois plus élevées qu’un individu de 24 ans ou moins, mais rien n’a été fait pour amortir ce choc.

Comme le soulignait encore Alfred Sauvy :

Dès l’instant que le niveau de la natalité ou de la fécondité est parfaitement connu, pourquoi y aurait-il débat ? Parce que le diagnostic que l’on émet conduit au pronostic. Et avant même que le pronostic soit établi, déjà le diagnostic semble conseiller l’ordonnance, une ordonnance désagréable. L’opinion préfère alors refuser le diagnostic pour ne pas avoir à suivre certaines mesures. C’est un peu comme si un malade refusait le diagnostic parce qu’il a peur du remède.

Depuis la fin du baby-boom, la réflexion collective face au vieillissement n’a quasiment pas progressé.

L’État a fait mine de s’emparer du sujet de la dépendance en créant une « cinquième branche » de la sécurité sociale, mais chacun sait que c’est un miroir aux alouettes.

Les moyens manquent pour financer la dépendance à domicile comme dans les Ehpad. La tentation est forte de pointer du doigt les opérateurs privés, sans qu’on réalise que le sous-financement orchestré par l’assurance maladie est un problème global.

S’agissant des retraites, les rapports du Conseil d’orientation des retraites dressent un constat édulcoré de la situation. Ils occultent notamment la quasi-totalité (94 %) des déficits associés aux retraites (884 milliards d’euros depuis 2002 ou 2 % du PIB chaque année). Ils se focalisent sur le secteur privé et ne tiennent pas compte des subventions d’équilibres dont bénéficient les retraites des fonctionnaires et les autres régimes spéciaux (SNCF, RATP…).

Ce faisant, le COR a contribué à masquer la situation.

 

Explosion des dépenses de la retraite par répartition

La dégradation structurelle des finances publiques françaises est une conséquence du vieillissement. Ce n’est pas une coïncidence si les administrations publiques n’ont jamais été à l’équilibre depuis 1974, date qui marque la fin du baby-boom.

Auparavant, la croissance de la population active et de l’économie était significative, et les comptes publics étaient le plus souvent excédentaires. Avec la fin du baby-boom, cette mécanique s’est enrayée, et les déficits sont devenus systématiques.

La crainte du législateur de 1945, qui redoutait que l’insuffisance de la natalité n’entraîne un vieillissement de la population, et fasse peser sur la population active une charge insupportable, s’est réalisée. Les dépenses de retraite par répartition ont explosé, de 7 à 14 % du PIB.

Elles expliquent 40 % de la hausse des dépenses publiques sur un demi-siècle.

Faute d’avoir fait appel aux marchés financiers pour financer une partie des retraites, il a fallu augmenter significativement les prélèvements obligatoires, ce qui a nui à la compétitivité, l’emploi et au pouvoir d’achat, renchérissant la facture associée au vieillissement.

L’État – qui est de loin le premier employeur avec 2,5 millions d’agents – a été l’opérateur le plus imprévoyant en France. Il a promis des retraites attrayantes, financées par le budget. Il n’a pas de caisse de retraite permettant de limiter ses engagements avec des points ou un provisionnement permettant d’autofinancer une partie des prestations sans faire appel au contribuable. Cette erreur historique, qui remonte à 1853 et Napoléon, n’a pas été corrigée en 1945, les fonctionnaires d’État n’ayant pas souhaité rejoindre la répartition, et encore moins en 2020, le régime universel ayant été rejeté.

En proie à une dégradation accélérée du ratio cotisant/retraité (à 0,9 contre 1,3 dans le privé suite à la réduction des embauches consécutive à la décentralisation), l’État a besoin chaque année de 60 milliards d’euros pour financer les pensions promises à ses personnels, qui représentent un engagement de 1600 milliards d’euros. Une partie de ces pensions est financée par de la dette, le reste étant financé par une dégradation du rapport qualité prix des services publics.

À titre d’illustration, 28 % des dépenses d’Éducation nationale sont absorbés par le paiement des pensions de retraite dont bénéficient les anciens personnels. C’est autant d’argent qui manque pour mieux rémunérer les personnels, et réduire le nombre de postes vacants.

Dans le secteur privé, l’équation du vieillissement est tout aussi insidieuse.

L’augmentation des cotisations retraite des salariés – actuellement à 28 % des salaires bruts contre 21% en 1980 –nuit à la compétitivité et au pouvoir d’achat. Si les régimes complémentaires de retraite sont parfois bien gérés – à l’image de l’Agirc-Arrco qui dispose de points et de réserves – le refus de généraliser la capitalisation se traduira par une paupérisation des retraités. Leur niveau de vie relatif équivaudra dans cinquante ans à celui des retraités des années 1980. Un sacré retour en arrière ! En 2070, le niveau de vie moyen des retraités pourrait représenter 80 % de celui de l’ensemble de la population, alors qu’il dépasse légèrement les 100 % aujourd’hui.

 

La capitalisation collective au secours de la répartition

Il faudrait donc épauler la répartition d’une dose de capitalisation collective, comme nous avons eu l’occasion de le défendre dans une étude publiée en 2019 en partenariat avec Contrepoints.

Pour ce faire deux démarches sont indispensables.

La première consiste à provisionner progressivement les retraites des personnels publics au sein du Fonds de réserve des retraites (FRR).

Cette méthode est employée depuis plus d’un siècle par la Banque de France ou le Sénat. Elle permet de créer de la valeur sur les marchés et de limiter le recours aux prélèvements obligatoires pour financer les retraites. À titre d’illustration, si l’État avait provisionné ses retraites comme le Sénat, il aurait placé 920 milliards pour financer les retraites de ses personnels. Il aurait économisé en moyenne 29 milliards d’euros par an sur les 15 dernières années. Son déficit aurait été 30 % moins élevé, à 66 milliards d’euros par an au lieu de 95 milliards. Cette démarche – qui s’apparente à l’investissement le plus rentable que l’État puisse faire – est une priorité si l’on veut redresser les finances publiques.

La deuxième priorité est d’inciter les régimes de retraite du secteur privé à généraliser la capitalisation collective, sur le modèle de la Caisse d’assurance vieillesse des pharmaciens (CAVP).

Dès les années 1960, les pharmaciens ont intégré que le tout répartition ne permettrait pas de distribuer des retraites généreuses. Ils ont choisi de financer leurs retraites complémentaires de façon hybride, en s’appuyant à la fois sur la répartition et sur la capitalisation, conformément à la recommandation standard des économistes. Une partie des cotisations est placée pour bénéficier du rendement des marchés financiers (40 % des cotisations qui, grâce aux intérêts, financent 50 % des prestations) avec à la clef un milliard d’euros de gains générés par la capitalisation sur les 4,7 milliards de prestations distribuées par leur régime complémentaire durant les 30 dernières années.

 

On le voit, les solutions existent.

Concluons avec Sauvy :

« Tant que le diagnostic sera refusé, il ne sera pas question de trouver le remède spécifique. Mais le jour où il sera clairement exprimé, combien de reproches pleuvront sur les dirigeants, sur les informateurs, sur toutes les têtes du pays, politiques, économiques, universitaires, syndicales, qui auront tout fait pour cacher ce mal éminemment guérissable. Ne ménageons pas les efforts pour que s’ouvrent enfin les yeux ».

Vers une régulation plutôt qu’une pénalisation de la prostitution en France ?

La CEDH vient de déclarer recevable une requête contre la loi du 13 avril 2016 « visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées ».

Les juges de Strasbourg se prononceront sur le fond de l’affaire dans les mois à venir, mais cette recevabilité met d’ores et déjà en difficulté le dispositif français de pénalisation des clients.

L’article 611-1 du Code pénal (créé par la loi du 13 avril 2016 sur la pénalisation des clients de la prostitution) établit que :

« Le fait de solliciter, d’accepter ou d’obtenir des relations de nature sexuelle d’une personne qui se livre à la prostitution, y compris de façon occasionnelle, en échange d’une rémunération, d’une promesse de rémunération, de la fourniture d’un avantage en nature ou de la promesse d’un tel avantage est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la 5e classe » (1500 euros d’amende).

La récidive est punie de 3750 euros, complétée parfois par un stage de sensibilisation. L’esprit de cette loi pénale tient à une idée aussi simple que dangereuse : « Supprimons les clients et nous supprimerons du même coup la prostitution ! ».

En novembre 2018, des associations défendant les travailleurs et travailleuses du sexe ont saisi le Conseil constitutionnel d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) portant sur la loi de 2016. Plusieurs arguments étaient invoqués, en particulier celui de l’intrusion exagérée dans la vie privée de majeurs consentants.

Le 1er février 2019 le Conseil constitutionnel a considéré que la pénalisation des clients est conforme à la Constitution en ces termes :

« Au regard du droit à la protection de la santé, résultant du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, le Conseil constitutionnel a jugé qu’il ne lui appartenait pas de substituer son appréciation à celle du législateur sur les conséquences sanitaires pour les personnes prostituées des dispositions contestées, dès lors que cette appréciation n’est pas, en l’état des connaissances, manifestement inadéquate ».

Suite à cette décision du Conseil constitutionnel, 261 travailleurs et travailleuses du sexe et 19 associations ont décidé de saisir la CEDH invoquant que la loi française qui incrimine « l’achat de services sexuels », met dans un état de grave péril l’intégrité physique et psychique, et la santé des personnes qui, comme eux, pratiquent l’activité de prostitution.

En optant pour une criminalisation de l’achat de services sexuels, la France aurait poussé les personnes prostituées à la clandestinité et à l’isolement, les rendant plus vulnérables face à leurs clients, lesquels se trouveraient plus à même d’être impunément violents à leur égard, ou de leur imposer des pratiques à risques, les exposerait davantage au vol, aux agressions, à la stigmatisation et aux risques de contamination, et restreindrait leur accès aux services de prévention, de soins et d’aide à l’insertion.

Les requérants soutiennent que la répression pénale du recours, même entre adultes consentants et même dans des espaces purement privés, à des prestations sexuelles contre rémunération viole les articles 2 (droit à la vie), 3 (interdiction des traitements inhumains ou dégradants), et 8 (droit au respect de la vie privée en ce qu’il comprend le droit à l’autonomie personnelle et à la liberté sexuelle) de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme.

Sans préjuger de ce que la CEDH va statuer sur le fond de l’affaire, l’annonce de la recevabilité de la requête signifie que les griefs sont fondés.

Et pour cause, en décembre 2019, après une évaluation de l’application de la loi, un rapport interministériel avait déjà mis en lumière à la fois une aggravation de la précarité des personnes qui se prostituent dans la rue, et un transfert du sexe tarifé vers le web.

En ce sens, loin d’avoir mis fin à la prostitution, comme le prétendaient les promoteurs de la loi, celle-ci a favorisé le développement des nouvelles formes de racolage articulées autour du web dans des sites d’escorting souvent hébergés à l’étranger.

Aussi, Médecins du Monde a pu constater :

« La santé des travailleuses du sexe s’est détériorée, non seulement parce qu’elles sont moins en mesure d’imposer le port du préservatif, parce que l’accès à la prévention et aux outils de réduction des risques est rendu plus compliqué par l’isolement, mais également parce qu’elles travaillent plus et plus longtemps pour gagner moins, ce qui les place dans une grande précarité économique et fragilité ».

L’étude effectuée par Théo Gaudy et Hélène Le Bail (CNRS, CERI-Sciences Po Paris) arrive aux mêmes conclusions.

La CEDH s’était déjà prononcée d’une manière générale en 2005 sur la liberté sexuelle dans un célèbre arrêt KA et AD contre Belgique en considérant que :

« La faculté pour chacun de mener sa vie comme il l’entend peut également inclure la possibilité de s’adonner à des activités perçues comme étant d’une nature physiquement ou moralement dommageable ou dangereuse pour sa personne. En d’autres termes, la notion d’autonomie personnelle peut s’entendre au sens du droit d’opérer des choix concernant son propre corps ».

Il reste à savoir si ce principe s’applique aussi à la pénalisation des clients.

Depuis une perspective libérale, la reconnaissance légale du travail sexuel constitue la consécration du principe de la liberté de disposer de son corps, permet de mieux combattre la prostitution forcée, et surtout celle des mineurs, d’éliminer les situations d’abus et d’assurer des conditions dignes de travail aux prostituées en matière de sécurité et de santé.

Fruit de la croisade morale menée par les mouvements abolitionnistes de droite comme de gauche, la loi de 2016 a réussi à imposer aux autres, c’est-à-dire aux personnes prostituées et à leurs clients, une conception paternaliste selon laquelle la personne qui se prostitue est une victime à protéger des clients, mais aussi d’elle-même puisqu’on ne peut consentir à la prostitution sous peine de compromettre sa propre dignité humaine : le féminisme s’est découvert ainsi abolitionniste, et le conservatisme s’est passionné pour l’égalité des sexes, comme l’a bien montré le sociologue Lilian Mathieu.

Comme tout travail, la prostitution peut être libre ou subie.

Le seul moyen efficace de mettre fin à la contrainte d’un supposé « système prostitutionnel » est de rendre les prostitués, hommes et femmes, libres de leur force de travail. L’État devant être garant et protecteur de l’exercice de cette liberté, laquelle devrait avoir un corollaire : celui de la soumission de l’activité prostitutionnelle aux règles de droit auxquelles est assujetti tout acteur économique, comme nous l’avons proposé dans un rapport de Génération Libre.

 

Dans une approche pragmatique, libérée de tout a priori idéologique, l’appréhension du phénomène prostitutionnel par l’État appelle une régulation, et non une pénalisation au nom d’une victimisation supposée des travailleurs et travailleuses du sexe. La CEDH pourrait se prononcer en ce sens et demander à la France l’abrogation de la loi de 2016, au motif qu’elle porte atteinte aux droits fondamentaux des personnes prostituées.

Cannabis récréatif : l’Allemagne ose le changement

La semaine dernière, la coalition au pouvoir en Allemagne a adopté son projet de loi légalisant le cannabis récréatif en Conseil des ministres. Initié par le ministre de la Justice du parti libéral allemand Marco Buschmann, et repris par le ministre socialiste de la Santé Karl Lauterbach, il sera présenté au Parlement à l’automne et malgré l’opposition des conservateurs, il y a peu de doutes sur son adoption.

La coalition a insisté sur ses deux objectifs prioritaires : la santé publique et la lutte contre la criminalité organisée. Une grande campagne de prévention sera déployée pour sensibiliser les Allemands sur les conduites à risque et l’accès au cannabis des 18-21 ans sera limité. C’est en effet un âge pour lequel la recherche médicale s’accorde sur le fait que le cerveau est encore en développement et qu’une exposition importante au cannabis peut affecter définitivement le développement cérébral. Quant à la lutte contre la criminalité, Olaf Scholz a assuré de la volonté de son gouvernement de permettre au prix de vente de concurrencer celui du marché noir.

 

Ce que prévoit la nouvelle loi allemande

La nouvelle loi prévoit la création d’associations à but non lucratif dont les membres pourront cultiver la plante pour leur seule consommation, et dans une limite de retrait de 25 grammes par jour et d’un maximum de 50 grammes par mois, et 30 grammes pour les 18-21 ans. Le projet de loi prévoit également le lancement d’une expérimentation dans certaines régions d’une production industrielle sous licence. Ce dispositif devait à l’origine être généralisé et constituer le cœur de la réforme allemande, mais le gouvernement s’est vu contraint de reculer devant les protestations de la Commission européenne, sous influence d’intérêts conservateurs.

Le maintien de l’industrialisation sous forme d’expérimentation est la preuve que le gouvernement allemand n’a pas renoncé à son ambition, et comprend que l’enjeu principal d’une telle réforme est d’avoir un marché légal efficient qui puisse remplacer rapidement le marché noir. Or, tous les consommateurs n’ont ni la volonté ni la capacité de cultiver leur propre cannabis et les seuls Cannabis Social Clubs, dont l’encadrement est d’ailleurs jugé trop strict par les associations, ne suffiront pas à mettre fin au marché noir.

Pour s’opposer au très libéral projet initial, la Commission européenne s’est reposée sur la décision-cadre du Conseil du 25 octobre 2014, qui elle-même traduit les engagements de l’Union européenne vis-à-vis de la convention unique sur les stupéfiants de 1961. La décision-cadre impose en effet aux États membres de réprimer le trafic de stupéfiants et prévoit une exception explicite, laissée à la libre appréciation des États, pour l’autoculture, et donc les Cannabis Social Club, déjà légalisés à Malte et en Espagne.

Cependant, plusieurs arguments pourraient être opposés à l’interprétation conservatrice de la Commission européenne. L’article 2 de la décision-cadre dispose que :

« 1.  Chaque État membre prend les mesures nécessaires pour que les comportements intentionnels suivants soient punis lorsqu’ils ne peuvent être légitimés :

  • la production, la fabrication, l’extraction, la préparation, l’offre, la mise en vente, la distribution, la vente, la livraison à quelque condition que ce soit, le courtage, l’expédition, l’expédition en transit, le transport, l’importation ou l’exportation de drogues; »

 

Or, la CJUE, dans son arrêt Kanavape concernant le CBD, a rappelé que la prohibition internationale des drogues et la Convention de 1961 avaient pour objectif premier la santé publique, et qu’en conséquence, c’était cette considération qui devait dicter les politiques publiques liées au stupéfiants.

Dès lors, un État pourrait « légitimer » l’organisation d’un marché légal par un objectif de santé publique, la légalisation n’étant qu’une option politique parmi d’autres dans la lutte contre les trafics et les addictions. Option politique qui montre, au demeurant, son efficacité dans les pays qui ont mené cette réforme à bien : au Québec, le marché noir s’est effondré, les jeunes expérimentent le cannabis plus tard, et ils sont moins nombreux à en consommer.

Par ailleurs, se pose la question de l’adéquation et la proportionnalité entre l’objectif de santé publique poursuivie et le moyen (la prohibition), dans la mesure où d’autres substances plus addictives et plus toxiques comme l’alcool et le tabac sont autorisées. Certains chercheurs en droit considèrent que les conventions internationales sur les stupéfiants ne peuvent pas être isolées des autres engagements internationaux, notamment ceux liés aux libertés individuelles, et que la légalisation peut être regardée comme un moyen de les concilier.

Enfin, il faut rappeler que l’initiateur et le chien de garde historique de la Convention de 1961 sont les États-Unis. Or, il est manifeste que de plus en plus d’États s’engagent dans la légalisation et que l’État fédéral, même sous la présidence de Donald Trump, n’entend pas les en empêcher. Dès lors que le seul signataire de la Convention qui avait la volonté de lui assortir des sanctions ne la respecte lui-même plus, l’Union européenne ne peut pas se défausser derrière ces engagements internationaux.

 

Vers une légalisation progressive au sein de l’Europe ?

La Commission européenne en est consciente, et sous la pression des nombreux États qui veulent prendre la voie de la légalisation, elle serait en train de réviser sa doctrine.

Le Luxembourg, qui avait suspendu sa réforme durant la crise sanitaire, compte bien la remettre sur la table ; les Pays-Bas, où il existe une dépénalisation de fait du cannabis dans les coffeeshop, mène une expérimentation d’industrialisation pour se débarrasser définitivement du marché noir, voie suivie également par le Danemark… Enfin, le président de la République tchèque, Petr Pavel, à la tête une coalition de centre-droit (chrétiens démocrates et libéraux conservateurs) a récemment promu l’adoption d’un modèle industrialisé dans son pays.

De ce fait, on peut légitimement se demander comment, dans un espace européen ouvert, la France pourrait rester le seul pays prohibitionniste, alors que le cannabis sera progressivement légalisé à toutes ses frontières. Tout laisse à penser qu’en France, la lutte contre le trafic de cannabis n’est plus qu’une entreprise de communication, un totem censé symboliser la fermeté de l’État dans la lutte contre la délinquance, tant il est facile de communiquer sur les centaines de petites saisies faites à travers le territoire. Une politique qui n’a aucun effet, ni sur le marché noir ni sur la consommation des plus jeunes.

La loi prohibitionniste crée sa propre légitimité dans un cercle vicieux où son échec justifie alors toujours davantage de répression. Mais encore, cette politique de répression est un gouffre financier, soutenu au détriment des autres politiques pénales et de la prévention : deux milliards d’euros en moyenne sont affectés chaque année aux forces de l’ordre pour ce seul objectif, contre quatre millions d’euros investis dans la prévention en 2023… Des voix s’élèvent dans la majorité présidentielle, comme Caroline Janvier, tout comme au sein de la gauche, et même des LR.

Mais rien ne pourra changer tant qu’il n’y aura pas de volonté au niveau de l’exécutif de donner la priorité à l’efficacité sanitaire et sécuritaire plutôt qu’au symbole.

Attribution des logements sociaux : décentralisation et liberté vont-elles toujours de pair ?

Redonner aux maires la compétence de l’attribution des logements sociaux : tel est l’engagement pris par le président de la République Emmanuel Macron devant les 220 maires reçus le 4 juillet dernier à l’Élysée, rapporte le journal Mediapart.

Si les modalités précises de cette dévolution aux maires ne sont pas connues, elles auront probablement pour objectif de simplifier les procédures d’examen des dossiers de candidats à un logement social : en effet, à l’heure actuelle, cette compétence échoit à une commission d’attribution du logement, composée de représentants du bailleur (y compris un représentant de ses locataires), de la commune, ainsi que de l’État.

Cet article de Mediapart ainsi qu’un fil du député LFI – NUPES François Piquemal sur Twitter se font l’écho d’inquiétudes à gauche sur les risques de clientélisme et de discrimination ethnique, religieuse et sociale dans le cadre de l’attribution des HLM, si cette compétence était réservée aux seuls maires.

Cet exemple nous semble intéressant car il nous invite à réfléchir, en tant que libéraux, à notre rapport à la décentralisation : cette dernière est-elle systématiquement porteuse de davantage de libéralisme ?

 

Un tropisme libéral traditionnellement favorable à la décentralisation

La philosophie libérale est généralement plutôt favorable à une forme de décentralisation, dans la mesure où elle favorise la dispersion du pouvoir.

Benjamin Constant loue ainsi le « pouvoir municipal », qui « n’est un pouvoir que relativement aux administrés, ou plutôt c’est leur fondé de pouvoir pour les affaires qui ne regardent qu’eux ».

À chaque échelon ses affaires, à chaque strate son autonomie : c’est au niveau de la commune que se décident le mieux les affaires de cette dernière.

Tocqueville a également souligné « les avantages politiques que les Américains retirent du système de la décentralisation », qui constitue le ferment d’une culture civique du souci de l’intérêt général local, à rebours de l’attitude du citoyen d’un État centralisé à l’excès (« la fortune de son village, la police de sa rue, le sort de son église et de son presbytère ne le touchent point ; il pense que toutes ces choses ne le regardent en aucune façon, et qu’elles appartiennent à un étranger puissant qu’on appelle le gouvernement »).

 

La décentralisation peut porter en germe des pratiques illibérales

Pourtant, la décentralisation peut être porteuse d’abus de liberté, en particulier si ses modalités de mise en œuvre sont propices au développement de despotismes locaux. Octroyer ainsi le pouvoir d’attribution des HLM au seul maire constitue ainsi un exemple typique de ce risque.

S’il ne s’agit naturellement pas de soupçonner les quelques 35 000 maires de France de clientélisme, il convient cependant de rappeler qu’ils disposent de prérogatives importantes, ainsi que d’un prestige symbolique non négligeable1.

Cette conjonction du pouvoir politique et du prestige symbolique du maire est ainsi susceptible de créer un déséquilibre entre les administrés et lui-même : en cas de discrimination, de copinage, de clientélisme, il sera ainsi difficile de prouver, et surtout de lutter contre un tel détournement de pouvoir au service d’intérêts particuliers.

C’est pourquoi il semble nécessaire, à rebours de la proposition du gouvernement, de conserver les modalités actuelles d’attribution des HLM, ou tout au moins d’en maintenir le caractère collégial, afin de ne pas octroyer à un seul individu, doté d’un fort pouvoir et d’un ancrage local important, et donc par essence très exposé aux risques de clientélisme, le pouvoir de disposer comme bon lui semble de biens financés par des ressources publiques.

Cette exigence répond non seulement à des principes énoncés par l’article 15 de la Déclaration de 1789, mais également par la nécessité de garantir une transparence maximale s’agissant de l’emploi de fonds prélevés aux individus par la coercition, grâce à la force de l’État.

Or, la collégialité constitue assurément un moyen de limiter les risques de clientélisme et de détournement de pouvoir : en effet, il y a moins de chances que trois personnes différentes poursuivent, par exemple, les mêmes velléités racistes en prétendant exclure certains groupes de l’accès au logement social, ou bien soient proches de tel ou tel candidat que l’un des membres du collège souhaiterait favoriser au détriment des autres personnes éligibles.

 

Au-delà du logement social, le marché privé comme outil de lutte contre les discriminations à l’accès au logement

Cependant, la question de l’attribution des logements sociaux ne constitue qu’un aspect partiel, bien que non négligeable, de la question de l’accès au logement en général.

En effet, face à l’intensification de la pénurie de logements, il est indispensable de libérer le marché privé, outil essentiel en matière de lutte contre les discriminations à l’accès au logement, notamment en raison de la multiplicité des acteurs qui l’animent. Une telle affirmation peut paraître contradictoire, dans la mesure où le bailleur particulier est seul face aux potentiels locataires, et que la collégialité susceptible de neutraliser les velléités de discrimination des individus est absente.

Mais c’est oublier que la liberté du marché favorise l’augmentation de l’offre, qui est donc proposée par une multiplicité de bailleurs : or, ces derniers ne poursuivent pas tous les mêmes objectifs, ne partagent pas tous les mêmes préjugés. Il existe dès lors un risque moindre qu’un ou plusieurs acteurs oligopolistiques exerçant des pratiques discriminatoires captent une grande partie du marché, contrairement à une organisation administrative, par essence plus sujette à une uniformisation des objectifs et des moyens poursuivis pour atteindre ces objectifs.

 

En conclusion

Plutôt que de proposer une simplification d’ordre accessoire et potentiellement pernicieuse, mieux vaudrait mettre en place une politique de l’offre courageuse, en jouant sur trois volets complémentaires :

  1. Accroître la transparence de l’attribution des HLM
  2. Intensifier la construction de logement social public
  3. Libérer le marché privé du logement.

 

Seul un choc d’offre, favorisé par une libéralisation de la construction et du marché de la location, pourra résoudre, à terme, la crise que traverse l’immobilier français.

  1. Il n’est ainsi pas douteux que que nombre de Français croient élire directement le maire de leur commune, alors même que l’élection appartient au seul conseil municipal, et que la tête de la liste majoritaire ne soit donc, du moins en théorie, pas assurée d’être choisie comme maire.

Légalisation du cannabis récréatif : les défis français

Par Khalid Tinasti.

Fin janvier 2023, le Conseil économique, social et environnemental a rendu un rapport préconisant une commercialisation encadrée du cannabis. En 2021, une mission d’information de l’Assemblée nationale avait elle aussi recommandé une légalisation du cannabis sous contrôle de l’État.

Depuis quelques années, les débats sur le contrôle et la riposte au cannabis se sont multipliés en France. Face à l’augmentation de la consommation, du trafic et des saisies, ces travaux ont en commun d’appeler à abandonner la répression de l’usage récréatif, en suivant l’exemple de pays qui se tournent vers la légalisation et la régulation du marché.

Cette vague atteint doucement l’Europe. Au Luxembourg et à Malte, la production et la consommation personnelles sont régulées. En Allemagne et en Suisse, la légalisation de l’usage récréatif au niveau fédéral commence ses parcours législatifs. Certaines villes néerlandaises et suisses expérimentent la production légale pour fournir leurs coffee-shops ou leurs consommateurs locaux.

En France, avec une importante prévalence d’usage mais également un système plus répressif que chez ses voisins avec des résultats peu probants, le cannabis pose divers problèmes qui requièrent une stratégie de riposte lisible. Ces problèmes sont sécuritaires (du deal visible à la violence armée), économiques (le marché illégal offre des opportunités aux habitants des quartiers prioritaires), ou sanitaires (prévalence d’usage élevée parmi les mineurs et les adultes).

Le débat se divise avec peu de nuances entre les tenants de la répression et les partisans de la légalisation.

 

Quels arguments en faveur de la légalisation ?

La légalisation est en place depuis quelques années en Californie ou au Canada. En supposant que la société accepte la consommation de cannabis comme état de fait, elle se défend par son potentiel à remplacer le marché illégal et à mieux protéger la santé des consommateurs par des régulations concernant la qualité, et des restrictions sur les quantités. Elle offre de surcroît un cadre juridique pour régler les conflits entre les acteurs de ce marché (droit commercial, droit du travail et de la concurrence, par exemple).

En limitant l’accès aux mineurs, en améliorant la qualité des produits disponibles à la vente et en établissant des règles légales claires pour cette filière, la légalisation promet un meilleur contrôle de la substance, de ses différents usages et de ses conséquences sociales, économiques et sanitaires.

Mais compte tenu de son usage diffus, de sa présence dans différentes strates de la société et de son imbrication dans d’autres politiques publiques (de la sécurité, à l’éducation, au travail ou à la santé publique), la légalisation du cannabis peut-elle être considérée sans y intégrer d’autres dimensions clés pour la France ? Par exemple, la politique de la ville et l’effacement des casiers judiciaires pour des actes qui deviendraient légaux ? Ou encore la viabilité même d’un modèle économique d’un marché « nouveau » qui se superpose à un marché illégal résilient et bien installé ? Est-il possible, dans l’état actuel de polarisation du débat, de légaliser le cannabis mais aussi d’adapter en conséquence une myriade de règles durant les années qui viennent ?

Ces questions n’ignorent pas que le droit international interdit la légalisation autre que médicale ou à visée de recherche scientifique du cannabis. Nous nous focalisons ici sur les défis et les objectifs nationaux d’une éventuelle légalisation récréative du cannabis.

 

La reconversion des acteurs du marché illégal

Le modèle de légalisation californien, plus que les divers modèles provinciaux au Canada, est d’intérêt pour la France.

Ce dernier intègre des dimensions de riposte qui se concentrent sur les quartiers prioritaires et sur l’intégration dans le marché légal d’acteurs pénalisés dans le passé. De plus, la loi permet aux élus municipaux d’accepter ou non des dispensaires cannabiques sur leurs territoires. Elle permet également aux personnes avec des casiers judiciaires pour des faits non violents (incluant la consommation, le deal ou le transport de cannabis) de les faire effacer. Ainsi, des villes comme Los Angeles ou Oakland ont essayé de donner des permis de dispensaires en priorité aux anciennes petites mains du marché illégal, afin de leur permettre de s’intégrer dans le nouveau marché régulé.

Loin d’une image caricaturale et hormis la quasi-impossibilité de sa mise en place dans une économie de marché compétitive dans laquelle les investisseurs et entrepreneurs aguerris maîtrisent mieux les règles du jeu, cette disposition juridique est un cas d’études pour la France. Les problèmes visibles et les activités de trafic semblent se concentrer dans certains quartiers prioritaires et au sein de populations éloignées des opportunités de travail légal.

Toutefois, ce point central de la riposte au cannabis n’a été jusque-là mentionné par aucun responsable politique français tenant de la légalisation. Pourtant, le modèle d’une future industrie légale du cannabis dépend en grande partie de l’intégration dans le débat public de cette relation intrinsèque entre le marché illégal du cannabis et l’économie illicite dans les quartiers prioritaires. S’intéresser à cette question permettrait de déterminer la taille et les contours potentiels des marchés légaux et illégaux, d’en réduire les acteurs ou d’y augmenter la concurrence, et ainsi la violence. Cela participerait aussi à définir la qualité, la traçabilité et la puissance des produits disponibles dans le pays.

 

D’une panacée à une autre

Le débat actuel occulte également la difficulté de la mise en place d’un marché légal et de sa capacité à réussir. Comme la prohibition du cannabis qui a été présentée comme une solution pragmatique, unique et réaliste au début du XXe siècle, la légalisation est promue actuellement comme une icône et une solution définitive. De l’espoir que la prohibition serait en mesure d’éliminer l’usage du cannabis par la répression de ses producteurs, ses revendeurs et ses consommateurs, nous assistons à la promotion de la légalisation comme la panacée pour éliminer le marché illégal, son économie et ses acteurs.

Mais la légalisation est bien plus complexe à mettre en place qu’une série de règles édictées par le gouvernement et dont le non-respect est puni. C’est un effort collaboratif où une série d’acteurs et d’intérêts (acheteurs, industriels, agriculteurs, etc.) s’influencent les uns les autres et influencent les résultats du modèle de légalisation lui-même. Dans la chaîne d’approvisionnement de cannabis légal, par exemple, qui définit les standards de qualité que doivent suivre les agriculteurs ? Est-ce l’État qui établit des normes, les spécifications des revendeurs, ou les labels de standardisation privés ? Et qu’est-ce qui influence le plus les comportements des consommateurs dans un marché légal ? Les lois qui établissent les normes sanitaires et les limites de concentration des ingrédients psychoactifs, ou les boutiques qui disposent les produits selon leur valeur commerciale ?

La légalisation a besoin d’une approche graduelle, longue et construite autour des problématiques propres à l’économie illicite. En France, celles-ci relèvent de la sécurité et des affaires sociales pour répondre aux besoins nationaux et minimiser les conséquences inattendues pour les citoyens. La prohibition du cannabis a été un choix de facilité du début du XXe siècle. La légalisation, elle, est la réponse publique la plus exigeante et la plus compliquée à définir et à mettre en place pour contrôler le cannabis. C’est peut-être sur ce point que les stratégies diffèrent le plus. C’est aussi là que réside la plus grande incompréhension dans ce débat.The Conversation

Khalid Tinasti, Chercheur au Center on Conflict, Development and Peacebuilding, Graduate Institute – Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Semi-conducteurs : l’indépendance technologique ne se limite pas à la fabrication

Par David Monniaux.

 

L’industrie des semi-conducteurs demande de lourds investissements. Le franco-italien STMicroelectronics (ST), un des quelques fabricants européens de circuits intégrés de haute technologie, va s’associer avec Global Foundries, un grand acteur international du secteur, pour étendre son usine de Crolles, près de Grenoble (Isère).

Cette extension fait polémique en raison, d’une part, des très fortes subventions publiques annoncées début juin 2023 pour cette installation (2,9 milliards d’euros) et, d’autre part, de la consommation en eau des installations. On justifie l’effort public européen dans les semi-conducteurs par l’indépendance technologique.

Mais qu’en est-il vraiment ?

On trouve des puces électroniques non seulement dans les ordinateurs, les téléphones portables, les tablettes… mais aussi dans une très grande part des appareils qui nous entourent, de la machine à café aux automobiles, en passant par les robots industriels. Le numérique est partout. Les difficultés d’approvisionnement dues à la pandémie de covid ont bien illustré notre dépendance aux fournisseurs de circuits intégrés.

 

La conception des puces est aussi une industrie

Ces puces électroniques sont produites dans des usines de haute technologie, avec un équipement très spécialisé et très coûteux. Certains de ces équipements ne sont produits que par un unique fabricant au niveau mondial, le néerlandais ASML. Pour produire des circuits du plus haut niveau de performance, ceux pour ordinateurs et smartphones, il faut une usine – une « fab », disent les professionnels du secteur – à l’état de l’art, dont le coût de construction est de l’ordre de 10 milliards de dollars.

Devant de tels montants d’investissement, on ne trouve plus à l’échelle mondiale que quelques fabricants, parmi lesquels le géant taïwanais TSMC, le Coréen Samsung, les Américains GlobalFoundries ou Intel, face auxquels ST apparaît de taille nettement plus modeste. On comprend l’enjeu stratégique de conserver en Europe de la fabrication de puces proches de l’état de l’art en performance. Toutefois, c’est avoir une vue très réductrice de cette industrie que de ne considérer que la fabrication.

La conception des puces est elle-même une industrie : produire le plan d’une puce demande de lourds investissements et une expertise considérable. On fait commerce de plans partiels, blocs de propriété intellectuelle (« blocs IP ») produits par des sociétés dont la britannique ARM est sans doute la plus connue – les puces sur modèle ARM équipent la plupart des téléphones portables et sont également la base des puces Apple des iPhone et des nouveaux Mac.

Cette industrie est internationale, mais largement invisible du grand public : pas d’usines, tout se passe dans des bureaux et par des échanges de fichiers. Les enjeux sont importants : lancer la fabrication d’une puce comportant des bugs a un coût qui, au mieux, se mesure en millions, mais peut être bien plus élevé – on évalue à un milliard de dollars actuels le coût pour Intel du fameux bug du Pentium en 1995 (cette puce calculait fausses certaines divisions).

Il y a même pour servir cette industrie de la conception de puces une industrie de logiciels spécialisés (conception, simulation, test, etc.), dont les acteurs sont par exemple les Américains Cadence ou encore Mentor Graphics. Signe de son caractère stratégique, cette dernière société a été rachetée par l’allemand Siemens.

On a ainsi largement découplé la conception et la fabrication des puces, à telle enseigne qu’il existe de très nombreux fabricants de puces fabless, c’est-à-dire qu’ils ne possèdent pas d’usine de fabrication et font fabriquer par d’autres, à l’image de TSMC. En France, c’est le cas notamment de l’Isérois Kalray, dont les puces ont maintenant un grand succès dans les centres de traitement de données. Ceci pose cependant la question de notre dépendance à l’industrie taïwanaise, avec l’épineuse question de ce qu’elle deviendrait en cas d’invasion de l’île par la Chine populaire.

 

Le risque d’une licence extraeuropéenne

Comment analyser, dans ce contexte, la subvention à ST, par rapport à l’objectif d’indépendance technologique ?

La plus grande partie de l’activité de ST en matière de processeurs consiste à fabriquer des puces (STM32) sous licence ARM. Or, ARM a failli être racheté par l’Américain Nvidia en 2022. Il n’y aurait guère d’indépendance technologique à fabriquer en Europe des puces sous licence américaine, potentiellement soumises aux conditions de commercialisation fixées par le gouvernement américain suivant ses objectifs stratégiques.

La dépendance de toute l’industrie des processeurs aux designs de deux grands acteurs (Intel et ARM) a suscité le développement d’une architecture ouverte nommée RISC-V. Tout un écosystème d’entreprises conçoit des puces RISC-V, et cette architecture reçoit l’attention tant des dirigeants européens (European processor initiative) que chinois, pour ses promesses d’indépendance technologique. Toutefois, faute de concevoir nous-mêmes les puces, le danger serait là encore de se contenter d’être fabricant sous licence extraeuropéenne (chinoise, américaine, ou encore russe ?).

Si nous voulons une réelle indépendance technologique et stratégique européenne en matière de « puces », il ne faut donc pas se concentrer uniquement sur la partie fabrication, mais sur toute la chaîne de valeur, y compris la conception de puces et la conception des logiciels de conception de puces.

 

David Monniaux, Chercheur en informatique, Centre national de la recherche scientifique (CNRS), Université Grenoble Alpes (UGA)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

The Conversation

Des réformes « clés en main » pour libéraliser la France, avec Christophe Seltzer

Épisode #37

Christophe Seltzer est directeur général du think-tank Génération Libre. Diplômé de l’ISMaPP en stratégie politique, il a effectué des immersions professionnelles en parti politique et en administration centrale (ministères de l’Intérieur et du Budget).

Après avoir animé le mouvement Students for Liberty en France dès 2013, puis successivement occupé les postes de community organizer et de directeur de relations publiques au sein de Generation Libre, Christophe Seltzer reprend la direction générale du think tank en 2021.

Quand il n’explore pas les contre-cultures ou ne voyage dans les pays d’Europe de l’Est, il se dédie à la promotion de politiques publiques centrées sur l’autonomie de l’individu. Il défend une France plus parlementaire, décentralisée et simplifiée, en un mot : libérale.

Il est lauréat de la « Bourse Tocqueville » (2014).

Cet entretien a été enregistré à Paris en juillet 2023.

Pour écouter le podcast, utilisez le lecteur ci-dessous. S’il n’apparaît pas, rechargez la page ou cliquez directement ici 

Programme :

0:00 – Présentation de l’invité
4:05 – Le tournant démocrate
6:23 – Pourquoi GL refuse le financement classique des think-tanks
12:31 – Les thèmes phare de Génération Libre
23:09 – Le revenu universel (encore lui)
27:01 – « Déprésidentialiser » la Ve République
46:28 – Pour une vraie décentralisation
53:32 – Un vice de financement public ruine-t-il les réformes de décentralisation ?
59:23 – Qu’est-ce qu’une « idée GL » ? Un exemple sur les frais d’inscription à l’université
1:03:07 – Pouvait-on réformer les retraites autrement qu’en reportant l’âge légal de départ ?
1:09:21 – La menace du « techno-populisme »
1:12:56 – Une crise de l’engagement dans la vie publique ?

 

Pour aller plus loin :

 

Entretien de 2021 avec Gaspard Koenig
Rapport Décentralisation : Le pouvoir aux communes
Rapport Institutions : Deprésidentialiser la Ve République
Article récent sur le Revenu universel : Transformer l’impôt sur le revenu en impot négatif
Rapport sur les Retraites : La retraite quand je veux
Note sur les frais d’inscription – Universités : Révolutionner les frais d’inscription
Rapport Travail du sexe : Faire entrer le travail du sexe dans le droit commun
Soutenir Génération Libre : Nous soutenir

Légalisation du cannabis : un maire ouvre le débat

Le débat sur la légalisation du cannabis récréatif revient sur le devant de la scène politique très souvent, et désormais à une fréquence de plus en plus régulière.

Il est relancé une nouvelle fois par le maire de Bègles, qui souhaite faire de sa ville un laboratoire d’expérimentation en faveur de la légalisation. Au début de l’année, il a ainsi adressé une lettre au président de la République pour lui faire part de sa proposition.

 

Une répression qui ne fonctionne pas

Clément Rossignol-Puech, maire écologiste de Bègles, commune située à quelques kilomètres de Bordeaux, souhaite que ses habitants puissent vendre, acheter et consommer du cannabis de façon légale. Il désire faire de sa commune le tout premier territoire en France à expérimenter le commerce encadré et légal du cannabis.

Il s’est donc porté candidat pour cette expérimentation locale, en adressant un courrier à Emmanuel Macron dans lequel il expose les raisons de sa demande.

Les arguments sont déjà bien connus.

Le maire évoque la banalisation grandissante de la consommation de cannabis chez les jeunes, les trafics liés à la vente qui engendrent des problèmes de sécurité, ou encore le niveau de THC (la substance psychoactive du cannabis) qui augmente d’année en année, créant un risque de santé publique.

Dans un entretien accordé à 20minutes, il explique :

« Malgré la mise en place d’un système de prohibition depuis plus de 50 ans, un des plus répressifs d’Europe, la France est le pays de l’Union européenne qui compte en proportion le plus de consommateurs ».

Pour lui, aucun doute, la répression ne fonctionne pas, et on aurait beaucoup de mal à lui donner tort.

Il précise également que son but n’est pas de faire « l’apologie du cannabis », il ne désire pas « développer sa consommation », mais au contraire encadrer tout le processus pour éviter au maximum les dérives et communiquer efficacement avec les fumeurs sur les risques liés à la consommation.

Les objectifs du maire sont multiples : il veut accompagner au maximum les consommateurs, contrôler la qualité du cannabis vendu, ou encore lutter contre les trafics et toutes les violences qui y sont liées. Bien sûr, un argument économique est mis en avant, avec le développement d’une nouvelle filière agricole.

Le groupe de réflexion Terra Nova avait notamment estimé que la légalisation du cannabis rapporterait 1,8 milliard d’euros par an à l’État, aussi bien en taxes sur la vente des produits, que sur les économies réalisées en mettant fin à la répression.

 

Un maire impliqué

Clément Rossignol-Puech n’en n’est pas à son coup d’essai.

En 2023, il était à l’initiative d’une tribune, publiée dans le JDD, où plusieurs maires, mais également des députés, des sénateurs ou des acteurs associatifs, faisaient part de leur souhait d’expérimenter localement « un modèle de légalisation encadrée de production, vente et consommation de cannabis ».

On y retrouvait déjà les mêmes arguments cités plus haut en faveur de la légalisation et des personnalités de tous les horizons politiques (ou presque) avaient signé la tribune. Si le sujet est donc éminemment politique, des hommes et femmes, de gauche comme de droite, sont prêts à franchir le pas.

 

Une Europe qui progresse lentement sur le sujet

Si ce type d’expérimentation n’a encore jamais été mis en place en France, nos voisins suisses s’y essaient déjà.

La légalisation du CBD en Suisse, autre substance issue du cannabis, est arrivée plus tôt qu’en France et les Suisses semblent aussi avancer plus vite que nous pour le cannabis récréatif. Une première expérimentation a débuté à Bâle en février, puis une seconde plus étendue à Lausanne a commencé en mars, et une troisième débutera en août à Zurich.

En octobre 2022, le ministère de la Santé allemand présentait également une feuille de route pour un cadre à la légalisation du cannabis récréatif, effectif pour 2024. Ici, le but est similaire à celui visé par le maire de Bègles : un commerce totalement légalisé, mais un contrôle strict de la chaîne d’approvisionnement, de la production jusqu’à la vente.

Pour l’instant, hormis les Pays-Bas, aucun autre pays de l’Union européenne n’a totalement légalisé le commerce du cannabis. Il y a cependant des avancées un peu partout sur le vieux continent. Par exemple, Malte et l’Espagne permettent à leurs habitants de cultiver quelques plantes pour une consommation personnelle, et le Luxembourg souhaite s’inspirer du modèle maltais.

En revanche, la France reste toujours très prudente et très bloquée sur ce sujet, malgré une politique répressive qui échoue sur tous les plans depuis des dizaines d’années. Emmanuel Macron a simplement indiqué « avoir pris note » de la demande du maire de Bègles… On peut imaginer que les nombreux consommateurs français attendent une réponse pragmatique de leur président.

Émeutes : responsabiliser pour réparer

La séquence politique des violentes émeutes suscitées par la mort de Nahel révèle toutes les failles de l’extrême centralisation et de l’hyperprésidentialisation de notre beau pays. Le tableau est presque caricatural : alors que certains quartiers s’embrasent, 250 maires se sont précipités au palais de l’Élysée pour échanger avec le président monarque.

À l’issue de la rencontre, le maire de Trappes Ali Rabeh a exprimé sa frustration au micro d’Europe 1 : « Je suis arrivé avec peu d’espoir, je ressors un peu désespéré, je ne le cache pas ».

Mais cette déception était-elle seulement évitable ? Cette scène de maires déboussolés reçus par le chef de l’État pour une séance de câlinothérapie, devrait suffire à provoquer un électrochoc sur la nécessité d’instaurer enfin un paradigme de responsabilité et des institutions libérales.

À nouveau, comme à chaque crise, l’État central incarne le rôle du sauveur sur lequel repose tous les espoirs : à coups de grandes annonces, de grands débats, de grands plans, l’État va « mettre les moyens » tandis que les citoyens, remplis d’espérance, attendront sagement les retombées positives… en vain.

Comment s’étonner, dés lors, de l’érosion des vertus civiques en France ?

Le président de la République avait pourtant eu une intuition inespérée, en pointant du doigt la responsabilité des parents. Mais comme souvent, il lui manque le courage ou la cohérence d’aller au bout de la logique suggérée : la déresponsabilisation généralisée est à l’origine de bien des maux du pays.

En effet, nous nous confrontons aujourd’hui aux conséquences inévitables d’un État social obèse et d’une technocratie débordante. Lorsque la place de l’État augmente, l’autonomie, la souveraineté et la responsabilité de l’individu décroissent nécessairement. C’est ainsi que s’alimente le cercle vicieux de la dépendance. « L’État, c’est la grande fiction par laquelle tout le monde s’efforce de vivre aux dépens de tout le monde », disait Bastiat.

Seul le déni peut expliquer la persévérance avec laquelle nous nous entêtons à maintenir un système qui a si formidablement échoué par le passé. Nous serions pourtant bien inspirés de suivre Bossuet : « Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes. »

Les politiques volontaristes qui consistent à arroser ces territoires d’argent public sont pernicieuses. Pour aider les banlieues et leurs habitants, il faut les sortir de la tutelle de l’État. Le meilleur service que nous puissions rendre à nos compatriotes des « quartiers sensibles » serait de mener une véritable politique de responsabilisation des acteurs locaux.

Et si, plutôt que de faire payer la collectivité – et donc rendre le coût réel des dégradations indolore pour les populations locales concernées -, on proposait de faire peser sur ces quartiers le coût des dégradations commises par leurs habitants ? Ne serait-ce pas plus utile, pour responsabiliser les entourages des émeutiers, que de distribuer des flyers pour rappeler aux parents leurs obligations, comme le propose Éric Dupond-Moretti ?

Une chose est certaine, ces violences témoignent de l’existence d’une jeunesse désemparée en manque de repères. S’ils devaient faire sans l’État, et donc affronter seuls le défi de la reconstruction des dégâts provoqués par les émeutes, peut-être que les grands-frères, les parents, et tous ceux qui le peuvent auraient une incitation réelle à prendre leurs responsabilités : quel que soit le prétexte, on ne laisse pas un gamin de 15 ans brûler des voitures et piller des magasins.

Macron à Marseille : encore et toujours plus de centralisation…

Emmanuel Macron a fait récemment une visite à Marseille pour présenter la suite du Plan Marseille en grand. Ce vaste programme centralisateur est le projet d’un président qui, ne parvenant pas à faire ce qu’il veut sur le plan national, se tourne vers une grande municipalité pour expérimenter certaines politiques publiques.

Pour autant, cette intervention n’est pas anodine et elle est susceptible de générer plusieurs conséquences bien connues : déresponsabilisation des acteurs locaux, bureaucratie, renforcement de la tendance centralisatrice, perte d’initiative locale, etc.

Par ailleurs, cette sorte de cercle vicieux de la centralisation produit une concentration des ressources dans la capitale et, par conséquent, un affaiblissement des revendications régionalistes.

Il peut paraître anachronique qu’un président de la République intervienne directement dans une ville, en court-circuitant les acteurs locaux. Son intervention marque cette tendance lourde du centralisme français qui consiste à réduire les marges de manœuvre des entités locales en imposant des choix venus d’en haut.

Est-ce bien le rôle d’un président d’intervenir au niveau local en imposant un programme qui n’est nullement le fruit de négociation avec les acteurs locaux ? Tel un monarque, il ne rendrait que des visites à ses intendants en veillant à ce qu’ils exécutent parfaitement ses ordres.

 

Les dangers du centralisme

Ce centralisme centripète a pour effet de réduire les initiatives locales sans pour autant rendre les initiatives centrales efficientes.

En effet, hormis le problème des trafics de drogues, les problèmes marseillais peuvent être résolus localement, éventuellement par l’initiative privée. Il est assez prétentieux pour un président de descendre de son lit pour imposer ses lumières à une population locale peu intéressée par sa venue. Plus encore, son intervention est révélatrice des problèmes qui touchent à la séparation verticale des pouvoirs entre les différents échelons décentralisés.

En effet, après avoir fortement réduit les marges fiscales des collectivités territoriales par la suppression de la taxe d’habitation ou par les impôts de production, voire par la réduction de la dotation globale de fonctionnement (qui, d’un point de vue constitutionnel, accroît l’autonomie locale au sens de l’article 72 de la Constitution), donc de leurs marges de manœuvre d’action, le pouvoir central vient à leur rescousse avec des programmes quasi-politiques pour les « aider » à améliorer le niveau de vie de leurs habitants.

Autant dans ce cas mettre en tutelle la collectivité en question, ce sera plus simple. Ainsi, comme avait pu le dire, il fut un temps, le doyen Louis Favoreu, « la France a réussi à décentraliser en centralisant ». C’est là en effet le gros paradoxe de la France qui, historiquement, n’a, depuis la Révolution de 1789 et à de rares exceptions (programme de Nancy), jamais plaidé ni œuvré pour une réelle décentralisation.

Pour donner la possibilité aux collectivités territoriales de pouvoir traiter leurs affaires de la manière la plus libre possible, il faudrait un transfert massif de compétences de l’échelon central vers les échelons décentralisés. Cela peut se faire, après révision constitutionnelle, par le transfert de la politique fiscale (autonomie fiscale) aux collectivités territoriales. Ce transfert permettrait une véritable différence de fiscalité entre les entités territoriales et donc une concurrence fiscale nécessaire pour l’attractivité des territoires, une pleine autonomie sur les budgets locaux et ainsi, contribuer à une gestion plus saine des finances locales.

Outre l’aspect fiscal, c’est l’aspect démocratique qu’il conviendrait de traiter.

Pour une véritable décentralisation, la possibilité de mise en œuvre d’une démocratie participative, voire directe, dans les collectivités locales, est urgente. Elle peut passer par des initiatives populaires, voire par des référendums locaux plus fréquents. Elle pourrait concerner toutes les compétences de la collectivité, même la compétence fiscale. Les citoyens auraient ainsi un véritable contrôle sur l’action publique et cela entraînerait une meilleure transparence et une plus grande confiance dans les acteurs locaux.

Enfin, il convient de penser la décentralisation ascendante.

Autrement dit, l’échelon le plus bas doit dire s’il peut ou non assurer telle ou telle compétence. Si non, cette compétence est proposée à l’échelon supérieur, et ainsi de suite. Cela permettra de donner une plus grande lisibilité sur les compétences des différentes entités territoriales.

Une véritable décentralisation permettra de rapprocher la politique des citoyens, de donner davantage de confiance dans les acteurs politiques et rendra donc plus efficientes les politiques publiques. Cette proximité avec des élus disposant d’une large marge de manœuvre, mais aussi de fortes responsabilités, conduit les individus à mieux évaluer le travail des représentants en général. Par ailleurs, les responsables politiques sont généralement plus populaires lorsqu’ils ont moins de pouvoir.

Enfin, pour libérer les élus, donnons-leur les responsabilités financières, levons toutes
les contraintes dans leur politique de taux, et, contrepartie nécessaire de la liberté, responsabilisons-les beaucoup plus.

Les analyses de GenerationLibre sur ces sujets sont éclairantes.

Par exemple, on comprend que « la décentralisation fiscale ne serait donc acceptable qu’à la condition de s’accompagner d’une baisse massive des impôts d’État. Les impôts d’État à réduire devraient porter autant que possible sur les mêmes contribuables que les impôts locaux ».

Bref, on comprend que les dangers du centralisme excessif pèsent lourd sur la vitalité des collectivités territoriales, leur dynamisme et leur prospérité. Il conviendrait donc de les libérer de l’État pour donner un véritable souffle à notre État fragile.


J’aimerais terminer cet article en rendant un hommage sincère à un ami d’université, Maxime Manhes, mort à l’âge de 21 ans lors une chute de ski à l’aiguille Verte, le 8 juin 2023. Je l’ai rencontré à l’université d’Aix-Marseille en droit où nous avons fait notre licence ensemble. C’était un étudiant brillant pour lequel j’avais un immense respect. Il m’impressionnait par sa vivacité d’esprit et sa rapidité d’analyse. Publiciste comme moi, j’ai rencontré en lui un étudiant passionné par le droit public, notamment administratif. Il était passionné par la Cour suprême américaine et par ses juges renommés qui l’ont habité. Sa connaissance à ce sujet imposait le respect. Sportif de haut niveau, tant en judo qu’en ski, il m’impressionnait aussi par sa polyvalence et par sa faculté à exceller, tant en droit qu’en sport.

C’est donc avec une immense tristesse que j’ai appris sa mort.

J’adresse mes condoléances à sa famille et à ses amis.

Sauver l’immobilier en simplifiant la fiscalité et la réglementation

Un article de l’IREF Europe

 

La crise immobilière est déclarée. Les souvenirs de celle des années 1990 resurgissent avec les faillites en série de promoteurs et les investisseurs obligés de transférer leurs mauvais actifs dépréciés dans des « bad banks ».

En réalité, comme l’écrt Jean-Marc Vittori dans Les Échos du 12 juin, les actifs immobiliers connaissent généralement des variations de prix moins brutales que celles des actifs financiers. Parce que les ménages ont toujours besoin de se loger et parce que les mouvements sont plus longs dans l’immobilier. Mais quand même, les prix avaient alors, note-t-il, perdu 31 % en six ans, 1992/1998, tandis que l’indice général des prix augmentait de 11 % durant la même période. Et la crise est bien là en ce début 2023 : au premier trimestre les réservations de logements neufs se sont effondrées de 41 % et les ventes dans l’ancien en Île-de-France ont baissé de 22 %.

Face à la crise, Mme Borne a dévoilé son plan :

  • modification mensuelle du taux d’usure pour que les banques ne soient pas empêchées de prêter quand l‘inflation rattrape trop vite les limites de l’usure ;
  • poursuite du prêt à taux zéro –PTZ- pour les nouveaux accédants, mais en en excluant désormais la maison individuelle ;
  • développement des formules de dissociation du foncier et de l’immobilier construit pour aider les ménages défavorisés à acquérir ;
  • élargissement de la garantie Visale, la caution gratuite pour les locataires délivrée par Action Logement ;
  • aides à la rénovation des logements sociaux et augmentation de l’enveloppe destinée à financer la rénovation énergétique des logements MaPrimeRénov’.

 

Mme Borne veut encore qu’Action Logement et la CDC rachètent aux promoteurs des programmes qu’ils peinent à vendre pour en faire 47 000 logements sociaux et intermédiaires. Comme si nous n’en n’avions pas assez : alors que les logements sociaux représentent environ 9 % des logements en moyenne en Europe, leur part en France est proche de 17 %, contre 3 % en Allemagne !

 

Instituer une flat tax immobilière

Au-delà de ces mesurettes, il paraît entendu que la loi Pinel, qui offre pour les acquisitions faites jusqu’à fin 2024 des réductions fiscales aux acquéreurs de certains logements locatifs à loyer plafonné, ne sera pas renouvelée. C’est une très bonne décision tant il est évident que ces mesures d’encouragement à l’acquisition de logements neufs en vigueur depuis plus de trente ans incitaient les particuliers à acheter sur la base de critères de seule déductibilité fiscale plutôt que de prix, de qualité et de localisation, ce qui a détruit les repères du marché au seul avantage des promoteurs.

Plus encore, Mme Borne a évoqué une refonte de la fiscalité notamment entre logements loués nus ou meublés et Airbnb. En réalité, il faut craindre que dans l’air du temps, elle veuille surtout entraver les locations temporaires et touristiques qui pourtant contribuent à augmenter significativement le pouvoir d’achat de nombre de propriétaires. Mais une bonne réforme consisterait à simplifier et uniformiser la fiscalité locative en la copiant sur la fiscalité mobilière. Il s’agirait d’instituer sur tous les revenus locatifs nets, quels qu’ils soient, un prélèvement forfaitaire unique –PFU- à 30 %, comme sur les plus-values immobilières (après abattements annuels).

En supprimant par ailleurs l’IFI qui est une taxe punitive plus que contributive (1,8 milliard d’euros de rendement), les investisseurs mobiliers et immobiliers seraient remis sur un pied d’égalité qui favoriserait leur arbitrage en faveur des investissements les plus utiles plutôt qu’en fonction de la fiscalité. L’investissement immobilier locatif, que l’IFI et la fiscalité sur les revenus éconduisent, retrouverait de la vigueur. Ce qui permettrait à l’État de réduire ses propres investissements dans ce domaine.

 

Suspendre les réglementations dommageables

Toutefois, si l’on veut que l’investissement immobilier retrouve un niveau suffisant pour répondre aux besoins, il faudrait aussi simplifier la réglementation.

La priorité est sans doute de suspendre l’application des dispositions qui imposent qu’un logement ne puisse pas être loué à défaut de satisfaire à la classe E du DPE à partir de 2025, F à partir de 2028 et D à partir de 2034. Il faut aussi refuser l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions européennes qui interdiront la vente de ces logements. Et afin de rétablir la confiance des bailleurs, il faut interdire définitivement toutes les mesures de blocage de loyers qui sont autant d’impôts déguisés et de désincitation à l’investissement immobilier.

Plus généralement, les rapports entre locataires et bailleurs devraient être rééquilibrés dans le respect réciproque plutôt que de vouloir protéger les locataires à un tel point que les bailleurs disparaissent.

Le logement social est déjà si important en France qu’il représente le quart des logements sociaux européens, et le logement privé est sur-réglementé. Si la prolifération des premiers et les contraintes pesant sur le second étaient la solution, on n’aurait plus de problème depuis longtemps. Mais il faut craindre que justement, ce problème vienne de ce que l’on préconise comme solutions. Ce n’est donc pas en substituant le secteur public social, déjà obèse, au secteur privé que le gouvernement résoudra la crise du logement. C’est en libérant l’investissement et les rapports entre les bailleurs et les preneurs qu’il y parviendra.

Sur le web

Redresser l’économie française en 10 ans : un pari impossible ?

La sixième édition de Choose France vient de s’achever, et a été à nouveau un succès.

Avec 13 milliards d’euros de nouveaux investissements annoncés, les grands industriels étrangers réunis à Versailles restent confiants dans la France. Le redressement de notre économie ne pourra se faire que par la voie de la réindustrialisation, et celle-ci va nécessiter beaucoup de capitaux. Aussi, n’en déplaise aux souverainistes, le recours aux capitaux étrangers est essentiel, car les capitaux français ne suffiront pas. Avec ces fonds étrangers, le pays est sur la bonne voie, mais sera-t-il capable de se réindustrialiser à un rythme suffisant ? Rien n’est moins sûr : il y va pourtant du redressement de toute l’économie, et de notre capacité à maitriser la dette extérieure.

Depuis la fin des Trente Glorieuses, la France s’est très fortement désindustrialisée, ce qui a considérablement affaibli son économie.

Tous les clignotants de l’économie sont au rouge :

  • taux de chômage anormalement élevé
  • budget de la nation en déficit chaque année
  • dépenses publiques et prélèvements obligatoires extrêmement importants et beaucoup plus élevés que dans tous les autres pays européens
  • balance commerciale déficitaire chaque année
  • dette extérieure sans cesse croissante au point de devenir supérieure au PIB

 

L’Agence de notation Fitch a déjà dégradé deux fois la note du pays : une première fois en faisant passer la France de AAA à AA, et une seconde fois, tout récemment, en rétrogradant notre pays d’un cran, avec la note AA-.

 

Une économie aux très mauvaises performances

Le service des statistiques des Nations Unies a produit une étude comparative des performances économiques d’un certain nombre de pays sur une longue période. En Europe, la France a réalisé les moins bonnes performances, ce que montre le tableau ci-dessous, auquel nous avons ajouté le cas d’Israël, qui est tout à fait exceptionnel :


(ONU : Statistics Division)

Durant toute cette période, les performances économiques de la France ont été bien inférieures à celles des autres pays européens. Il aurait fallu être au minimum au multiplicateur 4,0, ce qui aurait conduit notre PIB à être environ 30 % plus élevé qu’il ne l’est aujourd’hui. Notre taux de dépenses publiques serait alors de 40 %, c’est-à-dire identique au taux moyen des dépenses publiques de l’Union européenne (42,5 %), et notre taux d’endettement se trouverait ramené à 78 % par rapport au PIB.

En revanche, les dépenses publiques n’ont pas cessé de croître régulièrement : elles sont au niveau de celles des pays d’Europe aux économies les plus avancées.

Dépenses par habitant en dollars (Sources : banque mondiale)

Les dépenses publiques françaises sont celles de pays ayant des PIB par habitant 50 % supérieurs. C’est notre PIB qui n’a pas augmenté au rythme voulu.

De cette distorsion entre la croissance des dépenses publiques et celle du PIB est résulté un accroissement régulier de la dette :

Dette extérieure du pays en % du PIB (Source)

La dette française est maintenant supérieure au PIB, alors que pour respecter les règles de la zone euro, elle devrait être en dessous de la barre de 60 % du PIB. Le traité de Maëstricht n’est donc pas respecté, ni pour les déficits budgétaires annuels ni pour la dette, ce que nos partenaires européens ne cessent de nous reprocher.

Il est tout à fait incompréhensible que les dirigeants du pays aient laissé notre économie se dégrader ainsi. Il serait souhaitable qu’une commission parlementaire soit créée pour déterminer les responsabilités.

Le secteur industriel a fondu, passant de 6,5 millions d’emplois à la fin des Trente Glorieuses à 2,7 millions aujourd’hui, alors que l’industrie est l’activité qui crée le plus de richesse.

Le taux d’industrialisation se situe maintenant à seulement 10 % du PIB, contre 23 % ou 24 % en Allemagne ou en Suisse. Nos dirigeants se sont laissés abuser par le cliché voulant qu’une économie moderne soit une économie postindustrielle dont les activités ne sont plus constituées que par des services : c’est la conclusion erronée que les sociologues ont cru pouvoir tirer des travaux de Jean Fourastié, qui avait publié, en 1969, Le grand espoir du XXe siècle, un ouvrage qui a beaucoup marqué les esprits.

Cet économiste avait montré qu’un pays qui se développe passe du secteur agricole au secteur industriel, puis du secteur industriel au secteur des services : les effectifs du secteur industriel diminuent dans la dernière phase du développement, mais du fait de la croissance rapide de la productivité dans l’industrie, la valeur ajoutée de ce secteur secondaire ne régresse pas, et continue à représenter entre 20 % et 25 % du PIB.

La pensée de Jean Fourastié a été déformée car il s’était exprimé en termes d’emplois, et non pas de valeur ajoutée, ce qui n’a pas été compris. Cette erreur a été fatale à l’économie française : persuadés que le pays était sur la bonne voie en se désindustrialisant, les dirigeants ont laissé partir toute notre industrie.

 

Esquisse d’un plan pour redresser l’économie en 10 ans 

Le redressement de notre économie passe par la réindustrialisation du pays.

La solution souvent proposée, et consistant à réduire les dépenses publiques, est illusoire : ce serait soigner les conséquences du mal, mais pas la cause. De surcroît, elle n’est pas réaliste, car la population est maintenant habituée à l’État providence et n’accepterait pas de régression en ce domaine.

En effet, de toutes parts, il est demandé davantage de policiers, de soignants dans les hôpitaux, de juges, de gardiens de prison, d’enseignants, etc. Et il faudrait également augmenter la rémunération de tous ces personnels. Par ailleurs, avec la réapparition de l’inflation, l’État se voit contraint de venir en aide aux personnes les plus défavorisées.

La population demande « toujours plus », nous avait déjà expliqué François de Closets en 19841.

Nous avons procédé à des simulations pour voir selon quels processus la réindustrialisation du pays pourrait s’opérer en dix ans. Il va falloir remonter à 18 % la participation du secteur industriel à la formation du PIB, alors qu’elle n’est plus que de 10 % aujourd’hui, pour aboutir aux résultats suivants :

  • Contribution de l’industrie à la formation du PIB : 18 %
  • Création d’emplois industriels : 1 000 000 d’emplois au rythme de 100 000 annuels
  • Investissements à réaliser : 350 milliards d’euros
  • Recours aux investissements étrangers (IDE) : 150 milliards
  • Investissements entreprises françaises : 20 milliards
  • Investissements entreprises étrangères : 15 milliards

 

Selon ce plan, les effectifs du secteur industriel atteindraient le chiffre de 3,7 millions de personnes en fin de période, chiffre à comparer aux 7,5 millions de salariés en Allemagne dans ce même secteur.

Pour être en mesure de soutenir un tel rythme, il faudra nécessairement des aides très importantes de la puissance publique. C’est d’ailleurs ainsi que vient de procéder le président Joe Biden aux États-Unis avec l’IRA. Ces aides sont d’autant plus nécessaires que l’environnement, tant national qu’international, n’est guère favorable.

Sur le plan intérieur, des freins à la réindustrialisation sont mis par les écologistes, et le gouvernement se plie continuellement à leurs exigences. Le droit du travail est rigide et pénalisant pour les chefs d’entreprise, la fiscalité tarde à être en harmonie avec celle de nos voisins, les réglementations européennes bloquent les initiatives que pourrait prendre l’État français pour réindustrialiser le pays, et le coût du travail est considérablement plus élevé que dans les anciens pays de l’Est maintenant intégrés dans l’Union européenne.

Sur le plan international, la guerre en Ukraine a fait fortement grimper le coût de l’énergie en Europe, ainsi que les mesures incitatives prises par le président Joe Biden pour investir sur le continent américain.

Autant de difficultés qu’il va falloir affronter…

 

Le plan Macron sera-t-il suffisant ?

Ce n’est que par le hasard de la crise liée au Covid-19 qu’Emmanuel Macron a réalisé combien notre pays était désindustrialisé.

Il a donc lancé en octobre 2021 son plan France 2030 auquel seront consacrés 30 milliards d’euros. Ce plan s’inscrit dans la ligne des Programmes d’investissements d’avenir, de sorte que les moyens mis en œuvre pour la réindustrialisation vont finalement s’élever à 54 milliards d’euros.

Le 11 mai dernier, à l’Élysée, devant une assemblée composée de ministres et d’industriels, le président a donné des précisions sur la feuille de route.

Il a annoncé des aides de l’État sous forme de crédits d’impôts pour l’implantation d’industries vertes, la réduction de moitié des délais pour les procédures  administratives de création de nouvelles usines, l’aménagement de nombreux sites industriels clés en mains, une pause de Bruxelles dans le domaine des normes environnementales, et le renforcement, à tous les niveaux, des moyens de formation professionnelle.

Il a débuté sa conférence en affirmant que « la bataille de la réindustrialisation est clé sur le plan politique et géopolitique ». Il parait donc maintenant tout à fait convaincu de la nécessité de réindustrialiser le pays.

Mais il est bridé par la Commission européenne qui privilégie le soutien aux industries vertes.

Le rythme de la réindustrialisation est, pour l’instant, extrêmement lent. La journaliste Bertille Bayart nous dit, dans Le Figaro du 10 mai dernier, que depuis six ans, 90 000 emplois industriels ont été créés. C’est extrêmement peu.

Pour accélérer, l’État va devoir renforcer considérablement son soutien à l’investissement dans le secteur industriel. Dans d’autres articles, j’évoque une aide directe fondée sur la création d’emplois industriels, et quel que soit le secteur, articulée de la façon suivante : 20 000 euros par emploi les cinq premières années, puis 10 000 euros les cinq années suivantes, soit 150 000 euros par emploi.

Certes, ce montant est très important, mais l’intensité en capital est aujourd’hui très élevée dans les industries modernes du fait de la numérisation. Ainsi, les aides de l’État s’évalueraient à 150 milliards, étalées sur 20 ans. Ce coût est relativement modeste pour le pays, au regard des enjeux, puisqu’il ne s’agirait pas moins que de remettre sur pied notre économie.

Pour l’heure, Emmanuel Macron est paralysé par la Commission européenne qui bloque les subventions. Il faudra qu’il argumente sur l’état de la France, un pays sinistré, le plus désindustrialisé d’Europe, avec la Grèce. Si un redressement rapide ne s’effectuait pas, la dette du pays continuerait d’augmenter, conduisant le pays sur une voie dangereuse, ce qui n’est guère l’intérêt de ses partenaires de la zone euro.

On est très loin d’être en mesure de créer 100 000 emplois industriels par an. Un tel rythme ne pourra être obtenu qu’avec des aides très substantielles de la puissance publique, au moins du niveau indiqué plus haut. Il est hélas à craindre que les autorités de Bruxelles n’y consentent pas, laissant donc l’économie française continuer à se dégrader. Alors la feuille de route tracée plus haut ne pourra pas être suivie, elle est sans doute une ambition irréalisable.

  1.  François de Closets, Toujours plus !, Paris, B. Grasset, 1982.
❌