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À partir d’avant-hierContrepoints

Le spectroscope, notre clef pour déchiffrer le message des étoiles

Au début, il n’y a pas si longtemps au regard de l’histoire, l’astronome ne disposait que de l’intensité de la lumière et de ses propres yeux pour tenter de comprendre les astres qu’il contemplait la nuit.

Après une série de progrès dans la réflexion scientifique et de progrès technologiques, les spectroscopes, ces instruments dont nous disposons aujourd’hui pour décomposer la lumière, sont devenus extraordinairement raffinés. Grâce à eux on peut, non seulement analyser la lumière des étoiles proches mais aussi les atmosphères d’exoplanètes qui n’émettent aucun rayonnement visible, ou connaître la vitesse d’éloignement, donc la distance, à laquelle évoluent les galaxies les plus lointaines.

C’est grâce à ces instruments merveilleux que nous avons pu passer de l’astronomie à l’astrophysique.

Pour que la Science ait pu avancer, il a fallu des hommes qui comprennent que les silex pouvaient devenir des outils plus efficaces s’ils étaient taillés ou, plus généralement (et récemment), qui puissent concevoir des instruments en fonction des effets dont ils voulaient comprendre les causes.

Dans le domaine considéré aujourd’hui, le premier de ces hommes fut Isaac Newton. En 1672 il décrivit son expérience du prisme avec tous les détails nécessaires à la compréhension et à la répétition, démontrant que la lumière « blanche » (ou « neutre ») était constituée de toutes les couleurs que l’œil humain pouvait discerner. Il constata à la sortie du prisme « un mélange hétérogène de rayons différemment réfrangibles », ce mélange étant ce qu’il nommera lui-même un « spectre ». En langage scientifique, on dit aujourd’hui que la lumière blanche est la résultante de radiations de fréquences différentes, et que le prisme en réalise la décomposition spectrale. Mais la description moderne était déjà implicite dans les termes employés par Newton. La porte permettant d’accéder au progrès dans cette branche de la Science avait été ouverte !

C’est ensuite au début du XIXe siècle que William Herschell puis Johann Ritter perçurent la présence de rayonnements non visibles de part et d’autre du spectre lumineux. Et en 1864, James Maxwell comprit que la lumière résultait, tout comme le son qui fut étudié en premier, d’une vibration électromagnétique. On réalisa ainsi que le spectre lumineux n’était seulement qu’une toute petite partie du spectre électromagnétique qui, dans toute son ampleur, s’étendait de part et d’autre jusqu’aux limites des possibilités physiques d’oscillations, des plus courtes au plus longues, des plus rapides au plus lentes, ou des plus serrées aux plus ouvertes, selon l’image que l’on préfère pour se le représenter.

Du côté des instruments, le spectroscope de Newton, un simple prisme, évolua considérablement également à partir du début du XIXe siècle.

La première évolution fut de placer une lentille-collimateur avant l’arrivée du flux lumineux sur le prisme, pour le rendre parallèle et orthogonal au plan du prisme défini par sa hauteur.

La seconde fut de remplacer le prisme par un « réseau de diffraction », c’est-à-dire une surface opaque percée de raies étroites qui produisait le même effet, tout en donnant une image plus nette. Ce fut l’idée de l’Américain David Rittenhouse en 1786 (avec des cheveux !) puis du maître verrier/opticien bavarois, Joseph von Fraunhofer en 1815 (avec des fils métalliques). On parla de « réseau en transmission ».

Mais la diffraction n’empêchait pas les interférences. On ajouta donc un autre prisme après le réseau pour éviter la superposition de deux franges de longueurs d’onde voisines. On peaufina par la suite le  réseau avec une surface de réception composée d’une multitude de petits plans inclinés (constituant des rayures ou, mieux dit, un « réseau en réflexion »), ou en croisant deux réseaux de diffraction afin d’obtenir une multitude de points (plutôt que de fentes ou de rayures) apportant chacun son information sur la lumière reçue (cf MUSE ci-dessous).

Une autre évolution concerne l’interprétation de la lumière reçue par le spectroscope.

Fraunhofer remarqua les discontinuités sombres présentes sur tout spectre de lumière solaire (les « raies de Fraunhofer »). Mais ce n’est qu’en 1849 que Léon Foucault (le Foucault du pendule) réalisa que ces raies correspondaient à l’absorption par la lumière d’un élément chimique présent dans l’émetteur lui-même, ou dans l’atmosphère traversée (ce dont on ne s’aperçut qu’un peu plus tard) et qui annulait en quelque sorte l’émission sur la longueur d’onde de l’élément chimique concerné.

En 1859, Gustav Kirchhoff remarqua que la source émettrice devait être plus chaude que la lame du réseau qui l’absorbe (d’où beaucoup de difficultés pour obtenir les spectres de rayonnements lointains et très froids). C’est le début de la découverte d’un nombre extrêmement élevé de raies qui permettent d’identifier très précisément une multitude d’éléments chimiques (simples ou composés) par leur longueur d’onde, et par leur position par rapport aux autres raies, un outil extraordinaire pour l’exploration spatiale car il est devenu extrêmement précis.

Une autre évolution concerne l’impression de l’image reçue (à fin de conservation et de comparaisons).

Au sortir d’un spectroscope, il faut un spectrographe (que souvent on ne distingue pas du spectroscope) pour capter l’image du spectre et obtenir un spectrogramme (le document). On est passé du simple dessin, transcrivant la vue sur écran, à l’impression photographique en noir et blanc puis couleur, et enfin à la capture du rayonnement reçu par capteur CCD (Charge Coupled Device), une matrice de photodiodes extrêmement petites, quelques microns, ce qui permet une précision extraordinaire, évidemment utilisée jusqu’à l’extrême pour décomposer les rayonnements les plus faibles du fait de leur distance ou de leur abondance.

L’un des premiers « développeurs » (dirait-on aujourd’hui) du spectroscope pour l’astronomie, fut le père jésuite italien Angelo Secchi (1818 – 1878) qui inventa le premier appareil spécialement conçu pour décomposer en raies la lumière des étoiles (et non plus seulement celles du Soleil, sur lequel il travailla principalement). Il utilisa cet instrument à partir de 1863, ce qui lui permit de publier en 1870 une classification en quatre couleurs des quelques 4000 différentes sources observées en les rapprochant des éléments chimiques dominant dans leurs raies spectrales.

On était alors dans le cadre d’un univers que l’on pensait statique, mais une autre porte fut ouverte en 1868 quand l’astronome britannique William Huggins, réalisa que le décalage vers le rouge du spectre de l’étoile Sirius, par rapport à celui d’autres étoiles, était explicable par le déplacement (effet Doppler-Fizeau ou « redshift » confirmé en 1848 par Hyppolyte Fizeau après sa découverte en 1842 par Christian Doppler). Il en conclut naturellement que l’intensité et le sens du décalage pouvaient servir à calculer la vitesse radiale des astres.

Le Vaudois Charles Dufour se servit de cette découverte pour calculer des parallaxes à des distances jamais tentées, à partir des bases constituées par le rayon de rotation des étoiles doubles (avec la Terre et non plus l’astre, comme pointe de l’angle) ainsi qu’il l’expose dans le bulletin n°10 de la Société Vaudoise de sciences naturelles en 1868 : au sein du couple d’une étoile double, la variation de vitesse indiquée par l’effet Doppler va permettre de calculer l’orbite de l’« étoile satellite » autour de l’étoile principale, donc son rayon. Ceci à condition bien sûr que la lumière des deux étoiles du couple puisse être dissociée l’une de l’autre (ce qui limite la distance à laquelle on peut utiliser le calcul). On aura ainsi la base du triangle, dont on pourra mesurer le côté de l’angle au sommet duquel se trouve la Terre en prenant la tangente de l’angle lié à cette base.1

Cette utilisation de l’effet Doppler sur le spectrogramme se faisait dans la continuation des calculs de parallaxe pour estimer la distance des astres de notre environnement plus ou moins proche. Mais avec la multiplication des observations dans un volume d’espace de plus en plus grand, permises par des télescopes de plus en plus puissants, on remarqua au début du XXe siècle (1929, Hubble) que les galaxies étaient affectées d’un redshift d’autant plus élevé que leur distance à notre Voie Lactée était grande. L’estimation de la distance calculée jusque-là par d’autres moyens, les « chandelles standards » (supernovas de « type Ia », entre autres), pouvait désormais être faite (ou confirmée) par le redshift (ce qui était d’ailleurs la seule solution pour les sources de rayonnements les plus lointains).

C’est cette constatation qui permit à l’abbé Lemaître, en remontant le temps, d’en déduire (1931) que l’univers était en expansion, ou plutôt de relier cette constatation à sa théorie plus ancienne (1927) de l’« atome primitif » qu’il avait élaborée à partir de considération théorique (et de calculs) reposant sur la structure de l’atome et les rayons cosmiques.

Depuis, on précise et on raffine sans cesse.

Le dernier instrument en date, MUSE (Multi Unit Spectroscopic Explorer)2, en service depuis 2014, est placé sur un des télescopes du VLT (Very Large Telescope) de l’ESO (European Southern Observatory).

C’est une application surtout intéressante pour l’observation des sources lumineuses les plus lointaines. Par croisement des réseaux, il apporte une vision différenciée et simultanée de chaque point de lumière. On obtient ainsi non seulement une image ponctuelle, mais aussi, grâce à l’effet Doppler-Fizeau, une vitesse d’éloignement, l’orientation du mouvement, et encore un spectre donnant la composition chimique du point observé. En même temps, on obtient une vue simultanée des autres sources lumineuses (et de leurs spectres) comprises dans le champ (on parle de « spectroscopie intégrale de champ »). Cela permet d’obtenir directement une véritable carte physico-chimique immédiate du ciel en 3D.

 

Nous voyons donc là un cheminement scientifique typique, fruit de beaucoup de réflexions, de travaux et de calculs, effectués dans divers domaines (physique, acoustique, optique, chimie, maîtrise de l’énergie, travail du ver et du métal, cryogénie, informatique) et qui parviennent à un résultat synthétique, un outil extraordinaire d’observation des étoiles les plus lointaines, dans leur contexte, permettant l’analyse la plus fine de la source et de son environnement.

À toute époque, dans un domaine quelconque, la science est le fruit de progressions à partir d’un état antérieur, et finalement d’une convergence avec les progressions effectuées parallèlement dans d’autres domaines, sans oublier toujours les mathématiques qui sont au-delà de la logique, la solution pour décrire sérieusement et précisément des phénomènes théorisés et observés (comme l’écriture est indispensable pour la littérature) et le socle sur lequel on s’appuiera pour réaliser ensuite d’autres progrès.

Sur le web

  1. Lire mon article sur le sujet, dans le Bulletin de la Société Vaudoise de Sciences Naturelles (Vol 99, 2020, pages 130 et suivantes) : « Un Vaudois contributeur majeur à l’astrométrie moderne ».
  2. Mais il y en a d’autres ! J’aurais aussi bien pu me référer à l’observatoire Gaia et ses deux télescopes dotés de spectroscope, lancé en 2013 au point de Lagrange Terre-Soleil L2 pour cartographier en 3D les étoiles proches.

Conquête de l’espace : le Japon fait d’une pierre deux coups

Dans la nuit du mercredi 6 au jeudi 7 septembre, à 01 h 42 du matin (08 h 42 au Japon), une fusée H-IIA (H-2A) a quitté la Terre, du centre spatial de Kanegashima1, emportant à son bord deux missions spatiales.

La première, SLIM (Smart Lander for Investigating Moon), a pour objet l’atterrissage d’une sonde sur la Lune ; la seconde, XRISM (X-Ray Imaging and Spectroscopy Mission) a pour objet le positionnement d’un capteur de rayons X « mous » (tout est relatif) en orbite terrestre basse (550 km). Le couplage des deux missions organisé par l’agence spatiale japonaise, la JAXA, a été décidé simplement pour réduire les coûts du lancement.

Le lanceur H-IIA est relativement peu puissant puisqu’il ne peut mettre que 15 tonnes en LEO et 6 tonnes en GEO (comparé à 21 tonnes en LEO et 10 tonnes en GEO pour Ariane 5 ECA, et à peu près les mêmes masses pour une Falcon 9). Il est construit par Mitshubishi Heavy Industries et Ishikawajima-Harima Heavy Industries (spécialiste en ingénierie spatiale). C’est une fusée qui a une longue histoire (47 lancements dont un seul échec depuis 2001) et qui ne pose aucun problème.

La masse des charges utiles embarquées est de 590 kg dont 200 kg pour l’atterrisseur SLIM, et 2300 kg pour XRISM. Pour comparaison, l’atterrisseur avec son lanceur Chandrayaan 3 avait une masse de 3900 kg dont 2148 kg pour le module de propulsion, et 1752 kg pour l’atterrisseur, dont 26 kg pour le rover.

 

SLIM

On voit tout de suite le choix qui a été fait pour SLIM, celui d’aller tout doucement vers la Lune, sur une très longue trajectoire, du fait d’une dotation en énergie très limitée (il faut toujours choisir entre masse transporté et énergie consommée).

Elle n’y parviendra en effet qu’en février 2024, après un voyage de six mois alors que Chandrayaan, partie le 14 juillet y est arrivée le 23 août. Cela dit clairement ce qu’est SLIM : un test d’atterrissage sur la Lune pour une nation spatiale qui n’a jamais tenté cette expérience (la tentative d’ispace en décembre – et son échec – était privée). Et la JAXA l’a précisé, ce sera tout de suite un atterrissage d’ultra précision qu’elle appelle « pinpoint landing » (ellipse de 100 mètres seulement).

Le site d’atterrissage lui-même n’a pas d’intérêt particulier, il est situé près de l’équateur, par 13°N. Outre sa propre masse et quelques équipements scientifiques, la sonde apportera deux rovers.

Les deux véhicules sont aussi des tests et ils sont très originaux.

Le premier, tout petit (250 grammes), LEV-1, est décrit comme « roulant ». En fait, il pourrait être décrit comme « roulant-rampant » (voir image) car composé d’une boule dont les deux hémisphères s’éloignent ce qui les transforment en roues.

L’autre, LEV-2, est encore plus petit (masse de 26 grammes) et se déplace par sauts, mode très adapté pour la Lune compte tenu du terrain non préparé à la locomotion roulante et de la faible pesanteur (0,16 g, soit la moitié de celle que la masse de la planète Mars exerce à sa surface).

Une autre particularité de la mission est le déploiement après atterrissage (voir illustration de titre). Comme toutes les sondes sur les astres ne disposant pas d’atmosphère suffisamment portante, elle va se poser par rétropropulsion, donc à la verticale. Mais ensuite, après avoir écrasé ses cinq pattes imprimées en 3D dans un matériau compressible (« lattice »), elle va pivoter pour se mettre à l’horizontale (on pourrait dire s’allonger).

Cerise sur le gâteau, elle ne va pas se poser sur un terrain plat, mais sur une pente (ce que permet l’écrasement des pieds), celle d’un petit cratère, relativement récent, Shioli. Cela lui permettra un meilleur contact avec le sol pour ses observations (caméra et spectromètre pour l’analyse du sol) et surtout une évacuation plus facile pour ses deux rovers (qui partiront du sommet qui va s’ouvrir au niveau du sol alors que la base de la sonde qui va toucher en premier le sol est occupée par le dispositif de propulsion et de premier contact).

Il va sans dire qu’après ces tests, le Japon a bien l’intention d’envoyer d’autres missions sur la Lune ou ailleurs, et qu’elle pourra utiliser ces nouvelles technologies. Rappelons que pour l’instant les seuls  débarquements des Japonais ont eu lieu sur des astéroïdes.

 

XRISM

XRISM qui est un partenariat de la JAXA2 avec la NASA et l’ESA, a un autre objectif : celui de relayer les anciens capteurs de rayons X « mous » (longueurs d’onde > 0,2 nm) en attendant que les nouveaux soient en service.

En effet, les capteurs actuels, Chandra (NASA, lancé en 1999 pour 5 ans !), XMM Newton (ESA, lancé également en 1999), vieillissent. Et les nouveaux (ATHENA3, lancement prévu par l’ESA en 2035), qui seront utilisés pour les rayons X mous, ne sont pas encore prêts à être lancés.

Le télescope NuSTAR couvre, lui, les rayons X durs (longueurs d’onde < 0,2nm). Hitomi, un autre télescope japonais, couvrant les rayons X durs et mous, a bien été lancé en février 2016 et placé en orbite. Mais il a été détruit en mars de la même année avant d’entrer en service, en raison de la déficience de son système de contrôle d’attitude.

Afin qu’il n’y ait pas de trou dans notre vision de l’espace, il nous faut absolument continuer à observer le ciel dans les longueurs d’onde de ces rayons X mous (puisque les durs sont couverts désormais, depuis 2018, par NuSTAR). XRISM va aussi nous servir à valider certaines technologies qui doivent être utilisées sur ATHENA et qui ont été fournies à cette mission par l’ESA (ce qui donne à cette dernière un temps d’observation de 8 %). Le temps de vie minimum de XRISM est de 3 ans (mais on espère beaucoup plus !).

Pour nous permettre d’effectuer l’observation de ces rayons X, XRISM portera deux instruments, Resolve et Xtend.

Resolve est un microcalorimètre développé par la NASA (Goddard Space Flight Center), capable de déceler des températures très proches du zéro absolu (générées par les impacts de rayons X). Le minimum n’est que de 0,05K !

Xtend est une caméra CCD sensible aux rayons X.

Les deux ont leur propre télescope, en parallèle l’un de l’autre, avec une longueur focale de 5,8 mètres.

Rappelons que les rayons X sont émis par les événements les plus violents de l’Univers. Ils sont donc un complément indispensable aux autres signaux reçus de l’espace, en quelque sorte une dimension particulière (NB : au-delà des rayons X, à l’extrémité du spectre électromagnétique, du côté ondes courtes, nous avons les rayons gamma, mais cela est une autre histoire).

D’une manière générale on ne peut pas observer ces rayonnements depuis la surface de la Terre puisqu’heureusement pour la vie, ils sont arrêtés par l’atmosphère terrestre. Une autre difficulté résultant des très petites longueurs d’onde, est qu’on est obligé d’adapter fortement nos modes de capture. Il n’est bien sûr pas question d’utiliser des miroirs mais pas question non plus d’utiliser des antennes. Les antennes plates ou légèrement concaves orthogonales aux rayonnements ne verraient rien, mais des surfaces quasi perpendiculaires aux rayonnements (avec une pente extrêmement faible) et longues peuvent transmettre le maximum d’informations. Ceci explique la forme inhabituelle de ces télescopes particuliers, et leur aspect quand on les regarde par la tranche (exposée la première aux rayonnements) puisqu’ils ressemblent davantage à des tubes constitués par de multiples feuillets très rapprochés les uns des autres, qu’à des miroirs de télescope classique.

Avec ces deux missions le Japon continue sa participation et sa contribution à haut niveau à l’exploration spatiale. Ce n’est pas un partenaire mineur de la communauté scientifique, ni qui cherche à faire de l’esbrouffe. La communication n’est pas sa priorité. Le pays suit un chemin particulier toujours innovateur et utile au monde entier, pour la science.

 

 

Sources :

https://parabolicarc.com/2023/08/15/launch-roundup-japan-aims-moon-landing/

https://global.jaxa.jp/projects/sas/slim/

https://en.wikipedia.org/wiki/X-Ray_Imaging_and_Spectroscopy_Mission

https://www.nasa.gov/feature/goddard/2023/jaxa-nasa-xrism-mission-ready-for-liftoff

https://en.wikipedia.org/wiki/Smart_Lander_for_Investigating_Moon

https://www.youtube.com/watch?v=Ej4ZMp4a2xw

https://www.isas.jaxa.jp/en/missions/spacecraft/developing/slim.html

https://www.space.com/moon-sniper-slim-japan-launch-august-2023?utm_source=notification

https://www.livemint.com/science/news/japan-postpones-moon-landing-here-s-why-slim-missions-rocket-launch-has-to-wait-11693187340855.html

https://www.esa.int/Space_in_Member_States/France/La_prochaine_grande_mission_en_rayons_X_devrait_etre_lancee_prochainement

https://www.space.com/moon-sniper-slim-japan-launch-august-2023?utm_source=notification

  1. petite île, la plus méridionale de l’archipel Nippon, à la latitude 30°23 N. Partir de là permet au Japon d’être au plus près de l’équateur tout en restant sur son territoire national, afin de bénéficier au maximum de l’effet de fronde de la Terre.
  2. plus précisément sa division « ISAS » (Institute of Space and Astronautical Sciences).
  3. Advanced Telescope for High Energy Astrophysics

Sonde Chandralayann 3 sur la Lune : victoire des Indiens

Ce 23 août, à l’heure prévue, 14 h 34 (heure suisse), l’atterrisseur Vikram de la mission Chandrayaan 3 s’est posé en douceur et sans problème sur la Lune. Il porte un rover, Pragyan.

Ces deux équipements sont assistés par un orbiteur (également module de propulsion pour la dernière partie du vol Terre-Lune) qui leur sert de relai de télécommunication. La masse totale de la mission est de 3,9 tonnes, dont 2,15 tonnes pour le module de propulsion/orbiteur et 1,75 tonne pour l’atterrisseur et le rover (avec les ergols nécessaires aux équipements).

Comme prévu, le site d’atterrissage est situé dans l’hémisphère Sud, non pas « au pôle Sud », objectif des Chinois et des Américains, comme on le dit abusivement, mais quand même à une latitude haute (69,3°S). Il ne s’est pas non plus posé sur la face cachée de la Lune comme certains commentateurs l’ont dit, mais par une longitude 32°E (le méridien lunaire est fixé comme étant l’arc de cercle le plus exactement face à la Terre).

Mais ce n’est pas cela l’important. Ce qui est important, c’est d’être sur la Lune, et fonctionnel, et Chandrayaan 3 y est bel et bien. L’amplitude de l’ère d’atterrissage était un rectangle de 55 x 11 km, ce qui permettait un ajustement de dernière minute. On a vu d’ailleurs l’atterrisseur, choisir l’endroit le plus favorable en gardant plusieurs secondes son altitude juste avant de se poser (150 mètres).

Le rover est un petit engin de 26 kg (Perseverance ou Curiosity ont une masse de 1 tonne). Il fait penser au Sojourner de la mission américaine Mars Pathfinder de 1997.

La mission doit durer 14 jours, la durée d’un jour lunaire, car ni l’atterrisseur ni le rover ne sont équipés pour résister au froid de la nuit lunaire, les panneaux solaires ne fournissant que l’énergie nécessaire à la mobilité du rover et au fonctionnement des instruments.

L’objet principal de la mission était principalement la démonstration de la capacité à se poser en douceur au sol. Il est donc atteint. Maintenant, le rover va pouvoir rouler un peu sur le sol, recueillir quelques données et prendre quelques mesures puisqu’il est équipé d’une caméra, d’un sismomètre, d’un appareil pouvant prendre la température et la conductivité thermique à 10 cm sous la surface (ce qui donnera des indications précieuses sur les propriétés du régolithe), d’une sonde de Langmuir pour mesurer la densité du plasma présent dans la couche de l’exosphère proche de la surface.

Rappelons que le décollage de la fusée porteuse de la mission a eu lieu le 14 juillet de la base spatiale de Satish-Dhawan (13° N, près de Sriharikota dans le Tamil Nadu, côte sud-est de l’Inde). Le lanceur était indien, un LVM3 (Launch Vehicle Mark 3) de l’agence spatiale ISRO, dont le premier vol avait eu lieu en 2014 (décision prise en 2002), et qui est peu souvent utilisé. Il peut placer 8 tonnes en orbite basse terrestre (LEO) et 4,5 tonnes en orbite géostationnaire (GSO). C’est donc un petit lanceur (masse au décollage 640 tonnes, hauteur 43 mètres) relativement peu puissant (cf Falcon 9 : 22,8 tonnes en LEO et 8,3 tonnes GSO). Le premier étage est assisté de deux boosters qui utilisent un propergol solide (à base de polybutadiène hydroxytéléchélique, PBHT) tandis que lui-même utilise un tétroxyde d’azote brulant dans du diméthylhydrazine (UDMH). L’étage supérieur brûle de l’hydrogène dans de l’oxygène.

Le voyage a été long car la masse d’ergols embarquée était limitée par la masse utile embarquée, et donc l’impulsion de l’orbite de parking terrestre vers la Lune, mimimum. Il s’est bien passé, avec cinq ajustements de trajectoires normaux. Après avoir stationné sur une orbite de parking à 100 km d’altitude, la sonde est descendue jusqu’à une autre orbite de pré-atterrissage de 30 km (les Russes avaient choisi 12 km). La descente finale, entièrement propulsée, puisque la Lune n’a pratiquement pas d’atmosphère, s’est alors déroulée en exactement quinze minutes, comme prévu.

On parle d’un coût de 75 millions de dollars pour la totalité de la mission.

Ce montant n’a pas grande signification en soi car il faudrait savoir ce qu’il inclut. Comment par exemple a été fixé le prix du lanceur utilisé ? De toute façon, l’ensemble des équipements et des services utilisés sont Made in India, ce qui permet effectivement des coûts très bas. En tout cas, ce sera une bonne publicité pour la commercialisation du lanceur auprès d’autres utilisateurs, notamment dans les pays en voie de développement.

Chandrayaan 3 est un remake de Chandrayaan 2 qui s’est écrasé sur la Lune en 2019. C’est une belle revanche sur cet échec, ainsi qu’une magnifique démonstration des capacités ingénieuriales de l’Inde, surtout deux jours après l’échec des Russes pionniers de la conquête spatiale. Dans ce contexte, l’atterrissage de Chandrayaan 3 est une grande fierté pour l’Inde (le Premier ministre Mahendra Modi y a assisté depuis l’Afrique du Sud où il était en visite), et sans doute une revanche sur l’humiliation toujours ressentie par les Indiens pour la période coloniale.

Encore une fois, déplorons que l’Europe ne soit pas capable d’avoir son autonomie dans l’espace, de pouvoir mener ses propres expériences et sa propre exploration lunaire. C’est un choix. Dans les sphères décisionnelles de notre vieux Continent, terre des Sciences, on considère toujours l’Espace comme d’autres considéraient jadis le Canada (les quelques arpents de neige) !

Lien :

https://www.space.com/india-chandrayaan-3-moon-landing-livestream?utm_source=notification

https://en.wikipedia.org/wiki/Chandrayaan-3

Échec de Luna-25 : le déclin spatial de la Russie

La mission russe Luna-25 a échoué ce 19 août 2023, et cet échec est décourageant.

Il vient après une longue apathie sinon une série de ratés de ce pays dans le domaine des missions spatiales au-delà de l’orbite terrestre. Et l’on peut se demander si la Russie pourra jamais redevenir la nation pionnière dans la conquête spatiale en général, que l’URSS a été avant son implosion. Rappelons-nous : années 1950 (Spoutnik, 1957) ; années 1960 (premier atterrissage réussi sur la Lune, 1966 ; premier atterrissage sur Vénus 1967) ; années 1970 (première station spatiale, Saliout, en 1971 ; premier atterrissage sur Mars, 1972) ; années 1980 (station MIR en 1986).

Luna-24, le vol précédent des Russes jusqu’à la surface de la Lune, datait de 1976, et leur dernier échec dans l’espace, la mission Phobos-Grunt (vers le satellite de Mars, Phobos) datait de novembre 2011. Mais aucun succès depuis ! Ces simples dates soulignent l’importance de cette mission pour les Russes et de la question qu’elle posait. La Russie peut-elle retrouver sa puissance spatiale d’antan, ou est-elle condamnée à vivre dans le souvenir de ses exploits passés ?

Comment y répondre aujourd’hui autrement que par la négative ?

Il est vrai que sur beaucoup de plans, la Russie n’est plus l’URSS. Le domaine spatial en particulier a beaucoup souffert du changement politique car, après 1991, l’État ne disposait plus du tout des mêmes moyens financiers que pendant les années 1960.

Cela était particulièrement vrai pour ses scientifiques ou ses ingénieurs travaillant pour l’exploration spatiale. La plupart (nombre estimé à trois sur quatre) ont alors quitté le secteur pour simplement pouvoir survivre, ou bien ils se sont expatriés. Les rares qui restèrent à l’œuvre n’étaient pas forcément les meilleurs, et n’avaient par ailleurs plus aucun moyen de développer quelque projet d’importance que ce soit.

Outre l’argent, le savoir-faire et la mémoire avaient disparu. L’organisation elle-même avait été bouleversée, l’agence spatiale russe ayant été refondée dans l’esprit de libertarianisme prévalant à l’époque. En 1992, Boris Eltsine l’avait sortie du contrôle des militaires (MOM et VKP), pour créer une agence spatiale à l’image de la NASA, la RKA puis FKA. Mais cette libéralisation ne donna rien et la FKA devint officiellement l’« entreprise d’État » (avec un contrôle resserré de l’État), Roscosmos en 1999. On voit aujourd’hui qu’une entreprise n’est pas seulement un cadre, c’est aussi les personnes qui la dirigent et qu’elle emploie.

Douze ans après Phobos Grunt (mentionnée ci-dessus), le fiasco de Luna-25, confirme donc l’incapacité des Russes. Je rappelle que cette mission se termina très prématurément par l’impossibilité d’injecter le vaisseau spatial sur sa trajectoire interplanétaire vers Mars depuis son orbite de parking terrestre. Déjà un problème de calcul ! Il n’était plus resté aux Russes que la routine des mises sur orbite terrestre de satellites de communication avec des lanceurs Protons et de lancement de navettes  Soyouz vers et au retour de la Station Spatiale Internationale (ISS). Ces derniers étaient effectués avec un vieux lanceur éprouvé depuis les premières années de la conquête spatiale (premier vol en 1967), portant le même nom de Soyouz, une sorte de 2CV de l’espace par sa rusticité et son efficacité.

Maintenant que la guerre froide est revenue, il n’est plus question de continuer la collaboration (en faisant abstraction de l’ISS elle-même où les Russes disposent du cœur même de l’ensemble, les six segments qui auraient dû constituer la station Mir-2 et qui sont indispensables/indissociables à/de l’ensemble, notamment le module Zvezda). Heureusement qu’une société américaine privée, SpaceX, est arrivée à la rescousse de la NASA pour fournir une alternative aux Soyouz avec leur Crew-Dragon lancée par Falcon 9 à partir de mai 2020 pour effectuer les transports d’équipage. On imagine mal que les Russes aient pu jouir d’un contrôle total sur l’ISS au début de la guerre en Ukraine ! Mais enfin, cela ne s’est pas passé ainsi, et les Russes ne peuvent maintenant qu’en rêver.

Les Russes travaillaient sur Luna-25 depuis la fin des années 1990.

La mission était vue comme une réplique de Luna-24, ce qu’elle n’est pas tout à fait. Comme Luna-24, elle devait bien effectuer un prélèvement d’échantillon du sol lunaire, mais cette fois en l’examinant sur place avec quelques instruments embarqués, sans renvoyer d’échantillons sur Terre. En réalité il s’agissait d’un simple atterrisseur, engin léger (1,75 tonne sèches dont 30 kg d’équipements scientifiques contre 1,88 tonne pour Luna-24, mais ce dernier était complété par un étage de remontée en orbite et de retour sur Terre, ce qui le portait à plus de 5 tonnes avec les ergols). Il était bien chargé d’une mission scientifique, forage jusqu’à 50 cm, puis examen des prélèvements, mais l’objectif principal était vraiment de se poser sans casse sur la Lune, et ensuite de montrer que l’atterrisseur pouvait toujours communiquer efficacement avec la Terre.

En bref, il s’agissait pour les Russes de refaire le minimum de ce qu’ils avaient réussi en 1976 afin de pouvoir repartir sur une bonne base. Et ils ne l’ont pas fait !

Luna-25 était propulsée par un lanceur Soyouz 2.1b complété par un deuxième étage Fregat, alors que Luna-24 l’avait été par un lanceur lourd Proton-K (capacité de 22 tonnes en orbite basse), pour des raisons de différence de masses, car le Soyouz n’avait pas la capacité suffisante à l’époque (le Fregat a une masse de 5,35 tonnes avec ses ergols, et le Luna-25 de 1,75 tonne – comme dit ci-dessus – avec ses 975 kg d’ergols). Le lanceur moyen Soyouz a évolué depuis 1976 (puisqu’il peut aujourd’hui mettre 9 tonnes en orbite basse) mais relativement peu ; on reste dans la même famille.

Par ailleurs, les Soyouz (lanceur et vaisseau) sont en principe spécialisés dans les vols habités. Il n’y avait donc pas d’innovation technologique, mais la mission elle-même ne l’exigeait pas.

À noter que cette mission est partie de la nouvelle base spatiale (cosmodrome) Vostochny en Extrême Orient russe, les Russes voulant de plus en plus ne dépendre que d’eux-mêmes et laissant tomber le cosmodrome historique de Baïkonour qui est maintenant au Kazakhstan.

Leur accord avec les autorités Kazakhs a été renouvelé en 2004 jusqu’à 2050. Mais à cette occasion, les Kazakhs sont devenus plus exigeants et ont obtenu toutes sortes de concessions pour participer plus activement aux activités de lancement. On peut voir là l’expression du raidissement russe, constaté par ailleurs en matière de relations internationales. Maintenant cette précaution apparaît bien vaine.

L’arrivée de la sonde Luna-25 sur le sol lunaire était prévue le lundi 21 août après une mise sur une orbite de transfert de 100 km au-dessus de la Lune, réussie le 16 août. Elle devait passer ensuite sur une orbite de pré-atterrissage (pre-landing) descendant de 100 à seulement 18 km, avant de s’engager dans la descente terminale, rapide puisque verticale, jusqu’au sol lunaire.

Tout s’est arrêté à ce moment là, apparemment encore pour un problème de calcul.

D’après Yura Prosti, chaîne de Telegram, bien informée :

« A computational error led to the final engine firing to be 1.5 time longer than required and thus resulting in deorbiting and crash of the spacecraft on the Moon ».

C’est plus qu’une maladresse !

À noter que les Indiens ont également une mission lunaire en cours. Leur fusée Chandrayaan 3 doit atterrir sur la Lune le mercredi 23 août. Les références indiennes actuelles ne sont pas bonnes (échec en 2019 avec Chandrayaan 2). Mais quelle honte ce serait pour les Russes s’ils réussissaient ! Rappelons déjà que les Chinois ont réussi cette même prouesse de l’atterrissage en décembre 2020 avec leur mission Chang’e-5 qui comprenait, elle, un retour d’échantillons, également réussi.

D’autres missions étaient prévues avant l’échec : Luna-26 en 2027, Luna-27 en 2028 et Luna-28 à partir de 2030. Ensuite devait venir une mission habitée sur la Lune en vue de la construction, avec la Chine, d’une base habitable. Mais comment continuer dans ces conditions ? Pour paraphraser Shakespeare, « il y a vraiment quelque chose de pourri dans l’empire de Russie », et la Chine n’aura même pas besoin de leur aide !

 

Sources :

https://www.france24.com/en/europe/20230810-russia-hopes-to-pull-ahead-in-the-space-race-with-the-launch-of-the-luna-25-moon-lander

https://t.me/roscosmos_gk/10293

https://kiosque.lefigaro.fr/reader/e69e9352-b3f9-4f6c-bd9f-dda8c2fc33ca?origin=%2Fcatalog%2Fle-figaro%2Fle-figaro%2F2023-08-12

Une coopération Europe États-Unis pour construire une nouvelle station spatiale ?

La Station Spatiale Internationale (ISS) vit ses dernières années.

Actuellement il est prévu du côté américain qu’elle soit désorbitée en janvier 2031. Les Russes, eux, parlent maintenant de 2024 après avoir envisagé 2028 (c’était avant la guerre). Il faut se rappeler que les premiers éléments de la Station ont été lancés en 1998. Elle n’aura donc vécu que trente années. Mais il faut comprendre aussi que les conceptions et les technologies évoluent, et qu’au bout d’un moment il est plus efficace et moins coûteux d’arrêter d’entretenir et de réparer, pour construire à nouveau.

 

Avant de recommencer, on peut se poser la question de l’utilité de telles stations.

À la Mars Society, on a toujours considéré que l’ISS avait davantage été un obstacle à l’exploration spatiale par vols habités, qu’une facilitation.

Robert Zubrin, fondateur de l’association aux États-Unis, disait en 1998 lors de sa création : « If we want to go to Mars, let’s do it, directly ».

Il est vrai que tout ce qu’on a appris à faire dans la station, on aurait pu l’apprendre dans les vaisseaux spatiaux, au cours de voyages vers la Lune (pour commencer) ou en surface de la Lune dans des habitats plus vastes qu’en orbite dans l’espace proche, en utilisant un minimum de ressources locales, ne serait-ce que le régolithe pour protéger nos astronautes des radiations, et en leur faisant bénéficier d’une gravité, certes faible, mais moins invalidante que l’apesanteur où évolue aujourd’hui l’ISS.

L’avantage aurait été de pouvoir faire en même temps autre chose, c’est-à-dire de la planétologie sur la Lune, et y utiliser des instruments en préparation à l’exploration qu’on aurait pu ensuite faire sur Mars.

Quoi qu’il en soit, le pli est pris, et on continuera à construire et à vivre dans des stations.

On y mènera diverses expériences scientifiques utilisant l’apesanteur (cristallisation par exemple) ou étudiant le comportement du corps humain en apesanteur, jusqu’à ce qu’on ait vraiment compris qu’il faut absolument restituer une gravité minimum pour que ce corps puisse se maintenir en bonne santé.

À partir de ce moment, on construira d’autres stations, cette fois-ci en rotation sur elle-même ou en couple avec une autre, comme celles imaginées dans les années 1970 par Gerard O’Neill (cylindres ou tores). Mais ces stations de troisième génération seront plus que des lieux d’expérimentations, elles deviendront des lieux de vie pour des populations qui auront à faire dans l’espace, ou bien qui auront choisi de travailler ou de passer leur temps dans ces endroits merveilleux, puisque leur environnement sera contrôlable, plutôt que de rester sur une Terre appauvrie et dangereuse.

 

Pour le moment, restons où nous sommes, c’est-à-dire à l’aube de ces nouvelles stations de deuxième génération (après MIR et l’ISS, les stations russes précédentes, Saliout, n’étant que des préparations à MIR).

Plusieurs pays en envisagent, en plus de la Chine qui vient de construire puis de commencer à utiliser la sienne, baptisée Tiangong.

Il y a aussi la Russie qui a repris toute son indépendance vis-à-vis des Etats-Unis dans le domaine spatial et qui envisage pour l’affirmer, une station séparée, nommée « ROSS ». En août 2022 les Russes projetaient deux phases pour ROSS, la première entre 2025 et 2030, la seconde avant 2035. Bien sûr une telle entreprise coûte cher mais les Russes ont le savoir-faire et les questions de coût sont relatifs dans les pays autoritaires. Les Indiens, toujours présents quand on parle de spatial, veulent aussi leur station. Mais comme c’est la plus récente et la moins qualifiée des puissances spatiales, on attendra de voir.

Les États-Unis veulent donc continuer, et ils le feront avec le programme Starlab. Ils souhaitent certainement embarquer avec eux les partenaires qui leur restent, c’est à dire l’ESA, le Canada et le Japon. Ces derniers ne disposent pas de moyens financiers pour faire cavalier seul, et l’ESA ne le peut pas, et ne le veut pas, puisqu’elle n’a plus de lanceur propre.

On attend toujours la preuve d’Ariane 6 (son lancement), et ce projet n’est pas un lanceur vraiment lourd, comparé par exemple au Falcon Heavy de SpaceX, et parce qu’elle a toujours considéré que les vols habités étaient périphériques par rapport à ses deux activités spatiales principales : mises en orbite de satellites terrestres commerciaux ou scientifiques et envois de missions scientifiques robotiques dans l’espace profond.

Ceci dit, les compétences européennes sont intéressantes techniquement, à moins que ce soit politiquement pour les États-Unis, et elles ont ainsi des chances de continuer à être utilisées.

Cela a été le module Columbus et la plateforme de chargement Bartolomeo construits par Airbus via L’ESA pour l’ISS.

Cela a été l’ATV construit par ArianeGroup encore via l’ESA pour approvisionner l’ISS en équipements ou en consommables (et ensuite pour servir de poubelle).

Cela a été l’EMS (European Module Service) toujours via l’ESA, constituant l’adjonction fonctionnelle indispensable à la capsule Orion (en fait le troisième étage de la fusée SLS).

Et cela pourrait continuer dans le cadre du programme Starlab, puisque la société Voyager Space a choisi Airbus comme partenaire dans ce projet lancé par la NASA, pour en réaliser le module habitat (en remplacement de Lockheed Martin écarté après l’implosion de Titan au-dessus de l’épave du Titanic, car la société voulait utiliser un module gonflable que le PDG de Voyager Space considère par analogie comme trop dangereux).

Le contrat n’est pas encore attribué. Il le sera en 2025 ou 2026, mais Voyager Space et l’un des trois candidats shortlistés par la NASA sur le plan financier et elle a reçu la plus grosse dotation pour continuer son étude.

Les autres sociétés bénéficiant d’un financement de la NASA sont Blue Origin (Jeff Bezos) et Northrop Grumman. À noter que des sociétés non financées comme Axiom, SpaceX ou Vast pourront toujours présenter leur candidature, car l’appel d’offres leur reste ouvert. Bien que moins bien placées, leurs chances ne sont pas nulles, car elles ont des compétences pour avoir travaillé toutes trois sérieusement sur des projets propres de station spatiale depuis déjà quelque temps.

Il est certain cependant que cette situation de fournisseur ou de sous-traitant ne permet pas d’initiative conceptuelle de la part des Européens (ils doivent faire aux Américains des propositions que ceux-ci doivent considérer acceptables… et préférer à d’autres en concurrence). Et il est étonnant/regrettable qu’ils se contentent de cette position. Imaginons que finalement ce soit un concurrent de Voyager Space qui remporte le contrat de Starlab.

Il ne resterait alors rien à l’Europe pour envoyer dans l’espace, sauf le module EMS de la mission Artemis. Mais que pèserait ce module si le Starship peut voler ? À ce moment, je parierais que ni le SLS ni son EMS n’étant plus d’aucune utilité, la NASA réviserait ses plans pour les missions Artemis non encore engagées, et opterait pour la solution la plus simple (sans transbordement), donc pour le Starship. Reste finalement la possibilité que la NASA veuille garder l’ESA sous son emprise, et qu’elle trouve un moyen de faire réaliser par cette dernière quelques travaux qui seront intéressants pour elle et lui donneront l’impression de rester, quoique dans de mauvaises conditions, un partenaire à la hauteur.

Il semble qu’en astronautique l’ESA soit engluée dans des problèmes décisionnels insurmontables : on se réunit entre membres, on fait des déclarations, on étudie, et finalement rien ne se passe, car rien ne se décide. L’organisation européenne fait preuve d’un manque criant d’audace et de volonté de porter jusqu’au bout des idées innovantes. Peut-être parce qu’il est difficile de décider quand on est trop nombreux ; que pour obtenir un consensus on est obligé de se contenter du plus petit commun dénominateur ? Mais sûrement aussi parce que par principe les vols habités ne passent toujours pas comme une activité sérieuse auprès des scientifiques et des dirigeants de l’institution.

 

Un article publié initialement le 17 août 2023.

 

Mars : découverte d’un ancien environnement propice à l’émergence de la vie

Par Gilles Dromart.

 

Notre groupe de recherche publie aujourd’hui dans Nature les premières preuves tangibles de l’existence passée et durable d’environnements à la surface de Mars particulièrement favorables à la synthèse spontanée des premières molécules de la biologie nécessaires à l’émergence de la vie.

Nous avons découvert des structures fossiles témoins de cycles répétés et durables de séchage-mouillage de sédiments très anciens de la surface de Mars. Ce mode alternatif sec-humide promeut la concentration et polymérisation de molécules organiques simples (sucres ou acides aminés) qui pourraient avoir été contenues dans les sédiments. Ces processus constituent une étape fondamentale vers la synthèse de molécules biologiques tels que les acides nucléiques (ADN ou ARN).

La question qui préoccupe les scientifiques n’est pas tant de savoir si la vie a existé sur une autre planète que la Terre, mais bien de connaître où et comment la vie telle que nous la connaissons sur Terre s’est construite.

Depuis le milieu des années 1980, les biochimistes ont reconnu que le monde ARN fut une étape préliminaire fondamentale sur la route de la vie. L’ARN aurait constitué la molécule originale autocatalytique et porteuse de l’information génétique, avec des fonctions enzymatiques assurées par les ARNs courts. Les protéines auraient ensuite supplanté les ARNs comme enzymes en raison d’une plus grande diversité, et l’ADN remplacé l’ARN comme molécule porteuse de l’information génétique en raison d’une meilleure stabilité.

Pour accéder au monde ARN qui est une molécule complexe, il a été nécessaire de construire un enchaînement de type polymère de ribonucléotides, chacun étant composé d’un groupe phosphate, d’un sucre (le ribose) et d’une base azotée (adénine par exemple).

Ainsi, l’émergence de formes de vie primitives telle qu’elle est conçue actuellement par les scientifiques, nécessite d’abord des conditions environnementales favorables à l’agencement spontané de molécules organiques simples en molécules organiques plus complexes.

 

Des structures datées de 3,7 milliards d’années

Nous rapportons dans cet article des observations inédites transmises par l’astromobile (ou « rover ») Curiosity qui, équipé d’instruments analytiques des paysages et de la chimie et minéralogie des roches, explore depuis 2012 les pentes du Mont Sharp à l’intérieur du cratère Gale.

Lors des « sols » (jours martiens) 3154 à 3156 en juin 2021, nous avons découvert des structures singulières, exhumées au toit d’anciennes couches sédimentaires datées d’environ 3,7 milliards d’années.

Ces structures sont des rides rectilignes qui apparaissent en relief de quelques centimètres à la surface supérieure de strates sédimentaires. Ces rides vues par le haut sont jointives et sont organisées selon une géométrie parfaitement polygonale. Elles sont constituées dans le détail par l’alignement de petits nodules plus ou moins attachés les uns aux autres de roches essentiellement sulfatées. Un nodule est une petite bille qui apparaît en relief dans et à la surface des strates.

Motif fossile de rides polygonales observées et analysées par Curiosity au 3154ᵉ jour de sa progression dans les strates sédimentaires du cratère de Gale sur Mars.
NASA/JPL-Caltech/MSSS/IRAP/LGL-TPE

Ces structures polygonales représentent fondamentalement des « fentes de dessiccation », structures ô combien familières aux géologues, et similaires à celles que chacun a observées sur le fond d’une flaque d’eau boueuse asséchée. L’eau initialement contenue dans les sédiments s’évapore sous l’effet du vent et de la chaleur. Les sédiments se déshydratent et se contractent alors, engendrant ce système de fentes de retrait qui s’organise en polygones jointifs.

Des fentes de dessiccation fossiles ont déjà été ponctuellement documentées à la surface de Mars. Mais celles découvertes ici sont clairement différentes du fait de trois « détails » particuliers :

  1. Le motif polygonal est un motif en Y, formant des hexagones jointifs de type « tomette », avec des angles avoisinant 120° aux points de jonction des fentes
  2. Les fentes de retrait sont ici remplies de minéraux sulfatés (sulfate de calcium et magnésium)
  3. Ces motifs polygonaux s’observent de manière récurrente sur une épaisseur totale de 18 mètres de la colonne sédimentaire

 

De nombreux cycles de mouillage-séchage

Selon divers travaux expérimentaux menés dans les laboratoires terrestres sur des bacs à boue, ce motif en Y des jonctions des fentes est caractéristique de cycles répétés de séchage-mouillage du sédiment. Au premier séchage, les fentes de retrait s’organisent en T, formant un motif de type « carreau » avec des angles d’environ 90° aux points de jonction. Au fur et à mesure des cycles expérimentaux mouillage-séchage, les fentes se « fatiguent », et montrent des angles typiquement en Y à 120° au bout du dixième cycle.

Les sulfates sont des roches sédimentaires chimiques dites évaporitiques, c’est-à-dire résultant de la précipitation de saumures associée à l’évaporation d’eau saline. Leur présence au sein des fentes de retrait conforte l’interprétation de celles-ci en termes de fentes de dessiccation. Les nodules qui portent les sulfates sont très irréguliers en morphologie et en composition chimique, ce qui suggère également plusieurs phases de précipitation (séchage) – dissolution (mouillage) partielle des nodules.

Le fait que l’on retrouve à plusieurs reprises ces motifs polygonaux sur une épaisseur de 18 mètres d’empilement vertical des strates sédimentaires indique que cet ancien environnement de dépôt, sujet à des cycles climatiques certainement saisonniers de mouillage-séchage, s’est maintenu sur une période de plusieurs centaines de milliers d’années.

 

Le sens ultime de la découverte

Ces cycles climatiques saisonniers de mouillage-séchage des sédiments ont potentiellement permis aux molécules simples contenues dans ces mêmes sédiments d’interagir à différentes concentrations dans un milieu salin, et ce de manière répétée et durable.

Ce potentiel de polymérisation des molécules simples au sein des sédiments montrant les structures polygonales prend un sens particulier sachant que celles-ci contiennent d’une part des minéraux argileux de la famille des smectites et d’autre part une quantité significative de matière organique. Les smectites sont des argiles dites « gonflantes » pour lesquelles il a été montré expérimentalement qu’elles ont la faculté d’adsorber et de concentrer les nucléotides entre leurs feuillets constitutifs.

L’instrument SAM (Sample at Mars) a par ailleurs révélé la présence au sein de ces mêmes strates de composés organiques simples tels que des chlorobenzènes, des toluènes ou encore différents alcanes. Ces composés sont probablement d’origine météoritique, et leur quantité résiduelle peut atteindre environ 500 g par m3 de sédiments. Ces molécules ont pu dès lors servir comme certaines des « briques de base » de molécules plus complexes telles que l’ARN.

En résumé, nous déduisons de nos observations, de nos mesures sur Mars, et des différents concepts et expériences terrestres, que le bassin évaporitique de Gale a constitué un environnement très favorable et durable au développement de ce processus de polymérisation des molécules organiques simples en molécules plus complexes nécessaires à l’émergence de la vie.

Nous savons enfin que les structures ici étudiées se situent dans une unité géologique de transition verticale depuis une formation plus ancienne riche en argiles vers une formation plus récente riche en sulfates, et que cette même transition a été détectée par voie orbitale en de nombreux cratères et plaines de Mars.

En conséquence, il apparaît désormais que la probabilité que des précurseurs moléculaires biotiques aient pu se former et être fossilisés à la surface de Mars il y a environ 3,7 milliards d’années au cours de l’Hespérien n’est plus négligeable.

 

Vers un retour des échantillons martiens ?

Le paradigme actuel pour la vie terrestre est celui d’une émergence dans l’Hadéen, période de temps initiale comprise entre la formation de la Terre il y a environ 4,6 milliards d’années (Ga) par l’accrétion des météorites primitives et environ 4,0 – 3,8 Ga.

Mais le plus vieux et seul témoin d’un possible processus biologique hadéen est un graphite (carbone) inclus dans un minéral de zircon daté à 4,1 Ga, ou encore un schiste noir métamorphisé, daté à 3,8 – 3,7 Ga. De plus, l’Hadéen ne comporte actuellement qu’une infime proportion de représentants rocheux à la surface de la Terre en raison de la tectonique des plaques, et en tous cas aucune roche sédimentaire intacte, non métamorphisée. Ceci rend cette quête sous nos pieds d’une vie terrestre primitive a priori vaine.

Contrairement à la surface de la Terre, celle de la planète Mars n’est pas renouvelée, ni transformée par la tectonique des plaques. La surface de Mars a ainsi préservé quasi intactes des roches très anciennes, incluant celles formées dans un environnement et un climat propices à la construction spontanée de précurseurs moléculaires biotiques. En conséquence, autant il semble très peu probable que la vie ait pu évoluer sur Mars aussi fertilement que sur Terre – à ces environnements favorables à l’émergence de la vie à l’Hespérien ont fait suite des environnements arides et froids de l’Amazonien), autant il apparaît désormais possible et opportun d’y explorer l’origine de la vie, et d’y rechercher des composés biotiques précurseurs par le biais de retours d’échantillons prélevés dans le futur par des robots ou des astronautes sur des sites tels que ceux étudiés ici.

Notre découverte ouvre de nouvelles perspectives de recherche sur l’origine de la vie, y compris (surtout) sur d’autres planètes que la nôtre. Elle est à même également de faire reconsidérer les objectifs premiers des missions d’exploration de la planète Mars et celles en particulier du retour d’échantillons.The Conversation

Gilles Dromart, Professeur de géologie, École Normale Supérieure de Lyon

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Conquête spatiale : la Chine, seule vraie rivale des États-Unis

Dans les différents domaines concernés par la conquête spatiale, lanceurs lourds, astroports, stations spatiales, exploration de la Lune, exploration de Mars, les Chinois sont présents, très actifs mais toujours secrets malgré quelques ouvertures. Et ils ne comptent que sur eux-mêmes, c’est-à-dire qu’ils ne dépendent pas des autres même s’ils s’en inspirent. Ce sont les vrais et les seuls challengers des États-Unis.

Le premier domaine est celui des lanceurs lourds.

Dans celui-ci, le CZ-5B (ChangZheng / Longue-marche-5B) est activement utilisé. Il peut mettre 20 tonnes en LEO (Low Earth Orbit) et 14 tonnes en GTO (Geosynchronous Transfer Orbit). Ces chiffres sont à comparer aux 63,8 tonnes en LEO et aux 26,7 tonnes en GTO du Falcon Heavy, et aussi aux 22,9 tonnes et 8,3 tonnes du Falcon 9, ou encore aux 10,5 tonnes en GTO de l’Ariane 5-ECA (12 tonnes pour la future Ariane 6-A64).

Comme pour tous les concurrents du leader SpaceX, le problème pour la Chine est la récupération et la réutilisabilité, mais elle y travaille. En mai 2023, elle a informé le monde de l’atterrissage d’une navette spatiale (donc l’équivalent d’un second étage) qui aurait passé 276 jours dans l’espace (malheureusement on attend encore les images).

Depuis 2016, elle travaille à un CZ-9, ultralourd, qui serait comparable au Starship (150 tonnes en LEO), totalement réutilisable dans son concept 2022, mais qui ne devrait voler que dans les années 2040. NB : l’ESA ne fait que commencer à y penser après avoir beaucoup critiqué le principe même, comme étant trop coûteux (dépense supplémentaire d’énergie pour le retour) et empêchant les économies d’échelle (la réutilisation des moteurs en aurait limité le nombre en production).

Qui dit lanceur implique astroport, car il faut bien partir de quelque part, et éventuellement y revenir. La Chine en dispose sur son territoire, bien évidemment. On parle souvent de ceux de Jiuquan en Mongolie Intérieure, par 40° Nord, de Xichang dans le Sichuan, par 28° Nord ou de Wencheng (île de Haïnan) par 19° Nord. C’est à l’équateur que les lancements sont les plus économiques (moins de poussée pour le maximum de vitesse) puisque à cette latitude 0, une fois dans l’espace, le véhicule va disposer du maximum de la vitesse de rotation de la masse terrestre (effet de fronde). Toutefois, en restant en Chine, on ne peut pas descendre plus bas vers l’équateur que Haïnan.

Par ailleurs, la Starbase de SpaceX se trouve à Boca Chica, Texas qui n’est qu’à 25° Nord. Les seuls qui fassent mieux sont les Français et les Européens avec Kourou, en Guyane, 5° Nord seulement. Donc Haïnan, ce n’est pas si mal. On a appris récemment (janvier 2023) que la Chine était le plus gros investisseur de l’astroport « Etlaq Space Launch Complex », en construction à Oman près du port de Duqm. On peut constater que ce port étant comme Wencheng à 19° Nord, il n’y a donc de ce point de vue aucun avantage à lancer d’Oman.

Peut-être est-ce une précaution climatique, car la mousson se manifeste à Haïnan entre avril-mai et septembre-octobre, et les lancements de fusées ne peuvent se faire que par beau temps ? Ou bien peut-être cela offre-t-il simplement une diversification ou un intérêt politique ? Oman est le pays voisin des Émirats Arabes Unis (EUA) qui sont très actifs dans le domaine spatial, avec le soutien des Américains (sonde Amal lancée en février 21 et qui orbite aujourd’hui autour de Mars). À noter qu’en dépit de cette activité, les EUA ne disposent pas d’astroport.

Quand on dispose d’un astroport et des lanceurs, et qu’on vise plus que la mise de satellites en orbites, mais aussi des vols habités avec en vue la conquête spatiale, on construit une station spatiale. Ce n’est peut-être pas indispensable, mais c’est ce qu’ont fait les États-Unis après la Russie. Et donc la Chine se devait de montrer qu’elle en était capable.

Elle a donc investi dans la construction d’une telle structure et en possède maintenant une, nommée Tiangong (Palais céleste), qui est opérationnelle. Elle orbite à peu près à l’altitude de l’ISS, ou plutôt juste un peu plus bas (entre 300 et 400 km) avec une inclinaison de 41° sur l’équateur.

Le projet a commencé en 2008, le premier test (Tiangong 1) a été fait en 2011 ; le deuxième (Tiangong 2) en 2016 ; le troisième, (Tiangong 3) n’a finalement pas été jugé nécessaire et a fusionné avec Tiangong 2.

La station définitive a été lancée à partir de 2018 et a été terminée fin 2022. Elle possède trois modules, comparables à ceux de l’ISS (International Space Station). Son volume pressurisé est de 120 m3, soit nettement moins que celui de l’ISS (388 m3 habitable pour un volume pressurisé de 1000 m3) et même nettement moins que la vieille station MIR des Soviétiques/Russes (volume pressurisé de 350 m3) détruite volontairement dans l’atmosphère puis l’Océan, en 2001 après de longs et loyaux services. Pour mémoire, si le Starship finit par voler, il pourra disposer d’un volume pressurisé de 1100 m.

À bord de Tiangong on procède à toutes sortes d’expériences en préparation à la vie dans l’espace.

Et c’est l’occasion pour la Chine de mener également une politique de relations internationales en invitant des chercheurs de tous les pays à y participer. Ses panneaux solaires lui donnent une puissance de 27 kW, ce qui est peu (l’ISS dispose de 110 kW, et MIR disposait de 42 kW). À noter qu’il est prévu de l’équiper en 2024 d’un gros télescope (avec un champ angulaire trois fois plus grand que celui de Hubble). Ce télescope serait indépendant de la station mais pourrait s’y amarrer pour ravitaillement ou entretien.

Quand on a des intentions de conquête, on a un programme lunaire.

La Chine en a évidemment un, Chang’e (la femme de la Lune) et compte bien envoyer des hommes sur notre satellite naturel après y avoir envoyé des robots. La mission Chang’e 3 a posé un premier rover sur la Lune en 2013 (les deux premières missions Chang’e testaient le parcours en orbite). Chang’e 4 en a posé un second, cette fois-ci dans la zone stratégique du pôle Sud (cible des futurs missions habitées), en janvier 2019. Fin 2020, Chang’e 5 a déposé un collecteur d’échantillons équipé d’un foret allant jusqu’à deux mètres de profondeur (comme celui que l’ESA voudrait utiliser sur Mars avec ExoMars).

Il a rapporté avant la fin de cette même année (après remontée en orbite, rendez-vous, retour vers la Terre, EDL) 500 grammes d’échantillons. Aucun autre pays excepté les États-Unis n’avait su le faire. La prochaine étape (« phase 4 ») est la création d’une base robotique au pôle Sud de la Lune, là où veulent aussi s’installer les Américains (présence de glace d’eau constatée et éclairage solaire permanent). Elle a commencé à travailler sur le projet en 2023, et doit procéder à des lancements à partir de 2025. L’exploration habitée suivra. Elle est prévue pour les années 30. Ensuite viendra la station habitée au sol dont la construction commencera en 2035. On peut envisager des relations avec les Américains courtoises mais délicates, chacun restant évidemment sur ses gardes.

Mars ne pourrait être absente de cette politique. Les voyages sur Mars font partie de ce qu’il convient de faire, puisque c’est possible. C’est aussi un gage de maîtrise de technologies difficiles. Le monde entier a donc eu la surprise d’apprendre en mai 2021 que la Chine était parvenue, du premier coup, à faire atterrir un rover sur Mars (Zhurong dans le cadre de la mission Tianwen-1). Elle se place ainsi au côté des États-Unis et de la Russie ; mais cette dernière n’avait pas réussi à faire fonctionner ses propres sondes après l’atterrissage plus que quelques minutes alors que Zhurong non seulement s’est posé mais aussi a vraiment exploré Mars.

Elle a damé le pion à l’Europe qui a échoué dans ses tentatives. Après avoir atterri en mai 2021, Zhurong a parcouru presque 2 km, collecté toutes sortes de données (avec caméra, radar, spectromètre) et transmis vers la Chine pendant largement plus d’une année, puisqu’il n’a été officiellement déclaré mort que seulement en avril 2023 (mais il l’était probablement depuis déjà quelques mois). Pour la suite, une mission de retour d’échantillons est prévue en 2029.

L’intention clairement exprimée au GLEX de Saint Pétersbourg en juin 2021 est de mener dès que possible des missions habitées et de construire une base habitable. Pour le transport, après une phase d’exploration effectuée avec des vaisseaux à propulsion chimique classiques, le projet est de construire en orbite terrestre, à l’aide de ces mêmes fusées à propulsion chimique, un vaisseau martien utilisant l’énergie nucléaire qui ensuite fonctionnera comme navette interplanétaire, avec des petites navettes secondaires embarquées pour assurer la liaison sol de Mars à orbite de Mars.

Donc on le voit, la Chine est présente sur tous les fronts du spatial-habité, beaucoup plus que les autres pays spatiaux, Russie ou Europe. La Russie, parce qu’elle n’a pas récupéré sa capacité ingénieuriale de la fin de l’URSS (plusieurs échecs l’ont démontré), l’Europe parce que son mépris des vols habités l’a figée dans une technologie ancienne et non adaptée à cet aspect de l’activité spatiale. Quant à l’Inde, elle essaie de suivre, mais elle est encore très loin derrière, et le Japon n’est pas intéressé (sauf comme auxiliaire des États-Unis).

Donc les vrai rivaux des Américains, ce sont les Chinois, même s’ils n’en parlent pas trop (ils peuvent encore se le permettre).

Dans la première partie de cet article, passant en revue les divers domaines concernés, on voit que les États-Unis sont toujours devant. Le Falcon Heavy a une capacité bien supérieure aux CZ-5 et le Starship sera sans doute prêt avant le CZ-9. Les astroports de Cap Kennedy ou de Boca Chica sont certainement aussi bien équipés, sinon probablement mieux, que ceux de Chine et à côté d’eux plus d’une vingtaine de spaceports tels que Vandenbergh Space Force Base ou Launch Site One West Texas (Blue Origin) fonctionnent ou sont prêts à fonctionner dans le pays.

La station Tiangong est une copie en miniature de l’ISS. Les Américains sont déjà allés sur la Lune et ils pourraient encore aujourd’hui y prélever robotiquement des échantillons et les renvoyer sur Terre sans difficulté. Le programme Artemis est engagé alors que les missions lunaires habitées chinoises sont encore dans les cartons. Atterrir sur Mars est devenu une routine et l’ellipse d’atterrissage de la NASA se rétrécit de plus en plus devenant de plus en plus précise, ce qui permet aux Américains de se poser sur des terrains beaucoup plus accidentés que la plaine vaste et presque sans relief d’Utopia Planitia sur laquelle s’est posée Zhurong.

Alors pourquoi les Américains doivent-ils se méfier ?

Parce que les Chinois progressent vite et que les dernières marches franchies l’ont été sans difficultés apparentes. Parce que leur ambition est aussi grande que leur fierté et leur volonté de venger l’humiliation toujours présente des traités inégaux de la fin du XIXe siècle, ou de l’incapacité à redevenir une grande puissance dans le cadre du maoïsme. Parce qu’il n’y a aucune coopération possible avec eux; mais beaucoup de méfiance, ou plutôt d’hostilité plus ou moins cachée, de part et d’autre.

Parce que les Chinois ont beaucoup d’argent, qu’ils disposent de la continuité politique et qu’ils ne lésineront jamais pour avancer dans les domaines où ils estiment devoir le faire, sans aucune considération d’excès financiers, de dommage écologique, d’atteinte à la personnalité de la Lune ou de Mars (comme le craint Mary-Jane Rubenstein) ou même de soucis de propriété intellectuelle (l’inspiration se rapproche souvent de la copie).

D’autres pays pourraient se ruiner par un tel acharnement et avec une gouvernance autoritaire qui doit commettre beaucoup d’erreurs du fait même de son autoritarisme. Mais la Chine, usine du monde, dispose d’énormes réserves et peut se payer ce qu’elle veut au coût qu’elle veut, pour une période probablement suffisamment longue pour réussir.

 

https://www.letemps.ch/sciences/espace/l-occident-doit-il-craindre-le-spatial-chinois

https://www.thenationalnews.com/gulf-news/oman/2023/01/18/oman-is-building-the-middle-easts-first-spaceport/

https://universemagazine.com/en/china-launched-a-secret-reusable-spacecraft/

https://universemagazine.com/en/who-will-seize-the-moon-confrontation-between-the-usa-and-china/

https://www.omanobserver.om/article/1132376/business/economy/10-year-strategy-unveiled-to-advance-omans-space-policy

https://www.space.com/china-plans-mars-base-with-astronauts

Lire, de Philippe Coué, spécialiste de l’astronautique chinoise : Dragons furieux, les avions spatiaux chinois, publié chez l’Harmattan ; Palais céleste, la station spatiale chinoise, chez Skyshef.eu

Sur le web

Blue Origin et SpaceX au tout début de leur course à la Lune

Blue Origin, la société spatiale de Jeff Bezos, a été choisie le 19 mai 2023 par la NASA pour assurer le transport des astronautes dans son vaisseau Blue Moon entre l’orbite lunaire et la surface de la Lune pour la mission Artemis V. Jeff Bezos avait beaucoup protesté contre le choix de SpaceX pour Artemis III 1 sans qu’il soit prévu une autre mission pour son propre vaisseau spatial (jusqu’à poursuivre la NASA en justice !). Il reçoit ainsi satisfaction. En faisant préparer un second HLS (Human Landing System), la NASA se donne, de son côté, une sécurité en cas de défaillance de SpaceX.

En réalité, à l’origine (appel d’offres 2019), la NASA avait prévu dans son budget deux partenaires privés pour descendre de l’orbite lunaire jusqu’à la Lune (puis en repartir) mais le Congrès n’avait retenu qu’une partie de ce budget.

La NASA ne pouvait donc choisir qu’un seul des compétiteurs. Et, compte tenu des offres reçues en avril 21, soit 2,89 milliards de SpaceX et 3,4 milliards de Blue Origin, le choix était clair, il ne pouvait se porter que sur l’offre de SpaceX qui, non seulement était moins chère mais proposait le projet qui semblait le plus avancé, celui du Starship HLS, adaptation du modèle de base du Starship (vol sans atmosphère pendant l’EDL et la remontée en orbite lunaire). En 2022, avec de nouvelles ressources votées par le Congrès, la NASA a pu lancer un nouvel appel d’offres et mettre ainsi fin, ce mois de mai, à la déception de Jeff Bezos et à la poursuite judiciaire de Blue Origin contre elle-même, en choisissant cette dernière contre un autre compétiteur, Dynetics, pour Artemis V.

Au-delà du souci d’introduire une concurrence, peut-être que la piteuse performance du Starship lors de sa première tentative de vol orbital et l’inquiétude qu’elle a pu générer chez la NASA, n’est pas non plus étrangère à cette évolution. Il est important aussi de noter que Blue Origin est le leader d’un consortium dont font partie Lockheed Martin, Draper Laboratory, Boeing, Astrobotic et Honeybee Robotics, et que Lockheed Martin aussi bien que Boeing disposent d’un fort levier politique, économique et social qui a sans doute renforcé la pression mise par Jeff Bezos sur la NASA. Il faut noter aussi que Blue Origin a introduit quelques améliorations dans le projet qui a été retenu, par rapport à l’offre précédente.

Dans les deux cas le véhicule HLS n’est prévu que pour le trajet entre la station d’attente des astronautes en orbite lunaire (que ce soit la capsule Orion et ensuite le Gateway) et le sol lunaire.

Dans les deux cas, les astronautes seront acheminés jusqu’à l’orbite lunaire pour rejoindre cette station depuis la Terre par un vol de SLS. Il ne faut pas oublier en effet que cette fusée coûteuse et peu performante est le lanceur « officiel » de la NASA et qu’il convient donc de l’utiliser au mieux.

Le second étage du SLS comprend la capsule, son module de service (européen) et un module propulseur qui après la mise en orbite terrestre, injecte l’ensemble dans une trajectoire vers l’orbite lunaire. Au départ et jusqu’à séparation du lanceur, il lui est relié par un Launch Vehicle Stage Adapter (LVSA). Le module propulseur situé au-dessus de ce LVSA a été pour Artemis I et sera pour Artemis II et III l’« Interim Cryogenic Propulsion Stage » (ICPS). Il s’agit du module de propulsion boosté du second étage de la vieille fusée Delta IV (vieille, car elle date des années 1990).

Pour les missions Artemis IV et les suivantes, cet ICPS sera remplacé par un « Exploration Upper Stage » (EUS) plus puissant (en développement chez Boeing) ce qui permettra d’installer le Gateway en orbite lunaire.

L’ICPS sera porté par un lanceur SLS Block 1. L’EUS sera porté par un lanceur SLS Block 1B puis par un SLS Block 2 également plus puissant. Tout cela donne satisfaction au consortium ULA (dirigé par Boeing) qui développe le SLS mais ne suffit pas. En effet si on l’envoyait seule sur la Lune, la capsule Orion serait bien incapable d’en repartir par ses propres moyens.

Nous ne sommes hélas plus à l’époque d’Apollo, ou plutôt la NASA n’a pas développé les moyens technologiques dont elle disposait à l’époque d’Apollo pour transporter aujourd’hui des charges plus volumineuses et plus massives qu’alors. Par ailleurs, le but n’est plus plus maintenant seulement d’atterrir sur la Lune dans une coquille de noix, de faire un petit tour et de repartir, mais il est de s’y installer.

Il faut donc prévoir d’y déposer des hommes et des équipements en quantités beaucoup plus importantes que du temps d’Apollo. Donc pour les missions Artemis III, V et suivantes (celles qui descendront sur la Lune), le SLS a besoin d’un relai, et c’est là qu’interviennent les HLS, même si avec le Starship on aurait pu se passer du SLS pour Artemis III. Pour Artemis V, le New Glenn (de Blue Origin) avec une coiffe très spacieuse sera plus adapté que le SLS pour transporter le Blue Moon depuis la Terre jusqu’à l’orbite lunaire (même si une adaptation ne serait pas impossible). On peut donc en déduire que le SLS doit plutôt être vu comme un back up au cas où ni le Starship HLS ni le New Glenn ne pourraient voler (le Blue Moon serait incapable de revenir en orbite terrestre).

Au-delà de la querelle ayant opposé SpaceX et Blue Origin, il faut voir que la solution Blue Moon est très différente de la solution Starship HLS (au-delà du fait que ce seront tous les deux des transporteurs réutilisables). Dans le cas du Starship HLS, SpaceX offre un énorme vaisseau qui pourrait aussi bien venir directement de l’orbite terrestre et descendre sur la Lune avec tous les ergols, vivres et équipements nécessaires (SLS inutile comme dit ci-dessus).

Dans le cas du Blue-Moon on a affaire à un vaisseau beaucoup plus petit qui devra être ravitaillé par un toujours mystérieux « Cislunar-Transporter » (conçu et réalisé par Lockheed Martin mais sur lequel on n’a pratiquement aucune information) lancé séparément par une fusée New Glenn (ou une autre fusée classique, voire un SLS). On peut dire pour simplifier que le Starship HLS est un vrai monobloc tandis que le Blue Moon est un faux monobloc qui ne peut fonctionner sans son Cislunar Transporter.

Ceci ne veut pas dire que le Starship HLS ne devra pas être réapprovisionné en ergols et autres nécessités en orbite terrestre avant de (re)partir pour la Lune mais il sera beaucoup plus logique de le faire sur cette orbite terrestre (plusieurs allers-retours de Starship tankers possibles) plutôt que plus loin. C’est tout le contraire pour le Blue Moon pour lequel ce Cislunar Transporter sera indispensable là où évoluera le Blue Moon, dans la région lunaire.

Le Blue Moon comme son « Cislunar-Transporter » (séparément) sera lancé par une fusée New Glenn (compte tenu de sa structure, il lui serait impossible de décoller seul de la Terre et de franchir l’atmosphère terrestre). Il aura une grosse différence de masse et donc de poids avec le Starship HLS. La masse du Blue Moon ne sera que de 45 tonnes dont 15 pour la masse sèche (sans les 29 tonnes d’ergols et sans charge utile). Le Blue Moon comprendra trois parties. La partie basse est un module habitable reposant sur un réacteur avec moteur qui permet aussi bien le freinage pour l’EDL que la propulsion pour la remontée en orbite. On pourra y loger quatre astronautes. Au-dessus seront situés les ergols, dans deux réservoirs, celui d’oxygène puis d’hydrogène (le plus léger).

À noter l’intérêt du choix de l’hydrogène comme carburant et de la position du réservoir au-dessus du module-habitat puisque ce gaz constituera un excellent écran contre les radiations solaires (SeP – Solar energetic Particles, essentiellement protons). Pour mémoire, la masse du Starship HLS est de 3600 tonnes dont 200 tonnes sèches. La masse du Blue Moon correspond au maximum de la capacité d’emport du New Glenn (ce qui a évidemment été calculé exprès).

Le Starship HLS est certainement surdimensionné pour les premières missions puisqu’il pourra apporter 100 tonnes de charge utile sur la Lune alors que le Blue Moon (lui, sous-dimensionné ?) sera limité à 20 tonnes (ou 30 tonnes en version non réutilisable). Par ailleurs, il faut noter une différence non négligeable : l’accès à l’habitat du Starship n’est possible qu’après une ascension de 38 mètres depuis le sol (les énormes réservoirs sont en dessous) alors que l’habitat du Blue Moon sera tout près du sol (les réservoirs sont au-dessus). Donc chacun des deux types de vaisseau HLS présente ses avantages et ses inconvénients.

Malheureusement, si le Starship n’a pas encore fait ses preuves, la fusée New Glenn ne les a pas faites non plus.

Théoriquement elle pourrait mettre 45 tonnes en orbite basse terrestre (LEO) contre 150 tonnes pour le Starship, et 13 tonnes en orbite géostationnaire (GEO). Il est certes probablement moins difficile de mettre au point le New Glenn que le Starship puisque le premier est moins révolutionnaire que le second (toutefois son premier étage doit être réutilisable, comme le SuperHeavy du Starship). La poussée au décollage ne sera que de 17 100 kN alors que celle du Starship sera de 74 500 kN. On peut donc envisager que le New-Glen ne connaisse pas les mêmes difficultés que le Starship au décollage ; encore faudra-t-il l’essayer.

Il est possible que le Starship ne puisse pas encore voler comme prévu en 2023 et pour la mission Artemis III qui lui a été attribuée (Artemis IV, prévu pour septembre 28 pour installer le Lunar Gateway ne descendra pas sur la Lune). Vu le faible avancement du New Glenn aujourd’hui, il est quasiment impossible que Blue Origin puisse remplacer SpaceX pour la mission Artemis III (décembre 2025).

Artemis IV n’engagera que le SLS (nouveau block 1-B). Si le Starship ne peut voler en 2023, la mission Artemis III serait donc très compromise. Mais l’objectif 2029 pour Artemis V laisse à Blue Origin plus de temps pour se préparer. Après Artemis V, la concurrence jouera à plein et l’on verra si on continue à utiliser les deux types de HLS ! Peut-être le fera-t-on pour s’adapter aux différents types de mission (transport des hommes ou transport des marchandises, séjour long ou séjour court) ?

Sur le web

 

  1. La mission Artemis V est prévue pour 2029. Artemis IV concernera exclusivement l’assemblage du Gateway (station orbitant la Lune, comme l’ISS orbitait la Terre) et Artemis II ne requiert pas plus de HLS qu’Artemis I puisque pas plus que cette dernière, elle ne prévoit de descendre sur la Lune. C’est donc le SLS, seul, qui assurera les missions Artemis II et IV comme elle a porté la mission Artemis I.

La conquête spatiale menacée par le wokisme

La situation est grave. Pour l’exprimer fortement et solennellement, Robert Zubrin1 dans « Une déclaration de décadence », article publié le 30 mai 2023 dans le magazine Quillette2, la rapproche par le vocabulaire d’une autre situation créée le 4 juillet 1776 par un document célèbre, porteur, lui, d’espoir et de grandeur, la Déclaration d’indépendance des États-Unis. Vous pourrez lire ci-dessous ma traduction de cette « déclaration de décadence ».

Le sous-entendu sur la différence d’époque et de perspective est lourd. Robert Zubrin le développe et j’y ajoute quelques commentaires personnels.

 

Dans son article, il fait état du danger extrêmement sérieux que présente le wokisme pour la conquête spatiale.

En effet, cette idéologie mortifère s’étend en Amérique du Nord avec une force et une rapidité surprenantes, comme un tsunami. Elle touche aussi bien les activités progressistes reposant sur l’ingénierie (donc l’astronautique), que la science, l’histoire, les relations sociales ou l’économie capitaliste moteur de notre monde. Le poisson pourrit par la tête, et c’est le monde universitaire et généralement « intellectuel » de la plus grande puissance mondiale qui est le plus malade. Il ne faut pas croire que le monde occidental et l’Europe en particulier puissent être à l’abri. On sent d’ailleurs bien que les prémices de cette décadence y sont déjà présentes. Des minorités très actives sont pénétrées de ce wokisme, et il faudra lutter âprement, sans garantie de victoire, pour tenter de faire prévaloir le bon sens, la raison, la culture, sur les préjugés, les superstitions et les valeurs régressives.

Le support de l’article de Robert Zubrin, la « déclaration » susmentionnée qui justifie sa réaction, est Astrotopia : The Dangerous Religion of the Corporate Space Race), le dernier livre de la professeure Mary-Jane Rubenstein. Cette dernière est enseignante en Science et Religion à l’Université Wesleyenne (Connecticut), un des piliers du monde universitaire américain. Fondé par des méthodistes en 1831, cet établissement a été longtemps considéré avec respect dans le monde entier pour sa rigueur et son sérieux.

Mais aujourd’hui il est célèbre pour son militantisme déconstructeur car outrancier en faveur des droits des minorités (néo-féministes, LGBT, Noirs, écolos-extrémistes, etc.) aussi bien dans les actions qu’il organise que dans son enseignement. Malheureusement pour la société américaine et indirectement pour nous-mêmes, cette université reste extrêmement influente.

Je vous laisse lire.

 

Article de Robert Zubrin

Une déclaration de décadence

Dans son nouveau livre Astrotopia, la véritable cible de Mary-Jane Rubenstein, professeure de religion et science dans la société à l’Université Wesleyenne, n’est pas tant la course des entreprises à l’espace, mais les idées mêmes d’humanisme et de progrès.

L’historien français Fernand Braudel remarque dans Le Modèle italien que la « décadence » est ce qui apparaît dans une civilisation lorsqu’elle rejette les idées et idéaux qui constituent le socle de son origine puis de sa croissance. Dans Astrotopia: The Dangerous Religion of the Corporate Space Race, Mary-Jane Rubenstein donne précisément un exemple brutal de ce type de rejet, appliqué à tout ce que la civilisation humaniste occidentale représente ou a toujours représenté. Si vous pensez que le monde en a assez de la liberté, du progrès, de la science et de la raison, c’est le livre qu’il vous faut lire pour vous conforter.

La professeure Rubenstein commence par une attaque en règle des entrepreneurs spatiaux Elon Musk et Jeff Bezos, qu’elle décrit comme des représentants de l’avant-garde d’une nouvelle tribu de capitalistes pourris déterminés à exploiter et ruiner un système solaire « vierge », à leurs propres fins cupides. Cependant, sa véritable cible n’est pas tant la course des entreprises à l’espace que l’idée même que le développement d’autres planètes (ou même de la nôtre) pour répondre à nos besoins, constituerait un objectif positif.

En formulant cette critique, Rubenstein s’inspire de certains des derniers écrits de l’historien spécialiste du Moyen Âge, Lynn White Jr. (1907–1987), White lui-même ayant été un adepte de l’école de pensée créée par l’historien Charles Homer Haskins (1870-1937). Ce dernier, dans son ouvrage fondateur de 1927, La Renaissance du XIIe siècle, réfutait fermement l’idée communément admise par les Lumières selon laquelle la période entre la chute de L’Empire romain d’Occident et la Renaissance italienne avait été un « âge sombre » au cours duquel il y avait eu très peu de progrès, dans les arts, la littérature ou quelque autre domaine que ce fut. White soutint les arguments de Haskins concernant les avancées culturelles médiévales, avec des études détaillées de progrès importants réalisés pendant cette période par l’invention de technologies concrètes (la rotation des cultures, la voile latine, l’étrier, la brouette, le rouet, la manivelle, les moulins à eau et à vent…) qui firent progresser les Européens médiévaux bien au-delà de ce que leurs ancêtres avaient accompli.

Mais White poussa les choses encore plus loin dans son article séminal « Technologies et inventions au Moyen Âge » paru en avril 1940 dans la prestigieuse revue américaine spécialisée, Speculum. Il y attribua la primauté de l’Occident dans la technologie, à la tradition « activiste » de la théologie occidentale, qu’il entendait comme « son hypothèse implicite de la valeur infinie de la personnalité humaine même la plus dégradée » et « sa répugnance à soumettre tout homme à quelque corvée répétitive que ce soit ».

Ce sont ces idées chrétiennes, selon White, qui conduisirent les Européens médiévaux à leurs exploits sans précédent en matière de progrès technologiques.

« La principale gloire de la fin du Moyen Âge ne fut pas les cathédrales, ni les épopées littéraires ni la scolastique, ce fut l’édification pour la première fois dans l’Histoire, d’une civilisation complexe qui ne reposait plus sur le travail des esclaves, mais principalement sur des énergies dont la source n’était plus le corps humain ».

Ces idées étaient profondes. Mais en 1967, White changea de camp. Sautant à bord du bateau du mouvement environnemental en pleine accélération, il publia un nouvel essai, Les racines historiques de notre crise écologique, dans lequel il soutenait que c’était précisément le progrès technologique guidé par l’humanisme chrétien qui était le problème :

« Nous semblons nous diriger vers des conclusions désagréables pour de nombreux chrétiens… La technologie moderne ne peut être expliquée, au moins en grande partie, autrement qu’une réalisation occidentale et volontariste du dogme chrétien de la transcendance et de la maîtrise légitime de l’homme sur la nature. Mais… la science et la technologie… se sont jointes pour donner à l’humanité des pouvoirs qui, à en juger par de nombreux effets écologiques néfastes, sont hors de contrôle. Si tel est bien le cas, le Christianisme porte une énorme part de culpabilité ».

Rubenstein répond à l’appel lancé par White pour abandonner l’idéal judéo-chrétien de domination de l’Homme sur la nature. Mais elle va beaucoup plus loin et mène son rejet de la valeur ajoutée par l’Homme jusqu’à sa conclusion logique. White proposait (seulement !) une éthique alternative basée sur la notion de « l’égalité de toutes les créatures de Dieu ». C’était déjà beaucoup, et je ne pense pas que cela puisse fonctionner (comme Rachel, ma fille, me disait quand elle avait dix ans : « Tout ce que nous mangeons était autrefois vivant »). Mais peu importe ; Rubenstein insiste, elle, sur le fait que nous devons non seulement éviter de nuire aux autres créatures vivantes, mais aussi à la matière inanimée.

Elle écrit :

« Comme le dit le philosophe Holmes Rolston III, nous continuons à nous demander comment faire de l’espace extra-atmosphérique une « ressource », c’est-à-dire comment cet espace peut nous appartenir, alors que nous devrions nous demander (1) « pourquoi nous lui appartenons », et (2) « s’il s’appartient à lui-même ». »

« Pourquoi nous lui appartenons », c’est-à-dire pourquoi nous devons vivre en lui en étant attentionné et respectueux à son égard, à partir de notre toute petite place dans le cosmos infini ; pourquoi nous devons lui demander ce qu’il attend de nous, plutôt que ce que nous attendons de lui.

« S’il s’appartient à lui-même », c’est-à-dire, les astéroïdes peuvent-ils accepter que nous en extrayions des richesses pour notre seul profit ? Mars et la Lune ne sont-elles là-haut que pour qu’on s’en empare ? les roches elles-mêmes ont-elles des droits ? ».

Je réponds :

Si les roches ont des droits, alors sûrement l’érosion est un crime. Comment la nature pourrait-elle être tenue responsable de tels méfaits ? Selon Hérodote, le roi de Perse Xerxès aurait fouetté les eaux de l’Hellespont après qu’elles se soient mal comportées. Pourtant, l’efficacité d’une telle action est plus que douteuse.

Rubenstein est consciente que certaines personnes pourraient ne pas être d’accord avec sa pensée sur ces questions, et elle distingue votre humble serviteur en tant que représentant de l’école adverse :

« Pour quelqu’un comme Zubrin », dit-elle, « ce genre de pensée est insensée ». « La Lune », dit-il, « n’a pas le droit de rester inchangée ». En fait, elle n’a absolument aucun droit car clairement la Lune est un rocher mort. Elle ne peut rien faire, ou vouloir faire quoi que ce soit ».

Je dois concéder à la professeure Rubenstein que son résumé de mon opinion sur cette question est exact à 100 %.

Cependant, sa réfutation de cette opinion me semble faible. Selon Rubenstein, la personnalité de la Lune est démontrée par le fait que ses roches contiennent des traces d’événements passés, et que sa poussière peut nuire aux astronautes. Par conséquent, selon elle, la Lune possède à la fois mémoire et capacité de provoquer des actions. « En fait, la Lune pourrait même désirer des choses », dit-elle. « Compte tenu des problèmes respiratoires qu’elle a causés à nos astronautes et des problèmes fonctionnels qu’elle a causés à leurs machines, la Lune pourrait bien exprimer le désir géologique que les êtres humains restent sur leur planète d’origine ».

Ce serait en effet très impressionnant s’il en était ainsi, car il faudrait que la Lune ait non seulement de la mémoire, une capacité d’action et de désir, mais aussi qu’elle puisse avoir prévu de développer son système de défense de poussière anti-respiration des milliards d’années avant que les humains n’évoluent sur Terre. Je ne pense pas du tout que la théorie de Rubenstein se tienne. Après tout, si la Lune était assez intelligente pour faire cela, pourquoi aurait-elle choisi de se positionner si près de la Terre, devenant ainsi une cible facile pour une invasion ? Cela n’a tout simplement aucun sens.

Rubenstein prétend se soucier de la cause de la justice sociale et elle attaque notre effort d’ouverture de la frontière spatiale à partir du programme Apollo comme étant contraire à cet objectif. Pourtant, ses affirmations ne résistent pas à l’examen, et ceci non seulement parce qu’en fait l’Amérique a réalisé ses plus grandes avancées en matière d’égalité raciale depuis la guerre civile précisément pendant la période où elle a atteint la Lune. Le plus grand problème avec l’argument de Rubenstein est que l’idée de la valeur particulière des êtres humains – que ce soit sous une apparence religieuse comme image d’enfants de Dieu ou énoncée en termes laïques comme loi naturelle (sans utilisation d’hypothèse théiste) – qu’elle attaque si ardemment, est le fondement même du concept des droits fondamentaux de l’Homme.

Si les êtres humains ne sont pas considérés comme ayant une valeur infiniment plus grande que les animaux, sans parler des microbes ou des roches, alors il n’y a aucune raison morale pour qu’ils ne puissent être opprimés sans limite par quiconque d’assez puissant pour le faire. De manière troublante, Rubenstein cite à plusieurs reprises, et positivement, le philosophe proto-nazi Friedrich Nietzsche qui gagna l’approbation des maîtres génocidaires du Troisième Reich, précisément parce qu’il rejetait ces contraintes éthiques comme de simples chaînes mystiques dans lesquelles les personnes inférieures auraient enfermé leurs supérieurs. Comment quelqu’un peut-il prétendre être en faveur de la justice sociale tout en niant la valeur intrinsèque des êtres humains ? C’est quelque chose qui me dépasse.

L’idée de la nature divine de l’esprit humain que Rubenstein méprise tant est aussi la base de la science.

Comme l’a dit le grand astronome de la Renaissance Johannes Kepler :

« La géométrie est une et éternelle, un reflet de l’esprit de Dieu. Le fait que l’humanité communie dans cette géométrie est une des raisons pour considérer que l’homme est à l’image de Dieu ».

Toute l’entreprise scientifique repose sur la conviction que l’esprit humain a la capacité de découvrir les lois de causalité régissant l’univers en utilisant le pouvoir de la raison. Rubenstein rejette cela, estimant que les explications ad hoc non causales et les superstitions concernant les phénomènes naturels, qu’elle qualifie du terme « savoir indigène », ont la même valeur que la science.

Rubenstein commet également un certain nombre d’erreurs factuelles dans son livre.

Par exemple, elle déclare à plusieurs reprises que les Hommes ont détruit la Terre. Cela ne peut être vrai. Je le sais parce que j’ai été sur Terre – en fait j’y suis en ce moment même et ce depuis 71 ans – et je suis prêt à témoigner sous serment qu’elle n’a pas été détruite. De plus, c’est un endroit beaucoup plus agréable à vivre aujourd’hui qu’il ne l’était lorsque je suis arrivé. Cette vaste amélioration des conditions de vie sur presque toute la Terre peut être démontrée dans toutes les mesures pertinentes, y compris non seulement le bien-être matériel humain, la propreté de l’environnement, la santé publique, la liberté personnelle et, oui, plus particulièrement l’équité entre les genres et les races.

Étrange peut-être à dire pour certains comme Rubenstein, mais cela a été accompli grâce à la poursuite continue de la connaissance humaine et de notre domination sur la nature, précisément le programme de construction d’une « civilisation complexe qui ne repose pas sur la sueur des esclaves mais principalement sur une énergie non-humaine » que Rubenstein choisit de condamner.

Musk, Bezos et nous tous qui essayons d’établir de nouvelles branches créatives de la civilisation humaine sur d’autres mondes, peuvent ou non réussir. Mais nous portons la bannière d’une noble cause, responsable de la création des plus grandes réalisations culturelles, politiques, scientifiques et techniques de l’humanité. Rubenstein appelle cela une « religion dangereuse ».

Elle n’est, hélas, pas la première à voir les choses ainsi.

 

Mes commentaires

On se trouve ici, dans le livre de Mary-Jane Rubenstein et dans la critique qu’il suscite chez Robert Zubrin, dans une atmosphère religieuse assez typique de celle qui enveloppe la réflexion émanant d’une société américaine qui n’a jamais voulu séparer le religieux du profane. L’enveloppe de cette atmosphère est évidemment chrétienne mais chrétienne protestante. C’est-à-dire que son « livre sacré » est la Bible tout entière, tout autant l’Ancien testament que le Nouveau, ce qui permet à Rubenstein de condamner la dureté du Dieu de Moïse (Deutéronome) en oubliant la leçon d’amour universel donnée par les Évangiles des apôtres de Jésus.

Sur cette base, Rubenstein, en bonne wokiste, se laisse emporter par la rage d’appartenir à une civilisation qui a dominé le monde parce qu’elle était supérieure aux autres en raison du choix qu’elle avait fait de donner la primauté à la raison.

Il faut bien sûr admettre que cette force a souvent conduit notre civilisation à être cruelle avec les vaincus ou les plus faibles. Mais ces mauvais comportements appartiennent à l’Histoire. Ils ne doivent pas effacer les bienfaits que constatés aujourd’hui dont la source est incontestablement dans cette civilisation, et les perspectives positives que sa force créatrice ouvre toujours à la planète entière.

Rubenstein ne prend aucun recul. Emportée par un élan purement émotionnel et totalement anachronique, elle jette le bébé avec l’eau du bain en plaçant au-dessus de notre civilisation fondée sur la raison, l’esprit critique, la démonstration, la preuve, la discussion, les autres civilisations qu’on appelait autrefois primitives, qui reposent simplement sur les croyances et la tradition, uniquement parce qu’elles ont été victimes.

Il en résulte de sa part un refus général de tout le progrès technologique qui nous permet de vivre aujourd’hui si nombreux sur cette Terre, y compris bien sûr le capitalisme et la recherche du profit, sans dire une seule ligne des moyens économiques qu’elle propose pour que les populations puissent continuer à satisfaire leurs besoins les plus ordinaires, tel que celui de se nourrir ou de se loger (sans parler d’acheter des livres comme le sien via Amazon partout dans le monde).

La conquête spatiale est condamnée dans la foulée comme l’expression d’un monde matériel, rationnel et viril. Mary-Jane Rubenstein n’est pas ignorante de l’astronautique et de ce qu’elle permet. Mais elle ne voit la perspective des vols habités dans l’espace profond et de la colonisation d’autres Terres que comme une menace pour ces astres (qu’elle va jusqu’à doter d’une personnalité consciente !) et comme une lutte d’egos d’entrepreneurs avides (et blancs). Dans ce contexte, elle se moque de toutes les bonnes raisons que l’on peut présenter pour démontrer qu’elle pourrait servir à améliorer le sort de l’humanité.

La dernière phrase de l’article de Robert Zubrin est pessimiste et il a raison.

La situation est grave non seulement pour la conquête spatiale mais pour l’avenir de l’humanité car la pandémie woke est toujours en pleine progression, dans un environnement psychologique mou où la résistance est faible car honteuse et pleine de remords de nature chrétienne, inculqués par les Évangiles !

Sur le web

 

  1. Robert Zubrin est ingénieur en aérospatiale, docteur en génie nucléaire de l’Université de Washington et fondateur de la Mars Society aux États-Unis. Il est aussi l’auteur de onze livres sur l’exploration spatiale, avec un intérêt particulier sur Mars.
  2. magazine australien en ligne à vocation internationale, de réflexions et d’analyses culturelles.

Mars, notre tremplin vers l’Espace-proche

Certains considèrent l’établissement de l’Homme sur Mars comme une fin en soi.

Je le considère plutôt comme un tremplin. Une fois installé sur Mars, l’Homme verra l’Espace-proche différemment, et le pratiquera différemment. Ce sera non plus simplement un terrain pour l’exploration robotique à partir de la Terre ou un désert dans lequel il n’y a aucune population consciente et communicante (si ce n’est de vagues aliens tout à fait hypothétiques), mais comme un Océan que l’on peut traverser pour y rencontrer ses semblables ou, en allant encore plus loin, pour aborder de nouvelles terres, et comme des pionniers y créer des colonies, une frontière, comme disent les Américains. NB : je ne parle pas ici de l’Espace-lointain, au-delà d’une dizaine d’années-lumière, qui est et restera le domaine de l’astronomie ou de l’astrophysique… et de la spéculation sur la raison d’être des choses.

Nous sommes une nouvelle fois comme au temps d’Henri le Navigateur, à supputer le possible. Seuls certains d’entre nous y croient ou veulent y croire, mais la majorité de la population, comme Saint Thomas, veut voir pour croire. C’est pour cela que la colonisation de Mars se situe encore aujourd’hui à la limite entre réalité et science-fiction, et qu’elle sera demain un événement déclencheur.

En effet, une fois le saut jusqu’à Mars effectué, on se retrouvera comme les Européens après le voyage fondateur de Christophe Colomb. On saura que la vie « de l’autre côté » est possible, puisqu’elle sera une réalité, et l’on voudra y aller pour vivre ses rêves, entreprendre de nouvelles choses dans un autre environnement, et au contact d’autres personnes contribuer à développer une autre culture.

Car vivre sur Mars ou ailleurs dans l’espace ne sera pas comme vivre sur Terre. On y sera à la fois plus libres et plus contraints.

Du point de vue légal et administratif, il y aura certes des règles à respecter, mais celles-ci seront fixées d’abord par l’environnement et l’isolement. Pas question de respecter des procédures complexes et longues si elles sont inutiles. On n’aura ni le temps ni les moyens matériels de le faire, ni la capacité d’assumer le risque d’un délai inutile. Ce sera en quelque sorte, comme jadis au Far West, un retour à la réalité, dans sa brutalité, peut-être, mais surtout dans son efficacité.

Le respect dû à l’autre sera clairement contenu par la nécessité de tout faire pour que la communauté survive.

Pas question cependant de nier l’importance des autres, car dans ces petites îles d’humanité, sans communications physiques faciles et fréquentes avec la Terre, il sera impossible de vivre isolé et chacun aura sa fonction, qu’il ne pourra pas faire semblant de remplir car toute défaillance serait trop visible et trop grave.

Les incompétents ou les inefficaces seront remplacés sans état d’âme, dans la mesure où d’autres ayant les qualités requises pourront les remplacer.

En même temps, les bouches devenant inutiles devront s’assumer et redevenir utiles compte tenu des coûts très élevés de survie, fondés sur les faibles disponibilités en logements ou autres ressources vitales (air respirable, chauffage, aliments, énergie). Il sera impossible de ne se soucier que de soi car les autres dépendront de vous, et au besoin vous le rappelleront.

Pas question non plus de brider l’initiative individuelle car les hommes seront peu nombreux et il faudra sans cesse faire preuve d’imagination pour vivre moins mal, puis mieux, ou simplement combler l’impossibilité d’avoir recours au secours lointain de la Terre. Mais on ne pourra jamais faire n’importe quoi, en raison notamment de l’importance de l’accès à la ressource énergétique rare pour le support-vie. On sera sans cesse confronté aux nécessités de la prise de risques, mais avec des conséquences beaucoup plus graves que sur Terre. La vie sera dangereuse car la sanction de l’erreur sera lourde et rapide mais aussi, en partie de ce fait, passionnante, un peu comme l’est le pilotage d’un voilier par fort vent sur mer agitée ou la descente d’une piste de ski noire, raide et étroite.

Les communautés spatiales seront indépendantes de la Terre et les unes des autres car il sera tout simplement impossible d’agir en direct sur telle ou telle, ou de contraindre une colonie rebelle ou simplement récalcitrante à une opinion générale prévalente ailleurs.

Elles seront en effet très vite autonomes car il sera vital pour elles de l’être, et donc de le devenir le plus rapidement et le plus complètement possible (« autonome » ne veut pas dire que l’on doive refuser les échanges par les ondes ou, dans la mesure du possible, par les vaisseaux spatiaux). C’est chaque colonie qui tiendra le sol sur lequel il faudra se poser quand on les visitera, et c’est cette colonie qui disposera des équipements pour permettre au visiteur de survivre, ou simplement repartir et du nombre d’habitants suffisant pour éventuellement résister avec succès à la volonté de contraindre des quelques passagers d’un vaisseau spatial. Les visiteurs devront recourir aux locaux pour tout se procurer, les ergols pour repartir dans l’espace, ou la nourriture pour survivre pendant les longs mois du voyage, les outils et matériaux pour réparer les avaries des vaisseaux, comme jadis on devait recalfater les navires dans un port lointain avant d’entreprendre le voyage de retour.

En s’installant sur Mars, les Hommes deviendront donc non seulement une espèce multiplanétaire mais aussi une espèce multipolaire, avec des centres de décisions forcément indépendants fonctionnellement les uns des autres, comme l’étaient les pays terrestres avant l’accélération du développement des technologies de communication et de transport, ces dernières années. Après la mondialisation du commerce sur Terre, qui a disséminé les productions en différents pays au bénéfice d’une consommation de plus en plus uniformisée, ces nouvelles contraintes géographiques renforceront l’autonomie et la liberté des différentes colonies.

Mais ces colonies, comme jadis les cités grecques tout autour de la mer Méditerranée, auront quelque chose en commun, la langue. Non pas l’anglais ou le chinois, car des traducteurs de plus en plus efficaces seront utilisés. Mais l’informatique, donc les logiciels et les datacenters, car ce sont eux qui permettront de communiquer et de donner le sentiment d’appartenir à un même monde aussi éloigné soit-on de la Terre et des autres. Et grâce à cette communauté de langue, l’information circulera malgré le décalage de temps, et les échanges fleuriront.

La démonstration faite par la possibilité de vie sur Mars aura bien été le déclencheur d’une révolution copernicienne. La Terre ne sera plus le centre du monde et l’Homme ne sera plus jamais confiné dans son berceau.

Sur le web

[L’épopée économique de l’humanité] – Le triomphe de Rome (VII)

Première partie de cette série ici.
Seconde partie de cette série ici.
Troisième partie de cette série ici

Quatrième partie de cette série ici.
Cinquième partie de cette série ici.
Sixième partie de cette série ici.

 

À son zénith, aux Ier et IIe siècles après J.-C., l’Empire romain taxe 100 millions de personnes, entretient une armée permanente de plusieurs centaines de milliers de soldats, et impose sa paix armée à tous ses sujets. Il prélève des ressources sur l’ensemble du monde connu qui, d’une manière ou d’une autre, lui verse tribut.

Il est au centre d’un prodigieux système de prédation.

 

L’élimination des concurrents

Fondée en -753 selon la légende, Rome se rend d’abord maîtresse de l’Italie centrale, puis de toute la péninsule.

Pour dominer le monde méditerranéen, elle doit ensuite s’attaquer à Carthage gouvernée par une aristocratie de marchands qui s’est assurée le contrôle de la Sicile et la maîtrise des échanges dans toute la Méditerranée occidentale. Lors de la première guerre punique, Carthage est évincée de Sicile.

À l’issue de la deuxième guerre, l’Espagne lui échappe, elle perd l’exploitation des plus riches mines d’argent du monde antique1 et Rome lui impose le versement d’un énorme tribut.

Mais il faudra une troisième guerre et trois ans de siège pour que soit définitivement éliminé l’ennemi principal de Rome : en -146 Scipion Émilien l’emporte, la détruit, vend sa population et en déclare le sol maudit.

Entretemps, Rome a abattu la Macédoine en l’an -197.

Philippe V doit livrer sa flotte, payer une très forte indemnité et abandonner la Grèce également réduite en province. Pour achever d’imposer sa domination à l’ensemble du bassin méditerranéen, Rome profite des luttes intestines au sein de la dynastie séleucide et de la décadence de l’Égypte. Elle étend aussi son influence au nord et à l’ouest de l’Europe. À la fin du IIe siècle avant J.-C., la Gaule méditerranéenne est organisée en province, puis c’est la Gaule tout entière qui est soumise par César entre – 58 et – 50.

Les légions romaines s’implantent également dans les îles britanniques et repoussent le limes2 de plus en plus loin, en Germanie jusqu’au désastre de la forêt de Teutoburg qui engloutit trois légions en l’an 6. La frontière est alors ramenée au Rhin.

 

La fin de la République romaine

Au plan interne, guerres et conquêtes bouleversent la société romaine.

Elle se détourne du travail de la terre, subit le gonflement d’une plèbe urbaine avide de pain et de jeux et est en proie à toutes les perversions du luxe. Chroniquement, les esclaves se révoltent. Entre – 73 et – 71 il faut deux ans à la République romaine en pleine décadence pour réprimer dans le sang celle que mène Spartacus. En – 49, après avoir franchi le Rubicon, César créé dictateur réprime les troubles sociaux. Cinq années plus tard, il adopte Octave, son petit neveu, qui l’emporte sur Antoine3, devient impérator sous le nom d’Auguste et ramène la paix civile. À la République succède un empire capable d’imposer à tous la Pax romana jusqu’à la fin du IIe siècle après J.-C. Sous son impulsion, la culture grecque, que les élites romaines se sont appropriée en l’altérant, s’universalise et s’étend de l’Espagne à l’Inde.

Sur le plan économique, Rome, telle une pieuvre, est pendant ces deux siècles en mesure d’attirer les produits du monde entier.

 

D’Auguste aux Antonins : les vertiges du succès

Placée au centre de la toile qu’elle a patiemment tissée, Rome est en mesure de capter des ressources venues des quatre coins de l’univers connu.

Cette capacité de prédation est optimisée et amplifiée par les excellents administrateurs que sont Auguste et Tibère qui parviennent à la projeter plus loin encore en annexant la Galatie4 et la Judée.

Les empereurs suivants la compromettent par leurs excès privés, leurs défaites militaires ou leurs errements politiques. Mais ils ne l’altèrent pas en profondeur. Si Néron vide le Trésor, multiplie les condamnations pour s’emparer des héritages et fabrique même de la fausse monnaie, Vespasien ne se contente pas de taxer l’urine, comme le rapporte Suétone. En impulsant une gestion rigoureuse, il restaure les finances et lance de grands travaux pour occuper les chômeurs.

 

Le siècle d’or des Antonins

Lorsque la dynastie des Antonins accède au trône en l’an 98 s’ouvre pour Rome une période d’exceptionnelle prospérité.

En soumettant la Dacie5dont la population est déportée, Rome fait main basse sur le pactole des mines d’or transylvaines. Cet « or des Daces » finance de grands travaux d’amélioration des ports de la péninsule et permet d’entreprendre l’assèchement des marais pontins. À la même époque, la conquête de l’Arabie, complétée par le succès des campagnes menées contre les Parthes fait affluer, sous la protection des légionnaires de Syrie et de leurs alliés du désert, les richesses de l’Inde et de l’Extrême-Orient.

Mais cette politique d’expansion se heurte à des résistances de plus en plus fortes qui conduisent Hadrien à y mettre fin.

L’objectif n’est plus d’annexer de nouveaux territoires, mais d’éloigner les dangers menaçant l’Empire. Aux frontières sont aménagées des fortifications permanentes et continues, les limes. Pour des raisons avant tout financières, le régime est réorganisé. L’administration est renforcée, et l’État accroît son ingérence dans l’économie : mise en valeur des domaines impériaux, exploitation des mines d’Espagne, perception directe des impôts, contrôle renforcé des finances locales. Antonin le Pieux succède à Hadrien en 138. Sous son règne, l’Empire atteint le summum de sa puissance et de sa prospérité. Avec Marc-Aurèle qui prend sa suite, la situation reste brillante, même si l’assaut des barbares se fait de plus en plus agressif.

Le siècle d’or des Antonins marque l’apogée de l’Empire romain qui ne sera jamais plus aussi riche et pacifié que sous les « cinq bons empereurs »6que furent Nerva, Trajan, Hadrien, Antonin et Marc Aurèle.

Mais au roi philosophe succède Commode, son fils ivrogne et débauché qui pille le trésor, veut se faire reconnaître dieu et abandonne le pouvoir à ses favoris. Son comportement remet en lumière le point faible de la construction politique impériale qui est de concentrer trop de pouvoir aux mains d’un seul.

  1. Selon Pline, XXXIII, 97, la seule mine de Barbello aurait fourni à Hannibal 100 kilos d’argent par jour ; cité par E. Cavaignac, Les métaux précieux : les mines d’Espagne au IIe siècle avant J.-C., Annales, 1953, 8-4, pp. 498-501
  2. Limes : sous l’Empire romain, ligne fortifiée courant parallèlement à la frontière face aux pays barbares ou aux déserts (dictionnaire Larousse).
  3. Bataille d’Actium, -31 avant J.-C.
  4. Région située au centre de l’Asie mineure, autour de l’actuelle ville d’Ankara
  5. Région correspondant approximativement aux territoires de la Roumanie et de la Moldavie actuelles
  6. Expression inventée en 1503 par Machiavel et reprise dans l’ouvrage Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain de l’historien Edward Gibbon, 1776

Mars : une opportunité unique pour l’exploration spatiale (2)

Première partie ici

Une fois que les Terriens auront suffisamment fait joujou sur la Lune, ils pourront enfin s’élancer vers Mars, une vraie planète avec, comme nous l’avons vu la semaine dernière, une gravité adéquate et une richesse géologique adaptée à la présence humaine, compte tenu du niveau technologique que nous avons atteint aujourd’hui.

Certains disent que la planète Mars est trop loin. Ils ont tort. En fait, elle est suffisamment loin pour justifier une présence humaine permanente, mais elle n’est pas trop loin pour empêcher toute communication avec la Terre ni pour souffrir d’une irradiance solaire trop faible. Elle est aussi suffisamment loin pour que l’eau puisse y avoir subsisté un peu partout sous forme de glace.

Le premier point à considérer est le simple fait spatiotemporel de l’isolement proprement dit.

Comme chacun le sait ou devrait le savoir, Mars se situe, en ligne droite, entre 56 et 400 millions de km de chez nous ou, en termes d’astronautique, au bout d’un arc d’ellipse (trajectoire courbée par la force gravitationnelle du Soleil) de 500 à 600 millions de km correspondant à ces 400 millions de km.

Cette longueur d’arc d’ellipse est en effet la seule à prendre en compte car pour transporter le maximum de masse avec le minimum d’énergie (qui est le maximum de ce qu’on peut embarquer), on doit suivre, plus ou moins, une trajectoire de Hohmann (départ tangentiel à la Terre, arrivée tangentielle à Mars avec une vitesse nulle, Mars étant située en conjonction du Soleil par rapport à la Terre lors du départ). Pour parcourir cette distance il nous faut aujourd’hui, avec la propulsion chimique, entre 8 à 6 mois (en raccourcissant un peu la trajectoire idéale de Hohmann et en consommant plus d’ergols, donc en transportant moins de charge utile). Par ailleurs, compte tenu de la progression différente de chacune des planètes sur leur orbite respective (longueur des ellipses et vitesse de déplacement sur ces ellipse différentes), la fenêtre pour un départ de la Terre vers Mars ne reste ouverte que pendant un mois tous les 26 mois ou, après être arrivé sur Mars après un voyage de 6 mois, qu’à peu près un mois à la fin d’un séjour de 18 mois.

Ces six mois de voyage et l’étroitesse de la fenêtre de départ ont plusieurs conséquences.

On ne peut raisonnablement imposer un grand nombre de voyages parce qu’ils sont très longs dans l’absolu pour un être humain (six mois dans un volume viabilisé limité, même confortable, deviendront à la fin un maximum supportable) et parce que la dose de radiations accumulée devient à la longue nuisible pour la santé. Faire trois voyages aller-retour dans une vie ne posera pas de problème, en faire le double exposerait à un risque de cancer non négligeable.

On pourra peut-être créer une gravité artificielle par force centrifuge dans les vaisseaux interplanétaires mais on se limitera probablement à une gravité martienne (0,38 g) et sur Mars on n’aura pas les moyens de vivre dans une gravité terrestre. Malgré les charges que l’on pourra s’imposer et l’exercice physique, il va en résulter une perte de densité osseuse et de masse musculaire qui rendront le retour sur Terre d’autant plus pénible que le séjour sur Mars aura été long.

Financièrement, quelqu’un devra payer le voyage plus le séjour. Certes, la plupart des passagers pour Mars auront un travail à y faire qui devrait permettre la rentabilisation du voyage, ou bien ils disposeront d’une somme (importante) pour l’acheter. Quoi qu’il en soit le voyage sera coûteux même après que les économies d’échelle dues à l’augmentation du nombre de vols auront permis de réduire le montant du billet unitaire. Ce sera une raison supplémentaire, non pas de renoncer au voyage mais de bien réfléchir avant de repartir vers la Terre parce qu’il sera vraiment coûteux de revenir ensuite sur Mars.

Les voyages seront donc longs, pénibles, coûteux, à la limite du possible, mais cette extrémité a deux faces. On ira peu sur Mars mais on pourra y aller et lorsque ce sera le cas, on sera incité à y rester, ne serait-ce qu’en raison des difficultés surmontées.

Mais l’effort nécessaire ne sera pas la seule raison d’y rester.

Le second point à considérer est celui qui découle de la rigidité des périodes synodales. L’impossibilité de s’écarter de la fenêtre de départ pour entreprendre le voyage dans un sens ou dans l’autre aura pour conséquence une période de vacance de plusieurs mois sur Mars entre un départ de Mars vers la Terre et l’arrivée suivante sur Mars depuis la Terre. Il faudra donc une équipe sur place pour faire la liaison, c’est-à-dire assurer la maintenance des installations diverses entre deux séjours et surtout pour accueillir les nouveaux résidents après un voyage éprouvant (surtout s’ils ont voyagé en apesanteur).

Le troisième point à considérer est la possibilité de communiquer. Là aussi les Martiens se situeront à la limite de l’acceptable, extrémité qui présentera aussi ses deux faces.

Les messages, dans chaque sens, devront franchir la distance en ligne droite qui séparent Mars de la Terre, les 56 à 400 millions de km mentionnés plus haut, soit 3 à 22 minutes à la vitesse de la lumière. La conversation en direct ne sera donc pas totalement impossible, disons que l’on aura le temps de la réflexion (ce qui évitera sans doute de dire n’importe quoi), cependant elle sera très difficile. On sera un peu dans la situation des membres d’un réseau social ou des commentateurs d’un blog, avec des questionnements ou des réponses auxquels on ne répond pas immédiatement mais quand même, si nécessaire, plusieurs fois dans la journée.

Il faut voir la différence avec les échanges qui auraient lieu avec des personnes situées à proximité de Jupiter et a fortiori autour de l’étoile Proxima Centauri, notre plus proche voisine (4,25 années-lumière tout de même). Dans ces cas, l’envoi d’informations restera possible mais l’échange ne pourra plus être une conversation. Dans le cas de Mars, y vivre restera compatible avec le maintien de liens via les ondes avec des « proches » ou des collègues restés sur Terre.

Le quatrième point à considérer est la situation énergétique de la planète ou plus particulièrement son niveau d’irradiance solaire. Au plus loin du Soleil, au cœur de l’hiver austral, un objet à la distance de Mars reçoit encore plus de 400 W/m2. C’est trois fois moins que ce que l’on reçoit à la distance de la Terre mais dix fois plus que ce l’on reçoit à la distance de Jupiter. Cela permet d’utiliser encore l’énergie solaire pour les serres dans lesquelles on cultivera une bonne partie des aliments nécessaires à la vie de l’Homme (en complétant évidemment avec de l’énergie obtenue sur Mars) et cela permet de disposer d’une luminosité suffisante pour évoluer à l’extérieur des bulles viabilisées sans apport d’énergie complémentaire.

Certes, cela ne permettra pas de jouir d’une température extérieure compatible avec la vie humaine (les températures de -100°C la nuit seront « normales » mais même pendant l’hiver austral les températures n’atteindront pas cet extrême à l’équateur et il y aura des températures positives pendant l’été boréal. Surtout, la rotation de la planète sur elle-même en 24 h 39 évitera les trop longues périodes sans lumière et sans chaleur même relativement faibles. Elle sera aussi familière à l’Homme et aux autres formes de vie qu’il introduira sur Mars.

Cette chaleur et cette luminosité relatives représentent des économies d’énergie considérables par rapport à ce qu’exigera un séjour sur Europa ou a fortiori sur Titan.

Le cinquième point à considérer est l’accessibilité à la glace d’eau.

À la différence de la Lune où l’eau est rare, concentrée aux pôles (surtout au pôle Sud) et difficilement accessible, il y a de l’eau un peu partout sur Mars, bien sûr près des pôles mais aussi aux latitudes moyennes et même à l’équateur. La température basse résultant de l’éloignement du Soleil, a permis sa conservation sous forme de glace depuis des millions d’années (entre les périodes d’atmosphère dense faisant suite aux épisodes volcaniques ou d’inclinaison de l’axe de rotation très bas sur le plan de l’écliptique) pourvu qu’elle ne soit jamais exposée à la chaleur (autrement elle se sublime). L’Homme sur Mars aura accès à ces réserves, il pourra les miner et les conserver sans dépense d’énergie jusqu’à ce qu’il en ait besoin, avant de recycler l’eau après usage puis de la remettre en réserve sous forme de glace qui pourra lui servir également d’écran contre les radiations.

Vivre en Antarctique a permis d’envisager de vivre sur la Lune. Mais ni le premier ni la seconde ne sont suffisamment loin de la civilisation pour que l’on envisage de s’y établir vraiment. Si on est malade dans l’un ou l’autre de ces lieux hostiles on peut/pourra envisager un rapatriement. Si un équipement essentiel à la survie fait défaut dans l’un ou l’autre de ces mêmes lieux, on peut/pourra envisager de se le faire fournir. Rien de tel sur Mars, une fois parti de la Terre et jusqu’au retour trente mois après, l’équipe d’astronautes et plus tard les résidents martiens, seront seuls, sans aucune assistance matérielle possible. En ce sens, passer de la vie sur la Lune à la vie sur Mars représente un saut comme on n’en a jamais fait depuis les grandes découvertes où là aussi l’explorateur européen était totalement seul, loin de tous les outils disponibles en Europe.

Avec Mars nous allons commencer une nouvelle séquence.

Une fois que l’Homme se sera adapté à vivre en dehors de son berceau, grâce à une planète Mars  distante mais pas trop, il pourra tenter la grande aventure de l’essaimage dans l’espace véritablement profond, celui qui est situé au-delà du système solaire interne.

Nous n’avons pas encore la technologie pour le faire mais nous l’aurons un jour et nul doute que nous l’utiliserons comme demain nous utiliserons les faibles moyens dont nous disposons aujourd’hui pour aller sur Mars. Et nous pourrons aussi le faire car, grâce à la vie sur Mars, le principe d’une vie possible en dehors de la Terre aura été posé, accepté et tenté avec succès. Depuis qu’elle a pu parvenir à la mer ouverte ou aux marges des grands déserts d’Afrique, une partie de notre espèce, celle des nomades, a toujours rêvé de savoir ce qu’il y avait de l’autre côté.

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Mars: une opportunité unique pour l’exploration spatiale

Les Terriens sont ingrats. Beaucoup considèrent la planète Mars comme une terre hostile et lointaine qu’il vaudrait mieux, de ce fait, ignorer. Ils ont tort. Ils devraient au contraire voir que c’est exactement le tremplin dont l’humanité a besoin pour, un jour, pouvoir prendre son envol dans l’espace profond. Ils devraient donc rendre grâce à la nature qui l’a placée là, telle qu’elle est, à l’endroit où elle est.

Les avantages fondamentaux qu’offre Mars pour nous êtres humains, par rapport aux autres planètes du système solaire et par rapport aux planètes d’autres systèmes qui ne présenteraient pas la même configuration que notre couple Terre/Mars, sont liés à la masse et à la distance. Plus précisément, ce sont d’une part, le rapport de masses entre les deux planètes et la masse de Mars en absolu ; d’autre part, la distance de Mars à la Terre et la distance de Mars au Soleil.

Je développerai cette semaine les avantages donnés par la masse.

Pour mémoire, Mars a une masse relativement petite, un dixième de celle de la Terre, pour un diamètre égal à la moitié de celui de la Terre (donc à peu près la même densité) mais une surface égale à la totalité des terres émergées de notre planète. Cette faible masse n’est pas « normale ». Compte tenu de l’homogénéité probable du disque protoplanétaire, Mars aurait pu avoir la même masse que la Terre ou que Vénus. Elle aurait même dû avoir cette masse si, comme nous l’a démontré brillamment l’astrophysicien Alessandro Morbidelli (théorie du « grand tack » c’est-à-dire du « grand rebroussement »), Jupiter, formée au-delà de la ligne de glace, n’était pas venue faire une incursion dans cette région du système solaire interne (en-deçà de la Ceinture d’astéroïdes) alors qu’il était encore en formation (avec un certain retard par rapport aux géantes gazeuses).

Par chance, Saturne étant entrée en résonnance avec elle, stoppa sa descente vers le Soleil et l’entraina pour repartir de concert dans le système externe (au-delà de la Ceinture d’astéroïdes). Les dommages causés par l’incursion étaient cependant déjà énormes, la plus grosse partie de la matière de la Ceinture d’astéroïdes chamboulée, dispersée, absorbée, absorbée, la plus grosse partie de la matière qui aurait pu permettre de créer une planète Mars de la taille de la Terre. Cependant, Jupiter n’était pas descendue suffisamment longtemps dans cette région pour en absorber toute la matière, et par chance elle y était restée suffisamment longtemps pour que ce qui resta de matière put s’accréter par gravité en une planète nettement moins massive que la Terre, mais nettement plus massive que la Lune, ce qui était exactement ce dont nous aurions besoin plus tard.

En effet, cette masse de Mars implique une pesanteur au sol d’à peu près un tiers de celle que nous avons sur Terre (0,38 g) et une vitesse de libération de 5,03 km/s (contre 11,2 km/s pour la Terre).

Les conséquences en astronautique sont que :

  1. Le poids de l’éventuel Starship qui se posera sur Mars presque à vide d’ergols ne sera que de 100 tonnes pour une masse maximum de quelques 300 tonnes (soit 100 tonnes de structures, 50 tonnes d’ergols résiduels, 150 tonnes de charge utile)
  2. Le poids au départ de Mars, une fois fait le plein d’ergols, sera de 370 tonnes pour une masse de 1400 tonnes (100 tonnes de structure, 1200 tonnes d’ergols, 100 tonnes de charge utile).

 

Ce poids est à comparer à celui du Starship avec son lanceur, SuperHeavy, au départ de la Terre, 4000 tonnes (soit pour la structure, 200 tonnes pour le SuperHeavy et 100 tonnes pour le Starship, et pour les ergols, 3400 tonnes pour le SuperHeavy et 150 tonnes pour le Starship – en attendant de faire le plein en orbite – plus 150 tonnes de charges utile). Il est à comparer aussi au poids au départ de la Terre des 538 tonnes de la version la plus lourde d’un Falcon-9 chargé ou encore des 780 tonnes d’une Ariane-5.

On voit bien que les difficultés pour se poser puis repartir d’une planète « Mars-hypothétique » de la masse de la Terre seraient incomparables aux difficultés à surmonter pour décoller de la Terre. Par analogie, vouloir se poser sur le sol non-préparé d’une telle planète et surtout vouloir en repartir poseraient des problèmes quasi insurmontables. En ne considérant que le décollage, il faudrait disposer sur place d’un lanceur équivalent au SuperHeavy qu’il aurait fallu avoir pu apporter sur Mars aussi bien que les ergols nécessaires pour l’alimenter (ou du laboratoire capable de les produire à partir des ressources locales en quantité suffisante et avec la rapidité suffisante).

C’est donc d’une machine bien plus puissante que le Starship-intégré (à son SuperHeavy) dont on aurait besoin au départ de la Terre. Or, le test de décollage pour vol-orbital du Starship-intégré a amplement démontré que nous avions atteint le maximum de ce qu’il était possible de tenter avec nos moyens de propulsion actuels. Nous ne pouvons donc aujourd’hui espérer mener de missions habitées sur notre planète « Mars-réelle » que parce qu’elle a une masse beaucoup plus petite que celle de la Terre. Pour poursuivre le raisonnement, toute mission en surface de Vénus (ou planète de même masse), outre le fait qu’on ne pourrait y descendre en raison de la pression atmosphérique en surface (90 bars) et de la température (450°) serait totalement exclue car on ne pourrait plus en repartir du simple fait de la gravité. Toute mission sur une « superterre » (par définition de masse supérieure à la Terre) serait a fortiori également de ce fait, totalement exclue.

Après le décollage de la Mars-réelle, il sera ensuite beaucoup plus facile de rejoindre l’orbite avant injection interplanétaire vers la Terre, car les astronautes n’auront pas à surmonter l’épreuve de Max-Q, qui représente le pic de dangerosité après que l’on a quitté la surface de la Terre (ou de toute autre planète dotée d’une atmosphère dense). Rappelons que Max-Q est la tension aérodynamique maximum par laquelle on doit passer lorsque la pression atmosphérique est encore suffisamment élevée pour qu’en fonction de la vitesse déjà acquise la densité de l’atmosphère impose les contraintes les plus dures à la structure de la fusée.

Cette tension diminue ensuite rapidement en fonction de la diminution de la pression atmosphérique, fonction elle-même de l’altitude. Dans l’atmosphère martienne, le Max-Q est beaucoup plus faible (pour ne pas dire négligeable) car la pression atmosphérique de départ est déjà très faible (615 pascals au « Datum » i.e. l’équivalent du niveau de la mer chez nous), correspondant à celle que nous avons à quelques 30 km d’altitude au-dessus de la Terre.

C’est à cette altitude que le Starship-orbital a franchi son Max-Q, ce qui a sans doute contribué à sa déstabilisation devenue évidente quelques km plus haut. Lorsque la fusée repartant de Mars atteindra les 21 km d’altitude au-dessus du Datum, soit l’altitude du sommet d’Olympus Mons (le plus haut volcan de la planète) et probablement son Max-Q, la pression atmosphérique ne sera plus que de 30 pascals (trois dixièmes de millibars), clairement presque rien (et de toute façon, il n’aura pas eu besoin de procéder à la manœuvre délicate du largage de son lanceur puisque ce premier étage ne sera pas nécessaire du fait de la gravité plus faible).

Une fois sur Mars, les astronautes devront porter un scaphandre pour toutes leurs activités extérieures et sans doute un gilet plus un casque antiradiations dans les habitats de surface protégés partiellement (comme les dômes transparents que l’on voit dans beaucoup de projets d’habitat), à moins bien sûr qu’ils ne décident de vivre sous une protection épaisse de régolithe ou de roche. Cela tombe bien, car la masse correspondant à ce support-vie (scaphandre équipé) et à cette protection antiradiations (gilet et casque), sera parfaitement adaptée à la capacité musculaire et osseuse des astronautes, et même leur sera bénéfique pour maintenir des tissus osseux et musculaires en bonne condition, alors qu’elle serait totalement insupportable sur une planète de masse, donc de gravité, égale (ou supérieure !) à celle de la Terre.

Pour ce qui est de la recherche, Mars présente aussi deux atouts majeurs résultant de sa masse, donc de sa gravité. Cette masse a en effet permis une activité géologique beaucoup plus poussée qu’en surface de la Lune mais n’a pas permis le développement d’un activité tectonique notable comme sur Terre.

L’activité géologique sur la Mars primitive a permis la transformation géologique par diagénèse et métamorphisme associant l’eau liquide alors que cette évolution liée à l’eau a été quasi nulle sur la Lune puisque notre satellite naturel, de masse trop petite, a très vite été un astre mort. Mars a commencé une histoire géologique semblable à celle de la Terre avec réactivations nombreuses au début, suite à des changements d’inclinaison de son axe de rotation sur son plan de l’écliptique ou à de puissants épisodes volcaniques. Par chance, pour les scientifiques, cette activité s’est ralentie, presque arrêtée, quelques centaines de millions d’années après avoir commencé (vers -3,5 milliards d’années) en même temps que l’atmosphère se raréfiait à l’extrême et que l’eau de surface disparaissait.

Dans le manteau de la planète, une quantité moindre d’eau, elle aussi liée à la masse plus faible donc à la gravité plus faible de Mars par rapport à la Terre, donc à une attractivité moins forte de Mars pour les comètes porteuses de glace, n’a pas permis le développement de mouvements de convexion aussi puissants liés à une croute aussi mince que sur Terre. De ce fait, les mouvements de convexion n’ont pu qu’esquisser une très faible tectonique des plaques (Valles Marineris, ou Isis Planitia ?) ce qui a permis la conservation quasi intégrale d’une surface planétaire très ancienne étendue sur des dizaines de millions de km2, alors que sur Terre ces mêmes surfaces témoins des premiers balbutiements de la vie, n’occupent plus aujourd’hui que quelques dizaines de km2 en Australie et au Groënland.

Seule note négative, la faible masse de Mars n’a pas permis la création au centre de la planète, d’un noyau métallique ferreux aussi pur et de périphérie aussi nettement délimitée qu’au centre de la Terre, ce qui n’a pas permis une rotation différentielle suffisamment efficace pour générer des champs magnétiques globaux protecteurs (sinon au tout début de l’histoire géologique). Depuis que l’atmosphère s’est appauvrie (vers -4 milliards d’années sauf intermèdes de plus en plus rares), il n’y a plus eu de protection au sol contre les radiations solaires et galactiques. Ces conditions ont été évidemment défavorables à la vie.

En dépit de cette dernière note négative, Mars constitue donc, de par sa masse, un laboratoire optimal pour déduire ce qu’a pu être la surface terrestre la plus ancienne, et un lieu où les conditions gravitationnelles devraient permettre à l’homme de vivre dans des conditions acceptables.

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