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Le plan Attal peut-il débloquer l’Éducation nationale ?

L’Éducation nationale se trompe d’objectif en favorisant la mixité sociale et la réduction des inégalités plutôt que le niveau de connaissances. En effet, la dégradation du niveau général est nuisible à tout le monde et réduit l’égalité des chances en nivelant par le bas.

Depuis la publication en avril de mon article « L’éducation nationale se trompe d’objectif », sont arrivés les résultats de la dernière enquête PISA, qui confirme la catastrophe, et le plan Attal qui tente d’y pallier.

Ce plan vient tout juste d’être annoncé, on n’en connaît pas encore toutes les dispositions concrètes, et encore moins sa mise en œuvre par les enseignants.

Je rappellerai d’abord les résultats de cette enquête, puis l’analyse qu’en font les différents acteurs. Ensuite nous verrons ce que prévoit le plan Attal, et ce qui pourrait le compléter.

 

Une réalité catastrophique

Il y a trois regards sur l’Éducation nationale : celui des observateurs extérieurs, celui des employeurs, et celui des parents d’élèves.

Des observateurs extérieurs sévères

Les observateurs extérieurs sont ceux qui élaborent l’enquête PISA. On peut critiquer tel ou tel point de ces classements, mais l’accumulation pendant des décennies de données catastrophiques montre que le déclin ne peut plus être nié.

La dernière version de PISA a été menée en 2022 auprès de 690 000 adolescents de 81 pays. L’enseignement principal pour la France est la chute importante du niveau de mathématiques (-21 points) et de compréhension de l’écrit (-19 points). Ce déclin touche maintenant tous les élèves, y compris la proportion des élèves les plus performants (12,9 %), tandis qu’augmente la proportion des élèves les plus en difficulté.

Un élève de quatrième a aujourd’hui les connaissances de l’élève de cinquième en 1995. Le Conseil Scientifique de l’Éducation nationale a alerté en septembre 2023 sur l’incompréhension totale des fractions et des nombres décimaux mesurée à l’évaluation nationale des élèves à l’entrée en sixième : la moitié ne sait pas combien il y a de quarts d’heure dans trois quarts d’heure !

Et c’est là qu’apparaît une césure dans les médias que nous retrouverons souvent. Certains, en général à gauche, insistent sur la persistance des inégalités, alors que les médias conservateurs ou libéraux insistent sur le fait que la chasse aux inégalités amplifie le déclin français, déjà sensible depuis des décennies.

Le constat des employeurs

Les employeurs sont navrés du niveau de français de leurs nouveaux embauchés, à qui ils doivent souvent offrir une période de mise à niveau, comme en témoigne la floraison d’entreprises de services en la matière. De même en mathématiques, ce qui est dramatique pour l’économie et la carrière des élèves.

Je pense notamment au retour au nucléaire dont il faut reconstituer les équipes, suite à l’abandon de cette filière depuis François Hollande sous la pression des écologistes français, mais aussi allemands. Pour cette filière nucléaire et la réindustrialisation en cours de la France, il faudrait que nos grandes écoles forment 20 000 ingénieurs de plus par an.

Le législateur peut trouver que telle discipline est utile (résister au harcèlement, éducation à la sexualité, protection de l’environnement…), mais on oublie qu’il faut alors rogner sur les horaires des fondamentaux que sont les mathématiques et le français. De même pour les langues étrangères : l’anglais est intégré aux programmes scolaires dès le primaire (au lieu de la sixième auparavant) et la deuxième langue dès la cinquième (au lieu de la quatrième).

En 2022, les élèves ont ainsi perdu, primaire et collège additionnés, 522 heures de français par rapport aux horaires de 1968, fois deux années de formation.

La réaction des parents d’élèves

Je vais évoquer ceux qui se soucient concrètement de l’avenir de leurs enfants, et donc s’efforcent de leur trouver les meilleurs établissements possibles, publics ou privés.

Nous touchons là à une hypocrisie : il est de bon ton de protester publiquement contre les inégalités dans l’enseignement, mais en privé on fait tout pour les aggraver. Ce qui est naturel : mettre en place des règles obligeant les parents à laisser leurs enfants dans des établissements jugés mauvais pousse à des stratégies de contournement.

 

L’avis des enseignants

Les enseignants se plaignent d’abord et surtout d’une rémunération insuffisante, d’une part par rapport aux autres pays européens ; et d’autre part parce que cela entraîne un manque de candidats aux concours, et donc un recrutement insuffisant, tant en quantité qu’en qualité. 67 % des élèves sont scolarisés dans des établissements manquant de personnels.

Depuis la réforme Haby de 1975, les enseignants français se plaignent également d’avoir à gérer l’hétérogénéité, avec la massification de l’enseignement secondaire. Depuis une dizaine d’années, les milieux conservateurs accusent également l’immigration, en oubliant qu’elle touche aussi les autres pays européens dans lesquels les immigrés ne connaissent pas la langue du pays. Alors qu’avec notre immigration assez largement francophone, nous avons un problème de moins que, par exemple, l’Allemagne.

Certains enseignants, en général les plus diplômés, répandent des discours alarmants sur la baisse de niveau des connaissances les plus élémentaires, mais leurs propos sont en général taxés d’élitisme.

Bref, les observateurs extérieurs, les employeurs, et les parents attentifs, sont extrêmement sévères quant à la chute du niveau, tandis que les enseignants et leurs syndicats ont une attitude très classiquement plus corporatiste, ce qui accroît la difficulté du dialogue. Ce dernier est encore compliqué par le fait que, jusqu’à présent, l’objectif proclamé par l’Éducation nationale n’est pas le niveau des connaissances, mais la réduction des inégalités.

 

La priorité à la réduction des inégalités

Le poids de l’héritage de Pierre Bourdieu

Dans son livre Les Héritiers co-écrit avec Jean-Claude Passeron, il affirme, en résumé, que l’école est une instance de reproduction sociale : les inégalités sociales sont transformées en inégalités scolaires, et redeviennent ensuite des inégalités sociales à la sortie. Bref, elle légitime les inégalités par des diplômes censés correspondre à des mérites personnels.

Bourdieu estime notamment que l’enseignement transmet les codes culturels des classes supérieures, volontairement abscons pour les autres élèves. Ce discours semble imprégner une bonne partie des enseignants, de leurs syndicats et de leur hiérarchie, et parfois l’ensemble des gouvernants.

J’ai même personnellement été harcelé dans des réseaux professionnels, puis exclu, pour ne pas avoir participé à ce véritable culte. Remarquons que ce discours semble confondre codes sociaux et niveau scolaire, et fait bon marché de toutes les promotions sociales par l’école, qui ont été massives depuis deux siècles.

On pourrait ajouter que le problème est pris à l’envers : il ne faut pas adapter le niveau aux moins favorisés, mais au contraire le relever pour donner à chacun les meilleures chances de promotion. On retrouve la césure politique dans les raisons proclamées de cet échec.

Les causes citées à gauche

À gauche, on insiste sur la faiblesse des salaires des enseignants. Pourtant, ce n’est pas lié au manque de moyens, la France dépensant toujours plus pour l’Éducation nationale, en pourcentage du PIB et en comparaison avec les autres pays.

Comment fait-on en France pour dépenser davantage de budget pour l’éducation tout en payant moins qu’ailleurs les enseignants ?

Une première remarque est, qu’outre les 800 000 enseignants, il y a 400 000 fonctionnaires non enseignants.

C’est à mon avis le prix de la centralisation et de l’uniformité : plus une institution est importante, plus il existe d’échelons hiérarchiques et de services centraux. Par ailleurs, il est compréhensible d’un point de vue syndical de tenir à cette centralisation et à cette uniformité : une fédération nationale est plus puissante que des syndicats dispersés. La faiblesse syndicale dans les PME explique leur crainte de la décentralisation, et les syndicats protestent d’avance contre toute autonomie qui pourrait mener à une privatisation de fait ou de droit, ce qui est un tabou politique.

Une autre explication de l’importance du poids financier de l’Éducation nationale est le coût des retraites, qui se prennent plus tôt en France. Le passage de 62 à 64 ans sera progressif et n’a donc pas encore joué. Surtout, il ne résoudra pas tout : on est plutôt vers 67 ans dans le reste de l’Europe.

Les causes citées à droite ou par les libéraux

La droite conservatrice prend comme référence le passé, qui, dans ce cas, est effectivement meilleur que le présent.

Les libéraux mettent l’accent sur l’autonomie et la responsabilité.

Le corporatisme

Pendant longtemps, la gestion des carrières a été largement décidée par les syndicats qui ont privilégié des augmentations à l’ancienneté plutôt qu’au mérite, dont l’appréciation serait selon eux arbitraire (mais qui est pourtant le cas général dans les entreprises).

Ce n’est plus le cas aujourd’hui, mais la priorité de l’ancienneté demeure dans l’évolution des rémunérations, et surtout l’attribution des postes, les plus difficiles étant confiés aux débutants. On cite souvent comme exemple de corporatisme l’organisation du temps scolaire pensée pour les enseignants et non pour les élèves. Les libéraux rêvent bien sûr d’une rémunération davantage axée sur le mérite et l’efficacité.

La prévalence du pédagogisme dans la création des programmes

Les conservateurs sont frappés par le renversement de l’autorité pédagogique, illustrée par le slogan mettre l’élève au centre.

C’est le pédagogisme : préférer l’épanouissement de l’enfant à l’effort d’acquisition des connaissances. Par exemple, en s’opposant à l’évaluation-sanction ou en poussant au bac pour tous avec les consignes pressantes de relever des notes. C’est ainsi que la part de bacheliers dans une génération est passée de 29 % en 1985 à 82,8 % en 2022, malgré la baisse de niveau ! De ce fait, on a vu la multiplication des cours de rattrapage avant d’entrer dans le supérieur. Résultat : les employeurs qui jadis recrutaient des bacheliers exigent maintenant Bac+3, voire Bac+5.

Une volonté, non pas d’égalité mais d’égalitarisme

L’égalité constitutionnelle est celle du citoyen face à la loi, et non une revendication d’égalité des résultats. Pourtant, cette dernière est devenue dans les discours une priorité qui passe avant le maintien ou l’élévation du niveau. Cela irrite évidemment les libéraux qui mettent l’accent sur l’originalité de chaque individu, et donc le respect du mérite.

La dérive assez naturelle est alors d’égaliser les résultats en étant moins exigeant, avec comme conséquence un nivellement par le bas. En témoignent les pressions subies par les correcteurs d’examen afin de relever leurs notes. Ces derniers s’indignent et s’en plaignent sur les réseaux sociaux professionnels, par exemple celui des Clionautes, association de professeurs d’histoire-géographie.

 

Le plan Attal

La majorité des Français étant très concernée par ce problème, une énième réforme vient d’être lancée par le ministre Gabriel Attal, qui semble plus profonde que les précédentes. Il commence par afficher vouloir « augmenter le niveau du fait de l’urgence nationale ». On retrouve bien notre analyse ci-dessus.

Les textes détaillés ne sont pas encore connus, mais la presse note :

  • l’allégement des programmes du primaire
  • un effort sur le soutien personnalisé
  • des groupes de niveau flexibles
  • un examen de mathématiques en première pour obliger à un travail sur cette matière très importante pour l’emploi
  • le retour des redoublements, qui seront décidés, non plus par les parents mais par les enseignants, ce qui renforcera leur autorité
  • des manuels scolaires aux méthodes scientifiquement prouvées comme efficaces
  • une refonte du brevet, rendu obligatoire pour entrer au lycée
  • la fin du correctif académique remontant les notes des examens
  • une réforme de la formation initiale des enseignants, et leur formation continue, qui est beaucoup moins fréquente que dans les autres pays européens

 

Je remarque que presque tous ces points vont renforcer les enseignants. Par exemple, il faudra mieux les écouter pour réussir le brevet et l’examen de mathématiques en première.

Mais on revient rapidement aux clivages politiques comme l’illustre le quotidien Libération dans son numéro du 6 décembre. Le journal y expose la réaction du SNES FSU qui accuse le ministre de vouloir « institutionnaliser le tri social », et du SNUIPP qui explique que la simplification dans le primaire va creuser des inégalités, les parents favorisés pouvant faire une formation complémentaire.

Le journal reprend également la vieille attaque contre les groupes de niveau qui vont stigmatiser ceux qui iront dans les moins bons. Bref, les critiques restent axées sur les inégalités, et non sur le niveau.

 

Comment aller plus loin ?

Renverser les a priori idéologiques

D’abord, pourquoi un redressement du niveau serait-il inégalitaire? C’est un a priori idéologique.

En effet, l’amélioration du niveau mène à de meilleurs emplois. Combiné à la disparition ou la transformation des emplois anciens et la multiplication des nouveaux, il rétablit l’égalité des chances.

L’adéquation des matières au monde du travail également. Ce dernier point a longtemps été considéré par le corps enseignant comme contraire à son exigence de culture générale. Or cette dernière, qu’elle soit littéraire ou scientifique, est justement recherchée par les employeurs.

Voici mon témoignage :

Il y a plus de 20 ans, étant en charge d’une grande école, j’ai eu en face de moi un activiste persuadé du mépris des employeurs pour la culture générale. Je l’ai donc chargé des relations avec ces derniers, et il en est ressorti avec un renversement de ses préjugés.

En effet, la culture générale est nécessaire pour s’adapter aux changements techniques et économiques de plus en plus rapides. Et le rodage aux mathématiques permet de s’adapter rapidement à une société informatisée. Comme l’ont longtemps pensé certains enseignants, il ne s’agit pas de travailler pour les employeurs, mais pour les élèves.

L’autonomie scolaire

On n’enseigne pas de la même façon à Louis-le-Grand et dans un établissement moins favorisé. C’est une évidence dont on ne tire pas les conclusions. On a essayé au contraire de gommer cette inégalité, avec notamment l’obligation par le précédent ministre de l’Éducation d’échanger des élèves entre  établissements « différents ».

Plutôt que de vouloir gommer cette inégalité, pourquoi ne pas respecter une plus grande liberté éducative à chaque lieu d’enseignement ? On offrirait ainsi à chaque équipe enseignante des marges de manœuvre permettant de faire des choix stratégiques essentiels pour le devenir des élèves, comme l’a proposé par exemple le Sénat.

Cette idée paraît évidente aux personnes issues de l’entreprise, ce qui est mon cas. Je précise toutefois que j’ai été également enseignant du soir pendant 30 ans, puis un enseignant classique pendant 20 ans supplémentaires, et encore aujourd’hui. Cette pratique de l’autonomie est répandue dans les pays de l’OCDE, où elle donne des résultats convaincants.

Ce constat est à l’origine de l’expérience marseillaise d’autonomie scolaire menée conjointement par Emmanuel Macron et le maire socialiste de Marseille. Elle a donné lieu à une levée de boucliers côté syndical, pour des raisons que j’ai mal comprises.

Faut-il y voir la crainte d’avoir sur le dos un patron proche, le chef d’établissement ? Cela alors qu’on accuse la hiérarchie, pourtant plus lointaine, de tous les maux, et notamment de la passivité dans la défense des enseignants dans les domaines disciplinaires liés à la laïcité ou au harcèlement. Passivité dont je témoigne personnellement.

Un autre blocage idéologique est celui de la crainte que l’autonomie ne mène à la privatisation. Cette crainte est assez logique, même si elle n’est pas envisagée pour des raisons politiques.

Elle est avivée par la croissance de la demande pour le privé, lequel est freiné par le contingentement à 20 % du nombre de ses enseignants. Ce contingentement découle du conflit de l’époque Mitterrand, entre les partisans du tout public et ceux du secteur privé, soutenus par une énorme manifestation. C’est à mon avis un obstacle purement idéologique, qui devrait être supprimé pour laisser une plus grande liberté de choix aux parents.

Le renouveau de l’apprentissage

Nous avons enfin tiré des leçons de la réussite suisse et allemande dans ce domaine. Je regrette toutefois que ce soient surtout des étudiants du supérieur qui en ont tiré profit.

La réforme en cours du lycée professionnel devrait s’appuyer davantage sur l’apprentissage, notamment en améliorant  la connaissance des entreprises et l’orientation, ce qui est actuellement en débat.

 

Du pragmatisme !

Il faut abandonner toute approche idéologique face à l’importance du problème, qu’elle concerne la privatisation, l’autonomie, l’égalitarisme, le pédagogisme et les exemples étrangers (chèque éducation, école à charte, école publique indépendante…), ou, en France, les écoles de production…

Par contre, contrairement à mes amis libéraux, je reste assez opposé à l’école à la maison pour des raisons de socialisation, mais aussi et surtout parce qu’elle favorise l’endoctrinement islamiste. Il faut privilégier l’élitisme dans tous les domaines, aussi bien manuels qu’intellectuels, techniques ou théoriques, car c’est lui qui donne ses meilleures chances à ceux qui n’ont pas de base sociale.

Il y a des moyens pour cela : filières d’excellence, bourses, concours externes, implication des enseignants. Bref, il faut revenir à la mission première : faire acquérir des connaissances aux élèves, et cela dès le plus jeune âge ; donc mettre l’accent sur la maternelle et le primaire. D’autant plus que c’est là que démarrent et se creusent certaines inégalités.

Dans cette optique, le plan Attal est une étape importante. Reste à le mettre en place malgré les oppositions déjà déclarées, et à aller plus loin.

Vous pouvez retrouver cette analyse sur le blog d’Yves Montenay

Annonces de Gabriel Attal : beaucoup de bruit pour rien

 

 

Aussi séduisantes qu’elles soient, les mesures scolaires annoncées par Gabriel Attal se révèleront inutiles et inefficaces pour résoudre les maux de l’école. D’une part parce qu’elles ne tiennent pas compte de la nature de l’Éducation nationale, d’autre part parce qu’elles ne s’attaquent pas à la racine du problème.

Ce pourrait être une épreuve du classement Pisa : dénombrer toutes les mesures prises par les ministres de l’Éducation nationale pour redresser l’école. Comme ses prédécesseurs, Gabriel Attal a donc annoncé vouloir recentrer l’école sur les fondamentaux, savoir lire, écrire et compter et accroître les exigences scolaires. Au programme donc, redoublement, dédoublement des classes, groupes de niveaux, revalorisation du Brevet du collège, etc.

Des mesures de séduction qui ont atteint leurs cibles ; des mesures vaines pourtant, qui ne résoudront pas les problèmes scolaires.

 

Une administration toute-puissante

À un syndicaliste à qui je demandais son avis sur un ministre de l’Éducation nationale fraichement nommé, celui-ci me répondit : « Peu importe le ministre, c’est nous qui avons le pouvoir ».

Un constat lucide sur le fonctionnement de cette administration qui avale et digère les réformes avec une grande capacité d’absorption des chocs. La seule fonction du ministre est politique : mener une guerre de communication auprès des parents électeurs et servir de fusible au président auprès des professeurs militants. Son influence sur le ministère et les décisions pédagogiques est nulle. Là règnent les inspecteurs académiques, les professeurs syndicalisés, les formateurs des INSPE qui, associant la force d’inertie à la puissance corporatiste, imposent leur point de vue et leurs orientations, par la terreur des affectations et des notations.

La réponse aux annonces Attal a été donnée par un tweet de Philippe Meirieu :

« Avant même que nous ayons pu analyser les résultats de PISA, alors que nous ignorons les résultats de la consultation du ministère, le ministre tout-puissant et omniscient dévoile ses nouvelles réformes : non pas un choc des savoirs, mais un grand bond en arrière. »

L’application dans les établissements de cet oukase de l’empereur des pédagogistes a été relayée par un article du journal Le Parisien qui fait état qu’en Seine-Saint-Denis « la création de groupe de niveau inquiète », ce qu’il faut comprendre par « les mesures ne seront pas appliquées ». Ou pour le dire plus prosaïquement : le vent brassé rue de Grenelle n’ira pas au-delà de la rue de Grenelle.

Car il ne suffit pas d’annoncer, encore faut-il mettre en œuvre. Et là, de groupes de concertation en commissions d’évaluation, les mesures annoncées connaîtront les affres de l’enlisement et de l’ensablement.

Après Gabriel Attal viendra donc un autre ministre qui, comme lui, annoncera un « choc des savoirs », dont le destin sera à peu près similaire.

 

Des réformes qui loupent leurs cibles

Quand bien même les réformes Attal seraient appliquées, elles sont bien en deçà des mesures à prendre pour rebâtir l’école.

Les vrais problèmes de l’école aujourd’hui c’est l’impossibilité de recruter des professeurs, qui engendre une pénurie sans précédent, et la violence qui gangrène de nombreux établissements. Quand des instituteurs sont recrutés, comme dans l’académie de Créteil, avec des moyennes de 4 sur 20, il est difficile d’attendre d’eux des merveilles pour établir un choc des savoirs.

L’effondrement du niveau scolaire suit l’effondrement du niveau des professeurs. Il n’est pas rare que des candidats recalés au concours du CAPES début juillet soient recrutés comme contractuels à la fin de l’été. Aux concours de recrutement, les épreuves de validation des connaissances et de maitrise de la discipline sont réduites à la portion congrue, remplacées par des épreuves de pédagogie et de maitrise des « valeurs de la République ». Une fois admis, ces jeunes professeurs sont formatés dans les Instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation (INSPE) où ils doivent démontrer une conformité idéologique totale afin d’être titularisés. Auquel cas, ils seront exclus de l’administration de l’Éducation nationale. Des INSPE où les notions de transmission et de savoir sont bannies au profit des compétences et du pédagogisme.

Gabriel Attal annonce ainsi vouloir dédoubler les classes, une mesure matériellement impossible à mettre en œuvre : où trouver des classes supplémentaires dans des établissements qui sont déjà pleins comme des œufs, où recruter les professeurs supplémentaires alors que la pénurie s’aggrave ? Faire du Brevet une barrière entre le collège et le lycée ? Que faire des élèves qui auront échoué à cette épreuve ? L’annonce de la création de « prépa-lycée » est une mesure vaine : ce n’est pas en une année de troisième bis qu’il sera possible de régler des problèmes d’orthographe et de maîtrise de la langue accumulés depuis l’école primaire.

Les problèmes de l’école sont causés par la nature même d’une éducation nationale. Tant qu’il n’y aura pas l’addition de la liberté pédagogique, de la liberté de recrutement et de la liberté de rémunération des professeurs, toute annonce sera vaine. Mais pour cela il faudrait abattre le totem de l’Éducation nationale, ce que Gabriel Attal n’est pas disposé à faire.

Quand la bureaucratie fait vivre un calvaire administratif aux agriculteurs bourguignons

Six cents, soit presque deux par jour : c’est le nombre d’agriculteurs qui se suicident chaque année en France. Ce nombre en augmentation illustre tristement une condition agricole faite d’isolement, un isolement qui n’a d’égal que la dépendance des exploitants aux subventions publiques en tous genres. À titre d’exemple, en 2019, ces aides représentaient en moyenne 74 % des revenus des agriculteurs, et jusqu’à 250 % pour les producteurs de viande bovine.

Isolés socialement mais fonctionnaires de fait, les agriculteurs ont tout récemment été une nouvelle fois frappés de plein fouet par des retards et des dysfonctionnements dans l’instruction des dossiers de subventions, mettant en péril un nombre important d’exploitations déjà soutenues à bout de bras par la machine publique.

 

Le FEADER, deuxième pilier de la PAC

Mis en place en 2007, le Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER) est le principal instrument de financement de la politique agricole commune (PAC) créée par le traité de Rome un demi-siècle plus tôt.

La PAC se fonde sur deux piliers : la structuration du marché agricole et, depuis 2007 donc, le développement rural.

Inscrit dans la logique de programmation propre aux politiques européennes, l’objectif du FEADER est explicitement de garantir l’avenir des zones rurales en s’appuyant sur les services publics et l’économie locale.

Sans surprise, le FEADER est impliqué dans la vaste politique de planification écologique européenne qu’est Europe 2020, avec en ligne de mire une agriculture « soutenable » et « durable ».

Initialement destiné à disparaître à la fin de ce plan, le FEADER a suivi la myriade de mesures publiques qui perdurent, avec notamment la relance européenne NextGenerationEU adoptée par le Conseil européen en 2020.

 

Une responsabilité transférée

Sauf qu’au 1er janvier 2023, la responsabilité de ce fonds a été confiée aux États. En France, ce dernier l’a transféré aux conseils régionaux volontaires qui ont rapidement accusé d’importants retards de paiement mettant gravement en péril de nombreuses exploitations agricoles.

La région Bourgogne-Franche-Comté n’y fait malheureusement pas exception, au point que la situation s’est particulièrement envenimée le 6 novembre dernier.

Ce jour-là, trois élus de la majorité socialiste au conseil régional ont été pris à partie par des exploitants de Saône-et-Loire :

« C’est une honte, un scandale, une catastrophe, vous êtes des nuls, des incompétents, votre administration est lamentablement défaillante, à la ramasse ».

Ces propos ont contraint le sénateur et président du groupe socialiste à l’assemblée régionale Jérôme Durain, présent ce jour-là, à reconnaître la responsabilité des élus dans une situation qui met les agriculteurs « dans la merde ».

Concrètement, les agriculteurs, soutenus dans leurs revendications par la Confédération paysanne, reprochaient à la collectivité la piètre qualité du traitement des dossiers de demande de dotation d’aide à l’investissement aux installations de jeunes agriculteurs.

 

Un temps de traitement rallongé

Au cœur de ces doléances, donc, le transfert aux régions du traitement de ces demandes. Ces transferts se sont pourtant accompagnés de compensations financières de la part de Paris sous la forme de 35 agents à temps plein issus de la Direction départementale des territoires (DDT). Mais la plupart ont toutefois refusé leur mutation à Besançon et Dijon, lieux concentrant le dispositif.

Pour y faire face, des recrutements ont été lancés, mais la moitié des effectifs n’a toujours pas été pourvue, s’ajoutant au changement d’outil informatique.

Le résultat ne s’est pas fait attendre : moins de 10 % des 3500 dossiers en retard de paiement ont pour l’heure pu être instruits.

De quoi nourrir un profond ressentiment dans le milieu agricole, au point que de nombreux agents sont victimes de harcèlement voire de menaces ayant entraîné des mains courantes.

 

Un fonds en hausse

Pourtant, le dispositif semblait lancé sur de bonnes bases, le FEADER ayant été augmenté de 28 % pour la programmation 2023-2027 selon Christian Decerle, président de la chambre régionale d’agriculture.

La situation a contraint le ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau, à réagir afin d’appeler les élus à résoudre rapidement les problèmes administratifs pour éviter des conséquences graves pour les agriculteurs.

 

Agriculture et bureaucratie

FEADER, PAC, DDT… autant d’acronymes à la fois très bureaucratiques et très français qui frappent de plein fouet l’activité qui devrait pourtant être la plus épargnée de ces questions : l’agriculture. Activité naturaliste par excellence, là où la bureaucratie est celle de la complexité humaine, l’agriculture symbolise à la fois la maîtrise de la nature et l’aboutissement de notre besoin le plus primaire en tant qu’espèce inscrite dans le vivant : la nourriture.

Pourtant, ce milieu est depuis longtemps l’objet de politiques planificatrices ayant pour objectif de protéger le marché intérieur au détriment d’un partenariat sain entre les nations à travers de véritables politiques de libre-échange.

 

De l’urgence de débureaucratiser

Dans les faits, la PAC, comme d’autres politiques planificatrices, transforme les agriculteurs en fonctionnaires chargés de mener leur exploitation comme des gestionnaires administratifs, tandis que le principal acteur touché par la réglementation n’est autre que le consommateur final qui en paie le coût.

Or, cette réglementation est la contrepartie des subventions accordées. Celles-ci peinent donc à arriver dans le portefeuille des exploitants en raison de cette même norme. Autant dire que pour les agriculteurs français, c’est le serpent qui se mord la queue, toujours avec pour principale cause la bureaucratie.

L’Occident : menacé de l’extérieur et rongé de l’intérieur

La civilisation occidentale est désormais considérée comme l’adversaire par de nombreux pays, mais aussi par des formations politiques de gauche ou de droite implantées dans les pays occidentaux.

Le dernier exemple est récent : l’alliance objective entre le fondamentalisme islamique et la gauche anti-occidentale européenne et américaine, apparue au grand jour avec la nouvelle guerre israélo-palestinienne. Certains évoquent une guerre des civilisations, mais peu importe la terminologie.

La civilisation occidentale et ses valeurs sont rejetées plus clairement aujourd’hui que naguère. Ses adversaires ne se cachent plus sous le masque du communisme libérateur, ils s’affichent comme ennemis acharnés de la liberté.

 

Relations internationales : les prétendants à la succession de l’Occident se bousculent

Rien de surprenant à cet égard dans le cadre des relations internationales, qui sont essentiellement des joutes de puissances. Pour employer la terminologie actuelle, floue mais évocatrice, le Sud global s’oppose à l’Occident global. La domination occidentale sur le monde ayant été remplacée depuis un demi-siècle par une compétition dans tous les domaines, il est tout à fait logique que l’ancien dominant soit la cible des nouveaux prétendants à la domination.

L’Occident conserve une puissance économique et militaire considérable, mais sous l’égide en particulier de la Chine, de la Russie, de la Turquie, de l’Iran, de l’Arabie Saoudite, des alliances sont envisagées pour prendre position face à l’avenir. Le multilatéralisme patine, l’impuissance de l’ONU et de l’OMC étant l’élément emblématique de cet échec dans les domaines politique et économique. L’ONU devient tout simplement une SDN bis. Il en résulte que le monde du XXIe siècle est un monde instable dans lequel chaque puissance tente sa chance.

L’Occident représente le noyau dur de la démocratie libérale. Les nouveaux prétendants au leadership mondial sont des autocraties, voire des théocraties comme l’Iran. L’enjeu est donc considérable, puisqu’il s’agit ni plus ni moins de savoir si le principe majeur de la civilisation occidentale, l’autonomie de l’individu, persistera dans l’avenir à long terme. Il n’existe dans aucun des États précités, où la liberté individuelle est un mal à combattre. Retournerons-nous vers un monde de l’hétéronomie ? Les Lumières vont-elles s’éteindre ?

 

Les ennemis de l’intérieur

La question mérite d’autant plus d’être posée que la civilisation occidentale doute désormais d’elle-même.

Au monde d’hier, celui de la rareté et de la servitude, l’ingéniosité occidentale a substitué un monde de l’abondance matérielle et de la liberté individuelle. Toute l’humanité ne profite pas encore des bienfaits de cette évolution, mais tous les hommes y aspirent. C’est à ce moment de notre histoire que des doutes apparaissent en Occident. Avons-nous surexploité et dégradé la nature ? Notre liberté n’est-elle que le paravent commode masquant notre soif de puissance ?

Ces questions méritent d’être posées. Mais dans nos démocraties, la liberté d’expression permet de les instrumentaliser en vue d’une exploitation purement politicienne. L’objectif est d’accéder au pouvoir en discréditant l’adversaire par tous les moyens. Le catastrophisme écologiste, le racialisme woke, le féminisme radical, le nationalisme passéiste, l’antisionisme et l’antisémitisme haineux reposent de toute évidence sur des affects négatifs manipulés sans vergogne par quelques leaders. Trop heureux de disposer de réseaux sociaux permettant de diffuser le mensonge à la vitesse de la lumière, ces derniers ne pensent qu’à la conquête du pouvoir.

La gauche de la gauche et la droite de la droite se rejoignent à cet égard dans leur hostilité à la démocratie. Démagogie et autoritarisme les caractérisent, ce qui n’a rien de nouveau historiquement. La France insoumise, Alternative für Deutschland, le Parti du Travail de Belgique, le Lega italienne, Podemos en Espagne, parmi bien d’autres, représentent ce « populisme » dangereux, haineux et antisémite. Il faut y ajouter les tendances extrémistes des partis américains : le trumpisme chez les conservateurs, le wokisme chez les démocrates. L’ennemi de l’intérieur est donc bien implanté dans tout le monde occidental. Le ver est dans le fruit.

 

Le destin des Hommes est dans la transmission

Depuis le XVIIIe siècle et l’avènement de la liberté, les modérés ont accepté le dialogue et les compromis nécessaires à la gouvernance des sociétés complexes. Les extrémistes ont toujours tablé sur le radicalisme et les promesses révolutionnaires pour tromper les naïfs et accaparer le pouvoir. Mais on ne bâtit qu’à partir de ce que les générations antérieures nous transmettent. Il n’y a ni table rase ni société nouvelle dans l’histoire de l’humanité. Ce ne sont là que des affabulations de leaders politiques assoiffés de pouvoir. Les sociétés humaines se transforment en profondeur dans la continuité.

Il est donc important de bien comprendre ce qu’est l’Occident : la civilisation qui a inventé au XVIIIe siècle l’autonomie de l’individu, et par suite la liberté politique, la liberté d’entreprendre et la démocratie.

Si nous laissons cet héritage inestimable dépérir, nous retomberons dans la servitude ancestrale. Le lot de chaque homme sera alors l’hétéronomie, la dépendance complète à l’égard du pouvoir politique et d’une religion ou d’une idéologie officielle. Voulons-nous devenir des Iraniens soumis aux ayatollahs, des Russes résignés devant la dictature mafieuse de Poutine, des Chinois asservis au Parti communiste ?

Les Occidentaux répondent négativement à cette question dans leur écrasante majorité.

Mais tous n’ont pas conscience qu’en votant pour le radicalisme politique de droite ou de gauche, ils précarisent la démocratie. Certes, il n’existe pas de société démocratique sans radicalisme politique. Les révolutionnaires ou les nostalgiques d’un passé révolu ont toujours existé. S’ils représentent seulement une marge d’extrême gauche ou d’extrême droite, les partis politiques de ce type jouent d’ailleurs un rôle positif en encadrant les insatisfaits pathologiques et en les empêchant parfois de dériver vers le terrorisme. Mais aujourd’hui, en Occident, ces partis sont à la porte du pouvoir et l’ont parfois conquis. La présidence de Donald Trump fut à cet égard un coup de semonce terrifiant.

Si notre belle civilisation occidentale doit se poser des questions fondamentales concernant l’écologie et la démocratie, elle doit le faire avec la raison et le dialogue. Notre savoir-faire productif, notre État de droit, nos libertés représentent le legs de nos ancêtres, auxquels nous devons un immense respect. Ils n’avaient que leurs mains et leur courage, et ils ont pourtant bâti notre monde. Ils n’avaient que nous-mêmes comme ultime espoir, car ils regardaient l’avenir avec les yeux des enfants heureux. Ne les trahissons pas.

L’école de la République : de l’égalité à l’égalitarisme

Depuis une cinquantaine d’années, les politiciens français ont choisi de sacrifier l’école de la République sur l’autel de l’égalitarisme.

Cette école ne cherche pas à rendre l’apprentissage le plus efficace possible, mais au contraire d’empêcher chacun de progresser à son rythme. Les meilleurs ne doivent surtout pas prendre leur envol car l’égalité serait rompue. Il faut donc leur couper les ailes. Sectorisation, collège unique, programmes uniformes, tout a été fait pour masquer une réalité : l’hétérogénéité sociale.

L’école s’adresse donc à un élève théorique, défini politiquement. Elle refuse la diversité des acquis culturels et des capacités cognitives. C’est une longue histoire. En voici un résumé.

 

La politique contre la pédagogie

Commençons par le commencement.

Si la pédagogie consiste à favoriser l’acquisition des savoirs, quelle est la condition préalable à toute bonne pédagogie ? Il faut que l’enseignement s’adresse à un groupe d’élèves ou d’étudiants aussi homogène que possible. Allez dans une école de musique, dans une école de ski, dans n’importe quel organisme de formation, la démarche première consiste à tester le niveau des élèves et à les regrouper par niveau.

Aussi paradoxal que cela puisse paraître, l’Éducation nationale refuse cette condition basique de l’apprentissage depuis de nombreuses décennies. L’hétérogénéité des groupes a été sacralisée. Pourquoi ? Parce que la structure Éducation nationale, c’est-à-dire le ministère concerné, dépend directement du pouvoir politique, et que celui-ci a fait croire au progrès de l’égalité par le nivellement cognitif. Le narratif politicien se réclame de la parfaite égalité de l’école.

L’école de la République est juste parce qu’elle traite tous les élèves exactement de la même façon, sans tenir compte de leurs spécificités.

Ce concept de justice égalitariste n’est évidemment que de la poudre aux yeux. La diversité sociale ne peut être éludée. En s’opposant à toute adéquation entre le système éducatif et la réalité sociologique, les gouvernants ont conduit l’Éducation nationale à l’échec en cinquante ans environ.

Ils n’en ont que faire. Avec ses promesses électoralistes d’égalité la prochaine élection a plus d’importance pour eux que la vérité.

 

La merveilleuse révolution pédagogique ou le monde à l’envers

Mais comment prétendre qu’il est possible d’être pédagogiquement efficace avec des groupes d’élèves totalement hétérogènes ?

À cœur vaillant rien d’impossible !

Il suffit d’affirmer, contre toute évidence, que l’hétérogénéité des groupes est préférable pédagogiquement à leur homogénéité. On trouvera suffisamment de propagandistes intéressés pour diffuser ce précepte pédagogique révolutionnaire. Ce fut le cas.

Toute la technostructure éducative publique (inspecteurs généraux, inspecteurs pédagogiques, administration) a donc prôné la « pédagogie différenciée ». Cette pédagogie consisterait à disposer à tout instant de plusieurs niveaux de formation pour chaque groupe. L’enseignant doit adapter son enseignement aux niveaux variables des élèves de sa classe. Si, pour trente élèves, il est possible de distinguer quatre niveaux, il appartient à l’enseignant de proposer quatre cursus différents.

En pratique, c’est impossible, et cela n’a pas eu lieu. Malgré les instructions officielles, très rares sont les enseignants qui se sont pliés à cette absurdité. D’où un alignement de l’enseignement sur un niveau moyen-faible pour ne pas abandonner à leur sort les trois quarts des élèves. D’où une impossibilité pour les meilleurs d’exploiter leurs capacités.

L’hypocrisie politique a donc interdit l’efficacité pédagogique.

Pour les politiciens, il s’agissait, et il s’agit encore, de prétendre que l’école donne des chances identiques à tous et permet de construire une société égalitaire. Les principaux syndicats d’enseignants, positionnés politiquement à gauche, n’ont pas contesté le principe égalitariste mais demandé à cor et à cris, pendant des décennies, des moyens supplémentaires pour atteindre l’objectif.

 

L’égalité au rabais, c’est pour les autres !

Mais le mammouth Éducation nationale a aussi imposé des contraintes structurelles.

La structure centralisée du système éducatif (1 200 000 salariés) supposait un nombre réduit de catégories d’établissements (écoles, collèges, lycées, universités et grandes écoles) aux programmes d’enseignement uniformes.

Seule une forte décentralisation aurait permis de tenir compte de la diversité sociale.

La réforme la plus emblématique à cet égard fut celle du « collège pour tous » réalisée par René Haby, ministre de l’Éducation nationale de 1974 à 1978 (septennat de Valéry Giscard d’Estaing). On parlera par la suite dans les médias de « collège unique ». L’ambition naïve du ministre consistait à poursuivre la démocratisation de l’école élémentaire par un premier niveau d’enseignement secondaire (quatre années) accueillant toute la jeunesse du pays.

Cette louable ambition était politiquement porteuse, mais sociologiquement absurde.

L’enseignement élémentaire est en effet principalement un apprentissage presque technique (lire, écrire, compter) qui peut s’adresser à tous de la même façon.

Mais l’enseignement secondaire présentant un caractère éminemment culturel, il faut nécessairement tenir compte du fossé cognitif entre les élèves pour élaborer des programmes différenciés adaptés à chacun.

Le programme unique pour tous les enfants du pays peut se concevoir dans l’enseignement élémentaire, mais il est totalement inadapté à l’enseignement secondaire. Sauf évidemment s’il s’agit d’un simple affichage politique, ce qui était le cas.

La classe dirigeante n’est en effet pas affectée par le soi-disant collège unique. Même avec des programmes identiques, la sectorisation géographique maintient des différences majeures entre le niveau d’enseignement dans les banlieues pauvres et le 16e arrondissement de Paris. L’enseignement privé et ses établissements élitistes constituent également un recours. La politique définie par les gouvernants pour le peuple de France ne concernait donc absolument pas les familles des décideurs. Elles avaient d’autres solutions.

 

Tenir compte du réel

Restons-en là.

Il n’est certes pas facile de diffuser à la fois culture, formations scientifiques, techniques et professionnelles de façon à permettre à chacun de valoriser au mieux ses aptitudes.

Mais une chose semble évidente : il convient de tenir compte du réel. Masquer une réalité sociale très inégalitaire par un discours politique trompeur ne peut aboutir à terme qu’à l’échec. Nous y sommes. Le conte de Voltaire à l’issue heureuse proposé par nos politiciens se transforme sous nos yeux en tragédie grecque.

L’enfer est pavé de bonnes intentions (20) – Prestations sociales et immigration

En matière de bonnes intentions, la France est probablement, depuis longtemps, la championne du monde toutes catégories.

Toujours la main sur le cœur, nous nous posons perpétuellement en donneurs de leçons et en parangons du modèle accompli dans de nombreux domaines (le système de santé que le monde nous envie, l’exception culturelle que le monde nous envie, un modèle social sans doute parmi les plus développés du monde, un système de retraites jusque-là posé en modèle lui aussi, etc.).

Et pourtant, le monde entier constate, année après année, parfois avec stupeur et sourire en coin, que nous sommes aussi le pays des grèves, le pays où on trouve peut-être le plus de râleurs et de gens (envieux) qui se rendent malheureux, celui où a eu lieu le mouvement des Gilets jaunes, après celui des Bonnets rouges, et après un tas d’autres mouvements de protestation presque toujours motivés par les mêmes causes : l’argent, les aides, la taxation, la jalousie, et autres frustrations engendrées très souvent par l’attrait incontrôlé pour l’argent magique. Tout semble aussi se déliter petit à petit, à la stupeur de ceux qui continuent pourtant à croire en la supériorité de notre modèle.

Dans le cas des émeutes de juin 2023, probablement symptôme le plus spectaculaire de la déliquescence profonde de l’état réel de notre pays, il y a fort à parier que les causes sont en partie les mêmes : la générosité publique (pas toujours visible, ou du moins ressentie) a produit des effets pervers très puissants et devenus incontrôlables, sans qu’on en identifie clairement l’origine. Mais il est à craindre que, loin de tirer les leçons de ce qui se passe réellement, nous tombions encore et toujours dans les mêmes travers.

 

Le sombre constat

Le sujet de l’immigration est un terrain très délicat.

Dans une optique libérale, il n’y a aucun obstacle a priori à ce que des individus se déplacent et s’installent où bon leur semble. À chacun ensuite, bien entendu, de respecter des règles de savoir-vivre, de se conformer aux lois et règles de vie du pays où ils ont choisi de s’installer, de se faire un devoir de vivre en bonne harmonie et en bonne intelligence avec les habitants de ce pays. Sans pour autant renoncer à ses valeurs propres, sa religion ou ses convictions, voire à l’amour de son pays d’origine, du moment qu’on ne cherche pas à les imposer aux autres, ou à les afficher publiquement en faisant preuve de prosélytisme.

Pourtant, peu à peu l’immigration est devenue un sujet sensible, voire considéré parfois ou par certains comme un problème. Reste à déterminer en quoi, et surtout, quelles en sont les causes.

On entend souvent dans les débats que ce qui semble poser de plus en plus problème – et a été anticipé par des politiques actives et réfléchies dans certains pays – est le nombre. Nous pouvons souhaiter défendre des valeurs et être considérés comme un généreux pays d’accueil (ce que nous sommes effectivement en France), mais à condition d’avoir le temps d’assurer une continuité, un accueil correct et décent, en somme une capacité d’intégration réussie, forcément lente et progressive. Ce n’est pas ce que nous constatons en observant le développement de communautarismes, de replis identitaires, dans certains cas, de rejets à peine dissimulés de la France, ou la multiplication de territoires ou cités relativement clos où coexistent, selon les cas, chômage endémique, relative pauvreté, culture parallèle et trafics en tous genres. Hors du cadre du développement harmonieux que nous pourrions tous souhaiter.

À partir de là, il convient de tenter d’en déterminer les causes.

 

Un système généreux, mais en réalité très pervers

L’analyse que je mettrais en avant, à titre personnel, est cet éternel enfer pavé de bonnes intentions, comme dans de très nombreux domaines.

À vouloir se montrer « généreux » (mais toujours avec l’argent des autres), nous avons une fois de plus, et là comme ailleurs, une propension incorrigible à nous enfermer dans des impasses.

Certes, nous rêvons tous plus ou moins de venir en aide aux autres, de nous montrer généreux, de ne laisser personne de côté ou plongé dans la misère. Sur les intentions, il y a relatif consensus. En revanche, sur la méthode non. Surtout quand la politique s’en mêle et a l’art de venir toujours tout gâcher.

Car les politiques, munis de la baguette magique de l’argent public qui coule toujours à flots (et après moi, le déluge…), auront toujours intérêt, pour chercher à se faire réélire, à se servir de la manne publique (l’argent de nos impôts ou futurs impôts), à promettre, donner, surenchérir, offrir l’illusion de leur propre générosité (comme si cela sortait de leur poche !) et de leur préoccupation à l’égard de leurs administrés. Pas toujours avec la plus grande des sincérités, en prime.

Non seulement nous pouvions difficilement nous permettre de concevoir un modèle social aussi dispendieux que le nôtre, et dont la facture s’alourdit de jour en jour de manière relativement incontrôlée, mais en plus ce modèle « généreux » et élargi à tous ceux qui entrent, à travers des dispositifs toujours plus nombreux, a eu pour effet de provoquer un immense appel d’air.

On ne peut absolument pas en vouloir, d’ailleurs, à ceux qui ont été ou sont actuellement attirés par la générosité de ce système. Ils fuient très souvent un pays où leurs conditions de vie, à divers titres, sont mauvaises, pour espérer pouvoir vivre mieux ici. Ceux que l’on peut mettre en cause sont plutôt nos gouvernants successifs, ceux qui ont donné dans la surenchère (très souvent électorale) en vue de chercher la popularité et la réélection.

 

Un pays fortement endetté

Car il convient de garder constamment à l’esprit – même si certains croient naïvement qu’une dette peut se rayer d’un trait de plume sans de lourdes conséquences – que l’endettement public français a dépassé les 3000 milliards d’euros (ce qui ne signifie, hélas, pas grand-chose pour beaucoup de Français). Or, sauf à vivre déconnecté des réalités, notamment économiques (l’ignorance en la matière, y compris de beaucoup d’élus, est trop souvent préoccupante), il n’est pas imaginable de continuer à financer autant de dépenses de manière toujours plus grande, et souvent à fonds perdus.

Car n’en déplaise à tous ceux qui ne vont pas manquer maintenant de réclamer de nouveaux plans pour la ville et les territoires, ou autres projets souvent vagues et dispendieux, cela coûtera non seulement très cher, mais ne résoudra en rien les problèmes. Car, c’est bien connu, plus on donne, plus ceux qui reçoivent s’habituent et en demandent encore davantage. Le pire étant que, la plupart du temps, les intéressés n’ont pas le sentiment d’avoir reçu, ou bien qu’ils ont oublié aussitôt ce qu’ils ont perçu, ou bien qu’ils considèrent cela comme une sorte de dû. Et je parle bien là de tous les Français, nourris à la mamelle de l’État, mais ayant pour beaucoup – s’imaginant que les autres ont sans doute plus – le sentiment d’être oubliés.

C’est particulièrement caractéristique de beaucoup de quartiers où l’on a assisté à des violences, et où le sentiment semble être répandu que leurs habitants seraient oubliés. Là où, si on oubliait les aides généreuses de l’État, on devrait commencer par se prendre en charge soi-même (sans passer par des trafics illégaux).

En matière d’immigration, tout se passe comme si les prestations sociales attiraient inexorablement, mais des flux considérables et incontrôlés de personnes de toutes origines pas toujours désireuses de venir s’installer en France pour d’autres raisons que financières, et pour trop d’entre elles sans aucune volonté de s’intégrer ou au moins de se conformer aux règles de vie du pays.

Et, quand cela a été le cas, il est arrivé à la génération suivante que des formes d’ingratitude, de rejet, et d’incompréhension, se développent. Avec toutes les frustrations qu’il y a derrière, souvent issues de malentendus.

 

Et maintenant ?

L’argent public pervertit tout. Et nous pouvons craindre que, ne tirant jamais les leçons du passé, les politiques s’engouffrent de nouveau dans de grands plans en grande partie inutiles et impossibles à mener tant ils représentent des sommes gigantesques infinançables pour un État aussi endetté, dont les résultats ne seraient, en prime, aucunement visibles pour les populations concernées, et sans doute en décalage avec les aspirations probablement démesurées de celles-ci.

Construire des écoles, des cinémas, des salles de spectacle, des terrains de sport ?

C’est justement, avec des restaus du cœur et autres infrastructures au service des populations, des éléments auxquels on s’est attaqué, qui ont été brûlés, pillés, au grand dépit de ceux qui se mettaient au service des populations. Face à ce triste spectacle, on se met à douter de l’intérêt de reconstruire (pour que ce soit ensuite de nouveau détruit ?). Et surtout, cela ne donnerait-il pas le sentiment à ceux qui ont détruit que ce n’est pas grave, puisque la collectivité reconstruira à neuf les mêmes infrastructures ?

Alors, des marches citoyennes ? Nous sommes là encore dans la politique et la démagogie. Nous n’irons pas loin ainsi, si ce n’est faire monter encore d’un cran les tensions en laissant croire encore et toujours à certaines populations qu’elles seraient « discriminées ». De la pure manipulation.

S’attaquer aux prestations familiales ? On flaire tout de suite, là aussi, les postures, puis les conflits politiques. Cela ne résoudra pas les problèmes de fond, mais peut, il est vrai, constituer déjà une première forme de réponse. Pourquoi, d’ailleurs, s’en offusquer, dans la mesure où il ne s’agit que de l’appliquer à des familles qui ne respectent pas la loi, ni les autres ? Et encore, après bien des tergiversations et une étude au cas par cas. Rien de choquant. Pour rappel, c’est ce qui se pratique déjà par un nombre croissant de chefs d’établissement scolaire (que l’on ne peut suspecter d’être de droite ou d’agir selon des considérations politiques) au sujet des bourses. Avec une certaine efficacité : les élèves et leur famille tiennent, pour beaucoup, à cette aide apportée par l’État, et retrouvent le chemin de l’école lorsqu’il s’agit de toucher à leur porte-monnaie (précisons que ce n’est jamais brutal, mais l’issue d’un processus progressif de rencontres, mises en garde, convocations répétées). Idem pour les formations en alternance, où les établissements qui travaillent main dans la main avec les entreprises partenaires procèdent à des retraits de salaire pour les absentéistes en cours (c’est particulièrement efficace).

Et quid du régalien (police, justice, armée) ? C’est dans les circonstances comme celles que nous connaissons en 2023 (guerre en Ukraine, émeutes en France, etc.) que l’on se rend le mieux compte de l’erreur qui a consisté pour notre État – via ses représentants – à vouloir se mêler de tout, au détriment des missions premières qui étaient vouées à l’État à l’origine : assurer la paix, l’ordre et la sécurité. Dans ces trois domaines, on voit désormais au grand jour à quel point nous sommes démunis…

 

En conclusion

La saison touristique, qui s’annonçait prometteuse pour la France, risque bien de se trouver en berne. Et avec elle les sources de financement de l’économie et les emplois saisonniers qui auraient dû bénéficier à un certain nombre de personnes (sans compter toutes celles qui ont perdu le leur). Et ne parlons même pas de l’organisation des Jeux Olympiques l’an prochain (on en a le tournis).

Il n’existe pas de solution miracle pour remédier aux causes de ce que nous avons vécu avec les émeutes de juin 2023. Sans doute commencer par arrêter de politiser l’affaire (surtout à gauche, désolé de le dire, car certains aiment particulièrement souffler sur les braises et ne pensent décidément qu’à leurs propres visées politiques au lieu de chercher à apaiser et de tenter de débattre pour trouver des solutions).

Venir à bout d’un tel marasme et d’une telle inconséquence politique durant plusieurs décennies n’est pas possible à court terme (diminuer drastiquement les prestations sociales offertes à tout-va n’est pas non plus imaginable politiquement à un horizon raisonnable). Seul ce que l’on appelle « le temps long » peut permettre d’endiguer peu à peu le problème (je laisse aux politiques le soin de tenter de se dépatouiller avec l’immédiat). Encore une fois, ce sont les mentalités qui doivent changer profondément. Et forcément, c’est très très long. Encore faut-il avoir la volonté et le courage qui les accompagnent.

Une fois encore, la culture et l’éducation me semblent constituer des clés essentielles. Ce sont des constructions lentes et qui mettent en œuvre des mécanismes complexes. Elles sont à la base de tout. Cependant, là encore, malheureusement, nous ne pouvons que constater que les choses vont très mal. Non seulement l’Éducation nationale ne peut pas tout et est assez démunie, mais elle est mal en point et vraiment pas aidée par la démagogie ambiante (ici aussi très politique). C’est là encore un sujet que nous avons déjà plus d’une fois eu l’occasion d’aborder et où il y a vraiment beaucoup à dire. Mais ce sera peut-être l’objet d’une future chronique…

En attendant, c’est d’un excès de complaisance que nous souffrons et d’un manque de fermeté en général, venant aggraver une crise des valeurs. D’où l’importance de la transmission et de l’éducation, mais aussi de veiller à repenser les politiques d’immigration de sorte que celle-ci se fasse par une adhésion minimale aux valeurs essentielles que nous devons partager afin que les choses puissent avoir une chance de fonctionner.

 

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Un article publié initialement le 7 juillet 2023.

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