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À partir d’avant-hierOrient XXI

Les pays du Golfe s'interrogent sur l'usage de leurs pétrodollars

Favoriser le bien-être à court terme des citoyens ou faire le choix de la rigueur budgétaire, doublée d'investissements dans des actifs productifs ? Une fois encore, ce choix économique clivant est à l'agenda des pays du Golfe, en raison de l'afflux de pétrodollars lié à la hausse du prix du pétrole et du gaz accélérée par la guerre en Ukraine.

L'augmentation des prix de l'énergie sur fond de sortie de la pandémie de la Covid-19 et du bouleversement des plaques tectoniques géopolitiques depuis l'invasion de l'Ukraine par la Russie appauvrit les économies en situation de dépendance énergétique. A contrario, les pays du Golfe exportateurs de pétrole et de gaz enregistrent des profits records. L'Arabie saoudite, dont le géant pétrolier Aramco a dévoilé un bénéfice record de 48,4 milliards de dollars au deuxième trimestre (49 milliards d'euros), s'apprête à devenir l'une des économies à la croissance la plus rapide au monde cette année. Le Qatar, poids lourd du gaz naturel liquéfié, a multiplié par douze son excédent budgétaire sur le premier semestre 2022 et Oman prévoit d'être dans le vert pour la première fois depuis une décennie.

La « perspective négative » sur l'Arabie saoudite de Fitch Ratings durant l'effondrement des cours du brut début 2020 s'est muée cette année en « perspective positive » en raison de la hausse des prix du pétrole et de progrès dans les réformes fiscales et économiques, commente Toby Iles, responsable pour l'agence de notation américaine des notations souveraines pour le Proche-Orient et l'Afrique.

Lourdement endetté suite à la crise pétrolière de 2014-2016, Oman profite de ce momentum positif pour alléger sa dette publique en remboursant par anticipation un prêt de 1,3 milliard de dollars en juillet 2022, quelques semaines seulement après avoir réalisé une opération de rachat volontaire de dette de 701 millions de dollars. « Oman a initié des réformes, et bien qu'il y ait une certaine dilution de ces réformes cette année, nous nous attendons à ce qu'elles se poursuivent largement sur une ligne réformiste dans les années à venir », indique Toby Iles.

La manne pétrolière permet également de renforcer la puissance de feu des fonds souverains, principaux véhicules financiers des États du Golfe pour faire fructifier leurs excédents budgétaires. Au cours du seul deuxième trimestre, le Fonds public d'investissement (PIF) d'Arabie saoudite a acquis pour plus de 7,5 milliards de dollars (7,2 milliards d'euros) d'actions américaines. On attend néanmoins une stratégie d'investissement plus pragmatique que par le passé. « Moins d'investissements sexy/tape-à-l'œil » pour lesquels les fonds souverains du Golfe se sont rendus célèbres au milieu des années 2000, résume Michael Maduell, président du groupe de recherche Sovereign Wealth Fund Institute (SWFI).

S'il est difficile d'estimer la part des recettes pétrolières allouées à ces entités opaques, il est probable que l'afflux se poursuive tant que le baril se maintient au-dessus de 50 dollars (48 euros) affirme, confiant, Michael Maduell. Un coup de pouce budgétaire probablement de courte durée : l'Arabie saoudite annonce un excédent budgétaire prévisionnel pour 2023 dix fois inférieur à celui de 2022.

« Moins d'assistanat, plus d'argent dans les institutions »

Les pays du Golfe ne peuvent néanmoins se soustraire à la redistribution d'une part du gâteau pétrolier à des citoyens qui assistent à contrecœur à une érosion progressive de ce pacte social implicite depuis 2014. Pour autant, l'ère de la redistribution sans discernement est en partie révolue, ouvrant les portes à un filet de sécurité sociale plus ciblé. Face à une inflation qui s'enracine, l'Arabie saoudite ordonne en juillet la distribution de 20 milliards de riyals saoudiens (5,4 milliards d'euros) aux bénéficiaires de l'assurance sociale.

Le lancement des « Visions »1 dans tous les pays du Golfe a déclenché un « changement de mentalité » chez les responsables politiques, analyse l'économiste bahreïni Omar Al-Ubaydli. « Certaines barrières politiques internes au sein de l'administration publique ont été levées », indique-t-il, notant une dynamique interne « plus favorable » à des réformes durables sur fond de prise de contrôle par des jeunes décideurs entrés en fonction durant la période d'explosion des dettes publiques. « Moins d'assistanat, plus d'argent dans les institutions », renchérit Michael Maduell.

La manne pétrolière doit être investie dans la « transition économique et environnementale », souligne un rapport publié par la Banque mondiale en avril 2022. « La manne des revenus supplémentaires que nous tirerons des prix élevés du pétrole sera essentiellement investie dans la résilience », tente de rassurer Faisal Alibrahim, le ministre saoudien de l'économie et de la planification.

« De plus en plus d'impôts »

Le Fonds monétaire international (FMI) salue en août 2022 la « discipline budgétaire » de l'Arabie saoudite et son « respect des plafonds budgétaires de 2022 », mais prend soin de noter que les « pressions pour dépenser la manne pétrolière » constituent l'un des principaux risques de dégradation. Il recommande de reconsidérer le plafonnement des prix de l'essence et de maintenir le taux de TVA à 15 %, une mesure qualifiée en 2021 par le prince héritier Mohamed Ben Salman (MBS) de « temporaire ».

Selon Steven Ireland, responsable des questions de fiscalité au sein du cabinet de conseil basé aux Émirats arabes unis Creation Business Consultants, il faut s'attendre à de « plus en plus d'impôts dans toute la région ». L'expert fiscal indique s'attendre à la possible introduction de la TVA au Qatar et au Koweït dans les années à venir, ainsi qu'un impôt universel sur les sociétés au Bahreïn. Les Émirats arabes unis, eux, ont déjà sauté le pas et annoncent un impôt sur les sociétés pour mi-2023 au taux de 9 % sur les bénéfices supérieurs à 375 000 dirhams des Émirats arabes unis (soit 103 500 euros).

« Il y a dix ans, personne dans la région du Golfe ne s'intéressait au conseil fiscal. Les gens disaient : “nous n'avons jamais payé d'impôts dans le passé, alors pourquoi aurions-nous besoin de conseils”. Mais les choses ont changé », commente Steven Ireland. L'évolution du paysage fiscal reflète ce que le secrétaire général du Conseil de coopération du Golfe (CCG) perçoit comme un changement de paradigme dans le rôle endossé par les gouvernements, abandonnant la « création de l'économie » pour la « stimulation de la croissance ». En Arabie saoudite, le PIF s'impose comme « l'investisseur de base » pour faciliter le développement du secteur privé. « Je pense qu'il y a une forte prise de conscience dans toute la région que l'État ne peut pas être éternellement l'employeur de dernier recours », estime Toby Iles.

La dépendance des citoyens à l'égard des emplois du secteur public demeure néanmoins élevée. Les salaires du secteur public représentent 30 à 50 % des dépenses publiques suivant les pays.

Des politiques économiques verticales et non participatives

« La diversification [économique] est un thème récurrent, mais elle n'a pas forcément beaucoup progressé », nuance Toby Iles. En effet, malgré des progrès dans la diversification des économies du Golfe au-delà des revenus de la rente pétrolière et gazière, la région peine à se faire une place sur la scène mondiale dans des secteurs d'activités non énergétiques. À cet égard, le développement de l'industrie du tourisme et de la logistique internationale à Dubaï fait figure d'exception.

Au royaume de l'or noir voisin, une flopée de projets annoncés par MBS font planer sur l'Arabie le spectre d'éléphants blancs déconnectés des réalités économiques. La mégapole futuriste NEOM, souvent critiquée pour être un « fouillis de science-fiction », est jugée comme un pari risqué. Pour autant, la population locale a-t-elle son mot à dire (six jeunes sur dix dans les pays du Golfe pensent que la démocratie ne fonctionnera jamais au Proche-Orient) dans les orientations stratégiques décidées au plus haut niveau de l'État ? « L'histoire de la politique économique dans les pays du Golfe, et qui se poursuit aujourd'hui, est verticale et non participative. Les décideurs politiques ne voient pas l'intérêt d'adopter une approche différente », indique un économiste dans l'un des pays du Golfe s'exprimant sous couvert d'anonymat.

L'absence de transparence et de dialogue social offre aux gouvernements locaux une liberté d'action totale. Selon l'expert fiscal Steven Ireland, la prochaine étape pourrait être de démanteler les régimes fiscaux favorables aux entreprises locales au Qatar, au Koweït et en Arabie saoudite. « Je pense que ces régimes fiscaux discriminatoires qui offrent un traitement fiscal favorable aux ressortissants du CCG finiront par être supprimés ».


1NDLR. Plans de réformes à long terme.

Algérie. L'informel prospère sur fond de déficit budgétaire

L'économie informelle, florissante, emploie un Algérien sur deux, et échappe à tout impôt. Ses dizaines de milliers d'acteurs exercent avec succès leurs talents dans le commerce, l'agriculture et la spéculation immobilière, tout en privant le pays d'une bonne partie des revenus fiscaux nécessaires pour financer la protection sociale et lutter contre les inégalités.

Il y a près de trente ans, le 24 mai 1994, l'Algérie signait un programme d'ajustement structurel avec le Fonds monétaire international (FMI) qui, entre autres, abolissait le monopole de l'État sur le commerce extérieur. C'est de là que tout, ou presque, est parti dans l'opacité et la débrouille. Aujourd'hui, si l'exportation reste le fait d'une seule entreprise : la compagnie nationale des hydrocarbures Sonatrach (plus de 90 % des recettes), l'importation est l'affaire de dizaines de milliers d'acteurs privés dont la grande majorité ne paie pas d'impôts — ou peu — ni de cotisations sociales. Ils sont souvent en dehors de toute règle de droit et constituent ce qu'on appelle l'économie parallèle ou encore le secteur informel, qui emploie au moins un Algérien sur deux.

« Informel », on l'est rarement un peu, souvent beaucoup et encore plus souvent complètement, surtout dans le commerce. Le respect des lois et des règlements est à coup sûr variable. Difficile d'être plus précis et d'avancer des chiffres, car le sujet n'intéresse pas le gouvernement algérien qui dénonce volontiers l'argent sale, mais n'a publié aucune étude sur le sujet. Et les institutions internationales qui suivent l'économie algérienne comme le FMI ou la Banque mondiale ne sont pas plus curieuses.

Ses conséquences sont pourtant gravissimes pour l'économie nationale et les Algériens. Les impôts, non pétroliers, axés surtout sur la consommation (TVA, droits de douane…), y rapportent à peine 50 % de ce qu'ils ramènent dans des pays comparables. La sécurité sociale est menacée de banqueroute ; l'assurance maladie, en coma dépassé faute de cotisations, survit grâce au budget de l'État. Résultat, un déficit budgétaire record qui avoisine le cinquième du PIB les mauvaises années quand la monnaie nationale, le dinar (DA), plonge année après année et a perdu 100 % de sa valeur depuis septembre 2001.

Des affaires juteuses qui échappent à l'impôt

Mais l'informel est aussi une bonne affaire pour ses pratiquants. Un modèle de remplacement de l'économie administrée d'avant les années 1980 s'est mis progressivement en place qui allie un indéniable dynamisme et l'enrichissement des nantis. Il repose sur un triptyque original : le commerce, l'agriculture et l'immobilier. Le commerce est partout. Il occupe les trottoirs des grandes villes, les commerçants y entassent leurs stocks de marchandises, interdisent aux voitures de se garer en face de chez eux et obligent les passants à des périples dangereux sur la chaussée au milieu des flots de voitures. À Oran, durant les Jeux méditerranéens (25 juin-6 juillet 2022), la police est parvenue à libérer les trottoirs au prix d'une bataille de tous les instants. Mais dès la fin des Jeux, le 7 juillet, les habitués étaient de retour.

Les prix sont élevés et les marges indécentes. En Oranie cet été, le kilo de cerises vendu sur pied à la ferme se vend 250 DA (1,78 euro). Des gens de Sétif identifiés grâce à l'immatriculation de leurs camions viennent sur place, récoltent les cerises, les lavent, les mettent en cageots et les revendent sur des micromarchés comme les beaux quartiers d'Alger, à Hydra, ou sur les bases pétrolières du Sahara. Prix de vente à l'arrivée ; 1 500 DA (10,67 euros), six fois plus élevé que le prix d'achat !

Le mouton, indispensable à la réussite des grandes fêtes religieuses, que les familles recherchent loin dans la campagne au moment de l'Aïd coûte ici le prix le plus élevé du monde arabe après la Palestine, à 70 000 DA (498 euros) par tête. Les services à la personne suivent le même rythme. Un chauffeur de taxi pas trop maladroit gagne 10 000 DA (71 euros) par jour, en partie grâce à l'essence, bon marché parce que largement subventionnée, soit la moitié du salaire minimum mensuel fixé par le gouvernement et rarement respecté. Un restaurant du côté de la Colonne Voirol, en plein centre d'Alger, livre à domicile ses clients ; le plat coûte 1 000 DA (7 euros) et laisse au patron une marge appréciable.

En dehors du pain, de la semoule, des huiles ou du sucre et de l'énergie (gaz et électricité, carburants) fournis par le secteur public à des prix très bas grâce aux subventions qui grèvent les finances publiques, le reste de la consommation vient de l'informel qui se ravitaille, notamment en produits textiles, essentiellement en Chine et en Turquie, devenue en quelques années un des principaux fournisseurs du pays, à égalité ou presque avec la France. C'est un marché juteux de plusieurs dizaines de millions de consommateurs dans les villes, surtout dans le secteur très spéculatif des fruits et légumes, qui n'a que l'informel comme fournisseur.

Devises au marché noir

Pour se ravitailler en partie à l'étranger, le secteur achète ses devises non pas aux banques, mais au marché noir. Square Ex-Besson, rebaptisé square Port-Saïd, en plein centre d'Alger, des centaines de changeurs proposent ouvertement des fonds à des cours supérieurs de 30 à 40 % au taux de change officiel sans poser de questions sur leur destination1. Quelle est l'importance de ce marché qui fonctionne tous les jours de l'année d'un bout à l'autre du pays avec les mêmes cours et la même rectitude ? Officiellement on n'en sait rien, mais des observateurs privés l'évaluent autour de 10 milliards de dollars (10 milliards d'euros), soit 50 % des exportations algériennes en 2020. Échaudés par une répression financière très ancienne, les quatre à cinq millions d'Algériens de la diaspora ont l'habitude de passer par les changeurs de la « banque kabyle », un réseau solidement établi des deux côtés de la Méditerranée plus rémunérateur que les circuits officiels, pour aider les familles restées au pays.

Une accumulation de richesses incontrôlée

La marge nette de l'informel finance une accumulation sans précédent de richesses. Une partie s'évade à l'extérieur du pays, une autre va à l'achat des anciennes terres coloniales nationalisées après l'indépendance. En 1987, l'ancien chef redouté des services de sécurité devenu ministre de l'agriculture, Kasdi Merbah, a liquidé le secteur socialiste et ses deux millions d'hectares, les meilleurs du pays. Environ 100 000 exploitations agricoles individuelles (EAI) et une poignée de coopératives leur ont succédé. Trente-cinq ans après, la quasi-totalité des bénéficiaires n'ont toujours pas reçu leurs titres de propriété. Ils vieillissent sur place et ne peuvent se moderniser faute d'accès au crédit agricole. Alors, ils sont de plus en plus nombreux à vendre. À qui ? Une ferme de 12 hectares dans la région de Tlemcen à l'ouest a été cédée pour l'équivalent de 60 000 euros à un prestataire de services qui a fait fortune dans l'informel et que l'absence de titre de propriété n'effraie pas. « Je ne lui demande rien », dit-il, sûr de son influence et de sa surface sociale. Informaticiens, commerçants, garagistes, artisans achètent des terres et souvent embauchent l'ancien « propriétaire » comme ouvrier agricole. Ils modernisent les exploitations, achètent des machines, construisent des hangars, vont chercher l'eau de la nappe phréatique…

Encore plus ambitieux, d'autres se lancent dans la promotion immobilière. Si l'État bâtit de grands ensembles dans des banlieues lointaines, mal desservies, les privés lorgnent les centres-villes. Les vieilles villas coloniales d'Alger, d'Oran, de Bordj-Bou-Arreridj ou de Sétif disparaissent rapidement. Des promoteurs audacieux les achètent un bon prix, les démolissent et à la place construisent un immeuble sur quatre ou cinq niveaux, sans charme, mais au-dessus de garages très recherchés. À Alger, une villa sans prétention sur 300 m2 de jardin se vend facilement 190 à 200 millions de DA (1,35 à 1,42 million d'euros). Dessus, on peut construire 3 000 m2 d'appartements et revendre le tout pour 1,2 milliard de DA (environ 85 millions d'euros). Six fois la mise !

Toute cette activité se déroule à l'écart des autorités. « Je ne leur demande rien, car je ne veux rien avoir à faire avec eux », s'exclame un néo-fermier. L'administration n'a pas bonne presse. « La population déteste la bureaucratie encore plus que les militaires », constate un ancien ministre. Et pour cause. Les agents de l'État n'ont pas été augmentés depuis 2011, à part quelques rares revalorisations du point d'indice, à peine l'équivalent de 10 dollars (10 euros) sur une année. Aux prises avec une hausse des prix parfois à deux chiffres, qui a mangé au moins la moitié de leur pouvoir d'achat, beaucoup se rattrapent en faisant payer le moindre coup de tampon. Et Dieu sait si l'administration algérienne en consomme !

La fabrique des laissés-pour-compte

L'informel conforte les inégalités sociales. Les patrons ne font preuve d'aucune solidarité avec leurs employés, privés des droits sociaux les plus élémentaires. « L'État social » que revendique le régime se fait sans eux à la charge de la seule rente pétrolière qui tôt ou tard se révèle insuffisante pour faire face à tous les besoins. La caisse de chômage mise en place sous la présidence Tebboune est financée par le budget, et non par les entreprises comme partout ailleurs. Les jeunes — et d'abord les filles — sont les premières victimes de cette société schizophrène qui n'offre guère d'emplois rémunérateurs à ses millions de diplômés de l'université, en dehors du secteur public qui ne recrute presque plus.

Parmi les laissés-pour-compte, sans relations ni parrains influents, ils sont nombreux à choisir l'exil, quitte à s'embarquer sur des bateaux de fortune et à prendre le risque de se faire tirer dessus par les garde-côtes. D'autres se réfugient dans la drogue et en consomment ouvertement jusque devant les policiers. « Ils ne veulent pas de manifestation, mais pour la drogue, ils laissent faire », relève Ahmed, un marchand forain installé en France qui est allé voir sa mère après quatre ans d'absence. Le kif venu du Maroc est peu à peu supplanté par ce que les autorités rangent sous le nom générique de « comprimés psychotropes » qui, de Maghnia dans l'ouest à Laghouat dans le sud, inondent le pays malgré les saisies record des forces de l'ordre.


1Le taux officiel est d'environ 150 DA pour un dollar comme pour un euro. Au marché noir, ces deux devises dépassent 200 DA.

Oman. Le sultan Haïtham prépare les esprits à l'impôt sur le revenu

Héritier de déficits chroniques, le souverain Haïtham Ben Tarek est forcé à la rigueur budgétaire pour assainir des finances publiques omanaises moribondes. Le sultanat compte également introduire l'impôt sur le revenu dès 2023. Mais les conditions de sa mise en œuvre font débat dans un pays dopé à l'État-providence.

« La leçon essentielle à retenir est que ces plans doivent être établis à l'avance et leur mise en œuvre ne doit pas débuter au bord de la crise », lâche Scott Livermore, chef économiste Proche-Orient au cabinet de conseil britannique Oxford Economics. Qabous Ben Saïd Al-Saïd tire sa révérence le 10 janvier 2020 après un demi-siècle aux rênes d'Oman, le seul sultanat du Proche-Orient. Il avait dirigé d'une main de fer un pays alimenté par les revenus de la rente pétrolière. Mais le monarque avait renvoyé aux calendes grecques les réformes structurelles et politiquement sensibles, échouant ainsi à préparer Oman aux défis de long terme.

En 2015, lorsque les cours du brut s'effondrent, le Fonds monétaire international (FMI) tire la sonnette d'alarme :« Les gouvernements du Conseil de coopération du Golfe (CCG) ne peuvent pas compter indéfiniment sur les ressources pétrolières pour financer leurs budgets de manière durable ». Dont acte, les réformes fiscales, économiques et politiques jalonnent les deux premières années du règne du nouveau sultan Haïtham Ben Tarek Ben Taïmour Al-Saïd. Au programme, nouvelles taxes, réduction du nombre de ministères de 26 à 19, diminution des dépenses d'investissements et reprise en main des entreprises publiques par le fonds souverain, révision des tarifs de l'électricité, non-renouvellement du contrat de 70 % des consultants étrangers travaillant pour l'État et mise à la retraite des fonctionnaires en poste depuis plus de 30 ans.

Le leitmotiv « Dépensons-nous bien ? » guide l'action du ministère des finances qui tente de rationaliser l'action publique, y compris dans les domaines de l'éducation et de la santé. La rigueur budgétaire ne touche pourtant pas tous les secteurs de manière uniforme. Oman enregistre toujours l'un des taux les plus élevés au monde de dépenses de défense et de sécurité, estimé à 24 % des dépenses publiques en 2022.

« Notre génération paie le prix des erreurs »

L'agressivité de la campagne de consolidation fiscale surprend et provoque l'ire d'une jeunesse qui ne masque plus son ressentiment à l'égard de l'élite politique : « Notre génération paie le prix des erreurs commises au cours des dernières décennies », s'exclame avec amertume une jeune Omanaise. En mai 2021, des manifestations contre le chômage éclatent, forçant le souverain à annoncer 32 000 emplois pour les jeunes diplômés. Un pas en avant, deux pas en arrière pour prévenir une fissuration de la paix sociale et renforcer sa posture de chef d'État, Haïtham Ben Tarek enregistre pourtant des succès tangibles. L'agence de notation Fitch Ratings relève sa perspective pour Oman en décembre 2021 de « négative » à « stable », en notant une « amélioration des principaux paramètres budgétaires ». La situation fiscale est « très stable et s'améliore », renchérissent, sous couvert d'anonymat, trois employés de Tawazun, un programme pour l'équilibre fiscal sous la houlette du ministère des finances.

Les inquiétudes liées aux dettes à échéance s'éloignent selon Zahabia Saleem Gupta, directrice associée à l'agence de notation S&P Global Ratings, qui place ces dernières à 6,5 milliards de dollars (6,17 milliards d'euros) en 2022 et à une moyenne de 3,5 milliards de dollars (3,32 milliards d'euros) par an entre 2023 et 2026. « Nous pensons qu'Oman sera en mesure de confortablement faire face aux remboursements de sa dette cette année grâce à un prêt syndiqué levé plus tôt dans l'année et en puisant dans les actifs du Fonds de réserve pétrolière », indique-t-elle. Les besoins de financement n'en demeurent pas moins importants, dans un contexte mondial de forte inflation qui force les banques centrales à remonter leurs taux directeurs.

Persistance de la dépendance aux revenus pétroliers

L'apparent assainissement des finances publiques doit être nuancé par une pratique en vogue dans les pays du Golfe : retirer certaines dépenses d'investissement du budget d'État en délestant la responsabilité de ces dernières sur les entités liées à l'État et au gouvernement. Ainsi, la compagnie Energy Development Oman, qui paie un dividende annuel au gouvernement, a contracté un emprunt de 2,3 milliards d'euros en 2021 pour financer des dépenses d'investissement. Dans un rapport daté de mars 2022, S&P Global Ratings note que les budgets des gouvernements du CCG sont « suffisamment solides » pour absorber le risque, hypothétique à ce stade, de détresse financière des entités liées à l'État sans détériorer significativement leur situation budgétaire. Une exception : Oman. Pour garantir la stabilité financière de ces entités, améliorer leurs performances et limiter le risque lié à la dette, le pouvoir les place sous la houlette du fonds souverain omanais qui s'empresse de restructurer plusieurs conseils d'administration.

Malgré son optimisme, Fitch Ratings pointe du doigt la persistance d'une forte corrélation entre les fluctuations des prix du pétrole et la santé budgétaire d'Oman. Selon l'agence de notation, l'augmentation des revenus des hydrocarbures, qui ont crû d'un tiers en 2021, a « probablement contribué pour plus de la moitié » de la réduction du déficit budgétaire la même année. Face à l'envolée des cours au-delà des 100 dollars (9,49 euros) le baril pour la première fois depuis 2014, le budget 2022, prudemment basé sur un baril à 50 dollars (47,44 euros), laisse présager de revenus au-delà des attentes. Une source au programme Tawazun estime que « la majorité » de la manne pétrolière supplémentaire sera allouée à la réduction de la dette publique afin de réduire le poids des paiements d'intérêts dans le budget. Ces derniers flambent, de 35 millions de rials omanais (86,35 millions d'euros) en 2014 à près d'un milliard (2,4 milliards d'euros) en 2020. Si la hausse des cours du brut joue un rôle central dans la stabilité fiscale retrouvée, la trajectoire ascendante des recettes non pétrolières, au premier rang desquelles les taxes, est indicative de progrès dans la diversification des sources de revenus. La TVA de 5 % introduite en avril 2021, dont sont cependant exclus plusieurs centaines de produits, doit rapporter au gouvernement 450 millions de rials en 2022 (1,1 milliard d'euros).

« Inculquer un sentiment d'urgence est tout à fait essentiel »

En dépit de la volonté d'aller de l'avant et de développer plusieurs secteurs économiques prometteurs, le pouvoir choisit de renouer avec les pratiques du défunt monarque : utiliser la hausse des cours du baril pour gagner du temps et faire graduellement « avaler la pilule » fiscale à une population adepte de l'État-providence. La décision de supprimer progressivement les subventions à l'électricité résidentielle d'ici à 2025 est ajournée pour perdurer durant dix ans. La région tente d'« éviter l'inévitable », indique, amère, l'une des sources au programme Tawazun, avant d'ajouter : « Je pense qu'inculquer un sentiment d'urgence est tout à fait essentiel ». En 2021, S&P Global Ratings alerte déjà sur les risques associés à un regain d'optimisme :« La hausse des prix du pétrole a fait dérailler les plans d'assainissement budgétaires des gouvernements du CCG par le passé. »

Face à un parterre de gouverneurs et de chefs tribaux, Haïtham Ben Tarek tient à rappeler son attachement à un contrat social généreux sur lequel repose en partie sa légitimité politique : « Nous suivons de près le coût de la vie et les questions qui affectent la vie de nos citoyens », s'exclame-t-il. Quelques jours plus tard, le souverain ordonne d'allouer 200 millions de rials omanais (486 millions d'euros) supplémentaires au budget de développement pour 2022.

Pour garantir la participation des plus fortunés au bien-être commun, Oman explore la possibilité de lancer le premier impôt sur le revenu de l'histoire du CCG, s'exposant au risque de perdre en compétitivité face aux autres économies du Golfe. En effet, dans leur chasse aux capitaux étrangers, les pays de la péninsule Arabique rivalisent également sur le plan fiscal, à l'image de l'Arabie saoudite qui promet aux entreprises étrangères relocalisant leurs sièges sociaux régionaux dans le royaume d'être exemptées de taxe sur les entreprises pour 50 ans. « L'impôt sur le revenu des personnes physiques est toujours en bonne voie, nous venons de terminer la rédaction de la loi et nous effectuons une certaine préparation opérationnelle. Nous nous attendons à ce que celui-ci soit opérationnel en 2023, à condition qu'il reçoive toutes les approbations, y compris le décret royal », révèlent les trois sources au programme Tawazun.

Selon Anurag Chaturvedi, directeur de la société de conseil fiscal Andersen aux Émirats arabes unis, « Le plus probable est qu'Oman instaure un impôt sur le revenu des personnes physiques. » Il ajoute que les groupes industriels et les agences proches du gouvernement s'attendent à ce que les ressortissants étrangers soient soumis à un impôt sur le revenu compris entre 5 et 9 %, au-delà d'un seuil de 100 000 dollars (246 723 euros). Tandis que les citoyens omanais seraient soumis à une tranche d'imposition de 5 % sur leur revenu du monde entier supérieur à 1 000 000 de dollars (2 467 235 euros). La distinction entre nationaux et étrangers, caractéristique des pays du Golfe, s'étend au domaine fiscal où la taxation frapperait différemment selon la couleur du passeport.

Les sources qui travaillent au programme Tawazun insistent sur la nature sociale de la taxe qui serait mise en œuvre : « Le produit de l'impôt sur le revenu sera affecté aux programmes sociaux ». L'impôt sur le revenu apparaît comme un outil pour imposer le concept de circulation transversale de la richesse, où les plus modestes bénéficient des contributions des plus fortunées, à l'inverse du contrat social vertical actuel où l'État assume le rôle de redistributeur de la rente pétrolière. Au programme Tawazun, la source conclut à propos de l'impôt sur le revenu : « À travers toute la région du CCG, la texture sociale est presque commune : la société est habituée à l'État-providence, donc, à mon avis, nous pouvons nous attendre à un changement majeur dans les mentalités. »

Sur le court terme, la perspective d'un impôt sur le revenu provoque sur les réseaux sociaux un appel à plus de transparence du gouvernement, notamment pour obtenir la garantie que cet impôt ne touche ni les classes modestes ni les classes moyennes. « […] Les taxes en elles-mêmes ne sont pas une mauvaise idée à condition que leur produit soit dépensé de manière judicieuse et efficace et qu'elles soient ponctionnées auprès des riches et non des pauvres », indique dans un tweet l'activiste omanais Alawi Almshahur. En reviendra-t-on au slogan de la révolution américaine, « pas d'imposition sans représentation » (« No taxation without representation ») ?

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