Lateo.net - Flux RSS en pagaille (pour en ajouter : @ moi)

🔒
❌ À propos de FreshRSS
Il y a de nouveaux articles disponibles, cliquez pour rafraîchir la page.
À partir d’avant-hierContrepoints

Gabriel Attal : déjà dans l’impasse ?

Notre nouveau et brillant Premier ministre se trouve propulsé à la tête d’un gouvernement chargé de gérer un pays qui s’est habitué à vivre au-dessus de ses moyens. Depuis une quarantaine d’années notre économie est à la peine et elle ne produit pas suffisamment de richesses pour satisfaire les besoins de la population : le pays, en conséquence, vit à crédit. Aussi, notre dette extérieure ne cesse-t-elle de croître et elle atteint maintenant un niveau qui inquiète les agences de notation. La tâche de notre Premier ministre est donc loin d’être simple, d’autant que, sitôt nommé,  il se trouve devoir faire face à une révolte paysanne, nos agriculteurs se plaignant d’être soumis à des réglementations bruxelloises absurdes qui entravent leurs activités et assombrissent leur horizon.

Nous allons voir que, par divers signes qui ne trompent pas, tant dans le domaine agricole que dans le domaine industriel, notre pays se trouve en déclin, et la situation devient critique. Le mal vient de ce que nous ne produisons pas suffisamment de richesses et, curieusement, les habitants paraissent l’ignorer. Notre nouveau Premier ministre, dans son discours de politique générale du 30 janvier dernier, n’a rien dit de l’urgence de remédier à ce mal qui affecte la France.

 

Dans le domaine agricole, tout d’abord :

La France, autrefois second exportateur alimentaire mondial, est passée maintenant au sixième rang. Le journal l’Opinion, du 8 février dernier, titre : « Les exportations agricoles boivent la tasse, la souveraineté trinque » ; et le journaliste nous dit : « Voilà 20 ans que les performances à l’export de l’alimentation française déclinent ». Et, pour ce qui est du marché intérieur, ce n’est pas mieux : on recourt de plus en plus à des importations, et parfois dans des proportions importantes, comme on le voit avec les exemples suivants :

On est surpris : la France, grand pays agricole, ne parvient-elle donc pas à pourvoir aux besoins de sa population en matière alimentaire ? Elle en est tout à fait capable, mais les grandes surfaces recourent de plus en plus à l’importation car les productions françaises sont trop chères ; pour les mêmes raisons, les industriels de l’agroalimentaire s’approvisionnent volontiers, eux aussi, à l’étranger, trouvant nos agriculteurs non compétitifs. Aussi, pour défendre nos paysans, le gouvernement a-t-il fini par faire voter une loi qui contraint les grandes surfaces et les industriels à prendre en compte les prix de revient des agriculteurs, leur évitant ainsi le bras de fer auquel ils sont soumis, chaque année, dans leurs négociations avec ces grands acheteurs qui tiennent les marchés. Il y a eu Egalim 1, puis Egalim 2, et récemment Egalim 3. Mais, malgré cela, les agriculteurs continuent à se plaindre : ils font valoir qu’un bon nombre d’entre eux ne parviennent même pas à se rémunérer au niveau du SMIC, et que beaucoup sont conduits, maintenant, au désespoir. 

 

Dans le domaine industriel, ensuite : 

La France est un gros importateur de produits manufacturés, en provenance notamment de l’Allemagne et de la Chine. Il s’est produit, en effet, depuis la fin des Trente Glorieuses, un effondrement de notre secteur industriel, et les pouvoirs publics n’ont pas réagi. La France est ainsi devenue le pays le plus désindustrialisé d’Europe, la Grèce exceptée. Notre production industrielle, calculée par habitant, selon les données de la Banque mondiale (qui incorpore la construction dans sa définition de l’industrie) est faible, comme le montre le tableau ci-dessous :

Nous nous situons en dessous de l’Italie, et nous sommes à 50 % de l’Allemagne. 

Autre signe préoccupant : la France, depuis des années, a une balance commerciale déficitaire, et ce déficit va en s’aggravant, d’année en année :

En 2023, notre déficit commercial a été extrêmement important : 99,6 milliards d’euros. Les commentateurs de la vie politique ont longtemps incriminé des éléments conjoncturels : augmentation du prix du baril de pétrole, baisse des commandes chez Airbus, le Covid-19, etc… Ils ont fini par réaliser que la véritable raison tient à la dégradation de notre secteur industriel.

 

Des pouvoirs publics sans cesse impuissants : 

Les pouvoirs publics, depuis une quarantaine d’années, se sont montrés impuissants à faire face à la dégradation de notre économie : ils ne sont pas parvenus à faire que notre économie puisse assurer le bien être de la population selon les normes qui sont celles des pays les plus avancés. Cela vient de ce qu’ils n’ont pas vu que la cause fondamentale des difficultés que nous rencontrions provenait de la dégradation de notre secteur industriel. Ce qui s’est produit, c’est que nos dirigeants se sont laissés piéger par le cliché qui s’était répandu dans nos sociétés, avec des sociologues fameux comme Alain Touraine, selon lequel une société moderne est une société « postindustrielle », une société « du savoir et de la connaissance » où les productions industrielles sont reportées sur les pays en voie de développement qui ont une main d’œuvre pas chère et corvéable à merci. Jean Fourastié avait formulé « la loi des trois secteurs de l’économie » dans son ouvrage « Le grand espoir du XXe siècle » (Population – 1949) qui connut un succès considérable. Une société, quand elle se développe, passe du secteur agricole (le secteur primaire) au secteur industriel (le secteur secondaire), puis ensuite du secteur industriel au secteur des services (le secteur tertiaire) : on en a conclu qu’une société moderne n’avait plus d’activités industrielles. C’est bien sûr une erreur : le secteur industriel reste toujours présent avec, certes, des effectifs réduits, mais qui sont extrêmement productifs, c’est-à-dire à haute valeur ajoutée par emploi. Nos dirigeants ont donc laissé notre secteur industriel se dégrader, sans broncher, voyant dans l’amenuisement de ce secteur le signe même de la modernisation du pays. Ainsi, on est-on arrivé à ce qu’il ne représente  plus, aujourd’hui, que 10% du PIB : en Allemagne, ou en Suisse, il s’agit de 23 % ou 24 %.

 

Des dépenses sociales phénoménales 

Le pays s’appauvrissant du fait de l’amenuisement de son secteur industriel, il a fallu que les pouvoirs publics accroissent régulièrement leurs dépenses sociales : des dépenses faites pour soutenir le niveau de vie des citoyens, et elles sont devenues considérables. Elles s’élèvent, maintenant, à 850 milliards d’euros, soit 31,5 % du PIB, ce qui est un chiffre record au plan mondial. Le tableau ci-dessous indique comment nous nous situons, en Europe :

Le graphique suivant montre comment nos dépenses sociales se situent par rapport aux autres pays européens :

La corrélation ci-dessus permet de chiffrer l’excès actuel des dépenses sociales françaises, comparativement aux autres pays de cet échantillon : 160 milliards d’euros, ce qui est un chiffre colossal, et ce sont des dépenses politiquement impossibles à réduire en démocratie car elles soutiennent le niveau de vie de la population. 

 

Un endettement du pays devenu structurel :

Autre conséquence de l’incapacité des pouvoirs publics à maitriser la situation : un endettement qui augmente chaque année et qui est devenu considérable. Faute de créer une richesse suffisante pour fournir à la population un niveau de vie correct, l’Etat recourt chaque année à l’endettement et notre dette extérieure n’a pas cessé d’augmenter, comme l’indique le tableau ci-dessous :

Notre dette dépasse à présent le montant du PIB, et les agences de notation commencent à s’en inquiéter car elles ont bien vu qu’elle est devenue structurelle. Le graphique ci-dessous montre combien est anormal le montant de notre dette, et il en est de même pour la Grèce qui est, elle aussi, un pays fortement désindustrialisé.

 

 

Quelle feuille de route pour Gabriel Attal ?

Notre jeune Premier ministre a une feuille de route toute tracée : il faut de toute urgence redresser notre économie et cela passe par la réindustrialisation du pays.

Nous avons, dans d’autres articles, chiffré à 350 milliards d’euros le montant des investissements à effectuer par nos entreprises pour porter notre secteur industriel à 17 % ou 18 % du PIB, le niveau à viser pour permettre à notre économie de retrouver ses grands équilibres. Ce montant est considérable, et il faudra, si l’on veut aller vite, des aides importantes de l’Etat, comme cela se fait actuellement aux Etats Unis avec les mesures prises par le Président Joe Biden. Nous avons avancé le chiffre de 150 milliards d’euros pour ce qui est des aides à accorder pour soutenir les investissements, chiffre à comparer aux 1.200 milliards de dollars du côté américain, selon du moins les chiffres avancés par certains experts. Il faut bien voir, en effet, que les industriels, aujourd’hui, hésitent à investir en Europe : ils ont avantage à aller aux Etats-Unis où existe l’IRA et où ils bénéficient d’une politique protectionniste efficace. 

Emmanuel Macron a entrepris, finalement, de réindustrialiser le pays. On notera qu’il a fallu que ce soit la crise du Covid-19 qui lui fasse prendre conscience de la grave désindustrialisation de notre pays, et il avait pourtant été, précédemment, ministre de l’économie !  Il a donc  lancé, le 12 octobre 2021, le Plan « France 2030 », avec un budget, pour soutenir les investissements, de 30 milliards d’euros auquel se rajoutent 24 milliards restants du Plan de relance. Ce plan vise à « aider les technologies innovantes et la transition écologique » : il a donc un champ d’application limité.

Or, nous avons un besoin urgent de nous réindustrialiser, quel que soit le type d’industrie, et cela paraît échapper aux autorités de Bruxelles qui exigent que l’on n’aide que des projets bien particuliers, définis selon leurs normes, c’est à dire avant tout écologiquement corrects. Il faudra donc se dégager de ces contraintes bruxelloises, et cela ne sera pas aisé. La Commission européenne sait bien, pourtant, que les conditions pour créer de nouvelles industries en Europe ne sont guère favorables aujourd’hui : un coût très élevé de l’énergie, et il y a la guerre en Ukraine ; et, dans le cas de la France, se rajoutent un coût de la main d’œuvre particulièrement élevé et des réglementations très tatillonnes. Il va donc falloir ouvrir très largement  le champ des activités que l’on va aider, d’autant que nous avons besoin d’attirer massivement les investissements étrangers, les entreprises françaises n’y suffisant pas.

Malheureusement, on va buter sur le fait que les ministres des Finances de la zone euro, lors de leur réunion du 18 décembre dernier, ont remis en vigueur les règles concernant les déficits budgétaires des pays membres et leurs dettes extérieures : on conserve les mêmes ratios qu’auparavant, mais on en assouplit l’application.

Notre pays va donc devoir se placer sur une trajectoire descendante afin de remettre ses finances en ordre, et, ceci, d’ici à 2027 : le déficit budgétaire doit être ramené en dessous de 3 % du PIB, et la dette sous la barre des 60 % du PIB. On voit que ce sera impossible pour la France, d’autant que le taux de croissance de notre économie sur lequel était bâti le budget de 2024 était trop optimiste : Bruno le Maire vient de nous le dire, et il a annoncé que les pouvoirs publics allaient procéder à 10 milliards d’économies, tout de suite.

L’atmosphère n’est donc pas favorable à de nouvelles dépenses de l’Etat : et pourtant il va falloir trouver 150 milliards pour soutenir le plan de réindustrialisation de la France ! Où notre Premier ministre va-t-il les trouver ? C’est la quadrature du cercle ! Il est donc dos au mur. Il avait dit aux députés qu’il allait œuvrer pour que la France « retrouve pleinement la maîtrise de son destin » : c’est une bonne intention, un excellent projet, mais, malheureusement, il n’a pas d’argent hélicoptère pour le faire.

Le vote de confiance : clé de voûte d’un système démocratique efficace et apaisé

Le fait pour un gouvernement de solliciter et d’obtenir la confiance de l’Assemblée contribue à la prévisibilité, la stabilité et la sincérité de l’action publique, et cela devrait être reconnu comme indispensable.

Le 30 janvier dernier, Gabriel Attal a prononcé son discours de politique générale, sans solliciter la confiance de l’Assemblée, avant qu’une motion de censure soit soumise, puis rejetée le 5 février. Le gouvernement Attal, comme le gouvernement Borne avant lui, a donc le droit d’exister, mais sans soutien de la chambre.

Pour beaucoup, c’est un non-sujet. Car le gouvernement, dit-on, tire surtout sa légitimité du président qui le nomme et « gouverne tant qu’il n’est pas renversé », comme le déclarait Pompidou en 1966, en inaugurant en tant que Premier ministre ce premier refus de se soumettre au vote de confiance de l’Assemblée, pourtant assez clairement prévu à l’article 49.1 de la Constitution (Le Premier ministre, après délibération du conseil des ministres, engage devant l’Assemblée nationale la responsabilité du Gouvernement sur son programme).

L’absence de soutien affirmé de l’Assemblée, suivie de l’échec de la censure ne sont cependant pas sans conséquences. Cela place ce gouvernement dans une inconfortable zone grise, quelque part entre une confiance inatteignable et une défiance improbable, ni complètement apte ni totalement inapte à appliquer sa politique, et jouissant d’une légitimité démocratique à la fois avérée et sujette à débat. Ce gouvernement d’entre-deux a tout de même un signe distinctif : il s’articule très mal avec l’Assemblée et mérite à ce titre le qualificatif d’incongruent.

Depuis 18 mois, l’exécutif s’emploie à masquer ou dédramatiser cette situation d’incongruence, par ses actions comme dans sa rhétorique. Les gouvernements n’ont jamais été aussi minoritaires (une quarantaine de sièges manque pour atteindre la majorité absolue, contre 14 sous Rocard) mais on n’a jamais autant parlé de majorité, tantôt présidentielle, tantôt relative.

« Les majorités texte par texte, ça marche » renchérit souvent Yaël Braun-Pivet lors de ses interviews, pour signifier que la procédure législative reste efficace, ce qui est indéniable. Et puis, comme chacun le sait maintenant, la Cinquième République dote l’exécutif d’un véritable arsenal (le 49.3 entre autres) pour légiférer contre ou sans le Parlement. Et si la loi est trop incertaine, qu’à cela ne tienne, on peut faire sans.

« On passe trop par la loi dans notre République » assénait Emmanuel Macron le 22 mars 2023. Le gouvernement conserve en effet la plénitude du pouvoir réglementaire, et a donc toute sa capacité d’administration de l’État.

 

Mais alors pourquoi est-il si important qu’un gouvernement se dote de la confiance de l’Assemblée ?

Parce qu’un État ne doit pas simplement être administré, mais également gouverné, et que la confiance de l’Assemblée apporte la garantie que le gouvernement a les moyens de sa politique.

Si la très grande majorité des Constitutions de nos voisins en Europe (y compris la Russie) obligent les nouveaux gouvernements à disposer de la confiance explicite de la chambre, c’est simplement pour que le peuple soit dirigé avec la stabilité, l’efficacité et la prévisibilité qu’il est légitimement en droit d’attendre. Il s’agit de s’assurer que les pouvoirs exécutif et législatif sont suffisamment bien articulés pour offrir un cap fiable et raisonnablement performatif aux citoyens, aux administrations, aux entreprises, à nos partenaires commerciaux, à l’Europe, ou même aux agences de notation. Un vote de confiance réussi vient légèrement atténuer le fort degré d’incertitude dans lequel tous les pays sont naturellement plongés.

En revanche, l’absence de confiance alourdit cette incertitude, elle limite la capacité de l’exécutif à tenir un cap clair et durable, et rend la politique du pays imprévisible et vulnérable aux caprices de quelques demi-opposants (on pense notamment aux députés LR).

La Loi immigration offre un exemple frappant : personne ne pouvait prévoir l’orientation finale du texte jusqu’au jour de son adoption. Depuis 2022, la production législative est si aléatoire que même le rôle des ministres a été progressivement modifié : on leur demande de cautionner collectivement des projets de lois dont les contours évoluent de manière inattendue au fil de la discussion parlementaire, exigeant d’eux une grande plasticité d’esprit…

Autoriser un gouvernement à se maintenir sans soutien majoritaire de l’Assemblée comporte un autre inconvénient, peut-être encore plus préoccupant : le débat parlementaire se transforme en marchandage (on pense par exemple à cette mystérieuse promesse d’Elisabeth Borne de réformer l’AME en échange du soutien de LR sur la Loi immigration) et tous les stratagèmes et outils du parlementarisme rationalisé sont utilisés à plein pour faire adopter le programme et les budgets.

Le cynisme devient l’unique méthode d’un exécutif acculé, qui en est réduit à outrepasser tout ce qui peut l’être, se jouer de la Constitution, contourner ou ignorer les corps intermédiaires, voire se montrer insincère, pourvu que les titubations parlementaires emmènent le pays dans la direction qu’il souhaite. Cette posture exalte ses soutiens autant qu’elle indigne ses opposants, et ainsi aggrave la défiance envers les institutions et les élus tout en attisant la polarisation de la société.

En demandant au Premier ministre de présenter une feuille de route gouvernementale tout en assumant d’être minoritaire, le président de la République préfère la discorde à l’apaisement, et la pureté de son projet à sa réalisation concrète, ce qui est typique des idéalistes radicaux, et non des pragmatiques.

Aucune coalition (vraiment) majoritaire, aucun changement de calendrier électoral, aucun rééquilibrage institutionnel n’étant prévus, cette nouvelle forme de régime est bien partie pour durer. Les prochains présidents élus en 2027 ou 2032 sont donc probablement condamnés d’avance à promettre l’hégémonie habituelle lors de la campagne, puis à gouverner immédiatement en situation d’incongruence, avec peut-être un soutien parlementaire encore bien moindre qu’aujourd’hui. La partition politique et la polarisation territoriale morcellent en effet cruellement l’Assemblée et semblent interdire tout fait majoritaire à moyen terme.

Nos constituants ont fabriqué un système qui démontre chaque jour depuis 2022 son insuffisance en l’absence d’une dynamique majoritaire, et l’ont combiné à un mode de scrutin qui perd sa capacité à produire cette dynamique. La tentation, irrésistible et assez naturelle, est de contrebalancer l’instabilité parlementaire en renforçant encore davantage le pouvoir exécutif. Il devient donc urgent de réagir et de repenser nos équilibres institutionnels et nos modes de scrutin pour que la France retrouve une action publique efficace, pacifiée, et place un point d’arrêt sur la pente autocratique. La clarification de l’article 49.1 de la Constitution, en vue de rendre la confiance explicitement obligatoire, devrait être au cœur d’une prochaine révision constitutionnelle.

Les champions (franco)africains du french bashing

« Je déteste tous les Français »

Le 3 février dernier, un immigré malien de 32 ans, Sagou Gouno Kassogue, a attaqué au couteau et blessé grièvement des passagers de la Gare de Lyon. Finalement maîtrisé par l’action conjuguée des passants, des agents de sécurité et des membres de la police ferroviaire, l’homme en garde à vue a été mis en examen pour tentative d’assassinat aggravée et violence avec armes aggravée.

Les premiers éléments de l’enquête dévoilés par le préfet de police de Paris révèlent les discours conspirationnistes d’un individu ayant visiblement prémédité son acte, comme le montre l’activité d’un compte Tik-Tok et d’un compte Facebook à son nom, ainsi que des dizaines de messages postés sur les réseaux sociaux. Il est pourtant encore présenté comme psychiatriquement fragile. Fragile mais capable de préméditer.

Sur son compte Tik-Tok et sur son compte Facebook la même boue habituelle, victimaire et antioccidentale charriée par la fachosphère ouest-africaine : « la France paye, par ce crime, pour le pillage des ressources durant la colonisation », « la France finance le terrorisme », « Emmanuel Macron a fait alliance avec le diable ».

En retour, des déclarations à « son excellence Vladimir Poutine ».

On en passe et des meilleures.

Ce discours on le connaît. Il inonde la Toile depuis des années, parfois émanant de personnes naturalisées ou binationales mais résidant en France : on se demande ce que fait la Justice française devant ce déferlement de haine anti-française…

Ce discours on le connaît aussi parce qu’il est porté depuis des années par des associations ayant pignon sur rue, on le connaît surtout parce que c’est celui des juntes militaires malienne, burkinabé et nigérienne. On le connaît enfin parce que c’est celui que Abdoulaye Diop et Abdoulaye Maïga, membres du gouvernement militaire malien, ont tenu tous deux, sans honte, à la tribune des Nations Unies.

L’attaque au couteau de la gare de Lyon ne sort pas de nulle part et encore moins des brumes cérébrales d’un immigré perturbé.

Cette attaque est l’aboutissement d’un long et lent processus viral né et métastasé sur le Net. Et qui s’est brusquement défictionnalisé en s’incarnant dans une tragédie.

La première sans doute d’une série.

Retour sur les enjeux de la guerre informationnelle menée contre la France, et donc depuis le 3 février, contre chaque Français.

 

Ils vous connaissent mieux que vous ne vous connaissez vous-même… 

Quatre milliards d’humains votent en 2024, soit la moitié de l’humanité : un fait sans précédent dans son histoire, qui laisse certains penser que la démocratie s’étend dans le monde. Pour autant, toutes les démocraties ne se valent pas, en effet beaucoup de régimes étant des « démocratures », des régimes à élection mais sans les garanties de libertés individuelles qu’offre le système de Westminster.

Encore faut-il rappeler que ces élections vont se dérouler dans un contexte numérique de désinformation massive, également sans précédent dans l’histoire de la démocratie libérale.

Non seulement la désinformation peut influer sur les déterminants du vote et favoriser telle ou telle famille d’idées politiques, mais elle peut aussi renverser des régimes : en Afrique de l’Ouest, notamment, où quatre régimes politiques sont tombés (Mali, Burkina Faso, Guinée-Conakry et Niger), largement sous les coups portés à l’idéal démocratique par des réseaux sociaux alimentant les fausses nouvelles à un rythme effréné.

Derrière ces campagnes de désinformation, des personnalités, des mécanismes, des éléments de langage qu’on arrive maintenant à bien connaître car le Sahel en a été dans le monde francophone un des laboratoires les plus prolifiques et aussi les plus prolixes.

Anti-Français, anti-démocratie, antilibéraux, adeptes de toutes les théories du complot les plus rétrogrades, quand ils ne les fabriquent pas eux-mêmes, ces influenceurs et activistes du Net sont entrés dans une « guerre sans fumée » contre la France. Ils sont capables de faire tomber des gouvernements, voire, comme au Sahel, de renverser des régimes politiques.

Qui a dit à la Radio Télévision Suisse : « […] Chaque soldat français qui tombe en Afrique, c’est un ennemi qui tombe […] » ? Nathalie Yamb, « La Dame de Sotchi ».

Qui a dit : « […] « La seule chose qui nous rapproche des nazis, et que je ne renie pas, c’est qu’ils aimaient l’Allemagne plus que l’Allemagne s’aimait elle-même » […] » ? Stellio Capo Chichi, alias Kemi Seba, « L’Étoile Noire », dans un entretien (Rapporté par Jean Chichizola et Gabrielle Gabizon dans Le Figaro, 30/05/2006) ; et il ajoute une charge contre « […] les macaques de l’amitié judéo-noire […] » (2004) précisant ensuite son propos « […] Nous combattons tous ces macaques qui trahissent leurs origines, de Stéphane Pocrain à Christiane Taubira en passant par Mouloud Aounit. […] Les nationalistes sont les seuls Blancs que j’aime. […] » (Propos rapportés par Mourad Guichard, Libération, 18 janvier 2008).

Vous ne les connaissez pas, mais ils vous connaissent très bien et ont fait de vous les boucs émissaires à l’origine de tous les problèmes du monde. Enquêtes au cœur de la galaxie de l’absurde assassin.

 

Choc des civilisations et menace existentielle

Ces gens, ces propos, ne restent pas inertes, cantonnés à la sphère virtuelle : la porosité entre le virtuel et le réel est forte, comme en témoigne par exemple l’alliance de circonstance entre la Ligue de Défense Noire Africaine, mouvement suprémaciste noir microscopique en termes d’adhérents, mais très largement présent sur les réseaux sociaux, et l’association « Vérité pour Adama », dans les manifestations organisées par cette dernière contre les « violences policières ».

Les propos tenus en ligne par les ténors du french bashing se diffusent via les réseaux sociaux bien au-delà des cercles géographiques ou culturels initiaux dans lesquels ils sont produits : par capillarité ils irriguent des sphères voisines, puis se diffusent par le jeu des commentaires et des reposts dans des sphères de plus en plus éloignées. Et finissent dans les cités par donner un vernis idéologique et anti- démocratique à des malaises sociaux ou sociétaux, mais aussi à la haine de la République, de la laïcité, de l’école.

Si les atteintes à la laïcité dans les écoles et les lycées, mais aussi les universités, se multiplient, c’est aussi parce que les réseaux sociaux démultiplient à l’infini les thèses les plus extrémistes, dont beaucoup sont destinées préférentiellement aux populations du Sahel, mais sont récupérées au passage par des membres de diasporas, qui restent à l’écoute de ce qui se passe dans leur pays d’origine, et en irriguent ensuite les conversations à la maison, transmettant en France via leurs enfants jeunes adultes ou adolescents le narratif d’intolérance et de haine qui sont le pain quotidien de ces réseaux sociaux.

Il n’y a plus du frontière entre le local et le global : ce qui est local est global, ce qui est global s’incarne dans du local. Comme il n’y a plus de frontière entre le virtuel et le réel. Nous sommes entrés dans un monde hyper-performatif : hier on disait « dire c’est faire ! » aujourd’hui nous sommes dans un âge où « Lire c’est faire ! » comme les assassinats de Samuel Paty et Dominique Bernard nous l’ont montré.

Les voies migratoires sont autant de canaux de diffusion physiques des propos anti-démocratiques, anti-occidentaux et anti-mondialistes tenus sur les réseaux sociaux et auxquels sont littéralement biberonnés les jeunes des grandes métropoles du Sahel, mais aussi ceux des « quartiers », c’est-à-dire les grandes banlieues des métropoles françaises.

Les propos tenus sur les réseaux sociaux destinés aux populations sahéliennes sont rarement produits au Sahel : ainsi Alain Foka, ancien journaliste de Radio France Internationale (RFI), qui après avoir soutenu la chute des régimes démocratiques au Burkina Faso, au Mali et au Niger, et avoir lui aussi fait le déplacement à Bamako, et après son récent départ de RFI s’est illustré au Togo, dictature familiale de la famille Gnasimbé, y a inauguré sa nouvelle entreprise de média, s’interroge ou feint de s’interroger : « Pourquoi la jeunesse africaine rejette l’Occident ? ».

Ou bien @La guêpe, sur X, installée aux États-Unis, ou Fenelon Massala (@rfemassala sur X) installé en Belgique…

La fabrique du french bashing et de la haine de l’Occident est largement produite en Occident. Le cas d’Alain Foka est loin d’être un cas isolé : Claudy Siarr, chroniqueur culture sur RFI et animateur de l’emblématique émission de RFI « Couleurs tropicales » s’est, lui aussi, sur les réseaux sociaux fait une spécialité de défendre le narratif russe dans la guerre en Ukraine, comme de soutenir le régime dictatorial en Centrafrique…

 

La coalescence des galaxies du french bashing : le suprémacisme noir…

Ils sont légion. Mais ils ne sont ni inconnus ni insaisissables. Derrière l’armée des petites mains qui officie sous pseudos sur les réseaux sociaux, et bien sûr derrière l’armée des bots issus des fermes à trolls souvent d’obédience russe (mais parfois chinois ou même iraniens), il y a des têtes d’affiche du french bashing. Et ceux-là, non seulement sont très connus, mais vivent et existent grâce à leurs outrances sur les réseaux sociaux.

Certains d’entre eux vivent et s’enrichissent de cette guerre informationnelle. Par le biais de partis politiques et d’organisations non gouvernementales (ONG) comme Urgences panafricanistes du franco-béninois Stellio Capo Chichi alias Kemi Seba (« L’Étoile Noire »), ou d’association comme L’Institut de l’Afrique des Libertés du franco-camerounais Franklin Nyamsi, ou par le biais de sociétés : Nathalie Yamb est spécialiste en la matière, ayant fondé en Suisse, dans le Canton de Zoug, une société de consulting, et dans le Delaware, paradis fiscal aux États-Unis, une société écran révélée (2021) par les Panama papers, Hutchinson Hastings Partners LLC.

Ils évoluent cependant dans des galaxies hier déconnectées, aujourd’hui en voie de coalescence.

Les tenants du kémitisme et du suprémacisme noir

La galaxie du suprémacisme noir est la première à avoir émergé sur la scène médiatique et numérique francophone. Cette galaxie est représentée en France par une myriade d’associations et quelques leaders qui se sont progressivement imposés sur une scène médiatique élargie, alors même que leurs militants se compte sur les doigts de la main. L’audience numérique d’un Sylvain Dodji Afoua, Franco-Togolais qui se fait appeler « Egountchi Behanin » du nom d’un ancien roi du Dahomey, est sans commune mesure avec le nombre d’adhérents de sa Ligue de Défense Noire Africaine (LDNA), moins de 250 adhérents lors de sa dissolution.

L’un des parrains de cette galaxie est le docteur Franklin Nyamsi, Franco-Camerounais, arrivé en France pour y poursuivre ses études supérieures, docteur en philosophie, professeur de l’Éducation nationale, temporairement mis à pied en 2023 pour ses propos tenus en classe, mais maintenu dans la fonction publique. Il vitupère sur les réseaux sociaux contre la France, accusée de tous les maux du continent africain. Sous le pseudonyme de Nyamsi Wa Kamerun Wa Afrika, ses vidéos de moins d’une minute sur Tik Tok, le réseau social chinois, sont vues des centaines de milliers de fois.

Sur sa chaîne YouTube (Plus de 300 000 abonnés) il se présente :

« […] La liberté, la dignité, Le bien- être intégral de l’humanité dans une planète harmonieuse sont mes rêves éveillés. Je veux promouvoir ici comme ailleurs, La justice. […] ».

Jamais en mal d’emphase sur lui-même, le professeur de l’Académie de Rouen n’en n’attise pas moins un feu continu sur le pays qui l’a formé et l’accueille.

C’est ainsi qu’en janvier 2024 sur sa chaîne YouTube où il rappelle son séjour au Niger et sa réception en grande pompe par les autorités militaires qui viennent de renverser le président élu Mohamed Bazoum, il présente son retour à Bamako, « Capitale de l’Alliance des États du Sahel ». Les louanges dans les commentaires sont à la mesure de l’enflure de l’ego de Franklin Nyamsi : ainsi @ognok4196 qui affirme : « […] Soyez béni, Prof Inbougique pour votre contribution louable […] » et ajoute « […] Comme toujours, vive la Russie et le GRAND POUTINE, le président du siècle […] ».

Si après, on conteste encore l’influence russe derrière la sphère suprémaciste noire…

La haine de la France n’est d’ailleurs jamais loin :

« […] nous ne pardonnons jamais à ces locodermes (sic) [Pour leucodermes id est les Blancs], qui ont osés souillés la terre de l’homme et son humanité ! Hotep professeur ! […] » déclare @deazolowry4473 tandis que @Africa_infoTV1994 affirme espérer « […] Les pays de L’A.E.S Transition jusqu’en 2100 […] ». C’est-à-dire pas d’élection jusqu’en 2100 !

Le triptyque haine des Blancs, haine de la démocratie et délire égyptologique est posé. Il fonde le discours du suprémacisme noir. Derrière ces figures d’intellectuels de l’afrocentrisme, émergent des figures plus rustres mais tout aussi populaires de militants. Comme Sylvain Dodji Afoua ou Stellio Capo Chichi.

Sylvain Dodji Afoua, né au Togo, arrivé en France à l’âge de 14 ans après le décès de son père au Togo. Il rassemble autour de son association LDNA plus de 50 000 followers sur Instagram, presque autant sur Facebook : condamné pour viol sur personne vulnérable en 2014, et incarcéré, puis pour intimidation en 2019 envers un élu public, Sylvain Dodji Afoua s’est ensuite régulièrement affiché dans les pays enclavés du Sahel victimes des coups d’État militaires, dont le Mali où il pose aux côtés d’un manifestant portant une pancarte « Mort à la France ».

Stellio Capo Chichi, connu sur les réseaux sociaux sous l’alias de Kemi Seba (« L’Étoile Noire »), est lui aussi un récidiviste des condamnations, en règle générale pour incitation à la haine raciale et antisémitisme.

Il déclarait notamment :

« [Les institutions internationales comme le FMI, la Banque mondiale ou l’Organisation mondiale de la santé sont] tenues par les sionistes qui imposent à l’Afrique et à sa diaspora des conditions de vie tellement excrémentielles que le camp de concentration d’Auschwitz peut paraître comme un paradis sur Terre. » (2009).

Les médias africains souvent situés dans l’opposition ne sont pas avares de louanges pour Stellio Capo Chichi, confinant parfois à l’admiration homo érotique.

Ainsi Joseph Akoutou (2018) dans BeninWebTV qui déclare :

« […] Ce Franco-Béninois a un physique imposant par sa taille élancée, son épaule rectangulaire, sa démarche de guerrier, son visage grave où l’on lit la fermeté, la colère, la révolte, la rage, une revendication. […] ».

L’éternel retour de la figure de l’homme providentiel.

Engagé dans la branche européenne de Nation of Islam du leader musulman américain Louis Farrakhan, il quitte plusieurs fois le mouvement et décide finalement de rompre avec les religions révélées et fonde divers groupuscules dont Tribu Ka, et maintenant l’ONG Urgences Panafricanistes. Expulsé du Sénégal puis de Côte d’Ivoire, il s’installe au Bénin, et apporte ensuite son soutien aux régimes militaires malien, puis burkinabè, et enfin nigérien. Il organise d’ailleurs un meeting à Niamey dans la foulée du coup d’État militaire perpétré contre le président élu Mohamed Bazoum.

L’ONG Urgences Panafricanistes est fondée en 2015 en partenariat avec Toussaint Alain, ancien conseiller de Laurent Gbagbo et alors en exil, et c’est sans doute là que, dans la sphère suprémaciste noire, les rapprochements commencent avec l’autre galaxie anti-France et anti-démocratie, celle des orphelins de la crise ivoirienne.

Les orphelins de la crise ivoirienne : un composite instable mais soudé par la haine de la France et une survie médiatique sur les réseaux sociaux

La galaxie des influenceurs Web issue de la crise ivoirienne est composite : pour partie elle est constituée des militants de Laurent Gbagbo, ancien président de Côte d’Ivoire, déféré puis acquitté par la Cour Pénale Internationale (CPI) ; pour partie par les partisans de Guillaume Soro, ennemi de Laurent Gbagbo, mais revenu à de meilleurs sentiments lorsqu’il échoua à son tour dans son coup de force contre le président élu Alassane Dramane Ouattara.

Une galaxie bien fragile en apparence, mais soudée par la haine de la France et très active sur les réseaux sociaux – exil oblige – et architecturée autour de la commune haine contre Alassane Dramane Ouattara (ADO pour ses supporters). Et donc qui verse dans la haine de la France, considérée comme la garante du pouvoir et de la longévité du président ADO.

Alors qu’elle tempête en permanence sur le climat de dictature qui règnerait en Côte d’Ivoire, nombre des artisans de cette galaxie anti-France, résident pourtant en Côte d’Ivoire ou y ont résidé : c’est le cas, on l’a dit, de Stellio Capo Chichi, finalement expulsé, de Nathalie Yamb, expulsée elle aussi, c’est le cas sur X de @amir_nourdine, dit Amir Nourdine Elbachir, qui regroupe plus de 120 000 followers sur X, ou de @DelphineSankara, dit Issa Sissoko Elvis, un homme, en dépit de son pseudonyme, qui vit comme animateur de radio communautaire dans le nord de la Côte d’Ivoire.

Nathalie Yamb illustre à elle seule les contours très flous d’une galaxie largement inféodée au narratif russe.

Elle est impliquée dans le scandale aux cryptomonnaies organisé par la société Global Investment Trading de Émile Parfait Simb, un autre Camerounais actuellement en fuite. Elle fait l’objet d’une plainte collective des clients de Simb Group dans l’affaire Liyeplimal, une plainte adressée au parquet fédéral du New Jersey, dans laquelle elle figure comme co-accusée aux côtés de personnalités politiques et médiatiques camerounaises. Il lui est reproché d’avoir vanté les mérites de Liyeplimal, gigantesque pyramide de Ponzi numérique, alors que les autorités de régulations financières d’Afrique centrale avaient déjà averti les usagers des irrégularités commises par les sociétés de Simb Group.

Émile Parfait Simb, actuellement mis en examen au Cameroun, et dont la société a son siège social à Dubaï, bénéficie d’un passeport diplomatique de la Centrafrique, premier pays francophone à tomber dans l’escarcelle de Wagner. Il a quitté l’Afrique, d’abord pour la Russie, puis pour une destination inconnue. Ange-Félix Taoudéra, dont les liens avec la société parapublique Wagner et avec la Russie sont forts, est étonnamment exempt de toute critique de la part de Nathalie Yamb.

Surnommée « La Dame de Sotchi » depuis son intervention en 2019 à la première édition du Forum Russie-Afrique où elle a fustigé la France, Nathalie Yamb a depuis apporté son soutien aux juntes militaires burkinabè, malienne et nigérienne, se rendant à Niamey, la capitale politique du Niger, au mois de décembre 2023 où elle est reçue en grande pompe par les nouvelles autorités militaires.

Nathalie Yamb est d’ailleurs souvent citée dans les plaintes qui la visent aux côtés de Jean-Jacques Moiffo, dit Jacky : autre ressortissant Camerounais installé en région parisienne, animateur et fondateur de la Web TV modestement appelée JMTV. Il est arrivé en France à 25 ans et est également impliqué dans la plainte déposé aux États-Unis contre Global Investment Trading SA dans le cadre du scandale Liyeplimal.

La haine de l’Occident sur les réseaux sociaux se fabrique donc d’abord en Occident, par des immigrés qui y sont accueillis et installés, et qui ne comptent visiblement pas s’installer ailleurs…

 

Les prébendiers, intellectuels et artistes en perte de vitesse : le « syndrome Maître Gims »

La recette est assez simple ; quand tu es un artiste ou un intellectuel et que tu perds de l’audience, dis une connerie et tu retrouveras ton audience et ta popularité.

On se souvient des propos lunaires de Maître Gims sur l’électricité et les anciens Égyptiens, sur les tableaux de chevaliers noirs cachés sous le Vatican dans des catacombes (?). La même chose existe bien évidemment au Sahel. Une galaxie de prébendiers de la politique s’est réveillée pour se mettre au service des régimes militaires, c’est-à-dire diffuser le narratif anti-démocratique et anti-français.

Les artistes qui se refont une seconde carrière sur le french bashing

Dernière galaxie à s’agréger à cette nébuleuse du french bashing, celle des artistes et intellectuels sahéliens, plus ou moins ringardisés, et dont la notoriété à été revigorée par leurs prises de positions publiques haineuses à l’égard de la France.

Il en est ainsi du dernier arrivé dans la galaxie des has been de la culture ouest-africaine : Doumbia Moussa Fakoly, dit Tikken Jah Fakoly, reggae man ivoirien, habitué des scènes françaises, n’en n’est pas moins un adversaire acharné, non seulement de la France, mais également de la démocratie. Dernière sortie en date, non pas un album mais une déclaration tonitruante en faveur des régimes militaires du Burkina Faso, du Mali et du Niger. Quand on sait le sort réservé aux militaires ivoiriens envoyés dans le cadre de la MINUSMA pour protéger la base aérienne de l’ONU au Mali et retenus en otages par les autorités maliennes pendant de longs mois, le ralliement du reggae man étonne… Mais la « jeunesse » ouest-africaine est sensible à ces déclarations à l’emporte-pièces anti-françaises et anti-démocratiques.

Il n’est pas le seul artiste à avoir rallié les régimes militaires : Salif Keïta, qui avait par ses déclarations largement discrédité la démocratie malienne, a intégré le Conseil National de la Transition (CNT) institué par les putschistes maliens avant de s’en retirer pour des raisons de santé trois ans plus tard. Il n’a pourtant jamais cessé, ni avant son entrée au CNT ni après, de vitupérer contre la France et les démocraties sahéliennes, usant de son aura internationale de musicien et de chanteur pour donner une forme de légitimité populaire à la junte militaire malienne.

Las, il a dû aussi annuler en catastrophe un concert prévu à… Abidjan, capitale de la Côte d’Ivoire devant la bronca des réseaux sociaux ivoiriens, ulcérés de voir un des principaux propagandistes de la junte militaire malienne oser paraître devant le public ivoirien, alors que cette même junte avait retenu de longs mois des militaires ivoiriens en otages.

L’entrée de Tikken Jah Fakoly le reggae man sur la scène pro-putschiste avait aussi pour ambition de rallier le public des jeunes Ivoiriens au narratif anti-Ouattara développé par les militaires maliens : les crimes en série commis par Wagner contre les populations civiles, majoritairement peules et touarègues, les coupures d’électricité incessantes dans tout le Mali et notoirement à Bamako, le coût de l’utilisation de Wagner (près de 200 millions de dollars par an au lieu des 120 annoncés initialement, et payés essentiellement en or malien) ont toutefois largement discrédité le régime militaire de Bamako.

Des intellectuels ont également apporté une aide inattendue mais inespérée aux putschistes, notamment au Mali où une large partie de l’intelligentsia s’est ralliée au régime militaire. Aminata Dramane Traoré s’est ainsi ralliée assez facilement au régime militaire. L’Occident francophone, dans les années 1990 et 2000,  avait porté cette femme aux nues pour ses romans et essais anti-occidentaux, culture woke avant le wokisme, et on avait célébré son antimondialisme. Bien qu’elle fasse paraître la totalité de ses ouvrages en France où se trouve l’essentiel de son public, Aminata Dramane Traoré s’est fait une spécialité de dénoncer les supposés méfaits de l’Occident et de la mondialisation en Afrique et notamment au Mali.

Si son ralliement à la junte militaire malienne a surpris, c’est parce que l’engouement initial autour de ses publications avait sans doute masqué une constante dans la trajectoire politique d’Aminata Dramane Traoré : elle a servi tous les régimes et toutes les institutions : étudiante en France, professeur en Côte d’Ivoire, puis fonctionnaire de l’ONU, puis ministre de la jeune démocratie malienne, elle sert aujourd’hui le régime militaire. Il est vrai qu’Aminata Dramane Traoré a toujours su se servir et servir sa famille avant de servir la communauté.

 

Une immense lâcheté

Au Sahel aussi les consciences se sont relâchées comme des ventres. La France a soutenu, et soutient encore, nombre de personnalités qui se sont retournées contre elle, et au-delà, contre les valeurs universelles que sont la démocratie, la protection des minorités, la tolérance, et on en passe. Via des subventions, des visas, des colloques et des conférences financées sur les fonds de l’aide au développement, d’aides à la création culturelle, la France a largement contribué à nourrir des officines et des personnalités qui lui sont désormais hostiles.

En Côte d’Ivoire la situation est la même. Les propagandistes ouvertement profrançais ont fait l’objet d’une répression judiciaire qui apparaît étrange : les propagandistes prorusses sont largement préservés, seules les petites mains sont l’objet d’une surveillance et de poursuites tandis que les ténors restent aussi virulents. La faute en revient d’abord à la crainte qu’ont les régimes de s’aliéner une jeunesse désœuvrée, et qu’on espère distraire en la laissant se nourrir de haine contre un ennemi lointain. Par peur de devoir affronter le courroux de la rue si la France et au-delà l’Occident cessaient d’être le bouc émissaire commode qu’ils sont devenus.

Au-delà de la situation spécifique du Sahel et de ses relations avec la France, c’est toute une politique policière et judiciaire vis-à-vis de la diffusion et de la propagation exponentielle des fausses informations qui doit être revue.

Encore aujourd’hui, la menace que représente pour la démocratie libérale la diffusion massive de fausses informations est considérée comme une menace mineure, alors même que la presse écrite ou les émissions de radio ou de télévision, pourtant devenues des supports marginaux dans l’acte de s’informer, sont l’objet d’une surveillance tatillonne.

La loi existe pourtant pour punir ces dérives informationnelles. Encore faut-il la faire appliquer. Et bien évidemment cesser de laisser la bride sur le cou des services de coopération et d’action culturelle (et les institutions universitaires) afin de resserrer les cordons de la bourse. Lénine avait coutume de dire que le capitalisme vendrait la corde qui servirait à le pendre, au Sahel la France finance et donne les verges qui servent à la battre.

France 2024 : un système légal s’effondre, il en appelle un autre qui sera libéral ou fasciste

Commençons par un constat brutal mais nécessaire : l’édifice légal et constitutionnel de notre pays est contesté de part et d’autre pour des raisons différentes. Le Conseil constitutionnel en est le plus récent exemple mais, de plus en plus fréquemment, c’est la Cinquième République qui est mise en cause en tant que telle. Un système légal s’effondre, il en appelle un autre, qui sera ou vraiment libéral ou fasciste. L’entre-deux dans lequel nous nous trouvons depuis 1958, ce semi-libéralisme, mettons, est caduc : les signes en sont multiples. On peut choisir de les voir ou de considérer que la crise est passagère car due au macronisme, un exercice particulièrement vertical et solitaire du pouvoir. À moins que le macronisme ne soit la phase terminale de notre régime, ce qu’il est urgent d’acter avant qu’un régime illibéral ne profite de la situation de fragilité institutionnelle qui est la nôtre pour s’installer.

 

Le risque est réel : nos institutions n’ont pas la solidité de celles des États-Unis pour contrebalancer un pouvoir de type trumpiste. L’équilibre des pouvoirs n’est pas au rendez-vous de la Cinquième, ce que l’on sait déjà depuis fort longtemps. Ses critiques ont été nombreux, au premier rang desquels Raymond Aron qui n’a « jamais été gaulliste » selon le mot du Général lui-même. Le Parlement est faible, le président est trop puissant : sous un régime composé d’extrêmes, la Constitution actuelle offre trop peu de limitations envers le pouvoir exécutif.

Sous le second quinquennat Macron, le contre-pouvoir réel du pays se révèle être en réalité le Conseil constitutionnel, bien davantage que le Parlement. C’est inédit, mais il faut en prendre acte. La remise en question du Conseil des « Sages », inédite elle aussi, est un constat qui s’impose également.

Que faut-il en conclure ? Que le système légal actuel est en fin de vie, ce qui nous place dans une situation dangereuse en même temps qu’elle représente l’opportunité unique de pouvoir renouveler et revitaliser notre système politique. Les deux vont de pair : le risque de faire encore moins bien que la Cinquième, régime hybride — semi-libéral ou semi-autoritaire, on l’a dit— ou en revanche, beaucoup mieux. Ou bien nous basculons pour de bon dans un régime de type fasciste, ou bien nous devenons un régime pleinement libéral, c’est-à-dire parlementaire, dans lequel la fonction présidentielle retrouve sa juste place — voire disparaît (c’est un autre sujet, quoique corrélé). Vu le climat de tensions du pays dont la crise des agriculteurs n’est qu’une énième illustration, le risque est grand qu’une dérive autoritaire s’installe en France.

Comment y échapper ?

Il y a deux conditions impératives pour qu’un renouvellement institutionnel et politique se passe dans de bonnes conditions : c’est que la notion de légitimité et celle de légalité veuillent à nouveau dire quelque chose. Qu’on songe seulement aux procès en légitimité de l’élection d’Emmanuel Macron qui n’ont cessé de fleurir depuis le début de sa seconde mandature : on peut considérer que ces procès faits au président sont eux-mêmes illégitimes, il n’en demeure pas moins que le sentiment d’une « illégitimité présidentielle » s’est propagé et qu’il faut lui donner droit de cité — ce qui ne veut pas dire qu’on le cautionne ou qu’on l’approuve. La récurrence de ce procès doit nous interpeller : on ne peut en rester à sa seule condamnation, il demande à être pris au sérieux.

Qu’on songe par ailleurs à la manière dont les lois sont désormais appliquées à géométrie variable selon que des agriculteurs s’attaquent à des bâtiments publics ou que des manifestants contre la réforme des retraites, ou des Gilets jaunes, commettent des infractions : l’intervention du ministre de l’Intérieur au 20 heures de TF1 jeudi 25 janvier dernier a suscité un tollé de réactions bien compréhensibles face au propos par lui prononcés : « Est-ce qu’on doit les [les agriculteurs] laisser faire ? Oui, on doit les laisser faire » quand bien même ceux-ci portent gravement atteinte à l’ordre public. « Deux poids deux mesures » semblent s’appliquer, comme l’a alors justement rétorqué Gilles Bouleau au ministre. Il y a là un symptôme d’un dysfonctionnement sans précédent dans l’application de nos lois qui laisse entrevoir, béante, une rupture d’égalité entre les citoyens. Cette rupture est elle-même annonciatrice d’un mal plus grave : l’effondrement du système légal dans son ensemble. Dès lors que certaines catégories de citoyens sont privilégiées par rapport à d’autres, le pacte démocratique est mis à mal, et la concorde civile, menacée. La légitimité et la légalité fracturées, c’est l’appareil étatique lui-même qui se retrouve à vaciller dangereusement.

 

La Légalité et la Légitimité marchent ensemble, quoiqu’elles ne se situent pas sur le même plan : l’une relève du juridique, de l’appareil législatif, quand l’autre relève du moral et du politique.

Complémentaire l’une de l’autre, leur combinaison, selon des modalités qui varient en fonction du type de régime, produit les conditions de l’exercice d’un pouvoir plus ou moins stable, c’est-à-dire respecté. L’une et l’autre viennent-elles à être contestées, l’État de droit n’est plus garanti, mettant en péril l’ordre politique jusque-là en vigueur. Son effondrement constitue la première étape d’une Révolution. Ce qu’il importe de comprendre, c’est que légitimité et légalité vont de pair, et que la légalité découle seulement de la première. Les lois ont force de loi pour autant que leur légitimité, — ce mélange intime de raison, de sensibilité, de tact et de lucidité qui fait qu’on croit dans ce qu’on vote— de laquelle elles découlent, est respecté. La légitimité de lois légalement établies, c’est-à-dire votées et promulguées, n’est jamais acquise pour toujours quand bien même l’appareil légal est dûment établi : on peut cesser de penser que ces lois sont légitimes tout en sachant qu’elles sont légales, à l’instar de certaines positions sur la réforme des retraites. Une avalanche de formalisme et de procédures techniques est venue noyer le fait que l’assentiment populaire n’était pas là : la légalité a supplanté la légitimité — c’est littéralement inverser l’ordre des choses quoiqu’il y ait eu une élection, prise à tort pour un blanc-seing perpétuel.

C’est la transgression ultime du macronisme : malgré son élection légale et la légalité de son élection, Emmanuel Macron s’est assis sur le principe de légitimité, il en a fait fi. Or, il faut plus que des lois pour faire que les lois fassent loi, et c’est cette assise politico-morale qui fait aujourd’hui défaut à la France en 2024. Quand tout passe en force, rien ne passe légitimement, rien ne peut bien se passer. Il y a un effet d’usure qui mine souterrainement et de l’intérieur la force de nos institutions qui sont comme un arc trop tendu dont l’élastique a été usé jusqu’au point de rupture.

Le génie politique français est atone : il faut le réinventer. Comment cela ?

L’unique remède est de repenser la légitimité du pouvoir, donc aussi le pouvoir de la légitimité. Cela ne relève pas du juridique et du législatif, mais d’abord d’inclinations politiques aussi bien que d’une convergence morale entre les citoyens : c’est de l’alchimie entre les deux que viendra la solution, mélange de confiance et d’assentiment à l’endroit d’une nouvelle proposition politique solide qui prend le mal à la racine — très ancienne. D’aucuns pourraient préférer à cet égard l’antienne autoritaire à l’option libérale, d’autant que le macronisme a gravement entamé le crédit du libéralisme politique, en étant son faussaire bien plutôt que son accomplissement. C’est aux (vrais) libéraux français de faire en sorte que l’option libérale prévale entre toutes en expliquant que le macronisme a été une contrefaçon du libéralisme et non sa réalisation. C’est sans doute là la tâche la plus difficile.

Cette option est néanmoins de très loin la plus souhaitable du point de vue de la garantie des libertés publiques et individuelles tout comme de l’efficacité dans la prise de décisions. La légitimité de l’homme fort, de Napoléon à Emmanuel Macron, est en péril : c’est l’illusion d’une efficacité dans l’action. Débarrassons-nous de ce mythe encombrant, plutôt de que le renforcer encore, ce qui est, hélas, toujours possible. Soyons conscient que le statu quo de la situation actuelle ne tiendra pas dans la durée : semblablement à une falaise, on ne retient pas une légalité qui s’effondre, et c’est bien ce qui semble se produire et devant quoi il ne faut pas avoir peur. Ou bien on optera (hélas) pour un césarisme renforcé ou bien pour sa mise entre parenthèse, qu’on espèrera pérenne. La légitimité du pouvoir, c’est-à-dire le génie de la Cinquième République gaulliste, étant en train de s’écrouler : il faut se préparer à en faire advenir une nouvelle.

La diplomatie française est prisonnière de l’hyper présidentialisme d’Emmanuel Macron

À l’heure où Stéphane Séjourné vient de succéder à Catherine Colonna au Quai d’Orsay, il ne paraît pas superflu d’esquisser un panorama de la situation de la France et de ses Outre-mer à l’international. Disons-le tout de go, la météo diplomatique n’est pas au beau fixe sur plusieurs fronts : celui, d’abord, de nos relations avec plusieurs pays du continent africain auprès desquels la France a accusé ces derniers mois une perte d’influence considérable ; celui des relations franco-américaines avec en toile de fond le conflit russo-ukrainien et le spectre d’une attaque de Taïwan par la Chine. Ces deux tableaux autorisent à faire un bilan plus que mitigé de la diplomatie macronienne qui s’est vue reprocher, dans des situations pourtant distinctes : incohérence, manque de fiabilité, improvisation, paternalisme et arrogance.

Cette communauté de reproches est d’autant plus frappante à souligner qu’elle a des sources distinctes (chefs d’État, commentateurs de la vie politique et internationale, anciens ambassadeurs, anciens ministres…) et converge vers la personne même du président. En effet, c’est davantage à ce dernier qu’à sa dernière ministre des Affaires étrangères qu’il faut, semble-t-il, imputer ce triste constat qu’a cristallisé l’absence de nombreux chefs d’État ou de personnalités de premier plan lors du Sommet pour la Paix tenu à Paris en novembre dernier. Une partie de notre ancien personnel diplomatique, plusieurs chefs d’État étranger—à l’exception notable de Narendra Modi en Inde —, de nombreux fonctionnaires du ministère en désaccord avec la suppression du corps diplomatique, n’ont pas été, c’est peu dire, enthousiastes, devant les initiatives emphatiques et non-coordonnées prises unilatéralement par le chef de l’État, tel le projet de coalition internationale contre le terrorisme lancé lors d’une déclaration conjointe avec Benjamin Netanyahou au cours d’une visite en Israël le 24 octobre 2023.

 

Le problème majeur de la diplomatie française en ce début 2024, c’est le président lui-même

Le problème majeur de la diplomatie française en ce début 2024, c’est ainsi le président lui-même, en raison de l’interprétation maximaliste — bonapartiste, faudrait-il ajouter ? — qu’il fait de la fonction présidentielle dans le sillage de De Gaulle. On peut identifier, dans la pratique, et ce depuis maintenant six années consécutives— bien que sous l’ère Le Drian les envolées solitaires d’Emmanuel Macron aient été moins frappantes—, ce que je qualifierais volontiers d’abus de la fonction présidentielle.

C’est dans le droit fil de la doctrine gaulliste, qui fait des relations avec l’étranger le domaine réservé du président, quitte à déclencher maints accrocs et tiraillements avec nos alliés, que se situe Emmanuel Macron qui ajoute à ce parti pris une dose d’idéalisme allemand et de Descartes mal digéré qu’on pourrait résumer par une parodie du Cogito : « Je pense et je me pense, donc j’agis. »

Raymond Aron, en rupture de ban avec la tendance idéaliste de la philosophie française, fustige, tout au long de ses Mémoires, l’attitude solipsiste qu’est celle du Général, attitude qui ne va pas sans un « culte de la personnalité » tôt perçu et rejeté par Aron, dès son arrivée à Londres en 1940. De tels traits ne se retrouvent-ils pas chez le président actuel ? Certainement, mais ils sont encore hypertrophiés et intensifiés par une carence en autorité qui, elle, faisait moins défaut au Général, auréolé par ailleurs d’un prestige moral et politique non usurpé.

Dans le domaine des relations internationales, comme sur bien d’autres volets de la politique intérieure française, c’est l’hyper-verticalité des décisions prises par le locataire de l’Élysée qui apparaît ainsi comme un continuum délétère. Un gaullisme outré et un gaullisme survolté, tel apparaît le macronisme dans la manière, ô combien théâtrale, par ailleurs, de gérer les relations internationales. Ce faisant, il s’oppose aux tenants d’un libéralisme politique cohérent qui privilégierait davantage de collégialité et de concertation dans les initiatives, et tenterait véritablement de donner vie et voix au Parlement en matière de politique extérieure.

Macron se prétend pourtant libéral… Que faut-il donc comprendre ? Que c’est la transgression, comme méthode, qui définit son exercice du pouvoir, et que le macronisme, tout comme le gaullisme, ont très peu rimé avec « libéralisme » au sens politique du terme qu’on rappellera avec Aron :

La philosophie libérale ou démocratie est une philosophie du respect de l’homme. À ce titre elle n’est donc nullement liée à une conception individualiste de la société. Bien loin de nier les communautés réelles, elle apprend à chacun à se connaître dans un monde dont il n’est ni le centre ni le tout.

Rien d’un Benjamin Constant, donc, chez l’auteur de Révolution. ses convictions européennes auraient certes pu, et dû, faire signe vers celles de Germaine de Staël, mais là encore la pratique du président en matière de relations internationales est bien trop proche de celle de Bonaparte dans la manière martiale qu’il a de paraître imposer les volontés françaises à nos voisins, qui se méfient d’ailleurs toujours d’un penchant bien français vers l’autoritarisme. Entre De Staël et Bonaparte, il y a une contradiction manifeste, et originelle. Force est de constater que la formule d’un bonapartisme staëlien (ou constantien) ne marche pas. Il serait grand temps d’en tirer les conséquences en cessant de cultiver des oxymores.

 

L’inexistence du Parlement quant aux choix de politique étrangère place la France dans une situation d’anomalie vis-à-vis des autres démocraties occidentales

Pour revenir au rôle du Parlement, son inexistence quasi-complète quant aux choix de politique étrangère — il est à peine, voire pas du tout consulté, et son vote n’est pas requis — place assez nettement la France dans une situation d’anomalie vis-à-vis d’autres démocraties occidentales. Le fait qu’il ait fort peu voix au chapitre nous affaiblit sur le long terme : l’exécutif non pas fort, mais presque tout-puissant, donnant l’illusion d’une plus grande efficacité, ce qui est de plus en plus discutable.

Cet hyper-gaullisme pratiqué par Emmanuel Macron, tant sur la forme que sur le fond, apparaît d’autant plus, en raison de la guerre entreprise par la Russie contre l’Ukraine. Et c’est sur la manière dont la France se positionne à l’égard de Kiev que je voudrais m’arrêter un peu longuement en ce qu’elle cristallise certains tropismes français de mauvais aloi : un anti-américanisme atavique, les annonces de livraison d’armes et la réalité de ces mêmes livraisons qui renvoient au manque de fiabilité de la France sur le plan logistique, des ambiguïtés ici et là dans le soutien à l’Ukraine, et enfin un « neutralisme » larvé dans une façon d’essayer de tenir la neutralité de la France dans le conflit en voulant, tout d’abord, « ne pas humilier Moscou », puis en tergiversant sur le niveau de l’aide matérielle à apporter à Kiev. Une aide dont Jean-Dominique Merchet, entre autres, a souvent pointé dans ses très informés articles de L’Opinion l’opacité, en même temps que la grande faiblesse en comparaison des contributions de nos voisins européens.

C’est à nouveau à Aron, atlantiste tranquille, que je voudrais me référer, et à un passage, en particulier, de ses Mémoires, qui prend place dans la section intitulée « Le Partage de l’Europe » qui fait fort à propos écho à la situation actuelle, dans les hésitations d’une partie de la classe politique, intellectuelle et médiatique française à prendre fait et cause pour l’Ukraine. Le conflit débuté le 24 février 2021 contraint nécessairement à ne pas mettre sur un pied d’égalité Washington et Moscou, à moins de tomber dans ce qu’Aron appelait « l’Imposture de la neutralité » au sujet des divisions suscitées par l’adoption ou le rejet par la France du pacte Atlantique.

Aron rapporte les immenses réserves d’Hubert Beuve-Méry (dans un papier datant du 19 octobre 1945 dans l’hebdomadaire Temps Présent) envers ce pacte, la nécessité à ses yeux pour la France de se tenir à équidistance des deux blocs dans ces prémices de guerre froide. Aron rappelle une phrase du fondateur du journal Le Monde qui le laissa, et le laisse toujours perplexe, trente ans plus tard au moment de l’écriture de ses Mémoires. Aron commente en ces termes la position « neutraliste » de Beuve-Méry : « Enfin il pensait que l’adhésion de la France à l’un des camps accroîtrait les dangers de guerre » puis cite la phrase du grand éditorialiste qu’il tient pour « aberrante » :

Il se peut que l’Europe n’ait pas finalement le moyen d’empêcher la guerre, mais elle est à peu près sûre de la précipiter si elle se laisse glisser dans un camp ou dans un autre.

Aron résume un peu plus loin son sentiment quant à cette position alors très partagée par l’aile gaulliste :

En dernière analyse, tant qu’à choisir, le directeur du Monde choisissait l’Occident bien que son allergie aux États-Unis l’incitât à critiquer peut-être plus souvent les turpitudes du capitalisme américain que les cruautés du totalitarisme soviétique.

Cette réflexion d’Aron au sujet de la position d’Hubert Beuve-Méry me paraît tout à fait transposable aux réserves de certains éditorialistes ou politiques français à l’endroit d’une prise de position ferme et claire de la France pour l’Ukraine qui aggraverait selon eux la guerre.

Les réserves de certains et certaines à l’endroit d’une entrée de Kiev dans l’Union européenne et dans l’OTAN sont, toutes choses étant égales par ailleurs, similaires à celles exprimées par Étienne Gilson (grand médiéviste et universitaire catholique) et Beuve-Méry à l’endroit du pacte Atlantique qui donna lieu à une vive controverse avec Aron. Ce dernier leur répondit à plusieurs reprises dans Le Figaro puis dans des articles de la revue Liberté de l’Esprit.

Gilson, rapporte Aron « accusait [par exemple] les Américains de vouloir acheter avec des dollars le sang français », accusations qu’Aron trouvait non seulement extravagantes mais fumeuses en comparaison des horreurs du régime stalinien. De Gaulle trancha finalement, de justesse, pour la position de Aron en acceptant le pacte, ainsi que le relate Claude Mauriac dans son livre Un autre De Gaulle, journal 1944-1954, pouvant laisser conclure au « spectateur engagé » que ses articles avaient effectivement influencé in extremis le général. Un gaullisme tempéré d’aronisme, tel fut alors le choix sage de De Gaulle dont notre président ferait peut-être bien de se rappeler.

Les réserves actuelles du même ordre à l’endroit des États-Unis dont Emmanuel Todd a souhaité ce jeudi 11 janvier « la disparition » qui serait « la meilleure chose qui puisse arriver à l’Europe » paraissent relever du même niveau de fantasme — à ceci près que Gilson est une signature universitaire d’un tout autre calibre que celle de M. Todd.

 

Les Européens ne doivent pas attendre, pour préparer leurs opinions publiques, une intensification de la guerre de la Russie contre l’Ukraine

Un des enjeux pour la diplomatie française à l’heure des élections américaines en novembre prochain est donc qu’elle se prépare, avec nos alliés européens, à la possibilité d’un « lâchage » de l’Europe via l’Otan si Donald Trump (ou un concurrent républicain) remportait les suffrages. Mais même en cas d’une réélection de Joe Biden ou d’un Démocrate à la Maison Blanche, les Européens ne doivent pas attendre, pour préparer leurs opinions publiques, une intensification de la guerre de la Russie contre l’Ukraine et des contrecoups éventuels pour eux-mêmes.

Une réorientation partielle de l’appareil industriel français au service de la production de munitions ne serait pas du luxe. Mais comme l’écrivait Malraux à Aron en 1950 :

« Étrange pays qui croit assez à la guerre pour stocker des sardines, c’est la principale occupation des Parisiens ici) mais pas assez pour s’occuper de la défense. »

On est toujours là, semble-t-il, en l’absence de courage politique et définition d’une ligne politique claire.

La France, sur ces deux points, devrait être plus avancée, quoique ne soit pas sans écueils cette double recommandation, à l’heure où nos marges budgétaires sont étroites, et où l’état de nos armées n’est pas optimal. Raison de plus pour être courageux. Le projet de Défense européenne étant bloqué, il s’agit pour nous d’appuyer et de conforter les pays voisins, notamment d’Europe centrale et d’Europe de l’Est, par nos initiatives, plutôt que d’haranguer dans le vide ces pays lassés par la rhétorique macronienne trop peu souvent suivie des faits, sinon contradictoire.

 

Ce n’est pas de « locomotive » que la France doit faire figure mais d’ancre, de pays stable et constant dans sa volonté de faire gagner l’Ukraine

Mieux, la France n’ayant jamais fait figure de leader dans le dossier ukrainien, il est impératif qu’elle clarifie sa position en apparaissant comme une alliée fiable et solide aux yeux de Kiev en contribuant davantage à l’effort de guerre ukrainien : c’est par des actes concrets, et non par des mots que notre crédibilité, seulement, viendra. Ce n’est pas de « locomotive » que la France doit faire figure mais d’ancre, de pays stable et constant dans sa volonté, non plus seulement de ne pas laisser gagner la Russie mais de faire gagner l’Ukraine. Les errements, revirements, petites ambiguïtés et flottements du président ne peuvent plus être de mise à l’heure où la victoire peut basculer d’un côté comme de l’autre sur le front ukrainien.

Les États-Unis auraient également besoin d’une France solide et ferme sur ses appuis à un moment où l’électorat américain peut se montrer plus hésitant qu’avant en faveur du financement des Ukrainiens. L’Oncle Sam ne peut avoir l’impression qu’il paie seul la facture de cette guerre se substituant par là même aux responsabilités qui incombent pourtant prioritairement aux Européens. De ce point de vue, la France a un rôle dans lequel elle ne s’investit pas encore de manière suffisante.

Si nous avons perdu du crédit dans les mois passés auprès des États-Unis, notamment suite à notre position confuse sur Taïwan (lors d’une visite d’État d’Emmanuel Macron en Chine) et qui a laissé perplexe nos alliés en général, il n’est pas trop tard pour montrer au monde que nous ne sommes pas que de beaux parleurs en quête d’hypothétique prix sur la scène internationale, mais que nous savons faire preuve de clairvoyance et de solidarité en nous rangeant aux cotés de l’Ukraine et des États-Unis via l’apport d’un soutien logistique plus conséquent.

 

Constance, modestie, sérieux, fiabilité

Notre ligne de conduite en politique étrangère serait ainsi un bon cap à adopter pour notre politique intérieure : constance, modestie, sérieux, fiabilité — et surtout moins de communication. Bref, qu’Emmanuel Macron s’inspire de De Gaulle quand il écoute Raymond Aron, c’est-à-dire qu’il devienne libéral sur le plan politique, et abandonne le « en même temps » appliqué aux relations internationales qui s’apparente à une neutralité mal à propos. Redisons-le avec Aron, la neutralité est une imposture — et sans doute aussi une lâcheté.

Si l’on veut que gagne l’Ukraine, et non pas simplement ne pas la laisser perdre, prendre résolument position est une obligation. Cela vaut également pour les États-Unis d’Amérique qui pourraient être encouragés à faire davantage si leur alliée de toujours, la France, première armée européenne, s’engageait bien plus substantiellement dans l’effort de guerre ukrainien. À craindre Poutine, nous lui donnons raison, et nos tergiversations dans le passage à l’action pourraient finir par coûter cher au continent européen. Il est encore temps de nous ressaisir, en surmontant nos peurs.

Le déni de démocratie des macronistes et de la gauche

Un article de l’IREF.

Après avoir déclaré qu’il fallait absolument un accord sur le projet de Loi immigration, et avoir tout fait pour y parvenir dans sa négociation avec les élus Les Républicains, le gouvernement se renie.

 

La mauvaise foi macroniste

Le mercredi 20 décembre au matin, Emmanuel Macron déclarait en Conseil des ministres : il y a dans ce texte « des choses que je n’aime pas, mais qui ne sont pas contre nos valeurs ». Le soir même à la télévision, il justifie le compromis et l’« assume totalement » parce qu’il est « utile aux Français », « conforme à nos valeurs » et efficace. Mais ce même mercredi, le président de la République saisit le Conseil constitutionnel pour qu’il puisse « statuer sur la conformité de tout ou partie de cette loi ».

Mme Borne, qui a bataillé dur pour faire passer cette loi dit désormais qu’elle est fragile. Pour répondre à la demande des sénateurs Les Républicains afin qu’ils votent la loi, elle a promis de réviser sans délai l’aide médicale d’État –AME – dans une lettre adressée à M. Larcher le 18 décembre. Mais dès le 20 décembre elle déclare sur France Inter : « Il n’est pas question de supprimer l’aide médicale d’État ».

Pour sa part, M. Gérald Darmanin a exécuté un numéro de guignol le mardi 19 décembre à l’Assemblée en s’énervant avec la pire des outrances contre le Rassemblement national qui voulait voter « son » projet de loi. Comme si celui-ci lui appartenait ! Il se vante maintenant, avec Mme Borne, et ensemble avec la plus parfaite mauvaise foi, que ce projet de loi a été adopté sans les voix du Rassemblement national ; alors que si le Rassemblement national avait voté contre, il ne passait pas. Savent-ils seulement compter ?

 

Le dévoiement de la démocratie

Ce projet de loi n’est pas parfait. Mais il va dans la bonne direction, y compris sur l’idée de pouvoir accueillir un certain nombre de migrants dont la France a besoin. Un pays ne peut pas vivre isolé, il respire avec des flux entrants et sortants. Mais il faut veiller à ce que ceux qui entrent ne le fassent pas pour de mauvaises raisons, pour profiter des aides publiques, propager des idées de haine… Le texte y veille mieux qu’auparavant.

Mais parce que le Rassemblement national a voté cette loi, qui ne va pas totalement dans son sens d’ailleurs, il faudrait que tout à coup ladite loi soit mauvaise. Elle était la meilleure des lois avant le vote du Rassemblement national, elle serait devenue la pire après. Le fait que le Rassemblement national a voté cette loi la polluerait, la rendrait nuisible, pestiférée. Ceux qui s’en revendiqueraient désormais seraient contaminés par le Rassemblement national, deviendraient infréquentables, des intouchables. Comme le président de Région Charles Millon était devenu un mauvais président après que des élus Front national eurent voté son programme en mars 1998.

Pire, cette loi devrait être inappliquée. Ainsi, 32 départements dirigés par la gauche ont annoncé qu’ils n’appliqueraient pas la nouvelle règle selon laquelle les étrangers qui ne travaillent pas devront attendre trente mois avant d’être éligibles à une aide.

La démocratie verse ainsi dans l’anarchie avant de dériver vers une forme de tyrannie choisissant les bons élus et excluant les mauvais, acceptant certaines lois et en refusant d’autres. Peut-être que le Rassemblement national n’était pas fréquentable, mais il est sûr que la gauche et les macronistes deviennent dangereux. Ils n’ont jamais eu beaucoup d’idées fermes et claires puisqu’ils n’en ont qu’en même temps, mais désormais, ils perdent leurs nerfs. En se réfugiant derrière le Conseil constitutionnel ils l’abaissent autant que la démocratie elle-même.

Le Rassemblement national est un parti systématiquement antilibéral dont nous combattons le programme dans ses composantes étatiques, collectivistes et démagogiques, et dans ses rapprochements avec des gouvernements irrespectueux de l’État de droit. Mais la démocratie consiste à convaincre plutôt qu’à exclure, à respecter la différence plutôt qu’à vouloir la supprimer. Elle permet de combattre ses adversaires, mais pas parce qu’ils sentent mauvais. Elle a vocation à accoucher de bonnes institutions et de règles justes dans l’exercice d’un débat loyal et permanent.

Quand le gouvernement s’enferme dans un entre-soi étroit et réducteur, quand il hait ceux qui ne pensent pas comme lui, quand il préfère exclure ses adversaires plutôt que de les rallier à sa politique, quand il pratique la duperie plutôt que de faire prévaloir l’intelligence… le peuple tout entier peut être inquiet de son avenir. Il serait temps que se dessine une alternative.

Sur le web.

Loi immigration – un texte détricoté au pied du sapin

« Depuis des semaines, la loi immigration a été tricotée, détricotée et à l’arrivée, tout le monde la trouve moche. Finalement, cette loi, c’est un peu un pull de Noël. »

Ce bon mot de l’humoriste Philippe Caverivière sur France 2 samedi soir résume parfaitement le sac de nœuds – ou de laine – qu’est devenu ce qui devait être un des piliers du second quinquennat Macron.

Lors de mon dernier billet sur le sujet il y a maintenant plus d’un mois, nous nous étions quittés sur le texte voté par la majorité Les Républicains au Sénat, chambre représentant les territoires souvent les plus durement touchés par la problématique.

L’immigration touche des sujets aussi vastes et différents que le social, l’économie, la culture, la sécurité et le climat, la question de l’impact des catastrophes météorologiques innervant l’histoire de l’immigration depuis le jour où les Hommes ont appris à se mouvoir sur de longues distances.

L’étendue des sujets touchés par la thématique n’a d’égale que l’impossibilité d’y apporter des solutions simplistes comme on peut les lire ici et là, à grands coups de positions « ultra simples » ou de remèdes prétendument réalistes.

Le texte voté au Sénat n’y fait pas exception, et a provoqué plusieurs rebondissements.

 

La gauche vent debout

Nous nous étions quittés après le vote par les sénateurs d’un texte renforcé supprimant l’AME, instaurant des quotas économiques et abrogeant la mesure phare du projet de loi : l’obtention automatique de titre de séjour pour les travailleurs exerçant des métiers en tension.

Ce texte a instantanément entraîné une levée de boucliers d’associations et d’organismes vivant grassement d’argent public.

La directrice générale de France Terre d’Asile (50 millions d’euros de dotations annuelles, ce qui en fait l’association la plus subventionnée du pays), dont la présidente est l’ancienne ministre socialiste Najat Vallaud-Belkacem, a dénoncé un « catalogue des horreurs ».

Depuis début décembre, ce sont une quarantaine d’associations qui manifestent leur mécontentement devant le texte adopté au Sénat.

Du côté du Défenseur des droits, énième autorité administrative indépendante destinée à masquer les lacunes de notre système judiciaire, l’actuelle titulaire du poste, Claire Hédon, a dénoncé une « surenchère démagogique ».

À ces réactions se sont ajoutées celles de la Macronie. Dès le lendemain du vote, cette dernière a immédiatement appelé à un « rééquilibrage », pour reprendre les propos de la ministre déléguée à la lutte contre les discriminations Bérangère Couillard soutenue par le président de la commission des lois Sacha Houlié, déterminé à rétablir le texte initialement porté par le gouvernement.

Les députés de la majorité sont alors sommés par plusieurs soutiens du président de la République, Daniel Cohn-Bendit en tête, de mettre fin à ce qui est vu comme une « dérive dangereuse ».

 

Darmanin défait par LR

Ces réactions n’ont pas empêché les débats de continuer. Après avoir été présenté en commission des lois, le texte est débattu dans l’Hémicycle.

Un texte ainsi revu et dénoncé par LR comme un texte « au rabais ». De ce fait, les députés de droite ont voté le 11 décembre la motion de rejet déposée par les écologistes. Cette motion est destinée à rejeter avant tout débat un texte qui serait susceptible d’enfreindre manifestement une disposition constitutionnelle, ou de décider qu’il n’y a pas lieu de délibérer.

Cette motion est votée, essentiellement du fait de l’absence de neuf députés de la majorité, dont l’un a subi les affres de la SNCF, l’amenant à avoir 1 heure 30 de retard. Aussi ironique qu’exquis.

Suite à ce camouflet, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a présenté sa démission au président de la République, qui l’a refusée. Certaines mauvaises langues estiment alors que s’il l’avait présenté à Elisabeth Borne, celle-ci l’aurait vraisemblablement acceptée. La vraie raison est institutionnelle, le pouvoir de nomination et de révocation des ministres relevant de l’Élysée avec contreseing du Premier ministre.

Le vote de cette motion est une nouvelle victoire pour Les Républicains après le vote sénatorial. Une victoire d’autant plus forte qu’elle a mis en déroute un de ses parjurés les plus médiatiques. Depuis le début des discussions, le parti gaulliste s’est positionné en point d’équilibre entre le gouvernement et le Rassemblement national, tout en faisant du sujet migratoire un cheval de bataille, un mois et demi après le lancement d’une pétition qui a pour l’instant recueilli plus de 24 300 signatures au moment où ces lignes sont écrites.

 

Le retour de l’hyperprésidentialisme

Dans une France qui n’a plus l’habitude de la vitalité de la démocratie parlementaire, cette séquence est considérée par certains journalistes et élus comme une « crise politique », terme utilisé pour désigner tout événement qui dévierait de la volonté du Prince.

Conformément à la pratique hyperprésidentialiste à laquelle notre république nous a tristement habitués, ce même Prince, clé de voûte des institutions qui dévie aujourd’hui largement de son centre de gravité, n’a pas hésité à s’immiscer dans les travaux parlementaires en rejetant l’usage de l’article 49.3, sur lequel les Sages n’ont pas apporté de réponse claire, tout en appelant les députés à voter le texte avant Noël, quelques jours avant la réunion de la commission mixte paritaire.

 

Un espoir nommé commission mixte paritaire

Cette dernière s’est réunie ce lundi 18 décembre pour un vote en milieu de semaine.

La commission mixte paritaire réunit sept députés et sept sénateurs nommés par les présidents des chambres en respectant scrupuleusement les équilibres politiques. Cet équilibre peut se résumer ainsi : la Macronie dispose de trois parlementaires sur 10, comme LR aidé par sa majorité au Sénat, tandis que la NUPES compte pour un quart des parlementaires et le Rassemblement national, 10 % avec 88 députés et 4 sénateurs sur un total de 925 parlementaires.

De ce fait, la commission mixte paritaire sera composée comme suit : 5 macronistes, 5 LR, 3 NUPES et 1 Rassemblement national.

De cette commission, dont nous n’avons pas le résultat au moment où nous écrivons ces lignes, ne peut émerger que trois réponses :

  1. Soit les parlementaires se mettent d’accord, et le texte est voté en séance
  2. Soit les parlementaires se mettent d’accord, mais le texte est rejeté en séance
  3. Soit les parlementaires ne se mettent pas d’accord

 

Cette dernière option arrivant une fois sur trois, l’avenir du texte est plus que jamais incertain.

 

La solution référendaire

Pourtant, le pays pourrait sortir de cette incertitude d’un outil qui n’a pas été utilisé depuis plus de 18 ans : le référendum, porté depuis longtemps par la droite. Un temps étudié par l’Élysée fin octobre pour obtenir les voix LR, la perspective de sortir du débat par la consultation des Français n’a pas été retenue faute de consensus politique, et par crainte d’une réponse nécessairement « populiste » à la manière de l’ancien ministre et défenseur des droits Jacques Toubon.

Pourtant, ce référendum permettrait de proposer un grand débat afin de libérer la parole et de sortir d’une chape de plomb démocratique sur un sujet, à tort, tabou dans le débat public français, et qui ne fait que nourrir les préjugés et les relents complotistes en remettant au cœur du débat la question du consentement qu’une certaine gauche adore arborer, à raison, dans certains domaines, mais qu’elle refuse lorsqu’il s’agit de demander aux individus qui ils souhaitent accueillir chez eux et de quelle manière.

« Plan 15 000 » : un projet ambitieux mais inefficace pour les prisons françaises

Un article de l’IREF.

« Nous construirons 15 000 nouvelles places de prison ». La promesse de campagne d’Emmanuel Macron, en 2017, a débouché à l’automne 2018 sur un vaste plan de création de places en établissements pénitentiaires, le « Plan 15 000 » pour 2027. Un second plan est également lancé, prévoyant la construction de vingt centres éducatifs fermés (CEF) de deuxième génération pour les mineurs. Alors que la mi-parcours est passée, le rapporteur spécial des crédits de la mission « Justice », Antoine Lefèvre, dresse un bilan amer du projet.

La situation carcérale française est une épine dans le pied de chaque nouveau président : le nombre des détenus explose, la radicalisation en prison prospère, les injonctions et les condamnations internationales somment la France de prendre des mesures pour respecter les droits de l’homme. Au cours des dernières décennies, plusieurs plans avaient déjà été déployés mais aucun ne s’était révélé capable d’anticiper les besoins croissants de places en établissements pénitentiaires. Celui d’Emmanuel Macron se distinguait par son importance et pouvait laisser croire qu’une réforme du système pénitencier était imminente.

Un plan de construction insuffisant

Mais voilà, bien souvent les rapports du Sénat sonnent le glas des politiques hasardeuses, et c’est le cas en l’espèce. Le rapporteur est formel : « (…) En dépit de ses ambitions initiales, le Plan 15 000 ne permettra pas seul de remédier durablement à la dégradation des conditions de détention et de travail pour les personnels de l’administration pénitentiaire. Même si le plan venait à être achevé en 2027, ce qui apparait peu probable, les capacités du parc pénitencier seraient déjà saturées ». Et pour cause : la prévision de 75 000 détenus en 2027 s’est réalisée dès 2023 ! Pendant la période du Covid, un assez grand nombre de détenus ont été libérés mais une fois la crise sanitaire passée, les enfermements ont repris à un rythme encore plus soutenu, avec une hausse de près de 20% depuis 2020. En janvier 2022, le taux de densité carcérale était de 115%, plaçant la France au troisième rang européen derrière Chypre et la Roumanie. Avec une telle densité, il est quasi impossible de respecter le principe d’encellulement individuel ; l’objectif de 80% est ainsi repoussé de législation en législation, quelle que soit la couleur politique du garde des Sceaux. Les conséquences de la surpopulation carcérale sont pourtant connues : violences, manque d’hygiène, trafics facilités, radicalisation soutenue, réinsertion compromise… La contrôleuse générale des lieux de privation de liberté (CGLPL), Dominique Simonnot, dénonce dans son dernier rapport annuel « un abandon de l’Etat » : « On a laissé la prison se substituer aux asiles d’antan, enfermant dans ses murs plus de 30% de prisonniers atteints de troubles graves. Voilà comment, à leur corps défendant, surveillants et détenus ont, en quelque sorte, été contraints de se muer en infirmiers psychiatriques ». Les établissements pour peine respectant globalement ce principe, ce sont les maisons d’arrêt qui suscitent l’inquiétude, le taux d’encellulement individuel y évoluant autour de 20%[1].

Un budget intenable et des délais qui explosent

Face à ces défis, l’argent est le nerf de la guerre. Et d’argent, on ne manque pas, à tel point que le budget initial a pu être rehaussé de deux milliards d’euros sans que quiconque s’en émeuve. Les premières annonces ministérielles annonçaient 3,6 milliards, avant de grimper rapidement à 4,3 milliards ; et en juin 2022, la direction du budget a relevé encore la facture à 5,4 milliards d’euros. Un an après, le rapporteur estime que le coût du Plan 15 000 sera d’au moins 5,55 milliards d’euros, soit 30% de plus que le coût d’abord prévu. S’agissant des centres éducatifs fermés, on est passé de 30 millions d’euros à plus de 76 millions dans le dernier budget… avant que le rapporteur ne l’estime à au moins 110 millions d’euros ; et nous ne sommes qu’à mi-chemin. Plus le calendrier de livraison s’allonge, plus les coûts explosent. Moins de la moitié des places prévues a pu être livrée, avec (pour l’instant) un retard de deux ans sur le calendrier initial. La maison d’arrêt de Basse-Terre (Guadeloupe) sera par exemple livrée avec plus de sept ans de retard.

Le sénateur Antoine Lefèvre formule une douzaine de recommandations suivant trois principes : « Anticiper, s’adapter et évaluer ». Est-il possible que cette approche élémentaire n’ait pas été celle des politiques publiques ? La réponse est évidemment oui, et la précision des recommandations frise le ridicule, telle que celle d’équipes-test sur chacun des chantiers engagés. En effet, « il est difficilement admissible qu’un établissement pénitencier tout juste livré nécessite de lourds travaux d’aménagement pour remédier à des failles de sécurité ou de fonctionnement, telles que l’installation de fenêtre pouvant être ouvertes en moins de deux minutes à l’aide d’un coupe-ongle acheté au supermarché ». Coût du changement des châssis des fenêtres du centre pénitentiaire Mulhouse-Lutterbach : 600 000 euros. Et de citer d’autres « erreurs de conception » : par exemple, des boutons « sécurité incendie » ouvrant toutes les portes et accessibles à tous dans un centre éducatif fermé …

Le chantier des établissements pénitentiaires est donc colossal. Alors qu’un détenu coûte 100 euros par jour au contribuable, l’IREF appuie la proposition du député Eric Pauget (LR) de faire payer aux détenus une partie significative de leurs frais d’incarcération. Ajoutons qu’il n’y a rien de surprenant à ce que le suivi des chantiers soit négligé lorsque le futur gérant de la prison est une administration. La privatisation des prisons permettrait sans doute de réduire fortement les coûts de construction et de réduire les délais. Plusieurs pays s’y sont déjà essayés : le Royaume-Uni, l’Australie et les Etats-Unis. La gestion privée demeure « incontestablement plus simple que la gestion publique », ainsi que le relève la Cour des comptes.

Sur le web.

La Justice sous Macron : l’impuissance ridicule, la grandiloquence grotesque

Par : h16

Les tensions du Proche-Orient semblent déborder largement et atteignent sans mal certaines localités de notre petit pays : le gouvernement constate, un peu effaré, l’explosion soudaine du nombre d’actes antisémites sur le sol français depuis le 7 octobre dernier.

La Behète Immonheudeu au ventre fécond de bruits de bottes n’est pas morte : les factions d’extrémistes de droite, de suprémacistes blancs et autres nationalistes forcenés se sont tous donné le mot pour multiplier les actes et les propros réprimés par la loi, ce qui n’a pas manqué de faire monter au créneau Darmanin, l’actuel miniministre de l’Intérieur. Oups. On me souffle à l’oreillette que ces actes ne sont pas majoritairement dus à des suprémacistes blancs d’extrême droite.

Peu importe : le gouvernement ne se laissera pas déborder, quelle que soit la tendance politique de l’extrême droite (qui pourrait bien être très à gauche cette fois-ci, cela ne change rien) et quelle que soit la couleur des suprémacistes en question qui seront de toute façon blancs à la fin du compte. Il faut comprendre que la République, laïque, une, indivisible et toujours à l’écoute via un numéro vert, ne s’en laissera pas compter, Gérald vous l’assure.

Du reste, il faudrait être de mauvaise foi pour ne pas croire que les paroles de Darmanin ne seront pas suivies d’effets percutants et du retour, en fanfare, de l’ordre républicain le plus strict. Il n’est qu’à voir la façon dont les forces de police et de gendarmerie sont actuellement mobilisées partout en France pour comprendre qu’on ne mégottera pas : les responsables de ces actes et de ces discours seront poursuivis et traînés devant une justice qu’on sait au taquet.

D’ailleurs, c’est bien simple, les exemples abondent à présent de la fermeté retrouvée de la justice en France. Fini, le temps des atermoiements, des demi-mesures et d’un laxisme un peu trop vaste. Accompagné par un gouvernement à l’écoute du peuple, le pouvoir judiciaire a compris qu’il ne pouvait plus se laisser aller, et la reprise en main est déjà palpable.

Ainsi, un jeune présenté comme néonazi par notre exceptionnelle presse nationale vient de se prendre neuf ans de prison pour ses propos antisémites et sa velléité de préparation d’attentats.

Fini de rire en République d’Enmarchistan : les choses sérieuses commencent !

D’ailleurs, à bien y réfléchir, plutôt qu’avoir des opinons qui puent, des discours rances ou délirer sur des plans d’attentats, il vaut clairement mieux traîner au sol un policier sur une vingtaine de mètres en conduisant sans permis à bord d’un véhicule et en refusant d’obtempérer : en la jouant finement, on s’en sort avec quelques travaux d’intérêt général, ce qui est nettement plus rigolo que neuf ans de prison.

Présenté ainsi, certains pourraient croire que la justice française n’est pas encore tout à fait au point en matière de peines, alors que semble se lever une ère nouvelle qui réclame davantage de sévérité.

C’est une erreur de penser ainsi : la justice française peut et sait faire rapide et efficace. Comme dans bien d’autres domaines, tout est affaire de motivation.

Prenez l’exemple récent d’une triste affaire de vol avec violences en rue à Paris, dans le XVIIe arrondissement – rassurez-vous, c’est presque aussi rare dans la capitale que d’y croiser un surmulot en goguette – dans laquelle la victime a failli se faire dérober sa montre de luxe et son téléphone : alors que pour d’autres cas similaires, les malandrins courent toujours, on apprend que cette fois-ci, les quatre suspects ont été rapidement interpellés et mis en garde à vue. Le fait que la victime soit le fils d’une magistrate du tribunal judiciaire de Paris ne joue sans doute pas beaucoup dans le zèle des équipiers de la compagnie de sécurisation et d’intervention de police de la capitale…

Maintenant qu’il est raisonnablement acquis que la justice est donc aussi aveugle que ferme et implacable, on comprend mieux pourquoi cette même justice française a lancé un mandat d’arrêt international contre le président syrien Bachar Al-Assad, après l’avoir accusé de complicité de crimes contre l’humanité pour les attaques chimiques perpétrées à l’été 2013 en Syrie.

Voilà qui ne manque pas de panache, n’est-ce pas. Reste à savoir quelle quantité de travaux d’intérêt général le pauvre Bachar devra exécuter, à moins bien sûr que la justice française considère que « un Bachar mérite plus qu’un chauffard » et qu’on envisage alors de lui coller quelques années de prison, sans sursis.

La juxtaposition de ces différents éléments laisse cependant un sentiment étrange : d’un côté, on observe les actes empreints de gravité d’épitoges froufroutantes qui confinent à la grandiloquence grotesque pour de l’autre constater des décisions d’un ridicule achevé ou en décalage si violent avec le besoin réel de justice et d’un minimum de cohérence d’ensemble qu’on ne peut qu’être envahi d’une impression persistante de foutage de gueule.

D’un côté, pilotée par un gouvernement dont le garde des Sceaux est actuellement en procès (ce qui est une première ahurissante dans l’histoire de ce pays), la justice française prétend traîner en justice le dirigeant d’un pays étranger ; de l’autre, cette même justice multiplie les exemples d’un système qui n’est favorable qu’à une petite caste, ultra-démissionnaire lorsqu’il s’agit de faire preuve d’une élémentaire fermeté et complètement disproportionnée dès qu’on parle idéologie.

D’un côté, la justice semble totalement débordée pour assurer des procès en temps raisonnable aux justiciables français, ou même de garantir que les OQTF seront appliquées en nombre autrement que purement symbolique ; de l’autre, elle trouve amplement le temps de se lancer dans des mandats d’arrêt internationaux qui ont absolument tout de la posture et qui, de surcroît sur le plan diplomatique, ne seront qu’une nouvelle erreur à ajouter aux myriades déjà empilées avec gourmandise par nos différents gouvernants depuis Sarkozy.

D’un côté, on voit les petits avortons à la Darmanin se multiplier comme du chiendent sur tous les plateaux télé pour expliquer à ceux qui veulent l’entendre (heureusement de moins en moins nombreux) qu’il va mettre en place ceci ou cela, que ça ne va pas se passer comme ça, que la justice saura se montrer ferme et patin couffin ; de l’autre on constate que la violence, les crimes et délits, l’insécurité et les incivilités (pourtant du ressort direct de l’avorton en question) explosent partout sur le territoire.

Et pas de doute, d’un côté, on note clairement la grandiloquence grotesque de nos dirigeants. De l’autre, on ne voit que l’impuissance ridicule d’un État en pleine déliquescence.

Sur le web.

Guillaume Kasbarian : « Le jour où nous aurons des députés fiers de faire des économies plutôt que des dépenses, peut-être que la situation changera »

Nommé ministre du logement jeudi 8 février, Guillaume Kasbarian avait accordé un entretien à Contrepoints en novembre dernier en tant que député Renaissance de la première circonscription d’Eure-et-Loir et président de la Commission des affaires économiques.

 

Contrepoints : Bonjour Monsieur le Député, merci d’avoir accepté de nous accorder cet entretien. Pour nos lecteurs qui ne vous connaissent peut-être pas, pourriez-vous nous parler de votre parcours et nous raconter ce qui vous a amené à vous engager en politique et à devenir Député de la nation ?

Guillaume Kasbarian : Bien sûr ! Je suis Guillaume Kasbarian, député de la première circonscription d’Eure-et-Loir, qui comprend la ville de Chartres et 64 communes environnantes. Je suis également président de la Commission des affaires économiques à l’Assemblée, élu en 2017 au sein de la majorité présidentielle.

Je n’ai pas de parcours politique avant cette élection, venant de la société civile. Originaire de Marseille, j’ai effectué ma scolarité dans le sud de la France avec une expérience de trois ans en Afrique. Après ma prépa à Paris chez les Jésuites, j’ai intégré l’ESSEC, une école de commerce. Mes premières expériences professionnelles se sont déroulées dans des cabinets de conseil, où j’ai travaillé huit ans dans le secteur privé.

Mon parcours n’est pas classique en politique ; je n’ai pas suivi le cursus de Sciences Po ou de l’ENA, n’ai pas été élu local, et rien ne me prédestinait à devenir élu. En 2016, j’ai observé avec intérêt l’action d’Emmanuel Macron, alors ministre de l’Économie. Sa loi Macron m’a interpellé, car elle visait à secouer des rentes de situation et des secteurs nécessitant de la concurrence. J’ai perçu cette initiative comme économiquement libérale, réformant certains secteurs économiques qui avaient besoin d’être libérés.

Attiré par son parcours et ses idées, surtout dans un paysage politique dominé par le conservatisme, j’ai constaté un manque de représentation libérale pleine à gauche comme à droite. La nouvelle offre politique d’Emmanuel Macron m’a intéressé, et des anciens de l’ESSEC m’ont convaincu de m’engager en tant que militant.

J’ai ainsi mené la campagne en Eure-et-Loir, où j’étais établi depuis 2014, devenant référent En Marche. Après l’élection d’Emmanuel Macron, on m’a proposé de me présenter aux législatives, où j’ai été élu en 2017. Mon engagement repose sur la volonté de concrétiser le projet du président et de défendre une valeur cardinale, la liberté.

 

Contrepoints : Vous faites partie de ces rares élus qui affichent et assument des convictions et des engagements libéraux. D’où viennent ces convictions ?

Guillaume Kasbarian : Mes parents étaient fonctionnaires, plutôt à gauche. Ma grand-mère et mon oncle tenaient un kiosque à journaux, tandis que mes tantes tenaient un commerce de produits orientaux à Marseille. C’est peut-être à travers eux que j’ai tout d’abord pris goût à l’entreprise, à l’entrepreneuriat. L’effort et la valeur travail sont profondément ancrées dans ma famille.

Une expérience de trois ans en Afrique a également joué un rôle. J’ai pu observer l’importance de la démocratie libérale par rapport à des régimes qui ne le sont pas, ayant côtoyé sur les bancs de l’école un certain nombre de réfugiés de pays d’Afrique.

D’un point de vue économique, j’ai toujours été lecteur de penseurs libéraux. Bastiat, Tocqueville, Turgot ou encore Hayek, dont La Route de la servitude et La Constitution de la liberté m’ont marqué. Hayek décrit d’ailleurs bien ce qui différencie les libéraux des conservateurs.

Ces convictions libérales se sont renforcées au lycée, où je ne m’identifiais pas à la lutte contre le CPE et où je prenais plaisir à porter la contradiction aux camarades et aux professeurs d’économie marxistes.

Quoi qu’il en soit, mon attachement à la liberté, qu’elle soit philosophique, sociétale ou politique, remonte bien avant mon engagement politique. En tant qu’élu, j’assume ces convictions en toute transparence depuis 2017, et je m’efforce de les mettre en pratique dans mon travail de député, bien que cela ne soit pas toujours simple.

 

Contrepoints : Ce que vous dites est intéressant, car beaucoup de libéraux ont été au moins interpellés par le profil d’Emmanuel Macron en 2017. Aujourd’hui, la très grande majorité des libéraux sont critiques à l’égard de son action. Vous, en tant que libéral, est-ce que c’est parfois compliqué d’appartenir à une majorité moins libérale que vous ? Que répondriez-vous à des libéraux qui vous diraient que Macron et la majorité ne sont pas libéraux ?

Guillaume Kasbarian : D’abord, depuis 2017, on a tendance à l’oublier, mais des réformes libérales ont été votées.

Les mesures de simplification de la loi d’accélération et de simplification de l’action publique, visant à supprimer des comités Théodule et à accélérer des processus administratifs, sont des réformes libérales. La suppression des seuils dans la loi Pacte, permettant d’agrandir les sociétés, est une mesure libérale de déréglementation et de simplification. La baisse des impôts de production, du taux des impôts sur les sociétés, la suppression de l’ISF et son remplacement par l’IFI, sont des mesures de réduction de la fiscalité visant à stimuler l’activité économique. Je leur dirai également que la signature du CETA par la France, un traité de libre-échange, est une mesure libérale.

Le combat que j’ai mené sur les squats est éminemment libéral, car il vise à rétablir la propriété privée, une valeur cardinale du libéralisme, au cœur de la réflexion, en considérant qu’il faut sacraliser ce droit. Dans cette loi, je défendais l’idée qu’il faut simplifier l’expulsion des squatteurs, et qu’en cas d’impayés ou de contentieux locatifs, il faut agir plus rapidement pour que le propriétaire puisse retrouver la jouissance de sa propriété. Je dirais donc que j’ai agi, depuis six ans, en cohérence avec ma philosophie libérale.

Je dirais une deuxième chose. Dans l’offre politique actuelle, examinons l’antilibéralisme de ceux qui nous entourent. Il n’y a pas de New Labour à la Tony Blair en France : la gauche s’est alliée avec LFI dans une course à l’interventionnisme, au marxisme et au dirigisme économique. La gauche française est antilibérale. Il n’y a plus de Frédéric Bastiat, un éminent penseur libéral qui, je le rappelle, siégeait à gauche de l’hémicycle.

À droite, hormis quelques individualités, ceux qui tiennent les rênes du parti se revendiquent du gaullisme social et sont imprégnés d’une profonde volonté d’interventionnisme économique. Nombreux sont les orateurs de droite qui prônent les nationalisations, s’opposent aux traités de libre-échange, défendent systématiquement l’intervention de l’État dans l’économie, et soutiennent des mesures additionnelles de redistribution sociale, au point de déposer des amendements qui ajoutent des dizaines de milliards dans le PLF. Et au niveau sociétal, n’en parlons même pas, car les libéraux sociétaux à droite n’existent pas. Inutile de vous rappeler le combat de l’UMP contre le mariage pour tous ou celui de LR contre l’ouverture de la PMA aux couples de femmes.

À l’extrême droite, le RN est conservateur socialement et économiquement. Dans la commission que je préside, je vois les votes de mes collègues du RN, ils se rapprochent systématiquement de ceux de LFI et de la Nupes sur le plan économique. Protectionnisme autarcique, blocage des prix, taxation des superprofits… leurs votes convergent. Nous examinerons bientôt une proposition de loi de LFI sur le contrôle des marges des entreprises, je vous prends le pari que le RN ne s’y opposera pas !

Enfin, la troisième chose que je peux répondre aux libéraux dans le doute, c’est que les libéraux ne peuvent pas gagner seuls. C’est peut-être triste mais c’est ainsi ! Ils doivent s’allier avec d’autres courants de pensée, au sein d’un bloc central, et faire des compromis pour l’emporter. À moins d’être un puriste absolu, de rester dans son coin et de se satisfaire de faire moins de 5 % aux élections. Si l’on veut agir, être en mesure de faire plutôt que de commenter, il faut fédérer au sein d’un bloc qui n’est pas exclusivement libéral, et en son sein, porter des éléments qui viennent du libéralisme.

Ces compromis ne sont pas des renoncements ! Dans ce bloc central, personne n’est antilibéral, et c’est ce qui nous distingue du reste de l’échiquier politique… Dans ce bloc, personne ne veut sortir de l’économie de marché, personne ne considère qu’il faut arrêter les échanges commerciaux avec nos voisins, personne ne considère qu’il faut arrêter de recevoir des investissements étrangers, ou encore arrêter d’exporter à l’étranger. Sur les questions sociétales, personne chez nous ne veut revenir sur l’IVG ou encore le mariage pour tous. Sur la fin de vie, une grande majorité de notre groupe veut avancer sur la liberté de choisir sa fin de vie. Sur la PMA, la liberté des femmes à disposer de leur corps est un combat partagé.

Bref, sur les lignes de forces substantielles et existentielles du libéralisme, il y a consensus et l’on peut, au sein de ce bloc central, défendre les libertés politiques, économiques et sociales. Si les libéraux veulent être en responsabilité et faire prospérer leurs idées, c’est probablement au sein de ce bloc central qu’ils pourront le faire plutôt que dans un groupuscule qui ne pourra pas obtenir de succès électoral. Au sectarisme, j’oppose donc une forme de réalisme.

 

Contrepoints : La France traverse actuellement une crise du logement. C’est un sujet sur lequel vous avez beaucoup travaillé. Quelle est votre analyse de la crise actuelle, comment vous l’expliquez ? Et quelles sont les réponses apportées par la majorité ?

Guillaume Kasbarian : Sur le logement, la crise que l’on connaît est conjoncturelle autant que structurelle. Conjoncturelle, parce que les taux d’intérêt bloquent les transactions, empêchant de nombreuses personnes d’emprunter. Structurelle, car il y a un déficit d’offre de logements dans des zones sous tension, soit en raison d’une réindustrialisation intensive, soit en raison d’activités touristiques importantes. Cela crée une concentration de la demande dans des endroits où l’offre est insuffisante.

De plus, le marché dysfonctionne et ne s’ajuste pas automatiquement. Dans un marché classique, fluide et compétitif, les prix réagiraient à la baisse en cas de chute de la demande, stimulant ainsi à nouveau la demande. Mais nous pouvons tous constater que ce n’est pas le cas dans le logement : la chute des transactions ne conduit pas à un effondrement des prix de vente, les vendeurs attendant simplement une remontée des prix. Ainsi, les prix ne jouent pas leur rôle de régulateur de l’offre et la demande.

Concernant l’aspect structurel de l’offre, des contraintes spatiales compliquent la libération de l’offre. Il est impossible, par exemple, de doubler le nombre de logements à Paris intramuros, du moins sans construire en hauteur ou densifier, ce qui irait de pair avec une forte opposition des Parisiens. Ces contraintes spatiales font que l’offre ne peut pas s’ajuster instantanément pour répondre aux besoins dans les zones tendues.

L’objectif est de relancer la demande et de surmonter le blocage des transactions à court terme. Parmi les outils, les pouvoirs publics peuvent par exemple autoriser les Français à s’endetter davantage, étendre le PTZ, ou encore faciliter les donations et les successions pour les projets d’acquisition de résidence principale, offrant ainsi un coup de pouce pour débloquer la situation actuelle.

En ce qui concerne l’offre, nous devons lever les obstacles à la construction, faciliter la disponibilité des terrains constructibles pour que les communes puissent construire sur des friches, des terrains actuellement inutilisés ou non transmis.

Il faut également encourager les élus locaux bâtisseurs. La question de la décentralisation du logement, qui se posera dans les prochains mois, sera cruciale. Tout cela permettra d’augmenter la capacité à offrir des logements là où le besoin est le plus grand.

De plus, il est important d’harmoniser les règles entre les locations touristiques et les locations traditionnelles, surtout dans les zones où la concurrence des usages est intense. Il est difficilement compréhensible, par exemple, qu’un appartement loué sur Airbnb bénéficie d’un abattement fiscal plus important qu’une location traditionnelle, de surcroît sans aucune obligation de rénovation thermique.

Enfin, il faut rassurer les propriétaires pour les encourager à mettre leur logement en location. Lutter contre les impayés locatifs et accélérer les procédures en cas de litige contribuent à cette assurance.

 

Contrepoints : Nous sommes en plein vote du budget de l’État. C’est un sujet qui nous tient à cœur à Contrepoints et, d’une manière plus générale, en tant que libéraux. L’association Contribuables associés vient de sortir un documentaire sur la question de la dette. En France, aucun gouvernement n’a voté de budget à l’équilibre depuis 1974…

Guillaume Kasbarian : C’est ça… c’est tout à fait ça. C’est ce que je rappelle tout le temps quand certains me disent que l’État devrait « rendre l’argent » ou que l’État serait en train de thésauriser dans les sous-sols de Bercy, je rappelle systématiquement que depuis 1974 l’État dépense plus chaque année pour les Français que ce qu’il leur prélève.

 

Contrepoints : Tout à fait, mais alors, en tant que député et surtout en tant que membre de la majorité, comment expliquez-vous notre incapacité à résoudre le problème de la dette ? Au-delà de la nécessité de baisser des dépenses publiques, ne faudrait-il pas changer complètement de paradigme dans notre façon de penser les politiques publiques, de les évaluer, dans notre rapport à l’étatisme en France ? N’y a-t-il pas également une question culturelle, quand on voit à quel point les Français ont une sorte de réflexe de toujours attendre de l’État qu’il apporte des solutions à tous les problèmes ?

Guillaume Kasbarian : Je partage votre constat. En premier lieu, nous avons une dette dépassant les 3000 milliards d’euros, et un déficit dépassant les 4,5 %. Parallèlement, nos marges de manœuvre fiscales sont restreintes en raison d’un taux de prélèvements obligatoires déjà supérieur à 45 %.

Ainsi, il nous reste deux leviers pour résorber ce déficit. Le premier consiste à stimuler l’activité économique afin de générer de la croissance, augmentant ainsi les recettes fiscales pour combler le déficit. La deuxième option serait de réduire les dépenses.

Il y a deux façons de faire baisser les dépenses. Soit on demande à tout le monde de réduire un peu ses dépenses pour atteindre les économies nécessaires. Soit on fait de vrais choix politiques en disant « sur ces sujets, l’État ne s’en occupe plus, et c’est l’usager, le citoyen qui payera pour ces services ».

C’est une ligne qui est politiquement difficile à défendre. Je me souviens de grands débats où des citoyens regrettaient des prélèvements fiscaux excessifs, tout en demandant davantage d’investissements dans des secteurs tels que la santé, la justice, la sécurité, les aides sociales, les infrastructures locales, les collectivités, les organisations associatives, etc.

L’offre politique, non seulement tente de répondre à ces attentes, mais elle a tendance à surenchérir, avec des promesses de dépenses additionnelles. Si tous les amendements déposés par les députés lors de l’examen du budget étaient adoptés, les dépenses supplémentaires proposées par les parlementaires conduirait la France à la faillite. À l’inverse, faites la somme des économies proposées : on est quasiment à zéro !

 

Contrepoints : Ce qui pose la question de la responsabilité individuelle, à la fois du personnel politique comme des citoyens…

Guillaume Kasbarian : Oui ! Encore hier, lors du débat sur le projet de loi de fin de gestion, un nouvel amendement des socialistes a été adopté, visant à accorder un chèque supplémentaire aux familles monoparentales pour Noël. L’attention humaniste est louable, mais il est nécessaire d’expliquer que ce chèque sera financé soit par un déficit supplémentaire, soit par le contribuable ! Ce n’est pas le député socialiste qui sortira son carnet de chèques personnel, cet argent proviendra du contribuable et du budget de l’État, du pot commun auquel tout le monde contribue ! Mais ce pot commun n’est pas un puits sans fond.

Comme vous l’avez souligné, cette perspective est profondément ancrée culturellement dans la population. C’est pourquoi l’argument que je vous présente est politiquement impopulaire ! Il est difficile de dire « non, nous ne pouvons pas supporter toutes ces dépenses », lorsque l’ensemble de l’offre politique autour de vous promet des dépenses supplémentaires, des chèques supplémentaires, une distribution accrue en affirmant que « c’est l’État qui paie ».

En commission, nous étions il y a quelques jours sur l’avis budgétaire relatif au logement. Dans le contexte de majorité relative que nous connaissons, les oppositions ont fait adopter des amendements créant des dépenses supplémentaires. En un après-midi, nous avons donc engagé 7 milliards d’euros de dépenses supplémentaires sur le logement. Et cela, en trois heures seulement !

Lorsque nous faisions remarquer que cela n’était pas responsable, la réponse était enfantine : « Eh bien, il faut prendre cet argent aux riches » ou encore « Oui, mais il y a une crise du logement, donc c’est nécessaire ». Il y a toujours de bons prétextes pour dépenser plus, mais la raison nous impose de ne pas céder à cette facilité.

Personnellement, je suis fier de ne pas déposer d’amendements créant des dépenses supplémentaires. Je dois être l’un des députés les plus économes de ces six dernières années, et mes amendements ont plutôt cherché à réaliser des économies.

Le jour où nous aurons des députés fiers de faire des économies plutôt que des dépenses, peut-être que la situation changera. Souhaitons que les citoyens les encouragent dans cette direction à l’avenir !

 

Contrepoints : Enfin, une dernière question sur la triste résurgence de l’antisémitisme en France depuis les événements du 7 octobre. Une grande marche contre l’antisémitisme a eu lieu Esplanade des Invalides ce dimanche 12 novembre, et depuis cette annonce, plutôt que d’observer notre pays s’unir autour de cette cause qui ne devrait pas diviser, on n’a fait que parler de la participation ou non du RN et de la réaction de LFI de ne pas se joindre au cortège. Au-delà du grand sentiment de fatigue et de déception que cela peut procurer, est-ce que ça ne témoigne pas d’une France profondément fracturée ? Qu’est-ce que ça inspire au député de la Nation que vous êtes ?

Guillaume Kasbarian : Sur cette manifestation, qui était une initiative de la présidente de l’Assemblée et du président du Sénat, le mot d’ordre était limpide : non à l’antisémitisme, oui à la République. J’y étais, et c’était une manifestation ouverte à tous les citoyens, quelle que soit leur origine, leur couleur de peau, leur religion, leur orientation politique… Il n’y avait pas de cartons d’invitations ! Dimanche, j’étais aux côtés des Français, et je ne faisais pas le tri parmi mes voisins que je ne connaissais pas. Nous étions simplement unis pour défendre la République et lutter contre l’antisémitisme. Le reste, c’est de la petite politicaillerie qui ne m’intéresse pas et qui n’intéresse pas les gens. Soyons à la hauteur de l’unité qu’attendent une majorité de Français.

Un entretien réalisé par Baptiste Gauthey, rédacteur en chef de Contrepoints.

IVG dans la Constitution : Emmanuel Macron va déposer un projet de loi au Conseil d’État

Fondé sur le travail des parlementaires et des associations, le projet de loi constitutionnelle sera envoyé au Conseil d'État cette semaine et présenté en Conseil des ministres d’ici la fin de l'année.

En 2024, la liberté des femmes de recourir à l'IVG sera irréversible. https://t.co/4uSoIJu310

— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) October 29, 2023

 

Après le « en même temps », le  « quoiqu’il en coûte », l’heure est au « à tout prix ». Le président de la République veut sa réforme constitutionnelle « à tout prix », aussi inutile soit-elle !

La Tribune a dévoilé que le président de la République déposera cette semaine au Conseil d’État un projet de loi visant à inscrire dans la Constitution l’interruption volontaire de grossesse (IVG).

 

Pourquoi le président de la République a-t-il décidé d’intervenir ?

Le texte devrait être présenté en Conseil des ministres « d’ici à la fin de l’année », a confirmé le chef de l’État dans un message sur X (anciennement Twitter). Il devrait être examiné au Parlement au cours des premières semaines de 2024, selon les précisions de l’Élysée données lors d’un brief téléphonique, en fin de matinée. L’intervention présidentielle présente trois avantages immédiats.

D’abord, un projet de loi, contrairement à la proposition de loi sur le sujet actuellement en navette parlementaire, permet d’éviter la délicate étape d’un référendum. Et donc « de donner aux opposants au texte, qui seraient en réalité des opposants à l’IVG, une tribune totalement disproportionnée par rapport à ce qu’ils représentent en réalité ».

Ensuite, cette annonce coupe l’herbe sous le pied des Insoumis, qui comptaient la réinscrire dans leur niche parlementaire le 30 novembre. Mathilde Panot a bien dû avaler son chapeau et saluer le projet présidentiel. Quant à Manuel Bompard, invité de France Inter, il a reconnu « une grande victoire pour La France insoumise ».

Enfin, cette réforme est une bonne occasion pour Emmanuel Macron de se relancer sur le plan national, avec un succès qu’il imagine facile, alors qu’il est éloigné du pays par la guerre Israël-Hamas puis par un Conseil européen en fin de semaine.

 

Le retour du « en même temps » présidentiel

D’après les informations de La Tribune, à l’article 34 de la Constitution, il sera ajouté :

« La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté de la femme, qui lui est garantie, d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse. »

Cette rédaction retenue par le chef de l’État séduira-t-elle au moins trois parlementaires sur cinq lors du Congrès — la réunion du Sénat et de l’Assemblée nationale, indispensable étape pour modifier la Constitution ?

C’est en tout cas le retour du « en même temps » présidentiel. Pour s’assurer la plus grande majorité possible des parlementaires, le président Macron n’a pas voulu choisir entre le « droit »à l’IVG – retenu par l’Assemblée nationale –, et la « liberté »– préféré par le Sénat.

La nouvelle rédaction de l’article 34 consacrerait « la liberté » d’une femme à avoir recours à l’avortement, « qui lui est garantie », donc lui ouvre « un droit ».

Voilà où nous en sommes. Il n’en reste pas moins que cette réforme constitutionnelle est inutile et dangereuse comme nous l’avions déjà évoqué dans ces colonnes…

La politique fiscale d’Emmanuel Macron : des baisses contrebalancées par des hausses

Par Victor Fouquet.
Un article de l’IREF.

Lors de son interview télévisée du 24 septembre, Emmanuel Macron a revendiqué une baisse des impôts (hors, donc, cotisations sociales), « de plus de 60 milliards d’euros pour nos compatriotes ».

Un mois plus tôt, dans un entretien au journal Le Point, le président de la République avait avancé le chiffre de 50 milliards (« Nous avons opéré une baisse de 50 milliards d’euros d’impôts, moitié pour les ménages et moitié pour les entreprises »).

Pourtant, depuis son arrivée au pouvoir, les prélèvements obligatoires ont fortement progressé : 1196,9 milliards en 2022, contre 1036,9 milliards en 2017, soit une augmentation de 160 milliards. De même, le taux de prélèvements obligatoires est passé de 45,1 % en 2017 à 45,4 % du PIB en 2022, soit une augmentation de 0,3 point de PIB.

Les prélèvements obligatoires ont-ils baissé, ainsi que l’affirme le chef de l’État, ou augmenté, ainsi que le suggèrent les ratios publiés par l’Insee ?

En la matière, toute la difficulté vient du fait que, même en l’absence de mesures nouvelles prévues sur les prélèvements obligatoires, ceux-ci évoluent en fonction de la croissance du PIB et de l’élasticité des recettes fiscales au PIB, elle-même fortement dépendante de la croissance de ce même PIB.

Autrement dit, même en l’absence de mesures nouvelles adoptées par le Parlement à l’initiative d’Emmanuel Macron, le taux de prélèvements obligatoires aurait spontanément fluctué, même légèrement.

 

Sur longue période, les prélèvements obligatoires « spontanés » tendent à augmenter à la même vitesse que le PIB

Sur longue période, les prélèvements obligatoires « spontanés » tendent à augmenter à la même vitesse que le PIB. Leur élasticité au PIB est alors égale à 1.

En revanche, il arrive fréquemment à court terme que cette élasticité s’éloigne de l’unité.

Lorsque l’élasticité au PIB est supérieure à 1 (en général quand la croissance du PIB est forte), les prélèvements obligatoires augmentent ainsi plus rapidement que le PIB.

En 2018 et 2019, Emmanuel Macron a ainsi « profité » du dynamisme anormalement élevé des prélèvements obligatoires, avec une élasticité de 1,2 générant « spontanément » plusieurs milliards d’euros de recettes fiscales.

L’évolution spontanée entre 2017 et 2018 des recettes fiscales nettes (c’est-à-dire hors mesures nouvelles décidées par Emmanuel Macron dans le cadre du PLF 2018, qui fut son premier) a ainsi été supérieure à 16 milliards d’euros.

 

Répondre par oui ou non à la question posée est donc difficile à plusieurs titres

Tout d’abord, la composition des assiettes taxables se modifie dans le temps, notamment à la suite de la variation de taux, de sorte que les comparaisons d’une période à l’autre de données globales ou même impôt par impôt sont peu pertinentes.

Par exemple, la variation des revenus et la croissance de la masse salariale a nécessairement eu un effet sur les recettes engendrées au titre de l’impôt sur le revenu.

En l’espèce, le gouvernement a bel et bien créé en 2018 le prélèvement forfaitaire unique (PFU ou flat tax), c’est-à-dire mis en place un prélèvement proportionnel plafonné à 30 % (dont 12,8 % au titre de l’impôt sur le revenu, contre possiblement 45 %), et abaissé en 2020 de 14 % à 11 % le taux marginal de la deuxième tranche d’imposition.

Les recettes de l’impôt sur le revenu ont malgré tout augmenté. Une partie de la baisse prévue au titre du PFU a été compensée par une augmentation des dividendes versés (ici, le taux a baissé, mais l’assiette imposable a gonflé…).

Outre l’augmentation de la masse salariale, ont aussi joué en faveur d’un accroissement des recettes d’impôt sur le revenu la mise en place du prélèvement à la source (meilleur recouvrement de l’impôt) et l’inflation.

Bref, le dynamisme des prélèvements obligatoires ne tient pas nécessairement à des décisions d’augmentations des impôts, mais peut s’expliquer par leur forte élasticité au PIB, une forte réactivité des agents économiques à l’impôt, et une forte inflation.

 

Le président Macron communique sur les baisses en omettant, semble-t-il, de mentionner les hausses…

Ensuite, la baisse de certains impôts peut avoir pour effet d’élargir l’assiette d’autres impôts, ainsi augmentés à la suite d’une baisse décidée sur un autre impôt.

Par exemple, en 2019, les allègements de cotisations sociales ont renforcé les bénéfices des entreprises, donc élargi l’assiette de l’impôt sur les sociétés dont le rendement a augmenté de 5,6 milliards d’euros. De même, le chiffrage à 20 milliards sur deux ans de la baisse des impôts de production annoncé par le gouvernement n’a pas tenu compte de l’effet retour de la mesure sur les recettes de l’impôt sur les sociétés, ce qui en a réduit l’impact à hauteur de 2,8 milliards. Idem avec l’effet retour du bouclier tarifaire, là encore sur les recettes de l’impôt sur les sociétés (+ 0,7 milliard en 2022).

Enfin, plusieurs questions demeurent sans réponses à la seule lecture de la déclaration du chef de l’État.

Dans le montant de 60 milliards annoncé, Emmanuel Macron tient-il compte des mesures antérieures non reconduites par son exécutif ?

En 2018, la non-reconduction des contributions exceptionnelle et additionnelle sur l’impôt sur les sociétés de 2017, et la montée en charge du CICE ont par exemple fait baisser les prélèvements obligatoires de 8,5 milliards d’euros.

De même, tient-il compte des 6,1 milliards liés en 2024 à l’indexation du barème de l’impôt sur le revenu sur l’inflation, sur laquelle le gouvernement communique ces derniers jours au nom de la « protection du pouvoir d’achat », laissant à penser que cette indexation est « exceptionnelle », alors que le barème progressif de l’impôt sur le revenu est, sauf exceptions (le barème n’a été gelé qu’en 2011 et 2012), indexé chaque année.

Inversement, et par cohérence, du côté des hausses de prélèvements obligatoires, tient-il compte de la non-indexation des barèmes progressifs de l’IFI et des droits de succession et de donation, qui accroît subrepticement les recettes fiscales de ces deux impôts ?

Faut-il tenir compte de la diminution des recettes des taxes sur l’énergie, la TICFE/CSPE (-7,3 milliards en 2022 au titre de la CSPE), liée au bouclier tarifaire, et, dans le sens de l’augmentation des prélèvements obligatoires, de la contribution sur la rente inframarginale (+1,2 milliard en 2022 et + 3,7 milliards en 2023), de la contribution exceptionnelle de solidarité des raffineurs (+ 0,2 milliard en 2023, en passe d’être reconduite en 2024), de la taxe sur les services numériques (+ 0,3 milliard en 2019), ou encore de la taxe sur les concessions autoroutières et aéroportuaires (+0,6 milliard attendus en 2024) ?

Si l’on tient compte à la fois de l’évolution des prélèvements obligatoires liée à des mesures nouvelles en lois de finances, et de leur effet sur le solde public, on retrouve bien une baisse de l’ordre de 60 milliards d’euros, à parité entre ménages et entreprises (bien que cette distinction soit peu pertinente compte tenu des phénomènes d’incidence et de répercussion fiscales) :

  • suppression progressive de la taxe d’habitation (18 milliards environ) ;
  • baisse des impôts de production (-10 milliards en 2021, -4 milliards en 2023, -4 milliards entre 2024 et 2027) ;
  • baisse progressive du taux d’impôt sur les sociétés (-1,2 milliard en 2018, -0,8 milliard en 2019, -2,5 milliards en 2020, -3,7 milliards en 2021, et -2,1 milliards en 2022, soit un total de -9,3 milliards, auquel il conviendrait d’ajouter l’effet de la réforme du 5e acompte) ;
  • réforme du barème de l’impôt sur le revenu (-5 milliards  en 2020, auquel il faudrait ajouter l’effet de la défiscalisation des heures supplémentaires) ;
  • création de l’IFI (-3,2 milliards en 2018) ;
  • suppression de la CAP (« redevance télé » -3,2 milliards en 2022) ;
  • instauration du PFU (-1,4 milliard en 2018).

 

Mais, outre les augmentations spontanées, on ne tient là pas compte d’autres hausses de prélèvements obligatoires, liées directement à des mesures prises par l’exécutif.

À titre d’exemple, la fiscalité énergétique et celle du tabac avaient augmenté de 6 milliards d’euros sur la seule année 2018. On pourrait aussi citer la revalorisation par la loi (c’est-à-dire par l’État), chaque année, de l’assiette des taxes foncières.

Bref, le président Macron communique sur les baisses en omettant, semble-t-il, de mentionner les hausses…

Voir sur le web. 

Réponse à Libération et son « Allez la Rance » : la France des années 1950 où tout le monde s’aime et que j’ai connue

Eh oui, j’ai connu la France des années 1950 – je suis né en 1951 -, celle de mon enfance parisienne. Guillaume Tion, l’auteur d’un article paru dans Libération, fait partie de ces jeunes (pour moi) qui ne le savent pas, et ne cherchent pas à le savoir.

Le titre de son article méprisant, consacré à la Cérémonie d’ouverture de la Coupe du monde de rugby, au Stade de France, le 8 décembre 2023, se termine par « Allez la Rance. » censé rimer avec « Allez la France », mais en fait ça ne rime à rien.

Le zinneke1 que j’étais, comme disait mon grand-père maternel, a grandi dans cette France bon enfant, qui, en se développant, grâce à la liberté retrouvée, oubliait le temps où les Français ne s’aimaient pas : cette France existe toujours en province.

Tout le monde n’était pas riche – mon père ne l’était pas encore -, mais l’espoir de le devenir était là2. La France continuait à se faire connaître par sa gastronomie, son artisanat, sa mode, ses traditions (qui ne conservent en fait que ce qui peut perdurer).

Les Français n’étaient pas des enfants gâtés comme certains, tel Guillaume Tion, le sont devenus. Ils travaillaient dur, ils n’étaient pas mal élevés comme il le prétend, les imaginant rotant à table quand ils étaient en famille, et qu’ils se sentaient entre eux.

Plus loin, le folliculaire ne manque pas de qualifier d’extrême droite les pensées qui sous-tendent ce spectacle, ne comprend pas que Macron ait été hué, ne voit pas que le président jupitérien lui ressemble par sa condescendance pour la France d’en bas…

Dans Le Figaro, Thomas Morales, qui doit être de la même génération que Guillaume Tion, répond à tous ceux qui, comme lui, ont vu dans Ovalie, le petit village reconstitué sur la pelouse du Stade de France, « le sceau d’un enracinement dangereux3» :

« Devra-t-on bientôt interdire l’usage du triporteur à l’écran comme objet de locomotion fascisant ? Je préférerai toujours Dary Cowl et René Fallet pour représenter une France fictive qu’un wokisme inquisiteur à la manœuvre. »

Pour ma part, à ceux qui les dénigrent et ne sont que des humanistes de pacotille, je préférerai toujours, non seulement les gens de chez nous (ou tous ceux qui s’y sentent bien), mais encore ceux qui emploient La langue de chez nous pour les célébrer :

C’est une langue belle avec des mots superbesQui porte son histoire à travers ses accentsOù l’on sent la musique et le parfum des herbesLe fromage de chèvre et le pain de froment

Yves Duteil (1985)

Sur le web

  1. En Belgique, sobriquet que se donnent les Bruxellois, en soulignant leur caractère multiculturel ou cosmopolite. (Larousse)
  2. Ce n’était pas encore honteux de vouloir être riche quand on n’appartenait pas au camp du Bien.
  3. Les accusations de racisme ne sont jamais loin.

Macron chez HugoDécrypte : le festival des dépenses

Santé mentale, écologie, abaya, rythme scolaire, parcoursup, pacte enseignant, inflation, vie étudiante, sélection à l’université… Autant de sujets abordés par Emmanuel Macron lors de son passage de presque deux heures chez le YouTubeur HugoDécrypte, ce lundi 4 septembre 2023.

Dans cet exercice dans lequel le président de la République a l’habitude d’exceller, ayant réponse à tout ou presque tout, les maux de la démocratie française ont surgi de manière éclatante, tant dans les questions de l’intervieweur que dans les réponses de l’interviewé.

À côté de l’hyperprésidentialisme français, examiné dans un précédent article, l’addiction aux dépenses publiques, le mythe de l’argent magique, la déresponsabilisation ou l’obsession égalitaire sont autant de pathologies constitutives d’un réflexe étatique si profondément enfoui dans notre inconscient collectif qu’il n’est plus jamais questionné.

Pourtant, il y a de la matière, si tant est qu’on se débarrasse des œillères de l’interventionnisme.

 

D’abord, pas une seule thématique n’est abordée sans qu’HugoDécrypte n’avance plus ou moins subtilement que tous les problèmes de la France viennent d’un trop peu d’engagement de l’État, abordé d’ailleurs sous le seul angle budgétaire. Les problèmes de santé mentale des jeunes ? Un manque de moyens ! L’insuffisance des politiques environnementales françaises ? Un manque de moyens ! La crise de vocation chez les professeurs ? Un manque de moyens !

Et peu importe qu’en 2022, les dépenses publiques de la France représentaient 58,1 % du PIB, contre une moyenne de 49,8 % dans l’Union européenne. Jamais ne sont interrogés la gabegie de l’utilisation de l’argent public, le poids de l’administration et de la bureaucratie, la centralisation excessive, bref, tous les facteurs pourtant pertinents pour expliquer les failles de notre système de santé, d’éducation, de maintien de l’ordre, de justice, etc. Alors même que la France est championne du monde des dépenses publiques, l’idée selon laquelle notre problème ne provient pas d’un manque d’argent, mais plutôt de son utilisation, ne parvient pas à faire son trou dans un débat public de plus en plus sclérosé.

Pourtant, Emmanuel Macron semble en avoir au moins partiellement conscience, par exemple lorsqu’il répond au journaliste que la France est un des pays qui « socialise le plus le coût des études supérieures », que « c’est un système extrêmement généreux » ou encore que l’« on a socialisé beaucoup de choses »… Autant d’éclairs de lucidité dont on regrette qu’il n’en tire pas les conclusions naturelles dans sa pratique du pouvoir.

La séquence où le président et HugoDécrypte échangent sur l’état de l’université française est à cet égard éclairante.

D’abord, l’angle choisi par le YouTubeur pour aborder ce sujet : le manque de moyens dans l’université contribuerait à y réinstaurer une sorte de « sélection » (dont on comprend, sans qu’il n’ait besoin de le verbaliser, qu’elle est condamnable).

Un coup d’œil rapide sur la situation réelle de l’université française offre toutefois un tableau bien différent.

Si on regarde le budget de l’État alloué à l’enseignement, on remarque qu’une priorité est mise sur l’enseignement secondaire (2,2 % du PIB en 2021, contre une moyenne de 1,8 % du PIB dans l’Union européenne) au détriment du supérieur (0,6 % du PIB en 2021, contre une moyenne de 0,8 % du PIB dans l’Union européenne). Cela n’empêche qu’en absolu, l’État n’a cessé de mettre davantage d’argent dans l’enseignement supérieur.

En effet, les dépenses pour l’enseignement supérieur, aux prix 2021, sont passées de 12,4 milliards d’euros en 1980, à 36,3 milliards en 2021. Probablement en raison de l’augmentation du nombre d’étudiants inscrits dans le supérieur, les dépenses moyennes par étudiant ont, dans l’ensemble, stagné depuis le début des années 2000 (11 440 euros par étudiant aux prix 2021 en 2000, 12 980 euros par étudiant en 2011, 11 630 euros par étudiant en 2021).

Ces chiffres peuvent accréditer en partie l’argumentaire d’un manque de moyens dans nos universités, si l’on décide, comme l’a fait le journaliste ici, de ne pas interroger l’efficacité de ces dépenses. Or, c’est précisément sur ce point que devraient se concentrer toutes les discussions.

Pourrait-on, avec le même niveau de dépenses publiques, faire mieux ?

En prenant soin d’éviter l’écueil du « yakafokon », la réponse à cette question est assurément positive. À défaut de pouvoir être exhaustif, prenons un exemple : l’absence de sélection à l’université dans les filières sous tensions (on pense par exemple à toutes les disciplines de sciences humaines et sociales). Le refus de trier les étudiants à l’entrée en première année est en vérité un cadeau empoisonné pour eux, et qui coûte cher au contribuable.

Car dans la réalité, ne pas sélectionner les étudiants dans des filières qui possèdent peu de débouchés ne fait que repousser le moment de la discrimination. Les étudiants déçus perdent du temps et de l’énergie dans une filière bouchée, et manquent peut-être pour certains une véritable vocation, faute d’une orientation effective.

Et le pire dans tout cela, c’est que ce système de non-sélection ne parvient même pas à remplir sa mission première : la réduction des inégalités. Il suffit, pour s’en convaincre, de jeter un œil aux profils et parcours des agrégés d’histoire ou de philosophie, majoritairement des « normaliens » ou « SciencePistes » passés par la case « prépa ».

L’argent investi dans l’entretien de ces étudiants ne serait-il pas mieux employé s’il était réinvesti dans l’orientation, la revalorisation des salaires des enseignants-chercheurs, ou la rénovation de certains amphithéâtres vétustes ?

Enfin, le délitement du sens de la responsabilité individuelle, trait typique de la culture collectiviste, joue ici plein pot, et on ne saurait négliger son importance.

Comment cela se fait-il que l’on considère qu’il est normal que l’État finance des études dont l’objectif principal n’est pas, in fine, la capacité de l’étudiant à trouver un emploi ? En effet, n’est-il pas logique de penser que l’étudiant d’aujourd’hui, qui bénéficie de la solidarité nationale, soit le contribuable de demain ? La gratuité de l’éducation, dont on peut comprendre la logique et la justification, montre ici ses limites : inefficacité et déresponsabilisation.

Ce qui apparaît ici comme une évidence ne l’est apparemment pas pour beaucoup, et la question posée par HugoDécrypte en témoigne. Jamais il ne lui vient à l’idée de demander, lorsqu’il dénonce un manque de moyens dans un secteur A, s’il faut ponctionner le secteur B, C, ou D. La raison est simple : ce dilemme ne lui vient pas à l’esprit car, puisque l’argent est magique, il suffit d’aller le chercher « là où il est », et d’augmenter toujours plus les dépenses de l’État.

Tant pis si le poids des prélèvements obligatoires est de 47 % du PIB (2021) contre une moyenne de 41,7 % dans les pays de l’Union européenne. Et quand, après augmentation des impôts, les résultats ne seront toujours pas à la hauteur, on ne manquera pas de s’exclamer « Tax the rich ».

Sur ce point, au moins, nous sommes efficaces.

Rentrée politique : la démocratie française face à ses vieux démons

À l’instar des petites têtes blondes qui vont retrouver, ce lundi 4 septembre, le chemin de l’école, nos politiques font leur rentrée. Universités d’été, discours de rentrée, annonces politiques « fortes », chaque camps place ses cartes et déjà l’on sent peser sur la vie politique française l’ombre… de 2027.

 

Un échiquier politique fracturé

Au sein de la majorité, Gérald Darmanin a lancé les hostilités dans son fief de Tourcoing, avec un discours de rentrée dont les intentions ne font pas de doutes. Emmanuel Macron ne pourra pas se représenter et, bien qu’il soit au début de son second mandat, les héritiers putatifs s’engagent déjà dans une guerre de succession qui ne fait que débuter et qui touchera assurément au-delà du camp macroniste (Bernard Cazeneuve, Édouard Philippe…).

À gauche comme à droite, le tripartition de la vie politique et l’instabilité du bloc centriste imposent un choix politique auxquels les ténors des partis de « l’ancien monde » peinent à répondre : faut-il se rapprocher d’un centrisme réformateur occupé aujourd’hui par le parti présidentiel, ou au contraire se radicaliser vers la droite et la gauche ?

Chez Les Républicains, Éric Ciotti semble avoir fait le choix de la seconde option en poussant, lors de son discours dans la salle de Le Cannet (Alpes-Maritimes), la question migratoire et sécuritaire. Cette stratégie de droitisation, qui consiste à offrir une alternative « compétente » et « responsable » au Rassemblement National et à Reconquête tout en allant sur leur terrain, est un pari risqué, contesté par certains à droite. Dans une interview donnée au journal Le Figaro, Jean-Pierre Raffarin prône plutôt un rapprochement vers le centre, et donne en filigrane son soutien à Édouard Philippe et son parti Horizon.

À gauche, les fractures sont encore plus profondes. La tentative de constitution d’une liste commune aux prochaines législatives européennes ajoute un nouvel acte à la pièce tragique, classique de la Cinquième République, qu’est l’union de la gauche. Lors de son discours à l’Université d’été du Parti socialiste, Olivier Faure a ainsi déploré que l’union lui semblait impossible, renvoyant la responsabilité à la décision des communistes et des écologistes de faire bande à part. Dans ce paysage aux airs apocalyptiques, un zombie de la politique française a même tenté un énième retour, dont il faut au moins saluer l’audace. Invitée des Universités d’été de La France Insoumise, Ségolène Royal, la candidate malheureuse de 2007, s’est dit prête à mener une liste d’union de la gauche aux européennes de 2024.

 

L’obsession de 2027 : symptôme d’un hyperprésidentialisme à bout de souffle

Ces luttes de pouvoir au sein même des différentes familles politiques sont inévitables dans des systèmes pluralistes, en ce qu’elles constituent une première « étape démocratique » où s’effectuent des arbitrages « internes » d’ordres politique, philosophique et stratégique.

La droite sécuritaire, conservatrice et sociale, qui prône un État fort autant sur les questions régaliennes qu’économique, et met l’accent sur une politique migratoire stricte et restrictive, se différencie en effet d’une droite libérale plus progressiste exigeant un désengagement de l’État.

De la même manière, la gauche identitaire qui célèbre Médine n’a plus grand-chose en commun avec la gauche sociale-démocrate et laïcarde, comme le montrent les récents débats autour de l’interdiction du port de l’abaya à l’école.

Bref, les luttes de pouvoirs au sein des familles politiques sont partie intégrante du jeu démocratique.

En France toutefois, toute la vie démocratique est centrée autour d’un moment qui concentre toutes les passions : l’élection présidentielle.

Alors même que la prochaine échéance arrive dans un peu moins de quatre ans, chaque politique, chaque journaliste, chaque citoyen a les yeux rivés sur 2027. Il suffit d’observer à quel point les partis qui ne reposent pas sur une figure forte et charismatique sont presque systématiquement sanctionnés électoralement, pour mesurer à quel point la personnalisation du pouvoir gangrène notre vie politique. Les résultats du premier tour de l’élection présidentielle 2022 vont dans ce sens : les trois blocs se sont constitués autour de trois personnalités, que sont Emmanuel Macron, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon.

En France, l’instabilité et les divisions qui traversent les trois camps politiques ne sont pas le produit des mécanismes de création du compromis par les institutions, comme cela devrait l’être dans une démocratie fonctionnelle, mais bien de l’absence de leader naturel. Plutôt que de se diviser sur le fond, la vie partisane française est centrée autour d’un objectif unique : préparer et gagner l’élection présidentielle.

Dans cette obsession présidentialiste réside, je le crois, le cœur de la pathologie démocratique qui affecte la France.

 

Rencontre Macron-Oppositions : l’absolutisme inefficace dans toute sa splendeur

Dans un ouvrage qui a fait date, Jean-François Revel a forgé l’expression d’absolutisme inefficace. Il entendait dénoncer un paradoxe caractéristique de la Cinquième République : l’hyperprésidentialisme et l’extrême concentration et centralisation du pouvoir, desquels on serait en droit d’attendre une efficacité accrue, s’accompagnent en réalité d’une inertie qui pousse à l’immobilisme, et tue dans l’œuf toute tentative de réforme ambitieuse.

Le parti présidentiel, qui n’a de parti que le nom puisqu’il repose en réalité sur l’unique personnalité du chef de l’État, a poussé jusqu’au paroxysme cette logique malheureuse, comme en témoigne la succession de « gadgets » politiques et d’annonces en tout genre qui donnent le sentiment qu’une révolution est En marche, alors qu’en réalité rien ne change. La « rencontre de Saint-Denis », qui a eu lieu ce mercredi 29 août, entre le président de la République et les onze chefs des partis représentés au Parlement, est une manifestation éclatante de cet absolutisme inefficace.

Olivier Véran, porte-parole du gouvernement, a vu dans cette rencontre un moment « qui pourrait bien marquer l’histoire démocratique de notre pays », et s’est enthousiasmé que « des gens qui ne se parlent pas, qui ne s’entendent pas, qui ne se comprennent pas, qui ne pensent pas la même chose et même se combattent […] ont décidé de se parler à huis clos, ont décidé d’échanger, ont décidé de partager des accords, des désaccords et ce jusqu’au milieu de la nuit ».

En se félicitant ainsi d’avoir réinstauré un dialogue, le porte-parole du gouvernement donne, sans le vouloir, la meilleure preuve du malaise démocratique que traverse le pays.

En effet, dans son Introduction à la philosophie politique, Raymond Aron explique très justement que le propre des systèmes démocratiques est de créer du compromis par le jeu institutionnel. Or, l’espace privilégié de cette institutionnalisation du compromis, c’est le Parlement, et non un huis clos au sein duquel des représentants politiques discutent de l’avenir du pays !

Une démocratie en bonne santé ne devrait pas avoir besoin de ce genre de rencontres, puisqu’il existe déjà des institutions chargées d’organiser ce dialogue.

 

De la démocratie représentative à la tyrannie de la majorité : le danger de la passion référendaire

Enfin, la volonté affichée, de la part de l’opposition et de la majorité, de recourir à des référendums sur différents sujets est un signe supplémentaire de la déliquescence de la démocratie représentative et de la délégitimation du Parlement, plus que jamais condamné à l’impuissance.

Il faut ici distinguer les causes institutionnelles de l’hyperprésidentialisme des causes culturelles, même si les premières influencent les secondes, et inversement. En effet, la dérive présidentialiste des institutions de la Cinquième République va de pair avec une quête ininterrompue et toujours déçue d’un homme providentiel.

Cette culture politique se caractérise également par cet étrange mariage entre le culte de 1789, qui fait que le peuple français se vit fièrement comme le peuple révolutionnaire par excellence, et une attitude résolument conservatrice qui pousse chacun à refuser tout changement lorsque celui-ci passe du slogan au texte de loi. Si dans les manifestations, les Français ne manquent pas de réclamer le changement au nom de l’intérêt général, ils se montrent beaucoup plus réticents s’il doit se faire au détriment de leurs intérêts propres : « oui à plus de taxes, seulement si je ne suis pas concerné… »

De fait, la vie politique française est rythmée par des épisodes pseudo-insurrectionnels (Gilets jaunes, réforme des retraites, émeutes des banlieues…) ou les Français « jouent » à la Révolution. Le décalage entre ces appels répétés au changement radical et la réalité de l’immobilisme chronique de notre système politique crée chez les citoyens un sentiment de frustration et de dépossession du pouvoir.

Pour répondre à cette insatisfaction, le référendum, par sa simplicité, apparaît comme l’outil providentiel permettant de redonner du sens à la souveraineté populaire : le peuple vote, l’État exécute. Mais c’est oublier bien vite que l’outil référendaire peut être un instrument au service d’un pouvoir ou de décisions autoritaires. Au XIXe siècle déjà, Alexis de Tocqueville avait analysé comment la démocratie pouvait soit être libérale, soit être despotique.

L’échec des institutions représentatives pourrait signifier l’entrée de la France dans la seconde catégorie, la confrontant au risque de la tyrannie de la majorité.

 

Conclusion

L’absolutisme inefficace débute sur ces lignes :

« Il a, dans l’exercice de la fonction présidentielle, su conjuguer, en un désastreux et paradoxal mariage, l’abus de pouvoir et l’impuissance à gouverner, l’arbitraire et l’indécision, l’omnipotence et l’impotence, la légitimité démocratique et le viol des lois, l’aveuglement croissant et l’illusion de l’infaillibilité, l’État républicain et le favoritisme monarchique, l’universalité des attributions et la pauvreté des résultats, la durée et l’inefficacité, l’échec et l’arrogance, l’impopularité et le contentement de soi. »

Jean-François Revel parlait à l’époque de François Mitterrand. On ne peut s’empêcher de penser que cette critique s’applique parfaitement à Emmanuel Macron. C’est pour cette raison que Revel avait raison de poursuivre : « le coupable de ces maux n’est pas l’homme, c’est l’institution ».

C’était en 1992, et l’analyse n’a pas pris une ride.

Alors, que faire ?

Parce que les causes institutionnelles et culturelles se confondent, la résolution de l’immaturité démocratique française n’appelle pas de réponse unique et évidente. Il reste que, si l’on ne peut pas modifier comme bon nous semble la culture et les mœurs politique d’un peuple, on peut réformer les institutions d’un pays.

La fin de l’élection du président de la République au suffrage universel direct serait un premier pas bienvenu pour enfin débuter notre sevrage de la drogue présidentialiste. Cela permettrait également de redonner au Parlement toute l’importance qu’il devrait avoir, en faisant de l’élection législative le grand moment démocratique.

Pour le moment, et sans excès de pessimisme, rien n’indique que les conditions soient réunies pour un tel changement institutionnel. De plus, on peine à trouver le parti politique duquel pourrait émerger des propositions allant en ce sens.

David Lisnard, avec son parti Nouvelle Énergie pour la France, survient peut-être comme une éclaircie dans un ciel ombrageux. Le maire de Cannes, qui tente d’occuper la place au centre-droit de l’échiquier politique, a fait sa rentrée politique sur la chanson I’m free du groupe britannique The Who.

Libéral assumé, il s’est fait remarquer lors de la rentrée du Medef en s’opposant aux aides aux entreprises, affirmant qu’il fallait « supprimer les 145 milliards d’aides aux entreprises et supprimer au moins d’autant la fiscalité des entreprises », puisqu’elles représentent un « boulet de compétitivité au pied par des surprélèvements ».

Son entretien donné à Valeurs Actuelles est également encourageant : réduction des dépenses publiques, lutte contre la bureaucratisation, décentralisation… Mais cela suffira-t-il à faire bouger les lignes ?

Permettons-nous de douter.

Une rentrée sous le signe de la déroute totale

Par : h16

Nous sommes le 1er septembre, et conformément à tout ce qu’on pouvait prévoir, la rentrée est déjà particulièrement piquante pour Macron et son gouvernement.

Il faut se résoudre à l’évidence : la situation est quelque peu tendue.

Sur le plan politique, la multiplication des 49.3 et autres agitations cosmétiques commencent à peser sur le petit chef de l’État, à tel point que pour ne pas changer les formules qui occupent le terrain médiatique sans produire le moindre résultat, il a une nouvelle fois convoqué des gens pour leur parler. Parfois, ce sont des citoyens. D’autres fois, des grands patrons. Cette fois-ci, ce fut les chefs de partis de l’Assemblée.

De ceci, il ne ressortira d’autant plus rien du tout que très visiblement, même Macron n’a aucune idée de ce qu’il fait. Il brode. Il improvise. Il frétille.

Pendant ce temps, la France coule.

C’est visible partout, et les gesticulations politiques – qui n’intéressent finalement qu’un petit milieu autocentré – ne parviennent plus à camoufler le véritable effondrement de ce qui, jadis, faisait la réputation française.

Certes, pour le moment, l’art culinaire n’est pas encore complètement saboté, mais il n’en va pas de même du légendaire système de soins (que le monde nous aurait envié, il y a encore quelques dizaines d’années). Les articles se suivent et se ressemblent de personnes mourant dans des couloirs de services d’urgences ou de patients oubliés des douzaines d’heures sans soins.

Petit à petit, les Français se rendent compte que leurs urgences hospitalières n’offrent plus aucune garantie ni de moyen, ni de résultat, et que pour certaines, il y a une vraie prise de risque à les fréquenter comme en témoigne le récit affolant de cette mère de famille confrontée au CHU de Bordeaux dont on se demande s’il n’a pas sombré dans le tiers-monde avec certains quartiers de la ville.

La France, c’était aussi – il y a vingt ou trente ans – une diplomatie reconnue sur toute la planète. Dans ce domine, les choix calamiteux, consternants et systématiquement contre-productifs des présidents Sarkozy, puis Hollande et Macron à présent ont résolument conduit au désastre actuel qui atteint son apothéose avec ce qui se passe actuellement au Niger et, plus récemment encore, au Gabon.

Avec une obstination qui confine au crétinisme pathologique, nos décideurs se rassureront en expliquant que tout ça n’est que la faute des Russes, forcément.

La France, c’était aussi une instruction à la portée de tous.

À présent, c’est devenu un véritable champ de foire et l’occasion pour certains de pousser leurs agendas politiques les plus toxiques de toutes les façons possibles. La récente polémique vestimentaire (les abayas, ça change vraiment des burkas et des tchadors, tiens), attisée par ce freluquet d’Attal, nouveau ministricule maintenant en charge de l’Éducation nationale, masque mal l’absence maintenant complète d’objectifs clairs pour l’institution, en perdition dans ses programmes, ses réformes et ses principes grandiloquents depuis longtemps inapplicables, et surtout de résultats tangibles pour les élèves français dont le niveau sombre inexorablement.

La France qui fut jadis une nation puissante et riche, doit maintenant tenter de rétablir ses finances grâce aux fabuleux conseils d’un poussif auteur de romans de gare sulfureux dont les élucubrations économiques ont déjà provoqué de gros dégâts. Prétendant lutter contre l’inflation, c’est sur Bruno Le Maire qu’on devra compter pour tenter de juguler l’effondrement de la consommation des Français : si les achats d’épicerie et de crèmerie baissent par exemple de 2 %,  ceux relatifs à l’entretien, la droguerie, l’hygiène et les alcools dégringolent de 10 %, ce qui est sans précédent.

Le peuple coupe dans le non-essentiel avant d’avoir à le faire aussi dans l’essentiel (l’alimentaire), pendant que le Bruneau de Bercy se gargarisera de ses résultats fantasmés.

Bref, c’est une déroute totale.

Malheureusement, ces constants n’ont en fait rien de surprenant : les dirigeants français se succèdent au pouvoir depuis trente ans en s’entre-promouvant les uns et les autres, sans pourtant avoir démontré la moindre capacité à prévoir, planifier et anticiper ce qui se passe et ce qui, bien souvent, était pourtant prévisible, et même prévu.

Certains, trop généreux, partiront du principe que ces bourdes à répétition et ces choix politiques calamiteux sont le fait d’un plan mûrement réfléchi, d’une espèce de volonté de sabotage qui aurait, plus loin, une concrétisation, un aboutissement spécifique recherché par ces dirigeants. Malins, tout se déroulerait comme prévu, c’est-à-dire mal.

Ce n’est pas le cas : s’il est clair qu’il y a – parfois – la volonté d’obtenir l’une ou l’autre réaction de la part de l’opinion publique, s’il est évident que des opérations psychologiques sont – parfois – mises en place, et que ces dirigeants ont bien du mal à cacher une vision à la fois malthusienne, collectiviste et complètement viciée de l’humanité, il est aussi clair que les actuels dirigeants n’ont tout simplement pas les moyens pratiques et encore moins intellectuels d’aboutir à leurs fins sans se gameller assez spectaculairement.

Et non seulement, comme tout humain faillible, ils font des erreurs, des bévues, des boulettes et des gaffes, mais elles ont actuellement tendance à se multiplier à mesure que leurs plans, leurs historiettes (qu’on appelle « narratifs » de nos jours pour être à la mode) sont dépassés par la réalité, que leurs petites manipulations sont éventées, que leurs manigances tournent au fiasco.

Confondant leur suffisance avec un machiavélisme qui leur est inatteignable, toisant le peuple seulement parce que ceux qui les entourent sont avachis ou encore plus bas qu’eux, ils affichent leur arrogance de plus en plus ouvertement (dernier exemple en date ici).

Alors oui, ils ne sont pas tous idiots, mais il est loin le temps où les dirigeants étaient effectivement issus de l’élite, qu’ils s’illustraient par la vivacité de leur esprit, des traits de caractères brillants ou une intelligence hors norme.

La France n’est plus que l’ombre d’elle-même : cela fait longtemps que nous n’y avons plus sélectionné des dirigeants parmi la crème de la crème. Nous n’avons plus que des arrivistes, bourrés de tics et de vices, qui nous emmènent à la misère et à leur propre destruction, tout en étant persuadés d’avoir tout mieux compris que les autres.

Ce pays est foutu.

Sur le web

Dissolution de LFI : derrière la provocation, la partialité d’une arme politique

Connaissez-vous la « dissolite » ? Maladie méconnue mais répandue, elle touche essentiellement les présidents de la République et est apparue pour la première fois en 1934, lorsque des parlementaires, effrayés par les événements du 6 février, ont souhaité bénéficier d’une arme juridique pour lutter contre les groupes paramilitaires pouvant potentiellement mettre en péril le régime républicain.

23 mois de réflexion plus tard, la loi du 10 janvier 1936 était votée, depuis intégrée à l’article L. 212-1 du Code de la sécurité intérieure. Un mois plus tard, trois groupes royalistes et proches de Charles Maurras sont dissous par décret.

Initialement destinée à viser les groupes de combat et milices privées, le champ d’application de cette loi s’est progressivement étendu au fil des circonstances politiques : mouvements collaborationnistes (1951), promouvant des troubles en Algérie (1960), groupuscules racistes (1971), ou encore terroristes (1986). Le texte est modifié à dix reprises en l’espace de 80 ans.

Si nous parlons de ce texte aujourd’hui, c’est que l’actualité nous en rappelle l’existence. Après l’annonce de la dissolution du mouvement catholique Civitas par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin le 8 août dernier, un tweet d’une députée Renaissance a ouvert le débat sur la possibilité d’envisager la même sanction pour ni plus ni moins que la France insoumise (LFI). Or, on le sait, lorsqu’on ose mettre la gauche face à ses contradictions, la polémique n’est pas loin.

 

Une habituée de la lutte contre l’antisémitisme

Suppléante de Stanislas Guerini aux élections législatives de l’année dernière, et devenue députée à la faveur de sa nomination comme ministre de la Transformation et de la Fonction publiques, rien ne semblait prédestiner Caroline Yadan, avocate et responsable du pôle de lutte contre l’antisémitisme à la Licra, à être l’objet d’une polémique d’une telle ampleur.

Rien ? Peut-être pas, car cette spécialiste des coups médiatiques n’hésite pas à aller au charbon, tantôt maladroitement en accusant sans preuve l’activiste communautariste, ancien insoumis et proche du Comité Adama, Taha Bouhafs d’avoir été colistier d’Alain Soral lors des élections européennes de 2009 (Bouhafs n’avait que 12 ans…), tantôt en défendant avec vigueur le président du Crif, accusé par Jean-Luc Mélenchon d’être un représentant de l’extrême droite dans une dérive particulièrement nauséabonde de LFI.

Une dérive dont notre collègue Sacha Benhamou rappelait la nature dans nos colonnes ce samedi à travers une tristement impressionnante liste de propos et d’attitudes aux forts relents antisémites.

 

Les insoumis s’indignent

Toujours est-il qu’en marge de la dissolution de Civitas, Caroline Yadan a appelé purement et simplement à la dissolution de LFI sur ce même fondement d’antisémitisme.

La gauche, socialiste comme insoumise, a évidement crié au scandale. C’est un réflexe pavlovien chez elle, tout comme l’accusation d’instrumentalisation (vous savez, l’hôpital, la charité..?).

Un autre réflexe est la déformation de la réalité, l’eurodéputée Manon Aubry évoquant par exemple LFI comme « premier parti d’opposition en France ». Les Français seront donc heureux d’apprendre que Jean-Luc Mélenchon était au second tour de la dernière élection présidentielle et que le Rassemblement national n’a pas 13 députés de plus que LFI. Nous vivons donc dans le mensonge depuis plus d’un an. Merci Manon Aubry !

 

Quand LFI reprend le flambeau du FN

Blague à part, et quoi qu’il en soit, le parti créé en 2016 par Jean-Luc Mélenchon est un habitué des polémiques : apologie d’actes terroristes (toutefois condamnée par le chef du parti), incitation à l’insurrection et invitation d’un rappeur qui serait proche des Indigènes de la République à ses universités d’été ne sont que quelques exemples parmi d’autres.

Il serait aisé de répondre que ces actes n’engagent pas le parti dans sa globalité, comme nous pouvons arguer la même chose vis-à-vis du Rassemblement national lorsque, périodiquement, les sympathies de certains des militants du parti pour une certaine période historique refont périodiquement surface.

Et de rétorquer, comme beaucoup le faisaient du temps de Jean-Marie Le Pen, qu’il est étrange que ce parti, spécifiquement, attire ce type de profils. L’attirance de sombres personnages pour LFI interroge tout autant que pour le Front national.

Si cela ne suffit pas à envisager la dissolution du deuxième parti d’opposition de France – sinon le Front national aurait disparu depuis 35 ans – cette manie de dissoudre en dit long sur l’état de notre démocratie.

 

Une dissolution politiquement orientée

Vendredi, nous apprenions que la dissolution du Soulèvement de la Terre, groupuscule d’ultragauche connu pour ses actions de sabotage et suivi par la DGSI, était suspendue par le Conseil d’État, alors que celle de Génération identitaire, décidée au printemps 2021, était toujours effective. Le recours formé par le groupuscule a en effet été rejeté le 2 juillet suivant.

Comme le note le professeur en droit public Guillaume Drago, la dissolution d’un groupe ou d’une association n’est jamais politiquement neutre.

En ce sens, pour l’historien Nicolas Lebourg, 53 % des dissolutions concernent des mouvements d’extrême droite.

 

Une impressionnante augmentation des dissolutions sous Macron

Depuis l’entrée en vigueur de la loi de 1936, ce sont près de 156 associations qui ont été dissoutes sur sept critères différents, alors que seuls 87 ministres se sont succédé à Beauvau (un par an), soit un ratio de 1,8 dissolution par ministre et par an.

Sur ces 156 dissolutions, Gérald Darmanin en a fait exécuter vingt, à lui seul, depuis sa nomination il y a maintenant trois années.

De façon générale, depuis l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron, ce dernier a validé 35 dissolutions en un peu plus de 6 ans, soit un ratio de 5,6 dissolutions par année, et une hausse de 211 % en 9 décennies, le tout dans un cadre politiquement orienté.

Une arme antidémocratique

Né d’une loi de 1936, le droit de dissolution a toujours été orienté.

De l’Action française à Civitas, la question de la dissolution du troisième parti de France pose question mais a le mérite de mettre le doigt sur les nombreuses hypocrisies de la gauche en matière de lutte contre les discriminations, et sur l’orientation politique d’une pratique antidémocratique qui a augmenté de façon exponentielle sous Emmanuel Macron.

Plutôt que l’interdiction, la solution ne devrait-elle pas passer par une responsabilisation des organisations, et notamment sur le plan sécuritaire et financier ?

Rappelons en ce sens que depuis les dernières élections présidentielles, LFI perçoit huit millions d’euros d’aides publiques annuelles (5,3 au titre de son score à l’élection présidentielle et 2,7 à celui des élections législatives).

Les 49.3 à répétition de Macron : attention à la chute

D’habitude, la politique se fait avec des mots. Depuis le soir du 19 juin 2022, il y a à peine plus d’un an, la politique se fait avec des chiffres.

De prime abord, l’équation semblait déjà compliquée lorsque l’on regardait la composition de l’Assemblée nationale à l’issue du second tour : 245 + 131 + 89 + 61 + 22 + 10 + 10 + 4 + 1 + 3 + 1 = 577, en groupant les députés par leur positionnement déclaré.

Mais une fois effectuée la formation des groupes parlementaires, l’image de la représentation nationale semblait encore plus éclatée : Renaissance (245) + Nupes (147, soit : LFI (75) + Socialistes (27) + Écologistes (23) + Gauche démocrate et républicaine (22)) + Rassemblement national (89) + Républicains (62) + Démocrates (48) + Horizon (30) + Libertés, indépendants et outre-mer (16) + non-inscrits (9) = 577.

On a immédiatement pu constater que très peu de combinaisons de blocs permettent d’atteindre la majorité des 289 voix. Il n’y a en fait qu’un seul groupe, l’union Renaissance-Horizon qui puisse espérer s’en rapprocher avec un cumul de 275 voix, mais le compte n’y est toujours pas.

 

Un dangereux exercice d’équilibriste

Cette situation inédite dans la Cinquième République a donc conduit le gouvernement à naviguer à vue.

Elle a surtout consisté dans la première année à user et abuser des divers articles de la Constitution, en particulier le fameux 49.3, encore un autre chiffre dans ce casse-tête arithmétique. D’autant plus que va s’ajouter une autre contrainte numérique, le fameux alinéa 3 de l’article 49 de la Constitution énoncant en effet que le gouvernement ne peut engager sa responsabilité que dans trois cas de figure :

  1. Dans le cadre de la loi de finances
  2. Pour le financement de la sécurité sociale
  3. Pour une, et une seule autre proposition de loi par session parlementaire

 

La petite subtilité juridique tient dans la définition d’une session parlementaire.

Les articles 29 et 30 de la Constitution permettent en effet au président de la République d’ajouter à la session parlementaire ordinaire un « certain nombre » de sessions extraordinaires, et d’y porter à l’ordre du jour une proposition de loi pour laquelle le gouvernement pourra éventuellement engager sa responsabilité. Le nombre de sessions extraordinaires possible se détermine uniquement par la disponibilité dans le calendrier parlementaire.

Une fois tous ces chiffres posés sur la table, l’exercice ressemble à s’y méprendre à une gigantesque partie de mikado. Chaque appel aux procédures extraordinaires, 49.3 et décrets de session extraordinaire, constitue un dangereux exercice où un seul mouvement brusque ou mal maîtrisé risque bien de faire s’effondrer toute la pile.

Concrètement, tout l’équilibre ne repose que sur une seule condition : il ne faut pas fâcher les députés du groupe LR. Enfin, il faudrait plutôt dire qu’il ne faut pas fâcher les directions des groupes Républicains et Démocrates. Cet exercice de calcul périlleux tend en effet à montrer que sur les 110 députés cumulés par ces deux groupes, une bonne moitié environ fait de toute façon à peu près uniquement ce qu’elle a envie de faire.

La clef pour éviter de faire s’effondrer le mikado est d’éviter qu’à l’alliance de circonstance entre la Nupes et le Rassemblement national, quasi-systématique à chaque dépôt de motion de censure, ne viennent s’ajouter 53 voix, ce qui provoquerait immédiatement la chute du gouvernement.

 

Jusqu’à quand sera-t-il possible de continuer ainsi ?

Ce billet aurait bien pu s’arrêter là.

Cinq années de mandat présidentiel et législatif, ce n’est en somme pas très long, et nos voisins Belges ont démontré qu’un pays pouvait parfaitement se passer de gouvernement et de législature pendant un certain temps. C’est d’ailleurs ce que bon nombre de libéraux espéraient secrètement au lendemain des élections législatives : un moratoire sur cette fâcheuse habitude de voter des lois sur tout et n’importe quoi, et de restreindre ainsi chaque jour un peu plus les libertés.

Certains ont également pu croire que la France se comporterait comme ce qui se passe dans les démocraties du nord, ou comme elle s’est comportée tout au long des Troisième et Quatrième Républiques : en mettant en place une coalition, ne serait-ce que de circonstance.

Mais il faut croire que l’étendue des pouvoirs attribués au président de la République par la Cinquième République ne soit pas compatible avec un quelconque partage des pouvoirs. Faute d’une majorité sur laquelle se reposer, Emmanuel Macron a décidé de diriger lui-même les opérations.

Une nouvelle question s’est ainsi invitée au débat, à savoir : quand le mikado va-t-il donc s’effondrer ?

 

Un pays se gouverne au centre

Le paysage politique n’a que très peu varié depuis la première élection d’Emmanuel Macron, il y six années de cela.

L’électorat se divise toujours en quatre sensibilités électorales de taille à peu de choses près identiques : deux quarts distincts d’électeurs qui se plaisent à se revendiquer comme n’étant ni de droite ni de gauche, mais que tout oppose sociologiquement et idéologiquement, un autre quart d’électeurs qui se dit de droite, et enfin un dernier quart qui se dit de gauche.

La répartition politique s’est rapprochée de ce partage, mais en reflétant l’opposition entre deux conceptions opposées du ni de gauche ni de droite : celle portée par les électeurs ruraux et nationalistes à l’extrême droite, et ceux portés par les électeurs urbains et progressistes au centre.

Si cette classification selon l’emplacement des sièges dans l’hémicycle n’intéresse que très peu, voire pas du tout les libéraux, elle est un élément majeur de la rhétorique de plus en plus dominée par les postures morales.

On se retrouve donc avec un groupe dont les électeurs se revendiquent à droite, et un groupe dont les électeurs ne se revendiquent ni de droite ni de gauche, tous les deux dans une position politique centriste, c’est-à-dire dont la stratégie consiste à étendre leur majorité sur les bords ; et deux groupes, dont l’un représente des électeurs se déclarant ouvertement à gauche et l’autre, catalogué à l’extrême droite, mais dont électeurs ne se voient ni à droite ni à gauche, tous les deux en opposition et ne pouvant étendre leur majorité qu’en se radicalisant et en gringottant par-ci par-là.

Si on ajoute là-dessus que nombre de positions qualifiées de gauche sont reprises par les groupes qualifiés de droite et vice-versa, on aura une vision à peu près totale de l’imbroglio qui ne tient que parce que les électeurs des quatre fractions font soit preuve d’une dose particulière de mauvaise foi, soit ne sont pas très regardants en termes de cohérence.

 

Vers quel avenir ?

La situation politique est donc doublement instable : par la composition de l’Assemblée, et par le biais de représentation.

La démocratie est un concept simple, voire simpliste. Elle est une équation à deux facteurs : majorité contre opposition, pas à quatre.

Cette instabilité engendre à la fois une escalade et une dramatisation de la vie politique où le moindre détail peut à tout moment être monté en épingle pour déclencher un véritable psychodrame. Par réaction, il génère une fatigue des citoyens envers cette politisation omniprésente, où tout est sujet à polémique sans jamais, ni aborder les sujets qui intéressent vraiment les gens ni apporter de solutions. Un nombre croissant de personnes finissent par se désintéresser totalement de ces discours politiques hors sol et de ces accusations croisées permanentes, laissant le terrain libre aux radicaux.

Même si la société se désintéresse de plus en plus de la politique, celle-ci devient de plus en plus présente. Même si l’État est de plus en plus décrié pour ses failles, ses coûts vertigineux et ses démissions, il ne cesse d’étendre ses prérogatives. Emmanuel Macron est pris entre deux contraintes contradictoires : se montrer fort et présent, et c’est le risque d’invoquer le 49.3 de trop et de voir son gouvernement censuré, ou faire profil bas, et c’est laisser les extrêmes occuper le terrain.

La question n’est plus vraiment de savoir si le gouvernement ira au bout de son mandat. La question est de savoir quand il va tomber, dans quelles circonstances, et si le président de le République aura alors le choix de recomposer une majorité, ou s’il devra dissoudre l’Assemblée.

Toute la stratégie des Républicains tient sur le pari de mettre son champion à Matignon et d’anticiper ainsi un prolongement à l’Élysée dans quatre ans. Le prochain examen de la Loi immigration pourrait bien être l’occasion pour les Républicains d’engager une censure « négociée » du gouvernement Borne et la mise en place d’un gouvernement de « coalition » dirigé par un Laurent Wauquiez que l’on a vu récemment rendre une visite toute en courtoisie à Emmanuel Macron.

Est-ce que cela sera suffisant pour contrer la NUPES qui s’escrime chaque jour à pourrir la situation et à barrer la route au RN qui mise quant à lui sur une dissolution, tous deux espérant ainsi se retrouver l’un contre l’autre au second tour des prochaines présidentielles ?

Le libéralisme : un sens déformé

Tandis qu’un récent sondage (Harris Interactive) nous apprend que 54 % des Français souhaitent l’élection d’un « président libéral », un autre (vague IFOP 2021) révèle que pour 60 % des 18/30 ans, le mot libéralisme est positivement connoté et le deuxième dans leurs préférences lexicales. Voici qui surprend heureusement, alors que de toutes parts est annoncé que « le libéralisme est une idée du passé qui va probablement connaître une longue éclipse » (François Lenglet) ou qu’il est victime d’un « krach idéologique » (Eugénie Bastié).

Mais est-il assuré que c’est là une bonne nouvelle, qui supposerait que nos concitoyens auraient pour le coup rompu avec leur légendaire addiction pour l’égalitarisme forcené, leur propension à tout attendre de l’État et leur complaisance envers réglementations et protectionnisme ? Car bien des faits montrent que le label libéral recouvre désormais tant de confusions conceptuelles, de brouillages sémantiques et de contrefaçons qu’il en a perdu tout sens rigoureux et son identité intellectuelle historique.

 

Entre impostures et incohérences du mot libéralisme

Ainsi, à en croire médias mainstream, réseaux sociaux, chroniqueurs en vue et autorités académiques, Macron serait un président typiquement libéral, voire l’incarnation même du libéralisme.

En conséquence de quoi, ce serait là être libéral que de :

 

Et sans compter un exercice solitaire, monarchique et dirigiste du pouvoir indigne d’une vraie démocratie libérale.

C’est pour le moins se payer de mots ! Derrière le social-libéral Macron se tient en réalité un social-démocrate comme l’assure son ex-socialiste ministre Le Drian :

« La social-démocratie a changé d’adresse ! Elle est pleinement incarnée par Emmanuel Macron » – Le Point du 16 septembre 2021.

Ladite social-démocratie serait-elle donc devenue l’incarnation du libéralisme ? On hallucine.

Ces impostures prennent racine dans la même doxa voulant que notre pays soit en proie à l’ultralibéralisme. Avec un record mondial de la pression fiscale (47,4 % du PIB), une dette abyssale, une dépense publique en folie (dont un tiers pour la « dépense sociale »), des légions de fonctionnaires à vie, prétendre que la France se meurt d’un excès de libéralisme effréné est aussi hilarant que franchement débile. Mais c’est encore la qualification de libérale qui en pâtit.

Le pire est que l’emploi courant du terme libéralisme souffre par ailleurs d’une telle incohérence qu’il en prend des acceptions radicalement opposées.

C’est ainsi que récemment Luc Ferry a pu dans Le Figaro qualifier la discrimination positive d’« idée libérale » (pure absurdité !) et Eugénie Bastié évoquer le « libéral-conservatisme » de Zemmour (libéral, l’admirateur du tueur Poutine ?).

Par ailleurs, quoi de commun entre les progressistes « Libdem » britanniques ou le parti libéral canadien de Trudeau – et le FDP allemand de Christian Lindner ou le parti libéral australien de Scott Morisson ? Si l’on ajoute qu’au Parlement européen le groupe « libéral » Renew ne professe qu’un fade brouet centriste, il devient impossible de savoir de quoi vraiment il s’agit quand on parle de libéralisme.

 

Entre gauchissement et post-modernisation

Mais le libéralisme ne souffre pas seulement de ce grand n’importe quoi qui caricature sa nécessaire et bienvenue diversité d’interprétation, il se trouve en outre carrément dénaturé par son gauchissement accentué dans le monde académique et éditorial.

En effet, pour de plus en plus d’universitaires (Monique Canto-Sperber, Catherine Audard…), le libéralisme se serait « réinventé » en se socialisant et se recentrant à gauche. Supposé avoir été l’instigateur de l’État-providence (historiquement faux !), il se caractérise par un franc interventionnisme économique, fiscal et social fort de l’État.

Il romprait ainsi avec le libéralisme classique « canal historique » en s’inspirant du liberalism américain dont Dewey, Keynes, Rorty puis Rawls sont les prophètes : une contrefaçon idéologique et une perversion lexicale vertement dénoncées par Raymond Aron (Espoir et peur du siècle, 1957, p. 46) puis Jean-François Revel (La Grande parade, 2000, p. 34).

Or voici qu’avec l’acclimatation en France du culturalisme inhérent aux formes actuelles de ce liberalism, ce libéralisme de gauche tend à se muer en libéralisme post-moderne qui travestit la traditionnelle tolérance libérale en hypertolérance libertaire, la préoccupation des libéraux pour la sûreté en croisade anti-sécuritaire aveugle à l’ensauvagement de nos sociétés, le classique pluralisme libéral en multiculturalisme accueillant à l’islamisme soft, et la société ouverte en juxtaposition de communautés closes (du tribalisme, dixit Karl Popper et Ayn Rand), une dérive renforcée par la bienveillance envers l’inclusif et un wokismehostile au free speech et la liberté d’expression.

À se demander ce qui peut bien différencier un certain et « progressiste » libéralisme culturel du « gauchisme culturel » (Jean-Pierre Le Goff).

Pour remettre les pendules à l’heure et savoir ce que parler de libéralisme veut fondamentalement dire, il faut rappeler qu’il ne peut être le nom ni d’un grand n’importe quoi lexical et conceptuel, ni l’antichambre du laxisme et du relativisme.

Pourquoi alors ne pas se référer à Mario Vargas Llosa dans son récent L’Appel de la tribu (Gallimard) :

« Le libéralisme n’est pas une doctrine qui a réponse à tout […] Il admet en son sein la divergence et la critique à partir d’un corpus restreint, mais indéniable de convictions. Par exemple que la liberté est la valeur suprême et qu’elle n’est pas divisible ou fragmentaire, qu’elle est unique et doit se manifester dans tous les domaines – l’économique, le politique, le social, le culturel – dans une société authentiquement démocratique […] Nous, libéraux, ne sommes pas des anarchistes et ne voulons pas supprimer l’État. Au contraire, nous voulons un État fort et efficace, ce qui ne signifie pas un grand État attaché à faire des choses que la société civile peut faire mieux que lui dans un régime de libre concurrence. L’État doit assurer la liberté, l’ordre public, le respect de la loi, l’égalité des chances. » (p.27)

Avec cette précision capitale et si politiquement incorrecte :

« L’individualisme est un facteur central de la philosophie libérale. »

 

Article publié initialement le 11 octobre 2021

Macron à Nouméa : quelle place pour la France dans le Pacifique ?

L’entretien du président Macron à TFI le 24 juillet 2023, à l’occasion de son déplacement en Nouvelle Calédonie, est l’occasion de jeter un coup d’œil libéral sur la géopolitique du Pacifique.

 

Macron parle ouvertement de la « projection de la France » dans le Pacifique. Or, d’habitude, les dirigeants politiques ne le font pas en ces termes et à juste raison : ils savent que ce n’est pas démocratique, que les intérêts géopolitiques d’un État sont différents des intérêts des citoyens.

Pour ne pas nuire au libre marché, le rôle d’un État devrait être de « laisser faire, laisser passer », c’est-à-dire de permettre la liberté du commerce national et international aux entreprises et aux individus, dans un environnement de droit. Parler de projection de pouvoir de l’État, comme le fait Macron, ne fait rien pour faciliter le commerce des îles françaises du Pacifique, ce qui aurait été le rôle d’un État au moins théoriquement au service de la société.

Pour le gouvernement français, il ne s’agit pas du tout de commerce mais de géopolitique, de contrer l’influence de la Chine, car celle-ci est maintenant considérée officiellement comme un rival stratégique par l’Union européenne, qui s’aligne ainsi avec Washington. Ce n’est évidemment pas un hasard si la visite de Macron en Nouvelle Calédonie a eu lieu en même temps que la tournée du Pacifique du secrétaire d’État américain Anthony Blinken. Il est alors difficile pour Macron de prétendre que la France « mène des opérations de souveraineté » dans le Pacifique.

Macron dit que la zone indopacifique est « un espace soumis à toutes les tensions » et alerte sur les « nouveaux impérialismes », sans explications ultérieures. Ce manque de clarté en s’adressant à ses élus reflète à nouveau le fait que pour les dirigeants politiques, les affaires internationales ne concernent pas le peuple.

Il faut supposer que ces « impérialismes » proviennent de la Chine et de la Russie. Mais est-ce sage, pour la bonne entente entre les pays, d’évoquer des actions « impérialistes », et publiquement qui plus est ? Ce mot est fort, plein de résonances historiques, surtout pour les Chinois. Non seulement son utilisation est une accusation à peine voilée à l’encontre de ces deux pays, mais il n’a pas un grand fond de vérité.

En quoi la Russie et la Chine sont-elles « impérialistes » dans le Pacifique ?

Il faut au contraire rappeler que ce sont les États-Unis qui contrôlent une grande partie du Pacifique, y possédant de nombreux territoires, et que beaucoup d’îles juridiquement indépendantes de cet océan ne le sont pas de facto. Les États-Unis se sont longtemps considérés les maîtres du Pacifique, depuis leur prise de contrôle du royaume indépendant de Hawaï en 1893, et surtout après la victoire sur les Japonais en 1945.

Un objectif important aujourd’hui des États-Unis est de tenter de maintenir leur primauté sur cette région indopacifique.

En effet, avec les possessions françaises de leur allié, le Pacifique est une zone contrôlée géopolitiquement par les États-Unis, et quelque atteinte réelle ou perçue à ce contrôle provoque des réactions très exagérées à Washington.

Par exemple, après l’accord de sécurité signé en 2022 entre les Îles Solomon et la Chine, la Maison Blanche a déclaré « qu’il y avait des implications potentielles de l’accord sur la sécurité régionale, y compris pour les États-Unis et leurs alliés et partenaires […] Si des mesures sont prises pour établir une présence militaire permanente de facto, des capacités de projection de puissance ou une installation militaire […] les États-Unis auraient alors des préoccupations importantes et réagiraient en conséquence. ».

Pour mettre les choses en perspective, il faut noter que les îles Solomon sont un pays indépendant à presque 10 000 km de la côte Ouest des États-Unis… De plus, le président Biden n’avait-il pas dit que « les nations ont droit à la souveraineté et à l’intégrité territoriale. Ils ont la liberté de tracer leur propre chemin et de choisir avec qui ils s’associeront. » ?

Mais qui connaît la politique étrangère américaine, sait que cela n’a aucun ancrage dans la réalité.

L’État fédéral des USA est traditionnellement incapable et peu intéressé à permettre des investissements américains dans les infrastructures de ces États pacifiques. Il investit plutôt des millions de dollars par an par le biais d’organisations telles que le National Endowment for Democracy (NED) pour manipuler sa politique interne, son espace médiatique et même son système éducatif. C’est exactement ce qui s’est passé en Ukraine par exemple, et dans bien d’autres pays, avec le plus souvent des résultats désastreux.

En revanche, la Chine offre des opportunités économiques et de développement évidentes pour ces petits pays pacifiques qui pourraient donc facilement la choisir comme partenaire commercial principal, si les Occidentaux, dont la France, étaient simplement fidèles à leurs propres déclarations de non-ingérence. De plus, dans l’esprit de la politique officielle de multipolarité adoptée très publiquement par la Chine, les gouvernements de ces petits pays n’ont pas besoin d’un alignement politique ou idéologique avec Pékin, les accords économiques suffisent. C’est par exemple la même logique pour les nombreux pays impliqués dans le projet chinois de « Nouvelle Route de la Soie » et dans des projets d’investissement chinois en Afrique.

De la même manière, les îles françaises du Pacifique pourraient donc certainement aussi bénéficier de relations économiques plus proches avec la Chine. Il n’y a aucune raison que l’influence commerciale chinoise ne soit pas permise (sic) d’augmenter en Nouvelle Calédonie et en Polynésie française, pour le bien de la société locale.

D’un point de vue libéral, Macron ferait donc mieux de soutenir une indépendance accrue de la France envers les États-Unis, et de se préoccuper davantage du bien-être de la société française, aussi bien en métropole que dans le Pacifique. Ce n’est pas dans l’intérêt de la France d’avoir un chef d’État qui joue à l’apprenti géopoliticien contre la Chine, tout en se cachant derrière les jupons des États-Unis. Le commerce français ne doit pas être artificiellement entravé, et doit avoir le droit de se développer avec la Chine si elle le souhaite – bien sûr, tout en veillant au droit et à la sécurité.

Il en va de la souveraineté et du succès économique futur de la France dans tous ses territoires.

 

Uber Files : la République entre copains

Durant l’été 2022, le journal Le Monde et des médias du Consortium international des journalistes d’investigation ont publié près de 120 000 documents mettant en avant les techniques de l’entreprise Uber pour contourner les lois et s’insérer dans le marché très fermé des transports publics particuliers de personnes. Le responsable des fuites, un ancien lobbyiste d’Uber entre 2014 et 2016 nommé Mark MacGann, a joué un rôle central dans les relations entre l’entreprise et les politiques.

Sur la base de ces révélations, une commission d’enquête parlementaire initiée par La France Insoumise (LFI) a rendu ses conclusions, ce mardi 18 juillet 2023. Sans surprise, le rapport n’est pas tendre avec Emmanuel Macron et Uber, dénonçant une proximité étroite entre l’entreprise et le président de la République, ministre de l’Économie à l’époque des faits.

Il est reproché à Emmanuel Macron d’avoir « œuvré pour favoriser le développement d’Uber en France » par la réalisation d’un « deal secret ». Notons toutefois l’absence de tout acte illégal. Les accusations semblent même parfois tomber dans le procès d’intention à l’appui d’un argumentaire anticapitaliste.

Ce procès d’intention emploie le champ lexical du soupçon, de la dissimulation et du complot :

« Uber a trouvé des alliés au plus haut niveau de l’État… L’intensité des contacts entre Uber, Emmanuel Macron et son cabinet témoigne d’une relation opaque, mais privilégiée, et révèle toute l’incapacité de notre système pour mesurer et prévenir l’influence des intérêts privés sur la décision publique ».

C’est bien connu, l’État et les politiques ont le monopole de l’intérêt général, et tout intérêt privé va forcément à l’encontre du bien collectif…

Je ne reviendrai donc pas sur le fond de la commission qui laisse de toute manière place à diverses interprétations, pour me focaliser sur ce que dit cette affaire de la société française.

 

Un capitalisme de connivence délétère

D’abord, bien loin de prouver un quelconque complot d’un ministre ancien banquier qui, par pure malveillance capitalistique ou pour servir ses propres intérêts, voudrait faire plaisir à ses « amis » puissants d’Uber, ce rapport met en évidence l’extrême proximité entre les milieux politiques et les milieux privés. Du reste, ce n’est pas la première fois qu’un ministre de l’Économie entretient des relations privilégiées avec des dirigeants d’entreprise. Ce qui dérange les auteurs du rapport ne réside pas tant dans l’interventionnisme économique que le type d’entreprise pour lequel cet interventionnisme procède.

Là se noue tout le problème : ce qui est condamné est le soutien accordé à Uber, non l’intervention de l’État dans la vie économique.

En réalité, ce rapport démontre l’extrême centralisation et politisation du pouvoir en France ; fait peu souligné par les commentateurs. Ce qui devrait interroger, c’est qu’une entreprise ait besoin de passer par un ministre pour s’insérer dans un marché. En toute logique, toutes les indignations devraient cibler l’existence, en France, d’un capitalisme de connivence délétère.

Tant que l’État jouera un rôle aussi important dans l’économie, ces situations seront inévitables.

N’est-il pas ironique de voir l’immense cohorte des promoteurs d’un interventionnisme économique sans limites (de LFI au RN en passant par Le Monde…) dénoncer en chœur les relations étroites entre le ministre Macron et Uber ? « Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes »…

 

Un coup de pied dans la fourmilière plus que nécessaire

Si ces liens sont, pour les raisons esquissées plus haut, condamnables d’un point de vue libéral, il reste que l’action d’Emmanuel Macron était, à l’époque, plus que nécessaire. Il faut se rappeler de l’immense monopole des taxis sur un marché complètement fermé et sur-réglementé, aux seuls profits d’une corporation.

La rente de situation des taxis était tout à fait scandaleuse et illégitime. Surtout, elle se faisait, comme c’est toujours le cas dans des situations de monopoles garantis par l’État, au détriment des consommateurs (et donc, de ce fameux « intérêt général »…).

Comme à leur habitude, les corporations, se drapant dans les oripeaux de l’intérêt général, défendent leurs intérêts propres. Ainsi, le syndicat de taxi (UNT) a annoncé porter plainte contre Emmanuel Macron pour « trafic d’influence » et « prise illégale d’intérêt ». On retrouve ici ce geste typiquement français, où des privilégiés qui profitent d’un monopole protégé et entretenu par l’État s’insurgent à la moindre remise en cause de leurs privilèges, persuadés de se battre pour la conservation d’« acquis sociaux ».

Il est reproché à monsieur Macron d’avoir passé un deal avec Uber. Contre la suppression d’Uber Pop, l’État français acceptait de réduire drastiquement le nombre d’heures de formation obligatoires pour devenir chauffeur Uber. Pourtant, qu’est-ce qui justifie une formation supplémentaire alors qu’il existe déjà l’examen du permis de conduire ? On ne pourrait faire plus symptomatique de la bureaucratisation et de la sur-administration française : réglementer arbitrairement, entraver toujours plus les initiatives individuelles…

La simplification des démarches pour devenir chauffeur ne peut être contestée que par ceux qui, par corporatisme et avec la complicité de l’État, souhaitaient maintenir un coût à l’entrée important pour conserver un monopole dont seuls eux profitaient.

L’arrivée de la concurrence a largement contribué à améliorer le service et a permis de réinstaurer un équilibre entre l’offre et la demande. Cette dérégulation était plus que nécessaire. On regrette seulement que le président de la République n’ait pas eu la bonne idée de l’étendre à d’autres domaines…

 

Chauffeurs Uber : de l’esclavage moderne ?

Pour être complet, vient peut-être la question la plus complexe et, ayons l’honnêteté de le dire, légitime : celle de la précarisation. Il n’est pas question pour moi de relativiser la réalité des conditions de travail de certains chauffeurs. La rentabilité d’une telle entreprise repose peut-être sur les économies tirées d’une rémunération au rabais.

Mais il convient ici d’opposer deux arguments.

D’abord, à moins de considérer les individus s’engageant dans ce contrat avec Uber comme des mineurs incapables de prendre une décision rationnelle pour leur vie, on ne peut pas honnêtement réfuter que toutes ces personnes font le choix souverain d’une telle carrière plutôt qu’une autre. Là où Uber est implanté, c’est-à-dire dans les zones urbaines à forte densité, d’autres possibilités d’emplois (même peu qualifiés) existent. Malgré cela, de nombreuses personnes préfèrent travailler avec Uber.

Certes, les chauffeurs ne bénéficient pas de la sécurité du sacro-saint salariat, et cela se fait parfois au prix d’une certaine précarité. Mais à quel degré de paternalisme et d’incapacité à saisir la profonde subjectivité des individus et des déterminants de leurs actions tombe-t-on, lorsque pour certains, il est à ce point inconcevable que l’on puisse faire le choix de l’autonomie au prix de la sécurité ?

Pourquoi est-il si difficile d’envisager que l’on puisse privilégier un métier où l’on conduit sa propre voiture, avec la liberté de choisir ses horaires de travail, d’écouter sa propre musique… plutôt que de préparer des hamburgers chez McDo tout en subissant un manager en plein syndrome du petit chef, et ce même si cela implique une rémunération horaire plus modeste ?

Cette volonté de protéger les individus d’eux-mêmes ne cessera jamais de m’étonner, et est révélatrice d’une forme absolue de mépris : celle qui consiste à leur dénier la capacité d’être responsables de leurs choix.

On pourrait nous rétorquer que, s’il s’agit effectivement d’un choix, alors le problème vient du fait qu’ils n’en aient pas d’autres. Argument imparable, mais formidablement sophistique. En effet, cet idéalisme – qui ne sert in fine que celui qui le profère, satisfait d’une grandeur et d’une pureté morales obtenues à peu de frais – tombe dans un écueil souvent relevé par Raymond Aron : l’incapacité à distinguer le possible du souhaitable.

En 1933, alors qu’il revient de son séjour en Allemagne, Aron s’empresse d’avertir un sous-secrétaire français aux affaires étrangères de ce à quoi il a assisté outre-Rhin.

À la fin de son brillant exposé, et persuadé d’avoir emporté l’adhésion de son interlocuteur, ce dernier lui répond :

« Je vous suis obligé de m’avoir donné tant d’objets de méditation. Mais vous qui m’avez si bien parlé de l’Allemagne et de ses périls qui se lèvent à l’horizon, que feriez-vous si vous étiez à ma place ? ».

Cette simple question cloua le jeune Aron au sol. Il était incapable de répondre. De l’aveu même de l’intéressé, cet événement joue un rôle important dans la formation du « spectateur engagé », cette posture méthodique qui consiste à ne jamais perdre de vue le réel.

Dans le cas qui m’occupe présentement, distinguer le possible du souhaitable consiste à accepter, aussi malheureux que cela puisse être, que les conditions de réalisation d’un monde éliminant les métiers peu rémunérés, aux conditions difficiles et suscitant une crise de sens, ne sont pas réunies.

Il faut donc se poser la seule question qui vaille : tous ces chauffeurs étaient-ils mieux lotis avant l’arrivée de la plateforme ? Il ne me semble pas que la réponse soit positive.

Bilan des « 100 jours » : Macron vit son Waterloo

Ça y est, le bilan est à notre portée. Le bilan cinématographique d’une œuvre lancée il y a plusieurs décennies par Stanley Kubrick verra le jour sous l’œil de Ridley Scott le 22 novembre prochain. Napoléon, dont le rôle titre sera incarné par Joaquim Phoenix, présentera la montée en puissance de l’empereur français.

Nous devrions donc passer à côté des fameux Cent-Jours, période se déroulant entre le 20 mars et le 7 juillet 1815, entre le retour en métropole de Napoléon 1er et sa seconde abdication.

Si Emmanuel Macron n’a pas vocation à démissionner de son poste, il n’a pas pu ne pas penser à l’impact historique de cette expression lorsqu’il a appelé à ses 100 jours. Une arme médiatique permettant de se ménager un nouvel état de grâce sans avoir à passer par une dissolution ou un référendum.

Dérogeant une nouvelle fois à la tradition républicaine, le président de la République a souhaité faire l’école buissonnière ce 14 juillet, refusant le principe de l’intervention télévisée. Une dérogation qu’il maintient depuis 2017, à l’exception de 2020 et 2022, et dans laquelle il est difficile de voir autre chose qu’un refus d’assumer un bilan de 100 jours que le PCF a qualifié de « 100 jours d’accélération libérale » dans ce qui s’apparente au mieux à une mauvaise blague, mais qui, dans le fond, n’ont rien apporté de plus à l’unité, à l’ambition et à l’action, trois valeurs pourtant mises au cœur de cet épisode médiatique.

Un appel illusoire

Souvenez-vous, c’était le 17 avril. Ce jour-là, le président de la République appelait à « 100 jours d’apaisement, d’unité, d’ambition et d’action au service de la France » après l’épisode de la réforme des retraites.

Neuf jours plus tard, en plein épisode des casserolades, Élisabeth Borne présentait une feuille de route qui s’apparentait à un nouveau programme de gouvernement. Une feuille de route sous les thèmes du travail, de l’immigration et de l’école.

Ces 100 jours étaient vus par certains observateurs comme un sursis pour l’actuelle locataire de l’hôtel Matignon. Il n’en est vraisemblablement rien, d’autant que la Première ministre continue de conserver les faveurs des députés de la majorité à qui l’usage du 49.3 sur la réforme des retraites a été totalement imposé par l’Élysée.

Cet usage a exposé au grand jour les tensions sociales du pays, des tensions qui ne se sont pas apaisées durant ces 100 jours.

 

Division, renoncement, inertie…

Difficile pourtant de voir dans ces 100 jours une quelconque réussite, tant l’unité, l’ambition et l’action n’ont pas été suivis d’effets.

Comment parler d’unité et d’ambition, lorsque l’affaire Schiappa a un peu plus fracturé l’ethos républicain dont la ministre était censée être l’étendard ?

Comment parler d’ambition, lorsque les propositions concrètes se limitaient à quelques mesurettes sur la France au travail et une industrie plus verte sans s’attaquer au fond d’une fiscalité confiscatoire et d’une réglementation étouffante ?

Comment parler d’action, lorsque la seule qui fut mise en œuvre fut médiatique ? Singeant la communication nerveuse d’un Nicolas Sarkozy, Emmanuel Macron y est allé tous azimuts : Le Parisien, Politico, Challenges, Financial Times, L’Opinion… Les interventions présidentielles dans la presse n’ont pas cessé durant ces 100 jours, dont quatre sur une période de trois jours. En saturant l’espace médiatique, il a pu gagner d’éphémères points de popularité.

Et ne parlons pas de la promesse d’apaisement… Enfin, si, parlons-en.

 

… et embrasement

Premier impératif évoqué par Emmanuel Macron, l’apaisement est sans doute le terme qui s’est le moins matérialisé durant ces 100 jours.

Dès le mois de mai, l’embrasement a commencé : agression du petit-neveu de la première dame, meurtre d’une infirmière rémoise et décès de trois policiers dans un accident de voiture.

À partir du 27 juin, l’affaire Nahel, du nom de ce mineur multirécidiviste tué par un agent de police alors qu’il refusait d’obtempérer, a ramené la France 18 ans en arrière, lors des émeutes de 2005. « Nous sommes en guerre » aurait pourtant ici largement eu sa place, tant la sémantique ne rappelait pas autre chose, les soirs d’embrasement étant parfois qualifiés « d’attaques ».

Malgré un apaisement étonnant au bout de quelques jours, expliqués par certains par l’exaspération des trafiquants de drogue voyant d’un mauvais œil l’agitation braquant les regards sur leurs zones, le bilan est lourd : des milliers de voitures brûlées, des centaines de commerces et de nombreux bâtiments publics incendiés et détruits, tandis que les forces de l’ordre et des élus ont été pris pour cibles.

Outre la promesse d’apaisement, c’est bien une nouvelle fois celle d’unité qui fut ici mise à mal.

 

Des Français mitigés

Selon un sondage Odoxa-Backbone Consulting pour Le Figaro, ces 100 jours n’auraient convaincu qu’un Français sur quatre.

Ce sondage ne fait que confirmer le bilan particulièrement mauvais du président de la République.

Ce qui était censé être « 100 jours d’apaisement, d’unité, d’ambition et d’action » n’auront été que 100 jours d’embrasement, de division, de renoncement et d’inertie.

Il est plus qu’improbable que la future prise de parole présidentielle et le remaniement à venir y change quoique ce soit.

Les dépenses publiques ont augmenté plus rapidement durant le mandat Macron que sous Hollande

Par Victor Fouquet.
Un article de l’IREF

Après l’Assemblée nationale le 5 juin, le Sénat a, à son tour, rejeté le 3 juillet les deux projets de loi de règlement du budget et d’approbation des comptes pour les années 2021 et 2022, les dépenses du budget de l’État atteignant un niveau historiquement élevé malgré un contexte de reprise économique.

Pour rappel, le Parlement avait déjà rejeté le projet de loi de règlement pour 2021 l’été dernier. Si elle n’a pas de conséquences financières à proprement parler, l’absence de loi de règlement pose néanmoins des difficultés techniques dans l’établissement comptable du bilan patrimonial de l’État, ainsi que dans la gestion du solde de certains comptes spéciaux (lesquels retracent, tel le compte d’affectation spéciale (CAS) « Pensions », des recettes affectées à des dépenses particulières).

À l’examen des comptes publics ainsi arrêtés par le gouvernement, la gestion de la crise sanitaire semble, contrairement à celle de la crise financière de 2008, où le niveau des dépenses publiques était rapidement revenu à son niveau antérieur, avoir marqué non pas une situation exceptionnelle et temporaire, mais un nouveau plancher de dépenses durablement rehaussé.

Ainsi, après avoir connu un pic à presque 80 % lors de la crise sanitaire, le surcroît des dépenses par rapport aux recettes du budget général de l’État est encore aujourd’hui de 55 %, loin des 29 % du début du premier quinquennat d’Emmanuel Macron. Et ce alors même que les recettes fiscales ont augmenté en 2022 bien plus rapidement que la croissance du PIB, l’écart entre la prévision et la réalisation s’établissant à près de 36 milliards d’euros (ampleur qui en dit long sur les difficultés de chiffrage de l’administration fiscale).

Par rapport au solde budgétaire de 2021, le solde de l’État (un nouveau déficit de 151,4 milliards d’euros…) s’est « amélioré » en 2022 uniquement parce que les dépenses du plan d’urgence et du plan de relance liées à la crise sanitaire sont en voie, progressive et pour ainsi dire naturelle, d’extinction.

Parallèlement, le nouveau cycle de mesures de soutien au pouvoir d’achat des ménages et des entreprises (d’un montant estimé par la Cour des comptes à plus de 11 milliards d’euros, dont près de 8 milliards au titre des seules remises sur les prix des carburants), prises cette fois-ci pour répondre au retour de l’inflation (5,2 % en moyenne annuelle) et aux conséquences du déclenchement de la guerre en Ukraine, a profondément dégradé les finances publiques du pays.

L’ensemble des moyens mis en œuvre par l’État pour endiguer l’accélération des prix et afficher ainsi un taux d’inflation plus faible qu’à l’étranger a coûté au total environ 38 milliards d’euros.

 

Augmentation de la charge de la dette : 21 milliards d’euros entre 2020 et 2022

Avec un déficit public pour 2022 égal à 124,5 milliards d’euros (les administrations publiques locales présentant un solde à l’équilibre, tandis que celui des administrations de sécurité sociale est en excédent), soit 4,7 % du PIB, la France reste très éloignée de l’objectif de 0,3 % du PIB fixé par la loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022.

La répétition de déficits aussi élevés, autrement dit la poursuite de notre financement « à crédit », est d’autant plus inquiétante que l’environnement monétaire a changé et que, avec une augmentation spectaculaire de la charge de la dette de 21 milliards d’euros entre 2020 et 2022, ce sont huit années de baisse qui ont été effacées en deux ans seulement. Cette dernière hausse est très préoccupante car il ne s’agit, pour l’heure, que de l’effet de l’inflation sur la dette indexée, auquel va venir s’ajouter ces prochaines années l’impact de la hausse des taux d’intérêt sur le renouvellement des titres…

Il est alarmant – et ô combien significatif quant à la nature de la politique économique menée par l’actuel pensionnaire de l’Élysée – de constater que les dépenses ordinaires (dépenses publiques hors charges de la dette et sans prendre en compte les mesures engagées pour répondre à la crise sanitaire et à la crise énergétique) ont progressé plus rapidement en volume au cours du premier quinquennat d’Emmanuel Macron (1,2 % par an en moyenne) que pendant le quinquennat de François Hollande (1 % par an en moyenne).

Sur le web

Lisnard et Macron face aux émeutes : une faiblesse philosophique

Lisnard : « L’ordre précède la justice. »

Macron : « La première réponse, c’est l’ordre. »

Non.

Moralement parlant, d’abord, il est bien évident que c’est faux. Si j’attends que tout soit en ordre autour de moi pour être juste, je ne le serais jamais. Et c’est précisément dans les situations de désordre que je dois me montrer le plus juste. La justice est une vertu et nul ne songerait à dire « Je serai vertueux quand le monde sera bon ». La vertu ne pose pas de conditions : elle résiste aux conditions.

Et, de ce fait, c’est également erroné politiquement. Car la justice des tribunaux répond au désordre inhérent à la vie humaine. Elle est une conséquence du désordre bien avant d’être la cause de l’ordre. Le pouvoir qui annonce « Je serai juste quand vous serez ordonnés » justifie là la tyrannie.

Qu’il faille rétablir l’ordre, c’est une évidence – encore qu’il ne régnera pas dans ce pays avant longtemps : la promesse frise l’utopie. Donc, le bon slogan consisterait à dire que le désordre n’empêchera jamais la justice, et que plus il sera grand, plus elle sera sévère. Dans ce contexte, le « Il faut une répression féroce » de Zemmour tient bien mieux la route, même si l’on se doute qu’elle ne le sera pas, et qu’il exige là l’improbable par souci de paraître ferme alors qu’il n’en n’a nullement les moyens.

Un an avant les Jeux Olympiques, Londres a connu une vague d’émeutes. L’État y a répondu avec férocité, frappant les sauvageons de peines extrêmement lourdes. Le message était limpide : notre justice est si implacable aujourd’hui que les J.O. se passeront dans l’ordre demain. Ainsi fut fait. La justice a précédé l’ordre. L’été prochain s’annonce torride à Paris.

Lisnard et Macron se trompent. L’ennui est que rien ne les y oblige. Simplement, comme ils ont le nez dans le guidon, ils voudraient que la philosophie se conforme à l’actualité. Elle ne le fera pas. La philosophie est tout sauf un roseau. Il peut lui arriver de rompre, elle ne plie jamais. La raison ne tolère qu’elle-même.

Si tant et tant de policiers français rappellent à longueur de temps, sans jamais être écoutés, que leur travail est inutile parce que les tribunaux sont laxistes, c’est tout simplement parce que l’ordre ne « précède » pas la justice et qu’il n’est donc pas la « première réponse ». Le flic de base se révèle plus philosophe que le politicien d’en haut. Ce qui n’étonnera ni les philosophes, ni les hommes qui se font tirer dessus au mortier, ni – espérons – les libéraux.

Emmanuel Macron : et un, et deux, et trois mandats ?

Retiré depuis sa défaite aux législatives, il y a un an, Richard Ferrand est victime d’un procès en autocratie. Pourtant, en se déclarant favorable à la possibilité d’un troisième mandat présidentiel consécutif, l’ancien président de l’Assemblée nationale a posé une vraie question.

 

Un troisième mandat possible, mais pas tout de suite…

Le dimanche 24 avril 2022, Emmanuel Macron était réélu pour un second mandat de 5 ans. S’il le souhaitait (et si les Français lui renouvelaient leur confiance), il pourrait en effectuer un troisième, mais il lui faudrait attendre 2032, car la Constitution l’interdit.

En effet, l’article 6 de la Constitution dispose que :

« Le président de la République est élu pour cinq ans au suffrage universel direct. Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs. Les modalités d’application du présent article sont fixées par une loi organique. »

Cette limite de nombre de mandats successifs a été introduite lors de la révision constitutionnelle de juillet 2008, sur demande de Nicolas Sarkozy. L’ancien président de la République pensait (et à l’époque, je partageais ce point de vue) que l’énergie dépensée pour durer n’est pas dépensée pour agir et souhaitait ainsi « éviter la monopolisation de la fonction politique ».

 

La situation avant la réforme constitutionnelle de 2008

Avant cette date, le président de la République française était élu pour un mandat de sept ans, réduit à cinq ans par un référendum en l’an 2000, renouvelable sans limitation du nombre de mandats. S’il venait à se représenter une nouvelle fois, ce serait du jamais vu dans l’histoire de la Cinquième République, puisqu’aucun chef d’État n’a osé franchir le pas.

Les deux seuls présidents ayant fait deux mandats consécutifs entiers sont François Mitterrand, qui ne s’est pas représenté à la suite du cancer auquel il succomba peu après la fin de sa présidence, au début de l’année 1996, et Jacques Chirac, qui avait envisagé de se représenter pour la troisième fois, mais renonça en raison de mauvais sondages, de son âge (74 ans début 2007) et de la montée de Nicolas Sarkozy.

 

Faut-il rendre possible un troisième quinquennat consécutif ?

Richard Ferrand se déclare en faveur d’une révision constitutionnelle qui, en abrogeant le deuxième alinéa de l’article 6 de la Constitution (« Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs »), rétablirait la possibilité pour une même personne d’exercer un troisième mandat présidentiel consécutif.

Mais la popularité en berne d’Emmanuel Macron, et l’absence de majorité nette à l’Assemblée nationale et au Sénat vouent à l’échec toute révision constitutionnelle.

Une telle révision de l’article 89 de la Constitution supposerait en effet d’être votée dans les mêmes termes à l’Assemblée nationale et au Sénat (avant d’être soumise au Congrès ou au référendum). Quant à l’article 11 de la Constitution, qui permet au chef de l’État de recourir au référendum sans l’aval du Parlement, il est hors de question de l’utiliser aujourd’hui pour une révision constitutionnelle.

En se livrant dans Le Figaro à un plaidoyer ciselé pour un « moment d’unité nationale », l’ancien président de l’Assemblée nationale n’avait pas imaginé déclencher la polémique en déplorant que la limitation du mandat présidentiel dans le temps et le non-cumul des mandats « corsètent notre vie publique ».

« Et pourquoi pas restaurer l’Empire avec Macron 1er ? Richard Ferrand, le visage de la dérive autocratique de la Macronie », a réagi la cheffe de file des députés LFI Mathilde Panot.

« Pour certains la VIeme République ressemble plutôt à la Restauration ou l’Empire », a abondé le Premier secrétaire du PS Olivier Faure.

« Modifier la Constitution pour se permettre de rester au pouvoir… les deux derniers à l’avoir fait s’appellent Xi Jinping et Vladimir Poutine… voilà donc le plan démocratique d’Emmanuel Macron ? », s’est demandé le sénateur LR Alain Houpert.

 

Face aux nombreuses réactions, l’ancien président de l’Assemblée nationale a tenu à préciser ses propos, affirmant qu’il s’agit d’une position qu’il a « toujours tenue », et non « de circonstance ».

« Mon propos ne consistait pas à dire qu’il fallait changer des règles en vue de 2027 mais que, d’une manière générale, il fallait permettre à notre démocratie, à mon avis, de respirer mieux, en laissant en toutes circonstances, le dernier mot aux électrices et aux électeurs ».

 

Pourquoi ne pas laisser les électeurs juger de l’usure du pouvoir ?

Au-delà des polémiques ou des opportunités politiques, la proposition de Richard Ferrand pose une vraie question institutionnelle.

Il est légitime de penser que tout pouvoir nécessite des bornes, mais il n’est pas illégitime d’estimer que c’est au seul électeur qu’il revient de dire stop ou encore.

Richard Ferrand n’a nullement proposé de réviser la Constitution pour permettre à Emmanuel Macron de se représenter en 2027.

Interrogé sur les regrets qu’il avait de ne pas voir Emmanuel Macron pouvoir se représenter en 2027, il a simplement répondu :

« Notre Constitution en dispose ainsi. Cependant, à titre personnel, je regrette tout ce qui bride la libre expression de la souveraineté populaire. La limitation du mandat présidentiel dans le temps, le non-cumul des mandats, etc. Tout cela corsète notre vie publique dans des règles qui limitent le libre choix des citoyens. Ça affaiblit notre vie politique en qualité et en densité, et la rend moins attractive. »

Effectivement, aussitôt réélu, « le chef n’est plus le chef » puisque opposants comme soutiens (politiques et financiers) savent que l’après-Macron se jouera sans lui ! Au-delà de la personne même du chef de l’État actuel, c’est l’ensemble de l’équilibre constitutionnel qu’il faut revoir et en premier lieu la durée du mandat présidentiel et l’inversion du calendrier électoral.

 

❌