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À partir d’avant-hierContrepoints

France Inter : radiographie d’un média d’État

 

 

Le 12 décembre dernier s’est tenue une nouvelle édition de l’Assemblée des Idées, un cycle de débats bimestriel organisé à la Galerie des Fêtes de l’Hôtel de Lassay, résidence officielle de la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, qui préside également cette série de colloques.

Après le logement, le rôle de la France à l’international, l’intelligence artificielle ou encore la morale, la chambre basse a accueilli plusieurs dirigeants de médias pour débattre du pluralisme et de l’indépendance de ceux-ci.

Animé par le journaliste de TF1 Paul Larrouturou, le débat a réuni Isabelle Roberts, présidente des Jours, pure player lancé en 2016, le président du directoire du groupe M6 Nicolas de Tavernos, le président du groupe Les Échos-Le Parisien Pierre Louette, et la directrice de France Inter Adèle Van Reeth.

Répondant à une question sur l’orientation à gauche de la station dont elle est directrice depuis septembre 2022, Adèle Van Reeth a été courtoisement mais fermement recadrée par ses contradicteurs issus du privé.

 

L’art de la langue de bois

En cause : l’exercice de langue de bois qu’a été la réponse de la dirigeante publique. Une séquence reprise dans la foulée sur X (ex-Twitter) où Adèle Van Reeth explique qu’à ses yeux, France Inter n’est pas une radio de gauche, mais que son histoire, ses auditeurs et certaines émissions ont cette tendance. De plus, France Inter ne serait pas une radio de gauche car elle ne serait pas une radio d’opinion mais une radio publique qui appartiendrait, non à l’État comme dans un régime autoritaire, mais aux citoyens.

https://twitter.com/DocuVerite/status/1737502165256589606

Face à ce cafouillage manifeste, d’autres intervenants ont tenu à apporter des clarifications.

Nicolas de Tavernost a ainsi rappelé que la principale concentration de médias était celle du service public. Son propos a été appuyé par Pierre Louette qui a rappelé que cette concentration n’a jamais été aussi faible qu’à une époque où créer un média n’a jamais été aussi aisé.

 

Radio France est une radio d’État

Cet échange pose notamment la question de la nature du paysage radiophonique public.

En effet, Adèle Van Reeth distingue très nettement les chaînes appartenant aux citoyens de celles appartenant à l’État. Cette distinction est évidement factice, car les citoyens évoqués sont avant tout des contribuables, et donc des financeurs de l’État.

On ne peut réellement saisir l’erreur, sans doute volontaire, qu’est cette distinction sans comprendre la nature même de France Inter, station de radio propriété de Radio France.

Radio France est, elle, une société anonyme à capitaux publics héritière de l’ORTF dont 100 % des actions sont détenues par l’État français.

Sa fiche sur le site de l’Annuaire des Entreprises, disponible publiquement comme celle de toute entreprise française, détaille ses dirigeants et bénéficiaires effectifs, personnes physiques possédant plus de 25 % du capital ou des droits de vote, ou exerçant un contrôle sur les organes de direction ou de gestion.

Parmi les 15 dirigeants recensés, on retrouve cinq administrateurs, deux commissaires aux comptes et huit administrateurs. L’éclectisme y est roi, puisque les profils vont du député au directeur général d’entreprise publique, en passant par l’ingénieur et la dirigeante associative.

S’agissant de l’unique bénéficiaire effective, nous retrouvons Sybile Veil. L’épouse d’un des petit-fils de Simone Veil et maître des requêtes au Conseil d’État est elle-même énarque, conseillère d’État et surtout PDG de Radio France depuis le 16 avril 2018, après avoir été nommée par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) qui n’était pas encore devenu l’Arcom par sa fusion avec Hadopi au 1er janvier 2022.

Rappelons que le CSA comme Hadopi, et aujourd’hui l’Arcom, sont des autorités administratives indépendantes (AAI) agissant au nom de l’État. Comme le constatait un rapport sénatorial paru en 2017, les AAI n’ont généralement pas de personnalité morale propre distincte de l’État, et leurs membres sont désignés soit par le président de la République, les présidents des assemblées ou des ministres, soit par de hautes autorités juridictionnelles. Entendez par là, par exemple, le vice-président du Conseil d’État ou le premier président de la Cour de cassation, postes nommés directement par le président de la République.

 

Naïveté et manipulation

En d’autres termes, ce qui distingue chaînes publiques et chaînes d’État est le caractère prétendument démocratique des États des premiers.

Cette nuance est encore plus complexe lorsqu’on analyse le niveau de démocratie des institutions françaises, plus proches des démocratures d’Europe de l’Est que des démocraties parlementaires avoisinantes.

Distinguer arbitrairement et par pur soutien à un narratif social-démocrate médias d’États et médias publics relève donc au mieux d’une naïveté coupable à ce niveau de responsabilité, et au pire d’une manière de prendre ses auditeurs pour des imbéciles.

 

Un auditorat de gauche

Adèle Van Reeth a toutefois reconnu dans sa réponse que l’auditorat de France Inter était de gauche. Cet état de fait est corroboré par une étude conjointe entre le journal Marianne et l’Ifop, révélant en 2012 que l’auditorat de France Inter votait à 72 % à gauche, dont la ligne relève de la gauche caviar lorsqu’elle est pas tout simplement assimilable « à un tract de la CGT  » pour reprendre les mots de l’ancienne directrice de la station Laurence Bloch après avoir décidé de supprimer l’émission « Comme un bruit qui court », critiquée pour son militantisme y compris par Les Inrocks, eux-mêmes sur la ligne de la gauche bobo.

 

Un financement politique contestable

En réalité, Adèle Van Reeth a été gênée par la question posée, car elle sait que son intervention relève d’une question autrement plus fondamentale, dans une société se voulant démocratique, qu’est le consentement à l’impôt.

Admettre que France Inter est de gauche, c’est admettre que l’argent des contribuables sert à financer une information orientée politiquement, alors même que cette orientation n’est pas celle des contribuables en question.

Pour rappel, en 2022, seuls deux Français sur dix se positionnait à gauche ou à l’extrême gauche, contre le double à droite ou à l’extrême droite.

Reconnaître que France Inter est de gauche contribuerait à confirmer une réalité qui saute aux yeux de quiconque s’intéresse un minimum à ces sujets : il existe un décalage entre ce que souhaitent les contribuables et ce qui leur est proposé, décalage qui n’existerait pas sur un marché libre où le payeur d’impôt serait un consommateur à satisfaire comme un autre et non une poche dans laquelle se servir au nom d’une solidarité fantasmée.

 

Concentration et conspirationnisme

Cette intervention pose également la question de la concentration des médias.

Sur le sujet, le ministère de la Culture lui-même donne raison à Nicolas de Tavernost et Pierre Louette, puisqu’un rapport paru en juillet 2022 estime que France Télévisions est le premier acteur du marché.

Cette position, justifiée aussi bien en termes d’audience que de chiffre d’affaires, montre une tendance nette depuis 20 ans : la part de chiffre d’affaires de France Télévisions a explosé, alors même que son audience s’est effondrée.

Cependant, et comme le notait justement Pierre Louette, créer un média n’a jamais été aussi simple qu’aujourd’hui. Une liberté salutaire mais qui pose aussi la question de la qualité de cette information et de la montée des discours conspirationnistes que seuls la transparence publique et le respect du consentement démocratique permettront de combattre.

Crépol, révélateur du fossé entre les citoyens et les élites

Le meurtre de Thomas à Crépol a fait apparaître comme jamais le profond clivage entre l’opinion publique majoritaire et les dirigeants politiques. L’alignement des médias dominants, en particulier ceux du service public, sur le déni politicien, traduit leur incompréhension de la situation ou leur asservissement au pouvoir.

Pour tous ceux qui vivent dans la « France profonde », la perception du fossé, devenu gouffre béant, séparant gouvernants et gouvernés, est ancienne mais devient aujourd’hui alarmante.

 

La bien-pensance persiste dans le déni

On aura en effet tout entendu après ce meurtre odieux et particulièrement significatif. Un épisode de « la guerre des boutons » selon Pablo Pillaud-Vivien (BFMTV), « un fait divers banal » selon Isabelle Veyrat-Masson (Arte), des assaillants « venus pour s’amuser et draguer des filles » selon Patrick Cohen (France 5).

Face à un meurtre révélant le face-à-face belliqueux de deux France par le passage à l’acte de jeunes issus de l’immigration et vivant dans la marginalité, les intervenants de gauche ne songent qu’à nier l’évidence. Pitoyable.

La France entière a été profondément émue et révoltée, mais les missi dominici de la bien-pensance n’y voient que la banalité de la vie quotidienne. Ils « communiquent ». Ce verbe si galvaudé a malgré tout un sens profond.

Il existe désormais deux mondes : celui de la réalité vécue dans lequel se trouvent 90 % des Français, et celui de la communication médiatique qui concerne les politiciens, les journalistes, les animateurs et les invités habituels des émissions d’actualité. Une petite couche totalement irréelle de communication recouvre une réalité infiniment complexe et prétend la représenter. Le monopole du verbe n’induisant ni la connaissance ni la clairvoyance, ces gens-là ne comprennent pas grand-chose au pays dans lequel ils vivent.

Pourquoi ?

 

Les décideurs parisiens

Explication la plus évidente : ils vivent à des années-lumière de leurs concitoyens. Parisiens en général, très aisés financièrement presque toujours, voyageant beaucoup et côtoyant des personnes venues des quatre coins du monde, leur vie ne ressemble en rien à celle du Français moyen. Celui-ci est provincial, ne voudrait pour rien au monde vivre à Paris, a des revenus modestes ou moyens et voyage peu et pas très loin. Deux modes de vie radicalement différents entraînent deux perceptions incompatibles de la société.

Deuxième élément : ce sont des décideurs ou des relais des décideurs. Les décisions politiques sont aujourd’hui complexes et reposent sur des analyses multifactorielles qu’il est impossible d’aborder dans une interview de quelques minutes ou même dans une émission d’une heure. Il faudrait une formation longue pour maîtriser les tenants et aboutissants de la plupart des sujets. D’où la communication.

De mauvais comédiens expliquent donc aux Français, comme on s’adresse aux enfants de la maternelle, les rudiments de l’économie, du droit constitutionnel, de la géopolitique, etc. Exercice particulièrement ambitieux qui a toutes les chances de se solder par un échec. Le Français moyen saisit intuitivement qu’on le prend pour un imbécile, qu’on lui cache bien des choses réservées aux décideurs.

Les communicants ont surtout réussi à transformer les politiques en professionnels de l’hypocrisie. Où sont Churchill, de Gaulle, qui ressentaient profondément ce qu’ils disaient car ils l’écrivaient eux-mêmes ? Nos politiciens et nos journalistes de l’audiovisuel sont des comédiens pas très doués, prisonniers d’un scénario élaboré par d’autres.

 

L’héritage calamiteux

Troisième cause de la fracture : le passé. Il faut désormais assumer les erreurs massives du demi-siècle écoulé et en particulier deux dérives majeures :

  1. L’immigration totalement incontrôlée avec régularisation de clandestins, regroupement familial de plus en plus large et instrumentalisation systématique de vieilles conventions internationales sur le droit d’asile. Ces conventions ne correspondent plus du tout aux réalités actuelles, mais sont utilisées par les gouvernants comme justification de leur inefficacité.
  2. La fuite vers une dette publique abyssale pour ne pas faire face politiquement à la fin de la période exceptionnelle de forte croissance des trente années d’après-guerre.

 

Il s’agit donc de gérer l’héritage calamiteux de François Mitterrand, allégrement poursuivi par ses successeurs. Pas facile ! Le mensonge et le cynisme d’antan conduisent au désespoir et à la violence d’aujourd’hui.

 

Le clientélisme électoral

Enfin, cerise sur le gâteau, la politique politicienne fait intervenir un dernier élément : le clientélisme électoral.

Logiquement, les électeurs se sont progressivement détournés des partis traditionnels de gouvernement (social-démocratie et droite modérée) puisque leurs leaders s’étaient eux-mêmes éloignés d’eux. Les extrêmes ont conquis le corps électoral. Une recette très simple a été utilisée : le populisme, qui consiste à dire aux électeurs cibles ce qu’ils veulent entendre. La France insoumise convoite l’électorat d’origine immigrée et adapte son logiciel en conséquence. Le Rassemblement national rassemble, comme son nom l’indique, tous les déçus, toutes les victimes des tromperies politiciennes des décennies antérieures. L’absence de politique migratoire, l’abandon de la classe ouvrière par la gauche lui ouvrent un boulevard vers la conquête du pouvoir.

Avec une violence verbale et comportementale de mauvais aloi, LFI joue la carte du communautarisme, du wokisme et de l’écologisme radical. En choisissant l’image de la sérénité et de la respectabilité, le Rassemblement national part à la conquête des oubliés de l’histoire récente, attachés à la nation, à la culture européenne, aux frontières, à l’autorité de l’État.

Deux France totalement incompatibles, représentées par deux partis aux antipodes l’un de l’autre s’affrontent. Entre les deux, l’espoir s’évanouit peu à peu.

Comment l’humain réagit-il face à l’inimaginable ?

La prise de conscience qu’on se trouve face à un phénomène inédit est extrêmement difficile car celui-ci n’entre pas dans nos modèles mentaux. L’adaptation de ces derniers, nécessaire pour rendre compte de la nouvelle réalité et lui donner un sens, peut prendre longtemps, ce qui retarde notre réponse.

Cette difficulté est très bien illustrée par la réaction de deux journalistes qui commentaient en direct les attentats du 11 septembre 2001.

La chaîne de télévision NBC New York démarre sa couverture en direct dix minutes seulement après le premier impact sur une des tours du World Trade Center. Pendant les douze premières minutes de la retransmission, les deux journalistes décrivent ce qu’ils voient. Ils savent qu’un avion a percuté la tour, mais ils n’envisagent pas une attaque.

Puis quelque chose d’hallucinant se produit : à la douzième minute, un avion apparaît en haut à droite de l’écran et vient percuter la seconde tour. S’ensuit une énorme explosion à 12 min 30 s. Les journalistes commentent alors cette explosion, mais ne semblent pas avoir vu l’avion, masqué par la première tour. Ils continuent à parler et, là encore, ne pensent pas un instant que la seconde explosion, dans une tour séparée, à quelques minutes d’intervalle, alors qu’on sait que la première est due à un avion, est probablement elle aussi due à un avion, et que ça ne peut donc pas être un accident. Ils continuent de parler d’explosion. La lenteur de prise de conscience est stupéfiante.

À 15 min 22 s, l’un des journalistes repasse la vidéo, mais seulement les quelques secondes qui précèdent l’explosion, ce qui fait qu’on ne voit pas l’avion arriver (il est masqué par la première tour déjà touchée). Pour la première fois, il envisage la possibilité d’un second avion, mais ne poursuit pas.

Puis à 17 min, un auditeur intervient par téléphone et fait remarquer aux deux journalistes que leurs propres images montraient bien un second avion. La chaîne repasse donc l’enregistrement plus en amont, et cette fois, l’avion apparaît sans aucun doute.

À 18 min 32 s, l’un des journalistes envisage une attaque délibérée.

Pourtant, à 26 min, en résumant ce qu’elle sait, l’autre journaliste précise aussitôt : « Je ne devrais pas appeler cela une attaque. »

En apprenant que le FBI vient d’annoncer une enquête sur le détournement de deux appareils, le premier journaliste, avec beaucoup d’hésitation, répète « attaque terroriste », mais sa collègue le reprend en précisant qu’on n’en sait pas assez, et qu’il n’est pas certain que les deux faits soient liés.

Donc, deux avions percutent chacun une tour à 20 minutes d’intervalle, deux témoins assurent que les avions volaient très bas et sont directement allés percuter les tours, mais l’idée d’une attaque semble toujours inimaginable aux deux journalistes.

À 29 min, le journaliste cite à nouveau le FBI, suggérant une attaque délibérée, mais là encore, avec une grande prudence.

À 38 min, les journalistes interrogent à l’antenne un pilote professionnel, témoin de la première attaque. Le pilote précise que l’avion est allé directement vers la tour, et qu’il ne montrait aucun signe de problème technique ou de détresse. Puis il est interrompu par la déclaration du président Bush qui évoque clairement une attaque terroriste. La journaliste résume cependant l’intervention en parlant d’une attaque terroriste présumée. L’entretien avec le pilote reprend. Celui-ci précise qu’en aucune façon un avion commercial n’aurait dû se trouver dans cette zone et à cette altitude. Il ajoute qu’un pilote en difficulté aurait pu éviter les tours sans aucun ­problème.

Il conclut : « Quiconque était aux commandes a foncé délibérément dans la tour. »

Pourtant, les deux journalistes évoquent encore une « probable » attaque terroriste, plus de 40 minutes après le début du reportage, 50 minutes après le ­premier impact.

Et puis, à 52 min, l’annonce de l’attaque du Pentagone intervient, et clôt le débat.

Il a fallu près d’une heure aux deux journalistes pour admettre sans réserve qu’il s’agissait d’une attaque terroriste, alors que les faits étaient sans ambiguïté dès le deuxième impact.

Il ne s’agit pas de mettre en cause les deux journalistes, mais de bien souligner une fois encore la difficulté qui était la leur d’admettre qu’ils étaient face à une situation totalement inédite. Rien n’est plus triste que la mort d’une illusion, remarquait Arthur Koestler. Rien n’est plus difficile non plus à abandonner.

 

Les surprises ne sont ainsi pas des situations binaires, où il y aurait un avant – aveuglement – et un après – réaction – bien nets.

Il y a un entre-deux, qui peut se révéler extrêmement long, de prise de conscience durant lequel on sent que quelque chose se passe, mais ce quelque chose n’entre pas dans nos modèles mentaux. Il ne peut donc pas être correctement pris en compte. Cet entre-deux peut durer quelques minutes, comme dans l’exemple des deux journalistes, quelques jours, comme au tout début de la crise liée au covid quand les experts nous rassuraient en expliquant qu’il n’était qu’une mauvaise grippe, ou quelques années, comme dans le cas des ruptures que vivent les organisations.

Sans qu’il y ait de solution facile à cette difficulté, une sensibilité accrue aux anomalies rencontrées qui ne cadrent pas avec notre modèle est indispensable. Elle se développe par un travail explicite sur nos modèles mentaux, et sur la création de mécanismes organisationnels destinés à faire de ce travail une habitude. Les anomalies ne doivent ainsi pas être ignorées comme des aberrations, mais étudiées comme des signaux possibles d’une faiblesse de nos modèles.

Sur le web.

France Inter : Guillaume Meurice en voie de « dieudonnisation » ?

L’humour, comme le sport, a toujours été politique. La preuve en est avec la dernière polémique en date provoquée par la saillie du chroniqueur de France Inter Guillaume Meurice la semaine dernière.

Dans un contexte de résurgence du confit israélo-palestinien dans le débat public et des actes antisémites depuis l’attaque du Hamas il y a un mois, et qui constitue l’acte le plus meurtrier à l’égard de la communauté juive depuis 80 ans, ce qui était censé être un « bon mot » fait particulièrement tache au sein d’une rédaction déjà habituée à sanctionner ses humoristes lorsque ceux-ci dépassent la ligne jaune.

Reprenons : dans une chronique à visée humoristique évoquant les possibles déguisements pour Halloween, l’humoriste bourguignon a proposé un accoutrement à l’effigie du Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou : « Vous voyez qui c’est ? C’est une sorte de nazi mais sans prépuce ».

Une phrase qui a rapidement fait réagir au point d’entraîner des menaces de mort imposant de fermer les prochaines émissions au public. Des réactions souvent disproportionnées, et qui posent plusieurs questions, allant du traitement médiatique à la liberté d’expression, en passant par la responsabilité des humoristes.

 

Une provocation nauséabonde ?

La première question qui se pose : ce qui est censé être une blague est celle de son potentiel caractère antisémite.

En faisant un peu d’analyse, on comprend assez vite que la phrase en cause est un mélange de satire et de provocation propre à la tradition du bouffon : d’une part, Guillaume Meurice veut se moquer de Benyamin Netanyahou, un dirigeant politique et donc un puissant, d’autre part, il utilise la caricature afin de lui donner un aspect choquant. Or, rien n’est plus choquant pour nous, Français, que le nazisme. Mais peut-on aller plus loin que la comparaison d’un quidam avec les heures sombres, la comparaison d’un dirigeant de confession juive avec l’idéologie qui a le plus meurtri les siens ?

Outre cette comparaison entre le plus grand des bourreaux et le peuple qu’il a tenté de génocider, la référence à la circoncision vise également, de manière assez claire, à se moquer de la tradition juive.

Si cette référence marque clairement une volonté d’attaquer la tradition hébraïque, la phrase correspond au rôle du bouffon, saltimbanque qui avait le droit de se moquer du monarque. Meurice n’attaque pas « les » Juifs, mais le dirigeant d’un pays dont la vocation est de les accueillir.

En clair : cette blague, aussi pétrie de mauvais goût qu’elle soit, n’est pas antisémite et n’attaque pas les Juifs, ni même la religion juive.

 

Une nazification dénoncée

Pourtant, les tomates n’ont pas tardé à fuser. Tomates virtuelles, à l’heure des réseaux sociaux, mais tomates qui tachent. L’avocat Gilles-William Goldnadel et le député LR Meyer Habib y sont allés de leur réaction, plus ou moins caricaturale, souvent pour expier la dissymétrie qui existe dans la victimisation dont la gauche s’est faite le porte-étendard. Il en est de même pour l’essayiste Caroline Fourest, elle aussi au cœur d’une saisine de l’Arcom (ex-CSA) pour avoir refusé de comparer le meurtre volontaire d’enfants israéliens par le Hamas et les victimes civiles collatérales faites par l’armée israélienne.

Outre l’antisémitisme dénoncé dans cette boutade, la plupart des réactions négatives s’accordent sur la condamnation de la nazification du peuple des Juifs induite ici.

La réaction la moins caricaturale et sans doute la plus censée fut sans doute celle de la rabbine Delphine Horvilleur sur X (ex-Twitter), et ce non sans répondre à la provocation par l’humour :

Prépuce ou pas : Moi je serais plutot en faveur de circoncire le temps d’antenne de Guillaume Meurice. (Et le mandat de Netanyahou aussi, mais c’est une autre histoire). Ah si seulement les juifs contrôlaient les médias !…🤢😤😩 #nazifierlesjuifsunenouvellemode https://t.co/9SME46Xess

— Delphine Horvilleur (@rabbidelphineH) October 30, 2023

 

Une rédaction divisée

Face à cette levée de boucliers, la rédaction de France Inter s’est retrouvée dans la tourmente.

Tel est le cas en particulier de Charline Vanhoenacker, dont Gilles-William Goldnadel a rappelé qu’elle avait dessiné une moustache hitlérienne sur une affiche d’Éric Zemmour. L’animatrice avait dû s’en expliquer ensuite auprès de la patronne de Radio France Sibyle Veil.

Suite à la sortie de son collègue, la présentatrice du service public a été contrainte de prendre la parole, évoquant, sans surprise, « une satire », « une caricature », dont l’interprétation antisémite serait « une dangereuse instrumentalisation », fruit de l’extrême droite.

Toujours dans la tourmente plusieurs jours après le début de la polémique, Charline Vanhoenacker a noté une « prise de risque » en constatant toutefois une « tension mal jaugée ».

Or, si on suit Le Figaro du 2 novembre dernier, la rédaction de France Inter est moins soudée sur le sujet que ce que l’image d’Épinal laisse penser.

« Nous refusons d’être entraînés dans sa chute », estime un salarié cité par le quotidien. De son côté, la directrice de la station parle d’une « outrance ».

Un autre soutien est intéressant à noter : l’ex-auteur des Guignols de l’Info Bruno Gaccio a apporté son soutien au chroniqueur. Il y a 20 ans, ce même Bruno Gaccio avait déjà soutenu un autre humoriste dont la première polémique ressemble trait pour trait à celle qui nous occupe ici.

 

Une affaire Dieudonné-bis ?

Nous sommes un soir d’automne sur une chaîne du service public. Alors que le conflit israélo-palestinien est revenu sur le devant la scène, un humoriste marqué à gauche lance un sketch comparant la politique israélienne à celle suivie par les nazis. Les invités et l’animateur de l’émission sont hilares.

Cette scène n’est toutefois pas la blague de Guillaume Meurice, mais celle qui lança l’affaire Dieudonné il y a presque 20 ans jour pour jour, le 1er décembre 2003 sur le plateau de l’émission « On ne peut pas plaire à tout le monde », animée par Marc-Olivier Fogiel.

Dieudonné terminant son sketch par un « Isra-Heil » en pleine seconde intifada avant de faire un salut nazi n’est pas sans revenir en mémoire lorsqu’on pense à la nazification d’Israël opérée 20 ans plus tard par Guillaume Meurice.

 

Responsabilité et service public

Le parallèle s’arrêtera là, Dieudonné ayant eu bien avant cette blague un passif antisémite marqué, bien que passé inaperçu à l’époque.

Que la blague de Guillaume Meurice soit antisémite ou non, la polémique qu’elle a provoquée n’est pas près de se terminer. La gêne de la rédaction n’en est que la plus criante démonstration.

Or, si le bouffon est depuis toujours frappé d’immunité, la question de sa responsabilité se posera de plus en plus à mesure que le service public s’arrogera un magistère intellectuel sur l’humour acceptable, y compris en dérapant comme ce fut le cas ici.

C’est l’occasion de nous souvenir d’un principe simple : il ne saurait y avoir de réelle liberté d’expression dans le cadre d’un service public financé par tous, et donc ne pouvant froisser personne.

IGPN : un rapport annuel satisfaisant, mais une communication déplorable !

Comme un seul homme, la presse subventionnée reprend la dépêche AFP selon laquelle le nombre d’enquêtes menées par l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) sur l’usage de la force par des policiers sur la voie publique est en nette hausse en 2022.

Par exemple :

« La police des polices a enregistré en 2022 une « nette augmentation » du nombre d’enquêtes sur l’usage de la force sur la voie publique », titre France Info.

« IGPN : les enquêtes sur l’usage de la force par les policiers sur la voie publique en hausse en 2022 », pour BFM TV.

« L’IGPN note une nette hausse de ses enquêtes liées à l’usage de la force sur la voie publique », selon Le Monde.

« Les enquêtes de l’IGPN sur l’usage de la force sur la voie publique en hausse en 2022 », pour Ouest France.

« Rapport de l’IGPN : 38 personnes ont trouvé la mort à l’issue d’une mission de police en 2022 », déclare France Inter.

 

Une lecture différente

À la différence des auteurs des articles précédents, votre serviteur a lu le Rapport de l’IGPN 2022.

Ce document recense ainsi 1065 saisines judiciaires pour 2022, soit, si l’on excepte le pic atypique de 2019 lié au mouvement des Gilets jaunes, une quasi-stabilité des affaires les plus graves depuis 2016.

Dans ce total, 508 enquêtes versus 510 en 2021 portent sur des soupçons liés à l’usage de la force.

Plus d’une fois sur deux cette dernière est liée à une « interpellation ou une opération assimilée », en général sur la voie publique.

« Ce chiffre est en nette augmentation, puisqu’il représentait 37 % des allégations en 2021 », note la Police des polices qui, au chapitre des « Moments de grande tension », cite « les contrôles d’identité (10 %), les contrôles routiers (14 %) qui dégénèrent » ainsi que « les contextes de manifestations et de services d’ordre (12 %).

« Après une hausse amorcée il y a deux ans, les enquêtes ouvertes sur des allégations d’injure à caractère raciste ou discriminatoire demeurent à un niveau égal », souligne le document, qui ne mentionne que 52 dossiers en 2022, contre 51 en 2021, 38 en 2020 et 31 en 2019.

Quelque 775 policiers ont été entendus comme suspects l’année dernière. Si le chiffre peut sembler important, il est en retrait par rapport aux 921 agents inquiétés en 2021, et aux 1107 de 2020.

Les policiers ont fait usage de leur arme à feu à 255 reprises, en baisse de 24,6 % par rapport à 2017. En revanche, 846 munitions ont été utilisées contre 713 en 2020. Si les tirs ont visé des individus décrits comme « dangereux » à 50 reprises, les policiers ont fait feu en direction de véhicules en mouvement dans 54 % des affaires, occasionnant 15 blessés et 13 décédés parmi les usagers.

Jamais les policiers n’ont autant dégainé leur pistolet à impulsion électrique : 2699 reprises en 2022, un record, en hausse de 11 % par rapport à 2021, et un doublement de son usage en cinq ans.

Dans 25 % des cas, cette arme non létale a été utilisée en « mode tir ». Les policiers ont également tiré 7020 balles de défense supposées, sur le papier, « interrompre les gestes agressifs d’un individu se situant à une distance maximale de 35 mètres ».

Parallèlement, « 90 services de police ont été visités dans le cadre de contrôles inopinés liés à l’accueil des victimes, notamment celles de violences conjugales ». Avant d’enregistrer un taux de satisfaction des usagers de 79 %, preuve s’il en est que tout le monde ne déteste pas la police.

 

Une erreur de communication

D’où vient alors cette différence de lecture entre les articles de presse cités plus haut et l’analyse que je vous propose ici ?

Bien sûr, d’une part de la lecture « gauchisante » des médias, dont la majorité des journalistes sont favorables aux thèses de la NUPES ; et d’autre part l’origine d’une source unique de l’analyse (dépêche AFP) alors que le rapport complet est disponible sur le site du ministère de l’Intérieur depuis le 21 septembre.

Mais aussi et surtout par la communication, ou plus exactement l’absence de communication de la place Beauvau. Alors que les forces de l’ordre sont de nouveau pointées du doigt ce samedi 23 septembre, à l’occasion d’une marche à Paris contre « les violences systémiques, pour la justice sociale et les libertés publiques » à l’appel d’associations ainsi que de partis de gauche et d’extrême gauche, l’inspection générale de la police nationale a rendu public jeudi dernier, en catimini, son rapport annuel.

D’ordinaire présenté à la presse, le rapport annuel de l’IGPN a été publié sans communication particulière. Le document, qui présente le bilan de l’organe de contrôle interne de la police pour l’année 2022, revêtait pourtant une dimension particulière pour la nouvelle cheffe de l’inspection, Agnès Thibault-Lecuivre, ancienne conseillère justice du cabinet du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, et première magistrate de l’ordre judiciaire à diriger la Police des polices.

Sans débat, ni explication autre, le présent rapport était l’occasion pour Gérald Darmanin de défendre notre police républicaine, alors que 30 000 gendarmes et policiers sont mobilisés ce week-end pour la sécurité de tous.

 

[Passages médias] Géopolitique des BRICS et du monde

Ces derniers jours, l’actualité internationale a été largement dominée par le Sommet des BRICS. Pour donner des clés d’explications, Alexandre Massaux, secrétaire de rédaction à Contrepoints est passé à deux reprises sur Radio-Canada cette semaine.

Radio-Canada, qui appartient à la Société Radio-Canada (en anglais : Canadian Broadcasting Corporation, CBC) est l’un des principaux médias audiovisuels canadiens avec une bonne visibilité et renommée au Canada.

Vous pouvez écouter les passages ici (Réunion du sommet annuel des BRICS, 23 août 2023), et ici (retour sur la clôture du sommet des BRICS).

 

Vous trouverez des réponses aux questions suivantes :

  • Les BRICS forment-ils un bloc uni ?
  • Quelles sont leurs motivations ?
  • Quelles perspectives au niveau financier et économique du renforcement des BRICS ?
  • L’absence physique du président russe Vladimir Poutine au sommet, quelle symbolique ?
  • Quelles sont les rivalités internes ?
  • Sont-ils des adversaires de l’Occident ?
  • En quoi l’Inde est-elle un membre de plus en plus important, et pourquoi l’Occident doit-il entretenir de bonnes relations avec elle ?
  • En quoi l’adhésion des 6 nouveaux membres influe-t-elle sur la géopolitique économique mondiale ?
  • Pourquoi l’adhésion de l’Iran, de l’Arabie Saoudite, des Émirats arabes unis et de l’Égypte est-elle importante d’un point de vue énergétique et commercial ?
  • Pourquoi les deux rivaux que sont l’Iran et l’Arabie saoudite rejoignent-ils en même temps le même groupe ? Avec quel rôle pour la Chine ?

 

Ces sujets sont traités en évitant une vision manichéenne. En effet, en relations internationales, les États n’ont pas d’amis et d’ennemis, ils n’ont que des intérêts. Face à la complexité de ces changements sur la scène internationale, la modération en termes d’analyse reste de mise.

Vous pouvez retrouver les analyses d’Alexandre Massaux sur Contrepoints, mais aussi dans les revues spécialisées de relations internationales comme Conflits ou Diplomatie : le nouveau numéro des Grands Dossiers de Diplomatie (n° 75) contient d’ailleurs son analyse des relations actuelles entre la France et les États-Unis.

La politique a tout contaminé dans notre société, en particulier les médias

Par Connor O’Keeffe.

L’un des rares points sur lesquels la plupart des Américains s’accordent aujourd’hui est l’existence de graves problèmes dans l’environnement actuel des médias d’information.

Les conservateurs ont passé des décennies à dénoncer les « médias libéraux », les qualifiant de bras à peine voilé du parti démocrate et, plus récemment, du Big Pharma. Pendant ce temps, les progressistes semblent accuser Fox News, fondée par un milliardaire, d’être responsable de presque tous les problèmes auxquels l’Amérique est confrontée.

Même les représentants des médias de l’establishment s’inquiètent de la couverture par leurs collègues des actes d’accusation contre Trump et, plus largement, de l’élection de 2024, se débattant avec le fait que le candidat qu’ils détestent est si bon pour leurs affaires.

Toutes ces critiques peuvent sembler uniques. Mais en réalité, il s’agit simplement de variations du même argument de base. Les médias sont censés jouer un rôle important dans notre processus politique, mais une course aveugle aux profits a corrompu le journalisme et l’a rendu incapable de servir son objectif supérieur. En vérité, c’est exactement l’inverse. Les problèmes des médias d’aujourd’hui découlent de la politique, et non des profits.

À la base, le journalisme est un service qui permet de recueillir des informations sur des événements récents ou en cours, et de les communiquer aux personnes intéressées. Il existe de nombreuses raisons de payer pour ce service. Et, surtout, les objectifs des consommateurs d’informations peuvent varier, et varient effectivement. Peut-être veulent-ils des informations sur la région où ils vivent ou sur une cause spécifique qui leur tient à cœur. Ils essaient peut-être de se tenir informés des développements qui ont un impact direct sur leur travail. Ou encore, ils aiment s’informer sur un sujet, ou suivre l’actualité d’une célébrité ou d’une équipe.

Il en existe une grande variété, mais nous pouvons également identifier une dichotomie des consommateurs d’informations.

D’un côté, les personnes qui ont besoin d’informations spécifiques pour être aidées à prendre une décision. Imaginez un père de famille surveillant une tempête, essayant de déterminer s’il doit mettre sa famille à l’abri de la tornade. Ou un cadre qui suit un coup d’État à l’étranger pour décider s’il doit extraire les employés qui se trouvent à proximité d’une situation potentiellement dangereuse.

D’un autre côté, les personnes qui consomment les informations à des fins de divertissement ou d’éducation. Imaginez quelqu’un qui veut se détendre après le travail, et écouter son journaliste sportif préféré analyser les résultats de la sélection de la NBA, ou apprendre les dernières péripéties d’un couple de célébrités.

Un groupe a besoin d’informations précises pour prendre une décision sérieuse, et potentiellement coûteuse. L’autre veut s’appuyer sur ses tendances tribalistes ou de commères pour s’amuser dans le confort de son salon. Les deux types de consommateurs d’informations peuvent trouver sur le marché une réponse à leurs besoins spécifiques.

Mais lorsque la politique entre en jeu, ces deux catégories se confondent de la pire des façons.

Dès notre plus jeune âge, on nous apprend que nous vivons dans une démocratie. C’est nous, en tant qu’électeurs, qui déterminons ce que fait le gouvernement, et nous avons l’obligation de rester informés de ce que fait ce dernier, car c’est nous qui dirigeons le navire. Parce que les bons citoyens connaissent les mécanismes bancaires, la science du climat, les tendances en matière d’immigration, la dynamique tribale de l’est de l’Afghanistan, et bien d’autres choses encore. En d’autres termes, les bons citoyens suivent l’actualité.

Même s’il s’agissait d’un idéal souhaitable – ce qui n’est pas le cas – le processus politique ne pourra jamais encourager la consommation prudente et délibérée d’informations, comme le ferait le père surveillant une tempête dangereuse, ou le cadre soupesant l’opportunité d’évacuer des employés. Tout au plus, une petite poignée d’individus est impliquée dans ces situations. Et comme le père et le dirigeant sont tous deux responsables de la sécurité des personnes qui leur sont chères – et de la santé financière de l’entreprise, dans le cas du dirigeant -, ils seront tous deux très conscients des conséquences d’un mauvais choix. De plus, et c’est important, il leur sera probablement facile de savoir s’ils ont fait le mauvais choix après coup.

Les électeurs et les gouvernements qu’ils sont censés contrôler sont protégés de ces incitations et de ces mécanismes de rétroaction. Même à l’échelle hyperlocale, l’impact de votre vote sur les décisions politiques est négligeable. Cela réduit les enjeux d’une éventuelle mauvaise décision. Ajoutez à cela que vous votez probablement pour un homme politique qui prendra de nombreuses décisions. Et comme le gouvernement est institutionnellement protégé des pertes économiques, le retour d’information sur l’adoption de la bonne ligne de conduite est également obscur. Et n’oubliez pas que tout cela se passe au niveau local. Si l’on passe à l’échelle d’un État ou d’un pays, ces caractéristiques sont aggravées jusqu’à l’absurde.

Faut-il s’étonner, dès lors, que les électeurs qui ne sont guère incités à s’assurer qu’ils ont raison, et qui sont également protégés contre les réactions lorsqu’ils se trompent, adoptent les mêmes habitudes médiatiques que ceux qui consomment des informations sportives et de divertissement ?

Si l’on est censé suivre ces informations, en particulier avant les élections, pourquoi ne pas consommer les options les plus divertissantes ? Quel est l’inconvénient ? Et qu’y a-t-il de plus divertissant que la malbouffe intellectuelle tribaliste que nous voyons aujourd’hui ? Il est agréable de s’entendre dire que l’on a raison, et que les personnes avec lesquelles on n’est pas d’accord sont stupides.

Ce n’est pas que la malbouffe intellectuelle tribaliste soit un problème en soi. La plupart des médias sportifs sont structurés de cette manière. Elle ne devient dangereuse que lorsqu’elle est mélangée à des politiques gouvernementales réelles. Car n’oubliez pas que la politique consiste à utiliser la violence pour forcer les gens à agir d’une manière qu’ils ne souhaitent pas. Il s’agit d’un sujet très sérieux qui cause beaucoup de misère, de pauvreté, et de morts dans le monde.

C’est la politique, et non l’économie, qui est à l’origine du problème des médias.

Le marché sait donner aux consommateurs ce qu’ils veulent. Cela n’exonère pas les médias de l’establishment ou la classe politique. Ils profitent grandement de cet environnement médiatique politisé à nos dépens, comme d’autres l’ont clairement indiqué. Mais la politique fausse la consommation médiatique des individus, les pousse à consommer des contenus qui confirment leurs préjugés sur des sujets d’une importance cruciale qui ne les concernent pas, les encourage à faire passer ces mauvaises décisions dans le monde réel sous la menace d’une arme, et les protège des coûts directs liés à l’erreur.

Pourquoi s’attendre à ce que cela se passe bien ?

Sur le web

Le voisinage oriental de l’UE est-il prêt pour l’élargissement ?

La guerre en Ukraine a ravivé l’intérêt pour le voisinage de l’Union européenne, car il semble même que l’on envisage sérieusement de permettre à l’Ukraine d’entrer dans l’Union européenne. Auparavant, il s’agissait d’une pure fiction.

Dans un long article sur les chances d’adhésion de l’Ukraine, le Financial Times rapporte :

« Fin juin, au cours d’un petit-déjeuner à l’hôtel Amigo cinq étoiles de Bruxelles, les dirigeants les plus puissants de l’Union européenne ont entamé des discussions sérieuses sur la manière de faire entrer l’Ukraine dans le club ».

Il s’agissait des chefs de gouvernement des dix plus grands États de l’Union européenne en termes de population, dont la France, l’Allemagne, la Pologne et la Roumanie.

Selon le journal, « la réunion a mis en évidence une chose : elle a confirmé qu’une idée qui aurait pu sembler absurde il y a encore 18 mois est désormais prise au sérieux ».

Évidemment, « de nombreux fonctionnaires et diplomates des États membres s’interrogent en privé sur la possibilité que cela se produise réellement ». Outre la guerre en cours, il y a le fait que l’Ukraine serait le cinquième plus grand membre de l’Union européenne, et de loin le plus pauvre, sans parler de la corruption endémique.

Le journal explique que l’on pourrait régler ce problème en supprimant les droits de veto, mais il est évident que cela ne tient pas compte des réalités diplomatiques et politiques. Ce n’est pas comme si les payeurs nets de l’Union européenne se laissaient volontiers mettre en minorité par les bénéficiaires nets.

En outre, la mise en minorité des démocraties européennes sur des questions sensibles, telles que l’immigration, a déjà alimenté de profondes tensions. Il est tout à fait étrange que les partisans d’une fédéralisation toujours plus poussée de l’Union européenne ne semblent pas comprendre que cela sape le projet même qu’ils veulent renforcer.

 

Les Balkans occidentaux

Outre l’Ukraine, il y a les « six Balkans » : Serbie, Monténégro, Macédoine du Nord, Bosnie-Herzégovine, Albanie et Kosovo.

Les questions en jeu avec l’Ukraine paraissent beaucoup plus réalisables ici. Malheureusement, les pays concernés, dont certains ont obtenu le statut officiel de candidat à l’Union européenne, n’ont pas fait beaucoup de progrès en ce qui concerne le respect des critères d’adhésion à l’Union.

La Serbie est bien sûr le pays le plus en vue des six. Il y a deux mois, des manifestations de grande ampleur ont eu lieu contre son gouvernement, déclenchées par deux fusillades de masse au début du mois de mai. Les manifestants ont accusé le gouvernement d’alimenter une culture de la violence, ainsi qu’une atmosphère de désespoir et de division.

Les manifestants ont accordé une attention particulière aux médias serbes, qu’ils considèrent comme étant contrôlés par le gouvernement. Ils ont donc exigé la démission de tous les membres de l’agence de régulation des médias audiovisuels, qu’ils considèrent comme complices de la promotion de la violence, y compris à l’encontre des dissidents politiques.

Dans son évaluation de la Serbie, Reporters sans frontières (RSF) note que « les journalistes font régulièrement l’objet d’attaques politiques instiguées par des membres de l’élite dirigeante et amplifiées par certaines chaînes de télévision nationales ».

RSF précise :

« Alors que la Serbie dispose d’une des législations les plus avancées en matière de médias, avec une Constitution qui garantit la liberté d’expression, les journalistes travaillent souvent dans un environnement restrictif, y compris une censure auto-imposée. Les réglementations prescrivant la manière dont les procureurs et la police doivent réagir lorsque des journalistes sont attaqués ont donné des résultats positifs dans certains cas. Toutefois, le pouvoir judiciaire, qui traite de nombreuses questions liées aux médias, y compris les poursuites stratégiques contre la participation publique (SLAPP), doit encore prouver son indépendance et son efficacité dans la protection de la liberté de la presse ».

À cela s’ajoutent les tensions entre le Kosovo et la Serbie, qui se sont ravivées récemment à la suite d’élections municipales qui, selon le Kosovo, se sont déroulées conformément à la lettre de la loi, mais ont été boycottées par une grande partie de la minorité serbe vivant dans le nord du Kosovo. En conséquence, le taux de participation n’a été que de moins de 4 %. L’approche adoptée par le Kosovo pour installer les maires nouvellement élus a été vivement critiquée par l’Union européenne, qui a même imposé des sanctions au Kosovo.

Cela montre à quel point la région reste instable. L’expert des Balkans Gerald Knaus prévient même : « aujourd’hui, la Serbie et le Kosovo sont au bord de la catastrophe ».

Et nous n’avons même pas mentionné la situation en Bosnie, où de hauts responsables serbes bosniaques ont récemment été soumis à des sanctions américaines pour avoir sapé l’accord de paix de 1995. Heureusement, l’Albanie, la Macédoine du Nord et le Monténégro semblent être sur une voie beaucoup plus durable.

 

La Moldavie

Enfin, il y a la Moldavie, coincée entre la Roumanie et l’Ukraine, dont une partie du territoire est occupée par la Russie.

Malgré les nombreux défis auxquels le pays est confronté avant de pouvoir rejoindre l’Union européenne, il s’est vu accorder le statut de candidat à l’Union européenne en juin 2022.

Selon Victor Chirila, ambassadeur de Moldavie en Roumanie, la réforme de la justice sera l’un des chapitres les plus difficiles des négociations d’adhésion avec l’Union européenne, étant donné la forte résistance au sein du système.

Ici aussi, la situation des médias est très préoccupante. Une fois de plus, Reporters sans frontières a averti que « les principaux médias, tels que TV6, NTV Moldova et Prime TV, sont entre les mains des dirigeants politiques », soulignant en outre que les licences de six chaînes de télévision considérées comme pro-russes ont été suspendues depuis décembre 2022.

En réponse, la campagne « Stop Media Ban » a été lancée, et certains des journalistes victimes de l’interdiction se sont même rendus de Moldavie au Parlement européen pour protester et demander que leur cause soit prise en compte.

L’initiateur de la campagne, Alexei Lungu, détaille la situation problématique des médias dans le pays dans une lettre adressée aux députés européens :

« Stop Media Ban est une association de journalistes et de membres des médias créée à la suite de l’interdiction générale des médias sur six chaînes de télévision en Moldavie. Le 16 décembre 2022, la Commission pour les situations exceptionnelles a rappelé nos licences de diffusion en continu, accusant nos chaînes de diffuser de la propagande russe et de ne pas présenter « suffisamment » la guerre en Ukraine.

En réalité, nos chaînes ont été interdites parce que nous nous exprimons lorsque notre gouvernement est dans l’erreur. Nous ne restons pas silencieux lorsque l’opposition prend des mesures pour améliorer la vie de la communauté. Comme l’exige le code de la profession de journaliste, nous présentons toujours toutes les facettes de l’histoire, mais il arrive que nos dirigeants élus refusent de parler à la presse qu’ils considèrent comme « d’opposition ».

Fondamentalement, selon le groupe, le problème est que « alors que notre gouvernement revendique l’engagement de la Moldavie envers les valeurs européennes et l’avenir de l’Europe, il ne respecte pas les valeurs fondamentales de la liberté de la presse et de l’Etat de droit dans le pays. […] En février 2023, un sondage auprès de la population moldave, Baromètre sociopolitique, a montré que 68 % des personnes interrogées pensent que la décision de la Commission pour les situations exceptionnelles de suspendre les licences des six stations de télévision est un abus de la part du pouvoir actuel. »

Le contexte général est celui d’une lutte de pouvoir permanente dans le pays entre les forces russes et occidentales, dont les médias libres sont l’une des victimes. La présidente du pays, Maia Sandu, soutient l’adhésion à l’Union européenne, mais le mois dernier, la politicienne pro-russe Evghenia Guțul a réussi à devenir la nouvelle gouverneure ou « başkan » de la région moldave autonome de Gagaouzie, ce qui indique que rien n’est donné.

En février, la présidente Sandu a déclaré que l’Ukraine lui avait remis un document décrivant les « plans russes visant à déstabiliser et à renverser le pays », prétendument en créant un mécontentement par le biais de campagnes de désinformation et en déclenchant une crise nationale par une série d’attaques terroristes. Même s’il est vrai, ce document pourrait bien être utilisé pour restreindre davantage la liberté de la presse dans un pays où la situation des médias est déjà problématique.

Tout cela montre qu’en dépit du scepticisme de nombreux électeurs européens, le voisinage oriental de l’Union européenne a encore beaucoup de progrès à faire avant qu’un nouvel élargissement n’ait une chance de se produire.

Geoffroy Lejeune au JDD : la liberté de la presse en question

Il y a quelque temps, un certain nombre de magnats des médias ont pris le contrôle d’une revue connue pour ses articles parfois polémiques. La rédaction reprochait l’imposition d’une certaine vision du journal par des propriétaires nommant une nouvelle direction à la rédaction. Cette histoire, celle des Cahiers du Cinéma, ne vous fait penser à rien ?

L’arrivée mouvementée à la tête du JDD le 1er août de l’ancien directeur de rédaction de Valeurs actuelles, licencié pour complaisance idéologique, suscite des interrogations. Une partie de la France se questionne soudainement sur l’impact de la prise de contrôle de médias par des personnalités controversées sur la liberté de la presse.

Ces préoccupations surgissent alors que cette liberté n’a jamais été autant sujette à des pressions politiques, dans un milieu médiatique dominé par la gauche et largement subventionné, alors que la rédaction du JDD se montre incapable de prendre ses responsabilités.

 

Le retour de la gauche pleureuse

Moins d’une dizaine de jours après son départ de Valeurs actuelles, Geoffroy Lejeune est désigné par Vincent Bolloré pour prendre la suite d’un autre habitué des plateaux de CNews, Jérôme Béglé, à la tête du JDD.

Dans l’après-midi du 22 juin, par 77 voix pour, une contre et cinq abstentions, les journalistes de l’hebdomadaire racheté début juin par la huitième fortune française ont entamé une grève qui dure désormais depuis presque un mois et demi.

Si la nomination est confirmée dès le lendemain, la grève provoque un tollé dans le monde journalistique hexagonal. Soutenu par une centaine de personnalités du spectacle, de la culture et de l’université, le mouvement monte jusqu’au gouvernement. La ministre de la Culture Rima Abdul Malak s’alarme « pour nos valeurs républicaines ». Le ministre de l’Éducation nationale Pap Ndiaye apporte publiquement son soutien aux grévistes sur l’antenne de Radio J et la rédaction s’est même offert le soutien de Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT qui a de son côté décidé d’évoquer la question au plus haut niveau de l’État.

 

L’immixtion du politique

Rarement, dans notre histoire récente et en particulier depuis la fin de l’ORTF, le politique s’est autant mêlé de la question de la liberté de la presse, et plus largement du droit de propriété.

Si la nécessité pour Vincent Bolloré de faire valider le rachat du JDD par la Commission européenne est déjà choquante dans une Europe qui se vante d’être un espace de libertés, le fait que les deux principaux ministres en charge des questions d’informations prennent fait et cause dans le conflit d’une entreprise privée n’en est pas moins un scandale sur le plan de la liberté.

 

La droitisation fantôme

La rédaction craint ainsi une « droitisation » de la ligne éditoriale. La blague pourrait, et même devrait s’arrêter là.

De nombreux médias, plus ou moins sérieux, ont tenté de « démythifier » l’allégation courante de parti pris de gauche de la sphère journalistique française. Se basant sur des visions assez restrictives de la gauche, les gesticulations argumentatives et morales ne résistent pas aux statistiques.

Car en se basant sur les sondages parus ces 25 dernières années, on retrouve un score pour les candidats de gauche au premier comme au second tour des élections présidentielles allant de 52 à 74 % de voix.

Un gauchisme évident lorsqu’on se souvient que la presse française est largement subventionnée. Dans ce sens, n’hésitez pas à venir faire un tour dans notre dossier spécial sur le sujet pour mieux comprendre l’ampleur du phénomène, mais notons ici qu’en 2021, le JDD était le cinquième titre le plus subventionné.

Craindre une « droitisation » – comprendre « hégémonie de droite » – des médias français parce qu’une fortune privée ose enfin, que ce soit par idéologie sincère ou par volonté de disruption du marché de la presse, mettre un peu de concurrence idéologique, et donc de démocratie dans la manière dont l’information est traitée en France, relève au mieux d’une profonde erreur d’analyse, et au pire d’une nouvelle tentative de narratif dont la gauche a le secret pour tenter de maintenir son emprise sur l’expression dans ce pays.

Nous sommes purement et simplement devant une pièce de théâtre destinée à masquer une guerre de contrôle sur le trésor des subventions à la presse, financées par un contribuable français dont les idées sont à l’inverse de plus en plus à droite.

 

Une chasse gardée assiégée

De fait, Geoffroy Lejeune est depuis un mois et demi l’objet d’une véritable chasse aux sorcières menée par une certaine frange, majoritaire donc, du journalisme français, peu encline à accepter la diversité éditoriale.

Il faut dire que le milieu culturel est une chasse gardée de la gauche depuis plus de 40 ans. Un monopole étatique que nous voyons aussi bien au niveau national que local qui semble en passe de se fissurer, mais qui ne pourra être réellement brisé que le jour où nous en finirons enfin avec l’arrosage systématique d’argent public. Un doux rêve…

 

Le cas des clauses de conscience

Mais restons éveillés encore quelques minutes, car il est difficile de ne pas s’interroger sur les issues possibles de cette affaire.

Politiquement et humainement, il est impossible d’imaginer que Bolloré cède aux grévistes. Juridiquement et moralement, hors faute lourde, il est tout aussi impossible de licencier la rédaction du JDD du simple fait d’une grève.

Une autre option s’offre à elle, mais suppose qu’elle prenne ses responsabilités.

En droit français, les journalistes bénéficient depuis 1935 d’une clause de conscience qui leur permet, notamment en cas de changement de la situation juridique de l’employeur, de démissionner sous le régime du licenciement. Concrètement, cela les autorise, comme c’est possible pour tout salarié en cas de démission dite légitime (suivre un parent, un conjoint ou un enfant, faute de l’employeur, création d’entreprise…) de bénéficier de droits au chômage.

 

Vers des démissions massives ?

Toujours dans l’affaire qui nous intéresse, il est largement possible d’envisager qu’une telle décision soit prise massivement.

L’exemple le plus parlant reste celui de Les Cahiers du Cinéma. Après la reprise du journal le 30 janvier 2020 par une vingtaine de personnalités proche du cinéma français, le mensuel fondé en 1951 justement contre ce dernier a été l’objet de la démission de l’intégralité de sa rédaction, cette fois en usant, non d’une clause de conscience, mais d’une clause de cession, clause similaire dont l’usage exige toutefois une obligation de préavis. Encore une fois, la manœuvre n’était pas dépourvue d’intérêt idéologique, Les Cahiers du Cinéma étant connu pour sa ligne très à gauche selon Libération (c’est dire…).

 

Se défaire du théâtre politique

Plutôt que d’en appeler systématiquement à l’État pour se protéger d’une soi-disant menace pesant sur la République par un magnat prétendument d’extrême droite, la rédaction du JDD aurait tout intérêt à prendre ses responsabilités et, peut-être, provoquer une crise au sein du journal dont elle a la charge.

Il est donc aisé d’imaginer une solution qui ne ferait pas appel à la grandiloquence républicaine contre la menace fasciste, rengaine pathétique à en devenir hilarante et masquant en réalité la crainte du crépuscule d’une rente idéologique.

Dans l’attente, Geoffroy Lejeune se prépare à l’entrée en fonction la plus agitée de sa jeune carrière.

Geoffroy Lejeune au JDD : la panique morale de la gauche ?

Qu’il est doux d’être de gauche. Lorsque vous avez la chance de l’être (ou que vous vous en êtes persuadé, voire que vous l’avez jugé opportun pour votre image ou votre réussite), vous êtes quelqu’un d’ouvert, de tolérant, de généreux, d’accueillant, d’inclusif, de solidaire, d’altruiste, de bienveillant, d’empathique, de compassionnel, de démocrate, et bien sûr toujours la main sur le cœur. N’en jetez plus, j’en oublie certainement.

Mais voilà… Là où le bât blesse, c’est que tout ce qui s’écarte un peu trop de la gauche bon teint est rapidement décrié et qualifié d’extrême droite (moyen très commode de rendre un adversaire inaudible, de le châtier, tout en présentant ainsi son propre caractère vertueux).

En réalité, en lieu et place de l’esprit ouvert et tolérant que vous prétendez avoir, il se peut que se cache en vous un esprit intolérant. Et là où vous vous affichez comme étant un grand démocrate, on peut de demander si vous n’êtes pas plutôt entraîné vers la tentation totalitaire.

 

La liberté d’expression mise en cause

Si la grève au JDD pouvait légitimement exprimer un mécontentement de la part des journalistes qui y travaillent, elle n’a pas manqué de déborder le cadre du journal lui-même.

S’en sont mêlés de nombreux journalistes, intellectuels, politiques, célébrités de toutes sortes. Afficher ainsi sa tolérance et son ouverture d’esprit (sic), son « courage » face au terrible péril qui nous guette, relevait quasiment du sens du devoir de la part de tout esprit éclairé. Au pays des Lumières, on n’en attendait pas moins.

Alarmant jusqu’à la ministre de la Culture en personne, pas vraiment novice en la matière, mais aussi des représentants de syndicats, telle Sophie Binet, qui entendent se joindre aux journalistes pour « sommer » le président Macron d’agir.

Mais, interroge à juste titre Nicolas Lecaussin dans la Lettre des libertés de l’IREF, « la rédaction du JDD se serait-elle mise en grève si Lagardère avait nommé un ex-directeur de L’Humanité dimanche ? ». Il ajoute :

 

Lorsque l’État subventionne la presse et que les politiques s’en mêlent, les journalistes n’ont aucun problème de conscience. L’argent public n’a pas d’odeur. En revanche, si les milliardaires du privé investissent leur propre argent, cela devient dangereux.

 

Guillaume Roquette, rédacteur de la rédaction du Figaro Magazine, évoquait d’ailleurs dans une interview dès avril, au sujet de la sortie d’un numéro spécial sur le sujet, « la tentation de la pensée unique » dans l’audiovisuel public.

Au-delà de sa dénonciation du manque de pluralisme et du règne (terme qu’il évite justement) de la pensée marquée à gauche dans les médias, il y montrait comment les médias de gauche pratiquent une domination marquée des idées de gauche, à la fois assez évidente, mais aussi insidieuse dans la mesure où à force de répétition et de convergence de la ligne éditoriale et des analyses, l’auditeur finit pas retenir des choses biaisées et très binaires (l’entreprise comme lieu où on triche, où on exploite, où on ment, et autres biais de confirmation. Ne parlons même pas d’écologie…).

Des personnalités retentissantes comme Élise Lucet par exemple, pratiquent ce qu’il appelle un « journalisme à charge », qui consiste à forcer le trait et à élaborer des montages dans lesquels les personnes interviewées ne se reconnaissent pas dans ce qu’elles avaient voulu exprimer.

C’est le cas par exemple de France Inter, où il a la chance d’avoir une chronique de trois minutes dans la matinale (certains parlent de « caution de droite » à cet égard), et où l’immense majorité des invités hors politique sont des intellectuels de gauche ou apparentés (même chose à France Culture, où l’émission Répliques d’Alain Finkielkraut, qui ne s’est d’ailleurs jamais présenté autrement que comme un homme aux idées plutôt de gauche, constitue une voix minoritaire et à part de la chaîne).

Ce qui ne serait pas forcément choquant en soi s’il ne s’agissait pas de radios publiques et qu’une chaîne concurrente comme CNews n’était pas accusée perpétuellement (par les gens de gauche) de ne pas respecter un équilibre suffisant entre droite et gauche (sacré paradoxe et comble de l’ironie !).

Pire, Guillaume Roquette et son équipe éditoriale montrent comment une différence dans la manière d’interviewer est notable selon qu’il s’agit d’un invité présenté comme un « intellectuel » (on ne précisera pas de gauche) ou de quelqu’un qui n’est pas de gauche, que l’on présentera, et avec qui on s’entretiendra de manière différente, tout en soulignant le caractère subjectif de ses propos et en évoquant son « opinion ». Imprégnation qui relève de la culture interne de la chaîne, dont les membres n’ont pas nécessairement toujours pleinement conscience et se gardent donc bien de le reconnaître.

Soulignons au passage, et Guillaume Roquette en donne des exemples, que les nominations à la tête d’un média public résultent généralement du transfert d’un journal (ou d’une radio) à un autre. Ce qui montre bien le deux poids deux mesures qui est pratiqué lorsque certains s’offusquent de la nomination du journaliste Geoffroy Lejeune à la tête de la rédaction du JDD.

 

La liberté de la presse en danger

Pour en revenir justement à ce « scandale » de la nomination de Geoffroy Lejeune à la rédaction du JDD, il est symptomatique que, comme à chaque fois qu’un événement d’actualité fait du bruit, on cherche aussitôt à légiférer en urgence.

On sait qu’Emmanuel Macron s’était déjà interrogé, de manière stupéfiante, sur l’opportunité de considérer l’information comme un bien public. C’était il y a maintenant quatre ans. Nous nous étions alors demandés dans quelle mesure nous ne risquions pas de tomber dans des dérives autoritaires, le retour à des formes sévères de censure, au danger d’aboutir à la quasi-nomination de journalistes d’État au service d’une sorte de ministère de la Vérité.

Sans aller jusque-là, cet article a surtout pour objet d’attirer l’attention sur ce qui se profile : il aura suffi d’une affaire montée en épingle pour que le président – dont nous disions plus haut qu’il avait été « sommé d’agir » par des groupes de journalistes – décide aussitôt la mise en place en septembre d’États généraux de l’information.

Mais déjà, plusieurs médias (indépendants ou pas classés à gauche, comme vous vous en doutez) nous alertent sur la composition loin d’être neutre du Comité chargé d’organiser ces États généraux. Il conviendra donc d’être vigilants et de suivre attentivement ce qui va se passer…

Pap Ndiaye et sa conception bien singulière de la démocratie

Pap Ndiaye a une conception bien à lui de la démocratie, qui vise à encourager la libre expression… dès lors qu’elle reste dans la sphère du politiquement correct.

Tout média qui s’écarterait de ce qu’il considère lui-même comme cantonné à des formes de pensée respectable serait à ranger sans conteste sous un seul vocable tombant tel un couperet : « d’extrême droite ». Et n’aurait, à ce titre, plus vraiment voix au chapitre dans les débats censés animer la démocratie.

 

CNews et Europe 1, des médias « d’extrême droite »

Le très contesté ministre de l’Éducation nationale, empêtré dans ses réformes peu convaincantes et une Éducation nationale qui se porte très mal, n’a d’autre souci – pour mieux détourner l’attention de son impéritie – que de se préoccuper de la manière dont se porte notre démocratie, apparemment en danger (face à la perte de monopole des idées de gauche, si caractéristiques des médias traditionnels au cours des dernières décennies).

Ne prenant que son courage à deux mains, il se lève donc contre les dangers qui nous menacent : un dangereux capitaine d’industrie « proche de l’extrême droite » serait en passe de transformer différents médias en parangons de l’intolérance et de la haine du même bord politique. Face à ces menaces, il se devait donc de réagir. Comme il l’avait d’ailleurs déjà fait récemment en sanctionnant deux professeurs de philosophie d’un syndicat minoritaire dont les positions peu complaisantes avec les politiques gouvernementales lui étaient apparues dangereuses, outrepassant selon lui la liberté d’expression.

En chantre de la bonne conscience de gauche et de tout ce qu’elle compte d’aficionados, il n’entend pas rester muet face à une telle intolérance.

Interrogé sur le mouvement de grève au JDD, face à la terrible menace à laquelle est confronté le journal, il se joint ainsi à sa manière aux propos qu’avait déjà tenus il n’y a pas si longtemps l’actuelle ministre de la Culture, pour dénoncer la manière dont les dits médias maltraitent l’information et risquent d’influencer de manière dangereuse les idées de certains Français fragiles et influençables, qui risquent bien de dériver vers de bien obscurs recoins de la perversion humaine.

Ne suit-il d’ailleurs pas en cela l’une des préoccupations du président qui, lui-même naguère, était prêt à considérer l’information comme un bien public – et donc à mettre à l’abri des dangereux fanatiques qui pourraient avoir l’heur de la pervertir par de fâcheuses (fascistes ?) analyses (tout comme ceux qui mettent en cause l’origine anthropique du réchauffement climatique sont considérés par certains à gauche comme de dangereux « climatosceptiques d’extrême droite ». Tout ce qui fâche a tendance à être affublé du même qualificatif, qui a pour mérite de classifier et décrédibiliser aussitôt).

D’autres encore – décidément particulièrement nombreux à gauche lorsqu’il s’agit de s’inquiéter des menaces que représente l’extrême droite, à l’heure où les émeutes de juin 2023 devraient retenir un peu plus l’attention du moment – s’inquiètent de ce que l’on accorde trop de place à la parole de « ceux qui sont dans la caricature et dans l’outrance » (dixit une Marine Tondelier qui a son idée sur ce qu’est le comble du libéralisme et du culte de l’individu, s’érigeant contre « la ségrégation et la ghettoïsation » dont seraient victimes les pauvres émeutiers de juin, maltraités par la société).

C’est bien connu, la véritable menace actuelle pour notre société, est bel et bien « l’extrême droite ».

 

Des réactions bien légitimes

Face à un ministre de l’Éducation nationale qui ne fait donc pas dans la dentelle et n’y va pas de main morte pour accuser certains médias et ses journalistes de représenter un danger pour la démocratie, les réactions – bien légitimes – ne se sont pas fait attendre.

Je n’ai hélas pas de lien à proposer ici, mais j’aurais aimé que vous puissiez entendre la réaction parfaitement légitime et sincère de Marc Menant (que je considère comme un honnête journaliste et historien, à la sensibilité de gauche non dissimulée), hier vers 19 h 30 sur cette chaîne que je ne saurais vous recommander (CNews), exprimant sa révolte contre de telles accusations. Car le ministre de l’Éducation nationale aurait apparemment également affublé les journalistes de cette chaîne du qualificatif (très grave) « d’antisémites ». Marc Menant, offusqué par de tels propos de la part d’un ministre qui se voudrait pourtant si vertueux, et endossant ce qualificatif pour lui-même (en tant que journaliste de la chaîne), s’est fait le devoir de nous faire savoir qu’il est lui-même fils de déporté, et à ce titre peu suspect de pouvoir être un antisémite notoire. Il a défendu également les 120 journalistes de la chaîne, qui exercent leur travail avec une certaine conscience professionnelle et ne méritent pas de telles accusations.

Je suis par la suite tombé sur le papier suivant, qui présente la manière dont Laurence Ferrari, journaliste connue de la chaîne, a à son tour réagi, laissant de côté toute langue de bois de manière à exprimer clairement ce qu’elle pense des propos scandaleux du ministre.

Je n’irai pas plus loin dans cet article et ne saurais mieux dire que ce que Laurence Ferrari énumère au nom des 280 journalistes des rédactions de CNews et Europe1. Je vous laisse vous faire votre propre idée sur cette attitude toujours aussi exaspérante de ces gens de gauche se présentant comme vertueux, toujours aussi prompts à évoquer la République en danger et à se présenter comme tolérants, là où il semble bien qu’ils ne font qu’encourager l’intolérance et la chasse à l’homme contre la liberté d’expression

Geoffroy Lejeune : la chasse aux sorcières continue…

Alors que Geoffroy Lejeune a été licencié du magazine Valeurs actuelles, où il occupait le poste de directeur de la rédaction, le voilà maintenant pressenti pour prendre la tête du Journal du dimanche (JDD). Au grand dépit de ses équipes de journalistes, qui se disent sidérés et se sont mis aussitôt en grève, craignant une « croisade réactionnaire » au sein de leur rédaction.

Si l’on peut tout à fait comprendre leur ressenti et considérer comme légitime une telle expression de leur mécontentement et de leurs inquiétudes, ce qui est en cause est davantage le déséquilibre devenu traditionnel – si on élargit les réactions à l’ensemble des médias – entre la capacité à être scandalisé par des événements lorsqu’ils se situent dans le « camp » de la droite plutôt que lorsqu’ils le sont dans le « camp » de la gauche (la politique est très guerrière, là où certains d’entre nous préférerons plutôt le simple débat démocratique). Ce deux poids deux mesures ne date hélas pas d’hier.

 

Le camp du Mal

Dans cette vision très binaire, tout ce qui se situe « à droite » ou est considéré comme tel (car il n’est pas rare pour les gens situés très à gauche d’avoir une vision très restrictive de la gauche) représente bien souvent le Mal, qu’il convient donc généralement de dénoncer, de décrédibiliser, de caricaturer, ou de houspiller autant que faire se peut, afin d’intimider ceux qui seraient tentés de s’en rapprocher d’un iota.

Dans l’affaire du licenciement de Geoffroy Lejeune, nous sommes ici dans le cadre de choix éditoriaux. Un organe de presse appartient à un propriétaire. Et il est en principe géré à la manière d’une entreprise. Il peut donc sembler a priori légitime qu’un groupe comme Valmonde -propriétaire du magazine Valeurs actuelles – décide à un moment donné de se séparer de certains de ses salariés. Ici, pour des raisons apparemment stratégiques et de ligne éditoriale (en simplifiant, car je ne connais pas le détail de ce qui s’est réellement déroulé en coulisses, la politique ayant là aussi certainement joué son rôle).

De la même manière, un autre patron de presse, Vincent Bolloré, à qui appartient le Journal du dimanche, est libre d’employer qui il veut. L’affaire, on l’a insinué, est probablement assez politique, et le capitaine d’industrie a certainement jugé qu’il n’y avait pas de raison de laisser à la gauche (et ses journaux, pour beaucoup, subventionnés) le monopole de la liberté d’expression à géométrie variable. D’autant qu’il a dû considérer qu’il s’agissait d’un jeune journaliste indépendant et réputé brillant (y compris par ses ennemis, je pense, qui le jugent d’autant plus « dangereux »). N’en déplaise aux journalistes du JDD qui, même si on peut les comprendre, sont en théorie toujours libres de partir.

 

Le deux poids deux mesures

Revenons sur le « deux poids deux mesures ».

De quoi est « accusé » Geoffroy Lejeune ? De défendre des analyses proches de celles d’Éric Zemmour, qualifiées par conséquent – avec cet art traditionnel de la gauche de catégoriser les gens – « d’extrême droite ».

Par nature, la presse ne peut prétendre à la neutralité. Tout journal défend donc une ligne éditoriale qui suit forcément certaines orientations, même si l’on encourage une certaine diversité de points de vue au sein de cette ligne. Il n’est donc pas très difficile d’avoir une idée – même si leur métier est avant tout le journalisme – de vers où balance le cœur de tel ou tel journal. La gauche, à ce titre, semble loin d’être lésée. Et un journal comme Libération a beau jeu de dénoncer un prétendu « mouvement de pure extrême droitisation des médias », dont ce dernier événement dont il est question serait « la preuve ».

À souligner que, comme de nombreux Français l’ont souvent constaté et le déplorent régulièrement – leur confiance en la presse étant de plus en plus sujette à caution – le travail des journalistes n’est pas toujours très scrupuleux. Or, s’il y a bien une journaliste dont je salue personnellement la qualité du travail (quels que soient ses thèmes de prédilection, qui déplaisent naturellement à beaucoup de gens de gauche), c’est Charlotte d’Ornellas qui, avec beaucoup de dignité, a choisi de quitter elle aussi la rédaction de Valeurs actuelles, faisant preuve d’un courage dont peu pourraient se targuer.

Il se trouve que, contrairement à Geoffroy Lejeune que je connais moins, j’ai assez régulièrement eu l’occasion de suivre ses éditoriaux vers 19 h 30 sur cette chaîne elle aussi exécrée qu’est CNews, et je suis à chaque fois impressionné par son vrai travail de journaliste, très précis et factuel, qui fonde ses points de vue. Cela me fait d’autant plus de peine de la voir étiquetée aussitôt, sans autre forme de procès, de « figure médiatique d’extrême droite ». Une manière bien spécifique à la gauche (si tolérante) d’étiqueter ses opposants pour mieux les rendre par avance inaudibles…

 

Une violence plus ou moins légitimée

Là où le bât blesse, c’est que cette gauche si vertueuse – ou qui se croit telle – a un rapport très trouble à la violence et à la liberté d’expression ; sans doute un héritage de la Révolution française, à moins que ce ne soit dans ses gènes.

Que ne s’offusquera-t-on lorsque des personnes présumées « d’extrême droite » s’expriment ou sont représentées dans les médias. Quelles réactions outrées aura-t-on à l’annonce de la dissolution du groupe « Soulèvements de la Terre », pourtant auteur régulier de violences incontestables, quand les mêmes ont applaudi à la dissolution du groupe « Génération Identitaire » (auquel je me suis peu intéressé, mais dont je ne saurais citer des violences manifestes). Avec quelle absence de remords une Sandrine Rousseau prompte aux « débordements » réguliers se livre aux condamnations sommaires les plus décomplexées. Avec quel incroyable manque de pudeur les « plus grandes consciences » de la gauche vont convertir un acte héroïque peu ordinaire en satire, là encore en y attachant de manière obsessionnelle le nom de Bolloré…

En revanche, on n’hésitera pas à se livrer à une véritable chasse à l’homme lorsqu’il s’agit de délivrer les universités du risque droitier (bien limité, à vrai dire). Ou à défendre la dictature des minorités. Pas plus qu’on ne sourcillera outre mesure à l’annonce de l’assaut extrêmement violent de militants prétendument « antifascistes » contre un hôtel et des personnes, à l’occasion d’une séance de dédicace d’un livre du pestiféré Éric Zemmmour, en quelque sorte illégitime car catégorisé lui aussi comme « d’extrême droite », et donc à bannir, comme tout ce qu’il représente, aux yeux de ses ennemis. Que ne dirait-on si des propos aussi violents que ceux tenus à l’égard du même Éric Zemmour par un militant cégétiste (donc situé du bon côté politique) avaient été tenus par une personne engagée à droite ? Comment comprendre qu’une « responsable » comme Sophie Binet en vienne à transformer les faits en changeant, selon toute vraisemblance, « Auschwitz » par « Vichy » et en intervertissant ainsi le sens de l’attaque, pour défendre un militant pourtant coupable d’un acte antisémitite bien évident ?… Et nous pourrions bien sûr multiplier les exemples.

 

Un « grave danger pour la démocratie » ?

En conclusion, et bien que je ne me présente pas comme un partisan ni d’Éric Zemmour, ni de Marion Maréchal, pas plus qu’un admirateur particulier de Geoffroy Lejeune que je connais insuffisamment pour me prononcer (je m’adresse, ce faisant, à ceux qui souhaiteraient moi aussi me catégoriser), je déplore cette chasse aux sorcières permanente qui pollue les débats et est un obstacle au jeu démocratique tel qu’il devrait se dérouler.

La liberté d’expression est précieuse et c’est elle qu’il s’agit de défendre. Lorsque je lis des réactions au tweet de Sophie Binet dans lesquels on inverse la situation en qualifiant de « grave danger pour la démocratie » la plainte plus que légitime d’Éric Zemmour contre ce militant cégétiste qui a tenu des propos clairement inacceptables, il y a de quoi s’interroger.

Et, je le répète – pour en revenir au point de départ de cette chronique – si les journalistes du JDD sont tout à fait en droit de réagir et de manifester leur mécontentement à l’égard de la nomination de Geoffroy Lejeune à la tête de leur journal, il ne s’agira pas là non plus d’une atteinte à la démocratie si elle est confirmée. Ils devront composer avec, garder leur style et leur déontologie, ainsi que leur savoir-faire, tout en s’adaptant au mieux à la ligne éditoriale, et sans jamais se pervertir. Et contrairement à ce qui est affirmé par le journaliste de Libération cité plus haut, on ne pourra pas pour autant parler de « droitisation des médias », tout au plus d’un léger rééquilibrage (à supposer que la ligne change réellement), même si cela déplaît à cette gauche (pas toute, bien évidemment) si démocrate et tolérante… tant que seules ses idées sont représentées.

Ayn Rand : un cauchemar pour collectivistes et déconstructivistes

Une « maîtresse à penser des ultra-riches » dont les livres trônent sur « la table de chevet de la droite américaine » ou encore « la sainte patronne » du « gratin politico-économico-techno-médiatique » : telle serait Ayn Rand selon un article venimeux récemment paru dans Télérama (28 mai) et signé d’une certaine Caroline Veunac. Rand : un véritable cauchemar, donc, pour cet organe du progressisme sociétal et culturel, qui ne supporte visiblement pas que ses certitudes militantes soient contredites par une pensée aussi incorrecte. D’où son recours à une enfilade de clichés sommaires, tous aussi biaisés les uns que les autres, dont l’insigne malhonnêteté intellectuelle éclate dès qu’on les confronte à la cruelle et décapante lumière des faits.

 

Une icône de la droite réactionnaire américaine ?

Rien n’est plus faux que présenter Ayn Rand en inspiratrice de la droite américaine, version trumpiste ou conservatrice.

C’est en effet occulter que, foncièrement individualiste et favorable à la souveraineté de l’individu rationnel et non-violent, elle professait de fortes convictions radicalement opposées à toute soumission au tribalisme et au traditionalisme. Et que cette athée, « laïque à la française », combattait la moindre intrusion de la religion dans le politique. Raison pour laquelle elle s’est explicitement et précocement prononcé en faveur du droit des femmes à l’avortement – ce qui la place en opposition absolue avec toute la mouvance conservatrice.

Mais de manière plus générale, tout la sépare doctrinalement du conservatisme, pour lequel elle a eu les mots les plus durs et dont elle a souvent fustigé le côté collectiviste (la préférence pour les « racines », les appartenances et identités collectives, les déterminismes…) et l’étatisme (le recours aux moyens de l’État pour imposer leurs valeurs aux autres). C’est dire à quel point faire de Trump un adepte de Rand relève de la fake new la plus flagrante : irrationnel et pratiquant le déni de réalité (les soi-disant « faits alternatifs ») à grande échelle, nationaliste (ce qu’exécrait Rand !) et protectionniste, inculte et démagogue, ce futur et calamiteux candidat aux présidentielles américaines incarne ce que Rand détestait le plus, se situant aux antipodes de ses idéaux éthiques, politiques et même cognitifs.

En contraste, et de par ses qualités entrepreneuriales et créatives, Elon Musk est bien davantage éligible en héros randien…

 

Sainte patronne des ultrariches ?

Seul les « ultrariches » disant avoir été influencés par Ayn Rand sont légitimes à le faire si leur richesse résultent de l’emploi judicieux de leurs créativité et compétences personnelles.

Car dans ce cas, leur succès vérifie la pertinence d’un principe cardinal de la philosophie objectiviste randienne : la « loi de causalité ». Et cela plus précisément en application du « gagné-mérité » (« earned-deserved ») : c’est la conséquence logique des efforts productifs déployés par un entrepreneur,  la juste récompense de l’engagement de sa pleine responsabilité. Mais il est en revanche faux de prétendre que dans son œuvre, Rand n’aurait mis en scène et célébré que des « riches » pouvant servir de modèles à ses millions de lecteurs. En fait, les principaux protagonistes de ses deux grands romans-cultes ne sont nullement des banquiers ou des magnats, mais des créateurs d’idées nouvelles en prise directe avec la réalité – et le libre marché.

Ainsi, Howard Roark (La source vive) est un architecte génial et solitaire, qui entend vivre du produit de son art disruptif, tandis que John Galt (La Grève) est un ingénieur, inventeur d’un moteur utilisant une source d’énergie inédite et inépuisable et que Hank Rearden (toujours dans La Grève) a mis au point un nouveau type de métal infiniment plus performant que tout ce qui existait auparavant. Aucun d’eux n’est « riche », et il préfèrent vivre pauvres que renoncer à leurs droits de propriété intellectuelle. À quoi l’on ajoutera que dans ces deux opus, les personnages les plus valorisés sont souvent issus de milieux modestes, mais animés d’une haute conscience professionnelle et connaissant bien leur affaire : c’est en particulier le cas de plusieurs cheminots dans La Grève, où tout se trame aussi autour d’une compagnie privée de chemin de fer.

Dominique Lecourt, l’un des rares philosophes français à s’être intéressé sans acrimonie à Ayn Rand, témoigne de cette proximité avec les citoyens de base par cette anecdote : pour meubler l’attente de son avion à Kennedy Airport, il achète au hasard La source vive et commence à le lire dans une cafétéria ; et quand la barmaid vient le servir et découvre le livre qu’il tient, elle lui dit : « Vous avez fait un excellent choix ! » Une « ultrariche », vraiment, cette simple serveuse ?

 

Un robuste antidote contre le collectivisme, le relativisme et le culpabilisme

Il y a cependant quelque chose d’exact dans l’article de Télérama :

« Brandissant l’acte créateur contre le conformisme de masse et l’interventionnisme étatique, Ayn Rand affranchit en quelque sorte l’individu de l’autocensure social-démocrate ».

Car de manière plus générale, la philosophie objectiviste élaborée par Rand permet à qui le veut de se soustraire à l’emprise délétère de la « political correctness » contemporaine. En effet, poser que la réalité existe objectivement hors de l’esprit humain, que celui-ci peut la connaître et s’en servir productivement pour s’accomplir grâce à la vertu de rationalité (la non-contradiction, le travail de conceptualisation) et au code moral qui en infère (non-agression, logique de la responsabilité individuelle, coopération volontaire), c’est proposer autant de solides points d’ancrage pour combattre les maux de l’époque liés au relativisme cognitif et moral : déni généralisé de réalité (tout ne serait qu’arbitraires « constructions sociales »), culpabilisation imméritée des individus qui entendent librement jouir du résultat de leurs efforts productifs et du droit de propriété qui en découle, règne de l’irrationnel et du laxisme déresponsabilisant.

Mais les éructations de Télérama ne sauraient dissimuler que dans la grande presse nationale, d’autres titres viennent de se montrer bien mieux accueillants à Ayn Rand dans leurs recensions de la réédition de son premier roman, Nous les vivants (Les  Belles Lettres), comme entre autres Le Figaro (4 mai) puis L’Express (8 juin) – ni que chaque année, l’émission phare de France-Culture sur la philosophie invite l’auteur de ces lignes pour parler sereinement de Rand. Tout espoir de mieux faire connaître et reconnaître Ayn Rand n’est donc pas perdu, n’en déplaise à Télérama.

Rendez-vous sur ce plan à la prochaine rentrée avec cette fois-ci la réédition de Hymne (1937, aux Belles Lettres).

 

Valeurs actuelles au cœur de la guerre des droites

L’épouse du président Paul Doumer, Blanche Richel, était une fille de la classe moyenne avant d’épouser un fils d’employé des chemins de fer assassiné un soir de mai 1932 par un immigré russe.

Celle qui vit 4 de ses 5 fils mourir au front de 1914 décédera moins d’un an après l’ancien président dans sa chambre d’hôpital de la clinique située au 23 de la rue Georges Bizet, dans le XVIe arrondissement de Paris, à seulement un kilomètre du Trocadéro.

Ce n’est pas le numéro 23, mais le suivant, le numéro 24, qui est depuis plusieurs mois le théâtre d’une guerre, journalistique cette fois. Le 2 juin dernier, le directeur de la rédaction de Valeurs actuelles, Geoffroy Lejeune, a été mis à pied et informé d’un entretien préalable à licenciement qui s’est déroulé dix jours plus tard, le 12 juin.

Pour le journal, c’est le début d’une bataille médiatique et sans doute judiciaire sur fond de guerre des droites.

 

Un jeune prodige du journalisme de droite

Né en 1988 à Avignon, Geoffroy Lejeune est aujourd’hui un habitué des plateaux télévisés. Après des études à l’École supérieure de journalisme de Paris dont il sortit en 2011, il fait ses premières armes au journal Le Point lors de l’élection présidentielle suivante avant de devenir, dès juin 2013, rédacteur en chef adjoint de Valeurs actuelles, qu’il représentera rapidement sur de nombreux plateaux, et dont il sera le plus jeune directeur de rédaction d’un journal français à cette époque.

Proche de Marion Maréchal Le Pen et auteur, en 2015, d’un livre prophétisant une candidature d’Éric Zemmour à l’élection présidentielle, Geoffroy Lejeune assumait donc, dès l’origine, une posture droitière.

Une posture qui ne semble pourtant pas du goût de tout le monde.

 

Un échange tendu

En effet, selon des témoins, les faits qui lui sont reprochés se seraient déroulés le 31 mai dernier.

Ce mercredi, veille de parution de l’hebdomadaire dans les kiosques, se tenait une conférence de rédaction en présence du nouveau président de la maison-mère du magazine, le groupe Valmonde, un certain Jean-Louis Valentin, arrivé à son poste le lundi précédent.

Rapidement, les choses se seraient envenimées.

« C’est ma rédaction, tu n’as rien à faire là. Tu sors !

– Tu n’es pas sur un plateau de Cnews. »

Ces propos, rapportés par des témoins, ont conduit à la mise à pied et à la convocation du directeur de la rédaction une dizaine de jours plus tard. Elle a surpris, même dans les rangs du journal.

 

Un proche d’Éric Ciotti à la tête du journal

Pour comprendre cette situation, il faut revenir sur le profil des antagonistes en présence.

Jean-Louis Valentin est ancien énarque et directeur de cabinet de Jean-Louis Debré alors que ce dernier était à la tête de l’Assemblée nationale entre 2002 et 2007. Conseiller municipal LR de Valognes, dans la Manche, il sera président de la Communauté d’agglomération du Cotentin de 2017 à 2020, après la fusion des neuf communautés de communes du nord du département. Un fief qu’il est important de garder à l’esprit. Nous y reviendrons plus tard.

Valentin est également proche de Charles Villeneuve, directeur du service des sports de TF1 de 2004 à 2008, et président du PSG entre 2008 et 2009, époque durant laquelle Jean-Louis Valentin se rapproche du milieu footballistique, puisqu’il sera nommé en septembre 2008 directeur délégué auprès de l’équipe de France de football.

Valentin et Villeneuve ont conservé des liens jusqu’à aujourd’hui, puisque le second est aujourd’hui membre du conseil de surveillance de Pidevmedias France, la holding de Valmonde, propriétaire de Valeurs actuelles, en compagnie de Francis Morel, magnat de la presse ayant précédemment travaillé pour Le Figaro, le JDD et Le Parisien.

Propriétaire du journal, le groupe Valmonde est donc quant à lui la propriété de Pridevmédias France, elle-même composante de Prinvest Médias, une filiale du groupe Privinvest holding.

Cette dernière entreprise est un géant international de l’armement et de la construction navale détenue ni plus ni moins par la deuxième fortune du Liban, un certain Iskandar Safa.

Ce dernier a en effet racheté le journal Valeurs actuelles au groupe Pierre Fabre en 2015. Réputé proche d’Éric Ciotti, le chef d’entreprise franco-libanais est notamment propriétaire des Constructions mécaniques de Normandie (CMN), dont les chantiers se trouvent à Cherbourg-en-Cotentin, plus grande ville et chef-lieu de la communauté d’agglomération du Cotentin évoquée plus tôt et… dirigée donc jusqu’en 2020 par Jean-Louis Valentin, choisi il y a quelques jours comme président de Valmonde.

Si l’homme est quasi explicitement chargé de « dé-zemmouriser » l’hebdomadaire, il n’est pas le premier à s’y frotter. Il est le troisième en moins d’une année, puisque fin octobre, Iskandar Safa a déjà tenté de nommer Jean-Michel Salvator pour remplacer Geoffroy Lejeune. Renonçant face aux soutiens dont bénéficie le directeur de la rédaction en interne, l’ancien directeur de la rédaction de BFMTV a été remplacé un mois plus tard par Charles-Antoine Rougier, président des CMN.

Encore une fois, la tentative fut un échec, puisque ce dernier se rapprochera rapidement de la rédaction. Jugé trop complaisant, il est donc remplacé par Jean-Louis Valentin fin mai.

 

Un délit d’opinion

Il est reproché à Geoffroy Lejeune la droitisation du journal, laquelle a sans doute pourtant rapporté davantage qu’elle n’a coûté à Valeurs actuelles.

En novembre, l’hebdomadaire était condamné en appel à 1000 euros d’amende avec sursis pour injure publique à caractère raciste après la parution d’une fiction imaginant le voyage de la députée LFI Danielle Obono au temps du commerce triangulaire d’esclaves.

Cette condamnation pour un délit d’opinion fait suite à plusieurs autres, déjà advenues du temps d’Yves de Kerdrel, directeur de la publication jusqu’en 2018, allant d’une représentation voilée de Marianne à un dossier consacré aux Roms intitulé « Roms, l’overdose », le 22 août 2013.

Plus récemment, Valeurs Actuelles s’est illustré par des entrevues de manifestants nationalistes et royalistes.

Ce positionnement s’accompagne toutefois d’une augmentation des ventes et d’un rajeunissement du lectorat du magazine.

Entre 2012 et 2017, sans discontinuer, Valeurs Actuelles a reçu plusieurs étoiles à l’Alliance pour les chiffres de la presse et des médias (ACPM), récompensant les titres de presse les mieux vendus.

 

La guerre des droites aura bien lieu

À la manière d’une guerre froide, la bataille qui se joue chez Valeurs Actuelles semble être une projection d’une guerre entre LR et Reconquête. Le second, qui a préempté la plupart des grands médias de droite (Cnews et Europe 1 en tête) se voit disputer ces prises de guerre, étant entendu que l’information fait l’opinion.

Bien heureux sera celui qui pourra dire quel camp l’emportera dans ce qui s’apparente déjà à une guerre des droites entre proches d’Éric Ciotti et proches d’Éric Zemmour.

Il y a fort à parier que, compte tenu du soutien de la rédaction de Valeurs Actuelles à son directeur, la guerre s’annonce rude.

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