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De la Chine à la Syrie : les premières nouvelles géopolitiques de demain

Par : Grégoire

De quoi 2020 sera-t-il fait en géopolitique ? Confirmation de la résurrection russe, montée en puissance chinoise et effacement américain pourraient dessiner la politique internationale.

Par Michel Raimbaud, ancien ambassadeur, auteur de Tempête sur le Grand Moyen-Orient (ed. Ellipses, 2017) et  Les guerres de Syrie (ed. Glyphe, 2019)

L’exercice de prospective politique est devenu l’un des rites de l’an neuf. S’il promet plus de tempêtes que d’embellies, c’est que la vie commune de milliards d’êtres humains encadrée par deux centaines d’Etats n’est pas un fleuve tranquille. L’avenir n’est pas une science exacte.

Depuis la fin d’un XXème siècle ponctué par des épisodes « messianistes » de courte durée bien qu’ils aient eu l’éternité pour horizon (colonisation, épidémie des reichs, guerre froide, puis moment unipolaire américain), il est légitime de ne plus croire que l’histoire aurait un « sens », comme le professait le marxisme, ou une « fin », comme le fanfaronnait en 1992 Francis Fukuyama, chantre du libéralisme.

S’il n’y a en elle ni fatalité ni éternité, ce qu’elle a d’erratique est polarisé par des constantes naturelles : c’est ce que nous rappelle la géopolitique, politique de la géographie. Née avant 1900 en de brumeux pays avides d’espace vital, reprise par les « empires de la Mer » au temps du colonialisme et des expansionnismes, cette discipline permet de comprendre pourquoi, au-delà des avatars et séismes, l’Histoire continue, en quête de repères et d’équilibre.

En un temps que les moins de cinquante ans ne peuvent pas connaître, les devins avides de « prédictions » faisaient de la géopolitique sans le savoir. Mais l’époque où Geneviève Tabouis présentait les dernières nouvelles de demain sur Radio Luxembourg étant révolue, qui oserait dire aujourd’hui de quoi sera fait 2020 ? Mieux vaudra donc ne pas voir des oracles dans ces premières nouvelles de demain. L’exercice – au vu du bilan 2019, entrevoir les évolutions pour 2020 – rappellera le pensum imposé jadis aux bizuts entrant en faculté : «  Etant donné le clair de lune, tirer le clair de l’autre »…

Le droit international en ruine

Il est presque minuit, Docteur Folamour. Début février, l’aiguille de l’« Horloge de l’Apocalypse » se trouverait, d’après le Bulletin des Scientifiques Nucléaires américains (qui ne sont pas astrologues), à 100 secondes du minuit de la guerre nucléaire, record d’imminence depuis la création de ce joujou en 1947. La situation ne semble pas inquiéter nos sorciers qui pérorent dans les hautes sphères.

Pas besoin d’être expert pour constater la ruine du droit international. Et après examen des tenants et aboutissants, on y verra un travail de sape programmé, inspiré par le « chaos créateur » de Leo Strauss, recette permettant à l’Empire de neutraliser à moindre coût les obstacles à son hégémonie.

Fustiger l’OTAN « en état de mort cérébrale », comme le fait le porte-voix élyséen de l’école complexiste, est d’un bel effet, mais escamote les responsabilités du « monde civilisé » dans l’effondrement de la vie internationale. Ce qu’il faut bien appeler un naufrage intellectuel et moral se décline de façon multiforme : échec et faillite de l’ONU et de sa charte, fin de la légalité et loi de la jungle, falsification des mots et détournement des concepts, abandon des us et coutumes de la diplomatie, de la courtoisie et du protocole… Autant de marches vers les enfers, là où s’abîme l’Occident, aveuglé par une imposture qui a viré au gangstérisme.

Pourtant, la nature ayant horreur du vide, un nouvel ordre est en gestation. Le bloc eurasien en pleine ascension le veut multipolaire, tandis que l’Empire Atlantique freine des quatre fers.

La géopolitique considère que le monde est structuré en trois « zones », (1) le Heartland russo-sibérien qui constitue le Pivot du monde habité, (2) le Rimland qui tel un glacis ceinture ce « Pivot » de l’Atlantique au Pacifique, (3) la zone des Territoires et Iles Périphériques ou offshore, qui génère des « Empires de la Mer », où le choix du grand large va de soi. C’est le messianisme de ces « peuples élus » qui leur fait voir le « Pivot » comme une terre promise, objet de leurs convoitises. Dans ce schéma, le Rimland (Europe Occidentale, Chine, le monde arabo-musulman) constitue tantôt un glacis, tantôt une proie. La théorie permet de saisir les ressorts des expansionnismes et d’éclairer les conflits.

Le déclin des Etats-Unis

Empire de la Mer malgré leur masse continentale, les Etats-Unis ont un avantage fondamental : loin du cœur du monde (Heartland), ils ne connaissent pas les affres de la guerre. Ils contrôlent les mers, l’espace et le cyberespace, le système financier mondial via le dollar. Ils peuvent envahir sans risquer de l’être. Depuis 1945, une langue invasive aidant, ils ont acquis la mainmise de l’espace médiatique et investissent le domaine « chrétien » par le biais des évangéliques, baptistes et autres chrétiens sionistes.

Toutefois cette puissance est en déclin, ce qui apparaît dans les chiffres, mais aussi dans le recours grandissant à la menace, aux sanctions, aux actions clandestines. S’y ajoutent le statut menacé du dollar, l’érosion de la crédibilité et la perte du magistère moral…. Au sein de l’Etat profond, on est tétanisé.

La Russie a vécu avec Poutine une vraie résurrection.

Depuis vingt ans, la Russie a vécu avec Poutine une vraie résurrection, effaçant l’humiliation subie à la chute de l’URSS et la décennie Eltsine. Elle doit ce retour au dossier qui lui a permis de s’imposer. Par son soutien à la Syrie, elle a contribué à stopper le rouleau compresseur des « révolutions arabes » pilotées par l’Occident et l’islamisme extrémiste. Même si les Occidentaux répugnent à l’admettre, Moscou est le pôle de référence.

La nouvelle puissance chinoise

La Chine est déjà numéro un de l’économie mondiale, devançant les Etats-Unis en parité de pouvoir d’achat. Elle est en tête pour son palmarès commercial et industriel : après avoir été l’atelier du monde, elle en est devenue « l’usine », en attendant d’en être le banquier. Sa puissance militaire s’accroît rapidement, son budget de défense étant au deuxième rang derrière les Etats-Unis. L’essor de la marine est spectaculaire, visant à sécuriser son environnement (Mer de Chine) et asseoir sa capacité de projection (Méditerranée, voire Arctique).

S’y ajoute le défi sans précédent lancé à l’arrogante Amérique par un Iran sous sanctions, troisième pôle de cette Eurasie qui s’affirme militairement. En témoignent les premières manœuvres maritimes communes organisées en janvier 2020 entre les trois « menaces ». 

Le retour aux vieilles méthodes (coups d’Etat, ingérences, pressions, sanctions, menaces) témoigne de la colère de Washington. 

Les Arabo-musulmans ne sont pas seuls à chercher à Moscou et Pékin des contrepoids. Par le biais des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), l’Eurasie étend sa zone d’influence. Si l’Afrique du Sud est restée « un cas » sur le continent noir, l’Amérique Latine secoue le joug : le Brésil de Lula et Dilma Roussef avait entraîné dans son sillage le Venezuela chaviste, la Bolivie de Morales, l’Argentine de Mme Kirschner, rompant la singularité de Cuba. Le retour aux vieilles méthodes (coups d’Etat, ingérences, pressions, sanctions, menaces) témoigne de la colère de Washington face aux intrusions de Moscou.

Un « Amerixit » au sein du camp Atlantique ?

En Asie, on est sensible aux sirènes russes ou aux effluves des Routes de la Soie. L’Inde, membre des BRICS et de l’Organisation de Coopération de Shanghai, montre la voie : l’Indonésie, les deux Corées (la bonne qui aime l’Amérique et la méchante qui brave Trump, et dont Pékin est le protecteur), et d’autres, y compris la Thaïlande et ses voisins indochinois, sont alléchés. Le Japon lui-même desserrerait bien l’étreinte de son ex-vainqueur.

Sur le vieux continent, les « occidentalistes » font la loi. Ils se disent effarouchés par l’arrivée du soudard, mais ils ne s’indignent pas de ses turpitudes, lui reprochant son langage : ne réclame-t-il pas grossièrement le paiement de l’effort de défense. La dégradation est tangible. L’imputer à Trump ? Sa politique est au final celle de ses prédécesseurs.

Devenu réalité au 31 janvier 2020, le Brexit a traumatisé les chefs de l’UE, mais « l’évènement européen sans doute le plus important depuis la chute du Mur de Berlin » ne bouleversera pas l’équilibre. Voilà un grand Ex qui s’alignera encore davantage sur Washington, mais ni plus ni moins que ses anciens partenaires. Aucun n’est prêt à se démarquer d’un mauvais suzerain sur les dossiers qui fâchent, la Syrie, le bras de fer avec l’Iran (traité nucléaire, Soleimani), la « transaction du siècle », Erdogan, le terrorisme. La France encore moins que ses rivaux allemands, de plus en plus dominateurs.

Un Amerixit serait-il impensable au sein du camp atlantique?

Le Grand Moyen-Orient piégé 

Théorisé par les neocons israélo-étatsuniens, le Grand Moyen-Orient est au départ un ensemble d’Etats musulmans entre Levant et Asie Centrale, à amadouer ou à détruire. George W. Bush et ses acolytes avaient décrété qu’il fallait les « démocratiser », c’est-à-dire les rendre israélo-compatibles en les bombardant. La technique : exciter les oppositions contre les « régimes » en soutenant discrètement les islamistes, fussent-ils terroristes. On ne rappellera pas ici le bilan des « printemps arabes ».

Le clan des heureux élus s’est avéré extensible au gré des lubies et des lobbies : la frontière génétique imaginée par le colonisateur entre monde arabe et Afrique « noire » a été oubliée, le terrorisme et « l’Etat islamique » envahissant le Sahel (à partir de la Libye ou de zones sanctuarisées), avant de rayonner en direction du Sud. L’Amérique s’y implante à la place de la France. La Russie y fait des incursions (Mali, RCA), investissant par ailleurs les positions moyen-orientales de l’Empire (Arabie, Emirats Arabes Unis, Irak, Egypte…) et les appendices que sont la Turquie et Israël.

Nouvelles routes de la soie, voies nouvelles de puissance

Le « pivotement » de l’Amérique vers l’Asie ne signifie pas qu’elle se désintéresse du Moyen-Orient : dans sa translation, c’est la « ceinture verte musulmane » qu’elle côtoiera sur toute son extension.

Pour le Céleste Empire, pays d’adoption des Ouigours parfois irrédentistes et/ou djihadistes, les Routes de la Soie constituent une riposte au « projet » de Bush. A l’horizon 2049, centenaire de la Chine Populaire, Pékin aura tissé son paradigme multipolaire de nations souveraines/partenaires, reliées par un labyrinthe de ceintures et de routes interconnectées. La vision de Xi Jinping repose sur une étroite coordination entre Moscou et Pékin et implique une planification stratégique à long terme, Poutine dit « communication ». N’en déplaise aux occidentalistes, la « nouvelle ère », fondée sur un partage des rôles, n’est pas une chimère. Les investissements prévus sont gigantesques, par centaines de milliards.

Aux BRICS la tâche de réorganiser le monde.

Le projet russe de Grande Eurasie (Union économique eurasienne, Organisation de Coopération de Shanghai, Banque asiatique d’investissement) est comme un miroir des nouvelles Routes de la Soie. De l’Iran à la frontière mongole, le Grand Moyen-Orient vu de Moscou est une partie de « l’étranger proche » et pour la Russie, avec ses 20 millions de musulmans, il est urgent de recomposer l’Asie Centrale. Aux BRICS la tâche de réorganiser le monde.

Le « cœur » de l’Axe de la Résistance (Iran – Irak – Syrie – Liban) est stratégique. La simple idée d’un corridor offrant à la République Islamique un débouché sur la Méditerranée donne des sueurs froides à Israël et à l’Amérique. Intégré aux Routes de la Soie et à la grande Eurasie, il sera intouchable. Si la question des pipelines est centrale dans cette région flottant sur une nappe de gaz, la libre circulation des personnes et des marchandises ne l’est pas moins.

Guerres économiques invisibles

Comme le Venezuela où, selon le journaliste Jeffrey Sachs, «  au nom de la pression maximale, les sanctions américaines sont délibérément conçues pour détruire l’économie », l’Iran, l’Irak, la Syrie et le Liban sont des cibles par excellence des guerres économiques invisibles. Celles-ci, enclenchées à la chaîne par les Etats-Unis, ont un effet terrifiant. Prenant la forme de sanctions, d’embargos, cachées par l’omerta, sans coup de feu, elles coûtent moins cher que des interventions militaires directes et permettent de contourner les vétos russo-chinois. Elles empêchent surtout toute vie normale.

Dans l’inventaire des dégâts, on notera la chute brutale de la croissance et la « contraction » des économies visées (de 14% en deux ans pour l’Iran), suite aux difficultés d’accès aux produits de base et matières premières. Autres conséquences : l’effondrement du niveau de vie et la glissade vers la grande pauvreté, la flambée des prix. Partout, les désastres socio-économiques (famine, malnutrition, surmortalité, misère) aggravent les crises sanitaires (ruptures concernant les médicaments et le matériel médical, infrastructures détruites).

Les sanctions financières affectent les banques, mais aussi la vie quotidienne. Dès 2011, les Etats-Unis et l’Europe ont mis en place un régime de sanctions particulièrement sévères contre le peuple syrien, « bloquant l’accès à de nombreuses ressources vitales »…« l’un des régimes de sanctions les plus vastes et compliqués jamais imposés ». La loi César « sur la protection des civils syriens » (sic) inscrite au budget 2020 impose, au nom des Droits de l’Homme, « des sanctions contre les secteurs liés à l’Etat et contre les gouvernements qui soutiennent la reconstruction et l’armée syrienne ». Le prétexte ? « Ouvrir un nouveau front contre l’influence de l’Iran en Syrie ».

La leçon de l’Irak ?

Thomas Nagy, de l’Université George Washington, citant la Defense Intelligence Agency (DIA),  évoque « un plan de génocide commis contre les Irakiens (…) permettant de liquider une part importante de la population irakienne ». Dennis Halliday, coordinateur démissionnaire de l’ONU, accuse en septembre 1998 « le système onusien aux ordres de Washington et de l’Occident depuis la chute de l’URSS, qui a « imposé des sanctions génocidaires contre les innocents ». C’est le prix à payer pour la « démocratisation », dira la sublime Albright….

Gavé par neuf années de « printemps », le monde arabe est en piètre condition : la plupart des Etats sont brisés, livrés au chaos et à la sédition. Certains comme la Libye, le Yémen, l’Irak, l’Afghanistan risquent de rester un moment sous le feu des bombardements, des destructions, au gré des ingérences, des terroristes, des luttes inextricables. Le « monde civilisé » regarde avec commisération ce spectacle qu’il a mis en scène.

D’autres Etats, passés entre les balles, se retrouvent sous le feu des forces « populaires » qui veulent « la chute du régime », « le retrait des militaires », la dévolution immédiate du pouvoir, sans concessions et d’ailleurs sans programme. Derrière le tumulte, s’agitent à nouveau ONG, forces du changement, sociétés civiles, le tout saupoudré d’égéries et de diplomates occidentaux. On devine la main de l’étranger, comme en 2011. Et lorsqu’une issue se dégage, elle donne souvent sur la Maison-Blanche et sur Tel-Aviv, on allait dire sur Jérusalem. La recette est partout de normaliser avec Israël (le Soudan), condition sine qua non pour plaire aux régimes du Golfe qui regardent maintenant l’Etat hébreu avec les yeux de Jared Kuschner.

Syrie, cœur battant du monde arabe

La Syrie, cœur battant du monde arabe, a pu tenir neuf années face à l’alliance entre l’Empire israélo-atlantique et les forces du takfirisme et du terrorisme. Elle a fait barrage à la vague des « révolutions », le payant au prix fort. Appartenant au camp des résistants et dotée de puissants alliés, elle est potentiellement victorieuse, un renversement de situation étant improbable. Mais elle doit faire face aux manigances néo-ottomanes d’Erdogan et aux crimes de ses terroristes déguisés en enfants de choeur, supporter les caprices des Kurdes tout en encaissant les insultes et inepties de Le Drian.

Entre Erdogan, Netanyahou, Ben Salman et Trump, l’échiquier du Moyen Orient est bien loti en rois, en fous et en pions

Désarticulé, le monde arabe est prié d’applaudir à la « transaction du siècle » qui liquide la cause sacrée du peuple palestinien pour une poignée de milliards de dollars, à payer par les Arabes. Rares sont les protestataires : la Syrie, dont la Palestine est une terre perdue, l’Iran droit dans son soutien, le Hezbollah, et la Turquie qui s’érige en défenseur de l’Islam face à la Saoudie.

Le terrorisme est toujours vivant, AlQaida en Syrie, ici et là Da’esh made in USA, et les innombrables groupes qui sévissent au Proche-Orient, en Libye, au Sahel, sous l’égide des Wahhabites (Arabie, Emirats) et/ou des Frères Musulmans (Turquie, Qatar).

Entre Erdogan, Netanyahou, Ben Salman et Trump, en 2020, l’échiquier du Moyen Orient est bien loti en rois, en fous et en pions.

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L’écologisme, un futur passéiste ?

Par : Grégoire

Nous avons sollicité nos contributeurs extérieurs pour imaginer de quoi l’année 2020 pourrait être faite. Certains ont adopté une approche géopolitique (Michel Raimbaud), économique (Jean-Michel Quatrepoint), ou politique (Marie-Françoise Bechtel).

Deux d’entre eux ont choisi de traiter d’écologie. Le texte de Pierre Vermeren évoque les prochaines élections municipales, et estime qu’une politique favorable à l’environnement, qu’il juge nécessaire, n’est pas sincèrement intégrée aux différents programmes proposés. Celui de Robert Charvin (ci-dessous) juge, de son côté, qu’écologie et capitalisme sont incompatibles.

Le point de vue du journal, sous la plume de Pierre Lévy, s’inscrit en revanche dans une tout autre approche : il analyse l’idéologie environnementaliste, liée dès le départ aux élites européistes et mondialisées, comme une tentative totalitaire, anti-progrès et régressive secrétée par un système en bout de course.

Le débat n’est pas clos…

 

Par Robert Charvin, Agrégé des Facultés de Droit, Professeur émérite à l’Université de Nice – Sophia – Antipolis.

Régis Debray vient de signer un pamphlet stimulant Le Siècle Vert (Gallimard). Il applaudit le sursaut qui met en cause « l’imbécillité du tout économique, l’adoration nihiliste de l’argent et l’affairisme cynique des dernières décennies » qui détruisent tout, l’homme et la nature. Mais il met aussi en garde. Il alerte sur le danger que la bataille pour la justice sociale, pour une société sans classe soit écartée au profit d’une société sans carbone ni déchets à la dérive : « L’ennemi principal ne serait plus le patron mais la fumée d’usine » !

Une nouvelle manœuvre de diversion

La lucidité sur la destruction du « milieu » (et non de « l’environnement » qui nous classerait « à l’extérieur » de la nature) dont l’homme fait partie ne risque-t-elle pas en contrepartie de faire oublier la capacité du capitalisme à inventer sans cesse des diversions l’aidant à se pérenniser sans trop de dommages pour les privilégiés ?

Le capitalisme financier, hyper-concentré, de nature spéculative, de plus en plus éloigné de l’économie réelle productive et des exigences sociales est devenu une monstruosité planétaire. Fétichistes du capital, déstructurés, transnationalisés dans le cadre de leur seule vraie « patrie » (que sont devenues leurs firmes dévastatrices), propriétaires du travail des hommes, ses partisans balayent tous les obstacles.

Les besoins basiques des Hommes, l’air, l’eau, la terre sont privatisés au nom de leur profit – ces profits qu’ils osent prétendre redistribuer au bénéfice de tous par un « ruissellement » dont on ne trouve plus de trace depuis des décennies. Ils rejettent le droit (notamment dans les relations internationales) qu’ils ont pourtant, pour l’essentiel, fabriqué ; ils écrasent les peuples « inutiles » ou « dangereux » au nom du tout sécuritaire ; ils cultivent le mensonge médiatisé à haute dose par le relais de leurs politiciens pour faire croire que leur religion est la démocratie. Une démocratie qu’ils ignorent pourtant ouvertement dans leur sacro-sainte Entreprise.

L’argent, roi et dieu unique

Ces tricheurs de haute volée ont les moyens de faire de l’écologie et autre « bios » une arme pour fabriquer du consensus, de même qu’ils ont usé jusqu’à la corde la social-démocratie pour dissimuler leurs méfaits en qualifiant de vertu l’esprit de compromission (ils s’en servent encore dans les institutions de l’Union Européenne !). L’Eglise n’est plus là pour diaboliser les hérétiques, célébrer les vertus du Prince et consoler les pauvres « méritants ». L’incroyance est devenue la règle en Occident : en réalité, plus personne ne croit à rien, si ce n’est à l’argent, seule source de toutes les jouissances – ce qui est maigre.

Pour les capitalistes, l’environnement peut attendre, pas les coffres-forts.

L’écologie peut donc être un thème rassembleur alors que le social (les inégalités ne cessent de se creuser et la précarité de se généraliser) rallume la lutte des classes. Elle est une idéologie « digne », fondée scientifiquement. Les dominants n’ont qu’un seul reproche à lui faire : elle peut coûter cher, même si elle peut permettre aussi dans certains secteurs de faire de bonnes affaires. Pour le capitalisme, il s’agit donc de lui rendre hommage et de renvoyer à plus tard toute réalisation opératoire. Selon eux, l’environnement peut attendre, pas les coffres-forts.

Droit-de-l’hommisme et sécuritarisme

L’imaginaire capitaliste réussit en général fort bien dans sa fonction anesthésiante : avec les « droits de l’homme » instrumentalisés tous azimuts, il a fait oublier les massacres et les tortures subies par les peuples colonisés ; grâce au « sécuritarisme », il justifie l’autoritarisme et la répression en développant au nom de l’antiterrorisme une xénophobie bienvenue. On jette dans la Loire quelques jeunes profitant de la Fête de la Musique, on matraque des militants syndicaux et des Gilets Jaunes, comme on le faisait déjà en 1961 en tuant et jetant dans la Seine des Algériens manifestant contre un couvre-feu discriminatoire, sous l’autorité du vichyste antisémite Papon qui ne fait pas l’honneur de la Préfectorale ; et comme on a tué des communistes à Charonne quelques mois plus tard.

Mais le sécuritarisme a pour défaut de faire réagir l’opinion publique et il ne peut y avoir un attentat islamiste tous les mois pour le légitimer malgré les efforts persévérants des « grands » médias. Ce thème, comme les précédents, s’usant très vite, il convient d’en développer un autre plus séduisant, plus durable et qui fasse l’unanimité.

Il y a incompatibilité entre la logique capitaliste et l’écologie.

Voilà des décennies que les Nations Unies, les milieux scientifiques, des personnalités comme René Dumont, victime en son temps de toutes les ironies, et des militants de divers partis de gauche, alertent les gouvernants et l’opinion sur la destruction de la vie, de la nature et les perturbations du climat, sans rencontrer beaucoup d’intérêt. Mais voici que l’heure de l’écologie est arrivée enfin. Si le développement est loin d’être « durable », la manipulation et son instrumentalisation risquent d’être longues. Le grand patronat a pour seule devise : « après nous le Déluge ! ». Il sait qu’il pourrit la planète et la vie des hommes, comme ses lobbies qui achètent les complaisances de  divers élus. Il y a en effet incompatibilité entre la logique capitaliste et l’écologie. Après avoir réussi pendant des années à folkloriser les « écolos », à faire taire les scientifiques, les affairistes sont passés à une nouvelle étape : la récupération.

« Tout le monde devient écologiste ! Tout le monde est pour le bio ! Tout le monde est vert ! ». Certaines entreprises (qui ont intérêt à le faire) vont « verdir » leur production et faire paravent utile pour les autres. « On va tout changer », chantent en chœur le patronat et leurs commis politiques. Mais en prenant le temps pour éviter de mettre à mal leurs intérêts, pour que rien ne change vraiment, alors qu’il y a urgence ! Le social lui-même va paradoxalement servir de bouclier : pour justifier la lenteur de la mise en œuvre des bouleversements qui s’imposent afin de faire face aux effets des pesticides, du pétrole, du charbon, de l’automobile, etc., les milieux d’affaires invoquent les risques de chômage accru, par exemple. Une fois de plus, les plus pauvres sont utilisés pour servir les actionnaires, alors qu’ils sont « oubliés » « lorsque tout va bien ».

Culpabilisation généralisée

Les dominants culpabilisent les simples citoyens : « l’écologie est l’affaire de tous, disent-ils. Fermez le robinet en vous lavant les dents ! » ; la fermeture des puits de pétrole, des mines de charbon, l’arrêt du diesel, on verra plus tard. Dissoudre les responsabilités, les situer à égalité entre les grandes firmes polluantes et les simples citoyens, tel est l’objectif.

Une véritable solution doit être électorale : les Verts, associés aux Gauches radicales sont potentiellement en mesure de combattre avec succès les forces affairistes réunissant tous les tricheurs politiques.

Les Verts « modérés » pourraient faire l’affaire si l’union droite – extrême droite ne se réalise pas ! 

Il faut donc pour le pouvoir traiter avec prudence ces Verts et leurs électeurs, pour les orienter à droite ou les diviser. La situation autrichienne est parfaite : le gouvernement de Vienne associe les ultraconservateurs et les Verts ! Voilà le modèle à suivre. A défaut des alliances avec une Sociale Démocratie « fatiguée » et affaiblie (comme on le voit en Allemagne et en France), les Verts « modérés » et « responsables » pourraient faire l’affaire si l’union droite – extrême droite ne se réalise pas. Tout va être entrepris pour que les Verts deviennent une nouvelle fausse « gauche », au niveau européen et dans chaque Etat-membre.

Une position de type macronien « ni gauche, ni droite » conviendrait : les affairistes ont des postes à offrir, de l’argent à distribuer, des succès électoraux à favoriser. Pourquoi les Verts seraient-ils plus résistants à la séduction et aux compromissions que les socio-démocrates et les syndicalistes « réformistes » que l’on appelait autrefois les Jaunes !

Les ruptures nécessaires

La masse des citoyens, sincères et novices vis-à-vis de l’écologie, est-elle capable d’imposer aux dirigeants des partis verts et aux professionnels de la politique la ligne de combat anticapitaliste indispensable à la mise en œuvre des transformations écologiques qui s’imposent ? Dans la confusion idéologique d’aujourd’hui, les risques sont grands et Régis Debray a raison de s’inquiéter d’un « biologisme confusionniste » négligeant la maltraitance des hommes en privilégiant exclusivement la nature et les animaux.

L’urgence est une rupture globale avec le désordre établi, dévastateur au-delà de la grogne généralisée. Le Social, l’Ecologie et le Politique sont indissociables pour une authentique transformation de la société et du quotidien : que l’Homme prenne le contrôle de son travail, que le peuple devienne souverain, que la coopération internationale l’emporte sur la domination impériale. Le chemin est long et difficile, mais l’Histoire continue.

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Le grand retour du cinéma politique ?

Par : Grégoire

Du dernier film de Costa-Gavras à celui d’Olivier Assayas (Cuban Network, programmé pour janvier – affiche ci-dessus), le film politique retrouve sa place sur les écrans français.

Par Serge Regourd, professeur émérite à l’Université de Toulouse 1-Capitole.

Au cours de la période récente, la programmation cinématographique s’est caractérisée par un retour sur les écrans d’un certain nombre de films fondés sur un propos clairement politique, de critique de la société néolibérale contemporaine.

Pour s’en tenir au seul cadre du cinéma français, la tradition du film politique a été, voici quelques décennies, importante autour, en particulier, des films de Costa-Gavras ou d’Yves Boisset. Mais cette tradition a connu un profond reflux au profit d’un cinéma dominé, d’une part, par les logiques proprement commerciales de distraction grand public et, d’autre part, d’un courant cinéphilique, un peu autistique, axé sur les heurs et  malheurs de la petite – ou plus grande – bourgeoisie, des beaux quartiers ou des bobos, de préférence parisiens. De telle sorte que les analyses de l’école de Francfort, en particulier celles d’Adorno, pouvaient tourner à plein régime, illustrant la dégénérescence de la pensée critique à l’heure des médias de masse, au profit d’une pseudo-culture de pur divertissement.

Encéphalogramme politique plat

Le cinéma se manifestant, selon les études statistiques, comme la première pratique culturelle des Français, après la télévision, il était loisible d’établir une articulation – sinon une relation de cause à effet – entre le cours du temps marqué par les tendances à l’individualisme, au sauve-qui-peut, à l’acceptation implicite des dogmes mortifères de la concurrence sans rivage et de la performance managériale s’imposant dans toutes les strates de la régulation sociale, et l’encéphalogramme politiquement plat du cinéma français et européen.

Un cinéma dit d’auteur dont l’imaginaire ne dépasse guère les limites du 7ème arrondissement parisien

Certes, quelques francs-tireurs continuaient régulièrement à brosser le tableau éprouvant du saccage social opéré par les politiques néolibérales, détruisant les liens de solidarité collective, brisant des vies, à l’image de l’infatigable Ken Loach. Mais ces films n’apparaissaient que comme autant de petits canots de sauvetage, éparpillés dans la grande mer de l’industrie du divertissement, dans les marges du vaisseau amiral, compartimenté entre les vestibules de la pure distraction, jusqu’à ses limites les plus affligeantes selon la figure des Tuches, et les salons d’un cinéma dit d’auteur dont l’imaginaire ne dépasse guère les limites du 7ème arrondissement parisien.

Il n’est, peut-être, pas totalement fantaisiste de penser que, de manière évidemment non concertée, mais concomitante, le réveil d’une certaine conscience politique et sociale incarnée par le surgissement imprévu des Gilets jaunes, trouve, selon d’autres voies, un écho en termes de retour d’un cinéma authentiquement politique.

Le cinéma selon Lénine et Roosevelt

Ce cinéma politique apparaît alors lui-même comme un véhicule, sinon un élément, de gestation d’une pensée critique, au sens selon lequel Lénine définissait le septième art comme l’art le plus important pour l’URSS nouvelle, et selon lequel encore, dialectiquement, Roosevelt quelques années plus tard, concevait la conquête des esprits comme préalable à la conquête des marchés : envoyez les films, les produits suivront…

Selon une approche moins conjoncturelle, et plus générique, Gramsci démontra de manière lumineuse comment les défaites politiques sont d’abord des défaites culturelles et sans trahir sa pensée, des défaites de l’imaginaire, domaine dans lequel le cinéma occupe une place centrale.

Conditions d’une renaissance

S’agissant d’avancer l’hypothèse du retour d’un cinéma de critique politique, il convient que plusieurs éléments soient conjointement réunis afin de dépasser la simple situation des petites productions éparses. Car, comme le dit l’adage populaire, une hirondelle ne saurait faire le printemps. Au cours de la période actuelle, ces éléments paraissent bien coagulés avec la prégnance d’un certain nombre de films cumulant la qualité de films d’auteurs, c’est-à-dire d’œuvres bâties sur un point de vue, le succès critique, la reconnaissance médiatique et l’ambition d’un large public sur le terrain même capté par le cinéma proprement commercial.

Nous ne mentionnerons que de manière incidente le J’accuse de Polanski. Son sujet et son traitement sont, certes, de nature politique mais son identité historique ne saurait être confondue avec les narrations politiques des temps présents.

Dans ce mouvement, prennent place les dernières réalisations de ceux qui, précisément, n’ont jamais renoncé à leur assise politique dans un contexte global défavorable. Il s’agit pour eux de poser la question politique à partir de ses traductions sociales, à partir du quotidien meurtri, abîmé, déshumanisé, des gens d’en bas, victimes des conséquences des choix politiques n’obéissant plus qu’aux normes des eaux glacées du calcul égoïste.

Avec l’uberisation, l’exploitation capitaliste connaît une étape nouvelle au regard de laquelle le salariat fait figure de presque paradis

L’on y retrouve Ken Loach dont le titre du dernier film pourrait être le sous-titre du discours officiel de ceux qui nous gouvernent à l’égard du plus grand nombre des gouvernés : Sorry, we missed you (désolé, on vous a oublié). Traduction courtoise en quelque sorte des propos abjects d’un président de la République en exercice qui ose désigner nombre de ses concitoyens comme ceux qui ne sont rien. Avec l’uberisation, l’exploitation capitaliste connaît une étape nouvelle au regard de laquelle le salariat fait figure de presque paradis, de zone en tout cas de sécurité, sinon de confort. Une étape, comme le donne à voir le film de Ken Loach, de négation de la dignité de la personne humaine, de maillon intermédiaire entre salariat et esclavage moderne.

Les ravages de la précarisation, portant délitement du sentiment de solidarité entre les faibles, perte de toute conscience de classe et empressement à se jeter sous la table de festin des dominants pour en récupérer des miettes avec délectation, sont au cœur du dernier film de Robert Guédiguian, Gloria Mundi. Dans quel monde vivront nos enfants au rythme de l’actuelle déflagration sociale ? La question, en forme de déploration blessée, vaut lancement d’alerte politique, d’impératif catégorique de prise de conscience car la mort des apprentis businessmen est au bout du chemin. Comme métaphore de mort sociale de ce qu’il est encore convenu de nommer l’humanité.

Les Misérables constitue un véritable coup de poing dans la gueule des représentations convenues

Selon une autre approche, Les Misérables, premier film de Ladj Ly, cinéaste autodidacte des cités de Montfermeil, constitue un véritable coup de poing dans la gueule des représentations convenues d’un certain cinéma français usurpant sans vergogne les atours détournés de l’exception culturelle. Film hautement politique sur le délabrement avancé du tissu républicain, le surgissement sauvage de modalités de lutte des classes dépourvues de conscience de classe, l’éclatement communautaire, produit du déchaînement aveugle du néolibéralisme, préfigurant la menace d’un nouveau Léviathan selon lequel l’homme est un loup pour l’homme.

Panique dans la Macronie

Cette cécité de ceux qui nous gouvernent, ayant jeté aux orties les missions supposées légitimer leurs pouvoirs – liberté, égalité, fraternité –, explique, selon les informations parues dans les gazettes, que découvrant ce film, le susvisé président de la République, aurait conjointement découvert l’état désastreux des territoires abandonnés de la République – le propre d’un film politique permettant le dessillement des moins préparés – et demandé à ses ministres de proposer quelques solutions d’urgence… Le film, primé au dernier Festival de Cannes, représentera la France dans la course aux Oscars. Tout un symbole sur le retour du cinéma politique.

Mais au-delà de ces films, parmi les plus représentatifs de ce qui veut être signifié ici, témoignant des conséquences sociales de choix politiques, plusieurs autres films correspondant aux critères précédemment évoqués, expriment plus directement ce retour au politique en termes institutionnels.

La Mafia, figure ultime du capitalisme

Ce pourrait être déjà le cas de l’admirable dernier film de Bellochio, Le traître, contant l’histoire du repenti de Cosa Nostra, Buscetta, tant il montre l’interpénétration entre le crime organisé et une partie de la classe politique italienne, en forme de parabole selon laquelle la figure ultime de la jungle capitaliste pourrait bien s’incarner dans l’entreprise mafieuse elle-même, alors débarrassée des derniers oripeaux des contraintes juridiques, comme hyperbole d’un marché libre et non faussé.

Il ne s’agit encore que d’un spectre menaçant, né avec les règles du droit de la concurrence, mais les dégâts déjà produits par celui-ci dans le cadre de l’Union européenne ne sauraient être sous-évalués. Tel est le sujet du dernier film de Costa-Gavras, Adults in the room, à partir du sort infligé à la Grèce.

Une nouvelle tragédie grecque

L’adaptation du livre de l’ancien ministre de l’économie Varoufakis, décrivant les cruelles déconvenues subies par les espoirs politiques non conformes à la doxa libérale, montre, hélas, de manière implacable, à quel point les gouvernants européens, et plus fondamentalement le système dont ils sont les officiants, se moquent éperdument des choix démocratiques des peuples concernés.

Figure de Janus : les conséquences sociales montrées par Guédigian correspondent bien, sur l’autre face, aux causes politiques montrées par Costa-Gavras, annihilant les résultats d’un référendum exprimant pourtant sans ambiguïté les attentes du peuple grec. Expression démocratique aussitôt foulée aux pieds par les dirigeants de l’Union Européenne pour non-conformité aux principes libéraux inscrits dans le marbre des traités non renégociables de l’Union Européenne. De telle sorte que les consultations populaires tendent à devenir un théâtre d’ombres, une cour de récréation dans laquelle s’ébrouent les diverses filiales politiques du système et de supposés opposants réduits à une verbalisation velléitaire, en violation de la définition même de la démocratie, et clin d’œil cynique de l’Histoire, ce au sein même de son berceau athénien.

De Saint-Germain-des-Prés à Cuba

Cette incontestable vague de cinéma politique sera-t-elle pérenne et pourra-t-elle avoir un effet politique dans le champ culturel ? Il apparaît en tout cas, pour conclure sur une note d’espoir, que certains cinéastes parmi les plus représentatifs de la tendance lourde précédemment évoquée, paraissent eux-mêmes être concernés.

Ainsi, en particulier du dernier film d’Olivier Assayas, Cuban Network qui se présente comme la parfaite antithèse de son calamiteux film précédent (Doubles vies), caricature extrême du petit univers germanopratin de l’édition. Comme touché par la grâce de la rédemption politique, son dernier film (sortie prévue en janvier), se présente comme une passionnante enquête sur l’épopée des responsables politiques cubains exfiltrés en Floride pour conjurer les périls des menées terroristes de l’extrême droite américaine, discrètement soutenue par le Département d’Etat. La relation entre Cuba et les États-Unis y est l’objet d’une analyse politique en forme de divine surprise.

 

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Comment se prépare la spoliation de l’épargne et des épargnants

Par : Grégoire

Les taux d’intérêt négatifs favorisent les ultra-riches et le capitalisme financier, en menaçant les épargnants et les classes moyennes.

Par Jean-Michel Quatrepoint, journaliste, auteur notamment de Alstom, scandale d’Etat, Dernière liquidation de l’industrie, Fayard, 2015.

Aberration hier. Réalité aujourd’hui. Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, le capital ne rapporte plus. Pire, il coûte ! Les taux négatifs sont désormais la norme, en Europe, mais aussi au Japon, pour l’épargnant moyen. La rémunération du Livret A est inférieure à l’inflation. Idem pour les contrats en euros à capital garanti de l’assurance vie, ce placement préféré des Français (1700 milliards d’euros).

Les assureurs veulent orienter leurs clients vers des placements à risque

Les assureurs ont massivement investi dans les Bunds allemands, les bons du Trésor français et même ceux de l’Italie qui offrent toujours des taux négatifs, malgré une remontée des courbes depuis septembre 2019. Mécaniquement, les revenus de l’assurance vie chutent. Les assureurs sont donc tentés de fermer peu à peu les comptes en capital garanti, qui ne permettent plus une rémunération suffisante, tant des épargnants que des gestionnaires. Ils veulent orienter leurs clients vers des placements à risque, en actions et autres produits financiers.

Les grandes banques privées commencent à taxer, au-delà d’un certain seuil, les dépôts en liquide de leurs clients les plus fortunés. Elles répercutent ainsi le coût du taux négatif de 0,5% sur leurs liquidités excédentaires qu’elles sont obligées de déposer à la BCE.

« Helicopter money »

Comment expliquer que l’on en soit arrivé là ? D’où viennent ces taux négatifs, appelés apparemment à perdurer ? Tout commence, fin 2008, avec la faillite de Lehman Brothers et la crise financière qui s’est ensuivi. Une bulle s’était créée autour des subprimes (1) avec un excès de dettes immobilières privées. Les banques, notamment américaines, ayant accumulé des créances irrécouvrables, beaucoup se trouvaient en situation de quasi-faillite. Pour éviter un krach et un effondrement de l’économie mondiale, le président de la Banque centrale américaine, la FED, Ben Bernanke applique une nouvelle théorie monétaire, celle de l’Helicopter money. Les banques centrales, à commencer par la FED, jettent des tombereaux de monnaie que les pâles de l’hélicoptère saupoudreront sur l’ensemble de l’économie, et surtout sur les acteurs financiers.

Les États passent ainsi le relais aux banques centrales qui deviennent les acteurs majeurs de l’économie. La FED fait tourner la planche à billets, rachète aux banques leurs actifs toxiques. Son bilan passe en deux ans de 850 milliards à 4 500 milliards de dollars. Parallèlement, l’État émet plus de dettes, souscrites pour partie par la FED pour soutenir l’économie. Les Européens suivront l’exemple, quoique sur une moindre échelle.

La création monétaire aurait pu être orientée vers l’économie réelle, on a préféré laisser faire les marchés

L’Helicopter money de Ben Bernanke a sauvé le système financier américain, les grandes banques et Wall Street. Cette création monétaire abondante a eu un effet mécanique : les taux d’intérêt ont baissé. Mais ils restent outre-Atlantique positifs. Ne serait-ce que pour conserver au dollar son pouvoir attractif auprès des investisseurs internationaux. Faute de réinventer un nouveau modèle économique, on a donc, en 2008, sauvé les meubles. L’Helicopter money se contentant de déplacer la bulle, des dettes privées vers les dettes publiques. La création monétaire des Banques centrales aurait pu être canalisée, orientée vers l’économie réelle, vers des investissements collectifs, notamment les infrastructures. On a préféré laisser faire le marché.

Des bénéfices pour les ultra-riches

Les capitaux de plus en plus abondants se sont investis en Bourse, dans des opérations de LBO (2), dans des montages financiers rémunérateurs. Les entreprises ont multiplié les programmes de rachats d’actions pour faire monter les cours et assurer ainsi des plus-values à leurs actionnaires. En revanche, elles ont souvent négligé les investissements de long terme. On a continué à sabrer dans les effectifs et la masse salariale a été contenue.

Les délocalisations et la course aux moins-disant fiscal, social et environnemental ont maintenu des prix bas pour le consommateur. D’où une inflation plus que contenue. En revanche, une autre inflation est apparue : celle des actifs. Les ultra-riches, qui financent leur développement et leurs opérations en s’endettant à des taux très bas rachètent des entreprises, de l’immobilier, des œuvres d’art et en font grimper les prix. Ce qui accroît mécaniquement leur patrimoine.

Sauver la monnaie unique

La théorie de l’Helicopter money sera reprise en Europe, quelques années plus tard, sur une grande échelle, par Mario Draghi. Cet Italien, éduqué chez les Jésuites, est en réalité un pur produit de la finance mondiale. Son passage chez Goldman Sachs, dont il fut un vice-président, lui ont appris les arcanes de cet univers impitoyable et le langage qu’il faut tenir aux marchés. Succédant à Jean-Claude Trichet et confronté à la crise grecque, qui risque de faire imploser la zone euro, il applique la politique suivie par Ben Bernanke.

Il affirme que la BCE fera « tout ce qui est nécessaire pour sauver la monnaie unique ». Son action sera double. D’une part, il introduit, en 2014, un taux négatif (- 0,1 % et – 0,5 % aujourd’hui) sur les dépôts que les banques sont tenues de déposer à la BCE. D’autre part, à partir de 2015, la banque centrale entame un programme de rachat d’actifs, d’abord de la dette publique, étendu ensuite aux dettes d’entreprises. Au total, en quatre ans, la BCE a ainsi acquis 2 600 milliards d’euros d’actifs. Au passage, Mario Draghi, qui se souvient qu’il est Italien, sauve son pays. La dette italienne (130 % du PIB) est recyclée. La Banque d’Italie, la BCE, mais aussi la Bundesbank en sont désormais les principaux détenteurs. En France, la Banque de France et les fonds euros de l’assurance vie rachètent massivement la dette française.

Draghi, plus loin que Bernanke

En introduisant durablement les taux négatifs – ce que n’a jamais fait la Fed – Mario Draghi va plus loin que Ben Bernanke. Pour un investisseur en euro, 70% des revenus à taux fixe sont désormais à rendement négatif. Au niveau mondial, les emprunts des États et des entreprises offrant des rendements négatifs atteignent désormais 17 000 milliards de dollars, soit 20% du PIB mondial. La BCE a suivi le chemin emprunté par le Japon, il y a près de 30 ans. Des déficits publics financés par l’épargne locale à des taux de plus en plus bas. Résultat ? La dette publique japonaise atteint 240% du PIB, avec une inflation voisine de zéro, une consommation stagnante, tout comme la croissance.

En basculant dans l’univers des taux négatifs, c’est un bien inquiétant message que les banques centrales et les marchés financiers émettent

Et si les taux négatifs étaient finalement le révélateur d’une nouvelle idéologie : celle de la décroissance ? Dans la théorie économique classique, le taux d’intérêt est la récompense de l’acte d’épargne. « Je mise sur le futur, plutôt que de satisfaire une consommation immédiate et j’en reçois une récompense par l’intérêt qui m’est versé ». La croyance dans un avenir meilleur et le niveau des taux sont intimement liés. Or, en basculant dans l’univers des taux négatifs, c’est un bien inquiétant message que les banques centrales et les marchés financiers émettent. Ils se projettent dans un monde de décroissance et de baisse des prix. Cent euros aujourd’hui vaudront moins demain. « Je prête 100 euros et j’accepte que l’on ne m’en rembourse que 95 demain parce que je ne crois pas dans le futur et que je ne veux pas prendre de risques. »

Addiction à la planche à billets

Le court-termisme a pris le pas sur la vision à long terme. L’argent injecté par les banques centrales ne va plus dans l’économie réelle, ne s’investit pas dans le long terme. Il alimente, en réalité, la spéculation sur les marchés financiers. C’est le triomphe du capitalisme de la plus-value, au détriment du capitalisme de rendement. La planche à billets des banques centrales est devenue une drogue, dont les marchés et l’ensemble du système financier ont besoin. Une remontée des taux se traduirait mécaniquement par des pertes considérables dans les portefeuilles obligataires des grands investisseurs. Et par une baisse des actions. Avec un risque de krach.

Cette addiction à la planche à billets et aux taux bas bloque toute inversion de cette politique. Si l’on débranche le malade, il meurt. Aux États-Unis, la FED a tenté en 2018 d’inverser, très prudemment, la courbe des taux. Elle a dû battre en retraite face à une coalition hétéroclite. Rassemblant la fine fleur de Wall Street, l’aile gauche des démocrates et… Donald Trump. Chacun plaidant, pour des raisons diverses, en faveur d’une baisse des taux et une poursuite de l’endettement.

Il est vrai que cette politique fait bien des gagnants. À commencer par les États. Le service de la dette leur coûte de moins en moins cher et redonne quelques marges budgétaires. C’est ainsi qu’Emmanuel Macron a pu financer les dix milliards des Gilets jaunes. Mais les États se révèlent impuissants à investir massivement dans les infrastructures, la transition énergétique, les domaines régaliens. Idéologie néolibérale oblige.

La croissance s’étiole, la confiance des acteurs économiques s’érode, le capitalisme financier triomphe

Autres gagnants : les particuliers qui peuvent obtenir des crédits quasiment gratuits pour acheter des biens immobiliers. Même chose pour les rachats d’entreprises, les LBO, qui se financent par la dette. Avec des effets pervers. L’immobilier s’envole. Pas partout. Uniquement là où il y a une forte demande : dans les métropoles et non sur l’ensemble du territoire. Les entreprises préfèrent faire des acquisitions, plutôt que d’investir dans leur propre outil de production ou dans les salaires. La croissance s’étiole et la confiance des acteurs économiques – consommateurs, épargnants – s’érode. Le capitalisme financier triomphe, au risque d’entraîner le monde à sa perte.

Le grand capital, grand gagnant

En inondant le marché de liquidités et en instaurant les taux négatifs, les banques centrales ont servi, en fait, le grand capital. Ceux qui ont déjà beaucoup, beaucoup de capitaux. Ils investissent avec de l’argent qui ne leur coûte rien. Ils compensent d’éventuelles pertes sur certains actifs par de considérables gains sur d’autres. Ils jouent sur les allers-retours boursiers.

La classe moyenne occidentale, et surtout les épargnants, sont les grands perdants de cette politique. La première, faute de croissance et de hausses des salaires, a de plus en plus de mal à se constituer un patrimoine. Quant aux retraités, on rogne régulièrement sur leur pouvoir d’achat. Et cela ne fait que commencer. L’épargnant a accumulé de l’épargne par son travail. Il ne veut pas tant gagner, mais ne pas perdre et préserver son capital pour sa retraite et ses enfants. Or, les taux négatifs vont peu à peu rogner ce capital. S’il conserve aujourd’hui de l’argent liquide sur ses comptes, c’est parce qu’il est inquiet de l’avenir. Il a le sentiment qu’il n’y a plus, depuis 2008, de pilote dans la cabine de l’économie mondiale.

De quoi accroître encore la bulle financière et… préparer un gigantesque krach boursier où petits épargnants et caisses de retraite seront lessivés

Les modèles économiques anciens se sont effondrés, mais il n’y en a pas de nouveau. On ne cesse de l’affoler en lui parlant de catastrophe climatique, de vagues migratoires, de conflits en tout genre. Bref, un environnement qui ne pousse pas à prendre des risques. Mais le système financier, lui, veut qu’il en prenne.

On va donc, peu à peu, lui ponctionner ses liquidités. Éradiquer doucement l’usage des espèces. L’inciter à retirer son argent de l’assurance vie à capital garanti, pour qu’il l’investisse en actions et que son épargne prenne en quelque sorte la relève de la création monétaire des banques centrales. De quoi accroître encore la bulle financière et… préparer un gigantesque krach boursier où petits épargnants et caisses de retraite seront lessivés. Le grand capital, lui, sera sorti du marché au fur et à mesure que les petits seront entrés. En encaissant ses plus-values. Un grand classique de l’histoire financière. 

Christine Lagarde préfèrera spolier les épargnants en s’imaginant qu’elle créera ainsi de l’emploi

« Nous devrions être plus heureux d’avoir un emploi que de protéger notre épargne » ! Christine Lagarde, la nouvelle patronne de la BCE, vient d’annoncer la couleur. Elle poursuivra la politique de Mario Draghi. Elle préfèrera spolier les épargnants en s’imaginant qu’elle créera ainsi de l’emploi. Non seulement elle sort de son rôle, mais en plus elle a tout faux. Emploi et épargne, activité économique et épargne sont intimement liés. Il appartient aux responsables politiques et économiques de faire en sorte que l’épargne s’investisse dans l’économie réelle, pour le bénéfice de tous. Et non de l’orienter vers des placements spéculatifs.

Avec son « quantitative easing » (3), Mario Draghi a favorisé les sorties de capitaux de la zone euro. Les investisseurs qui ont vendu leurs obligations d’État à la BCE ont, bien souvent, utilisé le produit de cette vente pour investir dans les marchés financiers hors zone euro. En cherchant notamment des actifs offrant une meilleure rentabilité, sur le marché obligataire et immobilier américain et dans les pays émergents. Alimentant ainsi la spéculation et prenant un risque majeur pour leurs clients.

De l’épargne pour les grands projets

Comment éviter cette spoliation de l’épargne qui se profile et relancer l’activité économique ? En revenant tout simplement à des principes sains de transformation de l’épargne. L’Europe, mais aussi les Etats-Unis et la plupart des pays occidentaux souffrent d’un manque d’investissement dans les grandes infrastructures, dans la transition énergétique, dans l’adaptation aux changements climatiques. Pourquoi ne pas proposer aux épargnants des obligations de très long terme offrant une rémunération correcte ? La rentabilité historique du capital est voisine de 2 % par an, hors inflation. Ces obligations seraient émises au niveau européen et dans chaque État, par des organismes comme la Banque européenne d’investissement (BEI) ou la Caisse des Dépôts en France. Les centaines de milliards d’euros ainsi récupérés seraient alloués à des grands projets, à des biens collectifs, décidés par les États.

Aux Etats-Unis, c’est ce qu’aurait dû faire Donald Trump pour son programme d’investissement dans les infrastructures de 1 000 milliards de dollars, promis lors de sa campagne… dont on attend toujours le début du commencement. Mais une telle solution risque de ne pas être du goût des grands acteurs financiers, car les grands projets collectifs de long terme ne donnent pas matière à spéculation.

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Prochaine tribune (à paraître le 18 novembre) :
Les vertus de la diplomatie russe : l’exemple kurde, par Robert Charvin, agrégé des facultés de Droit, professeur émérite à l’Université de Nice

(1) Prêt risqué. Aux Etats-Unis, il s’agissait essentiellement de prêts immobiliers à des personnes déjà très endettées.

(2) Leveraged buy-out, rachat d’entreprise par endettement, avec effet de levier.

(3) Assouplissement quantitatif. Politique monétaire qui utilise des outils comme l’achat d’obligations par les Banques centrales afin d’accroître la liquidité en circulation. L' »Helicopter money » est rendu possible par cet assouplissement quantitatif.

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