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À partir d’avant-hierAnalyses, perspectives

Woke et anti-woke : deux faces de l’intolérance

Moyennant un changement d’approche et un pas de côté en s’inspirant des moralistes de l’âge classique, essayons de réfléchir au wokisme autant qu’à ceux qui le dénoncent qui représenteraient deux formes distinctes d’hyper-focalisation. Redéfini comme étant avant tout une forme contemporaine, mais pas nouvelle, d’intolérance, il est possible d’envisager le phénomène woke/anti-woke en tant que passion, au sens classique du terme, celui d’un affect subi qui altère, pour le pire, celui ou celle qui en est la proie.

Avec le wokisme ou l’anti-wokisme, pendant d’une même médaille, on aurait affaire à la problématique de la parole close sur elle-même ne pouvant accueillir un discours différent de celui qu’elle propose. Le wokisme et l’anti-wokisme ont en effet pour dénominateur commun la passion de la monomanie : la dénonciation, sur un mode lancinant.

Exemples parmi tant d’autres : « l’hypocrisie de la gauche », le « féminisme tartuffe », la « masculinité toxique », le « non-partage des tâches ménagères » qui prennent des proportions inouïes…
Ces passions de la dénonciation sont souvent sclérosantes, car obsessives. Or, qui dit obsession, dit passion : le sujet est otage d’un sentiment qui le surdétermine dans ses actions, en l’espèce, l’acte de dénoncer.

Or, comme nous le rappelle le duc de La Rouchefoucauld :

« Les passions ont une injustice et un propre intérêt qui fait qu’il est dangereux de les suivre, et qu’on s’en doit défier lors même qu’elles paraissent les plus raisonnables. » (Maximes)

Le problème n’est pas tant de dénoncer, mais de la manière dont on le fait, en s’en piquant, pour parler comme au siècle de Louis Le Grand.

Un rappel tout d’abord.

Si le wokisme a à voir avec l’annulation des opinions d’autrui ou d’œuvres d’art appartenant à des champs culturels différents (cinéma, littérature, beaux-arts…) alors ce phénomène ne date pas d’hier. Les phénomènes de cancellation/annulation sont aussi anciens que Socrate, Jésus ou Pascal et la controverse universitaire, la querelle académique, qui conduisit plus d’une fois à la mise à l’index d’un tel ou d’un tel n’a rien de bien nouveau. L’entre-soi cultivé à l’envi n’a rien de bien neuf non plus et mène, toujours avec autant de constance, au même résultat : le repli identitaire qui touche toute forme de parti pris exclusif pour appréhender le réel —extrême droite, extrême centre, extrême gauche etc.

Quand un porte-parole du gouvernement prétend être dépositaire exclusif de la Raison est-il woke parce qu’il est péremptoire ? Voilà qu’il annule visiblement les opinions adverses, ce qui permet de le ranger dans la catégorie woke en ce qu’il prétend détenir à lui seul la vérité. Est devenu woke tout et n’importe quoi, si bien que je parlerais plutôt pour ma part d’un retour de l’intolérance plutôt que d’user d’un terme dont l’usage est piégeux. Je ne l’abandonnerai pourtant pas complètement ci-après, mais je ne prétends pas en assumer une définition arrêtée ni délivrer ici autre chose qu’une réflexion personnelle.

L’intolérance, elle, n’est pas propre à un milieu ou à une orientation politique particulière. C’est un phénomène de repli sur soi et de focalisation extrême sur un aspect des choses, une dimension d’une question ou d’un problème qui apparente ces attitudes à l’endroit du réel à une sorte de monomanie ou de paranoïa critique.

De ce point de vue, dans son anti-wokisme, Éric Zemmour est ainsi tout à fait intolérant, c’est-à-dire monomaniaque dans sa manière de réduire les problèmes français à la seule question migratoire. La morale du « j’ai raison contre vous et vous ne m’entendez pas » est une attitude délétère qui tue le débat public dans l’œuf et le transforme en un face-à-face conflictuel et mortifère certainement recherché, du reste, par le parti Reconquête. Pire, les gens finissent par s’ignorer, à faire comme si les autres n’existaient pas, ou alors seulement pour prélever du discours adverse un aspect faible qui leur permettra de les caricaturer sans avoir (trop) mauvaise conscience. Eugénie Bastié offre régulièrement dans ses chroniques sur Europe 1 un exemple particulièrement frappant de cette manière de procéder.

L’intolérance est moins affaire de sensibilité politique que d’orientation morale et d’éthique personnelle, et c’est à ce titre qu’on peut dire qu’elle dépasse les clivages. Bien plutôt que la responsabilité américaine dans cette radicalisation et étanchéisation du débat public, il faudrait se demander si le macronisme n’a pas une part de responsabilité conséquente dans la manière dont le président a conduit le débat et clivé les opinions en France.

Le mantra du dépassement des clivages n’a-t-il pas conduit in fine à une polarisation a fortiori des opinions ? Ce ne serait pas la première fois que mettre en étendard une attitude intellectuelle revient à faire exactement son contraire, à produire un résultat inverse à celui qui était escompté.

À vouloir tout dépasser, on se contente finalement au mieux d’un modeste sur place, au pire d’un cynisme. Plus on affiche des principes, plus il y a de chances qu’ils soient trahis, c’est là une règle à peu près infaillible. L’inflation de la parole présidentielle et parlementaire a pour corollaire une perte drastique de cohérence en pratique, et c’est terrible car la parole publique s’en retrouve durablement dévaluée. Si la valeur fiduciaire des discours présidentiels et ministériels sont faibles, c’est parce que « La vérité ne fait pas tant de bien dans le monde que ses apparences y font de mal. » (La Rochefoucauld, Maximes). De ce point de vue, est-ce vraiment exagérer de dire que le macronisme s’apparente à un théâtre de postures et de simulacres, au règne des apparences ?

La tolérance est d’abord une pratique : ou bien on la constate ou bien elle fait défaut.

Dans certains journaux que je ne nommerai pas, comme chez une partie de la gauche (ceux que les jets de soupe sur les tableaux ne gênent pas, mettons, ou chez certaines féministes radicales) on peut constater qu’elle est empiriquement peu présente : entre la monomanie féministe ou la monomanie de la dénonciation des wokes, les interlocuteurs tournent vite en rond et nous avec. L’absence de tolérance est palpable au fait que des marottes se repèrent dans les discours : la surspécialisation dans un type de propos rend d’autres thèmes quasiment illégitimes ou périphériques, le réel est voilé parce qu’on lui substitue des causes, qui aussi justes soient-elles ne permettent pas de le résumer.

Le réseau X ou la chaîne CNEWS sont à cet égard des postes d’observation privilégiés du phénomène qui consiste à exposer ses thèses ou ses opinions en les imposant comme vraies, en les assénant de manière quasi obsessionnelle. Sous ces auspices, une grande partie de la classe médiatique et politique française doit être alors définie comme intolérante. Elle est arc-boutée sur ses thèses et ne réfléchit plus vraiment aux sujets qui se posent, invitent les mêmes en boucle, s’enfermant finalement dans une dangereuse clôture intellectuelle. C’est la passion du même, pourrait-on dire, et elle s’est immiscée dans bien des rédactions, dans bien des partis. Flattant un public déjà acquis à ses causes, un art de l’intolérance s’est insidieusement répandu de part et d’autre de l’échiquier politique et des sensibilités éditoriales.

Le groupe Bolloré serait à cet égard un champion de cette intolérance via son anti-wokisme, si on le ramène, comme je le propose, à un exercice de la pensée critique réduit à la portion congrue et au fond, à une immense paresse intellectuelle. Wokiste ou anti-wokiste, c’est inviter ou côtoyer des individus proches ou assez proches de son système de pensée parce qu’on a peur d’autrui.

À ce jeu-là, une peur surplombe toutes les autres, celle des États-Unis : berceau des wokes dont on fait un raz-de-marée qui peine à s’aligner avec ma propre expérience à l’Université de Chicago. Certes, la polarisation des opinions est là, certes des tendances académiques se font valoir, mais elles n’empêchent nullement l’exercice de la liberté académique. On peut à mon sens se demander si l’agitation de la menace woke n’exploite pas plutôt le filon d’un anti-américanisme qui a trouvé là une manière de s’exprimer décente et acceptable. Certains médias ont fait des États-Unis et de leurs universités un tel épouvantail et un tel contre-modèle, alors même que le système d’enseignement supérieur américain caracole dans les classements internationaux, qu’on est tenté de s’interroger sur les ressorts d’une telle panique.

Aux détracteurs du wokisme d’outre-Atlantique, on peut concéder que cultiver la pluralité des mondes et de ses contacts est le seul antidote au corporatisme et à la monomanie dans les objets d’étude poursuivis. C’est tout aussi valable pour les anti-wokes qui ne font guère preuve de plus d’ouverture d’esprit que ceux qu’ils dénoncent avec une étrange véhémence. Le risque d’enfermement, physique ou métaphorique, est toujours encouru par tout un chacun dès lors qu’on se refuse à confronter les points de vue et les opinions.

Concluons.

Sortir de soi peut être une expérience douloureuse, mais c’est une habitude à prendre assurément salutaire, un art de retrouver vraiment les Lumières, et de les rallumer.

N’oublions pas, avec La Rochefoucauld, que « La santé de l’âme n’est pas plus assurée que celle du corps ; et quoique l’on paraisse éloigné des passions, on n’est pas moins en danger de s’y laisser emporter que de tomber malade quand on se porte bien. » (Maximes). Ne nous croyons pas trop vite éveillés alors que nous marchons dans l’obscurité — qui n’est souvent imputable qu’à nous-mêmes, à une manière humaine, trop humaine, de vouloir avoir raison contre tous les autres, et surtout sans eux.

« Quand la peur gouverne tout » de Carine Azzopardi

Carine Azzopardi est une journaliste qui a subi la perte de son compagnon et père de ses deux filles lors de la monstrueuse attaque terroriste du Bataclan. Au-delà de cette tragédie personnelle, à travers cet essai, elle entend dénoncer la peur, le manque de courage, mais aussi les dangereuses compromissions, qui amènent une partie des politiques, médias, associations et autres acteurs de la société à se voiler la face ou à céder face aux assauts idéologiques et manipulations allant à l’encontre de la démocratie.

 

Censure et liberté d’expression

La journaliste commence par montrer de quelle manière s’est faite l’apparition du wokisme, d’abord outre-Atlantique, puis ici, et le temps qu’il a fallu pour que l’on mette un mot dessus, que l’on prenne conscience peu à peu de son ampleur et de ses effets. Mais surtout, outre le nombre croissant d’anecdotes révélatrices à son sujet, elle montre qu’il n’a pas fallu longtemps pour que ceux qui emploient le terme ou l’évoquent soient stigmatisés, catégorisés comme réactionnaires, obsessionnels, ennemis des féministes, antiracistes, anticapitalistes, voire – terme devenu très à la mode et très commode pour faire taire un adversaire –« d’extrême droite ».

Non seulement des formes insidieuses de censure règnent de plus en plus sur énormément de sujets, mais des formes de collusion se sont également développées entre wokisme et islamisme. C’est l’objet de l’essai de Carine Azzopardi.

Quand l’antiracisme devient une aubaine, que des concepts inouïs tels que la « blanchité » sont créés – présentant les Blancs comme des oppresseurs, racistes à leur insu, qu’il faudrait rééduquer pour qu’ils s’éveillent (théories actuellement en vogue aux États-Unis) –, et que la victimisation devient un opportunisme, alors le malaise et la division deviennent de réelles menaces pour notre cohésion. Engendrant également la peur et la paralysie de nos décideurs, engoncés dans le déni.

 

Un fort déni de l’islamisme existe chez certaines élites françaises qui préfèrent fermer les yeux face au réel et analyser chaque événement se rapportant à ce phénomène comme étant le fait de populations discriminées, de délinquants, voire de déséquilibrés. Les actes ne sont reliés ni au discours ni à l’idéologie islamiste. Une analyse relativement commune, c’est qu’il s’agit d’un effet de la misère sociale, de « dominés » qui se rebellent face aux « dominants ». Le journaliste Edwy Plenel, fondateur du site Mediapart, analyse par exemple les attentats de janvier 2015 comme étant le fait de monstres que la société française a engendrés.

 

Certains milieux universitaires et une partie de la presse américaine ont même été jusqu’à analyser les attaques du 13 novembre 2015 à Paris comme une simple conséquence de la « suprématie blanche », et l’attaque au Bataclan comme celle du racisme de l’Occident blanc. Preuve que certains mélangent tout, et inversent les causalités. C’est le résultat du processus de déconstruction à l’œuvre, dans le prolongement de la discrimination positive amorcée dès les années 1960. Ce qui est comparable, estime l’auteur, à l’endoctrinement qui régnait en Chine sous Mao.

La « théorie critique de la race » née sur les campus américains et apparue dans les programmes scolaires américains en est le dernier avatar. Les discriminations raciales y sont considérées comme le facteur explicatif des inégalités sociales. Et à ce titre, elles doivent être éradiquées par des formes d’autocritique et de pratiques nouvelles relevant d’un véritable fanatisme. Comme pour la disparition des cours de musique dans certaines écoles, accusées de promouvoir la suprématie blanche.

 

Les collusions entre wokisme et islamisme

Carine Azzopardi analyse ensuite les rapports étroits qu’entretiennent les mouvements woke, décoloniaux, antiracistes (dont on peut largement douter du bienfondé de la dénomination) et progressistes identitaires (encourageant en réalité les communautarismes), avec l’islamisme.

Une sorte de jeu de dupes dans lequel les islamistes ont appris à maîtriser les codes woke, y voyant une opportunité de faire avancer leur cause, sur un temps long (et c’est bien le problème). Avec en particulier à la manœuvre les Frères musulmans, maîtres dans l’art du double discours (« l’un pour les mécréants, l’autre pour les croyants »), très implantés notamment dans les universités de sciences humaines et sociales, où ils manœuvrent à diffuser leur idéologie antidémocratique en utilisant la rhétorique de la discrimination, de l’antiracisme ou de l’intersectionnalité, avec l’appui de tous les traditionnels « idiots utiles » fidèles au rendez-vous. N’hésitant pas à se parer des vertus du progressisme (jusqu’à défendre de manière très opportune, ce qui peut apparaître comme un surprenant paradoxe, les thèses LGBT).

Maîtrisant parfaitement les codes, les outils numériques, les formats vidéo en vogue sur les réseaux sociaux dans nos sociétés, pour marteler insidieusement leurs véritables messages auprès en particulier des plus jeunes, et promouvoir en outre le séparatisme des musulmans sur notre territoire, ils fascinent et exercent une forte attraction sur les mouvements révolutionnaires d’extrême-gauche et partis politiques à l’image du NPA, leur insufflant l’idée d’ennemis communs. Avec la complicité des mouvements décoloniaux. J’étais d’ailleurs stupéfait de lire ceci :

 

Deux jours après la mort de Samuel Paty, une affiche est montrée place de la République par trois personnes, dont Assa Traoré, qui la poste sur les réseaux sociaux. La pancarte mentionne le nom de l’enseignant assassiné sur lequel des gouttelettes rouges ont été éparpillées et l’expression suivante écrite : « Mort en saignant. » Un jeu de mots d’un goût extrêmement douteux, qui entre ces mains pourrait faire penser à un clin d’œil complice. Les mêmes, qui ont des pudeurs de gazelle lorsque des journaux satiriques comme Charlie Hebdo représentent le prophète Mahomet, n’hésiteront pas à brandir cette pancarte lors d’une manifestation en hommage à un professeur décapité deux jours plus tôt, et à le faire savoir.

 

Par ailleurs, la journaliste parle de « chantage à l’islamophobie » au sujet de ce prétexte très pratique et très utilisé qui consiste à dénoncer, censurer, faire taire, stigmatiser des opposants pour mieux faire régner ses intérêts, à travers une stratégie de victimisation bien orchestrée. Elle y consacre un chapitre à part entière, très documenté, avant de revenir aussi sur l’attitude, non seulement du Conseil de l’Europe et de la Commission européenne en faveur du voile, mais également d’Amnesty international, qui a défendu le port du voile intégral en Suisse, le présentant comme un symbole de liberté, tout en reconnaissant son caractère oppressif en Iran.

Des positions pour le moins paradoxales, défendues également par des mouvements néoféministes qui, selon la journaliste, n’ont plus grand-chose à voir avec le féminisme. Entre culpabilisation et relativisme, les intersectionnelles et leurs alliées néoféministes semblent aveugles aux faits lugubres que relate le livre quant au sort quotidien de nombreuses femmes, et aux véritables motivations de leur port du voile parfois dès le plus jeune âge, au nom d’une prétendue tolérance en réalité pleine de condescendance, sous couvert de « diversité » et de « résistance au capitalisme », écrit Carine Azzopardi, qui estime qu’il s’agit d’une diabolisation du corps des femmes en général.

 

La liquidation des Lumières

C’est le titre que l’auteur donne à l’un des chapitres, dans lequel elle montre comment l’adoption de plus en plus répandue du discours intersectionnel et son obsession de la recherche systématique d’inégalités et de discriminations en tous genres a pour effet, en réalité, de jouer contre les valeurs de l’universalisme, d’ailleurs accusé par certains d’être celui des hommes « cis blancs ». Un jeu dangereux auquel se prêtent des professionnels du monde artistique ou universitaire, voire des ministres. Qui aboutit, comme nous le savons, à de multiples censures de pièces de théâtre, conférences, œuvres littéraires ou cinématographiques, à l’initiative de militants antiracistes woke. Et en définitive à une célébration des communautarismes.

 

Or, le « droit la différence » ne s’oppose pas à l’universalisme. C’est jeter le bébé avec l’eau du bain que de le croire, une sorte de caprice d’enfant gâté qui sacrifierait la liberté et l’émancipation au nom du droit des minorités, et de l’appartenance communautaire.

 

… Quand ce ne sont pas les mathématiques elles-mêmes (mais aussi d’autres sciences, y compris la médecine) qui sont remises en cause comme étant développées par les « dominants blancs », selon certains mouvements antiracistes woke là encore !

 

Concrètement, certaines écoles américaines prennent désormais en compte l’origine raciale des élèves, pour ne pas « stigmatiser » des populations « racialisées », qui auraient, par nature, des difficultés avec une matière intrinsèquement blanche, donc raciste. Vous ne rêvez pas. Les premières « classes racisées » ont été mises en place dans la banlieue de Chicago, par exemple, où l’on regroupe les élèves en mathématiques selon la couleur de leur peau.

 

L’idéologie et les croyances en viennent ainsi à remplacer la raison et à dévoyer la science ou l’histoire, mais aussi à œuvrer chaque jour de plus en plus (aux États-Unis pour l’instant) pour purger le langage lui-même. Processus dont on sait où il mène

Le problème, nous dit l’auteur, c’est qu’à vouloir s’attaquer à l’universalisme en tant que soubassement de nos démocraties, c’est à une autre forme d’universalisme que nous laissons place : celui que tentent de promouvoir les islamistes et leur communauté mondiale des croyants. C’est en cela que les armes rhétoriques des antiracistes leur sont particulièrement utiles, s’appuyant sur le droit et les institutions internationales pour mieux s’attaquer insidieusement aux principes démocratiques et imposer peu à peu, de manière très stratégique, l’islam politique.

Pour ne rien arranger – et c’est l’objet d’un autre chapitre également très documenté – Carine Azzopardi montre le vide académique qui existe sur le sujet de l’islamisme. De moins en moins de chercheurs, de plus en plus militants, prennent la place des rares spécialistes qui traitent vraiment du sujet de manière factuelle et réaliste, progressivement isolés ou mis au ban, le langage étant là aussi purgé de tout ce qui fâche. L’ignorance prend ainsi le pas, une fois encore, sur la connaissance, à laquelle est préféré le wokisme, son vocabulaire spécifique et ses concepts foisonnants, la question devenant l’apanage des plus extrêmes.

 

Les dérives des théories du genre

Avec le wokisme, nous assistons au triomphe de la pensée binaire.

Non seulement on peut avoir peur aujourd’hui d’être rapidement traité d’islamophobe, mais on peut tout autant craindre désormais d’être traité de transphobe. Les théories du genre vont de plus en plus loin dans l’offensive, militant pour la « déconstruction », avec la volonté de « s’émanciper du système hétéronormé dominant ».

Une vive opposition existe désormais entre féministes universalistes et différentialistes ou intersectionnelles. Ces dernières assimilent la définition de l’identité sexuelle à un genre comme une norme fasciste. Elles prônent au contraire la « plasticité indéfinie de l’individu » (d’où le sigle LGBTQQIPS2SAA+). Les choses vont très loin en la matière, dans la mesure où utiliser le langage traditionnel à cet égard peut être jugé discriminant et vous valoir des ennuis. Pas tellement encore de ce côté de l’Atlantique, mais avec une vigueur parfois étonnante de l’autre ; avec des visées planétaires.

Là où le bât blesse, c’est que certains tenants de ces théories ont conclu une forme d’alliance rhétorique avec les islamistes, dont les ressorts sont grandement contradictoires avec leurs fondements théoriques respectifs, et résultent d’une grande part d’aveuglement.

Pour finir l’ouvrage, Carin Azzopardi écrit un chapitre dans lequel elle montre comment un antisémitisme décomplexé est réapparu et s’est développé de manière croissante au cours des années 2000, certains allant – même parmi des stars grand public – jusqu’à assimiler Juifs et blanchité et considérer l’Holocauste comme « un crime de Blancs sur des Blancs ». Dans une surenchère haineuse – aux accents clientélistes – de termes révélateurs d’une pensée là aussi très binaire, antimoderniste, voire révisionniste, ou même complotiste, qui ajoute aux confusions, divisions, absence de nuances, clichés, et délires « progressistes » peu à même d’aller dans le sens de l’apaisement, de la coexistence pacifique et de la véritable démocratie, plus que jamais en danger. Là encore accentuée par les dérives préoccupantes… du wokisme.

 

 

À lire aussi :

Trente pensées de Montesquieu à méditer

Montesquieu est souvent considéré comme un des auteurs des Lumières qui a le plus contribué à fonder le libéralisme français, avec notamment sa théorie de la séparation des pouvoirs.

L’auteur des Lettres persanes et de L’Esprit des Lois a laissé diverses notes manuscrites non insérées dans ses ouvrages publiés, ou constituant la base d’ouvrages projetés et jamais achevés. Voici trente citations qui sont autant d’éléments de réflexion qui gardent toute leur pertinence aujourd’hui.

À l’exception de la première citation, elles sont extraites de Quelques réflexions ou pensées détachées que je n’ai pas mises dans mes ouvrages publiées à Bordeaux en 1899 et 1901, le numéro étant celui de cette édition.

 

1. Thucydide disait que les gens médiocres étaient les plus propres au gouvernement (De la politique)

2. Ce sont les perpétuelles réformes qui font que l’on a besoin de réforme. (Vie, 48)

3. Il y a des sots qui ont de la pesanteur, et des sots qui ont de la vivacité ; mais ce sont les sots qui ont de la vivacité qui accouchent des projets les plus stupides. (Vie, 60)

4. Je ne juge jamais les hommes par ce qu’ils ont fait ou ce qu’ils n’ont pas fait à cause des préjugés de leur siècle. […] Je ne juge point de Saint-Louis par ses croisades. (Écrits, 87)

5. Comme, parmi les Asiatiques, la servitude des femmes a fait naître une plus grande servitude, leur liberté, parmi nous, a fait naître une plus grande liberté. (Sur la jalousie, 580)

6. C’est un principe bien faux de Hobbes : que, le Peuple ayant autorisé le Prince, les actions du Prince sont les actions du Peuple, et, par conséquent, le Peuple ne peut se plaindre du Prince, ni lui demander aucun compte de ses actions : parce que le Peuple ne peut pas se plaindre du Peuple. […] Il est faux que celui qui est délégué ait autant de pouvoir que celui qui délègue, et qu’il ne dépende plus de lui. (Pensées morales, 601)

7. Il ne faut point faire par les lois ce qu’on peut faire par les mœurs. Les lois inutiles affaiblissent les nécessaires. (Maximes générales de politique, 630, IV et VI)

8. Le point fondamental de la bonne administration est facile : il ne consiste qu’à ajuster la dépense avec la recette. Si celle-ci ne peut augmenter, celle-là doit descendre, et jusqu’à ce que cela soit fait, aucun projet ne peut être utile… (Les Princes, 662)

9. Les observations sont l’histoire de la physique et les systèmes en sont la fable. (Sciences Physiques et naturelles, 681)

10. Avec les richesses de tous les climats, nous avons les maladies de tous les climats. (Découvertes et inventions, 736)

11. Il ne faut pas mettre du vinaigre dans ses écrits ; il faut y mettre du sel. (Art d’écrire, 806)

12. Si l’imprimerie était venue dans ce temps, où la langue est si chaste, nous aurions presque tous les ouvrages des Anciens mutilés. (Littératures diverses, 846)

13. Si on ne voulait être qu’heureux, cela serait bientôt fait. Mais on veut toujours être plus heureux que les autres, et cela est presque toujours difficile, parce que nous croyons les autres plus heureux qu’ils ne sont. (Plaisirs et bonheurs, 1003)

14. L’amitié est un contrat par lequel nous nous engageons à rendre de petits services à quelqu’un, afin qu’il nous en rende de grands. (Affections, 1092)

15. Je dirai de l’argent ce qu’on disait de Caligula, qu’il n’y avait jamais eu un si bon esclave et un si méchant maître. (Cupidité et libéralités, 1127)

16. La dévotion trouve pour faire une mauvaise action des raisons qu’un simple honnête homme ne saurait trouver. (Dévotion et intolérance, 1150)

17. J’envie la témérité des sots : ils parlent toujours. (Sottises et préjugés, 1191)

18. La vieillesse nous ôte les sottises et les vices de la jeunesse ; mais elle ne nous donne rien. (Vertus et vices, 1210)

19. Moins on pense, plus on parle. (Conditions et professions, 1310)

20. J’aime les paysans : ils ne sont pas assez savants pour raisonner de travers. (Conditions et professions, 1313)

21. La Suisse est indomptable, parce qu’il n’y a pas un homme en Suisse qui ne soit armé et ne sache manier les armes ; et il n’y a guère d’État à qui la politique permette d’armer tous ses citoyens. (Allemagne, Hollande et Suisse, 1698)

22. De deux partis, celui de ceux qui ne suivent pas le torrent est ordinairement le meilleur. (Préceptes, 1723)

23. Quand vous aurez fait tout ce qu’il faut pour avoir de bons esclaves, il ne vous restera plus que de mauvais sujets. (Puissance des États, 1768)

24. La raison pourquoi la plupart des gouvernements de la Terre sont despotiques, c’est que cela se fait tout seul. (Diverses espèces de gouvernements, 1793)

25. La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens. (Liberté, 1797)

26. Ce qui fait que les gens de commerce sont plus indépendants, c’est que leurs biens sont plus hors de portée des mains du Souverain. (Liberté, 1807)

27. Les ministres travaillent toujours contre la liberté : ils haïssent les lois, parce qu’elle gênent toutes leurs passions. (Ministres et agents du Prince, 1867)

28. Une chose n’est pas juste parce qu’elle est loi ; mais elle doit être loi parce qu’elle est juste. (Législation, 1906)

29. L’esclavage est contre le Droit naturel, par lequel tous les hommes naissent libres et indépendants. (Esclavage, 1935)

30. Toute loi inutile est une loi tyrannique. (Droit pénal, 1950)

 

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