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À partir d’avant-hierAnalyses, perspectives

Les sept raisons pour lesquelles vous êtes (déjà) en train de rater le virage de l’IA

À moins que vous n’ayez vécu sur Mars ces derniers mois, vous n’avez pu ignorer l’énorme écho médiatique autour du développement de l’intelligence artificielle (IA).

Ce développement est fulgurant, chaque exploit succédant au précédent, avec des réalisations qui auraient semblé impossibles il n’y a pas si longtemps. Il est vrai que le monde de la technologie a tendance à exagérer l’importance de ses inventions, et certaines ne durent que le temps d’un matin, mais on peut dire avec une assez grande assurance que ce n’est pas le cas avec l’IA.

Après des années de bouillonnement, son développement est véritablement entré dans une phase exponentielle. Pourtant, et malgré des résultats souvent impressionnants, beaucoup d’acteurs restent attentistes.

Dans mon expérience, il y a sept raisons qui expliquent cet attentisme, et qui correspondent chacune à un modèle mental bien ancré. Examinons ces raisons pour montrer en quoi elles sont fallacieuses.

Sept raisons qui expliquent cet attentisme

1 – L’IA va massivement supprimer des emplois »

Derrière cette raison il y a la vieille crainte que l’automatisation supprime des emplois.

Or, ce n’est pas ce qu’on constate historiquement. L’automatisation augmente la productivité, ce qui abaisse les coûts et permet de développer le marché, ce qui, en retour alimente la croissance et le besoin en emplois.

2 – « L’IA va remplacer les humains »

L’IA est un outil puissant qui ne fonctionne que s’il est bien utilisé. Depuis toujours, l’être humain a utilisé la technologie pour faire mieux certaines choses (productivité) et aussi pouvoir en faire des nouvelles (innovation).

L’IA ne remplacera pas les humains, elle trouvera son plein potentiel dans la façon dont les humains l’utiliseront. Ceux qui gagneront seront ceux qui apprendront à bien l’utiliser, comme ceux qui ont gagné dans le passé étaient ceux qui ont maîtrisé le feu et la fabrication de flèches.

3 – « Avec l’IA, les moins qualifiés seront largués »

Bien au contraire, l’IA est la chance des moins qualifiés.

Elle permet par exemple à ceux qui n’ont pas pu apprendre de langue étrangère de se débrouiller malgré cela grâce à un traducteur automatique. Elle est le grand facteur de remise à niveau de ceux qui n’ont pas pu faire d’études. L’IA, c’est 150 ans d’études dans votre poche.

4 – « L’IA n’est qu’une techno »

Sous-entendu, cela ne concerne pas la direction générale qui ne s’abaisse pas à parler cuisine. Grosse erreur.

Bien sûr, l’IA est une technologie, mais ce serait une erreur de la mettre simplement au service de ce qui existe déjà pour l’améliorer. La bonne approche est de repenser entièrement son métier, ou son activité, à partir de l’IA. Comme la presse il y a vingt ans qui s’est demandée : « C’est quoi être un journal à l’heure d’Internet quand on peut trouver l’info gratuitement sur Google ? »

L’IA, c’est une techno, certes, mais d’importance stratégique.

5 – « L’IA n’est pas au point, il vaut mieux attendre… »

Aucune techno n’est jamais au point. On n’a jamais attendu qu’aucune le soit pour l’utiliser.

L’automobile a mis des années avant d’être à peu près utilisable par le commun des mortels. Pourtant cela n’a pas empêché qu’elle soit utilisée avec un très gros impact. Si vous attendez que l’IA soit au point, à supposer que ce soit définissable, il sera trop tard quand vous vous y mettrez.

6 – « On ne sait pas comment l’IA fonctionne vraiment, donc c’est dangereux »

C’est quelque chose qu’on entend beaucoup, notamment des professeurs de morale, qui supposent qu’on ne peut utiliser quelque chose que si on le comprend parfaitement. Mais c’est faux.

La plupart des innovations humaines ont été intuitives, et on n’a souvent compris comment elles marchaient que bien plus tard. Sait-on parfaitement comment fonctionne un juge d’instruction ou un comptable ? Non. Et pourtant ils sont très utiles. Lady Montaigu a diffusé la pratique de la variolisation au début du XVIIIe siècle, ancêtre de nos vaccins. Elle ne savait pas expliquer comment ça marchait, mais ça marchait, et c’est ce qui comptait.

7 – « L’IA je n’y comprends rien, je vais attendre que les choses s’éclaircissent… »

Ici, l’erreur est de penser qu’on ne peut comprendre quelque chose que lorsque tout devient clair.

Or, pour quelque chose d’aussi complexe que l’IA (qui est un champ d’innovations multiples à lui tout seul), ce ne sera jamais le cas. La seule façon de se faire une idée de ce qu’est l’IA, c’est de pratiquer. Et pratiquer ne veut pas dire poser une question à ChatGPT et raconter le résultat à ses voisins. Pratiquer, c’est investir du temps pour s’exercer sur des cas réels, et ainsi pouvoir mesurer les forces et les faiblesses de la technologie. Cela permet aussi de mieux imaginer les possibilités (cf. raison 4).

 

Petites victoires

Comme je le disais récemment à une audience d’experts inquiets du développement de l’IA, il ne s’agit pas d’interrompre vos activités et de vous mettre à plein temps sur l’IA.

Il s’agit d’y consacrer un peu de temps, mais de manière systématique.

Par exemple demander à l’un des collaborateurs de devenir le « monsieur ou madame IA » avec quelques heures par semaine. Ce temps doit être garanti par la direction générale et mesuré comme un investissement, pas considéré comme un loisir.

Il constitue une perte acceptable : si cela ne donne rien, ce n’est pas grave, car ce temps est limité d’entrée de jeu (mais comment cela pourrait-il ne rien donner ?).

Si cela donne quelque chose, on peut décider d’investir plus. On procède ainsi par petites victoires : on avance, on construit quelque chose, mais en contrôlant le risque en procédant par petits pas. Ne ratez pas le virage de l’IA en tombant dans des pièges vieux comme le monde.

Sur le web.

(IV/IV) Quid du jour où l’IA et les machines pourront faire tout ce que savent faire les humains ?

Cet article fait partie d’une série. Dans les premier, second et troisième articles nous avons couvert les points suivants :

  1. L’IA va-t-elle augmenter notre productivité ?
  2. L’IA va-t-elle conduire à un chômage de masse ?
  3. L’IA va-t-elle accentuer les inégalités entre une élite surpayée et le reste des actifs sous-payés ?
  4. L’IA sera-t-elle monopolisée par Google et OpenAI ?

 

Quid du jour où l’IA et les machines pourront faire tout ce que savent faire les humains ?

Et peut-être qu’un beau jour l’IA et les machines feront aussi bien voire mieux que sapiens à tous les niveaux !

Cela suppose des progrès incroyables en IA mais aussi en robotique, qui ne semble pas avancer au même rythme. Nous avons sans doute le temps. Mais peut-être parviendrons-nous par y arriver.

Que se passerait-il alors ?

À partir de ce moment-là, quels que soient le type et le niveau de production considérés, il y aura nécessairement de grandes destructions d’emplois. Mais comme détaillé plus tôt, les revenus du travail perdus iront de pair avec de grandes baisses des prix. Une palette incroyable de biens et services sera disponible à très bas prix, car n’incluant plus de main-d’œuvre humaine. Un revenu minimum relativement modique pourrait permettre d’accéder à ce monde de proto-abondance.

Pour autant, dans un tel monde où l’IA et les machines peuvent techniquement tout faire, y compris répondre à des besoins émotionnels, il y aura toujours des consommateurs qui voudront profiter de services fournis par des humains, ne serait-ce que pour se démarquer. C’est aussi déjà la logique à l’œuvre dans le secteur du luxe, un diamant artificiel est strictement identique à un diamant issu du sol par exemple, mais il se paie 70 % moins cher, différence purement psychologique.

Pour obtenir des services faisant intervenir des humains, on peut imaginer que ces consommateurs aient eux-mêmes à monnayer leur temps auprès d’autres, intéressés comme eux par les services humains.

Par exemple, Léo acceptera de travailler dans un restaurant où Gabriel est client pour gagner de quoi acheter le pain que produit Gabriel. Léo pourrait acheter un pain de même qualité mais bien moins cher car produit par l’IA et les machines. Et Gabriel pourrait aller dans un restaurant de même standing mais bien moins cher car opéré sans humain. Sauf qu’ils valorisent par choix ces services offerts par des humains, et sont prêts à travailler eux-mêmes pour se les fournir.

Autre exemple, la musique : il y a fort à parier que même dans un monde où l’IA et la machine peuvent tout faire il y aura encore de la demande pour des concerts de musiciens humains. Léo vendra ainsi peut-être son pain made by human à Gabriel pour acheter sa place de concert où joue Noémie qui, elle, gagnera ainsi de quoi aller au restaurant où travaille Gabriel.

Bien sûr, beaucoup préfèreront la facilité et se contenteront des biens et services d’excellente qualité fournis par l’IA et les machines. C’est pourquoi dans un tel monde, même si une économie humaine devrait perdurer, difficile d’imaginer qu’on travaillerait autant.

Homo sapiens pourra passer son temps à s’amuser, voyager, apprécier les arts, la romance et le sport. Et ceux qui rechercheront toujours à améliorer leur statut et à se démarquer sans travailler au sens évoqué plus haut pourront le faire… justement par le sport, les arts, l’aventure. En effet, une voiture va plus vite qu’un être humain, et pourtant la finale du 100 mètres continue de captiver. L’IA bat Homo sapiens à plate couture aux échecs, mais sapiens continue de jouer aux échecs avec sapiens. En fait, on n’a jamais autant joué aux échecs !

 

Mais attention !

Tout ce qui précède fait l’hypothèse que les pires risques à craindre des progrès en IA ne se matérialisent pas, en particulier :

  • le risque de fracturation des sociétés du fait notamment du cybercrime, des biais algorithmiques, de la désinformation dopée aux deepfakes, et de l’isolement lié à l’addiction aux mondes et avatars virtuels
  • le risque de guerre totale dopée aux armes autonomes
  • le risque de basculer dans des régimes totalitaires en mesure de contrôler nos moindres faits et gestes en permanence
  • le risque existentiel enfin, risque que l’IA échappe à l’humanité le jour où elle deviendrait plus intelligente que nous tous réunis, et nous fasse disparaître, par dessein, indifférence ou accident.

 

Sur ce dernier point, Yann LeCun considère comme évident qu’on mettra au point une superintelligence, et que ce sera pour le meilleur, sans danger majeur.

Son aîné et autre des trois parrains du deep learning, Geoffrey Hinton, pense aussi que nous courons tout droit vers la superintelligence, probablement avant 20 ans, mais il considère que le risque de disparaître n’est pas inconcevable. C’est pour cela qu’il vient tout juste de signer (avec le troisième parrain Yoshua Bengio ainsi que les fondateurs de Deepmind et OpenAI et plus de 300 autres chercheurs et personnalités) une déclaration appelant à faire de la gestion du risque d’extinction de l’espèce humaine par l’IA une priorité mondiale.

Certains sont encore plus inquiets, comme le chercheur Eliezer Yudkowsky, que Sam Altman dit respecter, qui écrit dans le Time Magazine :

« De nombreux chercheurs, dont moi-même, s’attendent à ce que le résultat le plus probable de la mise au point d’une intelligence artificielle surhumaine, dans les circonstances actuelles, soit que littéralement tout le monde sur Terre mourra. Non au sens de peut-être une chance lointaine, mais c’est la chose évidente qui se produirait. »

On croise les doigts pour que Yann LeCun ait raison !

(III/IV) L’IA sera-t-elle monopolisée par Google et OpenAI ?

Cet article fait partie d’une série. Dans le premier et le second article nous avons couvert les points suivants :

  • L’IA va-t-elle augmenter notre productivité ?
  • L’IA va-t-elle conduire à un chômage de masse ?
  • L’IA va-t-elle accentuer les inégalités entre une élite surpayée et le reste des actifs sous-payés ?
Dans le dernier article, nous nous pencherons sur cette question :
  • Et quid du jour où l’IA et les machines pourront faire tout ce que savent faire les humains ?

Retournons à la question du jour : l’IA sera-t-elle monopolisée par Google et OpenAI ?

Il est permis d’en douter. Force est de constater que l’écosytème est en plein développement.

Si Bill Gates par exemple pense que les enjeux sont énormes, il considère que rien n’est décidé. Il disait récemment : « Celui qui parviendra à imposer son agent personnel virtuel gagnera gros, car vous n’irez plus jamais sur un site de recherche, vous n’irez plus jamais sur Amazon ». Bill Gates pense que les chances que le grand gagnant de l’IA soit une startup vs un géant de la technologie sont de 50-50. « Je serai déçu si ce n’est pas Microsoft, mais je suis impressionné par quelques startups, dont Inflection »

OpenAI avait été créée en 2015 pour contrer justement le supposé monopole de Google sur l’IA. Depuis, des cadres d’OpenAI sont partis en 2021 monter Anthropic, qui a levé 1.45 milliards de dollars à ce jour, et dont le chatbot Claude vient de dépasser celui d’OpenAI en mémoire contextuelle.

Notons aussi Inflection AI, lancée par un ancien fondateur de GoogleDeepmind et qui impressionne Bill Gates. Sans oublier bien sûr Meta, dont le Français Yann LeCun, un des trois « parrains » du deep learning, dirige la recherche en IA. On pourrait aussi citer la canadienne Cohere, valorisée à 2 milliards de dollars et dans laquelle a investi Geoffrey Hinton, un autre des parrains du deep learning. Ou encore Character AI, valorisée 1 milliard de dollars, fondée par des anciens de Google ayant travaillé sur son Large Language Model LaMDA, et dans laquelle a investi le célèbre fonds Andreessen Horowitz.

Les géants de la tech se font concurrence entre eux et créent des ponts avec certaines startups : via des investissements, comme Microsoft avec OpenAI, Google avec Anthropic AI, ou des parteneriats, comme AWS d’Amazon qui permet à ses utilisateurs d’accéder aux Large Language Models d’Anthropic, Cohere et d’autres.

Sans parler d’Elon Musk qui s’est décidé cette année à lancer une nouvelle boîte (il en gérait déjà 5 : SpaceX, Tesla, Neuralink, The Boring Company, Twitter) dédiée à l’IA : X.ai. Il a recruté pour cela une pointure de chez Alphabet et acheté beaucoup de puissance de calcul. Il compte sur les flux d’informations émanant de Twitter et du parc de voitures Tesla en circulation pour rattraper son retard et bâtir des modèles les plus capables de comprendre le monde.

Ainsi, même si OpenAI fait la course en tête, il semble qu’on est très loin d’une situation de monopole.

Et Alphabet/Google, Meta/Facebook ont joué jusque-là la transparence, ce qui a profité à tout le secteur et même au-delà !

Les succès récents d’OpenAI ne seraient possibles sans l’innovation majeure des « Transformers » produite et rendue publique par Google en 2017. Cette innovation a ceci de révolutionnaire qu’elle permet de développer rapidement des modèles du langage qui vont apprendre et générer des associations entre mots et concepts même s’ils sont éloignés les uns des autres dans les textes utilisés lors de l’apprentissage.

Google DeepMind a révélé en 2022 un programme d’IA qui a créé une cartographie 3D des 200 millions de protéines connues. Jusque-là, il fallait le temps d’un doctorat, soit 5 ans, pour déterminer expérimentalement la structure d’une protéine, donc l’avoir fait pour les 200 millions de protéines équivaut à un milliard d’années de temps de doctorat ! Google n’a pas cherché à garder pour elle cette innnovation, la nouvelle base de données de protéines est publique. Elle a été utilisée par différents acteurs tiers pour développer des vaccins contre le paludisme, des enzymes capables de digérer les déchets plastiques et de nouveaux antibiotiques, a déclaré son PDG Demis Hassabis.

FAIR (Facebook AI Research, dirigée par Yann LeCun) a rendu public en février 2023 le Large Language Model LLaMa, développé par 14 chercheurs dont 10 Français basés à Paris. Ce modèle, qui devait au départ être disponible juste pour les chercheurs dans le monde, a fuité et précipité une explosion d’innovation open-source sans précédent depuis trois mois. Le chatbot Hugging Chat de la startup Hugging Face (fondée par 3 Français) n’existerait pas sans LLaMa.

Meta a récidivé quelques mois plus tard en juillet dernier, avec LLaMa 2. Mais cette fois, le modèle est open source et gratuit pour un usage commercial dès le départ. « Je pense qu’on peut arguer que Llama 2 est le plus grand événement de l’année en matière d’IA », déclare un chercheur de l’entreprise Hugging Face. LLaMa 2 a été réalisé en utilisant 40 % de données en plus que l’original. Un chatbot construit avec ce modèle est capable de générer des résultats comparables à ceux du ChatGPT d’OpenAI, affirme Meta.

LLaMa 2 va permettre aux petites entreprises ou aux codeurs isolés de créer plus facilement de nouveaux produits et services, accélérant potentiellement le boom actuel de l’IA.

On peut citer également le mémo interne édifiant d’un chercheur de chez Google, rendu public début mai et qui a fait grand bruit, expliquant à quel point Google et OpenAI étaient démunis face à l’essor de l’AI open source, extrait : « Bien que nos modèles détiennent toujours un léger avantage en termes de qualité, l’écart se réduit étonnamment rapidement. Les modèles open source sont plus rapides, plus personnalisables, plus privés et plus capables. Avec 100 dollars et 13 milliards de paramètres ils font des choses que nous trouvons difficiles nous avec 10 millions de dollars et 540 milliards de paramètres. Et ils le font en semaines, pas en mois. »

« La barrière à l’entrée pour l’entraînement et l’expérimentation est passée de la production totale d’un grand organisme de recherche à celle d’une personne le temps d’une soirée, avec juste une ordinateur portable costaud » , affirme encore le mémo. Un Large Language Model peut maintenant être peaufiné pour 100 $ en quelques heures. Avec son modèle rapide, collaboratif et peu coûteux, « l’open source présente des avantages significatifs que nous ne pouvons pas reproduire ».

Autre exemple récent parmi tant d’autres, des développeurs dans leur coin ont peaufiné LLaMA et mis un point à moindre coût un modèle qui fait mieux que GTP-4 sur les tâches arithmétiques.

La concurrence s’intensifie encore, trois Français, l’un des chercheurs derrière LLaMa, avec un autre ancien de Facebook et un de DeepMind, viennent de fonder Mistral AI en France, avec une levée de 100 millions d’euros.

Encore plus surprenant, en septembre 2023, un institut technique aux Emirats Arabes Unis a partagé un nouveau modèle open source, Falcon 180B, qui fait mieux que LLaMa 2 a mesuré Hugging face, rapporte The economist.

OpenAI a été relativement transparent jusqu’à GPT-3 avant de se refermer. Cela a suffi à faire éclore EleutherAI, un centre de recherche à but non lucratif qui joue un rôle central dans la communauté open source aujourd’hui. Sans EleutherAI, Stability AI (aussi connue pour son IA génératrice d’images Stable Diffusion) n’aurait pas pu sortir son language model open source StableLM.

L’IA est en train de devenir une « commodity », un produit de base, disponible via interface de programmation d’application (APIs) ou à s’approprier en open source, et que toutes les autres entreprises pourront intégrer à leur processus. OpenAI a ainsi divisé par 10 en mars dernier pour les développeurs d’applications le coût d’accès à ChatGPT par « token » (unité d’information correspondant à un mot ou groupe de caractères textuels).

C’est notre cas chez Yelda, la startup que j’ai cofondée, où nous utilisons les Large Language Models disponibles pour nos intelligences artificielles vocales dont nous équipons notamment les mairies, permettant de prendre charge la moitié des appels à la ville de Plaisir par exemple, ce qui laisse plus de temps aux opérateurs pour les requêtes plus compliquées.

Même scénario pour les IA génératrices d’images. La technologie la plus en pointe n’est pas Dall-E d’Open-AI mais celle de MidJourney, celle à qui on doit les images du pape en doudoune. MidJourney a été créée en juillet 2022, ne compte que 11 employés à plein temps et n’a pas levé de fonds ! On pourrait aussi parler de Runway, spécialisée dans l’IA générative et l’édition vidéo, valorisée à 1.5 milliards de dollars.

Les modèles d’IA deviennent plus performants, et sont reproduits en open-source de façon de plus en plus compact, si bien que très bientôt on pourra même les faire tourner sur nos téléphones sans être connecté à internet !

Sam Altman partageait que les dernières innovations d’OpenAI et d’autres, bien loin de conduire à un oligopole, offrent des opportunités sans précédent aux entrepreneurs : « Il n’y a jamais eu un meilleur moment pour lancer une startup, mieux même qu’après le lancement de l’iphone (…). Les entrepreneurs vont pouvoir bâtir toutes sortes de produits grâce à ces nouveaux outils. Si vous voulez simplement copier ChatGPT, c’est que votre imagination est limitée, l’univers des possibles est si vaste. (…) Il y a tant à faire, si vous pensez que nous monopolisons l’IA, c’st que vous n’avez pas pris la mesure de la situation. »

Sam Altman prêche bien sûr pour sa paroisse, mais c’est indéniable, l’écosytème est en plein boom, les compétences circulent d’une entreprise à l’autre, les acteurs et les investissements se multiplient, le secteur open-source est très dynamique.

Et il y a une autre bonne raison pour laquelle il est très dur pour le premier de la classe de prendre le large et laisser dans autres dans la poussière, comme l’explique The Economist : le coût le plus important n’est pas l’entraînement des modèles mais l’expérimentation préalable. De nombreuses idées n’ont pas abouti, avant d’arriver à celle qui mérite de passer au stade de l’entraînement. Sur les 500 millions de dollars qu’OpenAI aurait perdu l’année dernière, la phase d’entraînement de GPT-4 ne représenterait que 100 millions de dollars. Le reste du secteur entend très vite parler des nouvelles d’idées qui ne mènent nulle part. Tout se sait très vite.Cela aide les concurrents d’Openai à éviter de s’engager dans des impasses coûteuses. En bref, le leader s’épuise à faire la R&D pour les autres.

Beaucoup de raisons de penser qu’il va être difficile pour quelques entreprises de monopoliser le secteur.

Il y a tout de même quelques nuages à l’horizon…

OpenAI s’est refermé, n’a quasiment rien partagé des détails de son Large Language Model le plus avancé, GPT-4, qui est sous le capot de la version la plus performante de ChatGPT et Bing AI de Microsoft, tous deux bien supérieurs à Bard de Google d’après de nombreux testeurs chevronnés dont Ethan Mollick, professeur à l’université de Wharton.

Si les grands acteurs du secteur cessent de partager autant qu’ils l’ont fait jusque-là, l’open source ne parviendra pas à suivre, disent certains. Ilya Sutskever, le Chief Scientist d’OpenAI explique que les modèles privés auront toujours un temps d’avance sur l’open source, et que cela devrait même s’accentuer du fait des besoins croissants en recherche, développement et ingénieurie. Yann LeCun de Meta/Facebook disait la même chose.

Et beaucoup de spécialistes expliquent que pour franchir encore un cap en intelligence, compréhension de notre monde et bon sens, les prochains modèles devront être entraînés au-delà du langage textuel, notamment en digérant du contenu vidéo en masse : après les Large Language Models, les Large Video Models ? Cela supposera encore plus de puissance de calcul et de serveurs, c’est sans doute de nature à favoriser les entreprises qui auront levé le plus de fonds ou se seront rapprochés des géants. L’explosion cambrienne du moment pourrait laisser place à une sélection sans merci.

La régulation de l’IA enfin, bien que souhaitable à plein d’égards, pourrait introduire de nouvelles barrières qui freineraient l’innovation et compliqueraient plus la tâche aux startups qu’aux géants en place.

Quoi qu’il arrive, même si l’innovation devait s’arrêter du jour au lendemain, l’intégration de ce qui est déjà possible à tous les pans de l’économie devrait occasionner des changements incroyables, profitant à tous, à nous les utilisateurs finaux partout dans le monde.

(II/IV) L’IA va-t-elle accentuer les inégalités de revenus, entre une élite surpayée et le reste des actifs sous-payés ?

Cet article fait partie d’une série. Dans l’article précédent, nous avons couvert les deux points suivants :

  1. L’IA va-t-elle augmenter notre productivité ?
  2. L’IA va-t-elle conduire à un chômage de masse ?
Dans la partie 3 et la partie 4, nous nous pencherons sur ceux-ci :
  • L’IA sera-t-elle monopolisée par Google et OpenAI ?
  • Et quid du jour où l’IA et les machines pourront faire tout ce que savent faire les humains ?

 

Admettons que le chômage de masse ne soit pas pour tout de suite, quel impact de l’IA sur la qualité des emplois, leur rémunération et répartition ?

 

Le tableau à ce jour

Les économistes nous disent que passés les abus des débuts, dans les pays occidentaux, l’ère industrielle et les progrès techniques qui l’ont accompagnée ont largement profité à tous et contribué à constituer de solides classes moyennes.

Par contre, depuis près de 40 ans, les preuves s’accumulent pour démontrer que la révolution informatique semble avoir conduit à une polarisation des emplois affaiblissant la classe moyenne : les tâches répétitives, manuelles et surtout cognitives, ont pu être abondamment automatisées, laissant, pour schématiser, d’un côté les emplois techniques et de services difficiles à robotiser mais souvent mal payés, et de l’autre les emplois les plus qualifiés toujours mieux rémunérés. Les inégalités de salaires ont augmenté sur cette période, surtout aux États-Unis.

Faisons abstraction un instant des bienfaits du progrès technique pour les consommateurs qui profitent de biens et services plus divers, moins chers et de meilleure qualité dans les secteurs assez ouverts à la concurrence, mais assez réglementés pour éviter les abus. Si on se concentre sur le seul volet de l’emploi, à ce jour, il faut reconnaître que les entreprises de la tech ont contribué à accroître les inégalités de salaires en ce sens qu’elles détruisent plus d’emplois dans les industries disruptées qu’elles n’en créent directement.

Un bon exemple est la comparaison entre Kodak qui employait 145 000 personnes à son apogée et Instagram, 13 employés lors de son acquisition par Facebook en 2012 (19 000 aujourd’hui).

On n’a pas pour autant assisté (aux États-Unis du moins) à une explosion du chômage, car beaucoup de ceux qui ont perdu leur emploi dans les secteurs disruptés ont pu en retrouver un, très souvent moins payé, dans d’autres secteurs pas encore bouleversés par la tech, dont la productivité reste faible et n’augmente que très peu. Les économistes expliquent que l’offre de travail, par les actifs, est inélastique, c’est-à-dire peu sensible aux variations de salaires, les gens ont besoin de travailler, surtout dans les pays à protection sociale réduite.

Bien sûr, le secteur de la tech est de plus en plus productif, avec une part croissante dans l’économie. Certes, il crée des emplois bien payés, mais pas tant que cela. Cela explique pourquoi la productivité totale au niveau macroéconomique ces dernières décennies augmente bien plus lentement qu’on n’aurait pu espérer.

Si beaucoup de la valeur des récents progrès est assez largement capturée par les consommateurs, le reste l’est en bonne partie par les entreprises de la tech et ses employés qualifiés, pendant que de plus en plus d’actifs se retrouvent dans des emplois moins productifs et moins bien payés qu’avant : les inégalités de salaires se creusent.

Enfin, c’est le tableau à ce jour, la question est maintenant de savoir si l’IA va amplifier cette polarisation de l’emploi.

 

Et pour la suite ?

Il est trop tôt pour trancher, mais il est très intéressant de noter que de récentes études pointent vers le contraire.

Les moins expérimentés et diplômés seront possiblement avantagés dans certains cas, comme le montre cette étude de 2023 de l’université de Stanford et du MIT :

« L’accès aux outils d’IA générative augmente la productivité, mesurée par le nombre de problèmes résolus par heure, de 14 % en moyenne, avec le plus grand impact sur les travailleurs novices et peu qualifiés, et un impact minimal sur les travailleurs expérimentés et hautement qualifiés. »

Dans une autre étude de 2023, des chercheurs du MIT ont testé l’usage de ChatGPT sur diverses tâches d’écriture. Leur conclusion :

« Les inégalités entre travailleurs diminuent car ChatGPT fait davantage augmenter la productivité des personnes moins qualifiées et expérimentées ».

Et dans cette étude de 2023, des chercheurs des universités de Princeton, Pennsylvanie et New York montrent que « les emplois de cols blancs hautement qualifiés et bien rémunérés pourraient être les plus exposés à l’IA générative ».

Cette étude de septembre 2023 encore, réalisées auprès de consultants BCG :

« L’IA fonctionne comme un niveleur de compétences. Les consultants qui ont obtenu les pires résultats lorsque nous les avons évalués au début de l’expérience ont vu leurs performances augmenter le plus, soit une augmentation de 43 %, lorsqu’ils ont commencé à utiliser l’IA. Les meilleurs consultants ont quand même bénéficié d’un coup de pouce, mais moins important. »

Comme disait Sam Altman récemment, il y a encore 5 ans, tout le monde pensait que l’IA achèverait d’automatiser en priorité les tâches à la portée du plus grand nombre, comme la conduite, et ne toucherait qu’en dernier les tâches créatives, d’analyse et de synthèse. Sauf que c’est l’inverse qui est en train de se produire. L’IA générative peut résumer des textes, décrire des graphiques, inventer des images et des chansons, mais elle ne sait toujours pas conduire (à ma décharge, j’écrivais en 2017 cette tribune dans le JDN « Dans moins de 20 ans l’IA saura générer un épisode de Game of Thrones en une seconde »).

Si ces enseignements devaient se confirmer et se généraliser à des pans plus complets de l’économie, cela pourrait bien inverser le creusement des inégalités.

Non pas parce que les actifs moins qualifiés seraient nécessairement mieux payés cependant, mais plutôt car ceux qui l’étaient très bien jusque-là le seraient potentiellement moins.

Prenons un exemple un peu extrême.

Imaginons qu’avec une IA spécialisée une infirmière puisse remplacer un médecin. L’infirmière n’aurait pour cela pas besoin d’étudier plus longtemps qu’avant. Pensez-vous que l’infirmière serait alors payée autant qu’un médecin aujourd’hui ? A priori non, elle gagnerait à peu près autant qu’avant, quand le médecin devrait accepter une baisse de salaire ou se reconvertir. Ce serait le public qui y gagnerait le plus, en profitant d’expertise médicale plus accessible. Si toutefois, face à la baisse du coût d’accès à la médecine, la demande en infirmières explose plus vite qu’on ne peut en former, alors le temps que cela se stabilise, le salaire des infirmières pourrait augmenter tant que cela reste moins cher que ne coûtent les médecins aujourd’hui.

Un médecin qui voit 4 patients par heure, 8 heures par jour, aura tenu près de 250 000 consultations en 30 ans. C’est sans doute un maximum, mais comment rivaliser avec une IA qui, dès son entrée en service, aura eu accès à des dizaines de millions de cas lors de son entraînement, et qui en parallèle aura en mémoire toutes les dernières études ?

 

L’empathie, dernier rempart ?

Certains dirons que le médecin l’emportera toujours pour l’empathie, mais c’est une qualité qu’une infirmière peut maîtriser tout aussi bien, voire mieux.

Et par ailleurs, il n’est pas dit que l’IA ne puisse pas en faire preuve également. Une étude de 2023 montre que ChatGPT est parvenu à répondre à des questions de patients avec autant de précision, mais plus d’empathie que des médecins.

Et le New York Times rapportait en juin 2023 que « des médecins demandaient à ChatGPT de les aider à communiquer avec les patients de manière plus compatissante ».

Il y a aussi ces exemples de personnes âgées en maison de retraite qui préfèrent se confier à un robot humanoïde qui ne les jugera pas plutôt qu’au personnel, ces étudiants qui préfèrent interagir avec un tuteur virtuel à la patience infinie plutôt que de prendre le risque de poser des questions bêtes à un humain, ou encore cette étude qui montre que « 60 % des répondants en France préfèreraient parler de leurs problèmes de stress et d’anxiété au travail à un robot plutôt qu’à leur manager ». Sans oublier ces utilisateurs qui confiaient au chatbot Replika leurs fantasmes sexuels, et ont basculé dans la déprime quand la startup a désactivé ces sujets de conversation.

On aurait ainsi pu penser que l’IA permettrait aux meilleurs d’un domaine de capter une part encore plus grande des revenus, mais peut-être qu’au contraire, elle permettra un rééquilibrage. Ce sera sans doute tranché au cas par cas, secteur par secteur, domaine par domaine.

(I/IV) L’IA va-t-elle augmenter notre productivité et conduire à un chômage de masse ?

Cet article est le premier d’une série de 4. Voici les liens vers la partie 2, la partie 3 et la partie 4 (prochainement publiée).

Depuis le succès fou de ChatGPT lancé en novembre dernier, on ne compte plus les articles qui partagent des exemples d’utilisation plus impressionnants les uns que les autres, conduisant certains à dire qu’une vague sans précédent de destruction d’emplois se profile à l’horizon, que cela ne pourra que favoriser les plus éduqués et expérimentés, et qu’enfin ce sera encore un moyen pour les géants américains de la tech de cimenter toujours plus leur emprise sur notre monde.

Rien n’est moins sûr, et dans pareilles circonstances il semble indiqué de détailler les raisons de penser le contraire afin de mieux appréhender cette révolution annoncée de toutes parts.

Nous allons nous pencher sur le sujet en cinq temps :

  1. L’IA va-t-elle augmenter notre productivité ? (partie I)
  2. L’IA va-t-elle conduire à un chômage de masse ? (partie I)
  3. L’IA va-t-elle accentuer les inégalités entre une élite surpayée et le reste des actifs sous-payés ? (partie II)
  4. L’IA sera-t-elle monopolisée par Google et OpenAI ? (partie III)
  5. Et quid du jour où l’IA et les machines pourront faire tout ce que savent faire les humains ? (partie IV)

 

L’IA va-t-elle augmenter notre productivité ?

Il y a beaucoup de raisons de le croire. Voici quelques études concluantes :

Cette étude de 2023 réalisée par des chercheurs d’OpenAI et de l’Université de Pennsylvanie nous dit qu’environ 80 % de la main-d’œuvre américaine pourrait voir au moins 10 % de ses tâches professionnelles affectées par l’introduction des large language models (derrière des outils comme ChatGPT), tandis que cela pourrait concerner 50 % des tâches de 19 % des travailleurs.

Cette autre étude de 2022 constate que les ingénieurs peuvent coder jusqu’à deux fois plus vite en utilisant un outil appelé Codex, dérivé du large language model GPT-3

Celle-ci, de 2023, conclut que de nombreuses tâches d’écriture peuvent également être effectuées deux fois plus vite grâce à l’IA générative.

Cette expérience d’un professeur américain relate qu’il a réussi à condenser plusieurs jours de travail qualifié en 30 minutes en utilisant l’IA pour créer un site web, une campagne email, un logo, un visuel, une vidéo, des campagnes social media.

Cette autre étude de 2023 tend à montrer, sur la base de 25 cas d’usage, que les économistes peuvent être 10 à 20 % plus productifs en utilisant les large language models.

Cette étude de septembre 2023 réalisées auprès de centaines de consultants BCG : les consultants utilisant l’IA ont terminé 12,2 % de tâches en plus en moyenne, ont terminé les tâches 25,1 % plus rapidement, et ont produit des résultats de qualité 40 % supérieure à ceux qui n’en avaient pas.

Citons aussi cet article d’OpenAI datant de mai 2023 :

« Il est concevable qu’au cours des dix prochaines années, les systèmes d’intelligence artificielle dépassent le niveau de compétence des experts dans la plupart des domaines et réalisent autant d’activités productives que l’une des plus grandes entreprises d’aujourd’hui. »

 

Ces dernières innovations en IA se démocratisent à une vitesse inédite.

ChatGPT est devenu le premier produit, toutes catégories confondues, à atteindre les 100 millions d’utilisateurs deux mois seulement après son lancement. N’importe qui, même avec un smartphone à bas prix, peut accéder à la version gratuite, et l’interface de tchat rend l’utilisation facile et intuitive, y compris pour les enfants et les seniors habituellement peu à l’aise avec la technologie. Cette révolution se fait depuis la base, en mode bottom up. Ethan Mollick, professeur à l’université de Wharton, explique qu’il ne compte plus les retours qu’il reçoit d’employés qui utilisent ChatGPT en secret sans le dire à leur patron.

Il semble donc très probable que la productivité augmente dans une série de tâches, emplois et secteurs, et sans doute au niveau de l’économie toute entière, au sens de produire plus ou mieux par heure travaillée.

 

Tempérons toutefois ce propos en soulignant certains vents contraires :

Si l’IA générative peut nous produire du divertissement sur mesure toujours plus additictif, certains ne seront-ils pas encore plus distraits au travail qu’ils ne le sont déjà du fait des réseaux sociaux ?

L’IA générative ne va-t-elle pas rendre le spam plus difficile à détecter ? Ne courons-nous pas de ce fait vers un monde où il y aura toujours plus de bruit et de difficulté à discerner des signaux utiles ? Comment cela ne pourrait-il pas nuire au développement économique ?

Les banques, entre autres, ne vont-elles pas devoir dépenser plus pour se protéger des risques accrus de fraudes ? Induisant une hausse de leurs frais, autant de frictions de plus dans les échanges, et réduction du pouvoir d’achat des consommateurs ?

Si l’IA générative permet de générer des plaintes et réclamations en justice bien plus facilement que jusque-là, et pour bien moins cher, ne risquons-nous pas d’assister à un judiciarisation croissante de l’économie causant toutes sortes de frictions susceptibles de la ralentir ?

Le journal The Economist citait Preston Byrne de Brown Rudnick, un cabinet d’avocats.

« Dans les années 1970, vous pouviez conclure une transaction de plusieurs millions de dollars en 15 pages parce que tout refaire à la machine à écrire était un casse-tête. L’IA nous permettra de couvrir les 1000 cas les plus probables dans le premier projet, puis les parties se disputeront pendant des semaines. »

 

L’IA va-t-elle conduire à un chômage de masse ?

En 1900 aux États-Unis, l’agriculture employait près de 42 % de la main-d’œuvre. Grâce aux progrès techniques elle n’en représentait plus que 2 % en l’an 2000. Cela n’a pas entraîné pour autant un chômage généralisé. Une étude montre qu’aujourd’hui, aux États-Unis, 60 % des emplois n’existaient pas il y a 80 ans.

Est-ce que ce sera différent cette fois-ci avec l’IA ? Allons-nous assister à du chômage de masse ? C’est a priori ce que peuvent laisser penser des annonces comme celle de British Telecom en mai 2023 qui prévoit de licencier 55 000 personnes d’ici à 2030, dont jusqu’à 20 % remplacées par l’IA.

Pour dire les choses simplement : non, du moins pas tant que l’IA et les machines ne parviennent pas à remplacer TOUT ce que font les humains, ce qui nous laisse beaucoup de répit. Ce n’est pas parce qu’on pourrait soudainement produire autant qu’avant avec bien moins d’employés qu’on assisterait en net à de vastes destructions d’emplois.

En effet, dans une économie relativement concurrentielle, produire une quantité donnée avec moins d’employés signifie qu’on vend moins cher, si bien que d’une part, on vend beaucoup plus en général, ce qui limite voire évite les pertes d’emplois dans le secteur en question ; et d’autre part, les économies faites par les consommateurs peuvent être dépensées dans d’autres secteurs, y créant de l’emploi en compensation. Ainsi, rien ne dit que le progrès technique doit nécessairement détruire massivement des emplois en net, tant que l’IA et les machines ne peuvent pas entièrement nous remplacer, précision importante.

 

Détaillons quelque peu

Si les employés d’un secteur deviennent collectivement bien plus productifs grâce aux nouveaux agents conversationnels intelligents (du type ChatGPT) et à l’IA en général, et cela, rapidement et sans grand investissement en formation, cela implique que le coût de production d’un bien/service dans ce secteur doit baisser à qualité égale, ou sa qualité augmenter à coût égal, voire un mélange des deux. Autrement dit, on peut produire plus et/ou mieux à coût total égal.

Dans un monde relativement concurrentiel qui est celui des économies prospères et innovantes comme la nôtre, cela signifie que le prix de vente finit par baisser à qualité égale, ou rester constant voire augmenter, mais avec un meilleur rapport qualité/prix (voire un mélange de meilleur prix et meilleure qualité). Les consommateurs apparaissent ainsi comme les grands gagnants.

S’il existait une demande latente pour ces biens/services, alors la consommation explose jusqu’à saturation. C’est ce qu’on appelle l’effet rebond, défini par Wikipedia comme « l’augmentation de consommation liée à la réduction des limites à l’utilisation d’une technologie, ces limites pouvant être monétaires, temporelles, sociales, physiques, liées à l’effort, au danger, à l’organisation ».

Si toutes les tâches ne sont pas encore automatisables, cela signifie que l’emploi peut même augmenter dans ce secteur pour un temps (et non pas nécessairement seulement pour les plus diplômés, tout dépend de ce que la machine/l’IA n’arrive pas encore à faire, voir section suivante).

L’exemple typique est celui des distributeurs de billets, qui, loin de détruire des emplois en banque, en ont en fait créé de nombreux d’après cette étude : si les succursales bancaires nécessitaient moins d’agents, elles devenaient du même coup moins chères à opérer. Les banques en ont donc ouvertes davantage. Le personnel en agence s’est aussi moins concentré sur le comptage des espèces, et davantage sur la relation client et la vente de produits comme les cartes de crédit.

Les progrès en IA devraient aussi permettre de proposer de nouveaux biens et services qui jusque-là étaient inconcevables ou non rentables. Si toute la production n’est pas encore automatisable, encore une fois, cela crée de l’emploi. Et on peut faire confiance à Homo sapiens pour s’inventer de nouveaux besoins sitôt satisfaits tous les autres. Nous vivons objectivement dans un monde d’abondance en France. Si on compare à il y a 300 ans, finies les famines, mais pourtant la plupart des gens continuent de ressentir des besoins à beaucoup de niveaux. L’appétit pour la nouveauté semble intarissable, on ne compte plus ces applications ou appareils dont nous nous étions bien passés jusque-là, mais qui nous deviennent indispensables.

En théorie, si l’on figeait l’offre de biens et services du moment en qualité et quantité produites par an, une productivité accrue permettrait de fournir autant, mais avec moins d’heures de travail. On aurait alors effectivement moins besoin de travailler, il y aurait moins de travail, et donc moins de revenus du travail, mais parallèlement biens et services coûteraient moins chers. En agrégat on profiterait des mêmes biens et services en travaillant moins. Nos revenus baisseraient, mais pas notre niveau de vie qui augmenterait, puisqu’on profiterait d’autant en échange de moins d’efforts.

Et en pratique, nouveauté, meilleure qualité et meilleurs prix offerts par l’IA (et le progrès technique en général) permettent aux consommateurs de consommer plus et/ou mieux et/ou de faire des économies à dépenser dans d’autres secteurs. Quand le prix d’un bien/service baisse par exemple, davantage de consommateurs peuvent en profiter, certains de ceux qui achetaient déjà en achètent davantage, et d’autres profitent des économies pour consommer d’autres biens et services, permettant le maintien voire le développement de l’emploi en agrégat, tant que tout ne peut pas être automatisé.

Il est probable aussi que le temps de travail moyen continue de diminuer.

D’après l’OCDE, il était d’environ 60 heures par semaine en moyenne à la fin du XIXe siècle en France, et en dessous de 40 heures aujourd’hui. En 1930, déjà, John Maynard Keynes écrivait dans Economic Possibilities for our Grandchildren qu’en 2030 on ne travaillerait que 15 heures par semaine grâce au progrès technique.

Je parle en agrégat, mais dans les faits il y aura évidemment un certain nombre de personnes pour qui ces transitions seront compliquées, les États vont avoir plus que jamais un rôle à jouer pour les accompagner.

Et bien sûr, le jour où l’IA et les machines peuvent faire tout ce qu’un humain peut faire, cela change tout, nous y reviendrons en toute dernière partie.

La participation obligatoire des salariés aux résultats de l’entreprise appauvrit les actionnaires

Par Philbert Carbon.
Un article de l’IREF

 

Idée gaulliste s’il en est, la participation des salariés aux résultats de l’entreprise, instaurée en 1959, avait pour ambition initiale de rapprocher patrons et salariés en leur donnant des intérêts communs. Une récente étude du Centre d’analyse économique tend à montrer que cette participation se fait au détriment des actionnaires. Ainsi, elle contribuerait plutôt à les opposer.

En 1959, en lançant la participation des salariés aux résultats de l’entreprise, le général de Gaulle avait l’ambition de « trouver pour les entreprises un système qui associe les travailleurs comme la Cinquième République associe désormais les citoyens ».

D’abord facultative, la participation deviendra obligatoire pour les entreprises de 100 salariés ou plus en 1967, puis à partir de 50 salariés en 1990.

 

La participation est un coût pour l’entreprise

Le Conseil d’analyse économique (CAE), placé auprès du Premier ministre, dont la mission est « d’éclairer, par la confrontation des points de vue et des analyses, les choix du gouvernement en matière économique », a publié, cet été, une note pour tirer des enseignements de la réforme de 1990 (extension de la participation obligatoire dès 50 salariés).

La note révèle d’abord que la participation a un coût pour les entreprises. Puisqu’il est impossible de compenser cette nouvelle dépense, obligatoire, en ajustant par exemple les salaires à la baisse, certaines cherchent à y échapper en décidant de rester sous le seuil des 50 salariés, malgré le manque à gagner induit par ce sous-emploi.

Celles qui décident tout de même de franchir le seuil n’ont pas d’autre solution, les profits ayant baissé au contraire des salaires, que de diminuer les dividendes versés aux actionnaires. La note du CAE montre clairement « un décrochage marqué des profits des entreprises » concernées.

Dans cette opération, les salariés sont donc bel et bien gagnants au détriment des actionnaires, c’est-à-dire le plus souvent, s’agissant de PME, des dirigeants et de leur famille. Cela entraîne, par ailleurs, une petite baisse des recettes fiscales pour l’État (moindre rendement des impôts sur les sociétés et sur les dividendes). Dans le long terme cependant, il n’est pas certain que les salariés en tirent un si grand avantage : la baisse des profits peut conduire à une baisse des investissements et donc à une plus faible productivité, voire à un décrochage par rapport à la concurrence.

 

Les salariés ne sont pas plus impliqués

Cette obligation pour les entreprises permet-elle, pour reprendre les mots de l’ancien ministre Jacques Godfrain, de « donner à l’homme au travail sa responsabilité et aux tâches accomplies tout leur sens » ?

Il est permis d’en douter à la lecture de la note du CAE qui observe « que la participation obligatoire n’affecte pas significativement la productivité des entreprises ». Pour le dire autrement, les salariés, pourtant mieux rémunérés, ne s’impliquent pas davantage dans leur travail.

Nous espérons que le gouvernement, à qui la note est d’abord destinée, en tirera les bonnes conclusions, lui qui envisage d’étendre la participation aux entreprises de plus de 10 salariés à partir de 2025 (avec la loi portant transposition de l’accord national interprofessionnel relatif au partage de la valeur au sein de l’entreprise).

Une vraie réforme serait de supprimer la participation obligatoire, tout comme l’intéressement, autre dispositif gaulliste, pour laisser aux actionnaires l’entière liberté de distribuer, ou non, une part des bénéfices qui leur reviennent par définition.

 

La participation… si je veux

Étonnamment, c’est aussi ce que proposait un rapport de la Fondation Charles de Gaulle en 2021, intitulé « Un enjeu actuel pour la France : la participation ».

Les auteurs suggéraient « de supprimer une large partie des textes, en particulier ceux imposant des obligations qui ne sont plus dans l’esprit d’une responsabilité partagée entre l’entreprise et son personnel. Ainsi, la participation ne serait plus obligatoire ».

Selon eux, en effet, si la participation permet de meilleures performances dans l’entreprise, elle sera forcément adoptée.

Si l’État, continuaient les rapporteurs, « n’a comme préoccupation que le pouvoir d’achat, il doit aider les entreprises, par un environnement propice, à augmenter leur productivité, base de l’augmentation des salaires ». Et pour augmenter la productivité des entreprises, ajoutons-nous à l’IREF, il convient de baisser les prélèvements et réduire les réglementations.

Alors oui, libérons les entrepreneurs de la participation et de l’intéressement obligatoires (entre autres). Laissons-les imaginer eux-mêmes les mécanismes permettant de faire bénéficier les salariés des fruits de la croissance, si tel est leur souhait.

Les dirigeants de La Redoute, par exemple, ont choisi en 2014 d’associer les salariés au capital. Ceux qui ont alors investi 100 euros et retroussé leurs manches pour sauver l’entreprise, ont touché 80 000 euros en 2022, au moment de son rachat par les Galeries Lafayette.

Sur le web

Pays riches, pays pauvres. Pourquoi ces différences ?

Par Lipton Matthews.

 

Le fléau de la pauvreté qui frappe les citoyens des pays en développement a suscité de nombreuses discussions dans les pays riches. De manière tout à fait déraisonnable, ces derniers ont été accusés de de favoriser la pauvreté des premiers. Malheureusement, l’hypothèse selon laquelle la prospérité découle de l’exploitation est encore largement répandue dans les milieux universitaires et politiques.

Pourtant, l’histoire jette un sérieux doute sur cet argument.

L’impérialisme était la norme dans le monde antique, mais aucune puissance impérialiste n’a atteint une croissance schumpétérienne. Par exemple, les périodes de progrès économique de la Rome et de la Grèce antiques se sont éteintes malgré les efforts impériaux. En effet, le trésor national s’accroît lorsque les empires prélèvent des tributs sur les États conquis, mais cela ne se traduit pas par un niveau de vie supérieur pour les citoyens ordinaires. La richesse de l’État n’est pas un indicateur de la prospérité individuelle.

L’histoire montre clairement que la poursuite de l’extraction économique ne conduit pas à la prospérité à long terme. En règle générale, les pays qui ont l’habitude d’exploiter les autres sont plus pauvres que leurs homologues.

En Afrique, le Bénin est un nain économique malgré son histoire rapace, alors que des pays moins agressifs comme l’île Maurice et le Botswana sont des étoiles économiques. De même, la Côte d’Ivoire a connu certaines de ses meilleures années lorsque le pays a investi dans des politiques de marché.

Du côté européen, l’empire s’est révélé très coûteux pour la Suède. Après l’effondrement de son empire, la Suède a fait l’envie du monde entier. En outre, le succès économique qui a coïncidé avec l’impérialisme suédois était le résultat de réformes économiques et de gouvernance plutôt que de l’édification d’un empire.

Le Japon a connu la gloire de l’empire tardivement dans son histoire et, comme dans d’autres exemples, les faits montrent qu’il s’agissait d’un fardeau.

Utiliser son influence politique pour exploiter d’autres pays n’est pas une stratégie de réussite.

En effet, l’histoire révèle que de nombreux pays pauvres ont accédé à la richesse en facilitant le commerce plutôt qu’en chassant les colonies.

La Finlande était un pays européen pauvre au début du XXe siècle et n’avait pas de colonies comme la Suisse. Pourtant, ces deux pays figurent parmi les plus prospères du monde.

La principale différence entre les pays riches et les pays pauvres est la productivité.

Le fait d’être productif libère des possibilités d’innovation et de création de richesses. La pauvreté est la condition naturelle de l’humanité, et les pays s’enrichissent en augmentant le stock de capital mondial. Taïwan, la Corée du Sud et Singapour sont des pays pauvres en ressources par rapport aux pays d’Afrique et d’Amérique latine, mais grâce à leurs niveaux élevés de productivité et d’innovation, ils ont rejoint les rangs des élites.

Une autre caractéristique des pays prospères est la grande qualité de leurs institutions.

Lorsque celles-ci sont conçues pour faciliter l’esprit d’entreprise et la formation de capital, les gens sont plus motivés pour produire, car leurs efforts ne sont pas pénalisés. Selon une étude de référence, les différences de productivité entre les pays sont une conséquence de la qualité des institutions. De même, la qualité institutionnelle détermine également la capacité d’un pays à attirer les investisseurs.

Les capitaux prospèrent là où ils sont récompensés, et fuient les endroits où ils sont harcelés.

Par exemple, au cours de la dernière phase du colonialisme, on a assisté à une évolution vers des politiques étatistes. Cependant, après l’indépendance, au lieu de promouvoir les marchés libres, les ex-colonies ont soutenu les institutions étatistes mises en place par la puissance coloniale. Dans des pays comme le Ghana et la Tanzanie, on s’est appuyé sur des réglementations pour extraire les ressources de l’industrie et limiter les importations.

Il est intéressant de noter que la Tanzanie ne s’est pas enrichie bien qu’elle ait été l’un des principaux bénéficiaires de l’aide étrangère de l’Europe. L’argent doit être utilisé efficacement pour être rentabilisé. Il est vain de distribuer des fonds aux pays pauvres s’ils hésitent à se réformer. Comme la Tanzanie, la Jamaïque a été l’un des principaux bénéficiaires de l’aide étrangère de l’Union européenne et des États-Unis, mais son économie n’a commencé à s’améliorer légèrement qu’après la mise en œuvre d’un programme de réforme économique parrainé par le Fonds monétaire international.

La réussite des pays riches tient également au fait qu’ils utilisent efficacement le capital et la technologie, puisqu’ils sont plus productifs.

Les pays riches sont capables de commercialiser des produits et d’améliorer les technologies existantes. Un pays pauvre produira dix mille tonnes de sucre, alors qu’un pays riche ne disposant pas d’un avantage comparatif dans la production de sucre produira vingt mille tonnes de sucre de manière plus efficace. En outre, en raison de la qualité du capital humain, les pays riches sont en mesure d’exporter des produits plus performants, alors que les pays pauvres se concentrent sur des produits de moindre valeur.

Par conséquent, si les pays pauvres ne se réforment pas et n’augmentent pas leurs niveaux de capital humain, ils resteront appauvris. Accuser les pays riches d’être à l’origine de leur pauvreté ne fera que les exonérer de toute responsabilité et les enfermer dans la pauvreté.

Sur le web

 

Quel visage aura la France dans 10 ans ?

Je suis récemment intervenu dans le cadre d’un groupe de réflexion où l’on m’a demandé de me livrer à un petit exercice de prospective sur « La France dans 10 ans » dans mes domaines d’expertise, à savoir la démographie et l’économie. Je me suis dit que ces réflexions pouvaient également intéresser mes lecteurs, d’où cet article.

Disons-le d’emblée : à moins de véritables miracles, la situation en France dans 10 ans sera pire qu’aujourd’hui !

Toutes les données stables sont en effet mauvaises, la démographie comme la productivité. Mais comme un homme averti en vaut deux, ce qui suit a pour objectif de déclencher des réactions pour « faire des miracles ».

Commençons par ce qui est presque certain.

 

La pyramide des âges française

Si nous considérons la pyramide des âges telle qu’elle est aujourd’hui, nous remarquons que les classes creuses sont celles de 1973 à 1999, c’est-à-dire des adultes qui ont entre 24 et 50 ans aujourd’hui. Ils auront donc entre 34 et 60 ans dans dix ans. Inversement, les classes pleines rassembleront les plus de 60 ans.

Bref, ce sera pire dans dix ans.

Cette pyramide des âges sera déformée par l’immigration et l’émigration.

 

L’immigration telle qu’on la craint

Je n’aime pas le mot « immigration » car il est employé très loin de sa définition, et souvent pour faire peur.

Nota bene : ci-après, je parlerai de « flux » et de « stock » alors que les deux termes sont souvent confondus dans le langage courant et par des journalistes. Cela fera plaisir aux scientifiques mais peut intriguer les autres. Explication par l’exemple : si le flux d’immigration est de 200 000 par an, le stock correspondant est de 800 000 au bout de quatre ans. 

À son sens propre, l’immigration, c’est le nombre de personnes devenant résidents français chaque année, donc un flux. L’ordre de grandeur est de 200 000 par an, auquel s’ajoute un nombre inconnu par définition de migrants clandestins.

Je n’ai pas dit « sans-papiers » à dessein : ces derniers sont recensés et sont en attente d’une réponse à leur demande d’asile… pour souvent plonger dans l’informel dans un deuxième temps, si elle est refusée.

Mais ce mot « immigration » a un sens courant très différent de son sens propre, surtout chez les démagogues qui veulent exploiter l’inquiétude des Français dans ce domaine : ils parlent de l’immigration pour évoquer le stock des migrants et de leurs descendants. C’est la raison pour laquelle il vaut mieux dire, comme le font certains commentateurs sérieux, la population « issue de l’immigration ».

Cette population est difficile à évaluer, et elle est souvent gonflée par des démagogues, ou sous-évaluée par d’autres démagogues d’idéologie inverse. Les premiers pensent que l’assimilation est impossible, et les seconds qu’elle n’est pas souhaitable par respect des cultures d’origine.

À mon avis, les deux se trompent.

Ceux qui pensent que l’assimilation n’est pas souhaitable et que le multiculturalisme sera un progrès devraient jeter un œil sur le Liban : ce pays, qui était comparé à la Suisse, a sombré dans de multiples guerres civiles qui ont fait fuir les élites, et en particulier les chrétiens francophones.

Cela se terminera probablement par un gouvernement islamiste dépendant du Hezbollah, « le parti de Dieu » soutenu par l’Iran. Un pas dans ce sens est l’interdiction ce mois de mai 2023 du maillot de bain sur la grande plage de Saïda.

Ceux qui pensent que l’assimilation est impossible n’ont qu’une vue très partielle : ils ne remarquent que les non assimilés, c’est-à-dire la première génération, ce qui est bien naturel, et une partie de la deuxième.

Ne soyons pas hypocrites : ils ciblent les populations d’origine arabe ou musulmane, en oubliant qu’elles ne représentent qu’une partie, certes importante, de la population issue de l’immigration. En particulier, les chiffres de stock qui circulent sont ceux de l’ensemble de la population issue de l’immigration non européenne, qui comprend bien d’autres composantes.

L’erreur est de penser que ces populations étaient musulmanes dans leur totalité lors de leur entrée en France, et que la religion va se transmettre indéfiniment au fil des générations.

Or, l’expérience montre que l’assimilation est un mécanisme quasi-automatique : les parents ou les grands-parents découvrent un jour que leurs descendants sont français. Dans certains groupes, c’est le cas dès la deuxième génération, dans d’autres surtout dans la troisième.

Cette assimilation est accélérée par les mariages mixtes, qui sont fréquents.

Bref, dans dix ans, l’assimilation aura grosso modo compensé les nouvelles arrivées, si elles restent au niveau actuel. Bien sûr, n’étant pas prophète, je ne peux pas vous garantir qu’il n’y aura pas de panique migratoire ou antimigratoire qui pourrait changer cela.

Quant à l’action très réelle des mouvements islamistes, des mafieux et autres perturbateurs, c’est un problème d’ordre public. Sujet très délicat, qui n’est pas celui de cet article démographique et économique.

 

L’immigration telle qu’on la souhaite

Presque tous les métiers sont à court de personnel, et l’économie française est bloquée à tous les niveaux, des moins qualifiés aux plus qualifiés.

Nous avons vu que la pyramide des âges nous dit que ce blocage ne fera que s’accentuer.

Or, il est patent que les Français ne veulent pas travailler davantage : dans les dix ans qui viennent, aurons-nous un gouvernement qui reviendra sur les 35 heures, les cinq semaines de congés payés, la retraite à 62 ans en moyenne, comme en témoignent les violents remous contre le passage à 64 ans d’une partie des promotions concernées ?

Un miracle à espérer !

Il ne reste donc mathématiquement que deux solutions : une vigoureuse croissance de la productivité et l’immigration.

Or, l’émigration des Français va encore aggraver le problème démographique.

 

L’émigration

Elle est très importante : dans ma famille, et dans celles de beaucoup de personnes que je fréquente, les enfants partent à l’étranger, et on ne sait pas s’ils reviendront un jour.

Et même s’ils reviennent, « le stock » de Français à l’étranger, déjà important, va croître rapidement.

Cette émigration n’est pas mesurable, puisque quand vous quittez la France vous ne laissez aucune trace statistique disant que vous partez pour la journée ou pour la vie. Et comme elle n’est pas mesurée, on en parle peu, alors que c’est un élément très important.

J’avais déjà tiré la sonnette d’alarme en 2014 dans mon article « Émigration : chut… la France se vide », et cela n’a fait que s’accentuer depuis, notamment du fait de la mondialisation de l’information qui permet à chacun de saisir des opportunités à l’étranger.

Les conséquences économiques et identitaires sont évidemment catastrophiques.

 

La productivité

L’économie française, et celle de nombreux autres pays, est profondément perturbée par la baisse de la fécondité depuis des décennies, et donc aujourd’hui par celle de la population active.

Dans le cas de la France, cette baisse est plus limitée qu’ailleurs, mais son effet est renforcé par le fait que nous travaillons beaucoup moins que nos concurrents.

Comment faire face à cette insuffisance quantitative du travail français si nos concitoyens restent imperméables à la nécessité de travailler davantage ?

Mathématiquement, il faudrait augmenter notre productivité bien au-delà de celle de nos voisins.

Or, la productivité ne se décrète pas.

C’est le résultat d’un travail de fourmi dans chaque entreprise, dont le résultat dépend du niveau de formation des employés et du progrès technique, notamment la numérisation.

En sens inverse, la productivité est freinée par les dégâts de la bureaucratisation générale du secteur public et de certaines grandes entreprises. Par expérience professionnelle, je suis très sensible à cette bureaucratisation qui est un phénomène humain naturel, contre lequel il faut lutter sans arrêt.

La bureaucratisation est particulièrement envahissante en France du fait de notre centralisation, qui nous amène à multiplier les lois générales et les réglementations, pour s’apercevoir dans un second temps qu’elles s’appliquent mal dans certains cas avant de les compliquer ensuite par des exceptions.

Si chaque loi part d’une bonne intention – c’est du moins ce qui est affiché – leur cumul devient alors inextricable.

J’ai des amis experts-comptables qui passent ainsi leur mois de janvier, puis une bonne partie des mois suivants, à changer les programmes et les paramètres pour tenir compte des nouveautés de la gestion du personnel ou des nouvelles taxes, ou de nouvelles exceptions. Et qui assistent navrés aux fraudes et au trafic que cette complexité permet.

Le problème est analogue chez les pharmaciens qui passeraient plusieurs heures par jour, malgré l’aide des logiciels spécialisés, à régler non seulement les mêmes contraintes administratives que les autres Français, mais aussi le suivi des variations des règles de la sécurité sociale, ainsi que les enquêtes et renseignements sur la viabilité des ordonnances (dont les conditions varient dans le temps) et le suivi de certains produits utilisables par des toxicomanes…

À côté de cela, il y a tout ce qui touche les programmes scolaires et l’organisation scolaire plus soucieuse de l’égalité sociale que du maintien du niveau. Or, le déclin des compétences des élèves français est une des raisons de la stagnation de notre productivité.

Il y a également les réglementations environnementales et l’application des trouvailles de la bureaucratie européenne. Les agriculteurs subissent le cumul des deux, avec 40 % des dossiers à remplir destinés à Bruxelles.

Certes, l’administration française est dans l’ensemble bien numérisée, mais je me demande parfois si ça n’a pas un effet pervers.

De l’avis des intéressés, comptables, pharmaciens, agriculteurs et tous les autres… certaines complications seraient inapplicables sans ordinateur. Bref, la numérisation permet des complications réglementaires qu’il aurait été impossible de mettre en place sans elle.

De toute façon, je ne vois pas d’évolution importante prévisible dans les dix ans à venir touchant les principaux facteurs de productivité : même des réformes importantes de l’enseignement mettront des dizaines d’années à se répercuter dans la pyramide des âges.

Il faudra donc un miracle, par exemple des réformes fondamentales en matière d’autonomie locale et de décentralisation.

Autre miracle possible : une rupture technologique.

On parle par exemple beaucoup d’intelligence artificielle et récemment des robots conversationnels… Mais la première réaction de certains est de les bloquer !

De toute façon, il faut du temps pour transformer les structures professionnelles en conséquence. On se souvient qu’il a fallu un siècle pour que l’électricité transforme la vie quotidienne et l’industrie, et que ce n’est toujours pas fini pour les véhicules ! Il a également fallu des dizaines d’années pour que la numérisation soit efficace.

Nous voici donc une fois de plus ramenés à la soupape de l’immigration.

Mais cette nécessité mathématique n’est pas acceptée.

 

En conclusion : vers une hypocrisie sur l’immigration ?

Mon optimisme naturel m’amène à prévoir des miracles.

Un premier « miracle » est prévisible. L’homme est adaptable, il travaillera plus ou moins clandestinement pour obtenir ce qui manque : aide aux parents dans la famille, action bénévole et charitable à l’extérieur, vrai travail après la retraite, mais au noir, sauf si les gouvernants ont la sagesse de libérer totalement le cumul emploi-retraite, robots de compagnie…

On réalisera peut-être alors qu’on s’est fait rouler dans la farine par des démagogues vantant le miracle d’avoir à la fois davantage de temps libre et autant de services de la part du reste de la société. Je pense bien sûr aux plus tonitruants comme Mitterrand et Mélenchon.

Un deuxième miracle serait que l’un des blocages ci-dessus disparaisse, le plus important étant peut-être celui de l’enseignement. Les réformes de l’apprentissage vont dans le bon sens, ainsi que l’action conjointe d’Emmanuel Macron et du maire socialiste de Marseille pour des écoles plus autonomes. Mais elles sont rejetées par les syndicats d’enseignants.

Un autre miracle est possible : une meilleure gestion économique, juridique et surtout psychologique de la question migratoire.

Au Festival de géopolitique de Grenoble en 2019, j’exposais que les pays les plus opposés à l’immigration pour des raisons identitaires, dont, à l’époque, la Hongrie, seraient amenés à être hypocrites en la matière ou à faire disparaître leurs peuples pour « sauver leur identité », comme le Japon demain, ou la Chine après-demain.

C’est exactement ce qui est arrivé : la politique officielle reste la « fermeture migratoire », mais les entreprises sont cruellement à court de main-d’œuvre, les jeunes n’étant soit pas nés, soit partis en Allemagne. Ces pays font donc venir de nombreux étrangers, avec probablement la complicité passive des pouvoirs politiques.

On nage en pleine hypocrisie : on voudrait bénéficier du travail de la population issue de l’immigration, mais on ne supporte pas sa présence !

Les politiques auront cette contradiction à gérer.

Je ne critique pas les Français, car tous les pays ont une opinion publique opposée à l’immigration, du Japon à l’Afrique du Sud et au Chili. C’est donc dans ce domaine qu’un miracle serait très utile.

L’exemple des Allemands qui ont eu à gérer un brusque afflux de Syriens ne connaissant même pas l’alphabet latin nous montre que c’est possible. Et la Grande-Bretagne a connu plus de 600 000 arrivées nettes (immigration moins émigration) en 2022, dont plus de 400 000 principalement en provenance de l’Inde et du Pakistan, si on enlève les Ukrainiens et les Chinois de Hong Kong fuyant la répression de Pékin. Le Premier ministre conservateur, le chef du parti indépendantiste écossais et le maire de Londres sont d’ailleurs issus de l’immigration indopakistanaise !

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